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A-661-96

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant) (intimé)

c.

Ernst Zündel (intimé) (requérant)

Répertorié: Zündelc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Desjardins et McDonald, J.C.A."Vancouver, 2 octobre; Ottawa, 27 novembre 1997.

Droit administratif Contrôle judiciaire Prohibition Appel de l'ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) de tenir une enquête en vertu de l'art. 19 de la Loi sur la citoyennetéLorsque l'intimé a demandé la citoyenneté, le ministre a saisi le CSARS, en vertu de l'art. 19(2) de la Loi sur la citoyenneté, d'un rapport faisant état de motifs raisonnables de croire que l'intimé se livrerait à des activités constituant une menace envers la sécurité du Canada, à partir de renseignements et conseils reçus du SCRSLe CSARS avait participé au rapport sur lequel le ministre s'est appuyéLa norme d'impartialité varie en fonction de la nature et des fonctions de l'organismeLes fonctions exercées par le CSARS relativement à un rapport en vertu de l'art. 19 de la Loi sur la citoyenneté sont principalement des fonctions d'enquêteLe CSARS ne fonctionne pas comme une cour de justiceIl doit soupeser l'intérêt de l'auteur de la demande et la sécurité du Canada, ce qui peut comporter des considérations de politiqueComme il rédige simplement un rapport à l'intention du gouverneur en conseil, le CSARS ne rend pas une décisionPour permettre à l'organisme de s'acquitter du rôle que lui a confié le législateur, le critère appliqué doit s'apparenter davantage à celui del'esprit ouvertqu'à celui del'observateur bien renseigné.

Renseignement de sécurité Appel d'une ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) de tenir une enquête en vertu de l'art. 19 de la Loi sur la citoyennetéLe CSARS un double rôle: (1) contrôler les activités du SCRS en vertu de l'art. 38 de la Loi sur le SCRS; (2) faire enquête lorsqu'un rapport lui est transmis en vertu de l'art. 19(2) de la Loi sur la citoyennetéLes fonctions exercées par le CSARS en vertu de l'art. 19 sont principalement des fonctions d'enquêteIl peut recevoir tout élément de preuve, sous serment ou non; utiliser des renseignements obtenus antérieurement et que l'auteur de la demande de citoyenneté ne connaît peut-être pasIl doit soupeser l'intérêt de l'auteur de la demande et la sécurité du Canada, un concept fluide qui peut comporter des considérations de politiqueIl ne rend pas une décision, puisqu'il rédige un rapport au gouverneur en conseilLe législateur a nécessairement accepté que le CSARS, en jouant le rôle d'un organisme d'enquête en vertu de l'art. 38, puisse prendre connaissance d'éléments touchant les affaires qu'il peut être appelé à trancher par la suite sous le régime de l'art. 19Le simple fait qu'il exerce ses fonctions légales ne doit pas donner lieu à une allégation de crainte raisonnable de partialité.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens L'intimé a demandé la citoyenneté canadienneLe ministre a transmis au comité de surveillance des activité du renseignement de sécurité (CSARS), en vertu de l'art. 19(2) de la Loi sur la citoyenneté, un rapport faisant état de motifs raisonnables de croire que l'intimé se livrerait à des activités constituant une menace envers la sécurité du Canada, à partir de renseignements et conseils reçus du SCRSLe CSARS a amorcé une enquêteLe CSARS a participé au rapport sur lequel le ministre s'est fondé pour transmettre un rapport au comitéBien que les fonctions du CSARS présentent certaines caractéristiques juridictionnelles, d'importantes considérations de principe entrent en jeuSi on applique un critère de partialité qui s'apparente davantage à celui del'esprit ouvertqu'à celui del'observateur bien renseigné, les affirmations faites par le CSARS, dans le rapport axé principalement sur les activités du SCRS, ne font pas obstacle à la tenue d'une nouvelle enquête axée sur l'intimé en fonction des renseignements fournis par lui dans sa demande de citoyenneté.

Il s'agissait d'un appel d'une ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (comité de surveillance) de tenir une enquête en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté concernant la demande de citoyenneté de l'intimé. En 1994, le comité de surveillance a tenu une enquête sur des allégations selon lesquelles le SCRS avait enquêté irrégulièrement sur les affaires de plusieurs organisations en faveur de la suprématie de la race blanche. Ses conclusions ont été résumées dans le Rapport sur le Heritage Front, qui qualifie l'intimé de personne qui nie l'existence de l'holocauste, d'éditeur de propagande haineuse et de membre de l'extrême droite, du Heritage Front et du Nationalist Party of Canada. L'intimé a demandé la citoyenneté canadienne en 1993. Le ministre a saisi le comité de surveillance, par application du paragraphe 19(2) de la Loi sur la citoyenneté, d'un rapport dans lequel il affirmait avoir des motifs raisonnables de croire que l'intimé se livrerait à des activités constituant une menace envers la sécurité du Canada, selon des renseignements et conseils reçus du SCRS. Le comité de surveillance a avisé l'intimé qu'une enquête serait tenue. Après le début de l'audience, l'intimé a présenté une demande de contrôle judiciaire fondée sur une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance, en raison de sa participation au Rapport sur le Heritage Front sur lequel s'est appuyé le ministre pour adresser son rapport au comité de surveillance. Le juge suppléant Heald a statué que le comité de surveillance exerçait un rôle juridictionnel et qu'il était assujetti à la norme d'impartialité découlant du "critère de l'observateur bien renseigné" caractéristique des tribunaux quasi judiciaires. Il a conclu que les faits révélaient l'existence d'une crainte raisonnable de partialité et que le comité de surveillance avait tranché d'avance les questions dont il était saisi.

