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T-2358-95

Chef et Conseil de la bande indienne de Shubenacadie (requérant)

c.

Commission canadienne des droits de la personne, Darlene MacNutt, Lolita Knockwood, John B. Pictou fils et procureur général du Canada, représentant le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimés)

Répertorié: Bande indienne de Shubenacadiec. Canada (Commission des droits de la personne)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Rothstein"Halifax, 20 août; Calgary, 30 octobre 1997.

Peuples autochtones Le Conseil de la bande indienne de Shubenacadie administre un programme de bien-être social financé par le gouvernement fédéralIl refuse de verser des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens de membres de la bande demeurant dans la réserveLe TCDP a conclu que le conseil de bande avait exercé une discrimination fondée sur la race et l'état matrimonialOn ne peut dire que l'art. 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne enlève du champ de la Loi toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennesIl ne protège que les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et son RèglementLa préservation des traditions, de la culture et des langues de la bande ne justifie pas la discriminationLe droit d'administrer un programme d'aide sociale financé par le gouvernement fédéral trouve sa source dans l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser et non dans les droits des Autochtones issus de traités.

Droits de la personne Le tribunal des droits de la personne a conclu que le conseil de bande avait exercé une discrimination fondée sur la race et l'état matrimonialLe conseil de bande refuse de verser des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens de membres de la bande demeurant dans la réserveLa politique du conseil de bande autorise tous les conjoints non indiens à demeurer dans la réserveL'aide sociale ne peut être reçue d'autres sourcesLes conjoints non indiens, dans le contexte de l'art. 5 de la LCDP, font partie dupublicà qui des services d'aide sociale sont destinés dans la réserveL'art. 67 de la Loi ne prive pas le tribunal de sa compétenceAbsence de motif justifiable de discrimination.

Droit constitutionnel Partage des pouvoirs L'aide sociale fournie aux conjoints non indiens trouve sa source dans le pouvoir fédéral de dépenserLe pouvoir fédéral de dépenser figure parmi les compétences législatives du Parlement prévues à l'art. 2 de la LCDPLe Tribunal des droits de la personne neréglementepas une matière de compétence provinciale parce qu'il a le pouvoir de statuer sur la manière dont le conseil de bande distribue les fonds d'aide socialeLe conseil de bande est un organisme administratif établi en vertu de la Loi sur les Indiens et soumis à la LCDPLa Loi sur les Indiens ne donne pas au conseil de bande le pouvoir de prendre des décisions en matière d'admissibilité à l'aide sociale.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal des droits de la personne sur la question de savoir si les conjoints non indiens de membres d'une bande vivant dans une réserve indienne en Nouvelle-Écosse étaient admissibles à des prestations d'aide sociale. Deux des trois plaignants (intimés), qui sont des Indiens inscrits, ont demandé des prestations d'aide sociale au conseil de la bande indienne de Shubenacadie, qui administre un programme de bien-être social financé par le gouvernement fédéral, et dans leur demande, ils ont inclus leurs conjoints non indiens à titre de personnes à charge. La troisième plaignante est une non-Indienne mariée à un Indien qui a également demandé au conseil de bande des prestations d'aide sociale pour lui-même et pour son épouse à titre de personne à charge. Avant avril 1992, le conseil de bande versait des prestations d'aide sociale aux épouses non indiennes, mais depuis lors, il refuse de verser des prestations à tous les non-Indiens demeurant dans la réserve, et ce, pour éviter toute plainte pour discrimination fondée sur le sexe. Le Tribunal a conclu que le requérant avait exercé une discrimination fondée sur la race et l'état matrimonial contre les trois plaignants. Cependant, cette affaire ne concerne pas une discrimination fondée sur l'état matrimonial ou sur le sexe, mais seulement une discrimination fondée sur la race. Trois principales questions litigieuses ont été soulevées: 1) les trois plaignants sont-ils des membres du "public" admissibles au programme d'aide sociale?; 2) l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne soustrait-elle au contrôle en matière de droits de la personne les décisions du conseil de bande touchant l'admissibilité à l'aide sociale?; 3) la préservation des traditions, de la culture et des langues de la bande justifie-t-elle la discrimination?

Jugement: la demande doit être rejetée.

1) L'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit aux fournisseurs de services destinés au public d'exercer une discrimination. En vertu du paragraphe 3.01(2) des lignes directrices, politiques et procédures des services communautaires autochtones, des prestations d'aide sociale peuvent être versées à des catégories particulières de non-Indiens autorisés à résider dans une réserve en vertu de la politique de la bande se rapportant au statut de résident, pour autant qu'une aide semblable ne soit pas reçue d'autres sources. En conséquence, les non-Indiens qui résident dans la réserve ne sont pas tous admissibles à l'aide sociale. Le conseil de bande n'avait aucune politique interdisant aux conjoints non indiens de sexe masculin de demeurer dans la réserve. Il n'y avait pas non plus de politique interdisant aux conjoints non indiens de sexe féminin de demeurer dans la réserve. La politique du conseil de bande admet une seule interprétation: le droit des conjoints non indiens de sexe féminin de demeurer dans la réserve doit aussi être accordé aux conjoints non indiens de sexe masculin. Les intimés avaient demandé des prestations d'aide sociale à la province ou à la municipalité ou encore s'étaient renseignés sur cette question, mais on les a informés qu'ils n'étaient pas admissibles à une telle aide. Une aide sociale ne pouvait être obtenue par eux d'autres sources, et les conjoints non indiens demeurant dans la réserve font partie des catégories particulières de non-Indiens reconnues par le paragraphe 3.01(2) des lignes directrices. Vu que le conseil de bande autorisait les conjoints non indiens à demeurer dans la réserve conformément à la politique de la bande, et puisqu'une aide sociale ne peut être obtenue d'autres sources, ces conjoints doivent, dans le contexte de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, être considérés comme partie du "public" à qui des services d'aide sociale sont destinés dans la réserve. Le mot "peuvent", à l'article 3.01 des lignes directrices, ne donne pas au conseil de bande le pouvoir discrétionnaire de refuser des prestations d'aide sociale aux membres de la bande ou aux non-Indiens qui par ailleurs, selon des "critères objectifs", sont admissibles à des prestations d'aide sociale.

2) La décision du requérant de ne pas verser de prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens n'est pas visée par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que la décision a été prise en vertu d'une disposition de la Loi sur les Indiens. On ne peut pas dire que l'article 67 enlève du champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes dans la mesure où elles sont prises en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens. Il protège les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et par son Règlement, mais non toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes.

3) L'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est la disposition qui concerne le motif justifiable. Le tribunal avait le droit de conclure que la décision de refuser des prestations d'aide sociale aux conjoints non autochtones n'a pas été prise de bonne foi, la bonne foi étant un élément essentiel pour établir l'existence d'un motif justifiable. La Cour doit faire preuve de réserve à l'égard de cet aspect des conclusions du tribunal. Le conseil de bande versait d'ailleurs des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens de sexe féminin avant 1992, ce qui ne concorde pas avec les justifications fournies par le conseil de bande et laisse croire qu'elles ne sont pas sincères. Quant à la norme de preuve, la jurisprudence fait apparaître clairement que la norme civile de la preuve, c'est-à-dire la probabilité la plus forte, est la norme à appliquer pour établir l'existence d'un motif justifiable. Même si un motif justifiable ne requiert pas nécessairement la preuve la plus solide possible, il demeure nécessaire de prouver la nécessité de la règle discriminatoire au moyen d'une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert.

