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A-569-95

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) et Pickford & Black et Pesqueria Latino Americana S.A. et Pesqueria Atlantica S.A. et Pesqueria Altamar S.A. et Pesquera La Palma S.A. et Transportes Oceanicos S.A. et Pezmares S.A. (requérantes)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

A-570-95

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) et Pickford & Black et Pesqueria Latino Americana S.A. et Pesqueria Atlantica S.A. et Pesqueria Altamar S.A. et Pesquera La Palma S.A. et Transportes Oceanicos S.A. et Pezmares S.A. (requérantes)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine)c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juges Pratte, Stone et McDonald, J.C.A."Halifax, 16 octobre; Ottawa, 11 décembre 1997.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de visiteurs Les propriétaires et les exploitants de navires de pêche sont tenus en droit, par application des art. 91.1(1)b) et 92(1) de la Loi sur l'immigration, de payer des frais administratifs et de verser des cautionnements relativement aux membres de leur personnel qui désertent, parce qu'ils sont destransporteursau sens des art. 2, 91.1(1)b) et 92(1) de la Loi sur l'immigration.

Interprétation des lois Les propriétaires et les exploitants de navires de pêche sont-ils destransporteursau sens des art. 2, 91.1(1)b) et 92(1) de la Loi sur l'immigration aux fins de l'obligation légale de payer des frais administratifs et de verser des cautionnements relativement aux membres de leur personnel qui désertent?Divergence entre les versions anglaise et française de la définition du termetransporteurdans l'art. 2 de la LoiExamen du contexte législatif dans lequel ce terme est utilisé, ainsi que du but et de l'objet de la loiPrincipes qui s'appliquent à l'interprétation des changements effectués lors de la refonte des lois d'intérêt publicLa version anglaise exprime le mieux l'objet de la Loi qui consiste à contrôler l'entrée illégale de personnes au Canada et à recouvrer les dépenses liées à leur renvoi.

Depuis de nombreuses années, les sociétés requérantes s'adonnent à la pêche, au ravitaillement et à des activités de soutien de la pêche à l'intérieur de la zone de pêche exclusive de deux cent milles du Canada. En vertu d'un accord entre Cuba et le Canada, les navires cubains étaient autorisés à faire escale dans les ports canadiens en vue d'y acheter des fournitures, d'y effectuer des réparations et pour d'autres raisons. En 1993, des membres du personnel des navires appartenant aux sociétés requérantes ou exploités par elles ont déserté leurs navires pendant que ceux-ci se trouvaient dans des ports canadiens. En conséquence, le ministre a imputé des frais administratifs aux requérantes et exigé qu'elles déposent des cautionnements en application, respectivement, de l'alinéa 91.1(1)b) et du paragraphe 92(1) de la Loi sur l'immigration.

Il s'agissait d'appels interjetés à l'encontre d'ordonnances de la Section de première instance rejetant la demande de contrôle judiciaire de l'imputation de frais administratifs et de l'ordre exigeant le dépôt de cautionnements. Les questions soulevées étaient celles de savoir si les requérantes étaient tenues par la loi de payer ces frais administratifs et de déposer ces cautionnements. Ces questions tenaient à l'interprétation juste à donner au terme "transporteur" figurant dans ces dispositions et défini au paragraphe 2(1) de la Loi. Ces questions découlaient d'une question certifiée par le juge de première instance, soit celle de savoir si, lorsque le propriétaire ou l'exploitant d'un navire utilisé pour la pêche transporte des personnes ou des marchandises au Canada, le propriétaire ou l'exploitant entrent dans la définition de "transporteur" donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'Immigration .

Arrêt: les appels sont rejetés et la question reçoit une réponse affirmative.

La version anglaise de la définition parle d'une personne "transporting or providing for the transportation of persons or goods by vehicle or otherwise", alors que la version française vise les personnes "qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen". La version anglaise, d'une portée plus large, appuie la prétention de l'intimé. La version française, d'une portée plus étroite du fait qu'elle emploie l'expression "un service de transport" et le terme "voyageurs", étaye l'argumentation des requérantes. Cette divergence soulève la question de l'interprétation d'une loi bilingue lorsqu'il y a apparemment incompatibilité entre les deux versions d'une même disposition.

Il est bien établi que les versions anglaise et française d'une loi ont également force de loi et ont la même valeur. La façon traditionnelle d'interpréter une loi bilingue consiste à découvrir et à attribuer à une disposition le sens commun aux deux versions de la loi. Toutefois, cette "règle du sens commun" n'est pas absolue. On l'écartera si une interprétation différente mène à un résultat préférable ou plus acceptable, qui est conforme à l'esprit et à l'intention du texte et qui assure le mieux la réalisation de ses objets. De plus, les tribunaux examinent souvent l'historique législatif et l'origine d'une disposition législative pour en concilier les versions incompatibles dans des langues différentes.

En appliquant ces principes, la Cour a tenté de concilier les versions anglaise et française de la définition du terme "transporteur" en examinant le contexte législatif dans lequel ce terme était utilisé, ainsi que le but et l'objet de la Loi. Il ressort de la partie V de la Loi que son but principal consiste à libérer le gouvernement fédéral des coûts associés à l'entrée de personnes sans statut au Canada et à leur renvoi subséquent en les imputant plutôt aux transporteurs qui les ont amenées au pays. Les dispositions de la partie V favorisent également la réalisation de l'objectif général de la Loi en décourageant les transporteurs d'amener au Canada des personnes qui n'ont pas le droit d'y entrer ou d'y demeurer. La définition plus étendue du terme "transporteur" énoncée dans la version anglaise de la Loi assure le mieux la réalisation de ses objets et exprime le vrai sens de cette disposition.

