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[1994] 3 .C.F 298

T-158-93

Mary Pitawanakwat (requérante)

c.

Procureur général du Canada, Secrétariat d’État et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)

et

Conseil de revendication des droits des minorités et Native Women’s Association of Canada (intervenants)

T-162-93

Commission canadienne des droits de la personne (requérante)

c.

Secrétariat d’État et Mary Pitawanakwat (intimés)

et

Conseil de revendication des droits des minorités et Native Women’s Association of Canada (intervenants)

Répertorié : Pitawanakwat c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 9 et 10 mars, 20 avril 1994.

Droits de la personne — Demandes de contrôle judiciaire de la décision du tribunal des droits de la personne — Une femme autochtone travaillant pour le Secrétariat d’État a été renvoyée après avoir fait l’objet d’évaluations du rendement insatisfaisantes — Le Tribunal a conclu à l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race au sens de l’art. 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne — Chaque fois que l’on conclut expressément qu’il y a eu harcèlement pour un motif de distinction illicite en matière d’emploi, il n’y a pas nécessairement violation de l’art. 7, mais étant donné les faits de l’espèce et à la lecture de l’ensemble de la décision du Tribunal, il ressort que le Tribunal a conclu implicitement que le Ministère a commis un acte discriminatoire au sens de l’art. 7 — Le Tribunal a commis une erreur en ordonnant la réintégration à l’extérieur de la Saskatchewan — La solution qui « mènerait tout droit à un désastre » consistant à ordonner la réintégration au lieu de travail antérieur est le problème du Ministère, ce n’est pas une préoccupation du Tribunal ni de la cour — Le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant d’accorder une indemnité pour préjudice moral en raison de la conduite de la plaignante, cela équivaut en fait à tolérer la discrimination pour un motif de distinction illicite.

Dommages-intérêts — Facteurs limitatifs — Le Tribunal des droits de la personne a conclu à la discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne — Il a limité l’indemnité à la perte de salaire durant 24 mois moins les revenus d’emploi et les bourses reçues — Le principe de l’indemnisation en matière de droits de la personne et en matière de responsabilité délictuelle est le même : remettre la victime dans la position où elle était — Le sens commun exige d’établir des limites à la responsabilité quant aux conséquences de son acte — La double indemnisation viole les principes voulant que le plaignant ne soit indemnisé que s’il peut établir l’existence d’une perte, et seulement dans la mesure de cette perte — Le fait de garder les bourses et de toucher en même temps une indemnité pour ses pertes de salaire équivaut à une double indemnisation — Les bourses sont valablement déduites si elles ne sont pas remboursables à l’organisme qui les a versées lorsque la boursière reçoit une indemnité pour perte de salaire.

Il s’agit de demandes de contrôle judiciaire de la décision rendue par un tribunal canadien des droits de la personne. Mary Pitawanakwat est une Autochtone ojibway. Elle a travaillé au Secrétariat d’État à Regina (Saskatchewan) de 1979 jusqu’à son congédiement en 1986. Elle avait fait l’objet de plusieurs évaluations du rendement insatisfaisantes, et ses relations avec ses surveillants s’étaient détériorées. Le Tribunal a conclu qu’elle avait été surveillée d’une façon différente comparativement aux autres employés, et que ce traitement différent peut avoir été fondé, du moins en partie, sur des motifs liés à la race. Le Tribunal a conclu que des insinuations, blagues et clichés à caractère racial ont été formulés au bureau pendant ses fonctions. Selon le Tribunal, la discrimination est l’un des facteurs qui a influencé l’intimé dans ses agissements à l’endroit de la plaignante et qui a finalement entraîné le renvoi de celle-ci.

Le Tribunal a été préoccupé par le manque d’intérêt ou de compréhension dont l’intimé a fait montre à l’égard d’indices répétés de la discrimination pouvant exister dans son propre bureau et a qualifié son attitude d’incurie flagrante. Une preuve prima facie de discrimination a été faite au sens de l’alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel prévoit que le fait de harceler un individu en matière d’emploi constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. On a fait valoir que cette conclusion signifie nécessairement que le Ministère a également commis un acte discriminatoire en refusant de continuer à employer Pitawanakwat et en la défavorisant en cours d’emploi pour le même motif de discrimination illicite (la race), au sens de l’article 7. Selon cet article, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi.

Le Tribunal a ordonné la réintégration de Pitawanakwat dans un poste équivalent à l’extérieur de la Saskatchewan en rappelant que la réintégration à son ancien poste n’a pas été ordonnée parce que « pareille décision mènerait tout droit à un désastre », vu la trop grande animosité entre les parties. Il a en outre accordé une indemnité équivalente au salaire et aux avantages qu’elle avait perdus pendant la période de vingt-quatre mois qui a suivi son congédiement, mais il a déduit les revenus d’emploi qu’elle avait touchés ainsi que les bourses qu’elle avait obtenues pendant cette même période. Aucune indemnité n’a été accordée pour le préjudice moral « compte tenu de la responsabilité de la plaignante à l’égard du triste sort qu’elle a subi ». Les questions en litige étaient les suivantes : le harcèlement fondé sur la race constitue-t-il de la discrimination raciale? Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en limitant l’indemnité accordée à une somme représentant vingt-quatre mois de salaire, en n’ordonnant pas la réintégration de la plaignante dans son lieu de travail antérieur, en déduisant les bourses d’études de l’indemnité qui a été accordée à titre de dommages-intérêts et en n’accordant pas d’indemnité pour préjudice moral?

Jugement : la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée devant le Tribunal pour jugement conformément à ces motifs.

Chaque fois que l’on conclut expressément qu’il y a eu harcèlement à l’endroit d’un individu pour un motif de distinction illicite en matière d’emploi, il n’y a pas nécessairement violation de l’article 7. Toutefois, étant donné les faits de l’espèce et après avoir lu l’ensemble de la décision du Tribunal, il faut conclure que le Tribunal a implicitement jugé que le Ministère a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en refusant de continuer à employer Pitawanakwat et en la défavorisant en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite.