La question en litige était celle du critère qu'il convient d'appliquer pour trancher l'allégation de partialité de la part du comité de surveillance.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le comité de surveillance doit effectuer différents examens énumérés à l'alinéa 38a) de la Loi sur le SCRS, peut effectuer des examens pour veiller à ce que les activités du SCRS soient conduites conformément à la Loi, à ses règlements et aux instructions du ministre et peut, sur demande, examiner toute question qui relève de sa compétence. Il fait aussi enquête lorsqu'un rapport lui est transmis en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne se livrera à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada. Le comité de surveillance fait ensuite rapport au gouverneur en conseil qui peut alors déclarer qu'il existe des motifs raisonnables de croire que cette personne se livrera à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada, ce qui a pour effet d'empêcher que la citoyenneté canadienne lui soit attribuée.

La norme d'impartialité à laquelle est assujetti un organisme varie selon sa nature et ses fonctions. Les organismes qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles doivent respecter la norme applicable aux cours de justice, c'est-à-dire, la norme de l'observateur bien renseigné. Les organismes qui exercent des fonctions essentiellement législatives, généralement ceux dont les membres sont élus par le public, notamment ceux qui s'occupent de questions d'urbanismes et d'aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux, sont assujettis au critère de l'"esprit ouvert". Pour démontrer l'inhabilité d'un membre d'un tel organisme, il faut établir que l'affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s'occupent des questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux. Pour ces commissions, l'application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

Lorsqu'il exerce ses fonctions relatives à un rapport sous le régime de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, le comité de surveillance ne fonctionne pas comme une cour de justice. Il peut accepter et recevoir tout élément de preuve ou renseignement, sous serment ou non, selon ce qu'il juge indiqué. Il peut utiliser des renseignements que la personne qui demande la citoyenneté ne connaît pas et qu'il a obtenus antérieurement. Il doit, en dernière analyse, soupeser l'intérêt de l'auteur de la demande de citoyenneté et la sécurité du Canada, un concept fluide qui peut comporter des considérations de politique. Il rédige un rapport à l'intention du gouverneur en conseil. Le comité de surveillance ne rend donc pas une décision, bien qu'un très grand poids soit vraisemblablement attribué à ce rapport, compte tenu que c'est le seul rapport dont le gouverneur en conseil doit légalement tenir compte. Compte tenu de la nature du litige et du contexte global dans lequel il agit, le comité de surveillance n'exerce pas des fonctions principalement juridictionnelles. Bien que ces fonctions présentent certaines caractéristiques juridictionnelles, d'importantes considérations de principe entrent en jeu. Ces fonctions se situent entre les fonctions purement juridictionnelles et les fonctions législatives. Le critère qu'il convient d'appliquer à un tel organisme ne saurait être celui de l'observateur bien renseigné, mais un critère flexible pour permettre à l'organisme de s'acquitter du rôle que lui a confié le législateur.

Le chevauchement entre les fonctions de contrôle et juridictionnelles du comité de surveillance a été expressément créé par la Loi sur le SCRS. Il faut tenir pour acquis que le législateur a prévu ce chevauchement de fonctions et qu'il a néanmoins décidé de confier ce mandat au comité de surveillance. Il a nécessairement accepté que le comité de surveillance, en jouant le rôle d'un organisme d'enquête en vertu de l'article 38 de la Loi, puisse prendre connaissance d'éléments touchant les affaires qu'il peut être appelé à trancher par la suite sous le régime de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, en appliquant à la fois la preuve et des principes. Dans la mesure où le comité de surveillance n'outrepasse pas les pouvoirs que lui confère la loi, le simple fait qu'il exerce ces fonctions ne donne pas lieu à une allégation de crainte raisonnable de partialité.