Un certain nombre d'arguments, qui n'ont pas été invoqués devant le tribunal des droits de la personne, ont été développés pour la première fois durant le présent contrôle judiciaire. L'un de ces arguments était que, dans une procédure de contrôle judiciaire, la Cour n'a pas compétence pour aborder des aspects non soulevés devant le tribunal. La Cour a conclu qu'il était opportun d'examiner les nouveaux arguments soulevés par le requérant en ce qui concerne la compétence. Premièrement, la Cour devait se demander si le Parlement avait le pouvoir d'aménager l'aide sociale en question. Le programme d'aide sociale à l'égard duquel a été prise la décision se rapportant aux conjoints non indiens trouve sa source dans l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser. Des sommes ont été affectées par le Parlement, inscrites dans le budget du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, puis attribuées au conseil de bande pour qu'il les distribue en conformité avec les ententes annuelles de financement. Le pouvoir fédéral de dépenser figure parmi les compétences législatives du Parlement, même lorsqu'il est exercé dans des matières de compétence provinciale, et il n'équivaut pas à une réglementation. Le conseil de bande est un organisme administratif établi par le législateur fédéral en vertu de la Loi sur les Indiens et il est soumis à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Deuxièmement, les articles 15 et 25 de la Charte, que le requérant a invoqués, ne s'appliquent pas. L'article 25 ne s'applique pas de façon autonome, mais tient lieu de bouclier qui protège les droits des Autochtones, qu'ils soient ancestraux, issus de traités ou autres, contre les conséquences négatives possibles de la Charte. La présente affaire ne fait pas intervenir l'article 15 de la Charte ni une autre disposition de ce texte. Il s'agit plutôt d'une contestation qui concerne l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le droit d'appliquer un programme d'aide sociale financé par le gouvernement fédéral ne dérive pas d'un quelconque traité autochtone ou d'un droit ou d'une liberté propre aux peuples autochtones du Canada. La Charte ne saurait conférer aux décisions des conseils de bande une immunité générale en les soustrayant à la procédure de contrôle des droits de la personne. Troisièmement, l'argument du requérant selon lequel le programme d'aide sociale constitue une mesure de promotion sociale au sens de l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne pouvait être soulevé pour la première fois dans une procédure de contrôle judiciaire. De toute façon, le refus de verser des prestations d'aide sociale aux intimés n'est pas légitimé par cette disposition.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15, 25.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 5, 15, 16, 40(2),(4) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 62), 67.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 63(2).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 28, 30.

Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 950.

jurisprudence

décisions appliquées:

Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; (1993), 102 D.L.R. (4th) 665; 79 B.C.L.R. (2d) 273; 13 Admin. L.R. (2d) 141; 26 B.C.A.C. 241; 18 C.H.R.R. D/310; 152 N.R. 99; 44 W.A.C. 241; Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391; (1990), 34 C.C.E.L. 179; 91 CLLC 17,011 (C.A.); Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; (1981), 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161.

distinction faite avec:

Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail et al. (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.); Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233; (1989), 58 D.L.R. (4th) 475; 37 Admin. L.R. 59; 96 N.R. 34 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.).

décision examinée:

Desjarlais (Re), [1989] 3 C.F. 605; (1989), 12 C.H.R.R. D/466; [1990] 1 C.N.L.R. 39; 102 N.R. 71 (C.A.).

décisions citées:

Saskatchewan Human Rights Commission v. Saskatchewan (Department of Social Services) (1988), 52 D.L.R. (4th) 253; [1988] 5 W.W.R. 446; 9 C.H.R.R. D/5181 (C.A. Sask.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Large c. Stratford (Ville), [1995] 3 R.C.S. 733; (1995) 128 D.L.R. (4th) 193; 14 C.C.E.L. (2d) 177; 95 CLLC 230-033; 24 C.H.R.R. D/11; 188 N.R. 124; 86 O.A.C. 81; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996), 140 D.L.R. (4th) 193; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Succession Woodward (Exécuteurs testamentaires) v. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120; (1972), 27 D.L.R. (3d) 608; [1972] 5 W.W.R. 581; [1972] C.T.C. 385; Barron v. Foothills No. 31 and Alberta (1984), 57 A.R. 71; [1985] 2 W.W.R. 711; 36 Alta. L.R. (2d) 27; 10 Admin. L.R. 229; 28 M.P.L.R. 235 (C.A.); Rosenfeld and College of Physicians and Surgeons, Re, [1970] 2 O.R. 438; (1970), 11 D.L.R. (3d) 148 (H.C.); Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 142 D.L.R. (4th) 122; 206 N.R. 85 (C.A.F.); Ardoch Algonquin First Nation v. Ontario (1997), 148 D.L.R. (4th) 126 (C.A. Ont.); Ontario Human Rights Commission v. Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 387; 117 D.L.R. (4th) 297; 94 CLLC 17,030; 73 O.A.C. 20 (C.A.).

doctrine

Hogg, Peter. Constitutional Law of Canada, 3rd ed., Scarborough: Carswell, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal des droits de la personne ([1995] D.C.D.P. no 14 (QL)) selon laquelle le requérant a exercé contre les particuliers intimés une discrimination fondée sur la race et l'état matrimonial, contrevenant ainsi à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Demande rejetée.

avocats:

Bruce H. Wildsmith, c.r., pour le requérant.

Margaret Rose Jamieson, pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.

Michael F. Donovan, pour le procureur général du Canada, intimé.

procureurs:

Bruce H. Wildsmith, c.r., Barss Corner (Nouvelle-Écosse), pour le requérant.

Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.

Le sous-procureur général du Canada, pour le procureur général du Canada, intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Rothstein: Le requérant demande le contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal des droits de la personne, en date du 11 octobre 1995 [[1995] D.C.D.P. no 14 (QL)], dans laquelle le tribunal était arrivé à la conclusion que le requérant avait exercé une discrimination fondée sur la race et l'état matrimonial contre les trois plaignants nommés dans l'intitulé1. Il s'agit de savoir si les conjoints non indiens de membres indiens de la bande indienne Shubenacadie vivant dans la réserve indienne Shubenacadie, en Nouvelle-Écosse, sont admissibles à des prestations d'aide sociale2.

Les faits sont simples. Tous les réclamants vivent dans la réserve indienne Shubenacadie, en Nouvelle-Écosse. Les intimés Darlene MacNutt et John B. Pictou fils sont des Indiens inscrits. Ils ont demandé des prestations d'aide sociale au conseil de bande, qui administre un programme de bien-être social financé par le gouvernement fédéral, et dans leur demande ils ont inclus leurs conjoints, Gordon MacNutt et Christine Pictou, respectivement, à titre de personnes à charge. Lesdits conjoints ne sont pas des Indiens. L'intimée Lolita Knockwood est une non-Indienne, épouse de Garfield Knockwood, un Indien. Garfield Knockwood a demandé au conseil de bande des prestations d'aide sociale, pour lui-même et pour son épouse à titre de personne à charge.

Avant avril 1992, le conseil de bande versait des prestations d'aide sociale aux épouses non indiennes, et jusqu'alors des prestations avaient été payées aux deux femmes intimées. À compter d'avril 1992, le conseil de bande a refusé de verser des prestations à tous les non-Indiens demeurant dans la réserve. Par ce changement, on voulait éviter toute plainte pour discrimination fondée sur le sexe.

Des demandes furent présentées à la Commission canadienne des droits de la personne, dans lesquelles on affirmait que le chef et le conseil exerçaient une discrimination fondée sur le sexe, la race et l'état matrimonial. Un tribunal des droits de la personne jugea que les plaintes étaient justifiées et accorda réparation. Le requérant demande aujourd'hui le contrôle judiciaire de cette décision.

J'observe que cette affaire ne concerne pas vraiment une discrimination fondée sur l'état matrimonial ou sur le sexe. La discrimination fondée sur le sexe se rapporte aux distinctions entre personnes de sexe masculin et personnes de sexe féminin. Avant 1992, le conseil de bande refusait bien de verser des prestations aux hommes non indiens demeurant dans la réserve, mais la pratique consistant à traiter différemment les conjoints non indiens en fonction de leur sexe a cessé et n'est pas en litige dans le présent contrôle judiciaire. La discrimination fondée sur l'état matrimonial concerne en général quant à elle les distinctions entre personnes qui sont célibataires, celles qui sont mariées et celles qui vivent en union de fait. Cependant, toutes les personnes concernées par la présente affaire sont mariées et ne prétendent pas que d'autres, qu'il s'agisse de conjoints de fait ou de célibataires, sont traitées différemment pour ce qui est des prestations d'aide sociale. Le tribunal a examiné, outre la question de la race, celle de l'état matrimonial, mais la question véritable, et d'ailleurs la seule question débattue devant la Cour fédérale, a été la discrimination fondée sur la race. On le verra à la lecture des présents motifs.

