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A-941-96

( T-554-91 )

Carpenter Fishing Corporation, Don Johannes, Kaarina Etheridge, Simpson Fishing Co. Ltd., White Hope Holdings Ltd. et Norman Johnson (demandeurs) (intimés)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Bernard Valcourt, ministre des Pêches et des Océans (défendeurs) (appelants)

( T-974-91 )

Titan Fishing Ltd. (demanderesse) (intimée)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Bernard Valcourt, ministre des Pêches et des Océans (défendeurs) (appelants)

Répertorié: Carpenter Fishing Corp.c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Pratte, Décary et Linden, J.C.A." Vancouver, 4 décembre; Ottawa, 23 décembre 1997.

Pêches Le ministre des Pêches et des Océans a mis sur pied un régime de quotas pour la pêche du flétan sur la côte ouest Les intimés ont contesté le processus ayant donné lieu à l'adoption de l'allocation fondée sur l'historique de la capture Le juge de première instance a déclaré que la décision du ministre de mettre en œuvre la restriction applicable au détenteur actuel était illégale Il a commis une erreur en ne traitant pas la décision du ministre comme une mesure législative La mise en œuvre d'une politique en matière de quotas est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique L'art. 7(1) de la Loi sur les pêches donne au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu d'octroyer des permis de pêche Les tribunaux devraient intervenir seulement lorsque le ministre prend des mesures qui outrepassent les buts généraux autorisés par la Loi La Cour ne devrait pas mettre en doute le jugement du ministre sur la pertinence de la politique en matière de quotas.

Droit administratif Contrôle judiciaire Jugements déclaratoires Le juge de première instance a déclaré que la restriction applicable au détenteur actuel, qui fait partie d'une formule servant à attribuer des quotas pour la pêche du flétan, était illégale La mise en œuvre d'une politique en matière de quotas est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative Les lignes directrices ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en cas de mauvaise foi, de non-respect des principes de justice naturelle et d'objet inapproprié La norme de contrôle applicable aux fonctions administratives ne s'applique pas aux mesures législatives Les principes de justice naturelle ne s'appliquent pas aux décisions législatives ou stratégiques Il n'appartient pas à la Cour de mettre en doute la sagesse de la décision du ministre en matière de politique  Le juge de première instance est devenu ministre l'espace d'une journée en remplaçant la formule du ministre par celle des intimés.

Pratique Jugements et ordonnances À moins d'indication contraire dans les Règles de la Cour fédérale, un seul jugement devrait être rendu après l'instruction d'une action Ce jugement devrait mettre fin au litige entre les partiesUn jugement ne doit pas être rendupar tranches.

Il s'agissait d'un appel d'une décision de la Section de première instance portant que la décision prise en 1990 par le ministre des Pêches et des Océans de mettre en œuvre la restriction applicable au détenteur actuel, qui fait partie d'une formule servant à attribuer des quotas pour la pêche du flétan, était illégale. En 1990, le ministre a établi un régime de quotas pour la pêche du flétan sur la côte ouest du Canada. La formule choisie par le ministre comme ligne directrice générale et stratégique pour l'attribution de quotas individuels aux détenteurs de permis était fondée à 30 p. 100 sur la longueur du bateau et à 70 p. 100 sur le rendement antérieur du détenteur actuel au cours de la période allant de 1986 à 1989. Les intimés, qui sont des personnes physiques et morales oeuvrant dans l'industrie de la pêche au flétan sur la côte ouest, ont prétendu que le processus ayant donné lieu à l'adoption de l'allocation fondée sur l'historique de la capture était antidémocratique et que le ministre avait fait reposer cette allocation sur l'expérience antérieure du détenteur de permis plutôt que sur celle du permis lui-même. Le juge de première instance a statué en faveur des intimés parce qu'il était d'avis que la décision du ministre d'imposer aux détenteurs de permis de pêche au flétan la "restriction applicable au détenteur actuel" sous forme de condition attachée au permis de pêche ne constituait "pas une décision administrative qui est de nature législative", que les intimés avaient donc droit au respect de l'équité procédurale et que le processus de consultation employé par le Ministère n'était pas démocratique et portait atteinte aux règles de justice naturelle. C'est cette décision qui est visée par le présent appel.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

La manière dont le juge de première instance a procédé, en divisant les questions litigieuses en deux, soit la question de la légalité et la question de la réparation, est inusitée. À moins qu'une pratique différente ne soit autorisée par les Règles de la Cour fédérale, un seul jugement devrait être rendu après l'instruction d'une action, et ce jugement devrait mettre fin au litige entre les parties. Un juge de première instance peut diviser un procès en plusieurs étapes, mais il ne devrait pas rendre un jugement à la fin d'une étape, à moins que ce jugement ne règle le litige. Un jugement ne devrait pas être rendu "par tranches".