Si on leur applique un critère moins strict que celui de "l'observateur bien renseigné" et s'apparentant davantage à celui de l'"esprit ouvert", les affirmations concernant l'intimé faites par le comité de surveillance dans le Rapport sur le Heritage Front, axé principalement sur les activités du SCRS, ne font pas obstacle à la tenue d'une nouvelle enquête axée, en fonction des renseignements fournis par l'intimé même dans le cadre de sa demande de citoyenneté. L'objectif de protéger la population canadienne ne peut être abandonné ni rejeté, même dans le cadre d'une demande de citoyenneté. Il est l'essence même de l'enquête tenue sous le régime de l'article 19.

lois et règlements

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 19 (mod. par L.C. 1997, ch. 22, art. 1), 19.1 (édicté, idem, art. 2) 20(1) (mod. idem, art. 3).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2, 12, 34, 38(a),(b),(c), 39(2),(3), 40, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1611 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

jurisprudence

décisions appliquées:

Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 93 N.R. 1; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission (1995), 23 O.R. (3d) 257; (1995), 125 D.L.R. (4th) 305; 32 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.C.L.S. 125; 80 O.A.C. 321; 18 O.S.C.B. 2419.

décision citée:

MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.).

APPEL d'une ordonnance interdisant au comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité de tenir une enquête en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté concernant la demande de citoyenneté de l'intimé (Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 3 C.F. 215; (1996), 138 D.L.R. (4th) 12; 40 Admin. L.R. (2d) 171; 117 F.T.R. 129; 36 Imm. L.R. (2d) 119 (1re inst.)). Appel accueilli.

avocats:

Donald J. Rennie pour l'appelant (intimé).

Douglas H. Christie pour l'intimé (requérant).

Gordon K. Cameron pour l'intervenant, le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant (intimé).

Douglas H. Christie, Victoria, pour l'intimé (requérant).

Blake, Cassels & Graydon, Ottawa, pour l'intervenant, le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A.: Il s'agit d'un appel de l'ordonnance [[1996] 3 C.F. 215] par laquelle la Section de première instance a interdit au comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (le comité de surveillance), établi sous le régime de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 34, (la Loi sur le SCRS), de tenir une enquête en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, concernant la demande de citoyenneté de l'intimé. La question en litige est celle de savoir si le comité de surveillance a perdu compétence relativement à la demande de citoyenneté en raison de sa partialité envers l'intimé à la suite d'un rapport qu'il a préparé précédemment sur les activités du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). Ce rapport, rédigé en application de l'alinéa 38b) et de l'article 40 de la Loi sur le SCRS, parle des activités de l'intimé.

Les faits

La Loi sur le SCRS prévoit notamment la constitution de deux institutions nationales principales. La première, le SCRS, a pour mission, selon l'article 12 de la Loi, de recueillir, d'analyser et de conserver les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; le SCRS en fait ensuite rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. Le deuxième, le comité de surveillance, est un comité composé d'un président et de deux à quatre autres membres, nommés par le gouverneur en conseil parmi les membres du Conseil privé de la Reine, qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des communes, après consultation entre le premier ministre et le chef de l'opposition à la Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y disposent d'au moins douze députés. L'article 38 de la Loi lui attribue d'importantes fonctions de surveillance de la façon dont le SCRS exerce ses fonctions et d'enquête sur les affaires énumérées dans cette disposition.

Le 14 août 1994, à la suite de la publication d'un article dans le Toronto Sun, le comité de surveillance a décidé de tenir une enquête sur des allégations selon lesquelles le SCRS avait, notamment, enquêté irrégulièrement sur les affaires de plusieurs organisations en faveur de la suprématie de la race blanche (dossier d'appel, vol. I, aux pages 7 et 46). Les médias ont beaucoup parlé de cette enquête. Ses résultats ont été résumés dans un rapport appelé communément le "rapport sur le Heritage Front". Ce rapport mentionne le nom de l'intimé à de très nombreuses reprises, le qualifiant de personne qui nie l'existence de l'holocauste, d'éditeur de propagande haineuse et de membre de l'extrême droite, du Heritage Front et du Nationalist Party of Canada.

L'intimé, qui est né en Allemagne, est arrivé au Canada en qualité de résident permanent en 1958. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 24 octobre 1993. Le ministre appelant l'a informé, le 5 août 1995, qu'il avait saisi le comité de surveillance, par application du paragraphe 19(2) de la Loi sur la citoyenneté, d'un rapport dans lequel il affirmait avoir des motifs raisonnables de croire que l'intimé se livrerait à des activités constituant une menace envers la sécurité du Canada. Le ministre a informé l'intimé qu'il était parvenu à cette conclusion en s'appuyant sur des renseignements et conseils reçus du SCRS. L'intimé a également été avisé de la suspension du traitement de sa demande de citoyenneté jusqu'à ce que le comité de surveillance ait terminé l'examen de son dossier conformément à l'article 19 de la Loi.

En octobre 1995, le comité de surveillance a avisé l'intimé qu'une enquête serait tenue. Un exposé des circonstances, un document de deux pages et demie, sur lequel s'appuyait le rapport initial du ministre, était joint à cet avis. L'exposé des circonstances comportait une annexe énumérant 52 documents et 11 bandes magnétoscopiques et cassettes utilisées par le SCRS pour étayer ses allégations portant que l'intimé pouvait constituer une menace envers la sécurité du Canada. L'un de ces documents était le rapport sur le Heritage Front auquel tous les membres du comité de surveillance avaient participé (dossier d'appel, vol. I, à la page 46).

