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IMM-1273-98

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (demandeur)

c.

Christopher Michael Harrison (défendeur)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)c. Harrison(1re inst.)

Section de première instance, juge Reed"Vancouver, 4 et 23 septembre 1998.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d'enquête en matière d'immigration Contrôle judiciaire de la décision de la SAI de rouvrir une décision antérieure rejetant l'appel formé contre une mesure d'expulsionL'intimé a été expulsé avant la tenue de l'audition de la requête en réouvertureL'art. 70(1) de la Loi sur l'immigration permet aux résidents permanents d'interjeter appel devant la SAILa définition derésident permanentinclut la personne qui n'a pas perdu ce statut conformément à l'art. 24L'art. 24 énumère les conditions en vertu desquelles une personne cesse d'être un résident permanent, ce qui inclut le fait, pour cette personne, de faire l'objet d'une mesure de renvoiDemande rejetéeLe ministre s'est appuyé sur une remarque incidente faite dans l'arrêt Grillas c. M.M.I. (C.S.C.) pour la proposition que la Commission peut rouvrir un appel jusqu'à l'exécution d'une mesure d'expulsionIl serait curieux d'interpréter la loi et la jurisprudence comme signifiant que la compétence de rouvrir un litige existe, mais qu'une des parties peut mettre fin à cette compétence en exécutant la mesure d'expulsionL'art. 75 prévoit le retour d'une personne qui a interjeté appel contre une mesure de renvoi, mais qui a été expulsée du CanadaIl serait illogique que la SAI ait compétence pour entendre un appel après l'expulsion d'une personne mais qu'elle ne l'ait pas pour se prononcer sur une requête en réouverture dans des circonstances semblablesL'art. 24(1) n'est pas utile dans le cadre de cette analyse: si une personne cessait d'être résident permanent lorsqu'une mesure de renvoi est ordonnée, la SAI n'aurait plus compétence à partir du moment où une mesure de renvoi est ordonnéeSi la SAI a compétence pour rouvrir une audition afin d'entendre de nouveaux éléments de preuve lorsque sa compétence d'equity est en cause, elle a certainement compétence pour le faire au motif de manquement aux règles de la justice naturelle relativement à la prise de décision elle-même.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rouvrant une décision antérieure de la SAI qui avait rejeté l'appel formé par l'intimé contre une mesure d'expulsion. Le défendeur avait fait l'objet d'une mesure d'expulsion car il avait été déclaré coupable d'une infraction pénale. L'appel qu'il avait interjeté contre la mesure d'expulsion a été rejeté pour défaut de poursuivre et il a été arrêté par la suite. Il a demandé l'autorisation à la SAI de reprendre son appel et a déposé une requête pour sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Cette dernière requête a été rejetée et il a été expulsé. Par la suite, la SAI a accueilli la requête en réouverture d'appel. Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, la décision a été annulée sans que des motifs ne soient prononcés, et l'affaire a été renvoyée à la SAI pour "réexamen conformément à la loi". Aucune directive n'a été donnée à la SAI à l'égard du droit applicable. À la deuxième audition de la requête, la SAI a décidé de rouvrir l'appel. Le paragraphe 70(1) de la Loi sur l'Immigration permet aux résidents permanents d'interjeter appel auprès de la SAI sur une question de droit, de fait ou mixte, ou à l'égard des circonstances particulières de l'espèce. L'article 2 définit un résident permanent comme une personne qui a obtenu le droit d'établissement au Canada, qui n'a pas acquis la citoyenneté canadienne et qui n'a pas perdu son statut conformément à l'article 24 ou 25.1. Le paragraphe 24(1) énumère les conditions en vertu desquelles une personne cesse d'être un résident permanent, ce qui inclut le fait, pour cette personne, de faire l'objet d'une mesure de renvoi.

La question en litige était de savoir si la compétence de la SAI de rouvrir l'appel était éteinte du fait que l'intimé avait cessé d'être un résident permanent à la date où la SAI a rendu sa décision d'accorder la réouverture.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Le commentaire émis par le juge Abbott dans Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, sur lequel s'appuie le ministre pour la proposition que la Commission pouvait rouvrir un appel "jusqu'à l'exécution effective de l'ordonnance d'expulsion", était une remarque incidente car, dans cette affaire, la personne n'avait pas été expulsée et la compétence d'equity de la Commission ne faisait pas partie du litige.