Le Tribunal a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi il avait conclu que l’indemnité devait être limitée à une somme représentant vingt-quatre mois de salaire. Les principes établis par le juge Marceau, J.C.A., dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan s’appliquent. Il dit que le principe qui est applicable à l’indemnisation en matière de droits de la personne et en matière de responsabilité délictuelle est le même, c’est-à-dire que la partie doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit. Le sens commun veut qu’il y ait une limite à la responsabilité de l’auteur du préjudice quant aux conséquences de son acte. L’affaire doit être renvoyée au Tribunal pour jugement conformément aux principes établis dans l’arrêt Morgan.

Le Tribunal a commis une erreur de droit en n’ordonnant pas la réintégration de Pitawanakwat au bureau duquel elle a été retirée. En vertu de l’alinéa 53(2)b) le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée. Le fait de limiter l’ordonnance à la réintégration dans des bureaux situés à l’extérieur de la Saskatchewan diminue l’effet des droits garantis par la Loi pour la personne qui a fait l’objet de la discrimination parce qu’elle a été retirée d’un poste pour un motif de distinction illicite. La solution qui « mènerait tout droit à un désastre » était une question relevant du Ministère qui a refusé de continuer à l’employer pour un motif de distinction illicite. Cela ne permettait pas de ne pas accorder la réintégration pure et simple, lorsqu’il a été reconnu qu’il y avait lieu d’ordonner la réintégration. Le Tribunal ou la Cour n’ont pas à se préoccuper non plus du fait que suivant le paragraphe 54(2) l’ordonnance prévue ne peut exiger le retrait d’un employé d’un poste qu’il occupe.

Le Tribunal n’a pas commis une erreur de droit en statuant que les bourses d’études reçues par Pitawanakwat lorsqu’elle s’est inscrite à plein temps dans un établissement d’enseignement secondaire après avoir été congédiée et avoir quitté volontairement son emploi subséquent, soient déduites de l’indemnité accordée pour les pertes de salaire. Le demandeur ne devrait être indemnisé que s’il peut établir l’existence d’une perte et, même alors, seulement dans la mesure de cette perte. La double indemnisation va à l’encontre de ce principe. Si la requérante pouvait garder les bourses et toucher en même temps une indemnité pour ses pertes de salaire, elle serait doublement avantagée. Toutefois, si les bourses sont remboursables à l’organisme qui les a versées lorsque la boursière reçoit une indemnité pour les pertes de salaire, les bourses ne devraient pas être déduites de cette indemnité.

Le paragraphe 53(3) permet au Tribunal d’ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité pour préjudice moral. Refuser une indemnité pour préjudice moral en raison de la conduite du plaignant équivaut en fait à tolérer la discrimination pour un motif de discrimination illicite chaque fois que le comportement du plaignant est loin d’être exemplaire. Le paragraphe 53(3) ne devrait pas être interprété de manière à produire un tel résultat. En interprétant ce paragraphe de cette manière, le Tribunal a commis une erreur de droit.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2, 3(1), 7, 14(1), 53(2),(3), 54(2).

Loi sur le secrétariat d’État, L.R.C. (1985), ch. S-17.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Cluff c. Canada (Ministère de l’Agriculture), [1994] 2 C.F. 176 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401; (1991), 85 D.L.R. (4th) 473; 92 CLLC 17,002; 135 N.R. 27 (C.A.); Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940; (1990), 69 D.L.R. (4th) 25; 30 C.C.E.L. 161; 3 C.C.L.T. (2d) 1; 107 N.R. 335; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 8 C.H.R.R. D/4210; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 17 C.H.R.R. D/349; 149 N.R. 1; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303.

DEMANDES de contrôle judiciaire de la décision rendue par un tribunal canadien des droits de la personne (Pitawanakwat c. Canada (Secrétariat d’État) (1992), 19 C.H.R.R. D/110; 93 CLLC 17,007) qui concluait à l’existence d’une preuve prima facie de discrimination au sens de l’alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, limitait le montant de l’indemnité à une somme représentant 24 mois de salaire, ordonnait la déduction des bourses d’études et des sommes provenant d’un emploi, ordonnait la réintégration de la plaignante, mais à l’extérieur de la province où celle-ci avait travaillé et qui n’accordait aucune indemnité pour préjudice moral. Demandes accueillies.

AVOCATS :

Peter C. Engelmann et Heather Gibbs pour Mary Pitawanakwat.

Bruce W. Gibson et Mark R. Kindrachuck pour le procureur général du Canada et le Secrétariat d’État.

William F. Pentney pour la Commission canadienne des droits de la personne.

Raj Anand pour les intervenants.

PROCUREURS :

Lynk, Engelmann & Gottheil, Ottawa, pour Mary Pitawanakwat.

Le sous-procureur général du Canada pour le Procureur général du Canada et pour le Secrétariat d’État.

Service juridique de la Commission canadienne des droits de la personne pour la Commission canadienne des droits de la personne.

Scott & Aylen, Ottawa, pour les intervenants.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson :

LA NATURE DE LA DEMANDE ET LA RÉPARATION SOLLICITÉE

Les présents motifs concernent deux demandes formées par le dépôt d’avis de requête introductive d’instance visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par un tribunal canadien des droits de la personne, le 23 décembre 1992 [(1992), 19 C.H.R.R. D/110], relativement à une plainte déposée par la requérante Mary Pitawanakwat (la requérante principale). La réparation sollicitée par la requérante principale est une ordonnance annulant des dispositions de la décision en cause. La réparation sollicitée par l’autre requérante, la Commission canadienne des droits de la personne, est un bref de certiorari annulant des dispositions de la décision ou, subsidiairement, infirmant lesdites dispositions de la décision et renvoyant l’affaire au tribunal des droits de la personne pour jugement conformément aux instructions que la Cour estime appropriées.

Le Conseil de revendication des minorités et la Native Women’s Association of Canada ont été constitués parties intervenantes dans les deux affaires par des ordonnances datées du 10 janvier 1994.

LES FAITS

La requérante principale, Mary Pitawanakwat, est une Autochtone ojibway originaire du district de Manitoulin Island en Ontario. Elle a obtenu un diplôme de douzième année en Ontario; de plus, elle a suivi un programme spécial à l’Université de Toronto ainsi que de nombreux cours de développement humain et personnel.

Elle a commencé à travailler au Secrétariat d’État[1] (le Ministère) en octobre 1979. Avant de travailler au Ministère, elle avait enseigné la langue ojibway, elle avait occupé le poste d’animatrice communautaire et elle avait travaillé pour des centres d’amitié et des services d’orientation pour autochtones.