I. POINTS EN LITIGE

Le tribunal a jugé que le refus du conseil de bande de verser des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens des membres de la bande contrevenait à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le requérant demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision du tribunal, sur le fondement des moyens suivants:

(1) les trois plaignants ne sont pas des membres du "public" admissibles à bénéficier du programme d'aide sociale;

(2) l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne soustrait au contrôle en matière de droits de la personne les décisions du conseil de bande touchant l'admissibilité à l'aide sociale;

(3) si la décision du conseil de bande est discriminatoire, alors la préservation des traditions, de la culture et des langues de la bande justifie la discrimination.

1. Les conjoints non-indiens font-ils partie de la notion de "public"?

L'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit aux fournisseurs de services destinés au public d'exercer une discrimination.

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public:

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

Le requérant soutient que les non-Indiens ne font pas partie du "public" admissible à l'aide sociale qui est fournie par l'entremise du conseil de bande. Par conséquent, le fait de refuser des prestations d'aide sociale aux non-Indiens ne constitue pas une discrimination. Puisque le public se compose ici d'Indiens membres de la bande Shubenacadie, le conseil de bande affirme qu'il n'y a pas eu refus de prestations à l'égard d'un membre quelconque de ce groupe.

La marche à suivre pour définir ce qu'il faut entendre par "public" a été décrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Université de la Colombie-Britannique c. Berg , [1993] 2 R.C.S. 353, à la page 383 (le juge en chef Lamer):

Je rejetterais donc toute définition du mot "public" qui refuse de reconnaître qu'un logement, des services ou des installations ne seront toujours offerts qu'à un sous-ensemble du public. Les étudiants admis à une université ou à une école au sein de l'université, ou les personnes qui passent des contrats d'assurance avec un assureur public, ou les gens qui ouvrent des comptes dans des institutions financières deviennent le "public" en ce qui concerne ces services. Chaque service a son propre public et, une fois que ce "public" a été défini au moyen de critères d'admissibilité, la Loi interdit d'établir des distinctions au sein de ce public.

Et à la page 384:

Les critères d'admissibilité, pourvu qu'ils ne soient pas discriminatoires, font nécessairement partie de la plupart des services, en ce sens qu'ils garantissent que les services sont offerts seulement aux bénéficiaires qu'ils visent, c.-à-d. leur "public", évitant ainsi l'utilisation abusive et l'épuisement inutile de ressources rares. Les avantages de tels outils de sélection, cependant, ne devraient pas être acquis au prix de l'exclusion de la protection des lois en matière de droits de la personne.

Cela ne veut pas dire que toutes les activités d'un fournisseur de logement, de services ou d'installations sont nécessairement assujetties à un examen fondé sur la Loi uniquement parce que certaines le sont.

. . . pour déterminer quelles activités de l'École sont visées par la Loi, on doit avoir recours à une méthode fondée sur des principes qui tienne compte de la relation que les services ou les installations particuliers créent entre le fournisseur de services ou d'installations et l'usager des services ou des installations. Certains services ou installations créeront des relations publiques entre les représentants de l'École et ses étudiants, tandis que d'autres services ou installations pourront établir seulement des relations privées entre les mêmes individus. [Souligné dans l'original.]

Et à la page 386:

L'idée de définir un "groupe client" pour des services ou des installations particuliers fait porter l'enquête sur les facteurs appropriés de la nature du logement, des services ou des installations et sur la relation qu'ils établissent entre le fournisseur de logement, de services ou d'installations et l'usager du logement, des services ou des installations, et elle permet d'éviter les résultats anormaux d'une méthode purement numérique de définition du public. Selon la méthode relationnelle, il peut s'avérer que le "public" comprend un très grand nombre ou un très petit nombre de personnes.

Je résumerais la démarche de la façon suivante:

(1) Le mot "public" ne s'entend pas du public au sens large. Il s'agit d'un sous-ensemble du public, défini au moyen de critères non discriminatoires d'admissibilité.

(2) Le mot "public" s'entend des personnes qui bénéficient d'une "relation publique" avec le fournisseur de services. Une fois défini le sous-ensemble opportun du public, la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit les distinctions à l'intérieur de ce sous-ensemble.

(3) Dans l'arrêt Berg, la Cour est arrivée à la conclusion qu'il existe une relation publique lorsqu'une université financée par des fonds publics met ses installations et ressources à la disposition de tous ceux qui ont été admis comme étudiants.

En l'espèce, le gouvernement du Canada et la bande indienne Shubenacadie ont conclu des ententes annuelles prévoyant que le gouvernement verserait des crédits à l'intention des bénéficiaires de l'aide sociale demeurant dans la réserve et qu'il appartiendrait au conseil de bande d'administrer le programme d'aide sociale en conformité avec les dispositions de l'entente. Les ententes annuelles étaient conclues entre, d'une part, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, et, d'autre part, la bande, représentée par le conseil de bande. Je me référerai à l'entente de 1992-1993, représentative à mon avis de toutes les années qui nous intéressent, sauf lorsqu'une disposition sera formulée différemment dans l'entente d'une autre année. L'article 1 de l'entente est rédigé en partie ainsi:

1. L'objet du présent arrangement est de décrire les responsabilités et obligations du Ministère et de la Première Nation.

L'article 2 prévoit que les prestations doivent être versées par la bande en conformité avec le Guide d'administration du programme. Le Guide d'administration du programme mentionne ce qui suit:

[traduction] La Première Nation s'engage à administrer les fonds d'aide sociale de manière à satisfaire aux besoins fondamentaux, aux besoins spéciaux et aux services requis en conformité avec les normes décrites dans le Manuel d'aide sociale des Premières Nations pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse3, manuel qui pourra à l'occasion être modifié.

L'article 3.01 des lignes directrices précise les personnes qui peuvent recevoir des prestations d'aide sociale:

3.01 Des prestations d'aide sociale peuvent être versées:

(1) aux Indiens inscrits demeurant dans des réserves ou sur des terres dont le titre est dévolu à Sa Majesté la Reine du chef du Canada;

(2) à des catégories particulières de non-Indiens autorisés à résider dans une réserve en vertu de la politique de la bande se rapportant au statut de résident, pour autant qu'une aide semblable ne soit pas reçue d'autres sources, c'est-à-dire:

(a) aux personnes qui ont déjà eu le statut d'Indien et qui retournent dans les réserves à cause d'un abandon ou d'un divorce ou à cause du décès de leurs conjoints ou de leurs parents, ou pour d'autres raisons (se référer au projet de loi C-31);

(b) aux personnes qui soit vivent avec leur mère, soit sont sous la garde d'amis ou de parents dans une réserve;

(c) aux enfants non inscrits de familles indiennes;

(d) aux enfants qui sont arrêtés dans une réserve et dont le lieu de résidence ne peut être rattaché à une collectivité, si ce n'est la réserve;

(e) aux autres non-Indiens qui résident dans la réserve conformément à la politique de la bande.

L'article 3.01 définit le public admissible au programme d'aide sociale. Il est significatif que les exemples énumérés au paragraphe 3.01(2) sont des exemples seulement et non des conditions qui doivent être strictement remplies avant qu'il n'existe un droit à l'aide sociale. Les conditions d'admissibilité obligatoires se trouvent dans la partie principale du paragraphe 3.01(2):

(1) que les catégories particulières de non-Indiens soient autorisées à résider dans la réserve en vertu de la politique de la bande; et

(2) qu'une aide sociale ne soit pas reçue d'autres sources.

On peut voir d'emblée que les non-Indiens qui résident dans la réserve ne seront pas tous admissibles à l'aide sociale. Les catégories énumérées comme exemples au paragraphe 2 semblent se rapporter aux non-Indiens qui ont des relations personnelles (par opposition à des relations d'affaires) avec la bande ou les membres de la bande. Ainsi, il ne semble pas que les non-Indiens qui sont locataires d'un bien-fonds dans une réserve ou qui sont simplement des employés de la bande puissent bénéficier d'une aide sociale. L'exemple qui se rapproche le plus des faits de la présente affaire est l'alinéa (e): "[les] autres non-Indiens qui résident dans la réserve conformément à la politique de la bande".