Il serait curieux d'interpréter la loi et la jurisprudence comme signifiant que la compétence de rouvrir un litige existe, mais qu'une des parties, soit le demandeur, le ministre, peut mettre fin à cette compétence en exécutant la mesure d'expulsion.

De plus, l'article 75 est fondé sur la compétence qu'a la SAI pour entendre l'appel d'une mesure d'expulsion, même après l'exécution de la mesure, pourvu que l'appel soit déposé avant que la personne ne soit expulsée. Même si aucune décision de la Cour fédérale n'a été rendue sur cet article, celui-ci prévoit qu'une personne qui a déposé un appel contre une mesure de renvoi auprès de la SAI mais qui a néanmoins été expulsée du Canada avant l'audition de l'appel peut se voir autorisée à revenir pour comparaître devant la SAI pour l'audition de l'appel. L'article 55 permet le retour de personnes pour fins de comparution devant la SAI et la Règle 34 des Règles de la section d'appel de l'immigration exige que le ministre soit informé de toute demande de retour et qu'il ait l'occasion de faire des observations sur la demande. Il serait illogique que la SAI ait compétence pour entendre un appel après l'expulsion d'une personne mais qu'elle ne l'ait pas pour se prononcer sur une requête en réouverture dans des circonstances semblables. Dans les deux cas, les questions qui sont soulevées peuvent avoir des incidences sur la décision relative à la question de savoir si la personne aurait dû être expulsée du Canada ou non. L'exécution par le ministre d'une mesure d'expulsion ne met pas fin à un appel déjà déposé ni ne devrait mettre fin à une requête en réouverture d'audition.

La disposition portant sur la compétence de la SAI et déterminant le moment où une personne cesse d'avoir le statut de résident permanent n'est pas utile dans le cadre de cette analyse. Si le paragraphe 24(1) est lu de façon littérale, une personne cesse d'avoir ce statut dès qu'une mesure de renvoi est ordonnée, et non pas lorsqu'elle est exécutée. Cela signifie que dans chaque cas, la SAI ne jouirait d'aucun pouvoir de réouverture à partir du moment où une mesure de renvoi est ordonnée.

La décision de rouvrir l'instance découlait du fait qu'il y avait eu un manquement aux principes de la justice naturelle: l'absence d'un avis suffisant pour donner au défendeur la possibilité de comparaître à l'audition devant la SAI. Si la SAI a compétence pour rouvrir une audition afin d'entendre de nouveaux éléments de preuve lorsque sa compétence d'equity est en cause, elle a certainement compétence pour le faire au motif de manquement aux principes de la justice naturelle relativement à la prise de décision elle-même.

lois et règlements

Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1966-67, ch. 90.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2, 24 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4), 25.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 14), 27(1)d)(i), (ii), 55 (mod. idem, art. 45), 70(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), a) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), b) (mod. idem), 75 (mod., idem).

Règles de la section d'appel de l'immigration, DORS/93-46, Règle 34.

jurisprudence

distinction faite avec:

Grillas c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1972] R.C.S. 577; (1971), 23 D.L.R. (3d) 1; Ramkissoon c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 290; (1977), 82 D.L.R. (3d) 406 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Binns (1996), 122 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.).

décisions mentionnées:

Duckworth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 41 Imm. L.R. (2d) 26 (S.A.I.); Deehan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 16 Imm. L.R. (2d) 233 (S.A.I.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Harrison c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] I.A.D.D. no 408 (QL)) rouvrant une décision antérieure de la SAI (Harrison c. Canada (Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration), [1993] I.A.D.D. no 198 (QL)) qui avait rejeté l'appel formé par l'intimé contre une mesure d'expulsion. Demande rejetée.

ont comparu:

Leigh A. Taylor pour le demandeur.

Rod H. G. Holloway pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Rod Holloway, Vancouver, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Reed: Il s'agit d'un appel interjeté par le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, contre une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI) [[1998] I.A.D.D. no 408 (QL)]. Cette décision, datée du 17 février 1998, réexaminait la décision rendue antérieurement par le SAI [[1993] I.A.D.D. no 198 (QL)] qui rejetait l'appel formé par le défendeur, Christopher Michael Harrison. Lors de la décision du 17 février 1998, le défendeur ne se trouvait plus au pays. Il avait été expulsé. Le demandeur prétend que, pour cette raison, la SAI n'avait pas compétence pour rouvrir l'appel du défendeur.