Elle a été engagé par le Ministère comme agente de développement social, un poste PM-4 (chargé de programme). Elle travaillait à Regina (Saskatchewan). Dans le cadre de son travail, elle assurait la liaison entre le Ministère et la collectivité, en particulier la collectivité autochtone. Elle devait notamment effectuer des tâches administratives et travailler sur le terrain; elle devait en outre posséder une bonne connaissance des personnes et des organismes qui constituaient son groupe « client » ainsi que des programmes offerts par le Ministère et par les autres organismes et ministères fédéraux qui pouvaient présenter un intérêt pour son groupe client.

Au début, tout allait bien entre la requérante principale et le Ministère. Elle a reçu sa première évaluation du rendement à l’été 1981. Cette évaluation indiquait que le travail de la requérante principale était entièrement satisfaisant et qu’elle remplissait les principaux objectifs du poste. Il y était toutefois précisé qu’elle devait s’efforcer de concilier les exigences de nature administrative de son poste avec le travail communautaire qu’elle devait accomplir à l’extérieur pour les groupes clients.

La deuxième évaluation du rendement de la requérante principale a été faite au printemps 1982 et elle indiquait que son rendement était satisfaisant. Il y était signalé qu’elle avait de la difficulté à respecter les délais et à porter attention aux détails.

Les relations entre la requérante principale et ses surveillants se sont détériorées. Toutes les évaluations qui ont été faites par la suite indiquaient que le rendement de la requérante principale était insatisfaisant. En mars 1986, elle a été congédiée.

Dans sa décision, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a examiné sept aspects du travail de la requérante principale au sein du Ministère. Il a conclu que la requérante principale avait une lourde charge de travail avec laquelle elle pouvait néanmoins composer dans les circonstances. Quant à la surveillance du travail de la requérante principale, il a conclu qu’elle avait raison de dire qu’elle était surveillée d’une façon différente comparativement aux autres employés et que [à la page D/118] « l’allégation de [la requérante principale] selon laquelle ce traitement est fondé, du moins en partie, sur des motifs liés à la race est justifiée par certains éléments de la preuve ». Le Tribunal a jugé que la requérante principale n’avait pas fait l’objet d’un traitement différent dans le domaine de la formation. Il a également été d’avis qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un traitement défavorable en ce qui a trait au temps supplémentaire et aux politiques s’y rapportant. Il a en outre conclu qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un traitement défavorable en ce qui concerne les demandes de remboursement des frais de déplacement. Le Tribunal a estimé que le Ministère avait fait montre d’un « manque de jugement » dans deux catégories de tâches assignées à la requérante principale, et que la rupture des communications verbales entre cette dernière et ses supérieurs a amené ceux-ci à exiger qu’elle documente par écrit des questions qui étaient réglées verbalement avec les autres agents de développement social. Enfin, selon le Tribunal [à la page D/121], « des insinuations, blagues et clichés à caractère racial ont été formulés au bureau, pendant que la [requérante principale] a travaillé pour le Ministère ».

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

Le tribunal a formulé ses conclusions de la manière suivante [à la page D/136][2] :

Dans la cause qui nous occupe, on ne peut certainement pas dire avec certitude que la discrimination reprochée est la seule raison qui a incité l’intimé à agir comme il l’a fait lors des événements en question; cependant, nous sommes d’avis que la discrimination est l’un des facteurs qui a influencé l’intimé dans ses agissements à l’endroit de la plaignante et que cette conduite a finalement entraîné le renvoi de celle-ci.

Même si la preuve directe de discrimination en l’espèce est restreinte et que l’on n’aurait peut-être jamais continué à faire des insinuations à caractère racial si une personne avait protesté à ce sujet dans le milieu de travail de l’intimé, l’aspect du litige qui a le plus préoccupé le Tribunal est le manque d’intérêt ou de compréhension dont l’intimé a fait montre à l’égard d’indices répétés de la discrimination pouvant exister dans son propre bureau. Dans Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 (à la p. D/5694, par. 41619) (Trib. can.), le Tribunal a décidé que « l’inaction de la CEIC a eu des effets négatifs supplémentaires, puisqu’elle a donné aux personnes concernées l’impression que cette forme de harcèlement ne méritait même pas qu’on y consacre les moyens d’enquête disponibles … On a l’impression que l’affaire a été traitée comme s’il s’agissait d’une blague inoffensive … ».

Pour une raison ou pour une autre, André Nogue a décidé d’ignorer non seulement les préoccupations que la plaignante avait formulées elle-même, mais celles qu’ont soulevées Ernie Lawson, le représentant du syndicat, Ron Fisher, le conseiller en gestion des conflits, et surtout le groupe de travail des agents de développement social, qui ont tous formulé des préoccupations claires concernant l’existence de pratiques discriminatoires dans le milieu de travail de l’intimé. Même si la discrimination raciale n’a probablement pas été le principal motif qui a incité M. Nogue à agir comme il l’a fait à cet égard, nous sommes d’avis que c’est là une des raisons de son inaction. Tout comme dans l’affaire Hinds, supra (à la p. D/5697, au par. 41629) : « rien ne nous permet de croire que ce soit de propos délibéré que (l’intimé) a négligé de réagir devant l’acte de harcèlement. Son attitude relève plutôt de l’incurie flagrante ».

Examinant ensuite la question de la réparation, le Tribunal a dit notamment [à la page D/137] :

On avait l’impression qu’il était plus facile pour Mme Pitawanakwat de blâmer les autres pour la baisse de sa productivité que de s’organiser de façon à éviter de subir le sort qu’elle a connu. Par ailleurs, ce fait n’enlève rien à la responsabilité que le Ministère doit assumer à l’égard du rôle qu’il a joué dans les événements en question. C’est donc en tenant compte de ces éléments que le Tribunal accorde une réparation qui aurait pu être différente, si les actes reprochés n’étaient pas en partie imputables à la plaignante.

