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A-442-97

Jian Sheng Co. Ltd. (demanderesse) (appelante)

c.

Great Tempo S.A., Sinotrans Canada Inc., et les propriétaires et autres personnes ayant des droits dans le navire Trans Aspiration (défendeurs) (intimés)

Répertorié: Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A. (C.A.)

Cour d'appel, juges Pratte, Décary et Linden, J.C.A. "Vancouver, 26 mars; Ottawa, 14 avril 1998.

Droit maritime Transport de marchandises Appel d'une ordonnance accordant la suspension des procéduresDéclaration alléguant que la cargaison a ététransportée et manutentionnéepar trois défenderessesUne clause attributive de compétence qui figurait dans un connaissement lignes régulières standard prévoyait que tout différend serait résolu dans le pays où le transporteur a son principal établissementLa clause attributive de compétence n'était pas nulle de nullité absolue pour cause d'incertitudeElle n'était pas ambiguëSon application est une question de faitAucun précédent ne vient affirmer que le manque de renseignements relativement au nom des parties, aux navires et aux principaux établissements entraîne une telle incertitude qu'elle invalide les connaissementsLa clause standard est appliquée depuis toujours dans l'industrieSi son application donne lieu à une trop grande incertitude, le redressement approprié n'est pas de déclarer cette clause invalide, mais de demander à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant de l'appliquerC'est à un défendeur qu'il incombe de prouver que la clause attributive de compétence s'appliquaitIl doit prouver (1) qu'il est le transporteur; (2) où se trouve son principal établissementLe protonotaire a commis une erreur en s'appuyant sur le principe de la coentreprise de propriétaires et d'affréteurs énoncé par le professeur TetleyLe critère du principal établissement est rigoureuxIl impose au défendeur l'obligation de fournir le plus de renseignements possibles, d'autant plus que ces renseignements sont totalement sous son contrôle et qu'ils ne sont généralement pas à la disposition du demandeurLa défenderesse en l'espèce n'a fait aucune observation sur le lieu du principal établissement, le nom des dirigeants et le lieu où s'exerçait le contrôle sur les employés et les activitésIl s'agit là de renseignements essentiels que la défenderesse connaissait et qu'elle aurait dû fournir à la CourLes tribunaux peuvent tirer des inférences négatives lorsqu'une partie omet de fournir des éléments de preuve qu'elle connaît et qui sont nécessaires au règlement d'un litigePermettre à un transporteur de s'en tirer avec une preuve aussi mince serait bafouer la clause attributive de compétence.

Il s'agissait d'un appel d'une ordonnance accueillant un appel interjeté à l'encontre du refus du protonotaire de suspendre les procédures au motif que la clause attributive de compétence dans le connaissement sur lequel s'était appuyée l'appelante était nulle pour cause d'incertitude. La déclaration traitait de la perte d'une partie importante de la cargaison transportée aux termes d'un contrat de transport attesté par un connaissement délivré à Vancouver. Selon la déclaration, la cargaison a été "transportée et manutentionnée" par trois défenderesses: le transporteur et propriétaire du navire, Great Tempo S.A. (l'intimée), les affréteurs et exploitants du navire, Sinotrans Canada Inc. (Sinotrans) et le navire. La déclaration alléguait que le principal établissement de l'intimée se trouvait à Hong Kong. Le connaissement était un connaissement lignes régulières standard, approuvé par la Conférence maritime internationale et baltique. Il était signé par Sinotrans "en qualité de mandataire du transporteur seulement: Trans Aspiration". La clause attributive de compétence prévoyait que tout différend découlant du connaissement serait résolu dans le pays où le transporteur a son principal établissement. L'intimée a déposé une requête afin d'obtenir l'autorisation de déposer une demande de comparution conditionnelle dans le but de s'opposer à la compétence de la Cour et de demander une suspension de toutes les procédures intentées contre elle. Un affidavit déposé à l'appui indiquait que la totalité des activités de l'intimée étaient dirigées depuis Hong Kong. En refusant la requête de suspension, le protonotaire a relevé que l'omission de désigner clairement le transporteur constituait une ambiguïté fatale. Il a cité avec approbation le principe de la coentreprise énoncé par le professeur Tetley. En appel, madame le juge Tremblay-Lamer a conclu que le protonotaire avait commis une erreur en s'appuyant sur les observations du professeur Tetley. Elle était d'avis qu'il existait des éléments de preuve qui permettaient à la Cour de déterminer l'endroit du principal établissement de l'intimée.

La question consistait à déterminer si la clause attributive de compétence était nulle de nullité absolue pour cause d'incertitude ou si elle était nulle pour cause d'incertitude en raison des circonstances de l'affaire.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Une clause attributive de compétence de ce type ne devrait pas être déclarée nulle de nullité absolue pour cause d'incertitude. La clause n'était pas ambiguë. Elle signifiait précisément ce qu'elle disait. Son application est dans chaque cas une question de fait. L'identité du transporteur et le lieu de son principal établissement sont des renseignements qui souvent ne figurent pas expressément dans les connaissements et qui doivent être déterminés respectivement par les clauses du contrat et en fonction des circonstances de l'affaire. Aucun arrêt de principe de la jurisprudence anglo-canadienne n'affirme que ce manque de renseignements entraîne une incertitude telle qu'elle justifie d'invalider les connaissements. C'est une clause standard qui est appliquée depuis toujours dans l'industrie. Si l'application de la clause attributive de compétence dans certaines circonstances donne lieu à une trop grande incertitude, le redressement approprié n'est pas de déclarer cette clause invalide, mais de demander à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant de l'appliquer. Bien que l'appelante ait soutenu que la Cour devrait adopter une position qui serait plus conforme au consensus international actuel, qui est reflété à l'article 21 des Règles de Hambourg, la Convention de Hambourg n'a pas encore été signée ni par le Canada ni par la Grande-Bretagne. Elle n'a pas été ratifiée par la France, l'Allemagne et les États-Unis d'Amérique. Donc, il n'existe pas de consensus à l'échelle internationale concernant la disposition relative à la compétence que l'on trouve dans les Règles de Hambourg, et la Cour n'était pas du tout disposée à présumer de la volonté du gouvernement.

