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A-1029-96

La Municipalité de la Communauté urbaine de Toronto (appelante)

c.

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (intimée)

et

Canadien Pacifique Limitée et St. Lawrence & Hudson Railway Company Limited (intervenantes)

Répertorié: Communauté urbaine de Toronto (Municipalité)c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 4 juin; Ottawa, 14 août 1998.

Chemins de fer Appel d'une décision par laquelle l'Office des transports du Canada a réparti les frais d'installation et d'entretien d'une clôture longeant l'emprise de la voie ferrée à parts égales entre le CN et le grand TorontoDepuis l'aménagement d'un sentier asphalté par le grand Toronto, les marcheurs et les cyclistes empiètent sur la propriété du CNDes mesures prises en vue de dissuader les intrus se sont révélées infructueuses, donnant lieu à des plaintes des résidents (notamment au sujet du sifflet des locomotives)L'art. 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire permet la saisine de l'Office lorsque le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires une fois terminées ne peuvent s'entendre sur leurs obligationsL'OTC a conclu que la clôture était uneinstallation ferroviaire, et que le grand Toronto en étaitbénéficiaire— — i) Il était raisonnable de conclure que la clôture était uneinstallation ferroviaire— — L'OTC a estimé qu'étant donné que la clôture visait à empêcher les intrusions, elle protégeait ainsi la ligne et en facilitait l'exploitation, et correspondait donc à la définition deligne de chemin de fer— — La définition d'installation ferroviaireinclut laligne de chemin de fer— — ii) L'Office a conclu que le grand Toronto étaitbénéficiairede la clôture parce qu'elle permettrait d'assurer la protection des usagers de ses parcs contre les dangers inhérents à la présence du chemin de fer, de régler les plaintes des résidants, de dissuader les intrus et donc de créer un milieu plus sécuritaireL'interprétation ne limitant pas le motbénéficiaireà l'octroi de droits additionnels est exacte compte tenu de l'art. 4(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire qui indique clairement que l'Office doit se préoccuper de la sécurité de personnes autres que les passagers ou les employés des chemins de fer, notamment des personnes qui utilisent une propriété contiguë aux voies ferrées et pour lesquelles la présence du chemin de fer peut constituer un dangeriii) Il était raisonnable de conclure que le grand Toronto avait un intérêt suffisant à empêcher les utilisateurs de ces parcs de passer sur l'emprise, et, ce faisant, à éviter de causer des inconvénients aux résidents du secteur.

Droit administratif Appels prévus par la loi Norme de contrôleAppel, en vertu de l'art. 41(1) de la Loi sur les transports au Canada, de la décision de l'Office des transports du Canada de répartir également entre l'appelante et l'intimée le coût en capital et les frais d'entretien d'une clôture longeant une emprise ferroviaireL'art. 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire permet la saisine de l'Office lorsque le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires une fois terminées ne peuvent s'entendre sur la réparation des coûtsSur des questions de droit ou de compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, assortie d'une certaine retenue à l'endroit du tribunal spécialisé en ce qui concerne les questions de droit autres que celles liées à sa compétenceSur des questions de droit et de fait, le critère à appliquer est celui du caractère raisonnableMais les décisions qui sont susceptibles de s'appliquer à un grand nombre de cas seront vraisemblablement considérées comme se rapportant à des questions de droit, par opposition à celles portant sur un ensemble particulier de circonstances, qu'on considérera à bon droit comme se rapportant à des questions de droit et de faiti) La question de savoir si la clôture est uneinstallation ferroviaireconstitue une question mixte de droit et de fait, assujettie à la norme du caractère raisonnable, savoir si les faits satisfont à des critères juridiquesIl s'agit d'une décision fondée sur un ensemble particulier de circonstances qui n'aura probablement pas beaucoup d'intérêt dans l'avenirMême s'il s'agissait d'une décision se rapportant à la compétence, il était difficile d'appliquer le critère de la retenue minimum (décision correcte) parce qu'elle relevait de l'expertise de l'OTCii) L'interprétation du motbénéficiaireest une question juridictionnelle assujettie à la norme de la décision correcte, en ce qu'elle porte sur une question de droit susceptible d'avoir des conséquences importantesiii) L'application de la notion debénéficiaireaux faits met en cause une question de droit et de faitCette conclusion n'avait qu'une importance restreinte en tant que précédentLa norme de contrôle était celle du caractère raisonnable.