Le juge de première instance a commis une erreur en ne traitant pas la décision du ministre comme une mesure législative. Cette erreur l'a amené à imposer le respect de règles de justice naturelle qui ne s'appliquaient pas et à reconsidérer le bien-fondé des quotas de flétans attribués par le ministre. La mise en œuvre d'une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d'un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Le ministre est libre d'indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, à moins qu'elles ne soient entachées de l'un des trois vices mentionnés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi. La mesure consistant à délivrer le permis ne peut être contestée en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique, c'est-à-dire la mise en œuvre de la politique en matière de quotas par le ministre. Les cours de révision saisies de la contestation d'une mesure administrative, soit la délivrance d'un permis, dont un élément est une mesure législative, soit l'élaboration d'une politique en matière de quotas, devraient prendre soin de ne pas appliquer à l'élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. Il est si grave et si préjudiciable de prétendre qu'un ministre a agi de mauvaise foi qu'un juge de première instance devrait exiger que l'allégation soit explicite et non équivoque; en l'espèce, les intimés et le juge de première instance se sont contentés de vagues sous-entendus. En règle générale, les principes de justice naturelle ne s'appliquent pas aux décisions législatives ou stratégiques. En l'espèce, le ministre n'était pas légalement obligé de tenir des consultations, mais il a malgré tout opté pour cette solution. Par conséquent, non seulement la conclusion du juge de première instance que le processus n'était pas démocratique était inappropriée, mais elle n'était pas appuyée par la preuve. Aux termes du paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, le ministre peut, "à discrétion", octroyer des permis de pêche. Lorsqu'il exerce ses attributions et son pouvoir discrétionnaire relativement à l'élaboration et à la mise en œuvre d'une politique en matière de quotas de pêche, il devrait également avoir la plus grande marge possible de manœuvre. C'est uniquement lorsqu'il prend des mesures qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir. La formule utilisée par le ministre n'est peut-être pas la plus sage ni la plus logique, mais il n'appartient pas aux tribunaux de mettre en doute son jugement quant au caractère bon ou mauvais d'une politique en matière de quotas. Les intimés ont demandé au juge de première instance de remplacer la formule du ministre par leur propre formule. Pour se conformer à leur demande, le juge de première instance est devenu ministre l'espace d'une journée et a imposé une formule dont l'effet sur l'industrie de la pêche au flétan était inconnu.

lois et règlements

Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F-15, art. 4(1)a).

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7(1), 43.

Règlement de 1984 sur la pêche dans le Pacifique, DORS/84-337, art. 6(1) (édicté par DORS/84-351, art. 2).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

jurisprudence

décisions appliquées:

Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247; (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121; 164 N.R. 342 (C.A.).

décisions examinées:

Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1987] 2 C.F. 93; (1986), 32 D.L.R. (4th) 737; [1987] 2 W.W.R. 727; 72 N.R. 31 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [1987] 1 R.C.S. viii; Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12; (1997), 142 D.L.R. (4th) 193; 43 Admin. L.R. (2d) 1; 31 C.C.L.T. (2d) 236; 206 N.R. 363.

APPEL d'une décision de la Section de première instance ([1997] 1 C.F. 874 (sous forme abrégée); (1996), 123 F.T.R. 81) portant que la décision prise en 1990 par le ministre des Pêches et des Océans d'imposer la restriction applicable au détenteur actuel, qui fait partie d'une formule servant à attribuer des quotas pour la pêche du flétan sur la côte ouest, était illégale. Appel accueilli.

avocats:

Harry J. Wruck, c.r., pour les appelants.

P. G. Bernard, Murray L. Smith et David Jones pour les intimés.

J. Raymond Pollard et Georg D. Reuter pour l'intervenante Pacific Coast Fishing Vessel Owners Guild.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants.

Campney & Murphy, Vancouver, pour les intimés.

Richards Buell Sutton, Vancouver, pour l'intervenante Pacific Coast Fishing Vessel Owners Guild.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A.: En 1990, le ministre des Pêches et des Océans (le ministre) a établi un régime de quotas pour la pêche du flétan sur la côte ouest du Canada. La formule choisie par le ministre comme ligne directrice générale et stratégique pour l'attribution de quotas individuels aux détenteurs de permis était fondée à 30 p. 100 sur la longueur du bateau et à 70 p. 100 sur le rendement antérieur du détenteur actuel, ce dernier point étant décrit en ces termes:

[traduction] L'historique de la capture utilisé . . . est fondé sur la meilleure année de prises, corrigée pour tenir compte des fluctuations dans les prises annuelles totales, au cours de la période allant de 1986 à 1989 attribuée au détenteur actuel du permis de pêche au flétan sans égard au bateau ayant pêché avec le permis. [Dossier d'appel, vol. 9, à la p. 1610.]

Cette formule a été adoptée à titre expérimental pendant une période de deux ans ayant commencé en 1991. Concrètement, l'allocation fondée sur l'historique de la capture voulait dire ceci: la meilleure année de prises d'un détenteur possédant un permis depuis la saison de pêche de 1986 serait 1986, 1987, 1988 ou 1989; la meilleure année de prises d'un détenteur possédant un permis depuis la saison de pêche de 1987 serait 1987, 1988 ou 1989; la meilleure année de prises d'un détenteur possédant un permis depuis la saison de pêche de 1988 serait 1988 ou 1989; la meilleure année de prises d'un détenteur possédant un permis depuis la saison de pêche de 1989 serait forcément 1989; et pour permettre aux nouveaux venus dans l'industrie d'avoir accès à l'allocation fondée sur l'historique de la capture, la meilleure année de prises d'un détenteur ayant acheté son permis après la saison de pêche de 1989 était réputée être la meilleure année de prises, établie de la manière susmentionnée, du vendeur du permis.