Le fardeau de la preuve qui incombe à un défendeur à cette étape est de convaincre la Cour que la clause attributive de compétence s'appliquait. Le fardeau de la preuve est double. Le défendeur doit prouver qu'il est le transporteur. Il doit ensuite démontrer où se trouve son principal établissement.

Dans les connaissements des propriétaires de navires, il y a une présomption selon laquelle le propriétaire est le transporteur. Dans les connaissements des affréteurs, la présomption veut que ce soit l'affréteur à coque nue qui soit le transporteur. Toute autre personne peut être le transporteur uniquement lorsque ces présomptions ont été réfutées, ce qui ne se produit que lorsqu'il y a une preuve que cette autre personne a en fait assumé le rôle de transporteur en vertu du contrat de transport avec le chargeur. L'appelante a laissé entendre qu'il pourrait y avoir plus d'un transporteur. Pour justifier cette proposition, elle s'appuyait sur la décision Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le), [1993] 2. C.F. 553 (1re inst.), qui approuvait les observations du professeur Tetley dans Marine Cargo Claims, où il est dit que le transport de marchandises constitue une coentreprise de propriétaires et d'affréteurs, si bien que ces derniers devraient être tenus solidairement responsables comme transporteurs. Le concept alléguant une coentreprise implicite entre les propriétaires et les affréteurs a été qualifié par la suite par la Cour d'appel de "principe d'influence américaine". Le concept de la coentreprise implicite est également incompatible avec l'essentiel de plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada et de la présente Cour. Il a été jugé "sans fondement" dans Union Carbide , où il a été énoncé que le transporteur peut être soit le propriétaire, soit l'affréteur, mais jamais les deux. Il peut y avoir des cas où un propriétaire et un affréteur décident en fait de former une coentreprise ou une société, mais ce serait alors cette coentreprise ou cette société qui assumerait le rôle du transporteur. Bien que la décision Lara S ait été confirmée par la présente Cour, les motifs prononcés à l'audience par la Cour ne traitaient pas de la question de la coentreprise implicite et la question n'a pas été soulevée dans cet appel. On ne peut conclure que la décision Lara S appuie les observations du professeur Tetley.

Le protonotaire a commis une erreur en s'appuyant sur le principe de la coentreprise. La requête n'aurait pas dû être refusée pour le seul motif qu'il n'y avait pas de preuve concernant l'identité du transporteur. Les conditions du connaissement ne mènent pas à la conclusion que Sinotrans avait assumé à titre de mandant le rôle de transporteur. En signant comme "mandataire seulement du transporteur: Trans Aspiration", Sinotrans a laissé la porte ouverte à la possibilité qu'elle n'agissait pas comme mandataire du propriétaire, mais plutôt comme mandataire d'un affréteur à coque nue dont l'identité n'était pas révélée. Mais la clause concernant l'identité du transporteur dans le connaissement indique en termes non équivoques que le connaissement est établi comme un connaissement du propriétaire et que le contrat attesté par le connaissement a été conclu entre le propriétaire de la cargaison et le propriétaire du navire. Cette clause établit une présomption réfutable selon laquelle le propriétaire du navire est le transporteur et, pour un consignataire, le fait d'utiliser les mots "mandataires du navire" plutôt que les mots "mandataires du propriétaire" ne suffit pas à réfuter la présomption.

Le principal établissement se trouve là où se font véritablement les affaires. Il faut tenir compte du centre à partir duquel les instructions sont données, de celui à partir duquel le contrôle est exercé au nom de la compagnie sur le personnel et sur les activités de celle-ci, et du lieu où le contrôle est exercé, et aussi du centre à partir duquel la compagnie est gérée sans autre forme de contrôle, à l'exception du contrôle auquel sont soumis toutes les compagnies ou tous les administrateurs d'une compagnie eu égard à ceux qu'ils représentent, c'est-à-dire les actionnaires de la compagnie réunis en assemblée générale. Il s'agit donc d'un critère rigoureux. Il impose au défendeur l'obligation de fournir le plus de renseignements possibles, d'autant plus que ces renseignements sont totalement sous son contrôle et qu'ils ne sont généralement pas à la disposition du demandeur.

Le juge des requêtes a mal interprété le critère du principal établissement et n'a pas compris toute la rigueur de ce critère. L'intimée n'a fait aucune observation sur le lieu du principal établissement, le nom des dirigeants et le lieu où s'exerçait le contrôle sur les employés et les activités. Pourtant, il s'agit là de renseignements essentiels que l'intimée connaissait et qu'elle aurait dû fournir à la Cour. Les tribunaux peuvent tirer des inférences négatives lorsqu'une partie omet de fournir des éléments de preuve qu'elle connaît et qui sont nécessaires au règlement d'un litige. Permettre à un transporteur de s'en tirer avec une preuve aussi mince, qui n'est même pas la sienne, serait bafouer la clause attributive de compétence.

La clause attributive de compétence n'était pas applicable, car l'intimée n'a pas réussi à établir que son principal établissement se trouvait à Hong Kong.

lois et règlements

Convention de 1978 des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, Hambourg, 31 mars 1978 ("Règles de Hambourg"), art. 21.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21.

Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27, annexe.

Loi sur les connaissements, L.R.C. (1985), ch. B-5.

Règles de La Haye-Visby, qui constituent l'annexe I à la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21.

jurisprudence

décisions appliquées:

Rewia, The, [1991] 2 Lloyd's Rep. 325 (C.A.); Union Carbide Corp. et al c. Fednav Ltd. et al. (1997), 131 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le), [1993] 2 C.F. 553; (1993), 60 F.T.R. 1; 16 C.C.L.T. (2d) 1 (1re inst.); conf. par sub nom. Canastrand Industries Ltd. c. Navire Lara S et al. (1994), 176 N.R. 31 (C.A.F.); Lantic Sugar Ltd. c. Blue Tower Trading Corp. et al. (1993), 163 N.R. 191 (C.A.F.).

décisions citées:

El Amria, The, [1981] 2 Lloyd's Rep. 119 (C.A.); Eleftheria, The, [1969] 1 Lloyd's Rep. 237 (Adm.); Can-Am Produce and Trading Ltd. c. Navire Senator et al. (1996), 112 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.); Seapearl (Navire M/V) c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Atlantic Shipping and Trading Co. v. Dreyfus & Co., [1922] 2 A.C. 250 (H.L.); Spiliada, The, [1987] 1 Lloyd's Rep. 1 (H.L.); Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852; [1952] 1 D.L.R. 241; Aris Steamship Co. Inc. c. Associated Metals & Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322; (1980), 101 D.L.R. (3d) 1; 31 N.R. 584; Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.); Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. c. CN Marine Inc., [1990] 1 C.F. 483; (1989), 104 N.R. 66 (C.A.); Polzeath, The, [1916] P. 241 (C.A.); Ardennes (Owner of Cargo), The v. The Ardennes (Owners), [1950] 2 All E.R. 517 (K.B.D.); Leduc v. Ward (1888), 20 Q.B.D. 475 (C.A.); Berkshire, The, [1974] 1 Lloyd's Rep. 185 (Q.B. (Adm. Ct.)); Fiducie Prêt c. Société canadienne d'hypothèques et de logement (1991), 136 N.R. 129 (C.A.F.).

doctrine

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal: Éditions Yvons Blais, 1988.

Todd, Paul. Modern Bills of Lading, 2nd ed. Oxford: Blackwell Law, 1990.

APPEL d'une ordonnance accueillant un appel (Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A. et al. (1997), 132 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.)) interjeté à l'encontre du refus du protonotaire de suspendre les procédures (Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A. et al. (1997), 129 F.T.R. 55 (C.F. 1re inst.)) au motif que la clause attributive de compétence dans le connaissement sur lequel s'était appuyée l'appelante était nulle pour cause d'incertitude. Appel accueilli.

avocats:

Douglas G. Schmitt pour la demanderesse (appellante).

T. S. Hawkins pour les défendeurs (intimés).

avocats inscrits au dossier:

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour la demanderesse (appelante).

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs (intimés).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A.: Il s'agit d'un appel de l'ordonnance de Mme le juge Tremblay-Lamer en date du 4 juin 1997 [(1997), 132 F.T.R. 166] par laquelle elle accueillait un appel interjeté par l'intimée Great Tempo S.A. à l'encontre de l'ordonnance du protonotaire Hargrave, en date du 7 avril 1997 [(1997), 129 F.T.R. 55]. Le protonotaire avait refusé de suspendre les procédures au motif que la clause attributive de compétence dans le connaissement sur lequel s'appuyait l'appelante était nulle pour cause d'incertitude.

La question dont nous sommes saisis, telle qu'elle a été débattue par l'avocat de l'appelante, consiste à déterminer si la clause attributive de compétence en question est nulle de nullité absolue pour cause d'incertitude et, si non, si elle est nulle pour cause d'incertitude en raison des circonstances de l'affaire.

La clause attributive de compétence est énoncée dans un connaissement établi sur une formule standard intitulée "Connaissement lignes régulières" qu'utilise le navire intimé. Cette formule est approuvée par la Conférence maritime internationale et baltique et son nom de code est "Conlinebill". Elle est rédigée dans les termes suivants:

[traduction] 3. Compétence

Tout différend découlant du présent connaissement sera résolu dans le pays où le transporteur a son principal établissement, et le droit de ce pays s'appliquera, sauf dispositions contraires du présent connaissement.

Nullité absolue pour cause d'incertitude

Je voudrais régler dès maintenant l'argument selon lequel une clause attributive de compétence de ce type devrait être déclarée nulle de nullité absolue pour cause d'incertitude.

La clause n'est pas ambiguë. Elle signifie précisément ce qu'elle dit. Bien entendu, son application sera dans chaque cas une question de fait. L'identité du transporteur et le lieu de son principal établissement sont des renseignements qui souvent ne figurent pas expressément dans les connaissements et qui doivent être déterminés, pour ce qui a trait à l'identité du transporteur, par les clauses du contrat et, pour ce qui a trait au lieu du principal établissement, en fonction des circonstances de l'affaire.

Il arrive plus souvent qu'autrement dans les connaissements que le nom des parties et des navires et le lieu des principaux établissements ne soient pas indiqués, mais on ne nous a cité aucun arrêt de principe de la jurisprudence anglo-canadienne qui affirme que ce manque de renseignements entraîne une incertitude telle qu'elle justifie d'invalider les connaissements.

Nous traitons de clauses standard qui sont appliquées depuis toujours dans l'industrie et par les tribunaux (voir The El Amria, [1981] 2 Lloyd's Rep. 119 (C.A.); The Rewia, [1991] 2 Lloyd's Rep. 325 (C.A.); The Eleftheria, [1969] 1 Lloyd's Rep. 237 (Adm.) et Can-Am Produce and Trading Ltd. c. Navire Senator et al. (1996), 112 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.)). Voilà le droit auquel ont volontairement adhéré les parties. Il est trop tard pour remettre en cause une pratique qui a acquis ses lettres de noblesse dans le droit et l'usage anglo-canadiens. L'opinion suivante de lord Dunedin dans Atlantic Shipping and Trading Co. v. Dreyfus & Co., [1922] 2 A.C. 250 (H.L.), à la page 257 est tout à fait pertinente dans les circonstances:

[traduction] . . . dans ces causes commerciales il est, je pense, de la plus haute importance que les arrêts de principe ne soient pas modifiés, et si vos seigneuries constatez qu'une certaine doctrine a été établie dans des causes antérieures et qu'elle a vraisemblablement été suivie dans la rédaction d'autres contrats, vous ne serez pas disposés à modifier cette doctrine, à moins que vous la jugiez manifestement erronée.

Si l'application de la clause attributive de compétence dans certaines circonstances donne lieu à une trop grande incertitude, le redressement approprié n'est pas de déclarer cette clause invalide, mais de demander à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en refusant de l'appliquer.

L'avocat de l'appelante a laissé entendre à l'audience que la Cour devrait, par principe, adopter une position qui, à son avis, serait plus conforme au consensus international actuel concernant les clauses attributives de compétence. Selon lui, ce consensus est reflété à l'article 21 des Règles de Hambourg énoncées dans la Convention de 1978 des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer. Cet article est rédigé dans les termes suivants:

Article 21

Compétence

1. Dans tout litige relatif au transport de marchandises en vertu de la présente Convention, le demandeur peut, à son choix, intenter une action devant un tribunal qui est compétent au regard de la loi de l'État dans lequel ce tribunal est situé et dans le ressort duquel se trouve l'un des lieux ou ports ci-après :

a) l'établissement principal du défendeur ou, à défaut, sa résidence habituelle;

b) le lieu où le contrat a été conclu, à condition que le défendeur y ait un établissement, une succursale ou une agence par l'intermédiaire duquel le contrat a été conclu;

c) le port de chargement ou le port de déchargement;

d) tout autre lieu désigné à cette fin dans le contrat de transport par mer.