Il s'agissait de l'appel d'une décision par laquelle l'Office des transports du Canada (OTC) a décidé que l'appelante et l'intimée devaient supporter, à parts égales, le coût en capital et les frais d'entretien d'une clôture longeant l'emprise de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), dans la vallée inférieure de la rivière Don, dans ce qui était alors la Municipalité de la Communauté urbaine de Toronto (le grand Toronto) et qui est maintenant la Ville de Toronto. Le CN exploite une ligne de chemin de fer le long de la vallée de la rivière Don. Le grand Toronto exploitait un système de parcs régionaux, notamment dans la vallée de la rivière. Depuis 1991, date à laquelle le grand Toronto a aménagé un sentier asphalté dans la vallée inférieure, les marcheurs et les cyclistes empiètent sur la propriété du CN, en passant sur la voie ferrée. Le CN a pris certaines mesures en vue de dissuader les intrusions, notamment la pose de panneaux, des campagnes d'information du public, la poursuite en justice des intrus et le sifflet des locomotives dans toutes les courbes sur une distance d'environ trois milles, là où l'on avait constaté l'existence d'un problème. Le sifflet a donné lieu à de nombreuses plaintes des résidents locaux. En 1995, le CN a proposé de payer les frais initiaux d'installation d'une clôture à mailles losangées d'une longueur de vingt mille pieds, à condition que le grand Toronto se charge des gros travaux d'entretien. Le grand Toronto ayant rejeté cette proposition, le CN a saisi de l'affaire l'Office national des transports (le prédécesseur de l'OTC), pour qu'il répartisse le coût en capital et les frais d'entretien de la clôture entre lui et le grand Toronto, conformément à l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire. L'article 16 permet la saisine de l'Office lorsque le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires une fois terminées ne peuvent s'entendre sur leurs obligations. L'OTC a conclu que la clôture était une "installation ferroviaire" au sens de l'article 4 de la Loi, et que le grand Toronto était "bénéficiaire" de l'installation de la clôture. Le paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada permet d'en appeler avec autorisation "sur une question de droit ou de compétence".

Les questions étaient de savoir: 1) quelle était la norme de contrôle applicable; 2) si l'OTC a commis une erreur en concluant que la clôture était une "installation ferroviaire" et 3) si l'OTC a commis une erreur en concluant que le grand Toronto était "bénéficiaire" de l'installation de la clôture.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

1) Si, en rendant la décision dont appel, l'Office a appliqué de véritables critères juridiques à des questions de droit ou de compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, assortie d'une certaine retenue à l'endroit du tribunal spécialisé en ce qui concerne les questions de droit autres que celles liées à sa compétence. Si le tribunal s'est prononcé sur des questions de droit et de fait, y compris sur l'exercice de la compétence, le critère à appliquer est celui du caractère raisonnable. Mais ces deux genres de décisions se situent le long d'un spectre. Les décisions qui sont susceptibles de s'appliquer à un grand nombre de cas seront vraisemblablement considérées comme se rapportant à des questions de droit, par opposition à celles portant sur un ensemble particulier de circonstances qui n'est pas susceptible de présenter beaucoup d'intérêt pour les juges et les avocats dans l'avenir, qu'on considérera à bon droit comme se rapportant à des questions de droit et de fait.

2) L'OTC a estimé qu'étant donné que la clôture visait à empêcher les intrusions, elle pouvait être considérée comme une "structure qui protège cette ligne de chemin de fer et en facilite l'exploitation", statuant ainsi que la clôture correspondait à la définition de "ligne de chemin de fer" énoncée aux alinéas a ) et c) de l'article 4. Il s'agit d'une décision fondée sur un ensemble particulier de circonstances qui n'aura probablement pas beaucoup d'intérêt dans l'avenir. Même s'il s'agissait d'une décision comme se rapportant à la compétence, il était difficile d'appliquer le critère de la retenue minimum, à savoir celui de la "décision correcte", parce que l'OTC est un tribunal spécialisé qui cumule une centaine d'années d'expérience et qui, doté d'un personnel spécialisé, s'occupe régulièrement de problèmes de sécurité ferroviaire touchant tant les employés des compagnies de chemin de fer que les passagers ou les personnes pour lesquelles la proximité d'un chemin de fer peut présenter un danger. La conclusion qu'en empêchant les intrusions sur l'emprise et sur les voies ferrées, on protège le chemin de fer et on en facilite l'exploitation paraît relever fondamentalement du domaine de compétence de l'Office. À partir des préoccupations exprimées, on supposait implicitement, avec raison semble-t-il, que les intrusions pouvaient compromettre l'exploitation du chemin de fer. Il était raisonnable pour l'Office de conclure que la clôture "faciliterait" l'exploitation du chemin de fer au sens de l'alinéa c ) de la définition de l'expression "ligne de chemin de fer" et que, dans la mesure où elle empêcherait les intrusions, elle "protégerait" cette ligne au sens de l'alinéa a ) de cette définition. Ces décisions répondent à la question de savoir si "les faits satisfont au critère juridique" et sont, partant, des décisions de droit et de fait assujetties à la norme du caractère raisonnable. La décision de qualifier la clôture d'"installation ferroviaire" était raisonnable et il n'y a pas lieu de l'infirmer.