(i) La politique de la bande concernant le statut de résident

On ne m'a signalé l'existence d'aucune politique explicite de la bande portant sur le droit des conjoints non indiens de membres de la bande de résider dans la réserve. Cependant, il appert qu'en l'espèce, les conjoints non indiens résident dans la réserve depuis plusieurs années: Gordon MacNutt depuis 1980 (il s'est marié avec Darlene MacNutt le 24 avril 1987), Christine Pictou, depuis juillet 1990 (elle s'est mariée avec John B. Pictou le 29 juillet 1990) et Lolita Knockwood, depuis mars 1985 (elle s'est mariée avec Garfield Knockwood le 24 août 1985). Le tribunal a jugé que "la bande avait une politique tacite (ou peut-être une politique par défaut)" qui autorisait ces personnes, et d'autres conjoints non indiens, à résider dans la réserve4 .

Cependant, le conseil de bande semble avoir cherché à limiter le droit des non-Indiens de résider dans la réserve en adoptant, conformément à l'article 30 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, un règlement administratif sur la violation du droit de propriété. Selon ce règlement, les visiteurs ne pouvaient séjourner dans des logements appartenant à la bande que pour une durée de deux semaines pendant chaque période de douze mois, et le règlement prévoyait une amende de 100 $ en cas d'infraction. Le règlement administratif fut désavoué par le ministre parce que, selon lui, il ne s'appliquait qu'aux personnes séjournant dans des logements de la bande et que les amendes prévues étaient supérieures à celles qu'autorisait l'article 30 de la Loi sur les Indiens. Le ministre était aussi d'avis que le conseil de bande ne pouvait engager une action pour entrée non autorisée contre l'invité d'un membre de la bande qui occupe légalement un logement dans la réserve. Le ministre a informé le conseil de bande que, si le conseil avait voulu instituer une politique d'exclusion des non-Indiens, il aurait pu employer pour cela les moyens à sa disposition5. On ne saurait dire que la tentative avortée d'adopter le règlement administratif sur la violation du droit de propriété équivaut à une politique d'exclusion, puisque le règlement a été désavoué par le ministre et que le conseil de bande n'a jamais donné suite aux conseils du ministre à propos de l'adoption d'un règlement administratif valide.

Le conseil de bande a aussi tenté d'expulser de la réserve M. MacNutt, le seul conjoint non indien de sexe masculin concerné par la présente instance. Le tribunal a estimé que le conseil de bande avait employé des tactiques de harcèlement contre la famille MacNutt pour contraindre M. MacNutt de partir. Le tribunal ne s'est pas demandé si les moyens employés pour expulser M. MacNutt s'inscrivaient dans une politique visant à interdire aux conjoints non indiens de sexe masculin de résider dans la réserve6.

À mon avis cependant, la bande n'avait aucune politique interdisant aux conjoints non indiens de sexe masculin de demeurer dans la réserve. Puisque le conseil de bande n'interdisait pas aux conjoints non indiens de sexe féminin de demeurer dans la réserve, les moyens pris par lui pour expulser M. MacNutt constituaient une discrimination fondée sur le sexe. Une politique discriminatoire serait évidemment invalide. La seule conclusion possible est que la politique du conseil de bande consistant à autoriser les conjoints non indiens de sexe féminin à demeurer dans la réserve doit s'appliquer aux conjoints non indiens de sexe masculin. Par conséquent, la politique du conseil de bande admet une seule interprétation: tous les conjoints non indiens sont autorisés à demeurer dans la réserve.

(ii) Une aide sociale pouvait-elle être obtenue d'autres sources?

On a prouvé devant le tribunal que, conformément à des directives non écrites de la Nouvelle-Écosse et de la municipalité de East Hants, les conjoints non indiens demeurant dans la réserve ne pouvaient recevoir de prestations. Gordon MacNutt avait demandé des prestations à la municipalité de East Hants, mais elles lui ont été refusées. Knockwood et Pictou s'étaient renseignés par téléphone, mais on les a informés qu'ils n'étaient pas admissibles à une aide provinciale. La jurisprudence ne permet pas de dire si c'est le gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral qui est juridiquement tenu de fournir une aide sociale aux non-Indiens demeurant dans une réserve avec leurs conjoints indiens. Cependant, je ne crois pas que le paragraphe 3.01(2) oblige ces non-Indiens à engager, sans succès, des procédures judiciaires faisant intervenir des questions constitutionnelles complexes, dans le dessein d'établir qu'ils ne peuvent recevoir une aide sociale de la province ou de la municipalité. Il suffit qu'ils aient présenté des demandes en ce sens et qu'elles aient été refusées. Je suis convaincu qu'une aide sociale ne pouvait être obtenue par eux d'autres sources et que les conjoints non indiens demeurant dans la réserve font partie des catégories particulières de non-Indiens reconnues par le paragraphe 3.01(2) des lignes directrices.

En résumé, l'article 3.01 des lignes directrices prévoit des critères d'admissibilité qui définissent les catégories de personnes fondées à recevoir des prestations d'aide sociale du conseil de bande. Le rôle du gouvernement fédéral, l'utilisation de fonds publics et la qualification de l'aide sociale comme service public (voir l'arrêt Saskatchewan Human Rights Commission v. Saskatchewan (Department of Social Services) (1988), 52 D.L.R. (4th) 253 (C.A. Sask.)) attestent l'existence d'une relation publique entre les conjoints non indiens dont il s'agit ici et le conseil de bande. Eu égard au fait que le conseil de bande a autorisé ces non-Indiens à demeurer dans la réserve conformément à la politique de la bande, et puisqu'une aide sociale ne peut être obtenue d'autres sources, ces conjoints non indiens doivent, dans le contexte de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, être considérés comme partie du "public" à qui des services d'aide sociale sont destinés dans la réserve.

(iii) Autres arguments portant sur la notion de "public"

Les arguments contraires des requérants ne sont pas convaincants. D'abord, même s'il est vrai que le texte renfermant le paragraphe 3.01(2) est une ligne directrice, le lien entre cette ligne directrice et l'entente a pour effet d'incorporer par référence la ligne directrice dans l'entente, et les dispositions de la ligne directrice sont, à toutes fins utiles, des dispositions contractuelles.

Ensuite, même si l'article 2.07 donne au mot "personne" le sens de "Indien inscrit", cette définition ne supplante pas le paragraphe 3.01(2), ni l'article 1.02, dont voici un extrait:

1.02 Le Programme d'aide sociale pour les bandes de la Nouvelle-Écosse et le ministère des Affaires indiennes et du Nord s'adresse en premier lieu aux Indiens . . . [Non souligné dans l'original.]

De plus, le mot "peuvent" de l'article 3.01, un mot qui confère un pouvoir d'appréciation, ne vient pas en aide au requérant. Les mots pertinents sont: "Des prestations d'aide sociale peuvent être versées". La bande doit être libre de dire si un candidat est admissible à des prestations. Le paragraphe 3.03(1) est rédigé ainsi:

3.03 Conditions d'admissibilité

(1) Chaque candidat doit remplir une formule de demande, ainsi qu'une formule de communication de renseignements. C'est le besoin, et non la cause du besoin, qui sera le critère principal d'admissibilité. L'admissibilité sera évaluée en fonction de critères objectifs plutôt qu'en fonction de jugements de valeur consistant à dire qui mérite une aide et qui ne la mérite pas.

Cependant, pour qu'on puisse établir son admissibilité, le candidat doit d'abord être disposé à fournir les renseignements de base demandés dans la formule de demande. L'administrateur du développement social saura alors si le candidat répond ou non aux conditions de résidence, à celles du statut d'Indien et à d'autres éléments qui sont essentiels pour déterminer le montant de l'aide auquel le candidat pourrait avoir droit. [Non souligné dans l'original.]

Par conséquent, si une formule de demande n'est pas remplie ou si les renseignements de base montrent que le candidat ne répond pas à d'autres conditions d'admissibilité, alors des prestations d'aide sociale ne pourront être versées au candidat. En d'autres termes, le simple fait pour une personne de répondre aux critères de l'article 3.01 ne lui donne pas droit à des prestations. L'article 3.01 ne constitue qu'un schéma de présélection. On comprend alors pourquoi le mot "peuvent" y est employé. Selon moi, le mot "peuvent", à l'article 3.01, ne donne pas au conseil de bande le pouvoir discrétionnaire de refuser des prestations aux membres de la bande ou aux non-Indiens qui par ailleurs, selon des "critères objectifs", sont admissibles à des prestations.