Les intimés n'étaient pas satisfaits du processus ayant donné lieu à l'adoption de l'allocation fondée sur l'historique de la capture, qu'ils ont jugé antidémocratique, ni de la décision du ministre de faire reposer cette allocation sur l'expérience antérieure du détenteur de permis plutôt que sur celle du permis lui-même, ce qui favorisait selon eux les pêcheurs qui détenaient un permis depuis plus longtemps. Les intimés ont qualifié l'élément de la formule qui les mécontentait de "restriction applicable au détenteur actuel". Ils n'ont toutefois contesté ni l'idée de fonder l'allocation en partie sur la longueur du bateau et en partie sur l'historique de la capture, ni les pourcentages de 30 p. 100 et de 70 p. 100 choisis à cette fin. Ils n'ont pas contesté non plus le choix des années 1986 à 1989 comme période de référence. En gros, ils étaient d'avis que tous les détenteurs de permis devraient pouvoir bénéficier de la meilleure année de prises rattachée au permis au cours des saisons de pêche allant de 1986 à 1989, qu'ils aient ou non été eux-mêmes détenteurs d'un permis pendant cette période. En fait, les intimés ont acheté leur permis entre l'automne 1987 et le mois de février 1990, et ils étaient tous contraints de choisir la meilleure année parmi moins de quatre années.

Vers la fin de 1991, les intimés ont intenté une action contre la Couronne et le ministre des Pêches et des Océans de l'époque, l'honorable Bernard Valcourt. Dans leur déclaration, ils demandaient que soit rendu un jugement déclaratoire portant que la "restriction applicable au détenteur actuel" contenue dans la formule d'allocation fondée sur l'historique de la capture était illégale et réclamaient des dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

L'affaire a été instruite en 1996. Par consentement des parties, les questions à trancher au procès ont été divisées en deux parties: la question de la légalité de la décision du ministre et, si la Cour concluait que la décision était illégale, la question de la réparation à accorder.

À la clôture de la partie du procès se rapportant à la question de la légalité, le juge Campbell s'est prononcé en faveur des demandeurs (les intimés en l'espèce) et a rendu le jugement déclaratoire suivant le 14 novembre 1996 [[1997] 1 C.F. 874, à la page 897]:

. . . la décision de mettre en œuvre la RADA prise par le ministre en 1990 est illégale . . . frappée de nullité.

"de plus [à la page 897]:

. . . chacune des décisions semblables prises jusqu'à ce jour est illégale et nulle elle aussi.

La Couronne et le ministre ont interjeté appel de cette conclusion avec l'appui de l'intervenante, la Pacific Coast Fishing Vessel Owners Guild.

Avant de statuer sur le fond de l'appel, je ne peux m'empêcher de faire la remarque suivante. Bien que les parties n'aient pas formulé d'objection sur ce point, la manière dont le juge de première instance a procédé est pour le moins inusitée. À l'exception des cas où une pratique différente est autorisée par les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], un seul jugement devrait être rendu après l'instruction d'une action, et ce jugement devrait mettre fin au litige entre les parties. Un juge de première instance peut certainement diviser un procès en plusieurs étapes, mais il ne devrait pas rendre un jugement à la fin d'une étape, à moins que ce jugement ne règle le litige. Un jugement ne devrait pas être rendu "par tranches". Nous avons entendu l'appel en dépit de cette irrégularité; il s'est écoulé une année depuis le prononcé des motifs du jugement de première instance et les droits de toutes les parties visées rendent tout délai supplémentaire inadmissible. Compte tenu de la conclusion à laquelle nous sommes finalement parvenus, la décision d'entendre l'appel s'est révélée sage. Toutefois, nous ne voulons pas que notre décision soit perçue comme une acceptation de la pratique consistant à diviser un jugement que le juge de première instance a adoptée dans le cas qui nous occupe.

La genèse de la politique en matière de quotas

Il convient à ce stade-ci de rappeler brièvement les événements qui ont amené le ministre à adopter la politique en matière de quotas.

En 1979, le ministère des Pêches et des Océans (le Ministère) a mis sur pied un régime de permis restrictifs en vertu duquel des droits étaient accordés à un nombre limité de personnes ou de bateaux, dans le but de limiter et de réduire la taille de la flottille canadienne de bateaux de pêche au flétan, qui avait pris une expansion excessive.

En 1982, M. Peter Pearce a été nommé par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur les enquêtes [L.R.C. (1985), ch. I-11] pour enquêter et faire rapport sur l'industrie de la pêche dans le Pacifique, y compris l'industrie de la pêche au flétan. M. Pearce a conclu que les pêcheries dans le Pacifique étaient en crise et que des changements fondamentaux devaient être apportés à la politique en matière de pêche afin de corriger la situation. Il a recommandé que le régime de permis restrictifs en vigueur dans l'industrie de la pêche au flétan soit remplacé par un régime plus efficace de permis de pêche contingentée.