3) L'OTC a conclu que le grand Toronto était "bénéficiaire" de l'installation de la clôture parce que celle-ci permettrait d'assurer la protection des usagers de ses parcs contre les dangers inhérents à la présence du chemin de fer, de régler les plaintes provenant des résidants du secteur, de dissuader d'éventuels intrus et de créer un milieu plus sécuritaire dans les parcs de la Don Valley. Cette conclusion a permis d'inférer que l'OTC a interprété d'une façon libérale et fonctionnelle cette expression comme ne se limitant pas à l'octroi de droits additionnels aux personnes visées par un arrêté ou à l'exonération de la responsabilité légale y afférente. Cela supposait l'interprétation d'une disposition dont la portée était contestable, cette interprétation se rapportant à la compétence de l'OTC à l'égard des personnes susceptibles d'être assujetties à ses arrêtés. C'est le type de décision juridictionnelle visée par la norme de la décision correcte, en ce qu'elle porte sur une question de droit susceptible d'avoir des conséquences importantes. L'interprétation que l'Office a donnée de l'expression "bénéficiaire" était exacte. Le paragraphe 4(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire montre clairement que l'Office doit se préoccuper de la sécurité de personnes autres que les passagers ou les employés des chemins de fer, notamment des personnes qui utilisent une propriété contiguë à l'emprise et pour lesquelles la présence du chemin de fer peut constituer un danger. L'Office peut à juste titre considérer que les propriétaires adjacents bénéficient de mesures visant à atténuer le danger que comporte la ligne de chemin de fer pour les personnes qui utilisent cette propriété. Aucune erreur de droit se rapportant à la compétence et susceptible de révision n'a donc été commise.

L'application de cette notion large de "bénéficiaire" aux faits de l'espèce, en tant que fondement juridictionnel de l'arrêté pris en l'occurrence contre le grand Toronto, met en cause une question de droit et de fait. Cette conclusion découlait des circonstances propres à l'affaire et n'avait qu'une importance restreinte en tant que précédent. La norme de contrôle était donc celle du caractère raisonnable. Il était raisonnable pour l'OTC de conclure que le grand Toronto, en tant qu'entité politique et que propriétaire des parcs, avait un intérêt suffisant à empêcher les utilisateurs de ces parcs de passer par hasard sur l'emprise, et, ce faisant, à éviter accessoirement de causer à d'autres résidents les inconvénients liés aux coups de sifflet. Comme il n'y avait pas eu de problème sérieux d'intrusion dans ce secteur avant l'aménagement du sentier cycliste et pédestre ou dans d'autres parties de la vallée de la rivière Don où il n'y a pas de sentier de ce genre, il était loisible à l'Office de conclure que le grand Toronto, ayant facilité l'accès au secteur, avait du moins intérêt d'une façon générale, en tant qu'administration gouvernementale, à minimiser le danger en résultant, même s'il n'avait peut-être pas, à titre d'occupant, de responsabilité légale envers les utilisateurs de ses parcs qui, les quittant, empiétaient sur la propriété voisine.

lois et règlements

Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32., art. 4 "installations ferroviaires", "ligne de chemin de fer", "ouvrage de franchissement", 16.

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 31, 41(1),(2),(3).

jurisprudence

décisions appliquées:

Upper Lakes Group Inc. c. Canada (Office national des transports), [1995] 3 C.F. 395; (1995), 125 D.L.R. (4th) 204; 62 C.P.R. (3d) 167; 181 N.R. 103 (C.A.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 748.

décision examinée:

Toronto (City) v. Toronto (Metropolitan) (1992), 97 D.L.R. (4th) 140; 13 M.P.L.R. (2d) 148; 60 O.A.C. 247 (C. div. Ont.).

décisions mentionnées:

Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322; (1998), 156 D.L.R. (4th) 456; Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; (1994), 112 D.L.R. (4th) 129; 20 Admin. L.R. (2d) 79; 14 C.E.L.R. (N.S.) 1; 3 C.N.L.R. 49; 163 N.R. 241.

doctrine

Evans, John M. et al. Administrative Law: Cases, Text and Materials, 4th ed. Toronto: Emond Montgomery Publications, 1995.

APPEL de la décision de l'Office des transports du Canada de répartir également entre le CN et le grand Toronto les frais d'installation et d'entretien d'une clôture longeant l'emprise du CN, dans la vallée inférieure de la rivière Don. Appel rejeté.

ont comparu:

George Monteith pour l'appelante.

L. Michel Huart et William McMurray pour l'intimée.

Maureen Helt pour les intervenantes.

Elizabeth C. Barker pour l'Office des transports du Canada.

avocats inscrits au dossier:

George Monteith, conseiller juridique, Municipalité de la communauté urbaine de Toronto, Toronto, pour l'appelante.

L. Michel Huart et William McMurray, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Montréal, pour l'intimée.

Fasken Campbell Godfrey, Toronto, pour les intervenantes.

Ian S. Mackay, Direction des services juridiques, Office des transports du Canada, Ottawa, pour l'Office des transports du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A.:

Introduction

Il s'agit de l'appel d'une décision en date du 29 août 1996 par laquelle l'Office des transports du Canada (OTC) a réparti également entre l'appelante et l'intimée les frais d'installation et d'entretien d'une clôture longeant l'emprise de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), dans la vallée inférieure de la rivière Don, dans ce qui était alors la municipalité de la communauté urbaine de Toronto (le grand Toronto) et qui est maintenant la ville de Toronto.

Même s'il n'était pas désigné comme intervenant, l'OTC a plaidé dans le présent appel comme le permet le paragraphe 41(2) de la Loi sur les transports au Canada1.