Ensuite, le requérant invoque l'article 1.10 des lignes directrices, qui assigne au conseil de bande l'administration et l'interprétation des lignes directrices:

1.10 Le conseil de bande est chargé de l'administration et de l'interprétation des présentes lignes directrices et de faire l'évaluation des besoins du client. L'intégrité du programme ne souffre aucune ingérence de la part d'autres fonctionnaires.

L'avocat du requérant fait valoir que le pouvoir de la bande d'interpréter les lignes directrices donne au conseil de bande le droit de dire que le paragraphe 3.01(2) exclut tous les non-Indiens et plus particulièrement les conjoints non indiens des membres de la bande. Le pouvoir d'interprétation n'équivaut pas cependant à un pouvoir de modifier les dispositions des lignes directrices, et c'est ce que le conseil de bande prétend faire lorsqu'il exclut les conjoints non indiens alors que le paragraphe 3.01(2) les inclut. Selon l'entente passée entre la bande et le gouvernement, l'aide sociale devait être destinée à des catégories particulières de non-Indiens qui sont décrites au paragraphe 3.01(2), et les conjoints non indiens font partie de ces catégories.

Un autre argument du requérant se rapporte à l'article 28 de la Loi sur les Indiens, formulé ainsi:

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d'une bande est censé permettre à une personne, autre qu'un membre de cette bande, d'occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

(2) Le ministre peut, au moyen d'un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Le requérant soutient qu'une politique de la bande est régie par l'article 28 de la Loi sur les Indiens et que, sans un permis du ministre, les conjoints non indiens ne peuvent résider dans la réserve ou y exercer des droits. Par conséquent, aucune politique valide de la bande ne peut exister en l'espèce puisqu'aucun permis ministériel n'a été délivré pour les conjoints non indiens. Cependant, j'accepte l'argument invoqué par l'avocat du procureur général selon lequel l'article 28 porte sur des opérations commerciales concernant l'aliénation de terres ou de droits sur des terres situées dans la réserve. Cette interprétation s'appuie sur la mention des mots "acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature", au paragraphe 28(1). C'est là, je crois, l'interprétation qu'il faut donner de l'article 28. Cet article est sans rapport avec le cas des non-Indiens demeurant dans la réserve à titre de conjoints de membres de la bande.

La définition du public auquel sont destinées les prestations d'aide sociale est donnée par l'entente de financement conclue entre la bande et le gouvernement du Canada. Si le conseil de bande ne souhaitait pas se conformer aux conditions de l'entente, y compris celles du paragraphe 3.01(2), il était libre de ne pas conclure l'entente. Après qu'il l'a conclue, cependant, il est devenu lié par ses dispositions7. Pour les motifs exposés précédemment, j'arrive à la conclusion que les conjoints non- indiens vivant dans la réserve font partie du "public" dont parle l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prive-t-il le tribunal de sa compétence?

Le requérant soutient ensuite que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut s'appliquer en l'espèce à cause de l'article 67 de cette Loi. L'article 67 est formulé ainsi:

67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Dans l'arrêt Desjarlais (Re), [1989] 3 C.F. 605 (C.A.), on trouve une explication du genre de "dispositions" envisagées par l'article 67 (qui était alors le paragraphe 63(2)). Le juge Desjardins, J.C.A., s'exprime ainsi, aux pages 608 et 609:

. . . les termes —or any provision made under or pursuant to that Act— désignent-ils plus que les seules stipulations à caractère légal. J'interprète ces mots comme s'étendant à toutes les décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens.

Dans cette affaire, on s'interrogeait sur la manière dont les bandes indiennes pouvaient prendre des décisions de nature juridique: par règlement administratif, par résolution transmise au ministre, ou par application du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 950. Le juge Desjardins a estimé que, quelle que soit la manière dont la décision était prise, toute décision prise par un conseil de bande en vertu d'une disposition précise de la Loi sur les Indiens serait prise "en vertu de la Loi sur les Indiens". Cependant, un vote de non-confiance contre un employé d'une bande n'était "nulle part autorisé par la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou implicitement" et ne pouvait donc mettre en jeu l'exception prévue par l'article 67 (qui était alors le paragraphe 63(2)).

Le requérant affirme que sa décision de ne pas verser de prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens est prise en vertu de la Loi sur les Indiens et échappe donc à tout contrôle judiciaire exercé en conformité avec l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'avocat des requérants ne s'appuie sur aucune disposition précise de la Loi sur les Indiens, mais sur le fait que la décision a été prise en conformité avec le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens.

Je ne crois pas que la décision dont il s'agit en l'espèce soit une décision visée par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne fait aucun doute qu'une décision a été prise par le conseil de bande, et il se peut fort bien qu'elle ait été prise en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens, mais aucun élément de preuve ne laisse entendre que la décision a été prise en vertu d'une disposition de la Loi sur les Indiens. Indubitablement, l'article 67 reconnaît que certaines dispositions de la Loi sur les Indiens et de ses règlements peuvent être en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et, dans un tel cas, la Loi sur les Indiens et son Règlement auront préséance, mais je ne crois pas que l'on puisse dire que l'article 67 enlève du champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes dans la mesure où elles sont prises en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens. Si le législateur fédéral avait voulu soustraire toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes au contrôle de la Commission des droits de la personne, il l'aurait expressément prévu au lieu d'édicter l'article 67. L'article 67 protège les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et par son Règlement, mais non toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes. Je crois que cette conclusion s'accorde avec les remarques incidentes de l'arrêt Desjarlais (Re). L'article 67 ne vient donc pas en aide au requérant.

3.  Motif justifiable

Le requérant invoque ensuite l'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne"la disposition qui concerne le motif justifiable. L'alinéa 15g ) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est rédigé ainsi:

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:

. . .

g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

Le Tribunal des droits de la personne a examiné cet argument à la page 90 de sa décision [aux pages 138 et 139 de QL]:

Pour établir un moyen de défense fondé sur un motif justifiable, il faut prouver un élément subjectif (la bonne foi) et un élément objectif (se rapportant à la fourniture du service). (Arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202).

Le Tribunal n'est pas en mesure d'affirmer que la décision de priver de prestations les conjoints non autochtones a été prise avec la conviction sincère qu'il y allait de l'intérêt des personnes résidant dans la réserve, en particulier avant mai 1992. Si le Tribunal se trompe et que l'élément objectif doit être pris en considération, le Tribunal fait observer que l'avocat de l'intimé soutient que les témoignages du chef, de l'ex-chef et de membres du conseil attestent une inquiétude au sujet de l'homogénéité de la population des réserves et de la volonté des Premières Nations de préserver leur culture, leurs traditions et leur langue. Cet argument ne s'appuie pas sur la [traduction] "la meilleure preuve". En outre, rien n'indique que l'intimé ait tenté d'accommoder les conjoints non autochtones dans le cadre du programme de services sociaux offert dans la réserve. L'intimé doit prouver ces deux éléments pour établir l'élément objectif du moyen de défense du motif justifiable. [Renvois omis.]

En ce qui concerne la conclusion du tribunal selon laquelle la décision de refuser des prestations d'aide sociale aux conjoints non autochtones n'a pas été prise de bonne foi, la bonne foi étant un élément essentiel pour établir l'existence d'un motif justifiable, le tribunal avait le droit de tirer cette conclusion. La Cour doit faire preuve de réserve à l'égard de cet aspect des conclusions du tribunal (voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 578, le juge en chef Lamer). Le conseil de bande versait d'ailleurs des prestations aux conjoints non indiens de sexe féminin avant 1992, ce qui ne concorde pas avec les justifications fournies par le conseil de bande et laisse croire qu'elles ne sont pas sincères.