Les observations suivantes faites par le commissaire Pearce méritent d'être signalées:

"observations générales:

Pour concevoir une politique appropriée pour l'avenir et en faire une mise en œuvre réussie, il sera essentiel de recourir à la participation et à la coopération de tous ceux qui seront directement affectés par cette politique. [Non souligné dans l'original; dossier d'appel, vol 5, à la p. 760.]

Notons, en plus des litiges, les intérêts bien établis qui constituent un obstacle aux changements. Il va de soi que ceux qui opposent la résistance la plus acharnée à la réforme des règlements sont ceux qui sont soumis à ces règlements, puisqu'ils se sont adaptés au régime existant.

D'ordinaire, et compte tenu des intérêts contradictoires et des intérêts bien en place, les changements de politiques profitent à certains et nuisent à d'autres. [Non souligné dans l'original; dossier d'appel, vol. 5, à la p. 768.]

Plus un régime oblige les détenteurs de permis à agir contrairement à leurs intérêts économiques, plus les règlements doivent être complexes. De plus, un régime de permis qui doit recourir à la contrainte pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixé est soumis à des tensions beaucoup plus grandes que celui qui fait appel à la motivation personnelle. Il ne fait aucun doute qu'un régime de permis dont la politique coïnciderait avec les intérêts économiques des détenteurs serait idéal. [Non souligné dans l'original; dossier d'appel, vol. 5, à la p. 840.]

Toutefois, comme moyen de réglementer les prises et de favoriser la rationalisation de la flottille de pêche, l'émission de permis accordant un contingent à chaque pêcheur semble la plus prometteuse de toutes les formules exposées ci-dessus. Partout où elle a été mise en application, même si elle a donné lieu à certains problèmes d'adaptation, elle a considérablement simplifié le problème de la gestion des ressources et renversé toute tendance à la surcapitalisation. [Non souligné dans l'original; dossier d'appel, vol. 5, à la p. 841.]

La tâche la plus délicate sera d'effectuer la transition à partir du régime actuel de manière équitable et sans déséquilibrer les intérêts établis. Je me penche donc d'abord sur les dispositions administratives générales qui permettront d'effectuer la transition vers les permis de pêche contingentée dans toutes les pêches secondaires.

. . .

Pour passer du régime de permis de pêche limitée à un régime de pêche contingentée, il faudra établir des procédés administratifs qui permettront de relier l'ancien et le nouveau. J'ai conclu, au chapitre 8 du présent rapport, qu'on devrait accorder aux pêcheurs qui peuvent prouver leur dépendance d'une pêche donnée un "droit d'aînesse" vis-à-vis du nouveau régime d'émission des permis. Le moyen le plus équitable de répartir les prises admissibles parmi les pêcheurs participants, lors de l'établissement du régime de pêche contingentée, sera de les fonder sur leurs quote-parts des prises qu'ils ont effectuées dans un passé récent . Toutefois, le choix de cette base d'années sur laquelle on établira le degré de participation antérieure à la pêche comptera pour beaucoup: les termes prolongés tendent à amortir l'impact des récoltes annuelles qui se sont avérées ou trop élevées ou trop basses, mais elles sont injustes à l'égard des nouveaux venus et de ceux qui ont commencé depuis peu d'augmenter leur part de la récolte. Par contre, un terme très court, comme une seule campagne, par exemple, peut aboutir à de graves déformations de la réalité . . .

Les règlements proposés quant à l'attribution de nouveaux permis durant le stade initial pourraient être injustes envers certains pêcheurs. Par le passé, quand il s'est agi d'introduire des permis d'accès limité, les circonstances spéciales de certains pêcheurs ont été soumises individuellement à la considération de comités d'appel spéciaux qui ont parfois recommandé qu'on déroge aux critères d'admissibilité, ou encore qu'on les allège quelque peu, pour empêcher que ces pêcheurs tombent dans l'embarras. Ces comités s'étant avérés utiles, on devrait continuer d'y recourir. [Non souligné dans l'original; dossier d'appel, vol. 5, à la p. 876.]

Enfin, le Ministère ne devrait instaurer aucun nouveau régime de contingentement sans avoir sollicité les conseils et entendu les opinions des détenteurs de permis. [Dossier d'appel, vol. 5, à la p. 877.]

"observations portant précisément sur la pêche au flétan:

Au cours de ces dernières années, l'organisation de la pêche du flétan s'est dégradée considérablement. Le nouveau régime d'émission des permis de cette pêche traditionnelle a été mal administré et a donné lieu à de très graves problèmes. En dépit du régime d'accès limité conçu pour limiter la capacité des prises, cette dernière s'est accrue de façon alarmante, au rythme des permis émis. Il s'est produit, en même temps, une chute marquée du niveau des stocks et des prix. [Dossier d'appel, vol. 5, aux p. 877 et 878.]

