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T-1730-96

Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta (requérante)

c.

La Commission canadienne du blé (intimée)

Répertorié: Albertac. Canada (Commission du blé)(1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson"Calgary, 16 et 17 septembre; Ottawa, 31 octobre 1997.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du bléL'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour compétence pour accorder réparation contre tout office fédéralLa définition d'office fédéralfigurant à l'art. 2 comprend tout conseil, bureau, commission ou autre organisme exerçant une compétence prévue par une loi fédéraleEn instaurant le programme de livraison de grains, la Commission était un office fédéralL'autorité nécessaire à l'instauration d'un programme de livraison de grains a sa source dans la Loi sur la Commission canadienne du bléElle forme un élément essentiel des fonctions de la CommissionL'art. 18.1 prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque est directement touché parl'objet de la demande— — L'objectif de la Commission visait la mise en œuvre de mesures d'intérêt généralÀ ce titre, cette question ne se prêtait guère au contrôle judiciaireLe législateur n'envisageait pas le contrôle judiciaire d'un tel programme à l'époque où il a adopté les art. 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du bléProgramme visant à organiser la commercialisation du grain cultivé au CanadaQuestion liée à la mise en œuvre de mesures d'intérêt généralLa question ne se prêtait pas au contrôle judiciaireDemande rejetée sur le fondLe programme ne permettait ni d'éviter aux producteurs toute incertitude, ni de faire assumer par la Commission tous les risques de baisse de la demande de grains sur les marchésCela ne veut pas dire que l'un ou l'ensemble de ces aspects sont constitutifs d'un refus d'exercer une compétence ou d'un autre manquement susceptible d'être corrigé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

Pratique Parties Qualité pour agir La Couronne du chef d'une province n'a pas la qualité pour demander le contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du bléLa personne a qualité pour agir lorsqu'elle estdirectement touchéepar l'objet de la demande aux termes de l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, ou encore dans l'intérêt public, ou encore de plein droitLa requérante n'était pasdirectement touchée— — Le simple intérêt ne permet pas d'affirmer que la personne est directement touchéePour que soit reconnue la qualité pour agir dans l'intérêt public, il faut constater l'absence de tout autre moyen raisonnable et efficace de porter la question devant la CourLes producteurs de céréales qui étaient directement touchés pouvaient saisir la Cour, mais aucun d'entre eux n'a pris part à la présente demandeLe législateur a explicitement reconnu qualité pour agir au procureur général du Canada en vertu de l'art. 18.1Le fait de ne pas avoir reconnu la même qualité pour agir aux procureurs généraux des provinces n'était pas un simple oubli.

Agriculture Contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du bléProgramme visant la mise en œuvre de mesures d'intérêt général et ne se prêtant pas au contrôle judiciaireLa Couronne du chef d'une province n'a pas la qualité pour demander le contrôle judiciaireDemande rejetée sur le fondLe programme ne permettait ni d'éviter aux producteurs toute incertitude, ni de faire assumer par la Commission tous les risques de baisse de la demande de grains sur les marchésCela ne veut pas dire que l'un ou l'ensemble de ces aspects sont constitutifs d'un refus d'exercer une compétence ou d'un autre manquement susceptible d'être corrigé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

Il s'agissait de la demande de contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du blé et de la demande visant la radiation de l'avis de requête introductive d'instance, au motif que la requérante n'était pas "directement touchée" par l'objet de la demande, que l'avis de requête introductive d'instance ne portait pas sur une seule ordonnance, décision ou autre "question", et que ce dernier ne révélait aucune cause raisonnable d'action. L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance compétence exclusive d'accorder réparation contre tout "office fédéral". L'article 2 définit l'"office fédéral" en tant que tout conseil, bureau, commission ou autre organisme exerçant une compétence prévue par une loi fédérale. Le paragraphe 18.1(1) prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général ou par quiconque est "directement touché" par "l'objet de la demande".

La requérante a soutenu que l'affectation et l'administration des contingents, par l'intimée, dans le cadre de son programme et des deux principaux volets constituant celui-ci (le volet des livraisons prévues en fonction de la surface cultivée et des livraisons fixées par contrat) entraînent un manquement à certaines des obligations que la Loi sur la Commission canadienne du blé imposent à cette dernière.