Compte tenu de ces éléments, le Tribunal a jugé [à la page D/137] que la réintégration de la requérante principale dans son ancien poste « mènerait tout droit à un désastre ». Il a toutefois ordonné au Ministère de présenter à la requérante principale une offre d’emploi à l’égard « du prochain poste d’agent de développement social PM-4 disponible dans toute région située en dehors de la Saskatchewan ». Il a en outre accordé à la requérante principale une indemnité équivalente au salaire et aux avantages qu’elle avait perdus pendant la période de vingt-quatre mois qui a suivi son congédiement, somme de laquelle devaient être déduits les revenus d’emploi qu’elle avait touchés pendant cette même période ainsi que les bourses ou les subventions qu’elle avait obtenues pendant qu’elle poursuivait des études à un établissement d’enseignement. L’indemnité a également été réduite d’un montant que la requérante aurait reçu quand elle a été hospitalisée pendant cette même période. Des intérêts devaient être versés sur l’indemnité accordée pour le salaire. Aucune indemnité n’a été accordée pour le préjudice moral [à la page D/138] « compte tenu de la responsabilité de la plaignante à l’égard du triste sort qu’elle a subi ». Enfin, le Tribunal a ordonné au Ministère de remettre à la requérante principale « une lettre d’excuses pour le rôle qu’il a joué dans les circonstances qui ont mené à son congédiement ».

Le Tribunal a prévu d’autres mesures réparatrices et il a fait certaines remarques lorsqu’aucune réparation formelle ne pouvait être accordée. Cependant, ces mesures et ces remarques ne sont pas pertinentes pour l’espèce.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Les questions en litige qui ont été formulées au nom des requérantes sont les suivantes[3] :

[traduction] 1.     La norme de contrôle

Quelle est la norme appropriée de contrôle judiciaire en l’espèce?

2.   L’article 7

a)   Le tribunal a-t-il mal appliqué ou a-t-il omis d’appliquer la norme de preuve appropriée en concluant que l’article 7 de la LCDP n’avait pas été violé?

b)   Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le harcèlement fondé sur la race ne constitue pas de la discrimination raciale?

c)   Les conclusions de fait du tribunal, qui a jugé qu’il n’y avait eu aucune discrimination raciale, étaient-elles « abusives ou arbitraires »?

3.   La réparation

a)   Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en limitant l’indemnité accordée à la plaignante à une somme représentant vingt-quatre mois de salaire?

b)   Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en n’ordonnant pas la réintégration de la plaignante dans son lieu de travail antérieur?

c)   Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en déduisant les bourses d’études pour autochtones de l’indemnité qui a été accordée à titre de dommages-intérêts?

d)   Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en n’accordant pas d’indemnité pour préjudice moral?

Les questions soulevées au nom des intervenants sont énoncées dans leurs exposés des faits et du droit (identiques dans les deux demandes) :

[traduction] a) Une violation de l’alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP), est également une violation de l’alinéa 7b) de la Loi; le harcèlement fondé sur la race constitue de la discrimination raciale.

b) Les droits garantis par la LCDP sont quasi constitutionnels. Les voies de recours offertes doivent être efficaces et compatibles avec la nature des droits protégés.

c) La législation sur les droits de la personne n’est pas du domaine de la responsabilité délictuelle. Les principes de common law concernant la négligence contributive et la prévisibilité raisonnable ne s’appliquent pas pour réduire le montant du dédommagement qui pourrait autrement être accordé en vertu de cette législation.

d) En vertu de la LCDP, la réintégration est la réparation appropriée lorsqu’une personne a été injustement congédiée.

e) L’ordonnance du tribunal a des conséquences discriminatoires sur l’ensemble de la collectivité autochtone ainsi que sur d’autres groupes défavorisés.

f) L’ordonnance du tribunal a violé l’article 2 de la LCDP ainsi que les articles 6, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) :

aa) L’ordonnance du tribunal enjoignant au Secrétariat d’État d’offrir à Pitawanakwat le premier poste libre à l’extérieur de la Saskatchewan :

i) la prive clairement de son droit à l’égalité des chances d’épanouissement avec ses enfants en Saskatchewan.

ii) a un effet inégalitaire pour elle parce que les autochtones ont considérablement moins de possibilités d’emploi que les groupes non défavorisés et qu’elle restreint davantage ses possibilités de gagner sa vie en Saskatchewan. Elle équivaut à exiler la requérante de la Saskatchewan. Elle contribue aussi à maintenir la sous-représentation démesurée des autochtones au sein de la population active de la Saskatchewan, ce qui entraînera la formation d’une main-d’œuvre où la ségrégation est appliquée.

iii) ne tient pas compte des effets inégalitaires qu’entraîne un transfert géographique pour une autochtone, mère de famille. Les personnes défavorisées entretiennent parfois des liens étroits avec leur collectivité locale où il leur est possible d’avoir recours à l’aide d’un groupe de soutien déjà existant.

bb) En refusant d’ordonner la réintégration de Pitawanakwat, le tribunal a adopté une norme de réparation inférieure à celle qui existe en vertu d’autres lois, ce qui est incompatible avec la nature même des droits garantis par la LCDP. En vertu de la LCDP, la réintégration est la réparation appropriée lorsqu’une personne a été injustement congédiée. L’ordonnance prive les minorités et les autochtones de leur droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, et elle tolère les actes discriminatoires en milieu de travail au lieu de les décourager.

cc) En fixant une limite arbitraire au montant de l’indemnité pour les pertes de salaire, le tribunal n’a pas accordé une réparation efficace à Pitawanakwat. Dès qu’un acte discriminatoire est établi, une ordonnance de réparation devrait être rendue; celle-ci devrait remettre la personne dans la position où elle aurait été sans l’acte discriminatoire. L’ordonnance prive Pitawanakwat d’une réparation efficace et elle viole l’article 2 de la LCDP ainsi que les articles 7 et 15 de la Charte. Le tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’il est plus difficile pour les minorités, les autochtones et les femmes de trouver un emploi.

Comme nous le verrons ci-dessous, les intimés, le procureur général du Canada et le Ministère, ont reconnu le bien-fondé, du moins en partie, de plusieurs des questions soulevées par les intervenants. La preuve dont a été saisi le Tribunal a eu des répercussions sur certaines des autres questions soulevées par les intervenants si bien qu’il a été difficile de débattre de celles-ci compte tenu des faits de l’espèce. La preuve a indiqué que lorsque la requérante principale travaillait pour le Ministère, elle faisait partie du 1 % des femmes autochtones les mieux payées au Canada. Quelques mois après son départ du Ministère, elle a commencé à travailler pour le Aboriginal Women’s Council of Saskatchewan à Regina. Elle a occupé son nouveau poste pendant environ un an après la date de son congédiement du Ministère. Elle a quitté volontairement son emploi plutôt que d’aller s’installer à Prince Albert (Saskatchewan) lorsque le Aboriginal Women’s Council of Saskatchewan y a déménagé son bureau principal qui était auparavant situé à Regina. Selon la preuve, le salaire qu’elle recevait du Conseil était d’environ 10 % inférieur à celui qu’elle touchait au moment de son congédiement par le Ministère.