Quant à la conclusion du tribunal qui concerne la norme de preuve, la jurisprudence fait apparaître clairement que la norme civile de la preuve, c'est-à-dire la probabilité la plus forte, est la norme à appliquer pour établir l'existence d'un motif justifiable (voir l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208). Le juge Linden, J.C.A., explique la norme plus en détail dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.), à la page 409:

Il incombe à l'employeur d'établir que la règle ou la norme est une EPJ. Il ne suffit pas de s'appuyer sur des présomptions et sur le soi-disant bon sens; pour établir la nécessité de la règle discriminatoire, une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert est nécessaire pour l'établir suivant la prépondérance des probabilités. Sans cette exigence, la protection offerte par les lois en matière de droits de la personne serait effectivement vide de sens. Par conséquent, il est nécessaire, pour justifier une discrimination directe à première vue, de démontrer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'il était "raisonnablement nécessaire" de le faire, ce qui constitue à la fois un critère subjectif et objectif.

Donc, même si un motif justifiable ne requiert pas nécessairement la "preuve la plus solide possible", comme l'a estimé le tribunal, il demeure nécessaire de prouver la nécessité de la règle discriminatoire au moyen d'"une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert". Dans les arguments que j'ai entendus, les avocats ont à peine abordé la suffisance de la preuve du motif justifiable. Le tribunal n'a entendu aucune preuve d'expert expliquant pourquoi il était raisonnablement nécessaire de refuser des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens, et il semblerait que la preuve produite ressemblait davantage à des "présomptions", ce que le juge Linden, dans l'arrêt Rosin , a estimé insuffisant.

Finalement, contrairement aux motifs du tribunal, la question de l'accommodation ne se pose pas dans les cas de discrimination directe, ce dont il s'agit indubitablement ici. La règle discriminatoire doit tenir ou tomber par elle-même (voir l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 514 (le juge Wilson); et l'arrêt Large c. Stratford (Ville), [1995] 3 R.C.S. 733, aux pages 749 et 750 (le juge Sopinka). Le tribunal a peut-être commis une erreur dans sa manière de voir l'obligation d'accommodation. Cependant, l'absence d'une telle obligation n'invalide pas la décision du tribunal, laquelle trouve appui de toute façon sur sa conclusion se rapportant à l'élément "subjectif" du critère. Eu égard à la preuve produite, le tribunal avait le droit de dire qu'il n'y avait pas de motif justifiable.

II. NOUVEAUX ARGUMENTS

Les arguments produits en l'espèce sont complexes. Cette complexité trouve son origine dans le fait que plusieurs d'entre eux n'ont pas été invoqués devant le tribunal des droits de la personne et ont été développés pour la première fois durant le présent contrôle judiciaire. Les points qui n'ont pas été soulevés devant le tribunal et qui l'ont été ici pour la première fois sont les suivants:

(1) la plainte concerne-t-elle une matière qui relève de la compétence législative du Parlement?

(2) l'article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (ci-après la Charte) immunise-t-il la décision du conseil de bande?

(3) la décision de ne pas verser de prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens se justifie-t-elle à titre de mesure de promotion sociale autorisée par l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

L'avocat du procureur général a fait valoir que, dans une procédure de contrôle judiciaire, la Cour n'a pas compétence pour aborder des aspects non soulevés devant le tribunal8. Dans l'arrêt Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail et al. (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), le juge Décary, J.C.A., s'exprime ainsi, à la page 399:

. . . il nous semble que le requérant cherche à plaider devant nous l'invalidité de la clause 44.05 de la convention collective eu égard au paragraphe 57(1) du Code. Or cette question, même en admettant pour les fins du débat qu'elle eût pu être plaidée en l'espèce devant un arbitre et subséquemment devant le Conseil, ne l'a pas été et il est clairement établi que cette Cour, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, ne peut pas trancher une question qui n'a pas été soulevée devant le tribunal administratif (Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233; 96 N.R. 34, à la page 247 (C.F.)).

Le procureur général soutient aussi que, puisque le tribunal n'a pas compétence pour examiner au regard de la Charte les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 898), la Cour ne peut, elle non plus, dans l'examen de la décision du tribunal, statuer sur ces aspects (Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.), à la page 42; Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.), à la page 247, le juge Marceau, J.C.A.). Le procureur général affirme que, si le requérant avait eu l'intention de contester la validité de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il aurait fallu qu'il demande une ordonnance visant à empêcher le tribunal de siéger.

Je demeure sceptique sur l'argument selon lequel la Cour doit s'abstenir de revoir la décision d'un tribunal, même si cette décision excède la compétence conférée par la loi au tribunal ou est rendue en vertu d'une disposition attributive de compétence qui est inconstitutionnelle.

Dans l'arrêt Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, la Cour suprême du Canada a jugé qu'un tribunal administratif n'est pas mis à l'abri d'un contrôle judiciaire par ses erreurs de compétence. Voici les propos du juge en chef Laskin, à la page 2369:

. . . si le tribunal a excédé sa compétence dans une décision, cette dernière n'est pas une décision du tout, selon la loi qui définit les pouvoirs du tribunal, parce que le Parlement ne pouvait pas avoir l'intention de conférer à pareil tribunal le pouvoir d'étendre sa compétence légale au moyen d'une décision erronée quant à l'étendue de ses propres pouvoirs. [Non souligné dans l'original.]

Puisqu'une décision rendue par un tribunal administratif au-delà des limites de sa compétence "n'est pas une décision du tout", il semble paradoxal de dire que cette même "décision" puisse être à l'abri d'un contrôle judiciaire si la question de compétence n'est jamais soulevée, et si la compétence du tribunal ou la constitutionnalité de la loi organique de ce tribunal est présumée . Cela équivaut à dire que les parties à une procédure administrative peuvent, par renonciation ou acquiescement, conférer à un tribunal une compétence qui n'a pas été, ou n'a pu être, conférée par le Parlement et que cette attribution de compétence par les parties échappe à tout contrôle judiciaire après que la décision est rendue. Il n'est d'ailleurs pas difficile d'imaginer qu'un tribunal outrepassera les limites de sa compétence simplement pour ne pas avoir entendu les arguments concernant cet aspect.

Vus sous cet angle, les arrêts Toussaint, Poirier et Sirois de la Cour d'appel fédérale doivent être distingués de la présente espèce parce que les nouveaux arguments soulevés ici font intervenir des questions de compétence10. La Cour d'appel de l'Alberta et la Haute Cour de l'Ontario ont examiné ce point et jugé qu'une juridiction de contrôle peut prononcer sur une exception déclinatoire qui n'a jamais été alléguée devant le tribunal visé par cette exception (voir l'arrêt Barron v. Foothills No. 31 and Alberta (1984), 57 A.R. 71 (C.A.), à la page 76, et le jugement Rosenfeld and College of Physicians and Surgeons (Re), [1970] 2 O.R. 438 (H.C.)). Cette manière de considérer les questions de compétence est, à mon sens, davantage en harmonie avec le raisonnement suivi dans l'arrêt Crevier, et j'arrive à la conclusion qu'il est opportun d'examiner les nouveaux arguments de cette nature soulevés en l'espèce par le requérant.

Je ne dis pas qu'une juridiction de contrôle doit statuer sur toutes les questions de compétence. Certaines de ces questions dépendront d'éléments de preuve qui ne pouvaient être présentés que devant le tribunal et, dans d'autres cas, la partie intimée devra parfois produire des preuves en réponse au nouvel argument. Aucune des parties au présent litige n'a cependant évoqué la nécessité de preuves ne figurant pas déjà dans le dossier.

Le troisième argument invoqué par le requérant, l'argument selon lequel le programme d'aide sociale constitue une mesure de promotion sociale au sens de l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ne se rapporte en aucune façon à la compétence du tribunal. Pour les motifs donnés par la Cour d'appel dans les arrêts Poirier et Toussaint, cet argument ne peut être invoqué pour la première fois dans la présente demande de contrôle judiciaire.

1.  Partage des pouvoirs

L'avocat du requérant a fait valoir que, en vertu de l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un tribunal des droits de la personne est privé de tout pouvoir si l'objet de la plainte ne relève de la compétence législative du Parlement. L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est rédigé ainsi:

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur . . . [Non souligné dans l'original.]