Les questions litigieuses étaient les suivantes: 1) la Commission constitue-t-elle un "office fédéral"?; 2) le programme de livraison de grains est-il une "question" relevant du contrôle judiciaire?; 3) la requérante était-elle été "directement touchée" par la question?; 4) la manière dont la Commission administrait son programme de livraison de grains était-elle conforme à la compétence qu'elle tient de la Loi?

Jugement: la requête en radiation doit être accueillie et la demande de contrôle judiciaire rejetée.

1) En ce qui concerne l'instauration du programme de livraison de grains visé par la demande de contrôle judiciaire, la Commission canadienne du blé était un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale. L'autorité nécessaire à l'instauration d'un programme de livraison de grains a sa source dans la Loi sur la Commission canadienne du blé et forme un élément essentiel des fonctions exercées par l'intimée. Si certains éléments du programme peuvent relever de l'exercice des pouvoirs généraux se rattachant en propre à son activité, le programme, pris dans son ensemble, est, par sa nature même, un programme de caractère public.

2) L'objectif du programme de livraison de grains visait à organiser la commercialisation du grain cultivé au Canada. Il s'agissait d'une question liée à la mise en œuvre de mesures d'intérêt général. À ce titre, cette question ne se prêtait guère au contrôle judiciaire, pas plus qu'elle ne se prêtait vraiment au genre de mesures sollicitées dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, et notamment la mesure consistant à infirmer la "question" et à la renvoyer pour nouvel examen. En tant qu'instrument de l'intérêt général, le programme de livraison de grains se prête davantage à un examen se déroulant dans le cadre des concertations préalables à son adoption et dans le cadre général du processus politique. Le législateur ne pouvait pas avoir envisagé le contrôle judiciaire d'un tel programme à l'époque où il a adopté les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale . Ce n'est pas dire que les "questions" autres que les décisions et ordonnances, selon l'interprétation que l'on donne normalement de ces termes, ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

3) La requérante n'avait pas la qualité pour déposer la présente demande de contrôle judiciaire. La personne a qualité pour agir lorsqu'elle est "directement touchée" aux termes du paragraphe 18.1(1), ou encore dans l'intérêt public, ou encore de plein droit. Lorsque les conditions concernant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public sont réunies, le paragraphe 18.1(1) doit être interprété de manière à reconnaître la qualité pour agir, que l'on puisse ou non dire que le requérant est "directement touché". Il ressort de la preuve que la requérante n'était pas "directement touchée". L'intérêt de la requérante dans le programme de livraison de grains de l'intimée ne permettait pas d'affirmer qu'elle était directement touchée. Avant de reconnaître à la requérante qualité pour agir dans l'intérêt public, il faudrait constater l'absence de tout autre moyen raisonnable et efficace de porter la question devant la Cour. Les producteurs de céréales de l'Alberta pouvaient saisir la Cour. Il était clair qu'ils étaient directement touchés, mais aucun d'entre eux n'a pris part à la présente demande de contrôle judiciaire. L'autre voie permettant de porter cette affaire devant la Cour n'était pas théorique plutôt qu'effec-tive, raisonnable et efficace. Enfin, en ce qui concerne la qualité pour agir de plein droit, le législateur a explicitement reconnu qualité pour agir au procureur général du Canada. Le fait de ne pas avoir reconnu la même qualité pour agir aux procureurs généraux des provinces n'était pas un simple oubli. Si le législateur avait entendu leur reconnaître la qualité pour agir en de telles circonstances, il aurait pu très aisément le faire.

4) Le programme de livraison de grains de l'intimée ne permettait ni d'éviter aux producteurs toute incertitude, ni de faire assumer par l'intimée tous les risques de baisse de la demande de grains sur le marché interprovincial et de l'exportation. Cela ne veut pas dire que l'un ou l'ensemble de ces aspects sont constitutifs d'une action, d'un refus d'exercer une compétence ou d'un autre manquement susceptible d'être corrigé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. La demande doit être rejetée sur le fond.

lois et règlements

Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 1; L.C. 1991, ch. 47, art. 713; 1995, ch. 31, art. 1), 5, 6a),b),k), 26, 28, 32(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 2).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) "office fédéral" (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem , art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1602(2)f) (édictée par DORS/92-43, art. 19), 1602(4) (édictée, idem), 1618 (édictée, idem).

jurisprudence

décisions appliquées:

Jackson c. Canada (Procureur général), [1997] F.C.J. no 1603 (1re inst.) (QL); Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229; (1993), 102 D.L.R. (4th) 696; 10 C.E.L.R. (N.S.) 204; 61 F.T.R. 4 (1re inst.); inf. par (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 1; 185 N.R. 48 (C.A.F.); Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc., [1995] 3 C.F. 713; (1995), 127 D.L.R. (4th) 517; 35 Admin. L.R. (2d) 124; 63 C.P.R. (3d) 161; 100 F.T.R. 161 (1re inst.); Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241.

distinction faite avec:

Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] 3 C.N.L.R. 54; 107 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.); Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada), [1993] 3 C.F. 557; (1993), 65 F.T.R. 127 (1re inst.).

décision renversée:

Banu c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 82 F.T.R. 81; 25 Imm. L.R. (2d) 66 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and The Attorney General of Canada, [1958] R.C.S. 626; (1958), 15 D.L.R. (2d) 145; 77 C.R.T.C. 322; Archibald c. Canada, [1997] 3 C.F. 335; (1997), 146 D.L.R. (4th) 499 (1re inst.).

décisions citées:

Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326; (1979), 101 D.L.R. (3d) 484 (1re inst.); Aeric, Inc. c. Président du conseil d'administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127; (1985), 16 D.L.R. (4th) 686; 56 N.R. 289 (C.A.); Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464; (1994), 113 D.L.R. (4th) 529; 166 N.R. 57 (C.A.); Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Pallister c. Canada (Commission du blé), T-1931-95, protonotaire adjoint Giles, ordonnance en date du 11-10-95, inédite.

doctrine

Strayer, B. L. The Canadian Constitution and the Courts, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1988.

DEMANDE de contrôle judiciaire du programme de livraison de grains de la Commission canadienne du blé et de la demande visant la radiation de l'avis de requête introductive d'instance, au motif que la requérante n'avait pas la qualité pour agir, n'étant pas directement touchée par l'objet de la demande, que l'avis de requête introductive d'instance ne portait pas sur une seule ordonnance, décision ou autre question, et que ce dernier ne révélait aucune cause raisonnable d'action. Requête en radiation accueillie; demande de contrôle judiciaire rejetée.

avocats:

D. James Rout, c.r., et Edith MacFarlane, pour la requérante.

Brian H. Hay et Sharlene Telles-Langdon, pour l'intimée.

procureurs:

Ministère de la Justice de l'Alberta, Edmonton, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

INTRODUCTION

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée le 22 juillet 1996, par laquelle Sa Majesté du chef de l'Alberta (la requérante) demande le contrôle judiciaire "des programmes de livraison de grains instaurés et administrés par la [Commission canadienne du blé]".

Le programme de livraison de grains de la Commission canadienne du blé (l'intimée)"car j'estime qu'il s'agit bien d'un seul programme", pour la campagne 1995-1996 se terminant le 31 juillet 1996, comprenait deux grands volets: un volet fondé sur les surfaces cultivées et un volet concernant les contrats de livraison. C'est dans les termes suivants que ces deux volets sont décrits dans l'avis de requête introductive d'instance déposée par la requérante:

[traduction] En ce qui concerne les livraisons liées aux surfaces cultivées:

(i) l'intimée devait annoncer au début de la campagne les demandes de livraison précisant la qualité requise en matière de blé, de blé dur et d'orge;

(ii) les demandes de livraisons devaient être liés aux surfaces affectées par les agriculteurs aux livraisons prévues pour la campagne en cours par le carnet de livraison délivré à l'agriculteur;

(iii) chaque agriculteur avait le droit de livrer la plus forte des deux quantités suivantes; un minimum de 30 tonnes de la qualité prévue pour la livraison ou le total des surfaces cultivées multiplié par le chiffre prévu dans la demande de livraison dépendant de la surface cultivée;

(iv) les qualités et quantités livrables devaient être fixées en fonction des premières ventes intervenant au cours de la campagne;

En ce qui concerne les livraisons prévues dans les contrats de livraison:

(i) les agriculteurs pouvaient offrir de vendre du blé, du blé dur et de l'orge à l'intimée dans le cadre de contrats de la série A (date limite pour le dépôt des demandes, le 29 octobre 1995), B (date limite pour le dépôt des demandes, le 31 décembre 1995), C (date limite pour le dépôt des demandes, le 29 février 1996) et D (date limite pour le dépôt des demandes, le 31 mai 1996);