L'historique législatif laisse également entendre que les termes généraux employés dans la version anglaise expriment mieux le sens de cette disposition et favorisent la réalisation de l'objet de la Loi. Les modifications successives apportées à la définition du terme "transporteur" révèlent une nette tendance à l'élargissement de sa portée. Les textes anglais et français ont commencé à diverger en 1985, et plus particulièrement à la suite de la refonte des lois refondues du Canada de 1985. C'est à ce moment que la version française a réintroduit le terme "voyageur" et employé pour la première fois l'expression "service de transport". Les modifications de 1992 ont supprimé le mot "carrying" et, partant, tout le contexte du transport de personnes, et elles ont ajouté le terme "marchandises" pour étendre l'application de la Loi aux entreprises qui transportent des marchandises au pays. En outre, selon l'article 4 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985) , les modifications grammaticales et syntaxiques apportées à la définition française du terme "transporteur" ne constituent pas du "droit nouveau", mais doivent être interprétées comme une refonte du droit existant avant 1985.

Ainsi, l'historique législatif révèle l'intention claire du législateur d'élargir la portée de cette disposition. De plus, cette interprétation large correspond davantage à l'objet de la Loi qui consiste à contrôler l'entrée illégale de personnes au Canada et à recouvrer les dépenses liées à leur renvoi. Le terme "transporteur" vise donc toutes les entreprises qui transportent des personnes ou des marchandises, ou en assurent le transport, par véhicule ou tout autre moyen. Il ne se limite pas aux entreprises dont l'activité principale consiste à transporter des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

La Cour a donc donné la réponse suivante à la question certifiée: Lorsque le propriétaire ou l'exploitant d'un véhicule qui n'est pas principalement utilisé aux fins du transport de personnes ou de marchandises, comme un navire utilisé pour la pêche, transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l'exploitant ou leur mandataire entrent dans la définition de "transporteur" donnée au paragraphe 2(1) de la Loi.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24(2).

Loi de l'immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 2d),(v).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) "transporteur" (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), "véhicule" (mod., idem ), 26(1)c.1) (mod., idem, art. 15), 83(1) (mod., idem, art. 73), 85 (mod., idem, art. 74), 86 (mod., idem, art. 75), 87 (mod., idem, art. 76), 88, 89 (mod., idem, art. 77), 89.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 22; L.C. 1992, ch. 49, art. 78), 90 (mod., par L.C. 1992, ch. 49, art. 79), 91, 91.1(1)b) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 80), 92 (mod., idem, art. 81), 114(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29; ch. 29, art. 14; L.C. 1990, ch. 38, art. 1; 1992, ch. 49, art. 102).

Loi sur l'immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, art. 2aa).

Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52.

Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2, art. 8 (abrogé par L.C. 1988, ch. 38, art. 110).

Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 4.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 42.2(1)e) (mod. par DORS/93-44, art. 20), 53(1) (mod., idem, art. 23).

jurisprudence

décisions appliquées:

Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183; R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; 25 N.R. 361; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1 (L'Heureux-Dubé J., dissidente); R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Secrétaire d'État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395; (1989), 64 D.L.R. (4th) 413; 28 C.P.R. (3d) 301; 32 F.T.R. 161 (1re inst.); Goodswimmer c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 389; (1995), 123 D.L.R. (4th) 93; [1995] 3 C.N.L.R. 72; 180 N.R. 184 (C.A.); pourvoi à la C.S.C. rejeté [1997] 1 R.C.S. 309.

décision citée:

Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

doctrine

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

APPELS d'ordonnances de la Section de première instance ([1995] 3 C.F. 383; (1995), 100 F.T.R. 211; 30 Imm. L.R. (2d) 185 (1re inst.)) rejetant les demandes de contrôle judiciaire de l'imputation de frais d'administration aux requérantes en vertu de l'alinéa 91.1(1)b) de la Loi sur l'immigration et d'un ordre exigeant que les requérantes déposent des cautionnements en vertu du paragraphe 92(1) de la Loi. Appels rejetés.

avocats:

Roderick H. Rogers pour les requérantes.

Gregory A. MacIntosh pour l'intimé.

procureurs:

Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax, pour les requérantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: Le premier appel vise une ordonnance par laquelle le juge MacKay a rejeté, le 1er septembre 1995 [[1995] 3 C.F. 383 (1re inst.)], une demande de contrôle et d'annulation de l'imputation aux requérantes, par le ministre intimé (le ministre), de frais administratifs sous le régime de l'alinéa 91.1(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 80] (la Loi). Le deuxième vise une ordonnance par laquelle il a rejeté, à la même date, une demande de contrôle et d'annulation d'un ordre du ministre exigeant que les requérantes déposent un cautionnement en vertu du paragraphe 92(2) [mod., idem, art. 81] de la Loi. Cet appel a été entendu en même temps que le présent appel.

Les questions soulevées par les appels comportent deux volets: les requérantes sont-elles tenues, d'une part, de payer les frais administratifs prévus par l'alinéa 91.1(1)b) de la Loi et, d'autre part, de déposer les cautionnements prévus au paragraphe 92(1)? Pour trancher ces questions, il faut déterminer l'interprétation juste à donner au terme "transporteur" qui figure dans ces dispositions et qui est défini au paragraphe 2(1) [mod., idem , art. 1] de la Loi. Le juge MacKay a conclu que chacune des requérantes était comprise dans la définition établie par la Loi et, partant, que les décisions du ministre étaient autorisées par la Loi.

Ces questions découlent de la question suivante certifiée par le juge MacKay [à la page 394] en vertu du paragraphe 83(1) [mod., idem, art. 73] de la Loi:

Lorsque le propriétaire ou l'exploitant d'un véhicule utilisé pour la pêche transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l'exploitant ou leur mandataire entrent-ils dans la définition de "transporteur" donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration ?

La requérante, Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine), (la Flotte), gère et exploite les navires appartenant aux requérantes Pesqueria Latino Americana S.A., Pesqueria Atlantica S.A., Pesqueria Altamar S.A., Pesquera La Palma S.A., Transportes Oceanicos S.A. et Pezmares S.A. (les sociétés requérantes). La dernière requérante, Pickford & Black, est la mandataire autorisée des navires au Canada.

Depuis de nombreuses années, les sociétés requérantes s'adonnent à la pêche, au ravitaillement et à des activités de soutien de la pêche dans l'Océan Atlantique, à l'intérieur de la zone de pêche exclusive de deux cent milles du Canada, en vertu d'un "Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République de Cuba sur leurs relations mutuelles en matière de pêche" daté du 12 mai 1977 (l'Accord). Selon cet Accord, les exploitants de navires de pêche cubains doivent s'associer à un partenaire canadien qui reçoit et traite un pourcentage de leurs prises au Canada. Le partenaire canadien est la société D'Eon Fisheries Limited de Shelburne (Nouvelle-Écosse). Cette société a le droit de recevoir et de traiter 15 p. 100 de chaque quantité pêchée.