Les faits

Il importe au départ de noter que l'arrêté de l'OTC faisait suite à la saisine de l'Office en vertu de l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire2, qui prévoit notamment ceci:

16. (1) Faute de recours prévu sous le régime de la Loi sur les chemins de fer ou la Loi sur le déplacement des lignes de chemin de fer et les croisements de chemin de fer, le promoteur et tout bénéficiaire des installations ferroviaires une fois terminées peuvent saisir l'Office de leur désaccord sur leurs obligations en ce qui concerne le coût de réalisation des travaux et les frais d'exploitation et d'entretien des installations réalisées.

. . .

(4) L'Office détermine la quote-part de chacun à l'égard des frais de réalisation, d'exploitation et d'entretien en tenant compte . . . des avantages respectifs que retirerait des installations la personne qui l'a saisi ou qui aurait pu le faire, et de tout point qu'il juge utile. Les obligations à l'égard de ces frais sont réparties conformément à la décision de l'Office.

L'OTC n'a pas tenu d'audience après que le CN l'eut saisi de l'affaire, mais le grand Toronto et le CN ont échangé de nombreuses observations écrites, et l'équité de cette procédure n'est pas contestée. Il importe de noter que les conclusions de l'OTC ne sont pas fondées sur des témoignages présentés sous serment. Toutefois, il ne semble pas y avoir de divergences importantes au sujet des faits, si ce n'est quant à leur interprétation et aux conséquences juridiques qui en découlent.

Pendant plus d'un siècle, le CN ou ses prédécesseurs ont exploité cette ligne de chemin de fer, située du côté ouest de la vallée de la rivière Don. La voie ferrée suit d'une façon générale les méandres de la rivière, à certains endroits de très près et à d'autres à une certaine distance. Le grand Toronto exploitait un système de parcs régionaux notamment dans la vallée de la rivière sur des terres situées à l'est et à l'ouest du corridor ferroviaire du CN. Vers 1991, le grand Toronto a aménagé un sentier pédestre et cyclable asphalté dans la vallée inférieure, du côté est de la rivière, c'est-à-dire du côté opposé à celui où passe la ligne du CN. Toutefois, à un endroit, le sentier donne accès à un pont permettant de franchir la rivière et d'entrer dans un autre parc appartenant au grand Toronto, contigu à l'emprise du CN. Cela peut amener les gens à utiliser un pont ferroviaire pour franchir la rivière. De plus, des "sentiers non officiels" ont été créés par les visiteurs à travers les parcs du grand Toronto et ces sentiers permettent aux cyclistes et aux marcheurs d'empiéter sur la propriété du CN, en passant sur la voie ferrée.

En juin 1994, Transports Canada a fait part au CN de ses craintes au sujet des dangers que pouvaient présenter ces "sentiers non officiels", et des discussions s'en sont suivies entre le CN et le grand Toronto. Le CN a pris certaines mesures en vue de dissuader les gens d'empiéter sur sa propriété, notamment la pose de panneaux, des campagnes d'information du public, la poursuite en justice des intrus et en particulier le sifflet des locomotives dans toutes les courbes sur une distance d'environ trois milles, là où l'on avait constaté l'existence d'un problème, ce qui a donné lieu à de nombreuses plaintes des résidents locaux en 1994 et 1995. Une étude a été effectuée par un expert-conseil et une réunion a eu lieu le 30 août 1995, en présence de représentants du CN, du grand Toronto, de Transports Canada et d'autres organismes concernés. Pour régler le problème, le CN a proposé d'installer une clôture à mailles losangées d'une longueur d'environ vingt mille pieds aux points stratégiques pour empêcher les gens d'empiéter sur sa propriété. Le CN a proposé de payer les frais initiaux d'installation à condition que le grand Toronto se charge des gros travaux d'entretien. Le grand Toronto a rejeté cette proposition. Aussi, le 25 octobre 1995, le CN a-t-il saisi de l'affaire l'Office national des transports (le prédécesseur de l'OTC), pour qu'il répartisse le coût en capital et les frais d'entretien de la clôture entre lui et le grand Toronto, conformément à l'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire . Des observations ont ensuite été échangées, comme nous l'avons dit précédemment. Le 29 août 1996, l'OTC a conclu que la clôture était une "installation ferroviaire" au sens du paragraphe 16(1) et que le grand Toronto était "bénéficiaire" de l'installation de la clôture au sens de cette disposition. L'OTC a donc réparti les frais en vertu du paragraphe 16(4), ordonnant au CN et au grand Toronto de supporter, à parts égales, le coût en capital et les frais d'entretien de la clôture.

Le grand Toronto interjette appel de cette décision en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada3, qui permet d'en appeler avec autorisation devant la présente Cour "sur une question de droit ou de compétence". Les motifs d'appel sont que l'OTC a commis une erreur de droit ou de compétence lorsqu'il a conclu que la clôture projetée était une "installation ferroviaire" et que le grand Toronto en était "bénéficiaire".

Les points litigieux

Trois questions doivent être examinées:

(1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

(2) L'OTC a-t-il commis une erreur susceptible de révision en concluant que la clôture était une "installation ferroviaire"?