(ii) chaque offre devait porter sur une céréale précise ainsi que sur une quantité, une catégorie et une qualité précises de grains;

(iii) l'intimée avait convenu de prendre livraison des grains conformément à la Loi et aux modalités du contrat;

(iv) dans les 18 jours suivant la date limite prévue pour le dépôt des demandes, l'intimée pouvait réduire la quantité de grains à livrer dans le cadre du contrat si les quantités demandées par l'ensemble des agriculteurs dépassaient le total des quantités de grains fixées par l'intimée; la quantité à livrer par chaque agriculteur ayant conclu un contrat portant sur la catégorie, la variété et la qualité de céréales prévues au contrat serait alors proportionnellement réduite; si l'intimée réduisait la quantité de grains à livrer dans le cadre d'un contrat, l'agriculteur pouvait résilier ce contrat en envoyant, dans les 14 jours suivant la réduction, un avis de résiliation;

(v) l'intimée pouvait émettre des demandes de livraison à toute époque au cours de la campagne; l'intimée se réservait le droit d'émettre des demandes de livraison portant sur une partie seulement, ou sur une catégorie seulement de grains à livrer; le total des demandes de livraison devait être égal à la quantité et à la qualité des céréales prévues dans les contrats de livraison;

(vi) l'intimée pouvait exclure de toute demande de livraison les grains coriaces ou humides;

(viii) si, avant la date limite prévue dans une demande de livraison émise dans le cadre d'un contrat en vigueur, l'agriculteur ne parvenait pas à livrer au moins 85 p. 100 des grains qui lui étaient demandés, l'agriculteur serait considéré comme ayant manqué à ses engagements et pourrait être tenu de verser des dommages-intérêts liquidés à l'intimée, celle-ci pouvant, en outre, annuler le contrat ainsi que tout autre contrat de livraison.

Les preuves produites au nom de la requérante confirment pour l'essentiel cette description des deux volets du programme de livraison de grains. Malheureusement, aucune des preuves déposées au nom de la requérante ou de l'intimée ne permet de savoir si les programmes de livraison de grains pour les campagnes 1996-1997 et 1997-1998 comportaient essentiellement les mêmes dispositions.

Par avis de requête déposé le 22 août 1996, l'intimée a sollicité une ordonnance en radiation de la demande de contrôle judiciaire déposée par la requérante, au motif que: 1) la requérante n'est pas "directement touchée par l'objet de la demande" et qu'elle n'a, par conséquent, pas qualité pour déposer cette demande; 2) l'avis de requête introductive d'instance ne porte pas sur "une seule ordonnance, décision ou autre question"; et 3) l'avis de requête introductive d'instance "ne révèle aucune cause raisonnable d'action".

Par ordonnance en date du 7 octobre 1996, M. le juge Rouleau a ordonné que la requête en radiation déposée par l'intimée soit entendue en même temps que la demande de contrôle judiciaire.

QUESTIONS EN LITIGE, THÈSES DES PARTIES ET ANALYSE

Les questions suivantes ont été soumises à la Cour:

1) l'avis de requête introductive d'instance porte-t-il sur une question relevant du contrôle judiciaire?

2) la requérante a-t-elle qualité pour déposer cette demande de contrôle judiciaire?

3) à supposer que les questions 1 et 2 soient tranchées en faveur de la requérante, la manière dont l'intimée administre son programme de livraison de grains est-elle bien conforme à la compétence conférée à cet organisme par la Loi sur la Commission canadienne du blé1?

1)  La demande vise-t-elle effectivement une question relevant du contrôle judiciaire?

Cette question soulève une double interrogation concernant à la fois la compétence de la Cour et l'étendue de son pouvoir de contrôle au titre des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale2.

(a)  Office fédéral

Les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale disposent que:

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

. . .

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) et (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire. [Je souligne.]

Il n'y a pas, en l'espèce, lieu d'invoquer l'article 28 [mod., idem, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale.

Il s'agit d'abord de savoir si l'intimée est un office fédéral. Ce terme est défini de la manière suivante, au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale:

2. (1) . . .