L'article IV de l'Accord prévoit:

1. Sous réserve des services disponibles ainsi que des besoins des navires canadiens, le Gouvernement du Canada s'engage à autoriser les navires cubains à faire escale dans les ports canadiens, conformément aux lois, règlements et exigences administratives du Canada, en vue d'y acheter de la boette, des fournitures ou des agrès ou pour y effectuer des réparations, ainsi que pour toute autre raison dont pourra décider le Gouvernement du Canada, lorsque ces navires

(a) sont autorisés par voie de licence à pêcher ou à soutenir les activités de pêche en vertu de l'article II,

(b) pêchent dans le secteur mentionné à l'article III, ou

(c) transitent entre des secteurs extérieurs aux eaux des pêcheries canadiennes.

2. Cette autorisation deviendra nulle et non avenue à l'égard de tout navire autorisé par voie de licence à pêcher en vertu de l'article II dès l'annulation ou l'expiration de sa licence de pêche ou de soutien des activités de pêche, sauf si ce navire doit faire escale pour acheter des fournitures ou effectuer des réparations nécessaires à son départ au large.

3. Les dispositions du présent article ne portent pas préjudice à la question de l'accès aux ports canadiens dans les cas de détresse, de soins médicaux urgents ou de force majeure.

Les navires de pêche cubains peuvent donc être autorisés à faire escale dans les ports canadiens pour de nombreuses raisons, notamment, pour remettre un pourcentage de leurs prises à un partenaire canadien, pour faire monter à bord ou laisser descendre des observateurs canadiens, pour obtenir des permis de pêche et dans les cas d'urgence.

En 1993, des membres du personnel des navires appartenant aux sociétés requérantes ou exploités par elles ont déserté leurs navires pendant que ceux-ci se trouvaient dans des ports canadiens à des fins autorisées par l'article IV de l'Accord. Ces fins sont résumées dans la plaidoirie écrite des requérantes: prendre possession d'un permis, remettre un permis, faire monter à bord et laisser descendre des observateurs; débarquer le corps d'une personne décédée; décharger les prises accessoires; décharger les prises accessoires et transporter des marchandises. L'expression "prises accessoires" renvoie à la remise du pourcentage requis des prises au partenaire canadien situé à Shelburne (Nouvelle-Écosse).

L'alinéa 91.1(1)b) et le paragraphe 92(1) de la Loi, en vertu desquels le ministre a respectivement imputé des frais administratifs et exigé le dépôt de cautionnements, sont libellés comme suit:

91.1 (1) Le ministre peut imputer provisoirement au transporteur des frais administratifs, selon le tarif réglementaire, pour toute personne faisant partie d'une catégorie précisée par règlement pour l'application du présent article, dans les cas suivants:

. . .

b) la personne est entrée au Canada à titre de membre du personnel d'un véhicule exploité par le transporteur ou pour le devenir et fait l'objet du rapport visé à l'alinéa 27(2)e) à titre de membre du personnel qui a perdu la qualité de visiteur aux termes de l'alinéa 26(1)c.1).

. . .

92. (1) Le sous-ministre peut ordonner aux transporteurs de déposer auprès de Sa Majesté du chef du Canada une somme d'argent, en monnaie canadienne, ou tout autre cautionnement réglementaire qu'il estime nécessaire pour garantir le paiement des frais qui pourraient être mis à leur charge aux termes de la présente loi après qu'il en a été ainsi ordonné.

Par application de l'alinéa 26(1)c.1) [mod., idem, art. 15] de la Loi, une personne perd la qualité de visiteur du fait "d'entrer au Canada à titre de membre du personnel d'un véhicule, ou pour le devenir, et de cesser de l'être ou de ne pas le devenir". En conséquence, un membre du personnel qui déserte son navire au Canada n'a pas le droit de demeurer au pays après sa défection. L'alinéa 42.2(1)e ) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par DORS/93-44, art. 20)] prévoit l'imputation provisoire des frais administratifs au transporteur à l'égard des "personnes qui demeurent au Canada après avoir perdu la qualité de visiteur pour le motif visé à l'alinéa 26(1)c. 1) de la Loi".

Dans une lettre datée du 17 juin 1993, les avocats des requérantes ont soumis des observations écrites aux autorités de l'Immigration et soutenu que les frais administratifs exigés n'étaient pas autorisés par la Loi. Les autorités de l'Immigration ont répondu à ces observations par une lettre, datée du 21 octobre 1993, qui avait pour effet de conférer un caractère définitif à l'imputation. Les autorités ont rejeté les observations des requérantes en affirmant, dans cette lettre1:

[traduction] Compte tenu de l'économie générale de la Loi sur l'immigration, il est inconcevable que le législateur canadien ait eu l'intention d'imposer des obligations financières uniquement aux propriétaires et mandataires de certains navires qui font escale dans les ports canadiens. Si la Loi établissait une telle discrimination, le programme d'immigration du Canada créerait la possibilité d'abus considérables de la part de sociétés qui pourraient transporter des migrants illégaux au Canada en toute impunité.

Si un tribunal retenait la prétention que les pêcheurs ne sont pas des transporteurs et sont donc exemptés de toutes les obligations et responsabilités imposées par la Loi sur l'immigration, il faudrait procéder à des modifications législatives pour corriger cette anomalie. L'une de ces modifications pourrait consister à abolir les exemptions relatives aux visas et aux passeports qui s'appliquent actuellement à toutes les personnes transportées au Canada en qualité de membres du personnel d'un navire de pêche ou afin de le devenir.

Comme vous le savez probablement déjà, vos clients ont le privilège de faire escale dans les ports canadiens en vertu du protocole d'entente signé entre le Canada et leurs gouvernements respectifs sur leurs relations mutuelles en matière de pêche. Ces accords stipulent qu'ils peuvent se prévaloir de ce privilège uniquement en conformité avec les lois, règlements et exigences administratives du Canada.