La Convention de Hambourg n'a pas encore été signée ni par le Canada ni par la Grande-Bretagne et elle n'a pas non plus été ratifiée par des puissances maritimes comme la France, l'Allemagne et les États-Unis d'Amérique. Qui plus est, la Loi sur le transport des marchandises par eau qui, à l'exception de l'article 8, est entrée en vigueur lors de sa sanction le 6 mai 1993 (L.C. 1993, ch. 21), remplace les règles ayant trait aux connaissements énoncées à l'annexe de la Loi sur le transport des marchandises par eau (L.R.C. (1985), ch. C-27) par les Règles de La Haye-Visby [qui constituent l'annexe I à la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21] et, à une date ultérieure, si le ministre des Transports en décide ainsi, par les Règles de Hambourg (article 8). Il est donc douteux qu'il existe à l'heure actuelle un consensus à l'échelle internationale concernant la disposition relative à la compétence que l'on trouve dans les Règles de Hambourg et la Cour n'est pas du tout disposée à présumer de la volonté du gouvernement et du Parlement du Canada.

Je conclus donc que la clause attributive de compétence en question n'est pas invalide pour cause d'incertitude et que nous devons l'appliquer en ce qu'elle constitue le droit qui s'applique entre les parties, dans l'industrie, dans le pays et devant les tribunaux anglo-canadiens.

Nullité relative pour cause d'incertitude en raison des circonstances

Lorsque, dans les affaires d'amirauté portées devant la présente Cour, un défendeur demande une suspension aux termes de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], en s'appuyant sur une clause attributive de compétence énoncée dans un connaissement, il a le fardeau de persuader la Cour que les conditions d'application de la clause ont été respectées. Une fois que la Cour est convaincue que la clause s'applique, le fardeau de la preuve se déplace alors sur le demandeur qui doit établir qu'il existe des motifs impérieux permettant de conclure qu'il ne serait ni raisonnable ni juste dans les circonstances de forcer le demandeur à respecter les conditions du contrat (voir Seapearl (Navire M/V) c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161 (C.A.), à la page 177, le juge Pratte; voir également The Spiliada, [1987] 1 Lloyd's Rep. 1 (H.L.), à la page 10 et The El Amria). Ces "motifs impérieux" ont été résumés dans les motifs souvent cités du juge Brandon (tel était alors son titre) dans The Eleftheria , à la page 242, mais je ne les répéterai pas ici parce que l'appelante n'a pas contesté la conclusion du juge des requêtes selon laquelle Hong Kong serait dans les circonstances un ressort approprié. L'appelante appuie sa cause uniquement sur la question de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que Great Tempo S.A. avait établi que les conditions pour l'application de la clause attributive de compétence avaient été respectées.

Observations générales

Il sera utile de commencer mon analyse par six observations générales dont la pertinence se manifestera au fur et à mesure de mon exposé.

a)  La norme de contrôle

Une Cour d'appel chargée de contrôler la décision discrétionnaire d'un juge des requêtes dans le cadre d'une demande de suspension des procédures fondée sur une clause attributive de compétence doit confirmer la décision à moins qu'elle soit mal fondée ou manifestement erronée (voir Seapearl, à la page 176, le juge Pratte). Une norme de contrôle semblable doit être appliquée par un juge des requêtes qui siège en appel d'une ordonnance de cette nature rendue par un protonotaire (voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), à la page 454). La présente Cour ne peut donc intervenir que si le juge des requêtes n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence de tels motifs, si sa propre décision était mal fondée ou qu'elle était manifestement erronée.

b)  La preuve pertinente

Étant donné que le présent appel porte sur une demande interlocutoire, je dois, comme le juge des requêtes et le protonotaire l'ont fait avant moi, me satisfaire des faits énoncés dans les affidavits déposés en preuve par les parties (voir The Spiliada, à la page 4, lord Goff of Chieveley).

c)  Le fardeau de la preuve

Le fardeau de la preuve qui incombe à un défendeur à cette première étape du procès est de convaincre la Cour de façon tout à fait claire que la clause attributive de compétence s'applique. Ce n'est pas une tâche de routine. C'est le défendeur qui cherche à empêcher le demandeur de porter sa cause devant un forum par ailleurs approprié et, tout comme on peut s'attendre à ce que la Cour respecte l'intention des parties de porter la cause devant une autre juridiction si elle n'a pas de motifs sérieux de ne pas le faire, de même la Cour doit également être convaincue, avant d'agir ainsi, que la clause s'applique dans les circonstances.

Le fardeau de la preuve est double. Le défendeur doit prouver qu'il est le transporteur. Il doit ensuite démontrer où se trouve son principal établissement. La preuve à fournir doit être convaincante. Si, à la fin de cette démonstration, la Cour a des doutes quant à l'identité du transporteur ou quant au lieu du principal établissement du transporteur, elle ne doit pas passer à la deuxième étape de cette procédure et elle doit refuser immédiatement la suspension des procédures.

d)  L'identité du transporteur

Dans les connaissements des propriétaires de navires, il y a une présomption selon laquelle le propriétaire est le transporteur. Dans les connaissements des affréteurs, par ailleurs, la présomption veut que ce soit l'affréteur à coque nue qui soit le transporteur. Toute autre personne peut être le transporteur uniquement lorsque les présomptions susmentionnées ont été réfutées, ce qui ne se produit que lorsqu'il y a une preuve que cette autre personne a en fait assumé le rôle de transporteur en vertu du contrat de transport avec le chargeur (voir Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852, à la page 854, le juge Rand; Aris Steamship Co. Inc. c. Associated Metals & Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322, à la page 328 et suiv., le juge Ritchie; Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.), à la page 76, le juge Stone; Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. c. CN Marine Inc., [1990] 1 C.F. 483 (C.A.), à la page 501, le juge Stone; Union Carbide Corp. et al. c. Fednav Ltd. et al. (1997), 131 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), à la page 254 et suiv., le juge Nadon, et The Rewia, à la page 333).