"office fédéral" Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Dans l'affaire Jackson c. Canada (Procureur général)3, le juge Rothstein a eu à se prononcer sur une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Commission canadienne du blé avait refusé de délivrer à Jackson une licence d'exportation. Le juge Rothstein s'est penché sur la question de savoir si, d'après les faits qui lui étaient soumis, la Commission canadienne du blé était un office fédéral. Il estime, dans son jugement que [au paragraphe 4]:

[traduction] S'agissant de savoir si un organisme fédéral donné doit être considéré comme un office fédéral au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, la jurisprudence semble faire une distinction entre l'exercice de pouvoirs revêtant un caractère public et l'exercice de pouvoirs liés à la marche d'une entreprise.

Après avoir cité des extraits du jugement Wilcox c. Société Radio-Canada4, et noté qu'une distinction avait été opérée entre Wilcox et Aeric, Inc. c. Président du conseil d'administration, Société canadienne des postes5, le juge Rothstein a cité l'arrêt Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and the Attorney Genera of Canada6, dans lequel la Cour suprême avait déclaré que [au paragraphe 7]:

[traduction] L'objet de la Loi sur la Commission canadienne du blé apparaît à la lecture des dispositions du texte. La Commission, instituée par cette loi, est tenue d'acheter tout le blé, l'avoine et l'orge produits dans la zone désignée, c'est-à-dire essentiellement les trois provinces de la région des Prairies. Selon des règlements que la Commission est habilitée à prendre, les livraisons de céréales aux silos ou aux wagons de chemin de fer peuvent être limitées et, sauf autorisation de la Commission, seul un producteur de céréales détenteur d'un carnet de livraison délivré par la Commission peut livrer des céréales à un silo ou les charger à bord d'un wagon de chemin de fer. La Commission est tenue d'assurer la commercialisation de toutes les céréales livrées à des silos ou chargées à bord de wagons de chemin de fer et les producteurs reçoivent, en proportion de leur livraison, leur part du produit de la vente de céréales de la qualité qu'ils ont livrée moins les dépenses de fonctionnement de la Commission. Chacun sait que, de loin, la majeure partie des céréales livrées aux silos ou chargées à bord de wagons de chemin est exportée de la province d'origine, soit vers les autres provinces du Canada, soit vers l'étranger.

Dans le même arrêt, le juge Rand, plus tard juge en chef, a écrit7:

[traduction] Les dispositions de la Loi sur le blé ont été adoptées principalement dans l'intérêt des producteurs de blé dans les régions se prêtant particulièrement à cette culture.

Le juge Rothstein conclut en disant [au paragraphe 8]:

[traduction] Il ne m'en faut pas davantage pour dire de la Commission canadienne du blé que c'est une société présentant, à plusieurs égards, un caractère public marqué en raison de son exécution de politique gouvernementale. Mais, bien sûr, ce ne sont pas tous les pouvoirs que lui confère la Loi sur la Commission canadienne du blé qui sont de caractère public. Aux termes de l'article 6 de la Loi, par exemple, la Commission se voit investie de pouvoirs d'ordre général se rattachant à l'activité de l'entreprise, notamment le pouvoir de conclure des contrats, de faire auprès des banques les opérations commerciales usuelles, d'acquérir et de détenir des immeubles et, de façon générale, de prendre les mesures utiles à l'exercice de ses activités. Cela dit, compte tenu de l'arrêt Aeric, la Cour doit se pencher sur le pouvoir précis exercé en l'espèce.

L'autorité nécessaire à l'instauration d'un programme de livraison de grains a sa source dans la Loi sur la Commission canadienne du blé et forme un élément essentiel des fonctions exercées par l'intimée. Si certains éléments du programme peuvent relever de l'exercice des pouvoirs généraux se rattachant en propre à son activité, le programme, pris dans son ensemble, est, par sa nature même, un programme de caractère public.

J'en conclus donc que, en ce qui concerne l'instauration du programme de livraison de grains visé par la demande de contrôle judiciaire, la Commission canadienne du blé est effectivement un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Cela étant, et sous réserve des considérations qui suivent, la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire s'étend à l'intimée pour ce qui est de son programme de livraison de grains.

(b)  Décision, ordonnance ou autre question

La deuxième interrogation touchant la compétence de la Cour consiste à savoir si le programme de livraison de grains est une "question" relevant du contrôle judiciaire.