En résumé, je tiens à répéter que les exploitants de véhicules commerciaux qui transportent des personnes vers les ports canadiens sont assujettis à toutes les obligations et responsabilités imposées aux transporteurs par la Loi sur l'immigration, sans égard à la nature de leurs activités commerciales. J'ai donc le devoir de m'assurer que vos clients respectent ces obligations.

Le terme "transporteurs"/"transportation company" est définis au paragraphe 2(1) de la Loi:

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi:

. . .

"transporteur" Personne ou groupement, y compris leurs mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen. S'entend en outre, pour l'application des paragraphes 89(2) à (7), des articles 92 et 93 et de l'alinéa 114(1)cc ), de l'exploitant d'un pont ou d'un tunnel ou d'une administration aéroportuaire désignée aux termes de la Loi relative aux cessions d'aéroports. La présente définition s'applique aux gouvernements fédéral et provinciaux ainsi qu'aux municipalités, dans la mesure où ils exploitent ou fournissent un tel service.

Selon une autre définition énoncée au paragraphe 2(1), le terme "véhicule" [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1] s'entend d'un "[m]oyen de transport maritime, fluvial, terrestre ou aérien".

Les requérantes ont soutenu, devant le juge MacKay et devant notre Cour, qu'elles n'étaient pas tenues d'effectuer les paiements en cause parce qu'aucun membre du personnel concerné n'a déserté le navire d'un "transporteur" selon la définition énoncée dans la Loi. Elles soutiennent que les navires n'ont jamais été principalement utilisés pour le transport de marchandises et de personnes, à titre onéreux ou autrement, que ces bateaux étaient soit des navires de pêche soit des navires de soutien des activités de pêche et qu'ils ont été exploités à ce titre en conformité avec les dispositions de l'Accord. De plus, le libellé du paragraphe 53(1) [mod. par DORS/93-44, art. 23] du Règlement sur l'immigration de 1978 , exigeant que le responsable d'un "navire d'immatriculation étrangère" fournisse à un agent d'immigration une liste complète des membres du personnel dès l'arrivée du navire au Canada, indique que les sociétés requérantes sont assujetties à cette obligation particulière, bien qu'aucune ne soit un "transporteur" au sens de la Loi.

Le juge MacKay a toutefois conclu que toutes les requérantes entraient dans la définition de ce terme parce que, selon lui, elles "transportent effectivement les membres de leur personnel à bord de leurs navires", bien que ces navires soient utilisés principalement pour la pêche ou à des fins accessoires à ce type d'activités. À son avis, le but dans lequel un navire est exploité n'est pas pertinent. Comme il l'explique de façon plus détaillée, aux pages 392 et 393 de ses motifs:

La définition ne précise pas que le navire doive être principalement utilisé pour le transport de marchandises ou de personnes, ou qu'il doive être utilisé pour le transport à titre onéreux. Il n'y a rien dans la Loi qui donne à entendre que la définition de transporteur plus restrictive proposée par les requérantes soit celle qui devrait être adoptée. En fait, une partie de la définition de transporteur qui doit être utilisée pour l'application de certains articles de la Loi, dont l'article 92, qui est le fondement de l'exigence de cautionnement, comprend l'exploitant d'un pont, d'un tunnel ou d'une administration aéroportuaire. À mon avis, le Parlement n'a pas eu l'intention de donner un sens restrictif à la définition, comme le prétendent les requérantes. Au contraire, les fins générales de la Loi, les dispositions précises qui doivent être prises quant aux membres du personnel de navires étrangers, les obligations des exploitants de navires de même que les aspects pratiques de l'application de la Loi donnent tous à entendre qu'il faut attribuer un sens large à la définition de "transporteur", comme le prétend l'intimé. La grande étendue des obligations imposées aux transporteurs dans la partie V de la Loi, qui comprend maintenant plus d'une douzaine d'articles, dont l'article 86, qui tient responsable le transporteur pour le renvoi des membres du personnel de leurs véhicules ou navires appuie aussi cette interprétation. Il n'y a pas de motifs s'accordant aux fins de la Loi qui permette de restreindre l'application de cet article aux exploitants de navires qui transportent des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

L'intimé soutient que la position des requérantes est incompatible à la fois avec le libellé de la définition en cause et avec une interprétation téléologique de l'ensemble de la Loi"qui révèle que l'objet général de la Loi consiste à contrôler l'entrée au Canada de personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens. (Voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 733 et 734.) La capacité des autorités de l'Immigration de traiter le cas d'une personne qui a été transportée au Canada à bord d'un véhicule ne peut être déterminée rationnellement à partir d'une analyse des motifs pour lesquels ce véhicule a transporté un non-citoyen au Canada. Le législateur avait l'intention d'inclure dans la définition du terme "transporteur" toutes les personnes et tous les groupes de personnes dont le véhicule, sans égard à sa nature, est utilisé pour transporter des personnes et des marchandises au Canada. L'intimé soutient que les mots déterminants de la définition sont les mots "qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen". En conséquence, le seul critère à appliquer pour déterminer si les requérantes constituent un transporteur consiste à se demander si elles ont effectivement assuré un service de transport au Canada des membres du personnel qui ont déserté. Il n'est absolument pas nécessaire que les activités des requérantes consistent à transporter des personnes ou des marchandises et rien dans la définition prévue par la Loi n'exige que le transport des personnes ou des marchandises soit effectué à titre onéreux.

Certes, il peut exister de bonnes raisons de principe de s'assurer que le Canada ne soit pas forcé d'assumer des coûts tels que ceux dont l'alinéa 91.1(1)b) et le paragraphe 92(1) de la Loi visent le recouvrement. Le passage précité de la lettre du 21 octobre 1993 illustre assurément cette nécessité. Toutefois, la réponse à la question certifiée doit, compte tenu des principes pertinents d'interprétation législative, être fonction de l'intention exprimée par le libellé de la définition du terme "transporteur". Les droits administratifs mentionnés à l'alinéa 91.1(1)b ) doivent s'appliquer à un membre du personnel d'un véhicule exploité par un "transporteur", et l'ordre de déposer un cautionnement sous le régime du paragraphe 92(1) doit être donné à un "transporteur". Il est donc clair que les requérantes seront tenues de payer les frais et de déposer le cautionnement en cause uniquement si elles entrent dans la définition législative d'un "transporteur".