L'historique de l'appel du défendeur, antérieurement à la décision du 17 février 1998, n'est pas d'une grande pertinence vu qu'aucun argument ne s'y appuyait. Je vais toutefois l'exposer afin de donner une idée plus complète du contexte factuel entourant la présente demande.

L'HISTORIQUE DES FAITS

Le défendeur est né le 17 juin 1966 en Angleterre. Il a obtenu le droit d'établissement au Canada le 11 juin 1978 à titre de personne à charge qui accompagne ses parents. Le 11 juillet 1991, il a fait l'objet d'une mesure d'expulsion du Canada parce qu'il avait été déclaré coupable d'une infraction pénale et qu'il tombait sous la catégorie des personnes décrites aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Il a interjeté appel de cette décision auprès de la SAI et l'audition de cet appel a été fixée aux 3 et 4 février 1992. À cette date, il n'a comparu ni en personne ni par l'intermédiaire d'un représentant. Une ordonnance rejetant son appel pour défaut de poursuivre a été rendue le 13 février 1992.

Le 23 mars 1992, le défendeur a été arrêté. Le lendemain, il a demandé l'autorisation à la SAI de reprendre son appel. Il a déclaré qu'il n'avait pas comparu devant la SAI le 4 février 1992 parce qu'il n'avait reçu l'avis qu'une journée à l'avance et qu'il avait été incapable de se rendre à Calgary à temps et de communiquer avec son avocat en dépit de ses efforts. Il a déposé une requête pour sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Cette requête a été rejetée le 2 avril 1992 et il a été expulsé vers le Royaume-Uni le 6 avril 1992.

Le 3 août 1993, la SAI a accueilli la requête du 24 mars 1992 et a rouvert l'appel du défendeur. Le ministre a déposé une demande d'autorisation d'instituer une procédure de contrôle judiciaire pour que cette décision soit annulée au motif que la SAI n'avait pas compétence car le défendeur avait cessé d'être un résident permanent à la date de la décision accordant la réouverture. La demande de contrôle judiciaire a été entendue le 16 septembre 1994. Le défendeur n'était pas représenté à cette audition. Le juge qui a entendu la demande n'a pas prononcé de motifs mais il a signé une ordonnance, qui avait été rédigée par l'avocat du demandeur, par laquelle il annulait la décision rendue le 3 août 1993 par la SAI et lui renvoyait la requête en réouverture pour [traduction] "réexamen conformément à la loi". Comme il a été mentionné, aucune directive n'a été donnée à la SAI à l'égard du droit applicable, et l'ordonnance était formulée de façon à varier selon que l'existence de certains faits et conclusions [traduction ] "ressortait".

Le 15 mars 1996, la SAI a débuté l'audition de la requête en réouverture qui lui avait été renvoyée et le ministre lui a demandé d'aborder en premier lieu la question préliminaire de savoir si elle avait compétence pour examiner cette requête. Une décision a été rendue sur cette question préliminaire le 31 janvier 1997. La SAI a exposé de façon détaillée son analyse de ce qui constituait, à son avis, le droit applicable, et elle a conclu qu'elle avait compétence. La requête en réouverture a été entendue au fond le 22 janvier 1998 et une décision l'accueillant a été rendue le 17 février 1998. Comme il a été mentionné, c'est cette décision qui fait l'objet de la présente instance, bien que l'élément principal de celle-ci soit la question de compétence tranchée par la décision antérieure du 31 janvier 1997.

LA JURISPRUDENCE/LE DROIT APPLICABLE

J'expose d'abord le cadre législatif pertinent. Le paragraphe 70(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, prévoit les appels à la SAI par les résidents permanents:

70. (1) . . . les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada. [Non souligné dans l'original.]

La compétence conférée par l'alinéa a) susmentionné est souvent désignée comme la compétence légale de la SAI, c.-à-d. la compétence de décider si la mesure de renvoi ou la mesure de renvoi conditionnelle est valide. La compétence conférée par l'alinéa b) est souvent désignée comme la compétence d'équité, c.-à-d. la compétence de décider si, en dépit de la présence d'une mesure de renvoi valide, celui-ci devrait avoir lieu.