ANALYSE

a)         Norme de contrôle

Les questions en litige, décrites plus haut dans les présents motifs et telles qu’elles étaient après la présentation des arguments des intimés, le procureur général du Canada et le Ministère, sont indubitablement, à mon avis, des questions de droit. Étant arrivé à la même conclusion relativement aux questions qui étaient en litige dans l’affaire Cluff c. Canada (Ministère de l’Agriculture)[4], j’ai repris les commentaires faits dans les motifs de l’ordonnance que j’ai rendue dans cette affaire au sujet de la norme de contrôle ou d’analyse :

 … l’extrait suivant des motifs prononcés par le juge La Forest dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop énonce succinctement la norme d’analyse applicable en la matière :

L’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l’espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable.

Pour examiner la décision qu’a rendue le Tribunal en l’espèce « du point de vue de [sa] justesse », l’extrait suivant des motifs prononcés par le juge La Forest dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) est généralement instructif :

Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des motifs de distinction illicites dont ceux fondés sur le sexe. Comme le juge McIntyre l’a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s’agit là d’une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d’une manière qui tienne compte de la nature spéciale d’une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu’elle « n’est pas vraiment de nature constitutionnelle »; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n’est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu’elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l’arrêt Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d’interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

Il vaut la peine de répéter que, de par son texte même, la Loi (à l’art. 2) vise à « donner effet » au principe de l’égalité des chances pour tous en supprimant les distinctions injustes. Son but premier n’est pas de punir ceux qui pratiquent la discrimination. À la page 547 de l’arrêt O’Malley, le juge McIntyre exprime la même idée en ces termes :

Le Code vise la suppression de la discrimination. C’est là l’évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe.

Puisque la Loi s’attache essentiellement à l’élimination de toute discrimination plutôt qu’à la punition d’une conduite antisociale, il s’ensuit que les motifs ou les intentions des auteurs d’actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur. Au contraire, la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence[5].

Je conclus que les commentaires qui précèdent s’appliquent également à la présente espèce.

b)         Discrimination et harcèlement

Les dispositions suivantes de la Loi canadienne sur les droits de la personne[6] sont pertinentes pour cette question.

L’article 2 porte :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

Le paragraphe 3(1) est libellé comme suit :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

L’article 7 prévoit ce qui suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

Le paragraphe 14(1) porte notamment :

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

c) en matière d’emploi.

À la page D/131 de sa décision[7], le tribunal a conclu expressément ce qui suit : « À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d’avis qu’une preuve prima facie de discrimination a été faite au sens de l’al. 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Il est indubitable, compte tenu des faits de l’espèce, que le motif de distinction illicite pour lequel la requérante principale a été harcelée en matière d’emploi était la « race ». Les avocats des requérantes ont fait valoir devant moi que cette conclusion signifie nécessairement que le Ministère a également commis un acte discriminatoire à l’endroit de la requérante principale en refusant de continuer à l’employer et en la défavorisant en cours d’emploi pour le même motif de distinction illicite, au sens de l’article 7.

Les avocats des intimés, le procureur général du Canada et le Ministère, n’ont pas contesté cet argument. Il ressort, de la page 3 de la transcription des arguments que l’avocat de l’intimé m’a soumis, qu’il a dit :

[traduction] Je reconnais qu’il est évident que les motifs du tribunal ne sont pas explicites en ce qui concerne l’article 7; toutefois, à mon avis, il faut nécessairement déduire que le tribunal a considéré que le harcèlement fondé sur la race était de la discrimination raciale et, en fait, qu’il doit avoir conclu que la plaignante a perdu son emploi par suite d’un acte discriminatoire puisqu’il a ordonné, en vertu de l’article 53, qu’un nouveau poste lui soit offert et qu’une indemnité lui soit accordée pour les pertes de salaire.

Au soutien de cette thèse, les avocats des intimés ont cité les deux extraits suivants tirés de la décision du tribunal :

Dans la cause qui nous occupe, on ne peut certainement pas dire avec certitude que la discrimination reprochée est la seule raison qui a incité l’intimé à agir comme il l’a fait lors des événements en question; cependant, nous sommes d’avis que la discrimination est l’un des facteurs qui a influencé l’intimé dans ses agissements à l’endroit de la plaignante et que cette conduite a finalement entraîné le renvoi de celle-ci[8].

Et plus loin :

Même si la discrimination raciale n’a probablement pas été le principal motif qui a incité M. Nogue à agir comme il l’a fait à cet égard, nous sommes d’avis que c’est là une des raisons de son inaction[9].

Je partage l’avis des avocats des intimés. Après avoir lu l’ensemble de la décision du Tribunal, il faut conclure que celui-ci a implicitement jugé que le Ministère a commis un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite, c’est-à-dire la race, au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l’égard de la requérante principale en refusant de continuer à l’employer et en la défavorisant en cours d’emploi. Cela ne signifie pas que chaque fois que l’on conclut expressément qu’il y a eu harcèlement à l’endroit d’un individu pour un motif de distinction illicite en matière d’emploi, il y a eu nécessairement violation de l’article 7. Comme je l’ai toutefois indiqué, étant donné les faits de l’espèce et après avoir lu l’ensemble de la décision du Tribunal, je suis convaincu qu’une telle conclusion par déduction est pleinement justifiée.

c)         Indemnité accordée à la requérante principale pour les pertes de salaire limitée à vingt-quatre (24) mois de salaire

Les dispositions pertinentes du paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont les suivantes :

53. …

(2) À l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

Ni le paragraphe 53(4) ni l’article 54 ne s’appliquent aux faits de l’espèce relativement à cette question.

Le Tribunal n’indique nulle part dans sa décision comment il en est arrivé à conclure que l’indemnité pour les pertes de salaire devait représenter vingt-quatre mois de salaire.