Il est important de souligner, à mon avis, que les deux versions de la définition des termes "transporteur" et "transportation company— ne sont pas identiques. La version anglaise parle d'une personne "transporting or providing for the transportation of persons or goods by vehicle or otherwise", alors que la version française vise une personne "qui assure [. . .] un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen". Si l'on se reporte uniquement à la version anglaise, celle-ci appuie la prétention de l'intimé car elle englobe une personne qui transporte des personnes ou des marchandises ou en assure le transport (providing for the transportation of ) par véhicule ou tout autre moyen. La version française semble étayer l'argumentation des requérantes du fait qu'elle emploie l'expression "un service de transport" et le terme "voyageurs". Elle laisse croire que le législateur avait l'intention d'inclure, dans cette définition, uniquement les personnes ou les groupes de personnes qui offrent un service de transport à des voyageurs, et non les sociétés semblables aux requérantes dont les navires sont utilisés exclusivement pour la pêche et le soutien des activités de pêche, et dont les membres du personnel travaillent pour une entreprise avec laquelle elles ont un lien contractuel et ne sont pas transportés en qualité de voyageurs.

À cette étape de notre raisonnement, il est important de garder à l'esprit les principes d'interprétation législative qui s'appliquent à l'interprétation d'une loi bilingue lorsqu'il y a apparemment incompatibilité entre les deux versions d'une même disposition.

Malgré l'abrogation de l'article 8 de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2, en 1988 [L.C. 1988, ch. 38, art. 110], les tribunaux canadiens affirment constamment que les versions anglaise et française d'une loi ont également force de loi et ont la même valeur. Ce principe implique qu'aucune version d'une loi bilingue ne doit prévaloir sur l'autre et qu'il ne faut accorder priorité à aucune des deux langues. Comme Ruth Sullivan l'a déclaré dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 218, [traduction] "il est incompatible avec la règle de la valeur égale de résoudre les divergences entre deux versions rédigées dans des langues différentes en donnant automatiquement préférence à l'une d'elles".

La façon traditionnelle d'interpréter une loi bilingue consiste à découvrir et à attribuer à une disposition le sens commun aux deux versions de la loi. S'il y a conflit apparent entre les versions anglaise et française, le tribunal doit tenter de les concilier en dégageant et en retenant le sens qui leur est commun. Le juge Lamer (plus tard juge en chef) a résumé cette façon d'aborder la question dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1071, dans lequel il a dit:

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l'objet et l'économie générale du Code.

Comme l'indique toutefois l'arrêt récent Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, la règle du sens commun n'est pas absolue. Le juge Gonthier a confirmé, au paragraphe 25 [à la page 879], qu'un tribunal peut rejeter un sens commun s'il semble contraire à l'intention du législateur. Pour illustrer son raisonnement, le juge Gonthier a cité le passage clé suivant de l'arrêt R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, aux pages 871 et 872:

. . . [la règle du sens commun] n'est qu'un guide parmi plusieurs autres, dont il faut se servir pour rechercher le sens d'une loi qui, "selon l'esprit, l'intention et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets" . . . La règle . . . n'est pas absolue au point d'automatiquement l'emporter sur tous les autres principes d'interprétation.

Par conséquent, le principe du sens commun n'est pas toujours déterminant pour l'interprétation d'une disposition et on l'écartera si une interprétation différente mène à un résultat préférable ou plus acceptable (Driedger, précité, à la page 228) ou s'il existe, comme le mentionne l'arrêt Compagnie Immobilière, précité, une interprétation qui est conforme à "l'esprit, l'intention et le sens véritables du texte" et qui "assure le mieux la réalisation de ses objets".

En fait, la jurisprudence laisse entendre que les tribunaux doivent continuer à utiliser les principes ordinaires d'interprétation législative pour interpréter les lois bilingues. Le but de notre interrogation doit donc consister à découvrir et à donner effet à l'intention du législateur, en regard de l'objet de la loi, du contexte dans lequel elle a été édictée et des autres stratégies d'interprétation. Comme l'a dit le juge L'Heureux-Dubé dans sa dissidence dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 618, en cas d'incompatibilité entre les deux textes, "c'est l'interprétation qui favorise l'objet de la loi qui doit l'emporter".

Ce raisonnement a de plus été approuvé dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 287, où l'interprétation téléologique du paragraphe 24(2) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] a amené le tribunal à conclure que le texte français devait prévaloir pour l'interprétation de cette disposition, car il exprimait mieux l'objet de la Charte qui consiste à protéger les droits de la personne et le droit de l'accusé à un procès impartial. Le juge Dubé, dans la décision Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Secrétaire d'État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395 (1re inst.), à la page 401, a également souscrit à cette façon d'interpréter la loi. Il a déclaré que le tribunal doit donner, aux deux versions incompatibles d'une disposition bilingue, l'interprétation qui "reflète le mieux le but de l'article pertinent interprété dans le contexte de la Loi et compte tenu de l'esprit de la loi". De plus, comme l'affirme Ruth Sullivan dans Driedger , précité, aux pages 233 et 234, les tribunaux examinent souvent l'historique législatif et l'origine d'une disposition législative pour en concilier les versions incompatibles dans des langues différentes.

Si j'applique ces principes à l'affaire dont je suis saisi, je dois concilier les versions anglaise et française de la définition du terme "transporteur" en examinant le contexte législatif dans lequel ce terme est utilisé, ainsi que le but et l'objet de la Loi.

J'analyserai d'abord l'esprit de la Loi. Les articles 91.1 et 92 se trouvent dans la partie V de la Loi, qui est intitulée "Obligations des transporteurs". L'article 85 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 74; 1995, ch. 15, art. 16] de la Loi attribue aux transporteurs la responsabilité générale des frais engagés pour renvoyer les personnes qu'ils ont amenées au Canada et qui ne sont pas autorisées à y demeurer. Ainsi, en vertu du paragraphe 85(1), le transporteur qui a amené une personne au Canada peut "être tenu responsable par le ministre du transport de celle-ci" à l'extérieur du Canada, alors que le paragraphe 85(3) le rend responsable des frais de renvoi des personnes "qu'il est tenu de transporter ou de faire transporter" aux termes de cet article.