L'enquête a été présidée par monsieur Jacques Courtois, c.p.c.r.1, qui avait siégé en qualité de membre du comité de surveillance lors de la rédaction du rapport sur le Heritage Front. Le comité de surveillance a procédé à des entrevues et examiné des documents en la possession du SCRS et d'autres personnes. Il a tenu une audition lors de laquelle l'intimé, le SCRS, et le ministre ont eu l'occasion de faire valoir leurs prétentions et de produire des éléments de preuve, en personne et par l'entremise de leur avocat. L'audience a débuté le 25 mars 1996, mais elle a été ajournée après plusieurs semaines, pour des motifs à caractère procédural. Le 26 février 1996, l'intimé a demandé l'ajournement de l'audience afin de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire fondée sur une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance, en raison de sa participation au rapport sur le Heritage Front sur lequel s'est appuyé le ministre pour adresser son rapport au comité de surveillance. La demande d'ajournement a été rejetée2. La demande de contrôle judiciaire de l'intimé a été entendue par le juge suppléant Heald suivant la procédure accélérée. Une ordonnance de prohibition a été rendue.

La décision dont appel3

Compte tenu de la nature de la procédure et des fonctions exercées par le comité de surveillance dans le cadre de l'enquête sur la question de savoir si l'intimé constituait une menace envers la sécurité du Canada, et dans le cadre du rapport soumis au ministre, le juge suppléant Heald a statué que le comité de surveillance exerçait un rôle juridictionnel et qu'il était donc assujetti à la norme d'impartialité découlant du "critère de l'observateur bien renseigné" caractéristique des tribunaux quasi-judiciaires. Il a souligné que, bien que le comité de surveillance ait seulement formulé des recommandations à l'intention du gouverneur en conseil, c'est le comité de surveillance qui avait présidé l'audience au cours de laquelle les témoins ont été évalués et la preuve appréciée. Le rapport du comité était le seul que le gouverneur en conseil était tenu de prendre en compte en vertu de la Loi avant de décider de faire ou non la déclaration prévue au paragraphe 20(1) de la Loi sur la citoyenneté . Étant donné que l'intimé ne bénéficiait d'aucune possibilité de présenter son point de vue directement au gouverneur en conseil, les audiences du comité de surveillance constituaient la seule occasion qui lui était offerte de s'opposer aux allégations.

Après avoir tranché la question du critère applicable, le juge des requêtes est passé à la question de savoir si les faits en cause révélaient l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance. Il a conclu que tel était le cas. Il a en outre conclu que le comité de surveillance avait tranché d'avance les questions dont il était saisi ([1996] 3 C.F. 215, aux pages 248 et 249):

À mon avis, les déclarations susmentionnées que le comité de surveillance a formulées dans le rapport sur le Heritage Front suffisent amplement à inciter une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, à conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part du comité de surveillance à l'endroit de Zündel. Par conséquent, je suis d'avis que le critère de l'observateur bien renseigné a été respecté.

Cette conclusion suffit sans doute à trancher le litige en l'espèce. Cependant, compte tenu des circonstances inhabituelles de la présente affaire, il m'apparaît nécessaire d'ajouter quelques commentaires. À mon avis, certaines des déclarations susmentionnées du comité de surveillance vont au-delà du critère de l'observateur bien renseigné. En réalité, elles démontrent que le comité de surveillance avait tranché à l'avance les questions dont il est saisi dans la procédure attaquée. En conséquence, pour réfuter les allégations formulées contre lui, Zündel aurait à convaincre le comité de surveillance que les opinions que le comité de surveillance a précédemment formulées ne sont pas fondées. L'importance du rapport sur le Heritage Front ressort de l'extrait suivant de l'avant-propos du rapport en question:

[traduction] Ce qui distingue le présent rapport de tous les autres rapports que nous avons fait parvenir au solliciteur général, c'est le fait que la majeure partie, sinon la totalité, en sera rendue publique. En effet, les allégations formulées contre le SCRS sont tellement graves que le "système" du renseignement de sécurité que le Parlement a créé en 1984 risquait de perdre la confiance du public. Les lecteurs de "l'affaire Heritage Front" pourront juger par eux-mêmes de l'efficacité du processus de responsabilisation mis en place par la Loi sur le SCRS et le rôle du comité de surveillance dans cette structure.

Le directeur administratif a tenté d'apaiser les craintes de partialité de Zündel en lui expliquant que le comité de surveillance n'était nullement lié par les positions qu'il avait précédemment adoptées. Cependant, à mon avis, compte tenu du contexte dans lequel le rapport sur le Heritage Front a été rédigé, il existe une crainte raisonnable de partialité du fait que Zündel doit convaincre le même comité qui a formulé les déclarations et les conclusions dans le rapport en question qu'en réalité, celles-ci ne sont pas fondées.

Il a refusé d'appliquer la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, car il estimait que l'affaire ressemblait davantage à la cause MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.).