Selon le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché "par l'objet de la demande". D'autres dispositions de l'article 18.1 de la Loi ou dispositions connexes des Règles de la Cour fédérale8 portent à penser que les types de questions pouvant faire l'objet d'une telle demande sont limités. Ainsi, le paragraphe 18.1(2) fixe un délai pour la présentation de demandes de contrôle judiciaire visant une "décision ou . . . ordonnance" d'un office fédéral. Le paragraphe 18.1(3), qui concerne les mesures pouvant être ordonnées par la Section de première instance dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire, parle de "décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral." Le paragraphe 18.1(4), qui concerne les circonstances dans lesquelles la Section de première instance peut ordonner un certain nombre de mesures réparatrices, parle de "[la] décision ou . . . ordonnance entachée d'une erreur de droit" et de décisions et ordonnances fondées sur une conclusion de faits erronée. L'alinéa 1602(2)f ) des Règles de la Cour fédérale [édicté par DORS/92-43, art. 19] prévoit que la demande de contrôle judiciaire indique "la date et les particularités de la décision, de l'ordonnance ou de toute autre question à l'égard de laquelle le contrôle judiciaire est demandé" [soulignement ajouté]. Le paragraphe 1602(4) [édicté, idem ,] prévoit que l'avis de requête "porte sur le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question" [soulignement ajouté].

J'estime qu'aucune des décisions citées n'est concluante lorsqu'il s'agit de connaître le contour des "questions" à l'égard desquelles le contrôle judiciaire peut être sollicité en vertu des articles 18 et 18.1.

Dans l'affaire Banu c. Canada (Secrétaire d'État)9, le protonotaire adjoint Giles a conclu que, dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire, "autre question" s'entend, en raison de la règle ejusdem generis applicable à l'interprétation des textes, d'une "décision ou ordonnance". Je ne saurais souscrire à cette conclusion étant donné qu'à l'article 18.1 l'expression "objet de la demande" n'est pas accompagnée des mots "décision ou ordonnance". En fait, le mot "question" n'apparaît avec les mots "décision ou ordonnance" que dans les Règles de la Cour fédérale , règles qui ne sauraient restreindre le sens de ce que peut constituer l'"objet de la demande" évoqué au paragraphe 18.1(1) de la Loi.

Dans l'affaire Pallister c. Canada (Commission du blé)10, le protonotaire adjoint Giles a écrit:

Le contrôle judiciaire est une procédure qui permet de mettre en cause la décision d'un office fédéral.

Le commentaire de M. Giles est sans nul doute fondé11, mais on ne peut pas l'interpréter comme voulant dire que le contrôle judiciaire est un processus dans le cadre duquel seule une décision peut être contestée, à l'exclusion de toute autre chose.

Dans l'affaire Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 29012, le juge suppléant Heald a fait droit à une demande de contrôle judiciaire visant l'élection d'un chef et d'un conseil de bande. À l'évidence, une telle "question" ne saurait être donnée comme constituant une décision ou une ordonnance d'un office fédéral. Malgré cela, l'élection ayant été suivie d'une décision de la Commission des appels électoraux faisant droit à l'appel et ordonnant la tenue d'une nouvelle élection générale, il semblerait s'agir d'un événement ou d'une question se prêtant raisonnablement au contrôle judiciaire.

Enfin, dans l'affaire Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada)13, j'ai été saisi d'une requête en mesures provisoires en attendant que soit réglée une demande de contrôle judiciaire ayant à l'origine une plainte pour harcèlement au travail et la procédure d'examen dont elle a fait l'objet. Après avoir cité le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, j'écrivais:

Ce paragraphe vise la décision ou l'ordonnance attaquée par le recours en contrôle judiciaire, et cette spécificité se retrouve dans la Règle 1602(2)f) des Règles de la Cour fédérale, aux termes de laquelle l'avis de requête en contrôle judiciaire doit indiquer "la date et les particularités de la décision, de l'ordonnance ou de toute autre question à l'égard de laquelle le contrôle judiciaire est demandé". Les "particularités" de la "question" visée par le recours en contrôle judiciaire en l'espèce sont indiquées dans l'avis de requête, mais cette "question" consiste en un processus continu et non pas en telle ou telle décision ou ordonnance, c'est pourquoi il est impossible de relever des dates précises, autres que la date du dépôt de la plainte de harcèlement et de divers incidents de procédure subséquents. Sous réserve de décision contraire en un état ultérieur de la cause, je suis disposé, à l'égard de cette requête préliminaire, à interpréter largement le libellé du paragraphe 18.1(2) et de la Règle 1602(1)f ) comme embrassant la situation d'ensemble en l'espèce, où diverses décisions ou ordonnances ont été déjà prises ou rendues par l'intimé dans le cours de l'enquête sur le harcèlement, lesquelles ont eu un effet notable sur la situation du requérant et de la plaignante. [Les renvois sont omis.]