L'article 86 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 75] traite expressément de la responsabilité des frais de renvoi d'un membre du personnel qui a perdu la qualité de visiteur au Canada. En voici le libellé:

86. Dans le cas où une personne entre au Canada à titre de membre du personnel d'un véhicule ou pour le devenir et perd la qualité de visiteur aux termes du paragraphe 26(1), le transporteur qui exploite le véhicule peut être tenu responsable par le ministre du transport de la personne à destination du pays d'où elle est arrivée, ou du pays agréé par le ministre à la demande du transporteur, ainsi que des frais de renvoi de la personne.

L'article 87 [mod., idem, art. 76] donne au transporteur la possibilité de s'acquitter de son obligation de renvoyer la personne en cause du Canada au moyen de ses propres véhicules ou par tout autre moyen. Le paragraphe 88(1) oblige le transporteur à détenir et à garder sous surveillance toute personne qu'il est tenu de transporter et le paragraphe 88(2) lui interdit d'exiger une rémunération pour le transport de cette personne, sauf entente préalable concernant le billet de retour.

Le paragraphe 89(1) de la Loi emploie le mot "passagers", et semble viser expressément les entreprises dont les activités consistent à transporter des voyageurs au Canada, comme les entreprises de transport aérien, maritime ou ferroviaire. Cette disposition oblige le transporteur à amener les passagers à un agent d'immigration pour interrogatoire à leur arrivée au Canada. Le paragraphe 89(2) [mod., idem , art. 77] autorise le Ministre à exiger des transporteurs qu'ils "fournissent, aménagent et entretiennent" les installations appropriées pour "l'interrogatoire et la rétention" des personnes qu'ils amènent au Canada. De plus, le paragraphe 89.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 22; L.C. 1992, ch. 49, art. 78] impose à tous les transporteurs l'obligation de s'assurer que les personnes qu'ils amènent au Canada sont munies des documents de voyage requis.

Le paragraphe 90(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 79] énonce les droits des agents d'immigration de visiter les véhicules amenant des personnes au Canada, d'interroger les personnes transportées par ces véhicules et d'inspecter les documents et pièces relatifs à ces personnes. Le paragraphe 90(2) [mod., idem; L.C. 1995, ch. 15, art. 17] confère également aux agents d'immigration le pouvoir d'enjoindre au responsable d'un véhicule (master)"terme défini en anglais seulement au paragraphe 2(1) comme "the person in immediate charge or control of the vehicle""de détenir et garder sous surveillance certaines personnes amenées au Canada par ce véhicule. Le paragraphe 91(1) de la Loi permet à un médecin agréé d'ordonner qu'une personne cherchant à entrer au Canada reçoive des soins et le paragraphe 91(2) précise que les frais afférents peuvent être recouvrés du transporteur responsable de l'arrivée de cette personne au Canada. Le paragraphe 91(4) traite expressément des frais engagés pour le traitement ou l'hospitalisation des membres du personnel pendant leur séjour au Canada. Il oblige le transporteur à payer tous les frais médicaux engagés pour un membre du personnel de son véhicule.

Le paragraphe 114(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29; ch. 29, art. 14; L.C. 1990, ch. 38, art. 1; 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi comporte de nombreux pouvoirs de réglementation touchant les transporteurs. Soulignons que certaines des dispositions énumérées dans cet article sont conçues pour imposer des obligations aux transporteurs, alors que d'autres permettent au gouverneur en conseil d'imposer certaines obligations au responsable d'un véhicule et, dans un cas, au "propriétaire" d'un véhicule. Je me reporte ici aux alinéas 114(1)q ), q.1), q.4), f), cc), ff), gg) et hh). L'alinéa 114(1)q.1)2, par exemple, permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements obligeant les transporteurs à retenir les documents de voyage des personnes qu'ils amènent au Canada afin que l'agent d'immigration puisse les examiner. Des règlements peuvent également être édictés en vertu de l'alinéa 114(1)gg)3, pour obliger le responsable d'un véhicule à signaler à l'agent d'immigration la présence de passagers clandestins à bord d'un véhicule qui arrive au Canada et à garder ces personnes à bord. L'alinéa 114(1)hh)4 autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements obligeant le propriétaire ou le responsable d'un véhicule à fournir à l'agent d'immigration des listes des membres du personnel et d'autres renseignements les concernant, tels les cas "de congédiement, de mutation, de défection ou d'hospitalisation en territoire canadien".

Les requérantes ont soutenu devant notre Cour que ces distinctions entre les différentes personnes intéressées démontrent qu'il était de l'intention du législateur que la définition du terme "transporteur" soit interprétée de façon restrictive. Selon les requérantes, s'il en était autrement, pourquoi des obligations différentes seraient-elles imposées au transporteur, au responsable d'un véhicule et au propriétaire d'un véhicule? Je ne vois toutefois aucune raison pour laquelle ces dispositions seraient incompatibles avec l'interprétation large du terme "transporteur" retenue par le juge MacKay et défendue par l'intimé. À mon avis, ces distinctions témoignent du fait que certaines personnes ont une emprise plus directe que d'autres sur des questions touchant les activités quotidiennes d'un véhicule qui arrive au Canada. Par exemple, le responsable d'un véhicule, qui en assume la charge et le contrôle immédiat, est plus susceptible d'être au courant de la présence de passagers clandestins à bord. De la même façon, le responsable d'un véhicule est, en pratique, mieux placé que le transporteur pour fournir promptement aux agents d'immigration des renseignements concernant les allées et venues et la situation professionnelle des membres du personnel arrivés au Canada à bord du véhicule.

En ce qui a trait à la mention du "propriétaire" d'un véhicule, à l'alinéa 114(1)hh ), il s'agit simplement à mon avis de la reconnaissance du fait que le "transporteur" et le "propriétaire" d'un véhicule ne sont pas nécessairement la même personne. Il est important de ne pas oublier que le paragraphe 2(1) n'exige pas qu'un transporteur soit propriétaire du véhicule au moyen duquel il transporte des personnes ou assure leur transport au Canada.

