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A-658-97

Le juge W. D. Parker, commissaire et le procureur général du Canada (appelants)

c.

Sinclair Stevens (intimé)

Répertorié: Stevensc. Canada (Commissaire, Commission d'enquête) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 21 et 22 avril; Ottawa, 5 juin 1998.

Pratique Parties Jonction Le commissaire de la Commission d'enquête n'est pas une partie nécessaire à l'action contestant le rapport de la CommissionL'intimé sollicite l'annulation du rapport et son évocation à la Cour; aucun recours n'est sollicité contre le commissaire personnellementLa possibilité que le témoignage du commissaire soit nécessaire au procès n'est pas une raison suffisante pour exiger qu'il demeure partie défenderesseIl est possible, en vertu des Règles 238 et 233 de la Cour fédérale (quant à une personne qui n'est pas une partie), d'obtenir le témoignage du commissaire, la production des documents pertinents en sa possession même s'il n'est pas partie à l'action.

Enquêtes PratiqueCommission d'enquête sur des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair StevensLe commissaire n'est pas une partie nécessaire à l'action contestant le rapport de la CommissionL'intimé sollicite l'annulation du rapport et son évocation à la Cour; aucun recours n'est sollicité contre le commissaire personnellementL'enquête a pris fin il y a longtempsLa possibilité que le témoignage du commissaire soit nécessaire au procès n'est pas une raison suffisante pour exiger qu'il demeure partie défenderesseIl est possible, en vertu des Règles de la Cour fédérale, d'obtenir le témoignage du commissaire, la production des documents pertinents en sa possession même s'il n'est pas partie à l'action.

Dans le cadre d'une action contestant le rapport de la Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens, présidé par le commissaire Parker, l'appelant Procureur général du Canada a présenté une requête visant à mettre le commissaire hors de cause dans l'action en vertu de la Règle 1716(2) des anciennes Règles de la Cour fédérale au motif qu'il n'était pas une partie nécessaire à l'action. L'intimé allègue, notamment, qu'il y a eu violation des principes de justice naturelle à cause de la participation des conseillers juridiques de la Commission à la rédaction du rapport du commissaire et de l'influence qu'ils ont exercé sur la décision du commissaire sur certaines questions fondamentales, dont la définition de la notion de conflit d'intérêts. Il avait été entendu que les conseillers juridiques de la Commission, qui avaient adopté une attitude très antagoniste au cours des travaux de la Commission, ne participeraient pas à la rédaction ni à la préparation du rapport. La juge des requêtes, ayant conclu que l'appelant Parker n'avait pas cessé d'être une partie nécessaire et compétente et qu'en conséquence il ne devrait pas être mis hors de cause, a rejeté la requête. La question était de savoir si le commissaire était une partie défenderesse nécessaire à l'action de l'intimé contestant le rapport de la Commission.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

La décision dont appel relevant manifestement du pouvoir discrétionnaire, elle ne devrait être infirmée que si la Cour est persuadée que la juge des requêtes a commis une erreur de principe.

Au moment de l'introduction de l'action, le recours déclaratoire qui était sollicité ne pouvait être obtenu que dans le cadre d'une action. Depuis, ce recours ne peut être obtenu que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Or, en l'espèce, la question de savoir si le commissaire devait ou non être considéré avoir été constitué partie "sans nécessité" doit être décidée dans le contexte du litige qui avait été introduit et qui se poursuivait comme action. Il n'était donc pas indiqué d'examiner la question comme si l'instance dont la Cour était saisie était une demande de contrôle judiciaire.

L'intimé a invoqué deux décisions récentes pour étayer sa prétention que le commissaire chargé d'une enquête publique peut correctement être désigné comme partie dans une procédure de contrôle judiciaire. L'opportunité de constituer le commissaire partie n'était toutefois pas litigieuse dans ces deux affaires et, de plus, dans celles-ci, l'enquête était toujours en cours. L'enquête publique litigieuse en l'espèce a pris fin il y a longtemps. La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d'une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l'issue; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie. En l'espèce, l'intimé n'avait sollicité aucun recours contre le commissaire personnellement. Les recours principaux qu'il a sollicités étaient plutôt l'annulation du rapport et son évocation à la Cour. Un tel recours peut tout aussi bien être obtenu auprès du Procureur général seul. Le commissaire peut être "un témoin nécessaire", mais cela ne fait pas de lui une partie nécessaire. Le principe selon lequel une personne ne devrait pas être constituée partie à une action uniquement aux fins d'être interrogée au préalable est bien établi. Le commissaire a donc été constitué à tort partie à l'action.