(3) L'OTC a-t-il commis une erreur susceptible de révision en concluant que le grand Toronto était "bénéficiaire" de l'installation de la clôture?

Analyse

(1)  La norme de contrôle

J'examinerai cette question d'une façon plus précise en traitant des questions 2 et 3 ci-dessous.

Il faut au départ examiner les dispositions de la Loi sur les transports au Canada4, qui régissent la question du contrôle des décisions de l'OTC.

31. La décision de l'Office sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive.

. . .

41. (1) Tout acte"décision, arrêté, règle ou règlement"de l'Office est susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l'autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l'acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l'Office et audition de ceux d'entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

. . .

(3) L'appel est mené aussi rapidement que possible; la cour peut l'entendre en faisant toutes inférences non incompatibles avec les faits formellement établis par l'Office et nécessaires pour décider de la question de droit ou de compétence, selon le cas.

Ces dispositions sont à peu près identiques à celles qui régissaient le prédécesseur de l'OTC, l'Office national des transports. Dans l'arrêt Upper Lakes Group Inc. c. Canada (Office national des transports)5, les juges majoritaires d'une formation de la présente Cour ont énoncé comme suit la norme de contrôle qui s'appliquait au prédécesseur de l'OTC:

Puisque nous avons affaire à un tribunal hautement spécialisé dont les décisions, définitives lorsqu'elles portent sur des questions de fait, ne sont susceptibles d'être portées en appel que lorsqu'elles traitent de questions de droit ou de compétence, je conclus que la norme applicable est celle de la décision correcte atténuée par la retenue qu'il convient d'exercer à l'égard de l'expérience et du champ d'expertise d'un tribunal administratif supérieur dans l'interprétation et l'application d'une disposition de sa loi habilitante ne portant pas sur l'exercice de sa compétence.

Je reconnais qu'en ce qui concerne de pures questions de droit ou de compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, comme l'établit l'arrêt Upper Lakes. Je présume toutefois que dans cette affaire, où il n'y avait pas lieu de faire preuve de retenue envers l'organisme, la "compétence" s'entendait des questions de droit liées à la compétence. Or dans l'exercice de sa compétence, le tribunal administratif peut être amené à tirer des conclusions de fait quant à la question de savoir si la loi lui confère une compétence à l'égard de l'affaire ou des personnes en cause, cette dernière question d'interprétation de la loi étant une question de droit. Comme le juge Iacobucci l'a dit dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.6 :

En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique.

Aux termes de l'article 31, il n'existe aucun droit d'appel des décisions de l'OTC à l'égard de pures questions de fait, même si, selon le paragraphe 41(3) de la Loi sur les transports au Canada:

41. . . .

(3) . . . la cour peut l'entendre en faisant toutes inférences non incompatibles avec les faits formellement établis par l'Office et nécessaires pour décider de la question de droit ou de compétence, selon le cas. [Je souligne.]

Je présume donc que dans le cadre d'un appel sur une question de compétence, la présente Cour peut avoir à examiner des questions de droit et de fait.

Si je ne m'abuse, l'arrêt Upper Lakes, à la lumière de la décision subséquente de la Cour suprême dans l'affaire Southam7, établit que si, en rendant la décision dont appel, l'organisme a appliqué de véritables critères juridiques à des questions de droit ou de compétence, la norme de contrôle est celle de la décision correcte, assortie d'une certaine retenue à l'endroit du tribunal spécialisé en ce qui concerne les questions de droit autres que celles liées à sa compétence. Si le tribunal s'est prononcé sur des questions de droit et de fait, le critère à appliquer est celui du caractère raisonnable, ce qui pourrait viser les décisions relatives à l'exercice de la compétence8. Je ne vois pas trop pourquoi on ne devrait pas faire preuve de retenue à l'égard d'une conclusion de fait que le tribunal devait tirer pour établir sa compétence conformément à sa loi habilitante. S'agissant de l'établissant d'un fait, la notion de "décision correcte" s'avère en effet plutôt illusoire. Les tribunaux peuvent, selon la place qu'ils occupent dans la hiérarchie, dire avec certitude quel est le droit "correct" parce qu'il le devient du simple fait qu'ils le disent. Cependant, même le plus haut tribunal ne peut dire avec certitude que ses conclusions de fait correspondent à ce qui s'est réellement passé. Le critère du caractère raisonnable, même quant à une conclusion se rapportant à un fait attributif de compétence, devrait permettre un contrôle judiciaire adéquat, propre à éviter que l'exercice de la compétence ne soit fondé sur des décisions arbitraires9 .