Étant basé sur les prises des années récentes, le régime que nous proposons pour établir les contingents des détenteurs de permis respecte les droits acquis par le "droit d'aînesse". Ce moyen semble être la façon la plus équitable de faire la distinction qui s'impose entre ceux qui forment le gros de la flottille de pêche au flétan et ceux qui réclament un permis en vertu de prises accidentelles. [Dossier d'appel, vol. 5, à la p. 880.]

À la suite du dépôt du rapport Pearce, le ministre a mis sur pied un comité consultatif formé de pêcheurs de flétan pour aider à concevoir un régime de quotas pour la saison de pêche au flétan de 1983. Cependant, ce projet n'a pas démarré en raison d'un manque d'appuis de la part des membres de l'industrie. Il était crucial que ceux-ci soutiennent les efforts déployés par le Ministère pour gérer la pêche du flétan parce que cette pêche est au moins en partie autoréglementée et, par conséquent, un manque d'appuis aurait bien pu entraîner une inobservation.

La pêche du flétan étant de plus en plus menacée et conscient qu'il fallait absolument recueillir des appuis en faveur d'un régime de quotas au sein de l'industrie, le Ministère a soumis, le 11 septembre 1989, un document de travail sur l'attribution de quotas individuels à tous les détenteurs de permis de pêche au flétan.

Ce document proposait une méthode [traduction] "recommandée par les représentants de l'industrie de la pêche au flétan" qui comprenait deux critères: l'historique de la capture rattachée au permis (par opposition à l'historique de la capture d'un pêcheur donné) (70 p. 100) et l'historique de la capture par catégorie de bateau (30 p. 100). L'historique de la capture rattachée au permis devait être fondée sur une moyenne des deux meilleures années de prises entre 1986 et 1988. Si le permis avait été utilisé pendant les trois années en question, une moyenne des deux meilleures années serait faite. Si le permis n'avait été utilisé qu'une année, cette année serait considérée comme la moyenne. Si le permis n'avait pas été utilisé entre 1986 et 1988, aucune quote-part des prises antérieures ne serait attribuée au permis (dossier d'appel, vol. 3, à la page 582). Le document proposait une période d'essai de deux ans et expliquait qu'un comité d'appel serait mis sur pied pour s'occuper des pêcheurs qui jugeaient leur quota injuste. Le Ministère a annoncé qu'une réunion aurait lieu en octobre et qu'il entendrait à ce moment-là toutes les organisations de pêcheurs de flétan. Il invitait chaque pêcheur à communiquer avec des représentants de son organisation ou avec le représentant du Ministère, M. Turris. Le document précisait que le Ministère était [traduction ] "disposé à examiner des stratégies de rechange si l'industrie de la pêche au flétan ne juge pas la méthode [proposée] réalisable".

Des rencontres ont eu lieu avec des détenteurs de permis de pêche au flétan à Richmond et à Prince Rupert les 23, 24 et 30 octobre 1989. Certains pêcheurs ont alors proposé des méthodes de rechange, notamment une formule d'allocation de quote-parts égales à chacun et une formule d'allocation fondée sur l'historique de la capture de la personne (par opposition à l'historique de la capture rattaché au permis).

Le 1er novembre 1989, le Ministère a envoyé à tous les détenteurs de permis de pêche au flétan un résumé des rencontres d'octobre et un questionnaire sur l'utilisation de quotas individuels, sur les méthodes d'allocation préférées et sur la méthode la plus appropriée pour choisir les représentants de l'industrie qui feraient partie du comité de la pêche au flétan envisagé.

Le 4 décembre 1989, le Ministère a informé tous les détenteurs de permis de pêche au flétan des résultats du sondage. Soixante-dix-sept pour cent des répondants appuyaient l'idée des quotas individuels, mais aucune méthode d'allocation particulière n'avait été choisie par une majorité et aucune solution particulière pour le choix des membres du comité n'avait été jugée plus appropriée par une majorité. Le Ministère avisait également les détenteurs de permis qu'il avait choisi une méthode pour mettre sur pied le comité de la pêche au flétan et leur demandait de choisir, parmi douze organisations, celle par laquelle ils voulaient être représentés au sein du comité (dossier d'appel, vol. 4, à la page 598). Le comité consultatif de la pêche au flétan a été mis sur pied en décembre 1989. Il était composé de vingt et un représentants de l'industrie, dont dix-sept étaient des pêcheurs ou des organisations de pêcheurs représentant des détenteurs de permis. Le Ministère a également invité quatre représentants à défendre les intérêts des hommes d'équipages, des travailleurs à terre et des entreprises de transformation.

Le comité s'est réuni du 23 au 26 janvier 1990 et du 1er au 3 mai 1990 dans le but de préparer un projet détaillé à soumettre à l'examen des détenteurs de permis de pêche au flétan. Le 3 mai 1990, les membres du comité ont voté en faveur d'une motion proposant de conserver comme critère l'historique de la capture de la personne plutôt que l'historique de la capture rattaché au permis.

Le 4 juin 1990, le Ministère a envoyé un projet détaillé à tous les détenteurs de permis et leur a demandé s'ils l'acceptaient ou le rejetaient (dossier d'appel, vol. 4, aux pages 616 et suivantes).