Soulignons que la majorité des dispositions de la partie V et de celles du paragraphe 114(1) qui visent les transporteurs sont libellées en termes généraux et ont une large portée. Mis à part les articles 89 et 89.1 ainsi que les alinéas 114(1)q) et q.1), aucune ne vise directement les entreprises qui assurent un service de transport de voyageurs ni ne s'applique exclusivement à de telles entreprises. En fait, plusieurs visent expressément le recouvrement des dépenses liées au renvoi des membres du personnel qui n'ont pas le droit de demeurer au Canada. Des membres du personnel peuvent être embauchés et transportés au Canada par tous les types de véhicules, qu'ils soient utilisés principalement pour le transport de personnes ou de marchandises à titre onéreux, ou à une autre fin. Selon l'interprétation que les requérantes attribuent au terme "transporteur", seules les entreprises dont l'activité principale consiste à transporter des personnes ou des marchandises à titre onéreux pourraient être tenues responsables des coûts engagés pour renvoyer les membres de leur personnel. Or, il n'existe selon moi aucun motif justifiant que la partie V de la Loi reçoive une interprétation aussi restrictive.

À mon avis, il ressort de la partie V de la Loi que son but principal consiste à libérer le gouvernement fédéral des coûts associés à l'entrée de personnes sans statut au Canada et à leur renvoi subséquent en les imputant plutôt aux transporteurs qui les ont amenées au pays. Les dispositions de la partie V favorisent également la réalisation de l'objectif général de la Loi en décourageant les transporteurs d'amener au Canada des personnes qui n'ont pas le droit d'y entrer ou d'y demeurer. À mon avis, la définition plus étendue du terme "transporteur" énoncée dans la version anglaise de la Loi assure le mieux la réalisation de ses objets et exprime le vrai sens de cette disposition. Les articles 91.1 et 92 ont pour effet d'intégrer les dépenses découlant du renvoi au coût éventuel des activités de toutes les entreprises qui transportent des personnes ou des marchandises ou qui en assurent le transport au Canada.

L'historique législatif de la définition du terme "transporteur" m'amène également à conclure que les termes généraux employés dans la version anglaise expriment mieux le sens de cette disposition et favorisent la réalisation de l'objet de la Loi.

La définition du terme "transporteur" a changé progressivement depuis le début des années 1900. Avant 1952, les versions anglaise et française de cette définition visaient sans équivoque les entreprises dont les activités consistaient à transporter des passagers au Canada. Ainsi, la définition du terme "transportation company" figurant à l'alinéa 2v ) de la Loi de l'immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, était ainsi libellée:

2. . . .

(v) —transportation companymeans and includes the Dominion Government, any Provincial Government, any municipality, any corporate body or organized firm or person carrying or providing for the transit of passengers, whether by ship, railway, bridge, highway, or otherwise, and any two or more such transportation companies co-operating in the business of carrying passengers.

La version française de cette disposition qui figurait à l'alinéa 2d) lui ressemblait énormément:

2. . . .

d) "compagnie de transport" signifie et comprend le gouvernement fédéral, un gouvernement provincial, une municipalité, une corporation ou société organisée ou personne qui exerce ou procure le transit de passagers ou de voyageurs sur bateaux ou navires, ou par chemin de fer, pont, voie publique ou autrement, et deux ou plus de deux de ces compagnies qui coopèrent dans les opérations du transport des passagers ou voyageurs.

Entre la révision de 1927 et l'entrée en vigueur, en 1977, de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, la définition des termes "compagnie de transport" ou "transporteur" a subi plusieurs modifications qui me paraissent significatives. Soulignons plus particulièrement que le terme "passengers" dans le texte anglais et l'expression "passagers ou voyageurs" dans le texte français ne figuraient pas dans la Loi sur l'immigration , S.R.C. 1952, ch. 325. La définition qui s'y trouvait renvoyait plutôt aux entreprises "transportant des personnes ou pourvoyant à leur transport". De la même façon, le texte anglais parlait de compagnies "carrying or providing for the transit of persons".

Lors des modifications qui ont abouti à la promulgation de la Loi sur l'immigration de 1976, les mots "qui coopèrent dans les opérations du transport des passagers ou voyageurs" figurant dans la définition de 1927 ont été entièrement rayés de la version française, et le passage correspondant de la version anglaise a aussi été supprimé. Les définitions du terme "transporteur" et de l'expression "transportation company" énoncées au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 étaient ainsi libellées:

2. (1) . . .

"transporteur" désigne les personnes ou groupes de personnes et leurs mandataires ainsi que les gouvernements fédéral, provinciaux ou les municipalités du Canada qui transportent ou font transporter des personnes

a) en recourant à des véhicules, à d'autres moyens ou en leur faisant emprunter un pont ou un tunnel, lorsque le terme "transporteur" se retrouve au paragraphe 90(2), aux articles 93 et 94 et à l'alinéa 115(1)bb ), et

b) en recourant à des véhicules ou à d'autres moyens, mais sans leur faire emprunter un pont ou un tunnel, lorsque le terme "transporteur" se retrouve ailleurs dans la présente loi.

À mon avis, les modifications successives apportées à la définition du terme "transporteur" révèlent une nette tendance à l'élargissement de sa portée. Il faut également noter que les définitions énoncées dans les versions anglaise et française de la loi refondue de 1985 étaient compatibles. Elles renvoyaient toutes deux, par exemple, au transport de personnes, plutôt qu'au transport de passagers ou de voyageurs.

Les textes anglais et français ont commencé à diverger en 1985, et plus particulièrement à la suite de la refonte des Lois révisées du Canada cette année là. Bien que la refonte effectuée en 1985 ait repris en grande partie le texte anglais de 1977, le texte français a subi des changements importants. Plutôt que de parler du transport de personnes, la version française a réintroduit le terme "voyageurs" et employé pour la première fois l'expression "service de transport". La version de 1985 de la définition française est presque identique à celle qui est aujourd'hui en vigueur.