Dans l'arrêt Upper Lakes10, la présente Cour a qualifié le prédécesseur de l'OTC de "tribunal hautement spécialisé"; et il n'est pas sérieusement contesté que l'OTC a des connaissances et une expérience spéciales, notamment en matière de sécurité ferroviaire sur une ligne de chemin de fer ou aux environs de pareille ligne. Dans l'arrêt Southam11 , la Cour suprême n'était pas saisie d'une question de compétence, mais elle a statué qu'en ce qui concerne les questions de droit et de fait en cause, la norme de contrôle d'un tribunal spécialisé comme le Tribunal de la concurrence est celle du caractère raisonnable. Le juge Iacobucci a établi une distinction entre les questions de droit et les questions de droit et de fait, et a reconnu que ces deux genres de décisions se situent le long d'un spectre. Les décisions qui sont "susceptibles de s'appliquer à un grand nombre de cas" seront vraisemblablement considérées comme se rapportant à des questions de droit, par opposition à celles portant sur "un ensemble très particulier de circonstances qui n'est pas susceptible de présenter beaucoup d'intérêt pour les juges et les avocats dans l'avenir", qu'on considérera à bon droit comme se rapportant à des questions de droit et de fait12 . Pour des raisons qui deviendront évidentes plus loin, je crois que les questions de compétence en l'espèce appartiennent à la dernière catégorie et que l'OTC est un tribunal spécialisé dont les décisions sur ce point devraient être assujetties à la norme du caractère raisonnable.

(2)  La clôture est-elle une "installation ferroviaire"?

L'article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, précité, permet la répartition des frais uniquement en ce qui concerne une "installation ferroviaire", expression définie comme suit à l'article 4 de la Loi:

4. (1) . . .

"installations ferroviaires" Lignes de chemin de fer et ouvrages de franchissement"ensemble ou séparément"ou partie de ceux-ci.

Cette disposition définit également comme suit les expressions "ligne de chemin de fer" et "ouvrage de franchissement" figurant dans la définition de l'expression "installation ferroviaire":

4. (1) . . .

"ligne de chemin de fer" Sont compris dans une ligne de chemin de fer, à l'exclusion toutefois des ouvrages de franchissement, la signalisation, le système d'aiguillage et les dispositifs, ainsi que les ouvrages situés aux abords de la ligne, qui en facilitent l'exploitation, notamment pour le drainage.

. . .

"ouvrage de franchissement" Franchissement routier ou par desserte.

L'OTC a conclu que la clôture en question était une "ligne de chemin de fer":

. . . parce qu'elle empêche l'intrusion, elle peut être considérée comme une structure qui protège cette ligne de chemin de fer et en facilite l'exploitation13.

Il me semble que la conclusion que la clôture est visée par la définition de "ligne de chemin de fer" ne comporte aucune erreur susceptible de révision.

Dans la mesure où une pure question de droit se pose, elle concerne, comme le juge Iacobucci l'a dit dans l'arrêt Southam, la "détermination du critère juridique applicable"14 à la définition de "ligne de chemin de fer" en tant qu'"ouvrages situés aux abords de la ligne, qui en facilitent l'exploitation". L'OTC n'a pas donné de définition abstraite de ces termes, mais je ne puis voir aucune erreur dans le sens implicite qu'il leur a attribué, lequel doit être inféré du résultat obtenu. Par conséquent, même si le critère applicable aux pures questions de droit est celui de la décision correcte, rien ne permet d'infirmer la décision de l'OTC. J'ajouterais que, même si l'appelante a cité d'autres dispositions de la partie III de la Loi ("Activités autres que ferroviaires pouvant compromettre la sécurité ferroviaire") où figure spécifiquement le mot "clôtures", je ne puis conclure que l'OTC a commis une erreur en estimant qu'une clôture comme celle en cause en l'espèce est une "installation ferroviaire" eu égard aux circonstances particulières de l'affaire. En matière d'interprétation des lois, il convient certes de tenir compte de l'ensemble de la Loi, mais je ne vois pas pourquoi les clôtures, bien qu'elles soient mentionnées ailleurs dans la Loi à certaines fins particulières définies, ne pourraient pas aussi constituer une "installation ferroviaire" pour l'application de l'article 16.