Il se peut fort bien que le témoignage de l'appelant Parker soit nécessaire au procès, mais, en soi, ce n'est pas une raison suffisante pour exiger qu'il demeure partie défenderesse. Les Règles de la Cour fédérale (1998) elles-mêmes (Règles 238, 233) prévoient l'interrogatoire au préalable d'une personne qui n'est pas partie à une action ainsi que la production de documents par cette personne. Il est donc possible, sous le régime de ces deux règles, que l'intimé puisse dans une certaine mesure interroger au préalable le commissaire, même s'il n'est pas partie à l'action.

Au surplus, l'intimé aurait le droit d'assigner l'appelant Parker à témoigner à l'instruction, et, pour les mêmes fins, d'assigner d'autres personnes qui étaient présentes à la réunion mentionnée à son affidavit.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.4 (édicté, idem).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, partie IV (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1716(2).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, Règles 233, 238.

Rules of the Supreme Court, 1883 (The) (U.K.), St. R. & O. 1903, Ord. XVI, Rule 11.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19; 209 N.R. 342 (C.A.F.); Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417; 62 N.R. 364 (C.A.F.); Amon v. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1 Q.B. 357; Wilson v. Church (1878), 9 Ch. D. 552.

distinction faite avec:

Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527; (1997), 146 D.L.R. (4th) 708 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440; (1997), 151 D.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (2d) 1; 216 N.R. 321; Diotte c. Canada, [1991] 1 C.F. 731; (1990), 134 N.R. 71 (C.A.); Adams c. Gendarmerie royale du Canada (Commissaire) et al. (1995), 182 N.R. 354 (C.A.F.); Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565; Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722; (1976), 67 D.L.R. (3d) 421; 76 CLLC 14.024; 9 N.R. 181.

décisions citées:

Bande indienne d'Ermineskin no 942 et al. c. Hodgson et al., A-635-97, juge Stone, J.C.A., jugement en date du 16-4-98, C.A.F., encore inédité; Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3; (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 161; 167 N.R. 241 (C.A.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447; (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 2; 164 N.R. 361 (C.A.); Vandervell Trustees Ltd. v. White, [1971] A.C. 912 (H.L.); MacRae v. Lecompte; The Queen in right of Ontario, Third Party (1983), 143 D.L.R. (3d) 219 (H.C. Ont.).

doctrine

Anthony, R. J. et A. R. Lucas. A Handbook on the Conduct of Public Inquiries in Canada. Toronto: Butterworths, 1985.

Canada. Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens. Rapport. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1987 (Commissaire: William D. Parker).

APPEL d'une décision de la Section de première instance (Stevens c. Parker, J., et al. (1997), 128 F.T.R. 194 (C.F. 1re inst.)) rejetant une requête visant à mettre l'appelant Parker hors de cause dans l'action intentée par l'intimé. Appel accueilli.

avocats:

E. A. Cronk et T. Wynne pour l'appelant.

Peter R. Jervis et Elizabeth Grace pour l'inti-mé.

Richard Kramer pour le procureur général du Canada.

avocats inscrits au dossier:

Lax O'Sullivan Cronk, Toronto, pour l'appelant.

Lerner & Associates, Toronto, pour l'intimé.

Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance [Stevens c. Le juge Parker et al. (1997), 128 F.T.R. 194] a rejeté la requête présentée par l'appelant visant à mettre l'appelant Parker hors de cause dans l'action intentée par l'intimé et à obtenir d'autres recours en vertu du paragraphe 1716(2) des anciennes Règles de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663].

L'action de l'intimé a été introduite le 18 décembre 1987. Le paragraphe 5 de la déclaration affirme que l'appelant Parker [traduction] "a outrepassé sa compétence et n'a pas agi conformément aux principes de justice naturelle" en menant une enquête sur des questions concernant l'appelant qui sont mentionnées dans le décret C.P. 1986-1139 du 15 mai 1986. Par ce décret, il a été ordonné à l'appelant Parker (alors juge en chef de la Cour suprême de l'Ontario) de faire enquête et de présenter un rapport au gouverneur en conseil sur des allégations de conflit d'intérêts ayant trait à la conduite, aux transactions et aux agissements de l'intimé.