L'avocat de l'appelante a laissé entendre qu'il pourrait y avoir plus d'un transporteur en l'espèce, le premier étant le propriétaire, l'autre un présumé affréteur à coque nue ou affréteur à temps qui aurait assumé le rôle de transporteur. Pour justifier cette proposition, il s'appuie sur la décision de Mme le juge Reed dans Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le), [1993] 2. C.F. 553 (1re inst.), qui a été confirmée verbalement par la présente Cour ((1994), 176 N.R. 31 (C.A.F.)). Le juge Reed s'appuyait sur les observations du professeur Tetley dans Marine Cargo Claims, 3e éd. (Montréal: Yvon Blais, 1988) à la page 282, où il dit ceci:

[traduction] Le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise de propriétaires et d'affréteurs (sauf dans le cas d'un affrètement coque nue), si bien que ces derniers devraient être tenus solidairement responsables comme transporteurs.

Le concept émis par le professeur Tetley alléguant une coentreprise implicite entre les propriétaires et les affréteurs a été qualifié par la présente Cour de "principe d'influence américaine" (Lantic Sugar Ltd. c. Blue Tower Trading Corp. et al. (1993), 163 N.R. 191 (C.A.F.), à la page 194, par le juge MacGuigan) et de "suggestion" par le juge Stone, J.C.A. dans Carling O'Keefe , dans une note au bas de la page 501.

Le concept de la coentreprise implicite est, en toute déférence, incompatible avec l'essentiel des décisions de la Cour suprême dans Paterson SS et dans Aris Steamship, et des décisions de la présente Cour dans Cormorant et dans Carling O'Keefe. Ce concept a été jugé "sans fondement" par le juge Nadon dans Union Carbide , à la page 264, et je souscris entièrement aux motifs qu'il a énoncés pour parvenir à cette conclusion. À mon avis, le juge Nadon a clairement énoncé le droit en vigueur aux pages 264-265:

D'après la thèse des auteurs, il semble que si l'affréteur est responsable en vertu du contrat de transport, le propriétaire du navire ne l'est pas. Je souscris à cette thèse. Un affréteur délivrera et signera un connaissement soit en son nom ou au nom du capitaine. Lorsqu'il le signe au nom du capitaine, avec l'autorisation de ce dernier, le propriétaire du navire est lié par la délivrance du connaissement, alors que l'affréteur ne l'est pas. Lorsque l'affréteur délivre et signe le connaissement en son propre nom, il est lié par ce connaissement. Par conséquent, dans la plupart des cas, le terme "ou" à l'alinéa 1a) des Règles de La Haye s'entend en ce sens. Le transporteur peut être soit le propriétaire, soit l'affréteur, mais jamais les deux. Je n'ai pas à examiner la situation où un affréteur délivre et signe un connaissement en son nom et au nom du capitaine. Ce n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

Il peut y avoir des cas où un propriétaire et un affréteur décident en fait de former une coentreprise ou une société, mais ce serait alors cette coentreprise ou cette société qui assumerait le rôle du transporteur.

Je comprends que la décision Lara S a été confirmée par la présente Cour, mais les motifs prononcés à l'audience par la Cour ne traitaient pas de la question de la coentreprise implicite et un examen minutieux des mémoires volumineux déposés par les avocats m'a persuadé que la question n'avait pas été soulevée dans cet appel. Par conséquent, on ne peut conclure que la décision Lara S appuie les observations du professeur Tetley.

e)  Le lieu du principal établissement

La question du lieu du principal établissement a été clairement réglée dans la récente décision de la Cour d'appel anglaise The Rewia. Les observations suivantes du lord juge Leggatt, à la page 334, sont particulièrement pertinentes:

[traduction] Le principal établissement n'est pas nécessairement le lieu où sont exercées la plupart des activités . . . Les demandeurs prétendent que l'entreprise du troisième défendeur était en fait exploitée à Hong Kong, et que le juge a donc conclu à bon droit que c'était là que se trouvait son principal établissement. À mon avis, le troisième défendeur a eu raison de souligner que les actionnaires, les administrateurs et les créanciers hypothécaires (les banques) étaient allemands; que les réunions des administrateurs avaient lieu à Hambourg, que les chartes-parties, y compris la charte-partie à temps pertinente du 8 janvier 1988, devaient être expressément autorisées en Allemagne; que tout ce qui concerne la charte-partie pertinente est allemand, à l'exception du fait que la location devait être payée par la succursale de Hong Kong d'une banque allemande; qu'en vertu du droit allemand les profits réalisés devaient être rapatriés en Allemagne; et que, comme il ressort des inscriptions dans les registres de la Lloyd's, les courtiers du troisième défendeur, C. F. Ahrenkiel de Hambourg, jouaient un rôle important dans ses affaires. Il est vrai que la gestion quotidienne du navire était assurée par Turbata en vertu du contrat de gestion, mais le troisième défendeur souligne que les gestionnaires relevaient de l'autorité et du contrôle des administrateurs allemands de la compagnie.

Dans Palmer v. Caledonian Railway Co., [1892] 1 Q.B. 823, lord Esher a dit ceci:

J'aurais pensé, sans m'appuyer sur aucune espèce d'autorité, que le bureau principal de la compagnie doit être l'endroit où la compagnie contrôle et dirige ses affaires . . . je veux dire de façon indépendante . . .

Lord Loreburn, L.C., a adopté un raisonnement similaire dans De Beers Consolidated Mines Ltd. v. Howe, [1906] A.C. 455 lorsque, à la p. 458, il accepte le principe selon lequel, pour les fins de l'impôt sur le revenu, le domicile d'une société se trouve là où se font véritablement les affaires, et il ajoute ceci:

J'estime qu'il s'agit là de la règle à suivre, et que les affaires se font réellement là où se trouve effectivement le centre de gestion et de contrôle.

Voir également dans Daimler Co. v. Continental Tyre and Rubber Co. (Great Britain), [1916] 2 A.C. 307, où lord Atkinson, à la p. 319, indique que le critère pour déterminer la résidence est

. . . le lieu où se trouve le véritable centre des affaires à partir duquel les têtes dirigeantes de la compagnie gèrent, réglementent et contrôlent les activités importantes.