L'article 2 de la Loi définit un résident permanent comme une personne qui a obtenu le droit d'établissement au Canada, qui n'a pas acquis la citoyenneté canadienne et qui n'a pas perdu son statut conformément à l'article 24 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4] ou 25.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 14] de la Loi. Le paragraphe 24(1) énumère les conditions en vertu desquelles une personne cesse d'être un résident permanent:

24. (1) Emportent déchéance du statut de résident permanent:

a) le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l'étranger avec l'intention de cesser de résider en permanence au Canada;

b) toute mesure de renvoi n'ayant pas été annulée ou n'ayant pas fait l'objet d'un sursis d'exécution au titre du paragraphe 73(1). [Non souligné dans l'original.]

Cette compétence n'est pas sans rappeler celle qui était auparavant exercée par la Commission d'appel de l'immigration (le prédécesseur de la SAI) en vertu de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1966-67, ch. 90.

Le ministre s'appuie principalement sur l'arrêt Grillas c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1972] R.C.S. 577. Dans cette décision, la Cour suprême a interprété les dispositions de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration comme permettant à la Commission de rouvrir un appel malgré l'absence de pouvoir expressément prévu à cet effet. Le juge Martland, aux motifs duquel le juge Laskin [tel était alors son titre] a souscrit, a conclu que la compétence "d'équité" de la Commission était une compétence continue, et non pas une compétence qui était exercée une fois pour toutes lorsque la décision initiale était rendue [à la page 590]:

À mon avis, cette compétence "d'équité" que la Commission possède en vertu de l'art. 15(1) est une compétence qui se prolonge dans le temps et non une compétence qu'elle exerce une fois pour toutes. Le but de la Loi est d'habiliter la Commission, en certaines circonstances, à améliorer le sort d'un appelant contre lequel il existe un ordre d'expulsion valide. C'est dans ce but que la Commission doit avoir compétence pour entendre, si elle le juge à propos, de nouveaux éléments de preuve sur les questions visées par l'art. 15(1), bien qu'elle ait déjà rendu une ordonnance rejetant l'appel. À mon avis, la Commission avait compétence pour reprendre l'audition de l'appel en vue de permettre à l'appelant de soumettre un supplément de preuve.

Le juge Abbott, qui a dit partager l'opinion du le juge Martland, a exprimé ainsi son accord [à la page 582]:

Pour les mêmes motifs que ceux qu'énonce mon collègue le juge Martland, je suis d'avis que jusqu'à l'exécution effective de l'ordonnance d'expulsion, la Commission a le pouvoir, comme elle l'a fait dans ce cas-ci, de reprendre un appel, d'entendre une nouvelle preuve, et, si elle le juge à propos, de réviser la décision qu'elle a déjà rendue et d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'elle possède en vertu de l'art. 15 d'autoriser un appelant à demeurer au Canada. Cependant, et je le dis respectueusement, je ne partage pas son avis que la Commission a commis une erreur de droit en arrivant à la décision qu'elle a rendue le 24 janvier 1969. [Non souligné dans l'original.]

Le juge Judson a souscrit à la décision du juge Abbott. La Cour était composée de cinq juges. Le juge Pigeon, qui était dissident des quatre autres juges, a dit qu'à son avis, il n'existait aucun pouvoir de réouverture. L'extrait souligné susmentionné de l'opinion du juge Abbott a pris de l'importance par la suite.