L'intimé prétend ensuite que le rapport émanant de la commission d'enquête et soumis au gouverneur en conseil en décembre 1987 lui a causé préjudice et fait tort à sa réputation dans la collectivité [Commission d'enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d'intérêts concernant l'honorable Sinclair M. Stevens. Rapport.].

Le paragraphe 7 de la déclaration énonce le recours sollicité. Le voici:

[traduction] 7. Le demandeur sollicite ce qui suit:

(A) une ordonnance déclaratoire portant que le Rapport soit annulé et déclaré nul et non avenu en raison des questions énoncées au paragraphe 5 de la déclaration;

(B) une ordonnance saisissant la présente Cour du Rapport et de tous les dossiers, actes de procédure, pièces et transcription de la preuve se rapportant à l'enquête;

(C) ses dépens afférents à la présente instance; et

(D) toute autre réparation à laquelle il pourrait avoir droit et que la Cour peut juger juste.

Dans sa réponse à la demande des appelants, l'intimé a fourni des précisions relatives aux allégations formulées au paragraphe 5 de la déclaration, y compris ce qui suit:

[traduction] Le commissaire a reçu après la clôture des audiences publiques des observations des conseillers juridiques de la Commission dont il a tenu compte sans donner au conseiller juridique de M. Stevens l'occasion de répondre1.

La réponse contient également les précisions suivantes concernant le rôle que les conseillers juridiques de la Commission auraient joué et qui, selon l'intimé, violait les principes de justice naturelle:

[traduction] Les conseillers juridiques de la Commission ont soit créé une perception de partialité ou ont effectivement fait preuve de partialité lorsque, après la clôture des audiences publiques et sans accorder à M. Stevens l'occasion de répondre, ils ont agi comme décideurs en participant à la rédaction du Rapport de la Commission et en influençant la décision du commissaire sur certaines questions fondamentales, dont la définition de la notion de conflit d'intérêts2.

Au paragraphe 12 de son affidavit déposé en opposition à la requête en mise hors de cause, l'intimé déclare:

[traduction] À la clôture des audiences publiques de la Commission Parker en février 1987, mon conseiller juridique et d'autres conseillers juridiques ont soulevé une préoccupation grave devant le commissaire Parker selon laquelle il serait injuste et mal venu pour les conseillers juridiques de la Commission, qui avaient adopté une attitude très antagoniste au cours des travaux de la Commission, d'avoir l'occasion de présenter des conclusions finales antagonistes qui étaient perçues comme très partiales et de participer à la préparation et à la rédaction du rapport du commissaire. Le commissaire Parker, reconnaissant le bien-fondé de cette préoccupation, a accepté de rédiger le rapport et que les conseillers juridiques de la Commission seraient étrangers à sa rédaction. Il a ajouté qu'il pourrait faire appel à eux pour obtenir leur aide sur des questions telle "la recherche portant sur les points de preuve" ou sur des questions de cette nature. Cependant, il était clairement entendu que les conseillers juridiques de la Commission ne participeraient pas à la rédaction ou à la préparation du rapport. Les conseillers juridiques de la Commission avaient déjà présenté plus de 700 pages d'observations écrites qui étaient de nature antagoniste et qui exhortaient le commissaire à adopter une définition extrêmement large et sans précédent de la notion de conflit d'intérêts3 .

Les parties conviennent que cette "entente" aurait été conclue lors d'une réunion entre l'appelant Parker et certains des conseillers juridiques présents à l'enquête, dont le conseiller juridique principal de la Commission, le conseiller juridique de l'intimé, le conseiller juridique de sa conjointe et celui du gouvernement du Canada.