La solution de cette question oblige la Cour à se demander si le Parlement a le pouvoir d'aménager l'aide sociale en question. Le requérant affirme que l'aide sociale est une matière de compétence provinciale, plus précisément au titre de la propriété et des droits civils, et que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut donc trouver application. L'avocat du requérant affirme aussi qu'un tribunal fédéral des droits de la personne dont un conseil de bande est censément justiciable et qui oblige ce conseil à verser des prestations d'aide sociale à des non-Indiens se trouve en réalité à régir une activité des bandes qui dépasse la compétence législative du Parlement du Canada.

L'avocat du procureur général a laissé entendre qu'une analyse de la catégorie 24 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 et 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] ("Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens") soulèverait davantage de questions qu'elle n'en réglerait, et il a recommandé que le régime d'aide sociale soit analysé sous l'angle du pouvoir fédéral de dépenser. Je partage cet avis. Le programme d'aide sociale à l'égard duquel a été prise la décision se rapportant aux conjoints non indiens trouve sa source dans un pouvoir de dépenser qu'a exercé le gouvernement du Canada. Des sommes ont été affectées par le Parlement, ont été inscrites dans le budget du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, puis ont été attribuées au conseil de bande pour qu'il les distribue en conformité avec les ententes annuelles de financement.

Le pouvoir fédéral de dépenser figure parmi les compétences législatives du Parlement, même lorsqu'il est exercé dans des matières de compétence provinciale, et il n'équivaut pas à une réglementation. Ce point de vue est exprimé clairement dans le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 567:

Suivant l'argument écrit avancé par le procureur général du Manitoba, la loi en cause [traduction] "revient à" réglementer un domaine qui ne relève pas de la compétence fédérale. Je ne partage pas cet avis. L'accord conclu en vertu du Régime établissait un système flexible de partage des coûts qui laissait à la Colombie-Britannique le soin de décider quels programmes elle mettrait sur pied et financerait. Le simple refus de verser des fonds fédéraux jusque-là accordés pour financer une matière relevant de la compétence provinciale ne revient pas à réglementer cette matière. [Non souligné dans l'original.]

Le professeur Peter Hogg décrit ainsi, quant à lui, le pouvoir de dépenser:

[traduction] Lorsque le gouvernement fédéral verse à une province une subvention inconditionnelle, la subvention est évidemment employée par la province à ses propres fins. Cela signifie que les fonds recueillis au moyen des impôts fédéraux finissent par être appliqués à des matières qui ne relèvent pas de la compétence législative fédérale . . . Si, de plus, ces fonds fédéraux sont versés à la condition que le programme s'accorde avec les exigences fédérales, alors lesdites exigences se trouveront à réglementer le programme bien que le programme échappe à la compétence législative fédérale. En fait, nombre des programmes à frais partagés ne relèvent pas de la compétence législative fédérale et sont pourtant appliqués en conformité avec des règles imposées par le gouvernement fédéral . . .

. . .

[Le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada] est une confirmation assez nette à la fois du pouvoir du Parlement fédéral d'autoriser le versement de subventions aux provinces en vue de leur utilisation dans des champs de compétence provinciale, et du pouvoir du gouvernement fédéral d'imposer des conditions aux provinces bénéficiaires. Pour autant que le Parlement se limite à verser des crédits ou à ne pas en verser, il n'y a pas d'empiétement inconstitutionnel sur les compétences provinciales11. [Non souligné dans l'original.]

J'arrive donc à la conclusion que les dépenses fédérales relèvent des compétences législatives fédérales, sans qu'il soit nécessaire de se demander si le versement de prestations d'aide sociale à des non-Indiens demeurant dans la réserve Shubenacadie sont du ressort des autorités fédérales ou du ressort des autorités provinciales. L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne trouve donc application.

Finalement, on ne saurait dire que le tribunal des droits de la personne "réglemente" une matière de compétence provinciale simplement parce qu'il a le pouvoir de statuer sur la manière dont le conseil de bande distribue les fonds d'aide sociale. Le conseil de bande est un organisme administratif établi par le législateur fédéral en vertu de la Loi sur les Indiens et il est donc soumis à la Loi canadienne sur les droits de la personne à moins que le législateur fédéral n'exprime une volonté contraire.

2.  Articles 15 et 25 de la Charte

Selon le requérant, l'article 15 de la Charte"la disposition qui concerne les droits à l'égalité"doit être considéré à travers le "prisme" de l'article 25, qui préserve les droits et libertés des peuples autochtones. Dans la mesure où l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'est pas interprété de la même façon, le requérant affirme qu'il est [traduction] "inconstitutionnel et doit être limité dans son champ d'application".

Le paragraphe 15(1) et l'article 25 de la Charte sont rédigés ainsi:

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

. . .

25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits et libertés" ancestraux, issus de traités ou autres"des peuples autochtones du Canada, notamment:

a) aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.

L'argument du requérant soulève plusieurs difficultés. D'abord, l'article 25 ne s'applique pas de façon autonome, mais tient lieu de bouclier qui protège les droits des Autochtones, qu'ils soient ancestraux, issus de traités ou autres, contre les conséquences négatives possibles de la Charte (Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 142 D.L.R. (4th) 122 (C.A.F.), à la page 135). Cependant, la présente affaire ne fait pas intervenir l'article 15 de la Charte ni une autre disposition de ce texte. Il s'agit plutôt d'une contestation qui concerne l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En tout état de cause, le requérant n'a pas prouvé l'existence d'un droit autochtone. Il soutient que le fait d'obliger le conseil de bande à verser des prestations d'aide sociale aux conjoints non indiens vivant dans la réserve porterait atteinte aux droits et libertés"ancestraux, issus de traités ou autres"des peuples autochtones. Les droits et libertés en question procéderaient soit de la Loi sur les Indiens , soit du droit fondamental des bandes indiennes de décider pour elles-mêmes.

Quant à la Loi sur les Indiens, le requérant affirme que la capacité du conseil de bande d'appliquer un programme d'aide sociale est "un droit ou une liberté" conféré ou reconnu par la Loi sur les Indiens. Il suffira de répondre que, dans la mesure où la décision d'un conseil de bande est autorisée par la Loi sur les Indiens, elle est protégée par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, pour les raisons que j'ai données lorsque j'ai abordé les arguments du requérant se rapportant à l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur les Indiens ne donne pas au conseil de bande le pouvoir de prendre des décisions en matière d'admissibilité à l'aide sociale.

L'argument subsidiaire du requérant est que si le conseil de bande n'a pas agi en s'autorisant de la Loi sur les Indiens, [traduction] il a dû agir en s'autorisant de son pouvoir naturel d'autonomie gouvernementale et de sa souveraineté résiduelle". Le requérant affirme que [traduction ] "ce pouvoir naturel ou cette souveraineté résiduelle constitue l'un des "droits ou libertés des peuples autochtones du Canada" qui sont préservés par l'article 25 de la Charte". Aucune preuve n'a été produite donnant à penser que le droit d'appliquer un programme d'aide sociale financé par le gouvernement fédéral dérive d'un quelconque traité autochtone ou d'un droit ou d'une liberté propre aux peuples autochtones du Canada.

Au reste, si l'argument du requérant était valide, toute décision prise par le conseil d'une bande indienne serait soustraite, par l'effet de l'article 25 de la Charte, à l'examen d'un tribunal des droits de la personne. L'avocat lui-même du requérant reconnaît que l'article 25 ne confère pas à un conseil de bande le droit général d'exercer une discrimination fondée par exemple sur une déficience physique. Cependant, il affirme que les décisions qui se rapportent à des particularités autochtones sont soustraites à l'examen d'un tribunal des droits de la personne. Je ne puis comprendre la distinction si l'argument est effectivement que la protection de telles décisions par l'article 25 procède soit de la création de la bande conformément à la Loi sur les Indiens, soit d'un pouvoir naturel. Si l'argument du requérant était juste, alors toutes les décisions discriminatoires du conseil de bande seraient à l'abri des procédures visant à faire respecter les droits de la personne, et cela pour le motif qu'elles procèdent de la Loi sur les Indiens ou d'un pouvoir naturel. La Charte ne saurait conférer aux décisions des conseils de bande une immunité générale en les soustrayant à la procédure de contrôle des droits de la personne.