À l’audience, les avocats étaient d’accord pour dire que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi il avait conclu que l’indemnité devait être limitée à une somme représentant vingt-quatre (24) mois de salaire. Par contre, ils ne s’entendaient pas sur la question de savoir si les propos du juge Marceau dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan[10] étaient appropriés pour les faits de l’espèce. L’avocat de la requérante principale a soutenu que les faits de l’arrêt Morgan étaient différents et, en conséquence, que les principes formulés par le juge Marceau ne pouvaient être adoptés sans réserve. Je ne suis pas du même avis. Bien que les faits de l’arrêt Morgan puissent être différents, je conclus que les principes qui y ont été formulés s’appliquent tout autant aux faits de l’espèce. S’exprimant en tant que membre de la majorité de la Cour, le juge Marceau a dit ce qui suit aux pages 414 à 416 de l’arrêt Morgan :

a) À la lecture des commentaires du président du tribunal de première instance et de ceux de la majorité du tribunal d’appel, force m’est de constater la présence d’une certaine confusion entre le droit d’obtenir réparation d’un préjudice subi et l’évaluation des dommages-intérêts. Si la nature spéciale de la Loi sur les droits de la personne, que l’on dit tellement fondamentale qu’elle serait presque de nature constitutionnelle et qui n’est pas du domaine de la responsabilité délictuelle (voir p. ex. l’arrêt Robichaud c. Brennan (sub nom. Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, à la page 89, et l’arrêt Bhadauria c. Bureau des gouverneurs du Seneca College (sub nom. Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria), [1981] 2 R.C.S. 181), exclut l’application de limites au droit d’obtenir une indemnité qui relève de la responsabilité délictuelle, l’évaluation des dommages-intérêts exigibles par la victime ne peut être régie par des règles différentes. Dans les deux cas, le principe est le même : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle. Les principes établis par les tribunaux pour atteindre cet objectif en responsabilité délictuelle s’appliquent donc nécessairement. Il est bien connu que l’un de ces principes consiste à exclure les conséquences de l’acte qui sont trop lointaines ou seulement indirectes. À mon avis, le membre minoritaire avait tout à fait raison en écrivant (aux pages D/74 et D/75) :

Si la réintégration est purement discrétionnaire et que ce n’est pas le cas de l’indemnisation, il me semble que certains principes reconnus applicables en matière d’octroi de dommages-intérêts devraient guider le tribunal dans son appréciation et son évaluation de la perte financière. Ces principes ont été cités et endossés par le tribunal d’appel au par. 7716 [D/869 de Torres, supra] de l’affaire Foreman [Foreman c. Via Rail Canada Inc. (1980), 1 C.H.R.R. D/233], supra :

À notre avis, le mot « indemnité » (à titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doivent appliquer les principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil, dont le principe essentiel repose, dans l’octroi de dommages-intérêts, sur celui de la « restitutio in integrum » : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s’était pas produit, dans la mesure où l’argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure où celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes. (D/238).

Dans un arrêt récent, Canada (Attorney general) c. McAlpine, supra, [[1989] 3 C.F. 530], la Cour d’appel fédérale, appelée à statuer sur un appel formé contre une décision d’un tribunal des droits de la personne qui s’est appuyé sur ce principe pour déterminer les dommages-intérêts devant être accordés pour les pertes de prestations d’assurance- chômage, a fait les commentaires suivants à la p. 538 [par. 13, D/258] :

[…] il aurait également fallu tenir compte du caractère prévisible ou de la prévisibilité raisonnable des dommages, peu importe que l’action intentée soit en responsabilité contractuelle ou en responsabilité délictuelle. En effet, seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles sont recouvrables.

La Cour fédérale cite et endosse ensuite les propos du professeur Cumming dans l’affaire Torres, supra [Torres v. Royalty Kitchenware Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d’enqu. Ont.)], en ce qui concerne la limite au montant que la victime peut recevoir à titre de dédommagement, et elle signale que ce raisonnement a été suivi par le tribunal d’appel dans l’affaire DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (no 2), supra [(1987), 8 C.H.R.R. D/3963] aux p. D/3966 et D/3967, ainsi que d’autres tribunaux des droits de la personne qui ont considéré que la doctrine de la prévisibilité raisonnable est un facteur essentiel dans l’évaluation des dommages-intérêts.

Il découle de mon interprétation des mesures correctives prévues dans la Loi qu’il n’est pas nécessaire que la période d’indemnisation coïncide avec la réintégration, peu importe quand elle a lieu. Elle est encore moins déterminée automatiquement par l’ordonnance de réintégration. C’est sur ce point capital de l’affaire que je ne partage pas l’opinion de mes collègues. Je serais d’accord pour dire que, si la victime de l’acte discriminatoire avait été congédiée d’un emploi qu’elle occupait réellement et que sa réintégration devait avoir lieu peu après, la période d’indemnisation coïnciderait logiquement avec cet événement. Par contre, il s’agit plutôt en l’espèce de la perte théorique d’un emploi que n’occupait pas l’intimé lorsque s’est produit l’acte discriminatoire.

À mon avis ces diverses doctrines ont peu de poids lorsqu’il s’agit de mettre en application l’idée toute simple qu’il y a une limite à la responsabilité de l’auteur du préjudice quant aux conséquences de son acte sauf, peut-être, dans les cas de mauvaise foi. Certains arrêts se sont fondés sur la doctrine de la prévisibilité des dommages, un critère qui me semble plus approprié en matière contractuelle. Dans d’autres arrêts, on mentionne des critères tels que les conséquences directes ou raisonnablement directes de l’acte dommageable. Le but visé demeure le même : écarter les conséquences de l’acte qui sont trop lointaines compte tenu de tous les événements qui ont eu lieu entre les deux. Quelle que soit la source de responsabilité, le bon sens s’applique.

Je sais que les principes appliqués dans les affaires portant sur des cas de congédiement injuste pour l’évaluation des pertes de salaire ne s’appliquent pas nécessairement aux affaires portant sur les pertes d’emploi découlant d’un acte discriminatoire. Dans les cas de congédiement injuste, on reproche à l’employeur non pas d’avoir mis fin au contrat de travail, mais de l’avoir fait sans avis préalable, en violation du contrat. La nature de l’acte sur lequel porte la responsabilité étant différente, les conséquences qui en découlent le sont donc aussi.