Il est maintenant clair que les conclusions d'une commission d'enquête comme la Commission Parker en l'espèce "sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions" du commissaire et que ses conclusions "n'entraînent aucune conséquence légale" et qu'elles "ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet": Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada) , [1997] 3 R.C.S. 440, motifs du juge Cory, à la page 460. Par la même occasion, les tribunaux ont exercé des pouvoirs de surveillance de manière à assurer que les garanties procédurales soient maintenues et ont accordé les recours en equity sous forme de jugement déclaratoire et d'injonction. Voir R. J. Anthony et A. R. Lucas, A Handbook on the Conduct of Public Inquiries in Canada (Toronto: Butterworths, 1985), aux pages 153 à 154.

La question dont la Cour est actuellement saisie est celle-ci: l'appelant Parker est-il partie défenderesse nécessaire à l'action de l'intimé contestant le Rapport de la Commission? Le paragraphe 1716(2) des Règles prévoit:

Règles 1716 . . .

(2) La Cour peut, à tout stade d'une action, aux conditions qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur demande,

a) ordonner qu'une personne constituée partie à tort ou sans nécessité ou qui, pour quelque raison, a cessé d'être une partie compétente ou nécessaire, soit mise hors de cause, ou

b) ordonner que soit constituée partie une personne qui aurait dû être constituée partie ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valablement et complètement juger toutes les questions en litige dans l'action et statuer sur elles,

toutefois, nul ne doit être constitué codemandeur sans son consentement notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour peut juger adéquate dans les circonstances.

La juge des requêtes a conclu que l'appelant Parker n'avait pas cessé d'être une partie nécessaire et compétente et, qu'en conséquence il ne devrait pas être mis hors de cause. Elle a trouvé appui en cela dans l'arrêt Diotte c. Canada, [1991] 1 C.F. 731 (C.A.) et dans l'arrêt Adams c. Gendarmerie royale du Canada (Commissaire) et al. (1995), 182 N.R. 354 (C.A.F.). Elle a ensuite rejeté une demande de recours subsidiaire qui, si elle avait été accueillie, aurait limité la participation de l'appelant Parker à l'action à celle d'un office ou d'un tribunal administratif désigné comme intimé ou constitué intervenant dans une demande de contrôle judiciaire.

La décision dont appel relevant manifestement du pouvoir discrétionnaire, elle ne devrait être infirmée que si la Cour est persuadée que la juge des requêtes a commis une erreur de principe. Voir par exemple Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, aux pages 426 et 427; Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.); et Nabisco Brands Ltd.-Nabisco Brands Ltée c. Procter & Gamble Co. et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.).

L'alinéa 1716(2)a) des Règles confère à la Cour la compétence à tout stade d'une action et aux conditions qu'elle estime justes d'ordonner qu'une personne "constituée partie à tort ou sans nécessité" soit mise hors de cause. Les appelants ne prétendent pas que l'appelant Parker a été constitué partie à tort lorsque l'action a été introduite, mais uniquement qu'il a été "constitué partie sans nécessité" parce que sa présence dans l'action n'est pas nécessaire pour que l'intimé obtienne le recours qu'il sollicite au paragraphe 7 de la déclaration. Ils soutiennent qu'aucune demande n'est faite contre l'appelant personnellement ou en son ancienne qualité de commissaire. Le recours sollicité par l'intimé se limite plutôt à faire annuler le Rapport et à déclarer qu'il est nul et non avenu pour les moyens plaidés au paragraphe 5 de la déclaration.

De son côté, l'intimé prétend que la présence de l'appelant Parker en qualité de partie défenderesse est nécessaire afin qu'il puisse l'interroger au préalable de façon pleine et entière. Cette prétention est plus amplement énoncée au paragraphe 38 de son mémoire écrit:

[traduction] Les allégations d'iniquité, tant sur le plan du fond que de la procédure, formulées dans la déclaration et dans la réponse à la demande de précisions en l'espèce, qui, pour les fins de la requête dont appel sont présumées être vraies, contestent directement la façon dont le commissaire Parker a mené l'enquête, y compris la façon dont il a préparé son rapport et le comportement de ses conseillers juridiques. Ainsi, pour que le juge du procès soit capable de trancher effectivement et complètement toutes les questions en litige dans la présente action, y compris la portée de l'engagement du commissaire Parker de ne pas faire participer les conseillers juridiques de la Commission à la préparation de son rapport, et d'être en mesure en fin de compte d'accorder le recours sollicité par M. Stevens, il est nécessaire que le commissaire Parker demeure partie à l'action afin d'être assujetti aux obligations habituelles d'une partie à une action en matière d'interrogatoire préalable. Puisque la Cour a besoin de toute la preuve qu'il possède, le manque d'empressement du commissaire Parker à profiter de l'occasion qui lui est offerte de défendre le bien-fondé de son rapport n'est pas pertinent.