Le lord juge Leggatt poursuit en citant avec approbation le critère appliqué par le lord juge Swinfen Eady dans The Polzeath, [1916] P. 241 (C.A.), à la page 245:

[traduction] . . . dans l'examen de la question du principal établissement de la compagnie, il faut tenir compte du centre à partir duquel les instructions sont données, de celui à partir duquel le contrôle est exercé au nom de la compagnie sur le personnel et sur les activités de celle-ci, et du lieu où le contrôle est exercé, et aussi du centre à partir duquel la compagnie est gérée sans autre forme de contrôle, à l'exception du contrôle auquel sont soumis toutes les compagnies ou tous les administrateurs d'une compagnie eu égard à ceux qu'ils représentent, c'est-à-dire les actionnaires de la compagnie réunis en assemblée générale. [Non souligné dans l'original.]

Il s'agit donc d'un critère rigoureux. Il impose au défendeur l'obligation de fournir le plus de renseignements possibles, d'autant plus que ces renseignements sont totalement sous son contrôle et qu'ils ne sont généralement pas à la disposition de la demanderesse.

f) La note réservation de fret et le contrat de transport

Il est bien établi entre le transporteur et le chargeur que le connaissement, s'il ne constitue pas à proprement parler le contrat, sert à faire la preuve par excellence de son contenu. Il en est ainsi même si le chargeur n'est habituellement pas partie à l'établissement du connaissement, qu'il ne le signe pas et qu'il ne le reçoit que des mains du capitaine du navire après le chargement des marchandises (voir The Ardennes (Owner of Cargo) v. The Ardennes (Owners), [1950] 2 All E.R. 517 (K.B.D.), aux pages 519-520). Il est donc possible de présenter une preuve pour compléter, modifier ou expliquer les conditions du connaissement, par exemple une preuve relative à la conduite des parties (voir The Ardennes) et à la note réservation de fret (voir Cormorant).

Entre le transporteur et le consignataire ou l'endossataire d'un connaissement, la Loi sur les connaissements (L.R.C. (1985), ch. B-5) prévoit que le connaissement constitue le contrat et, en règle générale, aucune preuve n'est admissible pour en contredire ou en modifier les conditions (voir The Ardennes, à la page 520; Leduc v. Ward (1888), 20 Q.B.D. 475 (C.A.)). Lorsque les demandeurs sont des consignataires qui ne peuvent détenir de titre de propriété qu'à titre de cessionnaires des connaissements, et non par voie de cession d'un engagement verbal de fret, il a été statué que, pour décider de la question de savoir si les connaissements étaient des connaissements des propriétaires plutôt que des connaissements des affréteurs, une enquête sur les faits entourant la conclusion de l'engagement de fret n'est d'aucun secours à la Cour (voir The Rewia, à la page 333).

Les circonstances de l'espèce

J'aborde maintenant les circonstances de l'espèce. La déclaration traite de la perte d'une partie importante de la cargaison de bois d'œuvre transportée de Nanaimo (Colombie-Britannique) à Taiwan à bord du navire Trans Aspiration (le navire) aux termes d'un contrat de transport attesté par un connaissement délivré à Vancouver. La demanderesse (l'appelante), fournisseur et importateur de bois d'œuvre dont le principal établissement est situé à Taiwan, était la consignataire des marchandises. Selon la déclaration, la cargaison a été "transportée et manutentionnée" par trois défenderesses: le transporteur et propriétaire du navire, Great Tempo S.A. (l'intimée), les affréteurs et exploitants du navire, Sinotrans Canada Inc. (Sinotrans) et le navire.

L'intimée est décrite comme suit au paragraphe 2 de la déclaration:

[traduction] 2. La défenderesse Great Tempo S.A. est une société s'adonnant à des activités de transport de marchandises par mer. Son principal établissement est situé à c/o Wah Tung Shipping Agency Co. Ltd. . . . , Hong Kong. À toutes les époques se rapportant à la présente action, elle était le propriétaire du navire défendeur "Trans Aspiration".

La défenderesse Sinotrans est décrite au paragraphe 3 de la déclaration comme étant, pendant toute la période pertinente, "l'affréteur et l'exploitant" du navire.

Le connaissement en cause est un connaissement lignes régulières standard. Le consignataire est identifié de la manière suivante: "À l'ordre de: Taipei Business Bank" et l'adresse de signification est celle de l'appelante. Le navire désigné est le Trans Aspiration . Les ports de chargement et de déchargement sont respectivement "Nanaimo (C.-B.)" et "Taichung Port, Taiwan". Le document est signé comme suit (D.A., à la page 59):

[traduction] EN FOI DE QUOI le capitaine du navire a signé [trois] connaissements originaux . . .

[Signature]

Capitaine Kemp Wah-Foo

Sinotrans Canada Inc.

En qualité de mandataire du transporteur seulement: Trans Aspiration

Outre la clause attributive de compétence (clause 3, dont il a déjà été question au paragraphe 3), le connaissement renferme les clauses suivantes:

[traduction] 1. Définition

Pour les fins du présent connaissement, le terme "marchand" est réputé inclure le chargeur, le destinataire, le consignataire, le détenteur du connaissement et le propriétaire de la cargaison.

. . .

17. Identité du transporteur

Le contrat attesté par le présent connaissement est conclu entre le marchand et le propriétaire du navire (ou son suppléant) désigné dans le présent connaissement, et il est donc convenu que ledit propriétaire sera seul responsable du préjudice ou de la perte résultant de la violation ou de l'inexécution d'une obligation contenue dans le contrat de transport, que la violation ou l'inexécution se rapporte ou non à la navigabilité du navire. Si, en dépit de ce qui précède, il est décidé qu'une autre partie est le transporteur et/ou le dépositaire des marchandises expédiées aux termes du présent connaissement, toutes les limitations et décharges de responsabilité prévues par la loi ou par le présent connaissement profiteront à cette autre partie.

Il est également entendu et convenu que, puisque la compagnie de navigation, la société ou l'agent qui a signé le présent connaissement au nom du capitaine n'est pas un mandant dans l'opération, cette compagnie de navigation, cette société ou cet agent n'assume aucune obligation au titre du contrat de transport, que ce soit comme transporteur ou comme dépositaire des marchandises. [D.A. aux p. 35 et 36.]