À mon avis, le tribunal de première instance et la majorité des membres du tribunal d’appel ont eu tort de refuser de fixer une limite à la période d’indemnisation indépendamment de l’ordonnance de réintégration. L’établissement de cette limite était, comme il l’est dans toutes ces affaires, un exercice difficile qui exige une analyse détaillée des circonstances en cause.

Tout en exposant clairement les concepts du caractère indirect et de la prévisibilité dans les citations qui précèdent, le juge Marceau fait également ressortir deux autres concepts. Il dit que le principe qui est applicable à l’indemnisation en matière de droits de la personne et en matière de responsabilité délictuelle est le même, c’est-à-dire que la partie doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit. Il ajoute qu’il y a une limite à la responsabilité de l’auteur du préjudice quant aux conséquences de son acte.

Étant donné que rien n’indique que le Tribunal a tenu compte de ces principes pour en arriver à fixer l’indemnité à une somme représentant vingt-quatre mois de salaire, je conclus que le Tribunal a commis une erreur de droit et que sa décision à cet égard doit être renvoyée pour jugement sur la question de l’indemnité, conformément aux principes formulés dans l’arrêt Morgan.

d)         Réintégration

Les dispositions pertinentes du paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont les suivantes :

53. …

(2) À l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

Le paragraphe 53(4) n’est pas pertinent pour cette question, ce qui n’est toutefois pas le cas du paragraphe 54(2) qui porte que l’ordonnance prévue au paragraphe 53(2) ne peut exiger le retrait d’un employé d’un poste qu’il a accepté de bonne foi.

Il faut rappeler que le Tribunal a ordonné dans sa décision la réintégration de la requérante principale dans un poste équivalent situé à l’extérieur de la Saskatchewan. Il n’a pas ordonné sa réintégration au bureau du Ministère à Regina parce que [à la page D/137] « pareille décision mènerait tout droit à un désastre. Il y a manifestement trop d’animosité entre les parties pour que l’on puisse songer à cette solution ».

Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[11], le juge en chef Dickson a dit, à la page 1134 :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l’essor des droits individuels d’importance vitale, lesquels sont susceptibles d’être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu’en interprétant la Loi, les termes qu’elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. [Non souligné dans le texte original.]

Le motif fourni par le Tribunal pour expliquer pourquoi il a prévu dans son ordonnance que la réintégration de la requérante principale ne pourrait s’effectuer que dans des bureaux du Ministère situés à l’extérieur de la Saskatchewan était, selon moi, une façon, quoique bien intentionnée, de diminuer l’effet des droits garantis par la Loi canadienne sur les droits de la personne pour les personnes qui, comme la requérante principale, ont fait l’objet de discrimination parce qu’elles ont été retirées d’un poste pour un motif de distinction illicite. La solution envisagée par le Tribunal qui « mènerait tout droit à un désastre » est une question relevant du Ministère qui a refusé de continuer à l’employer pour un motif de distinction illicite. Cela ne lui permet pas de ne pas accorder à la requérante principale une réparation totale, c’est-à-dire sa réintégration pure et simple, lorsqu’il reconnaît qu’il y a lieu d’ordonner la réintégration.

Le Tribunal ou la Cour n’ont pas à se préoccuper du fait que, étant donné les effectifs actuels du Ministère, le paragraphe 54(2) pourrait limiter les possibilités pour celui-ci de faire une place à la requérante principale à son bureau de Regina. C’est au Ministère qu’il incombe de régler cette question, de la manière qu’il juge appropriée et de sa compétence.

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal ayant conclu que la réintégration était une réparation appropriée compte tenu des faits de l’espèce, j’estime qu’il a commis une erreur de droit en n’ordonnant pas la réintégration de la requérante principale au bureau dont son retrait a été ordonné, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

e)         Déduction des bourses d’études pour autochtones

Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, le Tribunal a exigé que « les bourses ou les subventions » que la requérante principale avait obtenues pendant qu’elle poursuivait des études à temps plein dans un établissement d’enseignement secondaire après avoir été congédiée par le Ministère et avoir quitté volontairement son emploi subséquent, soient déduites de l’indemnité accordée pour les pertes de salaire.

S’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ratych c. Bloomer[12], Madame le juge McLachlin a dégagé les principes généraux suivants [à la page 981] :

Il ressort des principes généraux sous-jacents à notre système d’attribution de dommages-intérêts qu’un demandeur devrait être dédommagé pleinement et équitablement de manière à le mettre dans la situation où il se serait trouvé n’eût été la perpétration du délit civil, pour autant que cela puisse se faire pécuniairement. Suivant ce principe, les dommages-intérêts pour les pertes pécuniaires devraient se calculer en fonction de la perte réellement subie par le demandeur. Cela implique que le demandeur ne devrait être indemnisé que s’il peut établir l’existence d’une perte et, même alors, seulement dans la mesure de cette perte. La double indemnisation va à l’encontre de ce principe. Il s’ensuit donc que si le demandeur ne subit pas de perte de salaire par suite d’un délit civil parce que son employeur a continué à le lui verser pendant la durée de son incapacité de travailler, il ne devrait pas avoir droit à des dommages-intérêts pour perte de salaire.

Même si ces principes ont été formulés dans le contexte de demandes de dommages-intérêts en matière de responsabilité délictuelle, ils sont instructifs pour les faits de l’espèce si on tient compte des extraits de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan[13] qui ont été cités plus haut. Il est évident que la requérante principale n’aurait pas pu profiter des bourses en cause si elle avait continué à se consacrer à son travail au sein du Ministère. En effet, l’une des conditions pour l’obtention des bourses était qu’elle devait poursuivre des études à plein temps dans un établissement d’enseignement postsecondaire. Il lui aurait été clairement impossible de remplir cette condition si elle avait continué à travailler à plein temps.

Compte tenu du principe selon lequel un demandeur (en l’espèce, une plaignante) ne devrait être indemnisé que s’il peut établir l’existence d’une perte et, même alors, seulement dans la mesure de cette perte, et du fait que la double indemnisation va à l’encontre de ce principe, je conclus que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en statuant que les bourses reçues devaient être déduites de l’indemnité accordée pour les pertes de salaire. En ce qui concerne les bourses, la requérante principale n’a pas subi de perte. En fait, elle en a profité car grâce à celles-ci, elle n’a pas dû chercher un emploi ou demander des prestations d’aide sociale pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille; en outre, elle a pu parfaire son éducation ce qui lui aurait été impossible si elle avait continué à travailler à temps plein. Si la requérante principale pouvait garder les bourses et toucher en même temps une indemnité pour ses pertes de salaire, elle serait doublement avantagée ce qui équivaudrait à une double indemnisation et ce qui va à l’encontre des principes formulés par Madame le juge McLachlin.