Au moment de l'introduction de l'action, le recours déclaratoire qui est sollicité ne pouvait être obtenu que dans le cadre d'une action. Depuis le 1er février 1992, à l'entrée en vigueur des modifications apportées à l'article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et du nouvel article 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], un tel recours ne peut être obtenu que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Voir, par exemple, Bande indienne d'Ermineskin no 942 et al. c. Hodgson et al. (Dossier no A-635-97, le 16 avril 1998), au paragraphe 16. Étant donné qu'il fallait intenter une action pour obtenir le recours déclaratoire que sollicite l'intimé, la question de savoir si l'appelant Parker doit ou non être considéré avoir été constitué partie "sans nécessité" doit être décidée dans le contexte du litige qui a été introduit et qui se poursuit comme action. Il n'est donc pas indiqué d'examiner la question comme si l'instance dont la Cour est saisie était une demande de contrôle judiciaire.

L'intimé invoque la décision que la Cour a rendue dans l'affaire Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (C.A.), et l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), précité, comme indiquant qu'un commissaire chargé d'une enquête publique est correctement désigné comme partie intimée dans une procédure de contrôle judiciaire. Il est clair, cependant, que l'opportunité de constituer le commissaire partie dans ces deux cas n'était pas litigieuse. De plus, dans les deux cas, l'enquête était toujours en cours et la question en litige était de savoir si un commissaire ne devrait pas participer à l'établissement d'une conclusion d'inconduite à l'endroit d'une partie visée par l'enquête. En revanche, l'enquête publique en l'espèce a pris fin il y a longtemps.

Dans l'affaire Diotte, précitée, le recours sollicité par voie de contrôle judiciaire était de la nature d'un certiorari visant à annuler une décision de libérer le requérant des Forces armées canadiennes. La Cour a conclu, à la page 735, qu'il serait indiqué de constituer intimé l'auteur de la décision pour le motif qu'"il est en droit d'avoir l'occasion de défendre la légitimité de sa décision et de son pouvoir de prendre cette décision de la manière qu'elle a été prise". La Cour a également conclu qu'en tant qu'officier de carrière supérieur dans les Forces, l'auteur de la décision avait également un intérêt personnel à défendre sa décision ainsi que la légitimité de la procédure qu'il avait adoptée en la prenant.

La décision rendue dans l'affaire Diotte a joué un certain rôle dans celle que la Cour a rendue dans l'affaire Adams, précitée. Dans cette affaire, l'instance avait été introduite au début comme demande de contrôle judiciaire, puis convertie par la suite en action sous le régime du paragraphe 18.4(2) [édicté, idem] de la Loi sur la Cour fédérale. Le recours sollicité était un certiorari visant à annuler la décision de certains officiers de la GRC à diverses étapes du processus disciplinaire et à obtenir une ordonnance déclaratoire portant que la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [L.R.C. (1985), ch. R-10 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16)] était invalide. La Cour a confirmé la décision du juge des requêtes qui avait autorisé que l'un des intimés demeure partie à l'action pour le motif qu'il aurait pu participer à la sélection d'un comité partial qui a ordonné finalement que le membre démissionne ou soit renvoyé de la GRC.

Je ne suis pas persuadé que l'une ou l'autre de ces décisions s'applique directement au présent appel. Il était clair dans l'affaire Diotte, précitée, que la Couronne, en tant qu'intimée, demandait que l'auteur de la décision soit constitué coïntimé pour le motif que le certiorari ne pouvait être obtenu contre la Couronne. La Cour a choisi de constituer l'auteur de la décision partie parce qu'il avait un intérêt personnel dans l'issue de l'instance. Évidemment, il s'agissait d'une instance en contrôle judiciaire pure et simple. Comme nous l'avons vu, l'affaire Adams, précitée, a été convertie par la suite en action en contrôle judiciaire. En revanche, la présente affaire est une action ordinaire qui a été introduite et menée comme telle.