La conclusion tirée par l'OTC se rapporte essentiellement à une question de droit et de fait, laquelle est susceptible d'appel en tant que question liée à la "compétence". En pareil cas, elle devrait être assujettie à la simple norme du caractère raisonnable telle que la Cour suprême l'a appliquée dans l'arrêt Southam à une question de fait et de droit, à savoir "si les faits satisfont au critère juridique"15. L'OTC a brièvement examiné la question en disant, rappelons-le, qu'étant donné que la clôture visait à empêcher les intrusions, elle pouvait être considérée comme un "ouvrage qui facilite l'exploitation de la ligne", statuant ainsi que la clôture correspondait à la définition de "ligne de chemin de fer". Il s'agit d'une décision fondée sur un "ensemble particulier de circonstances" qui n'aura probablement pas beaucoup d'intérêt dans l'avenir. Même s'il est possible de considérer cette décision comme se rapportant à la compétence, il m'est difficile d'appliquer le critère de la retenue minimum, à savoir celui de la "décision correcte". En l'espèce, nous sommes en présence d'un tribunal spécialisé qui, avec ses prédécesseurs, cumule une centaine d'années d'expérience et qui, doté d'un personnel spécialisé, s'occupe régulièrement de problèmes de sécurité ferroviaire touchant tant les employés des compagnies de chemin de fer que les passagers ou les personnes pour lesquelles la proximité d'un chemin de fer peut présenter un danger. Si l'OTC conclut, comme il l'a de toute évidence fait, qu'en empêchant les intrusions sur l'emprise et sur les voies ferrées, on protège le chemin de fer et on en facilite l'exploitation, il est difficile de voir en quoi cela ne relève pas fondamentalement de son domaine de compétence. L'OTC disposait de renseignements montrant que Transports Canada avait exprimé certaines préoccupations, que le CN partageait, au sujet des intrusions. On supposait ainsi implicitement, avec raison semble-t-il, que pareilles intrusions pouvaient compromettre l'exploitation du chemin de fer. Selon les renseignements dont disposait l'OTC, le CN avait pris diverses mesures en vue d'empêcher les intrusions, notamment en obligeant les locomotives à siffler aux abords des courbes. Cette mesure a donné lieu à de nombreuses plaintes de la part de la population locale en 1994 et en 1995, et à de nouveaux problèmes pour le CN. Celui-ci a donc envisagé d'installer une clôture pour décourager les intrus. Je ne puis dire qu'il était déraisonnable pour l'OTC de conclure que la clôture "faciliterait" l'exploitation du chemin de fer au sens de la définition de l'expression "ligne de chemin de fer", et protégerait cette ligne dans la mesure où elle empêcherait les intrusions. Ces décisions répondent à la question de savoir si "les faits satisfont au critère juridique" comme l'a dit le juge Iacobucci16 et sont, partant, des décisions de droit et de fait assujetties à la norme du caractère raisonnable.

Je conclus donc que la décision de qualifier la clôture d'"installation ferroviaire" au sens du paragraphe 16(1) de la Loi est raisonnable et qu'il n'y a pas lieu de l'infirmer.

(3) Le grand Toronto était-il "bénéficiaire"

    des installations?

Dans la mesure où une pure question de droit se pose en l'espèce, qu'elle soit ou non liée à la compétence, cette question serait la suivante. Le grand Toronto nous invite à conclure qu'au regard du droit ou de la compétence, l'OTC ne pouvait pas correctement interpréter l'expression "bénéficiaire" comme s'appliquant à quiconque, et notamment le grand Toronto, dont les intérêts légaux n'étaient pas directement touchés par la présence ou l'absence d'une clôture. Le grand Toronto soutient en effet que suivant le droit applicable en Ontario en matière de responsabilité des occupants, il n'a, lui-même ou son successeur, en sa qualité de propriétaire des parcs, aucune responsabilité envers les personnes qui, passant sur sa propriété, empiètent ensuite sur la propriété d'autres personnes comme le CN. Le grand Toronto affirme que les intérêts d'une municipalité sont distincts de ceux de ses habitants et que, même si la clôture peut offrir une certaine sécurité aux habitants du grand Toronto et éliminer la nuisance causée à certains résidents par les coups de sifflet, la municipalité en tant que telle n'en retire aucun bénéfice.

L'interprétation que l'OTC a donnée à l'expression "bénéficiaire" peut se déduire des motifs sur lesquels il s'est fondé pour ordonner au grand Toronto de partager le coût de la clôture. L'avis de l'OTC est résumé dans le passage suivant:

. . . l'Office estime que le grand Toronto se doit, lui, d'assurer la protection des usagers de ses parcs contre des dangers inhérents à la présence du chemin de fer. L'Office rejette en particulier l'idée que le grand Toronto ne doit pas assumer la responsabilité des usagers de ses parcs. La clôture permettra également de régler les plaintes provenant des résidants du grand Toronto qui habitent en bordure des parcs en question, de dissuader d'éventuels intrus et de créer un milieu plus sécuritaire pour le public et les usagers dans les parcs de la Don Valley17.

Pour ces motifs, l'OTC a conclu que le grand Toronto est "bénéficiaire" de l'installation de la clôture. Cette conclusion permet d'inférer que l'OTC interprète d'une façon libérale et fonctionnelle cette expression comme ne se limitant pas à l'octroi de droits additionnels aux personnes visées par l'arrêté ou à l'exonération de la responsabilité légale y afférente. Cela supposait l'interprétation d'une disposition dont la portée était contestable, cette interprétation se rapportant à la compétence de l'OTC à l'égard des personnes susceptibles d'être assujetties à ses arrêtés. À mon avis, c'est le type de décision visée par la norme de la décision correcte, en ce qu'elle porte sur une question de droit susceptible d'avoir des conséquences importantes.

Cela dit, il me semble que l'interprétation que l'OTC a donnée à l'expression "bénéficiaire" était exacte compte tenu des objets que vise la Loi sur la sécurité ferroviaire . À cette fin, il est essentiel de tenir compte du paragraphe 4(4), qui prévoit ceci:

4. . . .

(4) Pour l'application de la présente loi, il doit être tenu compte, dans toute décision concernant la sécurité ferroviaire, l'amélioration de cette sécurité ou l'existence d'une menace à celle-ci, non seulement de la sécurité des voyageurs et des marchandises transportées par chemin de fer mais aussi de celle de toute autre personne et de tout autre bien.