La compétence de la Commission en matière de réouverture a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ramkissoon c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 290. Dans cette affaire, une personne avait fait l'objet d'une mesure d'expulsion, qui a été portée en appel. Toutefois, l'appelant a volontairement quitté le Canada le 16 mars 1975, avant l'audition de l'appel. Le 8 décembre 1975, la Commission a scellé l'issue de l'appel en le rejetant. L'appelant est revenu au Canada vers le 13 mars 1976, a fait l'objet d'une mesure d'expulsion le 19 novembre 1976 (la deuxième mesure d'expulsion) et, le 6 mai 1977, il a déposé une requête en réouverture de l'appel ayant été tranché par la décision du 8 décembre 1975. Il a également interjeté appel contre la deuxième mesure d'expulsion. La Commission a rejeté les deux demandes, ce qui a donné lieu à une demande de contrôle judiciaire contre ces rejets. Se penchant sur la décision de la Commission de refuser de rouvrir l'appel, le juge Heald, s'exprimant au nom de la Cour, a dit que la Commission avait correctement estimé que la compétence continue qu'elle a pour rouvrir un appel prenait fin dès que la mesure d'expulsion était exécutée. La Commission et la Cour se sont toutes deux fondées sur les commentaires émis par le juge Abbott dans l'affaire Grillas. Elles ont aussi conclu que le départ volontaire de l'appelant du Canada en mars 1975 constituait une exécution volontaire de la mesure d'expulsion, laquelle fondait la compétence de la SAI d'entendre la requête en réouverture [à la page 294]:

. . . à mon avis, d'après les faits de l'espèce, le "transport" du Canada à Trinidad par le requérant s'est effectué le 16 mars 1975 et l'effet de ce "transport" a été d'"exécuter" la première ordonnance d'expulsion. En conséquence, il me semble que son départ volontaire du Canada a eu comme effet juridique de le priver de son droit d'interjeter appel contre la première ordonnance d'expulsion en vertu de la compétence "d'équité" de la Commission prévue à l'article 15 . . . Je suis arrivé à cette conclusion après avoir examiné en détail les pouvoirs accordés à la Commission en vertu des différents paragraphes de l'article 15 . . . Nulle part dans les dispositions de l'article 15 il n'est accordé à la Commission le pouvoir de prendre des mesures lorsque l'ordonnance d'expulsion a été exécutée. Tous les pouvoirs accordés à la Commission en vertu de l'article 15 se rapportent à des mesures possibles avant l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.

Cette décision a été suivie dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Binns (1996), 122 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.), à l'occasion du contrôle d'une décision de la SAI de rouvrir un appel dont elle était saisie.

ANALYSE/CONCLUSION

L'avocat du défendeur tente de distinguer ces affaires en s'appuyant sur les arguments suivants: 1) le commentaire émis par le juge Abbott dans Grillas, selon lequel la Commission jouissait de la compétence d'équité de rouvrir un appel "jusqu'à l'exécution effective de l'ordonnance d'expulsion", est une remarque incidente étant donné que la durée de la compétence d'équité de la Commission ne faisait pas partie du litige dans cette affaire; 2) si le raisonnement du ministre est exact, il peut, même en étant partie à l'appel, priver un appelant de l'occasion de voir sa requête en réouverture examinée en exécutant la mesure de renvoi; 3) de toute manière, les décisions rendues dans Ramkissoon et dans Binns portaient sur deux affaires dans lesquelles l'appelant avait déposé une requête en réouverture après son départ du pays. En l'espèce, la requête en réouverture a été déposée avant que cet événement ne survienne.

J'estime que les arguments de l'avocat du défendeur sont convaincants. Le commentaire émis par le juge Abbott dans l'arrêt Grillas était une remarque incidente. Dans cette affaire, la personne n'avait pas été expulsée. Elle se trouvait toujours au Canada. La demande de réouverture d'instance visait à produire de nouveaux éléments de preuve démontrant l'existence de motifs de croire que le demandeur subirait des représailles en raison d'activités de nature politique ou qu'il subirait un grave préjudice si la mesure d'expulsion était exécutée. Une ordonnance de réouverture de l'audition serait nécessaire et utile seulement avant l'exécution de la mesure d'expulsion. En conséquence, le commentaire du juge Abbott constituait une description des faits dont il était saisi et non pas une décision relative à la durée de la compétence continue de la Commission.

D'autre part, il serait curieux d'interpréter la loi et la jurisprudence comme signifiant que la compétence de rouvrir un litige existe, mais qu'une des parties, soit le demandeur, le ministre, peut mettre fin à cette compétence en exécutant la mesure d'expulsion. Il se peut bien que lorsqu'une personne quitte volontairement le pays sans avoir tenté de faire rouvrir une décision de la SAI, on puisse présumer que cette personne accepte la décision et renonce à toute demande de réouverture de l'appel. Il peut aussi en être de même lorsqu'une personne est expulsée sans avoir déposé de requête en réouverture. Mais, cela ne peut pas être le cas lorsqu'une requête en réouverture a été déposée avant l'exécution de la mesure d'expulsion. La compétence de la Commission est invoquée à la date du dépôt de la requête en réouverture.