En faisant valoir que l'appelant Parker a été constitué à tort partie défenderesse, les appelants invoquent la décision rendue dans l'affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, dans laquelle la Cour suprême du Canada a maintenu qu'il est généralement mal venu de mettre un tribunal administratif dans une situation où il doit défendre sa décision. À la page 709, le juge Estey a déclaré que la participation d'un tribunal en tant que partie à une procédure ayant trait à la légalité de ses actions "ne peut que jeter le discrédit sur l'impartialité d'un tribunal administratif lorsque l'affaire lui est renvoyée ou lorsqu'il est saisi d'autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties". En outre, il a cité, avec approbation, les propos exprimés par le juge Spence dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd. , [1977] 1 R.C.S. 722, à la page 747:

Il est évident qu'il n'appartient pas au Conseil qui voit sa façon d'exercer ses fonctions contestée, de plaider en appel, à titre d'intéressé, sur la question de savoir s'il a ou non agi conformément aux principes de justice naturelle; c'est là un point dont doivent débattre en appel les parties et non le tribunal dont les actions sont soumises à examen.

Voir également Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (C.A.) et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 447 (C.A.).

Je ferais remarquer, cependant, que ces deux arrêts de la Cour suprême du Canada avaient trait à des demandes de contrôle judiciaire d'une décision d'un tribunal administratif. Je soulignerais de nouveau que l'affaire dont nous sommes saisis a été régulièrement introduite comme telle. Il y a lieu de noter également que le paragraphe 1716(2) des Règles est conçue pour s'appliquer à "tout stade d'une action". Il me semble donc qu'il y a lieu de consulter les principes pertinents de common law qui ont été développés concernant la constitution des parties à une action dans les circonstances particulières de la présente cause, plutôt que la jurisprudence relative à la constitution d'une partie dans une instance en contrôle judiciaire.

Bien que le présent appel porte sur l'allégation qu'une personne a été constituée partie à tort, il est instructif de jeter un regard sur la jurisprudence qui a traité de la constitution d'une personne comme partie sous le régime de règles de procédure semblables. Dans l'affaire Amon c. Raphael Tuck & Sons Ltd., [1956] 1 Q.B. 357, la Cour a été priée de constituer une personne comme partie défenderesse à une action en vertu de l'Ordonnance XVI, règle 11 des règles de pratique d'Angleterre [The Rules of the Supreme Court, 1883 (R.-U.), St. R. & O. 1903]. Selon cette règle, la Cour était habilitée à constituer partie toute personne [traduction] "dont la présence devant la Cour peut être nécessaire pour permettre à la Cour de juger valablement et complètement toutes les questions en litige dans la cause ou dans l'affaire et statuer sur elles". Je ferais remarquer que l'Ordonnance XVI, règle 11 des [anciennes] règles anglaises, correspond à l'alinéa 1716(2)b ) des règles de notre Cour. Il me semble que le sens que les tribunaux ont donné au mot "nécessaire" dans cet alinéa nous aide à comprendre l'intention des mots "constituée partie sans nécessité" à l'alinéa 1716(2)a ). En se disant d'accord avec ses collègues pour dire que la présence de la nouvelle partie défenderesse éventuelle n'était pas "nécessaire", le juge Devlin (tel était alors son titre) a déclaré, à la page 380:

[traduction] La personne qu'il faut constituer partie doit être une personne dont la présence est nécessaire en tant que partie. Qu'est-ce qui fait qu'une personne est une partie nécessaire? Ce n'est pas, bien sûr, uniquement le fait qu'elle a des éléments de preuve pertinents à apporter à l'égard de certaines des questions en litige; elle ne serait alors qu'un témoin nécessaire. Ce n'est pas uniquement le fait qu'elle a un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige, qu'elle a préparé des arguments pertinents et qu'elle craint que les parties actuelles ne les présentent pas adéquatement. Autrement, dans des affaires d'interprétation d'une clause contractuelle courante, de nombreuses parties pourraient exiger d'être entendues, et si la Cour avait le pouvoir d'admettre certaines personnes, il n'existe aucun principe discrétionnaire en vertu duquel certaines personnes pourraient être admissibles et d'autres non. La Cour pourrait souvent conclure qu'il serait utile ou souhaitable d'entendre certaines de ces personnes pour s'assurer de trouver la réponse adéquate, mais personne ne semble suggérer qu'il soit nécessaire de les entendre à cette fin. La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d'une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l'issue de l'action; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie. [Non souligné dans l'original.]