3. Article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Le requérant semble soutenir que le programme d'aide sociale est un programme envisagé par l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que cette disposition autorise le conseil de bande à exclure de ce programme les non-Indiens. Je suis déjà arrivé à la conclusion que cet argument nouveau ne peut être soulevé pour la première fois dans une procédure de contrôle judiciaire. Cependant, puisque les deux parties l'ont invoqué, je ne crois pas qu'il soit mal à propos d'affirmer que, à mon avis, cet argument ne viendrait pas en aide au requérant. J'expliquerai brièvement mes motifs.

Le paragraphe 16(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est formulé ainsi:

16. (1) Ne constitue pas un acte discriminatoire le fait d'adopter ou de mettre en œuvre des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux destinés à supprimer, diminuer ou prévenir les désavantages que subit ou peut vraisemblablement subir un groupe d'individus pour des motifs fondés, directement ou indirectement, sur leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur âge, leur sexe, leur état matrimonial, leur situation de famille ou leur déficience en améliorant leurs chances d'emploi ou d'avancement ou en leur facilitant l'accès à des biens, à des services, à des installations ou à des moyens d'hébergement.

Si l'on suppose, sans plus, que le programme d'aide sociale est le genre de programme envisagé par le paragraphe 16(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, alors le fait d'exclure une personne ou un groupe de personnes du bénéfice d'un tel programme sera en général discriminatoire si cette personne ou ce groupe fait partie de la population pour laquelle le programme a été conçu et s'il n'existe pas de lien rationnel entre l'exclusion décrétée et les objectifs du programme (voir l'affaire Ardoch Algonquin First Nation v. Ontario (1997), 148 D.L.R. (4th) 126 (C.A. Ont.), aux pages 145 à 148; et l'arrêt Ontario Human Rights Commission v. Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 387 (C.A.)) (l'affaire Roberts), aux pages 428 et 429 (le juge Houlden) et aux pages 406 et 407 (le juge Weiler)).

L'avocat du requérant ne m'a pas convaincu que le refus de verser des prestations d'aide sociale aux intimés est légitimé par le paragraphe 16(1). Ce serait même plutôt l'inverse. Comme je l'ai dit précédemment, le paragraphe 3.01(2) des lignes directrices rend admissibles aux prestations d'aide sociale certaines catégories de non-Indiens. Les conjoints non indiens des membres de la bande qui demeurent dans la réserve font partie de ces catégories. Il est donc impossible de dire que ces conjoints non indiens ne font pas partie de la population visée par le programme d'aide sociale ou que leur exclusion présente un lien rationnel avec les objectifs du programme. L'article 16 ne serait donc d'aucune assistance au requérant.

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

1 Cette affaire découle de trois plaintes distinctes portées devant la Commission canadienne des droits de la personne. Darlene MacNutt alléguait dans ses plaintes une discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial. John B. Pictou alléguait une discrimination fondée sur l'état matrimonial et Lolita Knockwood une discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique et l'état matrimonial. La Commission demanda que soit constitué un tribunal unique pour l'examen des trois plaintes. L'art. 40(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 62], autorise dans les termes suivants la jonction de plaintes distinctes:

40. . . .

(4) En cas de dépôt, conjoint ou distinct, par plusieurs individus ou groupes de plaintes dénonçant la perpétration par une personne donnée d'actes discriminatoires ou d'une série d'actes discriminatoires de même nature, la Commission peut, pour l'application de la présente partie, joindre celles qui, à son avis, soulèvent pour l'essentiel les mêmes questions de fait et de droit et demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de charger, conformément à l'article 49, un tribunal unique de les examiner.

Le tribunal a alors examiné, pour les trois plaintes, la question de la discrimination fondée sur la race et l'état matrimonial.

2 Parmi les trois plaignants, seule Lolita Knockwood est une non-Indienne alléguant une discrimination fondée sur la race. Les autres plaignants sont des Indiens chefs de famille qui demandent réparation pour le préjudice qu'ils prétendent avoir subi parce que leurs conjoints sont des non-Indiens. La question n'a pas été clairement étudiée par le tribunal, mais je suis d'avis que cette affaire concerne une discrimination exercée contre les non-Indiens eux-mêmes plutôt que les effets indirects subis par leurs conjoints indiens ou leurs familles indiennes. Puisque les plaintes dont il s'agit ici concernent le refus de prestations d'aide sociale opposé à certaines personnes, c'est la discrimination exercée contre ces personnes, et non les effets de cette discrimination sur leurs proches, qui fait relever les plaintes du champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les plaintes déposées par les chefs de ménages non-indiens soulèvent aussi la question suivante: s'agit-il de plaintes qui étaient de la compétence du tribunal? L'art. 40(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est rédigé ainsi:

40. . . .

(2) La Commission peut assujettir la recevabilité d'une plainte au consentement préalable de l'individu présenté comme la victime de l'acte discriminatoire.

Le tribunal ne s'est pas demandé si les prétendues victimes de la discrimination avaient consenti à ce que les plaintes soient portées par leurs conjoints indiens, et les parties n'ont pas soulevé cet aspect. Il semble que la Commission a décidé malgré tout d'examiner les plaintes, ce que l'art. 40(2) l'autorisait à faire.

3 Les avocats ont mentionné que le Manuel d'aide sociale des Premières Nations pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ne faisait qu'un avec les lignes directrices, politiques et procédures des services communautaires autochtones, en date du 1er avril 1991. Pour la commodité de mes propos, j'appellerai tous ces documents "lignes directrices".

4 Décision du tribunal, aux p. 25 et 54.

5 Décision du tribunal, aux p. 61 à 63.

6 Décision du tribunal, aux p. 64 à 66.

7 Avant l'année contractuelle 1992-1993, l'art. 3.01(2)g) était formulé ainsi:

3.01 Des prestations d'aide sociale peuvent être

. . .

(2) à des catégories particulières de non-Indiens demeurant dans les réserves, à condition qu'une aide semblable ne soit pas obtenue d'autres sources:

. . .

g) les autres non-Indiens pour lesquels, de l'avis du ministre des Affaires indiennes et du Nord, une aide est justifiée.

La seule différence marquante entre la version de l'art. 3.01(2) antérieure à 1992-1993 et la version postérieure est que les catégories particulières de l'art. 3.01(2) ne sont pas des exemples, mais qu'il s'agit plutôt de catégories limitatives, et que le ministre doit être convaincu que l'aide aux "autres non-Indiens" est justifiée. Les catégories peuvent avoir été exhaustives, mais ce point n'importe pas puisque les conjoints non indiens pouvaient se qualifier en vertu de l'alinéa 3.01(2)g). Quant à l'avis du ministre, il n'en existe aucun dans la preuve qui m'a été présentée. Pourtant, durant la période antérieure à 1992, une aide sociale a été versée à Darlene Knockwood et Christine Pictou, toutes deux des conjointes non indiennes. Si le ministre avait pensé que l'aide qu'elles ont reçue n'était pas justifiée, il avait toute latitude d'exprimer son avis. J'en infère que le ministre était d'avis que les prestations versées à ces personnes étaient justifiées.

8 Les conclusions écrites du procureur général ne portaient que sur l'argument du requérant fondé sur l'art. 25 de la Charte. Dans sa plaidoirie, l'avocat du procureur général a convenu que ses conclusions s'appliqueraient à tous les nouveaux arguments invoqués par le requérant.

9 Il cite le juge Martland dans l'arrêt Succession Woodward (Exécuteurs testamentaires) c. Ministre des Finances, [1973] R.C.S. 120.

10 Dans l'affaire Toussaint, la Cour d'appel fédérale était saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Conseil canadien des relations du travail. La Cour refusa d'examiner un nouvel argument se rapportant au droit du requérant de saisir un arbitre de son renvoi. On pourrait soutenir que le nouvel argument concernait la "compétence" des arbitres, mais il ne concernait pas la compétence du Conseil dont la décision était soumise à un contrôle.

11 Hogg, Peter Constitutional Law of Canada, 3e éd., Scarborough (Ont.): Carswell, 1992, aux p. 149 et 153.

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