Quand la déclaration lui a été signifiée, l'intimée Great Tempo S.A. a déposé une requête afin d'obtenir l'autorisation de déposer une demande de comparution conditionnelle dans le but de s'opposer à la compétence de la Cour et de demander une suspension de toutes les procédures intentées contre elle en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Plusieurs affidavits ont été déposés en preuve, dont un seul est pertinent au présent appel. Son auteur est Samson Lok (D.A., aux pages 24 à 29), sous-directeur des assurances et des réclamations de la firme Wah Tung Shipping Agency Co. Ltd., qui déclare ce qui suit:

[traduction] 2. Great Tempo, S.A. est la propriétaire immatriculée du M.V. "TRANS ASPIRATION" et Wah Tung Shipping Agency Co. Ltd. est la gestionnaire de Great Tempo S.A.

3. La totalité des activités de Great Tempo S.A. sont dirigées depuis Hong Kong, bien que Great Tempo S.A., soit immatriculée comme société panaméenne.

. . .

14. Aux termes du contrat de transport attesté par le connaissement, le transporteur est le propriétaire du navire et Hong Kong est le lieu du principal établissement du transporteur.

Une autre preuve par affidavit se rapporte à une présumée note réservation de fret à laquelle l'appelante n'était pas partie; étant donné que cet élément de preuve a été ignoré et par le protonotaire et par le juge des requêtes, et à bon droit pour les raisons qui ont déjà été exposées, il n'est pas nécessaire de le reprendre ici.

En refusant la requête de suspension, M. Hargrave [à la page 60] a relevé une ambiguïté fatale dans la clause attributive de compétence étant donné que le transporteur n'y était pas clairement désigné. À son avis, l'appelante:

. . . pourrait également conclure qu'elle devrait poursuivre: (1) Sinotrans (Canada) Ltd., qui dit être agente, mais qui ne divulgue pas son mandat et qui, d'après l'expéditeur, était le transporteur, à Vancouver, ou (2) Sinotrans (Bermuda) Ltd., aux Bermudes, ou (3) Great Tempo S.A., à son lieu de constitution, au Panama, ou (4) Great Tempo S.A., là ou siège son conseil, dans un for inconnu. En se fondant sur l'arrêt Rewia, la demanderesse pourrait conclure qu'elle ne devrait probablement pas poursuivre Great Tempo S.A. à Hong Kong pour la simple raison que Wah Tung Shipping Agency Co. Ltd., qui n'a fait surface que maintenant, est la gestionnaire de "Trans Aspiration".

Dans ses motifs, le protonotaire cite avec approbation le principe de la coentreprise énoncé par le professeur Tetley. Je note que la mention soudaine de Sinotrans (Bermuda) Ltd. dans les motifs du protonotaire résulte d'une référence qui a été faite à cette compagnie au cours de l'audience par l'avocat de l'intimée.

L'affaire a ensuite été portée en appel devant le juge Tremblay-Lamer qui a accueilli l'appel et ordonné la suspension des procédures. Elle a conclu que le protonotaire avait commis une erreur en s'appuyant sur les observations du professeur Tetley et que, à la lecture du connaissement, Sinotrans, que ce soit Sinotrans Canada Inc. ou Sinotrans (Bermuda) Ltd., ne pouvait pas être le transporteur. Elle a ensuite traité de la question du principal établissement dans les termes suivants [aux pages 173 et 174]:

La demanderesse affirme quant à elle que la défenderesse n'a produit aucune preuve se rapportant au principal établissement de Great Tempo S.A. Il n'existe aucune preuve de l'identité et de l'adresse des administrateurs et/ou des dirigeants de Great Tempo S.A. Il n'existe aucune preuve non plus de l'endroit des comptes bancaires ou des autres actifs de Great Tempo S.A.

Malgré l'argumentation très adroite de l'avocat de la demanderesse sur ce point, je suis d'avis qu'il existe des éléments de preuve qui permettent à la Cour de déterminer l'endroit du principal établissement de Great Tempo S.A. Je me réfère d'abord à l'affidavit de M. Samson Lok, où il affirme, aux paragraphes 3 et 14, que:

[traduction] 3. La totalité des activités de Great Tempo S.A. sont dirigées depuis Hong Kong, bien que Great Tempo S.A. soit immatriculée comme société panaméenne.

14. Aux termes du contrat de transport attesté par le connaissement, le transporteur est le propriétaire du navire et Hong Kong est le lieu du principal établissement du transporteur.

Ai-je besoin d'ajouter que cela n'a nullement étonné la demanderesse? En effet, au deuxième paragraphe de sa déclaration, la demanderesse reconnaissait expressément que Great Tempo S.A. avait son principal établissement à Hong Kong. Le paragraphe pertinent est rédigé ainsi:

[traduction] 2. La défenderesse Great Tempo S.A. est une société s'adonnant à des activités de transport de marchandises par mer. Son principal établissement est situé à c/o Wah Tung Shipping Agency Co. Ltd., Rooms 2101-2105, 21st Floor, China Resources Building, 26 Harbour Road, Wan Chai, Hong Kong. À toutes les époques se rapportant à la présente action, elle était le propriétaire du navire défendeur "Trans Aspiration".

Une conclusion opposée reviendrait à permettre à la demanderesse de contester le fond des allégations contenues dans sa déclaration, ce que je ne suis pas disposée à faire. Je suis d'ailleurs confortée dans ma conclusion par le fait que la preuve produite par M. Samson Lok sur cette question demeure non contredite.

a)  L'identité du transporteur

Je suis d'accord avec le juge des requêtes qui affirme que le protonotaire a commis une erreur en s'appuyant sur le principe de la coentreprise énoncé par le professeur Tetley: les motifs du juge Nadon dans Union Carbide, que j'ai examinés plus tôt et que le protonotaire n'a pas eu le privilège de consulter étant donné qu'ils ont été rédigés après sa décision, fournissent une explication convaincante de la raison pour laquelle ce principe ne s'applique pas dans notre droit.