Les modifications apportées au texte français en 1985 doivent être examinées dans le contexte de l'historique global de la définition du terme "transporteur". Bien que les modifications apportées au texte français en 1985 semblent limiter la portée de cette définition, la version anglaise est devenue encore plus englobante après la refonte de 1985. Cette définition a été modifiée en 1992, par la suppression du mot "carrying" et, partant, de tout le contexte du transport de personnes. Les modifications de 1992 ont opéré un autre changement important, soit l'ajout des termes "marchandises" en français et "goods" en anglais. Cette modification a servi à étendre l'application de la Loi aux entreprises qui transportent des marchandises au pays. La version de 1992 de la définition anglaise est identique à celle que j'ai déjà citée dans les présents motifs.

Il faut en outre examiner plus attentivement le statut juridique des modifications apportées au texte français en 1985. Comme je l'ai déjà mentionné, les changements apportés au texte français découlent de la refonte des lois fédérales qui a produit les Lois révisées du Canada (1985) et ne sont pas le fruit d'une modification législative indépendante effectuée par le législateur. Dans l'affaire Goodswimmer c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 389 (C.A.)5, notre Cour a énoncé les principes qui s'appliquent à l'interprétation des changements effectués lors de la refonte des lois d'intérêt public du Canada. Les opinions exprimées aux pages 409 et 410 sont particulièrement opportunes:

Le fondement légal des Lois révisées du Canada (1985) se trouve dans la Loi sur la revision des lois, S.C. 1974-75-76, ch. 20, en vertu de laquelle a été constituée une Commission de revision [sic] des lois qui, aux termes de l'article 5 "organise, revise [sic ] et codifie les lois d'intérêt public et général du Canada". Lorsqu'elle procédait à la révision, la Commission était notamment autorisée, par l'article 6 de la loi, à:

6. . . .

h) corriger les erreurs de présentation et les erreurs grammaticales ou typographiques dans les lois.

L'article 7 de la loi envisageait l'adoption d'une autre loi, dont un modèle figurait à l'annexe. Cette autre loi s'intitulait Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985), (3e suppl.), ch. 40 . . . L'effet juridique de la révision et de l'abrogation opérées par l'adoption des Lois révisées du Canada (1985) ressort nettement de l'article 4 de cette dernière loi:

4. Les lois révisées ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interprétation et leur application, elles constituent une refonte du droit contenu dans les lois abrogées par l'article 3 et auxquelles elles se substituent.

En conséquence, si l'on s'en remet à l'article 4 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985) [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40], les modifications grammaticales et syntaxiques apportées à la définition française du terme "transporteur" ne constituent pas du "droit nouveau". Les modifications apportées au texte français peuvent plutôt être interprétées comme une refonte du droit existant avant 1985. En d'autres termes, il faut attribuer à la version française la signification qu'elle avait dans la Loi sur l'immigration de 1976 . J'insiste sur le fait que cette version de cette définition n'employait ni le terme "voyageurs", ni l'expression "un service de transport", mais renvoyait aux entreprises qui "transportent ou font transporter des personnes", libellé qui s'apparente à celui de la définition anglaise en vigueur aujourd'hui.

Lorsqu'on envisage ainsi les modifications remontant à 1985, le sens du terme "transporteur" dans la version française ressemble davantage à celui exprimé par le texte anglais. Selon moi, l'historique législatif révèle l'intention claire du législateur d'élargir la portée de cette disposition. Cette définition a pu, par le passé, se limiter aux entreprises de transport, ou à celles dont l'activité principale consistait à assurer un service de transport de voyageurs, mais les modifications qui y ont été apportées expriment l'intention d'élargir l'application de cette disposition afin qu'elle englobe un plus grand nombre d'entreprises. De plus, je suis convaincu que cette interprétation large correspond davantage à l'objet de la Loi qui consiste à contrôler l'entrée illégale de personnes au Canada et à recouvrer les dépenses liées à leur renvoi. D'après moi, le terme "transporteur" vise donc toutes les entreprises qui transportent des personnes ou des marchandises, ou en assurent le transport, par véhicule ou tout autre moyen. Il ne se limite pas, comme le prétendent les requérantes, aux entreprises dont l'activité principale consiste à transporter des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

Je rejetterais les deux appels avec un seul mémoire de frais et je donnerais la réponse suivante à la question certifiée dans chaque appel:

Lorsque le propriétaire ou l'exploitant d'un véhicule qui n'est pas principalement utilisé aux fins du transport de personnes ou de marchandises, comme un navire utilisé pour la pêche, transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l'exploitant ou leur mandataire entrent dans la définition de "transporteur" donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration .

Le juge Pratte, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 Dossier d'appel, aux p. 29 et 30.

2 114. (1) . . .

q.1) à l'égard des transporteurs qui amènent des personnes au Canada:

(i) les obliger ou autoriser à retenir les visas, passeports ou titres de voyage de celles-ci afin de faire en sorte que ces documents puissent être examinés par l'agent d'immigration au point d'entrée,

(ii) prévoir la façon dont ils disposent, une fois les personnes arrivées au Canada, des visas, des passeports ou des titres de voyage qu'ils ont retenus,

(iii) les obliger à fournir toute preuve documentaire, pour examen par l'agent d'immigration à un point d'entrée, qui peut s'avérer nécessaire pour établir l'identité ou l'itinéraire pour le voyage au Canada de ces personnes;

3 114. (1) . . .

gg) obliger les responsables de véhicules arrivant au Canada à signaler par écrit à l'agent d'immigration la présence à bord de tout passager clandestin et à garder celui-ci à bord;

4 Voici un extrait de l'art. 114(1)hh):

114. (1) . . .

hh) obliger le propriétaire ou le responsable d'un véhicule, d'une part, à fournir à l'agent d'immigration des listes détaillées des membres du personnel où sont éventuellement consignés les cas de congédiement, de mutation, de défection ou d'hospitalisation en territoire canadien et, d'autre part, à signaler ces cas à un agent d'immigration quand ils surviennent;

5 Pourvoi à la Cour suprême du Canada rejeté, [1997] 1 R.C.S. 309.

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