Le 13 août 1990, le Ministère a informé les détenteurs de permis des résultats du vote, qui ont été présentés par le cabinet d'experts-comptables Price Waterhouse. Sur les 435 bulletins de vote envoyés, 298 ont été retournés. Quatre d'entre eux étaient détériorés. Sur les 294 bulletins de vote non détériorés, 206 (70 p. 100) étaient en faveur du projet et 88 (30 p. 100) étaient contre.

Tous les intimés, sauf deux, ont indiqué sur leur bulletin de vote qu'ils appuyaient le projet. L'intimé Johnson a indiqué qu'il le rejetait. L'intimée Carpenter Fishing Co. n'était pas un détenteur de permis de pêche au flétan au moment du sondage et son prédécesseur, Deep Six Fish (1987) Co. Ltd., n'a pas voté.

Le 1er novembre 1990, le ministre a annoncé la mise en vigueur du programme-pilote de deux ans ainsi que la mise sur pied d'un comité d'appel [traduction] "chargé d'entendre les appels de détenteurs de permis de pêche au flétan qui ne sont pas d'accord avec le [quota] qui leur a été attribué" (dossier d'appel, vol. 4, à la page 637).

Les sept intimés ont été informés du quota qui leur était attribué en 1991. Six d'entre eux ont interjeté appel devant le comité d'appel. Celui-ci a recommandé l'augmentation de leur quota. Le ministre a donné son accord et des permis incorporant le nouveau quota leur ont été délivrés.

À la fin de la période d'essai de deux ans, c'est-à-dire à la fin de la saison de pêche de 1992, les 435 détenteurs de permis de pêche au flétan ont été invités à voter sur la reconduction du programme, y compris la formule d'allocation utilisée. Trois cent vingt réponses ont été reçues, soit 292 réponses positives (91 p. 100) et 28 réponses négatives (9 p. 100) (dossier d'appel, vol. 8, à la page 1323). Tous les intimés ont répondu par l'affirmative en 1992. On nous a dit que les ministres subséquents ont adopté la même politique.

Analyse

Le juge de première instance a statué en faveur des intimés parce qu'il était d'avis que la décision du ministre d'imposer aux détenteurs de permis de pêche au flétan la "restriction applicable au détenteur actuel" sous forme de condition attachée au permis de pêche ne constituait "pas une décision administrative qui est de nature législative"1, que les intimés avaient donc droit au respect de l'équité procédurale, que le processus de consultation employé par le Ministère n'était pas démocratique et portait atteinte aux règles de justice naturelle, et que le ministre avait agi dans un but irrégulier en sanctionnant une politique qui était discriminatoire.

À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en entendant et en appréciant la preuve comme si l'objet du litige n'était pas une mesure législative. Cette erreur l'a amené à imposer le respect de règles de justice naturelle qui ne s'appliquaient pas et à examiner la preuve comme s'il avait le droit de reconsidérer le bien-fondé des quotas attribués par le ministre.

La mise en œuvre d'une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d'un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d'un permis ne sont pas des règlements; elles n'ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada2 de la Cour suprême du Canada et de la décision Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général)3 de cette Cour que le ministre est libre d'indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l'arrêt Maple Lodge Farms, à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l'application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi.

Une fois que le ministre, par l'entremise de son Ministère, a défini des lignes directrices stratégiques, il doit, pour délivrer un permis, concentrer son attention sur le requérant et acquérir la conviction que ces lignes directrices peuvent être appliquées équitablement à ce dernier. Dans la mesure où le ministre élabore la politique dans l'exercice des pouvoirs généraux que lui confère la Loi sur les pêches4 et dans la mesure où il n'applique pas cette politique aveuglément dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis particulier, la mesure consistant à délivrer le permis, bien que de nature administrative et par ailleurs susceptible de contrôle judiciaire, ne peut être contestée en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique, c'est-à-dire la mise en œuvre de la politique en matière de quotas par le ministre. Les cours de révision saisies de la contestation d'une mesure administrative, soit la délivrance d'un permis, dont un élément est une mesure législative, soit l'élaboration d'une politique en matière de quotas, devraient prendre soin de ne pas appliquer à l'élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. La distinction est peut-être ténue, mais chaque fois qu'une personne conteste indirectement une politique en matière de quotas en contestant directement la délivrance d'un permis, les tribunaux devraient isoler la contestation indirecte et l'assujettir aux normes applicables au contrôle d'une mesure législative qui ont été définies dans l'arrêt Maple Lodge Farms.

Mauvaise foi

Il est si grave et si préjudiciable de prétendre et de conclure qu'un ministre a agi de mauvaise foi qu'une partie à un litige et un juge de première instance devraient tout au moins le faire d'une manière explicite et non équivoque. Malheureusement, les intimés et le juge de première instance se sont contentés, en l'espèce, de faire de vagues sous-entendus qui rendent la tâche des appelants et de la Cour très difficile.