La question en litige

La question essentielle à trancher dans l'appel est celle du critère qu'il convient d'appliquer pour trancher l'allégation de partialité de la part du comité de surveillance, compte tenu du double mandat confié à cet organisme par la Loi sur le SCRS et par la Loi sur la citoyenneté.

Les positions des parties et du tribunal

L'appelant soutient que le juge de première instance n'a pas appliqué au comité de surveillance le critère approprié d'appréciation de l'impartialité. Selon lui, la partialité est un état d'esprit que l'on peut constater chez une personne et non au sein d'un tribunal dans son ensemble. Toutefois, si l'on pouvait conclure à la partialité de l'organisme dans son ensemble, l'appelant soutient que cette partialité découlerait de l'interprétation et de l'exécution nécessaires et régulières du mandat confié au comité de surveillance par la Loi.

L'intimé est d'accord avec le juge de première instance qui a conclu que le comité de surveillance exerçait des fonctions juridictionnelles et que la norme d'impartialité applicable était en conséquence celle découlant du critère de l'observateur bien renseigné. Compte tenu du rapport dans lequel le comité de surveillance a jugé à l'avance l'intimé, à ce qu'il prétend, le comité de surveillance se trouve maintenant en situation de conflit d'intérêts pour ce qui est de confirmer la crédibilité de son rapport, d'une part, et d'agir de façon impartiale, d'autre part, dans le cadre de l'enquête instituée contre l'intimé sous le régime de l'article 19.

Le comité de surveillance, auquel la qualité d'intervenant a été reconnue par application de la Règle 1611 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/92-43, art. 19)], n'a pas pris part au débat sur les questions fondamentales. Il a toutefois expliqué que le comité de surveillance a été constitué par la Loi sur le SCRS, en 1984, à la suite du rapport de la Commission Macdonald. Le rapport de la Commission Macdonald avait recommandé deux entités distinctes: un organisme de contrôle général et un organisme chargé de recevoir les plaintes. Cette proposition soulevait toutefois la crainte que l'organisme d'enquête ne possède pas les connaissances et l'expertise de base acquises par un organisme de contrôle et nécessaires pour situer les plaintes et les enquêtes dans le contexte approprié. En conséquence, la Loi sur le SCRS a établi le comité de surveillance qui joue à la fois le rôle d'un organisme de contrôle et celui d'un organisme d'enquête (affidavit de Sylvia MacKenzie, dossier d'appel, vol. II, 331, à la page 332, paragraphe 2).

Analyse

Il est important de comprendre dès le départ les rôles et les fonctions du comité de surveillance aux termes de la Loi sur le SCRS et de la Loi sur la citoyenneté.

Les fonctions du comité de surveillance, en sa qualité d'organisme de contrôle, sont énoncées aux alinéas 38a) et b) de la Loi sur le SCRS. L'alinéa 38a) énumère les différents examens détaillés que le Comité de surveillance doit effectuer régulièrement. L'alinéa 38b) confère au Comité de surveillance le pouvoir d'effectuer des recherches en vertu de l'article 40, c'est-à-dire afin de veiller à ce que les activités du SCRS soient conduites conformément à la Loi, à ses règlements et aux instructions du ministre. L'article 54 de la Loi permet au comité de surveillance, de sa propre initiative ou à la demande du ministre, de présenter à celui-ci un rapport spécial sur toute question qui relève de sa compétence.

Le mandat du comité de surveillance en sa qualité d'organisme d'enquête est énoncé à l'alinéa 38c) de la Loi sur le SCRS. En vertu du sous-alinéa 38c)(ii), le comité de surveillance fait enquête lorsqu'un rapport lui est transmis en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, par exemple, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne se livrera à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada. Le comité de surveillance a alors la mission de mener une enquête conformément à la Loi sur le SCRS. Les paragraphes 39(2) et (3) et les articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi s'appliquent à l'enquête, avec les adaptations nécessaires, comme s'il s'agissait d'une enquête relative à une plainte formulée sous le régime de l'article 42 de la Loi. Le comité de surveillance peut, par exemple, examiner des documents qui se trouvent en la possession du SCRS ou d'autres personnes (paragraphe 39(2)), à l'exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine (paragraphe 39(3)). L'enquête est tenue en secret (paragraphe 48(1)). Le paragraphe 48(2) exige que la personne qui demande la citoyenneté, le Service canadien du renseignement de sécurité et le ministre aient la possibilité de présenter des observations. Toutefois, nul n'a le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observations au comité de surveillance, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet. L'article 50 attribue à l'organisme le pouvoir d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître et de recevoir des éléments de preuve par déclaration verbale ou écrite sous serment, ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux. Lorsqu'il a terminé son enquête, le comité de surveillance fait rapport au gouverneur en conseil et communique les conclusions du rapport à l'auteur de la demande de citoyenneté (paragraphe 19(6) de la Loi sur la citoyenneté). Le gouverneur en conseil peut alors déclarer qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne visée par le rapport se livrera à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada et cette déclaration a pour effet d'empêcher l'attribution de la citoyenneté canadienne à la personne qui l'a demandée. Cette déclaration cesse d'avoir effet deux ans après la date où elle a été faite (paragraphe 20(3) de la Loi sur la citoyenneté).