Bien que je sois conscient des préoccupations du protonotaire pour ce qui a trait à l'identité du transporteur et qu'il eût été préférable que l'intimée prenne les devants en déclarant à tout le moins qu'elle est en fait le transporteur, je n'aurais pas été disposé à refuser la requête pour le seul motif qu'il n'y avait pas de preuve concernant l'identité du transporteur. À mon avis, les conditions du connaissement ne peuvent mener à la conclusion que Sinotrans Canada Inc. a assumé à titre de mandant le rôle de transporteur, et la possibilité que Sinotrans (Bermuda) Ltd. pourrait être un affréteur à coque nue est, au mieux, une pure spéculation à cette étape. Il est vrai qu'en signant comme "mandataire seulement du transporteur: Trans Aspiration", Sinotrans Canada Inc. a laissé la porte ouverte à la possibilité qu'elle n'agissait pas comme mandataire du propriétaire, mais plutôt comme mandataire d'un affréteur à coque nue dont l'identité n'est pas révélée. Mais compte tenu de la clause concernant l'identité du transporteur (également appelée clause de dévolution) dans le connaissement, on aurait peine à conclure que, pour ce qui a trait à l'appelante consignataire, le connaissement puisse être autre chose qu'un connaissement des propriétaires. Cette clause indique en termes non équivoques que le connaissement est établi comme un connaissement du propriétaire et que le contrat attesté par le connaissement a été conclu entre le propriétaire de la cargaison et le propriétaire du navire (voir The Berkshire , [1974] 1 Lloyd's Rep. 185 (Q.B. (Adm. Ct.), à la page 188, le juge Brandon et Union Carbide, à la page 261, le juge Nadon). En fait, cette clause établit une présomption réfutable selon laquelle le propriétaire du navire est le transporteur (voir P. Todd, Modern Bills of Lading, 2e éd. (Oxford: Blackwell Law, 1990), à la page 96 et suiv.), et je ne suis pas convaincu que, pour un consignataire, le fait d'utiliser les mots "mandataires du navire" plutôt que les mots "mandataires du propriétaire" suffise à réfuter la présomption.

Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive au sujet du principal établissement, toutefois, il n'est pas nécessaire d'en venir à une conclusion précise quant à l'identité du transporteur dans les circonstances de l'espèce.

b)  Le lieu du principal établissement

Pour ce qui a trait à la question du principal établissement de l'intimée, j'en viens à la conclusion que le juge des requêtes a mal interprété le critère énoncé dans The Rewia et qu'elle n'a pas compris toute la rigueur de ce critère.

La seule preuve dont est saisie la Cour est la suivante: "La totalité des activités de la Great Tempo S.A. sont dirigées depuis Hong Kong". Le juge des requêtes a également examiné, dans le cadre de la preuve, le paragraphe 14 de l'affidavit de M. Lok, qui indiquait que [traduction ] "aux termes du contrat de transport attesté par le connaissement . . . , Hong Kong est le lieu du principal établissement du transporteur", mais ce paragraphe n'est rien de plus qu'une interprétation personnelle"et contestable"des conditions du connaissement qui, bien entendu, ne lie aucunement la Cour.

L'intimée n'a pas déposé d'affidavit portant la signature de ses dirigeants, ni même de ses employés. Elle n'a pas dit personnellement à la Cour que son exploitant était Wah Tung Shipping Agency Ltd.; c'est plutôt un employé de cet exploitant présumé qui a témoigné à cet effet. Elle n'a pas déclaré elle-même où était situé son principal établissement; c'est encore une fois le même employé de l'exploitant présumé qui a déclaré dans son témoignage que [traduction] "la totalité des activités de Great Tempo S.A. sont dirigées depuis Hong Kong". Aucune observation n'a été faite sur de nombreux éléments, par exemple le lieu du principal établissement, le nom des dirigeants et le lieu où s'exerçait le contrôle sur les employés et les activités. Pourtant, il s'agit là de renseignements essentiels que l'intimée connaissait et qu'elle aurait dû fournir à la Cour. Il existe un principe bien établi selon lequel les tribunaux peuvent tirer des inférences négatives lorsqu'une partie omet de fournir des éléments de preuve qu'elle connaît et qui sont nécessaires au règlement d'un litige (voir Fiducie Prêt c. Société canadienne d'hypothèques et de logement (1991), 136 N.R. 129 (C.A.F.), à la page 142 et note en bas de page 23).

En l'espèce, la Cour ne dispose tout simplement d'aucun renseignement au sujet du [traduction] "centre à partir duquel les instructions sont données, et de celui à partir duquel le contrôle est exercé au nom de la compagnie sur le personnel et sur les activités de celle-ci, et du lieu où le contrôle est exercé, et aussi du centre à partir duquel la compagnie est gérée sans autre forme de contrôle", pour reprendre les mots du lord juge Swinfen Eady dans The Polzeath cité par le lord juge Leggatt dans The Rewia, à la page 334. Permettre à un transporteur de s'en tirer avec une preuve aussi mince, qui n'est même pas la sienne, serait bafouer la clause attributive de compétence.

La juge des requêtes s'est appuyée sur certaines des allégations de l'appelante dans la déclaration. Je ne suis pas d'accord avec elle. Tout d'abord, l'appelante n'a pas allégué que "le principal établissement" de l'intimée se trouvait à Hong Kong. Elle a plutôt déclaré que "le bureau principal" était situé à l'adresse "c/o Wah Tung Shipping Agency, . . . Hong Kong" (non souligné dans l'original). Deuxièmement, et ce qui est plus important, le lieu du principal établissement d'un défendeur est une question mixte de fait et de droit qui doit être tranchée par les tribunaux d'après l'ensemble de la preuve. Une erreur honnête causée par les représentations de la défenderesse ne peut très certainement pas être invoquée pour empêcher un demandeur de contester une requête en suspension d'instance ni pour donner gain de cause à un défendeur sans qu'il fournisse lui-même des éléments de preuve convaincants. En outre, il est clair que, dans la déclaration, l'appelante faisait référence à l'adresse officielle de l'intimée pour les fins de la signification et que cette adresse n'était pas nécessairement celle du principal établissement de l'intimée.

Comme l'intimée Great Tempo S.A. n'a pas réussi à établir que son principal établissement se trouvait à Hong Kong, on ne pouvait tout simplement pas conclure que la clause attributive de compétence était applicable.

Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision du juge des requêtes, de rétablir l'ordonnance du protonotaire et de refuser la demande présentée par Great Tempo S.A. pour obtenir une suspension des procédures; les dépens suivront l'issue de la cause.

Le juge Pratte, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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