Voir également Vandervell Trustees Ltd. c. White, [1971] A.C. 912 (H.L.), aux pages 930, 936 et 940.

À mon avis, il est important de noter que dans la présente action l'intimé ne sollicite aucun recours contre l'appelant Parker personnellement. Les recours principaux qu'il sollicite sont plutôt l'annulation du rapport et son évocation à notre Cour. Il me semble qu'un tel recours peut tout aussi bien être obtenu auprès du procureur général seul. Pour emprunter les propos du juge Devlin dans l'affaire Amon, précitée, l'appelant Parker peut être [traduction] "un témoin nécessaire", mais cela ne fait pas de lui une partie nécessaire. J'estime qu'il a été constitué à tort partie à l'action.

Il semblerait que l'intérêt principal de l'intimé à constituer l'appelant Parker partie est d'assurer qu'il puisse être interrogé au préalable en qualité de partie défenderesse. Ainsi, au paragraphe 38 de son mémoire écrit, l'intimé soutient qu'il est nécessaire que l'appelant Parker demeure partie à l'action afin [traduction] "d'être assujetti aux obligations habituelles d'une partie à une action en matière d'interrogatoire préalable". Le principe selon lequel une personne ne devrait pas être constituée partie à une action uniquement aux fins d'être interrogée au préalable est bien établi. Comme l'énonçait le maître des rôles Jessel dans l'affaire Wilson v. Church (1878), 9 Ch. D. 552, à la page 555:

[traduction] Rien ne peut être plus vexatoire ou contrariant pour une personne que d'être constituée partie à une action dans laquelle elle n'a aucun intérêt, où elle est le simple serviteur d'une autre personne et où elle peut être exposée à des dépenses considérables sous forme de dépens tout à fait inutiles.

Voir également MacRae v. Lecompte; The Queen in right of Ontario, Third Party (1983), 143 D.L.R. (3d) 219 (H.C. Ont.), aux pages 224 et 225, et les arrêts qui y sont examinés. Il se peut fort bien que le témoignage de l'appelant Parker sera nécessaire au procès, mais, en soi, ce n'est pas une raison suffisante pour exiger qu'il demeure partie défenderesse.

Il faut également noter que ce n'est plus le cas qu'une personne qui n'est pas partie à une action bénéficie, sous le régime de nos règles de procédure civile, d'une immunité absolue contre l'interrogatoire préalable à l'instance d'une partie à l'action. Les Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] elles-mêmes prévoient l'interrogatoire au préalable d'une personne qui n'est pas partie à une action ainsi que la production de documents par cette personne. Selon la Règle 238, la Cour peut autoriser une partie à procéder à l'interrogatoire préalable d'une personne qui n'est pas partie à l'action, mais "qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l'action", si elle est convaincue à la fois que "la partie n'a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d'une autre source par des moyens raisonnables", qu'"il serait injuste de ne pas permettre à la partie d'interroger la personne avant l'instruction", et que l'interrogatoire "n'occasionnera pas de retards, d'inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties." Selon la Règle 233, la Cour peut ordonner qu'un document en la possession d'une personne qui n'est pas partie à une action soit produit "s'il est pertinent et si sa production pourrait être exigée lors de l'instruction". Il est donc possible, sous le régime de ces deux règles, que l'intimé puisse dans une certaine mesure interroger au préalable l'appelant Parker, même s'il n'est pas partie à l'action.

Au surplus, l'intimé aurait le droit d'assigner l'appelant Parker à témoigner à l'instruction, et, pour les mêmes fins, d'assigner d'autres personnes qui étaient présentes à la réunion mentionnée au paragraphe 16 de son affidavit.

J'accueillerais l'appel avec dépens, annulerais l'ordonnance de la Section de première instance et mettrais l'appelant Parker hors de cause.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 Réponse à la demande de précisions, le 23 juillet 1996, Dossier d'appel, à la p. 16.

2 Ibid., à la p. 19.

3 Affidavit de Sinclair M. Stevens, le 13 mars 1997, Dossier d'appel, à la p. 61.

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