Le juge des requêtes a-t-il eu raison d'appliquer le critère de l'observateur bien renseigné pour déterminer si le comité de surveillance avait agi de façon à soulever une crainte raisonnable de partialité?

La Cour suprême du Canada a reconnu, dans les affaires Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636, et 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, à la page 952, que le principe de l'impartialité est flexible. La norme d'impartialité à laquelle est assujetti un organisme varie selon sa nature et ses fonctions.

Les organismes qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles doivent respecter la norme applicable aux cours de justice, c'est-à-dire, la norme de l'observateur bien renseigné. Les organismes qui exercent des fonctions essentiellement législatives, généralement ceux dont les membres sont élus par le public, notamment ceux qui s'occupent de questions d'urbanismes et d'aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux, sont assujettis au critère de l'"esprit ouvert". Pour démontrer l'inhabilité d'un membre d'un tel organisme, il faut établir que l'affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s'occupent des questions de principes sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux. "Pour ces commissions", selon les termes employés par le juge Cory dans l'affaire Newfoundland Telephone , "l'application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur" ([1992] 1 R.C.S. 623, aux pages 638 et 639). Il a ajouté (à la page 639):

En outre, le membre d'une commission qui remplit une fonction d'élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d'avoir exprimé avant l'audience des opinions bien arrêtées. Cela ne veut pas dire, évidemment, que la conduite des membres d'une commission n'est assujettie à aucune restriction. Il s'agit plutôt de la simple confirmation du principe suivant lequel les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause. En dernière analyse, cependant, les commissaires doivent fonder leur décision sur la preuve qui leur a été présentée. Bien qu'ils puissent faire appel à leur expérience, à leurs connaissances et à leur compréhension du domaine, cela doit se faire dans le cadre de la preuve produite devant la commission.

Lorsqu'il exerce ses fonctions relatives à un rapport sous le régime de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, le comité de surveillance n'exerce ni des fonctions principalement juridictionnelles ni des fonctions purement législatives ou d'élaboration de politiques. Les fonctions du comité de surveillance, décrites précédemment, ne peuvent être que principalement des fonctions d'enquête. Il ne fonctionne pas comme une cour de justice. Il peut accepter et recevoir tout élément de preuve ou renseignement, sous serment ou non, selon ce qu'il juge indiqué (alinéa 50c) de la Loi sur le SCRS). Il peut utiliser des renseignements que la personne qui demande la citoyenneté ne connaît pas et qu'il a obtenus antérieurement. Il doit, en dernière analyse, soupeser l'intérêt de l'auteur de la demande de citoyenneté et la sécurité du Canada, un concept fluide qui peut comporter des considérations de politique (voir la définition de l'expression "menaces envers la sécurité du Canada", à l'article 2 de la Loi sur le SCRS). Selon la Loi, le document qu'il rédige est un rapport à l'intention du gouverneur en conseil. Le comité de surveillance ne rend donc pas une décision, bien que le juge des requêtes ait certainement vu juste en soulignant le poids qui est vraisemblablement attribué à ce rapport, compte tenu que c'est le seul rapport dont le gouverneur en conseil doit légalement tenir compte (paragraphe 20(1) de la Loi sur la citoyenneté ). Toutefois, compte tenu de la nature du litige et du contexte global dans lequel il agit, le comité de surveillance n'exerce pas des fonctions principalement juridictionnelles. Bien que ces fonctions présentent certaines caractéristiques juridictionnelles, d'importantes considérations de principe entrent en jeu. Ces fonctions se situent, dans l'ensemble, entre les deux extrémités du spectre, soit celle des fonctions purement juridictionnelles et celle des fonctions législatives. Le critère qu'il convient d'appliquer à un organisme qui se situe à peu près au milieu du spectre ne saurait être celui de l'observateur bien renseigné. Il doit être moins strict. Pour paraphraser le juge Cory dans l'affaire Newfoundland Telephone, le critère appliqué doit être flexible pour permettre à l'organisme de s'acquitter du rôle que lui a confié le législateur.

Ce qui préoccupait le juge des requêtes était l'attitude partiale du comité de surveillance qui, du point de vue d'un observateur bien renseigné, avait déjà tranché ou jugé d'avance la question concernant l'intimé en raison de ses conclusions dans le rapport sur le Heritage Front.

Le chevauchement entre les fonctions de contrôle et juridictionnelles du comité de surveillance a été expressément créé par la Loi sur le SCRS. Compte tenu de la Loi actuelle, il faut tenir pour acquis que le législateur a prévu ce chevauchement de fonctions et qu'il a néanmoins décidé de confier ce mandat au comité de surveillance. Il a nécessairement accepté que le comité de surveillance, en jouant le rôle d'un organisme d'enquête en vertu de l'article 38 de la Loi, puisse prendre connaissance d'éléments touchant les affaires qu'il peut être appelé à trancher par la suite sous le régime de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté en appliquant à la fois la preuve et des principes.