De plus, l'article 75 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l'immigration est fondé sur la compétence qu'a la SAI pour entendre l'appel d'une mesure d'expulsion, même après l'exécution de la mesure, pourvu que l'appel soit déposé avant que la personne ne soit expulsée:

75. La section d'appel peut, sur demande écrite en ce sens, autoriser les personnes ayant quitté le Canada par suite d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel à y revenir pour l'audition de l'appel qu'elles ont interjeté contre la mesure et fixer les conditions de retour.

Même si aucune décision n'a été rendue relativement à cet article de la Loi, celui-ci prévoit qu'une personne qui a déposé un appel contre une mesure de renvoi auprès de la SAI mais qui a néanmoins été expulsée du Canada avant l'audition de l'appel peut se voir autorisée à revenir pour comparaître devant la SAI pour l'audition de l'appel. Bien qu'aucune décision de la Cour fédérale n'ait interprété cette disposition, il existe des décisions publiées de la SAI y faisant référence: Duckworth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 41 Imm. L.R. (2d) 26, et Deehan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 16 Imm. L.R. (2d) 233. L'article 55 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 45] de la Loi sur l'immigration permet le retour des personnes aux fins de comparaître devant la SAI et la Règle 34 des Règles de la section d'appel de l'immigration, DORS/93-46, exige que le ministre soit informé de toute demande de retour et qu'il ait l'occasion de faire des observations sur la demande.

Il serait illogique que la SAI ait compétence pour entendre un appel après l'expulsion d'une personne mais qu'elle ne l'ait pas pour se prononcer sur une requête en réouverture dans des circonstances semblables. Dans les deux cas, les questions qui sont soulevées peuvent avoir des incidences sur la décision relative à la question de savoir si la personne aurait dû être expulsée du Canada ou non. L'exécution par le ministre d'une mesure d'expulsion ne met pas fin à un appel déjà déposé ni ne devrait mettre fin à une requête en réouverture d'audition.

Enfin, je ne suis pas convaincue que la disposition portant sur la compétence de la SAI et déterminant le moment où une personne cesse d'avoir le statut de résident permanent est utile dans le cadre de cette analyse. Si le paragraphe 24(1) est lu de façon littérale, une personne cesse d'avoir ce statut dès qu'une mesure de renvoi est ordonnée, et non pas lorsqu'elle est exécutée. Cela signifie que dans chaque cas, la SAI ne jouirait d'aucun pouvoir de réouverture à partir du moment où une mesure de renvoi est ordonnée.

Bien que la décision de rouvrir l'instance dans la présente affaire n'était pas fondée sur des faits directement liés à la compétence d'équité de la SAI, elle découlait du fait que cette dernière a conclu à l'existence d'un manquement aux règles de la justice naturelle: l'absence d'un avis suffisant pour donner au défendeur la possibilité de comparaître à l'audition devant la SAI. Si la SAI a compétence pour rouvrir une audition afin d'entendre de nouveaux éléments de preuve lorsque sa compétence d'équité est en cause, elle a certainement compétence pour le faire au motif de manquement aux règles de la justice naturelle relativement à la prise de décision elle-même.

En l'absence de toute décision de la Cour d'appel fédérale portant sur des faits similaires aux faits particuliers de l'espèce, je ne peux interpréter les dispositions de la Loi sur l'immigration comme prévoyant que la compétence d'équité prend fin dès l'exécution d'une mesure d'expulsion, si la personne concernée a antérieurement déposé une requête en réouverture. Si cette interprétation est erronée, il est facile d'entrevoir une situation dans laquelle les sursis à l'exécution de mesures d'expulsion deviennent monnaie courante dans les cas où les personnes visées par les mesures tentent d'obtenir la réouverture d'instance au motif que l'avis leur a été donné dans un délai insuffisant, afin de préserver la compétence de la SAI et d'empêcher ainsi qu'un tort irréparable ne leur soit causé.

Pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

Comme il a été convenu avec les avocats, le prononcé de l'ordonnance finale sera suspendu pendant sept jours pour donner au demandeur la possibilité de faire des observations relativement à la certification éventuelle d'une question.

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