Si je comprends bien la conclusion du juge de première instance, un fonctionnaire agit de mauvaise foi lorsqu'il appuie l'adoption d'une politique en matière de quotas en sachant qu'elle nuira à certains nouveaux venus dans l'industrie. Cette proposition est tout simplement insoutenable. Si la politique en matière de quotas a été adoptée dans un but valable, point que j'examinerai un peu plus loin, on ne saurait s'appuyer sur les effets qu'elle produit pour réprouver les intentions de ceux qui l'ont proposée. En tout état de cause, rien ne permet d'attribuer au ministre le motif présumé de son représentant au sein du comité, et on ne saurait supposer non plus que le motif qu'avait le ministre d'adopter la politique tout entière (dans l'hypothèse peu probable qu'il avait un seul motif d'agir) était précisément celui qu'avait censément ce représentant quand il a proposé la partie contestée d'une formule qui n'est elle-même qu'un élément de la politique.

Justice naturelle

En règle générale, les principes de justice naturelle ne s'appliquent pas aux décisions législatives ou stratégiques5. Il peut y avoir des circonstances, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, dans lesquelles la loi exige la tenue de consultations publiques avant l'adoption d'une politique, mais même alors, ces consultations ne font pas intervenir les règles ordinaires de justice naturelle. En l'espèce, le ministre n'était pas légalement obligé de tenir des consultations, mais il a malgré tout opté pour cette solution. Il n'appartient pas aux tribunaux de porter un jugement sur la pertinence de la méthode de consultation choisie par un ministre, pour autant que les prescriptions de la loi, s'il en est, aient été respectées. Au mieux, la conclusion du juge de première instance que le processus n'était pas démocratique était inappropriée; au pis, elle n'était absolument pas appuyée par la preuve.

Objet inapproprié

Le dernier moyen que peuvent invoquer les intimés pour contester les mesures prises par le ministre consiste à affirmer que ces mesures reposaient sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi. Le juge de première instance a conclu que l'objet de la partie contestée de la politique visait à exercer une discrimination contre les nouveaux venus dans l'industrie de la pêche au flétan afin de procurer un avantage à ceux qui en faisaient déjà partie et d'obtenir ainsi leur appui.

Les buts acceptables des mesures prises en vertu de la Loi sur les pêches sont interprétés d'une manière particulièrement large. Dans l'arrêt Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans)6, la Cour a statué:

Le Parlement peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à ses mesures visant la conservation, la protection et l'exploitation des ressources, soit simplement en les alliant à la poursuite d'objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, culturelle ou économique.

Dans l'arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans)7, la Cour suprême du Canada a fait remarquer:

Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l'obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l'intérêt public.

Je remarque également que l'alinéa 4(1)a) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans8 dispose:

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement . . . liés:

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

Aux termes du paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, le ministre peut, "à discrétion" octroyer des permis de pêche. Dans l'arrêt Comeau's , la Cour suprême [aux pages 25 et 26] a conclu que la portée de la décision du ministre était "conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches" et que "Les permis sont un outil dans l'arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches".

L'article 43 de la Loi sur les pêches autorise le gouverneur en conseil à:

43. . . . prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment:

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes;

b) concernant la conservation et la protection du poisson;

. . .

g) concernant les conditions attachées aux . . . permis . . . ;

Le règlement qui était en vigueur en 1990, soit le Règlement de 1984 sur la pêche dans le Pacifique9, donnait au ministre le pouvoir suivant au paragraphe 6(1):

6. (1) . . . spécifier dans un permis de pêche commerciale délivré en vertu de l'article 7 de la Loi sur les pêcheries les modalités suivantes:

a) l'espèce et la quantité de poisson qui peut être pris;

Il s'ensuit que les tribunaux qui sont saisis de la question de l'exercice par le ministre de ses pouvoirs et fonctions et de son pouvoir discrétionnaire relativement à l'élaboration et à la mise en œuvre d'une politique en matière de quotas de pêche devraient reconnaître l'intention exprimée par le législateur et le gouverneur en conseil de donner au ministre la plus grande marge possible de manœuvre, et y donner effet. C'est uniquement lorsque le Ministère prend des mesures, par ailleurs autorisées par la Loi sur les pêches, qui outrepassent manifestement les buts généraux autorisés par la Loi que les tribunaux devraient intervenir.

En supposant, aux fins de l'analyse, qu'on puisse attribuer au ministre le but poursuivi par les fonctionnaires du Ministère"la preuve ne permet pas de savoir pourquoi le ministre a approuvé la politique recommandée par ses fonctionnaires"et qu'on puisse isoler un segment d'une formule en cherchant l'objet de toute la formule, la conclusion du juge de première instance ne résiste pas à l'examen.

Les quotas comportent immanquablement une part d'arbitraire ou d'injustice. Certains pêcheurs peuvent gagner, d'autres peuvent perdre, certains peuvent gagner ou perdre plus que d'autres, et la plupart sinon tous se retrouveront avec moins de prises qu'avant. C'est, au mieux, de ce point de vue, et non du point de vue juridique, qu'on peut parler de discrimination dans des cas comme celui qui nous occupe. S'il s'agissait vraiment de discrimination, alors il s'agirait d'une discrimination autorisée par la loi. Le besoin de normes objectives pour réglementer une industrie qui était jusque-là autoréglementée requiert la prise de décisions difficiles qui nuiront à certains moins qu'à d'autres. L'imposition de quotas est rarement, sinon jamais, une situation où tout le monde gagne.