La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur la dualité du mandat d'un organisme dans l'affaire Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. L'une des questions à trancher dans cette cause était celle de savoir s'il existait une crainte raisonnable de partialité, étant donné que le président de l'Alberta Securities Commission avait joué un double rôle en enquêtant sur les activités d'une personne et en s'apprêtant plus tard à trancher une plainte déposée contre cette même personne. Le juge L'Heureux-Dubé a déclaré, au nom de la Cour, aux pages 309 et 310 de l'arrêt publié dans [1989] 1 R.C.S. 301:

L'appelant prétend qu'il y avait crainte raisonnable de partialité parce que le président, qui avait reçu le rapport d'enquête, a également été désigné pour siéger comme membre du tribunal chargé d'entendre l'affaire. Il s'objecte à ce que le président participe à la fois à l'enquête et à la décision.

La maxime nemo judex in causa sua debet esse sous-tend la doctrine de "la crainte raisonnable de partialité". Elle traduit le principe que nul ne doit être juge dans sa propre cause. On prétend en l'espèce que le président, en agissant à la fois comme enquêteur et comme arbitre dans la même affaire, a suscité une crainte raisonnable de partialité. Comme principe général, un tel procédé n'est pas autorisé en droit parce qu'il y aurait atteinte à l'intégrité des procédures conduites de cette façon par la crainte de partialité qu'elles susciteraient.

Comme la plupart des principes, celui-ci a ses exceptions. Il y a exception au principe "nemo judex" lorsque le chevauchement de fonctions est autorisé par la loi, dans l'hypothèse où la constitutionnalité de la loi n'est pas attaquée. Un arrêt pertinent invoqué par les intimés, Re W. D. Latimer Co. and Attorney-General for Ontario (1973), 2 O.R. (2d) 391, confirmé par sub nom. Re W. D. Latimer Co. and Bray (1974), 6 O.R. (2d) 129, porte précisément sur ce point, en relation avec les activités d'une commission des valeurs mobilières. Dans cette affaire, comme en l'espèce, certains membres d'un tribunal désigné pour l'audition d'une affaire avaient également joué un rôle dans le processus d'enquête. le juge Dubin a conclu au nom de la Cour d'appel, que l'économie de la loi elle-même, qui prévoyait que les commissaires pouvaient participer à l'enquête et à la prise de décision, ne donnait pas en soi naissance à une crainte raisonnable de partialité. Il écrit, aux pp. 140 et 141:

[traduction] Lorsque la loi autorise le tribunal à exercer des fonctions tripartites, la récusation doit être fondée sur un certain acte du tribunal qui excède l'exécution des fonctions que lui attribue le texte législatif en vertu duquel les procédures sont engagées. De simples renseignements préalables quant à la nature de la plainte et quant aux motifs sur lesquels elle est fondée ne sont pas suffisants pour empêcher le tribunal d'accomplir sa tâche.

Pour disqualifier la Commission dans la présente affaire, il faut qu'il y ait quelque acte de la Commission qui aille au-delà des fonctions conférées par la loi.

Les tribunaux administratifs sont créés pour diverses raisons et pour répondre à divers besoins. Lorsqu'il établit ces tribunaux, le législateur est libre de choisir la structure de l'organisme administratif. Il déterminera, entre autres, sa composition et les degrés de formalité requis pour son fonctionnement. Dans certains cas, il estimera souhaitable, pour atteindre les objectifs de la loi de permettre un chevauchement de fonctions qui, dans des procédures judiciaires normales, seraient séparées. Dans l'appréciation des activités de tribunaux administratifs, les cours doivent tenir compte de la nature de l'organisme créé par le législateur. Si la loi autorise un certain degré de chevauchement de fonctions, ce chevauchement, dans la mesure où il est autorisé, n'est généralement pas assujetti per se à la doctrine de la "crainte raisonnable de la partialité". [Non souligné dans l'original.]

Le même principe a été exprimé par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire E.A. Manning Ltd. v. Ontario Securities Commission (1995), 23 O.R. (3d) 257, à la page 264:

[traduction] La loi attribue à la Commission de nombreuses responsabilités et obligations indépendantes et, lorsqu'on examine les questions de la partialité et de la crainte raisonnable de partialité, il faut tenir compte du régime législatif qui régit la Commission.

Selon ce régime législatif, la Commission joue, en matières disciplinaires, le rôle de l'enquêteur, du poursuivant et du juge. Règle générale, en l'absence de pouvoir légal, ce chevauchement serait jugé contraire au principe de l'équité. Toutefois, lorsque ces fonctions sont autorisées par la loi, leur chevauchement, en soi, ne donne pas naissance à une crainte raisonnable de partialité. [Non souligné dans l'original.]

Les termes "généralement" et "en soi" doivent être relevés.