Il reste un point à régler relativement à cette question. La preuve dont a été saisi le Tribunal n’indique pas si les bourses doivent être remboursées à l’organisme qui les a versées lorsque la requérante principale reçoit une indemnité pour les pertes de salaire. Si tel devait être le cas, il est évident, compte tenu encore une fois des principes énoncés ci-dessus, que les bourses ne devraient pas être déduites de cette indemnité.

f)          Indemnité pour préjudice moral

Le paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte notamment :

53. …

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s’il en vient à la conclusion, selon le cas :

b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

En l’espèce, le Tribunal [à la page D/138] n’a accordé aucune indemnité pour préjudice moral « compte tenu de la responsabilité de la plaignante à l’égard du triste sort qu’elle a subi ».

Le Ministère n’a pas contesté que la requérante principale « a souffert un préjudice moral » par suite de l’acte discriminatoire. La seule question en litige était donc la décision du Tribunal selon laquelle la requérante principale ne devait pas avoir droit à une telle indemnité parce qu’il considérait qu’elle avait une part de responsabilité dans la situation dans laquelle elle s’était retrouvée.

Même si on ne m’a cité aucun précédent pour confirmer le principe qu’on ne devrait pas tenir compte de la conduite d’un plaignant pour déterminer s’il y a lieu de lui accorder une indemnité pour préjudice moral, un tel principe est compatible avec l’idée que, lorsqu’on conclut qu’il y a eu discrimination pour un motif de distinction illicite, l’indemnité accordée devrait, dans la mesure du possible, permettre de replacer le plaignant dans sa position antérieure. Refuser une indemnité pour préjudice moral en raison de la conduite d’un plaignant équivaut en fait à tolérer la discrimination pour un motif de distinction illicite chaque fois que le comportement du plaignant est, pour quelque raison que ce soit, loin d’être exemplaire.

Je conclus que la Loi canadienne sur les droits de la personne et, en particulier le paragraphe 53(3), ne devrait pas être interprétée ni appliquée de manière à produire un tel résultat. Je suis d’avis que le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant ou en appliquant ce paragraphe de cette manière, compte tenu des faits dont il avait été saisi.

LA POSITION DES INTERVENANTS

Bien que l’analyse qui précède règle un bon nombre des questions soulevées par les intervenants, elle ne tient pas compte de divers arguments qui ont été présentés en leur nom. J’estime qu’il est inutile d’examiner ces arguments pour trancher les questions dont j’ai été saisi. Compte tenu des circonstances, et avec un certain regret, je me vois obligé de refuser de commenter davantage les arguments des intervenants.

CONCLUSION

En résumé, en appliquant la justesse comme norme de contrôle, j’en arrive aux conclusions suivantes :

- le Tribunal a implicitement conclu que le Ministère a violé l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en refusant de continuer d’employer la requérante principale et en la défavorisant en cours d’emploi, pour un motif de distinction illicite, soit la race;

- le Tribunal a commis une erreur de droit en limitant le montant des dommages-intérêts accordés à la plaignante à une somme représentant vingt-quatre (24) mois de salaire sans avoir procédé, en fonction des principes formulés dans l’arrêt Morgan[14], à une analyse qui aurait justifié cette limite ou, en fait, toute autre limite;

- le Tribunal a commis une erreur de droit en n’ordonnant pas la réintégration de la requérante principale dans son lieu de travail antérieur ou dans tout autre endroit qui lui conviendrait;

- le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en prévoyant la déduction des bourses d’études pour autochtones de l’indemnité accordée pour les pertes de salaire, à moins que ces bourses ne soient remboursables à l’organisme qui les a versées lorsqu’une telle indemnité est accordée;

- le Tribunal a commis une erreur de droit en n’accordant pas d’indemnité pour préjudice moral en raison uniquement de la conduite de la requérante principale.

Compte tenu des circonstances, j’ai ordonné que la présente affaire soit renvoyée devant le même Tribunal des droits de la personne ou devant un tribunal différemment constitué afin qu’il prenne les mesures suivantes : qu’il détermine le montant approprié de l’indemnité pour les pertes de salaire après une analyse faite en fonction des principes formulés dans l’arrêt Morgan[15]; qu’il rende l’ordonnance appropriée en ce qui concerne la réintégration de la requérante principale dans son lieu de travail antérieur ou à tout autre endroit qui lui conviendrait; qu’il détermine si, lorsqu’une indemnité pour les pertes de salaire est accordée, les bourses d’études pour autochtones reçues pour la requérante principale sont remboursables à l’organisme qui les a versées et ne devraient donc pas être déduites de l’indemnité pour les pertes de salaire; enfin, qu’il détermine le montant de l’indemnité pour préjudice moral, s’il y a lieu, sans tenir compte de la conduite de la requérante principale.



[1] En anglais, faut-il dire Department of the Secretary of State ou Department of Secretary of State? Dans la Loi sur le secrétariat d’État, L.R.C. (1985), ch. s-17, le « the » est employé.

[2] Dans la décision du Tribunal, la requérante principale est la plaignante et le Ministère, l’intimé.

[3] Un seul dossier a été produit pour les requérantes dans les deux demandes de contrôle judiciaire. De même, un seul dossier a été déposé au nom du Ministère intimé et du procureur général du Canada. Hormis le fait que la norme de contrôle n’est pas considérée comme une question en litige dans le dossier des intimés, les questions exposées dans ce dossier sont pour l’essentiel analogues à celles tirées du dossier des requérantes.

[4] [1994] 2 C.F. 176 (1re inst.), aux p. 184 et 185.

[5] Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la p. 585; et Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux p. 89 et 90.

[6] L.R.C. (1985), ch. H-6.

[7] P. 00038, dossier de la demande, volume 1.

[8] À la p. D/136.

[9] À la p. D/136.

[10] [1992] 2 C.F. 401 (C.A.).

[11] [1987] 1 R.C.S. 1114.

[12] [1990] 1 R.C.S. 940.

[13] Supra. Voir note 10.

[14] Supra, note 10.

[15] Supra, note 10.

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