Compte tenu de la portée étendue des objets acceptables de la Loi sur les pêches, des facteurs choisis par le ministre en l'espèce, du fait que le Ministère était à la recherche d'un consensus afin de mettre à l'essai une façon entièrement nouvelle de délivrer des permis de pêche au flétan, et des observations et recommandations faites par le commissaire Pearce dans son rapport, peut-on valablement affirmer qu'un compromis qui recueillait l'appui de l'industrie de la pêche au flétan, qui était axé sur l'expérience de pêche personnelle des détenteurs de permis, qui permettait à de nouveaux venus d'obtenir un quota sur la base de l'expérience de pêche personnelle du détenteur de permis précédent et qui préservait le droit des détenteurs de permis mécontents de contester le quota leur ayant été attribué grâce à la formule choisie, est fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la Loi sur les pêches? Bien sûr que non.

La formule utilisée n'est peut-être pas la meilleure, ni la plus sage ni la plus logique, mais le ministre n'est pas tenu de choisir la meilleure, la plus sage ou la plus logique, et il n'appartient certainement pas aux tribunaux de mettre en doute son jugement quant au caractère bon ou mauvais d'un quota. Il se peut que les facteurs dont le ministre a tenu compte ne soient pas tous pareillement pertinents, mais comme le juge Linden, J.C.A., l'a fait remarquer dans l'arrêt Assoc. canadienne des importateurs réglementés10:

Le fait d'avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c'est seulement lorsqu'une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu'elle est contestable.

En l'espèce, les intimés n'ont pas prétendu que leur permis avait été délivré illégalement ni que leur quota leur avait été attribué illégalement: la dernière chose qu'ils voulaient c'est d'être dépossédés de leur permis et de leur quota, si insuffisant ce dernier puisse-t-il leur sembler. Ils n'ont même pas prétendu que la politique tout entière était illégale car ils voulaient que la formule qu'ils proposaient survive à la décision de la Cour. Ils ont plutôt soutenu que la décision du ministre de mettre en œuvre la partie de la politique qu'ils ont appelée la restriction applicable au détenteur actuel était illégale et que cette partie illégale pouvait être retranchée de la politique. Ils ont demandé au juge de première instance, en pratique, de remplacer la formule du ministre par leur propre formule sans consulter les membres de l'industrie ni procéder à aucun vote. Pour se conformer à leur demande, le juge de première instance est devenu ministre l'espace d'une journée et a imposé une formule dont l'effet sur l'industrie de la pêche au flétan est inconnu. Le juge de première instance ne pouvait manifestement pas faire cela, même s'il avait eu raison de conclure que la politique était nulle; il aurait pu, tout au plus, renvoyer l'affaire au ministre en vue d'un nouvel examen et de l'adoption d'une formule différente. C'est uniquement dans le rare cas où un élément d'une politique est à ce point inapproprié et contraire à l'intérêt public, par exemple parce qu'il subordonne l'attribution d'un quota à la couleur de la peau du pêcheur, qu'un tribunal peut prendre sur lui de retrancher cet élément de la formule.

Enfin, même si le juge de première instance n'avait pas commis d'erreur en statuant qu'une partie de la formule était illégale, il ne pouvait pas agir comme il l'a fait en étendant son jugement déclaratoire portant illégalité à toutes les décisions prises par les ministres après la mise en œuvre initiale des quotas. La politique contestée en l'espèce était la politique-pilote adoptée par le ministre en 1990. Les politiques successivement adoptées par la suite par des ministres qui n'ont même pas été constitués parties à l'instance n'étaient pas en litige et aucune preuve n'a été produite quant au processus qui a donné lieu à leur adoption. Qui plus est, de nouvelles dispositions réglementaires sont entrées en vigueur en 1993 et la légalité des mesures prises par le ministre aurait forcément dû être examinée dans le contexte des changements qui, pourrait-on soutenir, ont découlé de ces dispositions.

Je suis d'avis d'accueillir l'appel, de rejeter les actions intentées dans les dossiers T-554-91 et T-974-91, et d'accorder aux appelants leurs dépens dans toutes les cours.

Le juge Pratte, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 [1997] 1 C.F. 874 (1re inst.), à la p. 891.

2 [1982] 2 R.C.S. 2.

3 [1994] 2 C.F. 247 (C.A.).

4 L.R.C. (1985), ch. F-14, telle qu'elle était libellée en 1990.

5 Voir Assoc. canadienne des importateurs réglementés, précité, note 3, à la p. 249.

6 [1987] 2 C.F. 93 (C.A.), à la p. 106, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [1987] 1 R.C.S. viii.

7 [1997] 1 R.C.S. 12, aux p. 25 et 26.

8 L.R.C. (1985), ch. F-15.

9 DORS/84-337, art. 6(1) (édicté par DORS/84-351, art. 2).

10 Précité, note 3, à la p. 260.

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