Dans la mesure où le comité de surveillance n'outrepasse pas les pouvoirs que lui confère la Loi, le simple fait qu'il exerce ses fonctions légales ne doit pas donner lieu à une allégation de crainte raisonnable de partialité. En l'espèce, personne n'a, à quelque moment que ce soit au cours de l'instance, prétendu que le comité de surveillance avait outrepassé les pouvoirs que lui confère la Loi. Par conséquent, le comité de surveillance ne saurait être déclaré inhabile, à moins que des considérations autres que la partialité minent la légalité de sa décision4.

Le juge des requêtes a refusé d'appliquer l'arrêt Brosseau pour deux raisons. Premièrement, il a statué que ce n'était pas en soit le régime législatif créé par la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur le SCRS qui donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité, mais plutôt certaines déclarations et conclusions antérieures du comité de surveillance.

En second lieu, la nature de la commission des valeurs mobilières était sensiblement différente de celle d'un organisme comme le comité de surveillance. Il a expliqué que les commissions des valeurs mobilières réglementent les opérations relatives aux valeurs mobilières, alors que le comité de surveillance joue, sous le régime de la Loi sur la citoyenneté, un rôle de premier plan dans la détermination du sort d'une demande de citoyenneté.

Je ne suis pas d'accord avec le juge des requêtes pour dire que la distinction qu'il fait entre ces deux situations mène nécessairement à la conclusion qu'il a tirée. Le comité de surveillance a énoncé ses conclusions dans le cadre de l'exécution d'un mandat que lui confiait la Loi. Le juge des requêtes ayant adopté le critère de l'observateur bien renseigné, il a conclu hâtivement que la question de la crédibilité de Zündel avait déjà été tranchée de façon définitive. Or, si on leur applique un critère moins strict, qui s'apparenterait davantage à celui de l'"esprit ouvert", les affirmations concernant l'intimé faites par le comité de surveillance dans le rapport sur le Heritage Front, axé principalement sur les activités du SCRS, ne font pas obstacle à la tenue d'une nouvelle enquête, axée cette fois sur l'intimé, en fonction des renseignements fournis par l'intimé même dans le cadre de sa demande de citoyenneté. En ce qui a trait à la deuxième raison, bien que les fonctions du comité de surveillance diffèrent sensiblement, quant à leur nature, de celles d'une commission des valeurs mobilières, en ce sens que ces deux organismes s'intéressent à des domaines totalement différents, ils jouent en bout de ligne le même rôle, soit celui de protéger la population canadienne. Cet objectif ne peut être abandonné ni rejeté, même dans le cadre d'une demande de citoyenneté. Il est l'essence même de l'enquête tenue sous le régime de l'article 19. Les différences relevées par le juge des requêtes ne suffisent pas à distinguer l'affaire Brosseau de la situation factuelle dont la Cour est saisie en l'espèce.

Compte tenu de la dualité des fonctions du comité de surveillance, qui doit être interprétée comme permettant l'exercice de ces deux pouvoirs, et compte tenu que cette structure bi-fonctionnelle ne donne pas naissance en soi à une crainte raisonnable de partialité, je ne vois pas pourquoi il serait interdit au comité de surveillance, qui a agi dans les limites du régime législatif auquel il est assujetti, de tenir une enquête sur l'intimé en vertu de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté, malgré les déclarations faites antérieurement par le comité de surveillance dans le rapport sur le Heritage Front.

J'accueillerais l'appel et j'annulerais l'ordonnance du juge des requêtes.

L'appelant ne demande pas que les dépens soient adjugés en sa faveur.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 Monsieur Courtois est décédé après l'audience présidée par le juge des requêtes.

2 Après avoir refusé d'ajourner l'audience, le directeur administratif du comité de surveillance a déclaré, dans une lettre (dossier d'appel, vol. II, à la p. 367):

[traduction] Il faut souligner que le comité présentera son rapport au gouverneur en conseil relativement à la présente affaire en se fondant exclusivement sur les conclusions tirées dans le cadre de la présente enquête. Le comité tient à insister sur le fait qu'il ne sera pas tenu de prendre en compte les positions qu'il aurait pu adopter précédemment.

3 ;Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 3 C.F. 215 (1re inst.).

4 Soulignons que le législateur a modifié la Loi sur la citoyenneté, L.C. 1997, ch. 22, en édictant des dispositions qui sont entrées en vigueur le 20 mai 1997 et qui prévoient:

19. . . .

(4.1) S'il est d'avis qu'il ne peut s'acquitter des fonctions prévues aux paragraphes (4), (5) et (6), le comité de surveillance met fin à son enquête et en avise le ministre et l'intéressé.

. . .

19.1 (1) Le gouverneur en conseil peut nommer, pour une période de trois à cinq ans, un juge à la retraite d'une juridiction supérieure qu'il charge de remplir les fonctions du comité de surveillance prévues aux paragraphes 19(4), (5) et (6). Cette nomination est précédée de consultations entre le premier ministre du Canada, le chef de l'opposition à la Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y disposent d'au moins douze députés.

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