Cela montre clairement que l'OTC doit se préoccuper de la sécurité de personnes autres que les passagers ou les employés des chemins de fer, notamment des personnes qui utilisent une propriété contiguë à l'emprise et pour lesquelles la présence du chemin de fer peut constituer un danger. L'OTC peut à juste titre considérer que les propriétaires adjacents bénéficient de mesures visant à atténuer le danger que comporte la ligne de chemin de fer pour les personnes qui utilisent cette propriété. Je ne puis donc pas dire qu'une erreur de droit se rapportant à la compétence, susceptible de révision, a été commise.

L'application de cette notion large de "bénéficiaire" aux faits de l'espèce, en tant que fondement juridictionnel de l'arrêté pris en l'occurrence contre le grand Toronto, met à mon avis en cause une question de droit et de fait. Encore là, cette conclusion découle des circonstances propres à l'affaire et n'a qu'une importance restreinte en tant que précédent. La norme de contrôle devrait donc être celle du caractère raisonnable. Je crois qu'il n'était pas déraisonnable pour l'OTC de conclure que le grand Toronto en tant qu'entité politique et propriétaire des parcs, avait un intérêt suffisant à empêcher les utilisateurs de ces parcs de passer par hasard sur l'emprise, et, ce faisant, à éviter accessoirement de causer à d'autres résidents les inconvénients liés à la principale solution de rechange, savoir les coups de sifflet. Dans la décision Toronto (City) v. Toronto (Metropolitan)18 , la Cour divisionnaire de l'Ontario a décrit la nature du grand Toronto comme suit:

[traduction] Le grand Toronto est constitué de la population de la région métropolitaine. Au point de vue juridique, le grand Toronto est distinct de la ville de Toronto et des autres municipalités de la région. Ses pouvoirs sont énoncés dans la Loi sur la Municipalité de la Communauté urbaine de Toronto, L.R.O. 1990, ch. M.62 (la Loi sur la Communauté urbaine). Le grand Toronto s'est vu conférer des pouvoirs précis liés aux obligations qui lui incombent dans toute la région métropolitaine en ce qui concerne l'eau et les égouts, l'élimination des déchets, les routes, les services policiers et de nombreuses autres questions, et ce, au profit de la population de la région métropolitaine.

Il n'a pas été contesté devant nous que, dans le cadre de ses activités, le grand Toronto exploitait des parcs régionaux comme ceux dont il est ici question. Pour tirer ses conclusions au sujet des responsabilités du grand Toronto, l'OTC disposait également de renseignements (qui ne semblent pas contestés) établissant qu'il n'y avait pas eu de problème sérieux d'intrusion dans ce secteur avant l'aménagement du sentier cycliste et pédestre par le grand Toronto, vers 1991. De même, dans d'autres parties de la vallée de la rivière Don où il n'y a pas de sentier de ce genre, les intrusions ne posent pas de problèmes sérieux. Il était loisible à l'OTC de conclure que le grand Toronto, ayant facilité l'accès au secteur, avait du moins intérêt d'une façon générale, en tant qu'administration gouvernementale, à minimiser le danger en résultant, même s'il n'avait peut-être pas, à titre d'occupant, de responsabilité légale envers les utilisateurs de ses parcs qui, les quittant, empiétaient sur la propriété voisine. Je conclus donc que cette décision, qui portait sur une question de droit et de fait liée à la compétence, était raisonnable.

Par conséquent, la conclusion de l'OTC selon laquelle le grand Toronto bénéficie de l'installation de la clôture ne comporte aucune erreur susceptible de révision, et l'OTC pouvait donc légitimement ordonner au grand Toronto de payer une partie du coût de la clôture.

Conclusion

Il y a donc lieu de rejeter l'appel. Étant donné que l'intimée ne demande pas de frais et que ni les intervenantes ni l'OTC n'auraient droit à des frais, aucune ordonnance n'est rendue à ce sujet.

Robertson, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

McDonald, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

1 L.C. 1996, ch. 10.

2 L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32.

3 Supra, note 1.

4 Ibid.

5 [1995] 3 C.F. 395 (C.A.), à la p. 434, le juge en chef Isaac étant dissident sur ce point, aux p. 405, 418 et 419.

6 [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 766 et 767.

7 Id., aux p. 771, 776 et 777.

8 Il y a lieu de faire preuve de moins de déférence si la question de la compétence est de nature constitutionnelle: Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, aux p. 354 et 355, même s'il est possible de soutenir que pareille question est une question de droit.

9 Voir, par exemple, Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159, à la p. 199; J. M. Evans, H. N. Janisch et D. J. Mullan, Administrative Law: Cases, Text and Materials (4e éd. Toronto: Emond Montgomery Publications, 1995), à la p. 663.

10 Supra, note 5.

11 Supra, note 6.

12 Id., aux p. 767 et 768.

13 Dossier d'appel, à la p. 82.

14 Supra, note 6, aux p. 766 et 767.

15 Ibid.

16 Ibid.

17 Dossier d'appel, à la p. 83.

18 (1992), 97 D.L.R. (4th) 140 (C. div. Ont.), à la p. 142.

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