Je précise à nouveau que rien de tout cela n'est concluant vu les faits portés devant la Cour. Ainsi que je l'ai dit au début des présents motifs, je suis persuadé que les livraisons dépendant de la surface cultivée et les livraisons prévues aux contrats, les deux volets du programme de livraison de grains de l'intimée, ne forment qu'un seul et même "programme". Je suis en outre convaincu que le "programme" visé par la demande de contrôle judiciaire constitue en l'espèce une seule et même question. Il s'agit d'un programme complexe qui touche de façon directe un large éventail d'individus et d'entreprises, des producteurs mais aussi beaucoup d'autres. Son objectif, dans le contexte plus large des activités de la Commission canadienne du blé, s'aligne sur l'objet ayant présidé à la création de la Commission par la Loi sur la Commission canadienne du blé , à savoir organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada14. Il s'agit d'une question liée à la mise en œuvre de mesures d'intérêt général. À ce titre, cette question ne se prête guère au contrôle judiciaire, pas plus qu'elle ne se prête vraiment au genre de mesures sollicitées dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, et notamment la mesure consistant à infirmer la "question" et à la renvoyer pour nouvel examen. J'estime qu'en tant qu'instrument de l'intérêt général, le programme de livraison de grains se prête davantage à un examen se déroulant dans le cadre des concertations préalables à son adoption et dans le cadre général du processus politique du pays. Cette opinion s'accorde avec le fait que, selon la preuve produite devant la Cour, l'intimée, lors de l'élaboration de la politique de livraison de grains applicable à la campagne 1995-1996, s'est livrée à un vaste exercice de concertation publique. La requérante y a d'ailleurs participé.

J'en conclus que le législateur ne pouvait pas avoir envisagé le contrôle judiciaire d'un programme tel que le programme de livraison de grains de la Commission canadienne du blé à l'époque où il a eu à se prononcer sur le texte édictant les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce n'est pas dire que, d'après moi, les "questions" autres que les décisions et ordonnances, selon l'interprétation que l'on donne normalement de ces termes, ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. J'estime que tout un éventail de questions, telles que celles envisagées dans le cadre des affaires Bone et Puccini précitées, relèvent ou peuvent relever du contrôle judiciaire. Aucune des ces "questions" n'avait, cependant, les traits caractéristiques d'une mesure d'ordre public que revêt le programme visé en l'espèce par la demande de contrôle judiciaire.

Fort de ces considérations, j'en conclus que la présente demande de contrôle judiciaire n'est pas fondée. Cette conclusion permet à elle seule de régler la présente affaire. J'entends, cependant, examiner les autres questions dont je suis saisi, conscient que ma décision est susceptible d'appel et que dans le cadre d'un tel appel éventuel il y en a d'autres qui ne partageront peut-être pas mon avis sur les limites du contrôle judiciaire.

2)  La requérante a-t-elle qualité pour agir?

Trois moyens ont été invoqués à l'appui de la thèse voulant que la requérante ait qualité pour porter la présente demande devant la Cour: d'abord, parce qu'il s'agit d'une personne ou d'une entité "directement touchée" par le programme de livraison de grains de l'intimée; deuxièmement, parce que l'intérêt général l'exige; et, troisièmement, parce qu'elle a, de plein droit, qualité pour agir.

Les questions de la qualité pour agir de quiconque est directement touché, comme le prévoit le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, et la question de la qualité pour agir dans l'intérêt public ont toutes les deux été examinées dans le cadre des affaires Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics)15 et Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Ultramar Canada Inc.16. Dans ces deux affaires, la Cour a rejeté les arguments voulant que les mots "directement touché" qui figurent au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale devaient être interprétés de manière relativement restrictive étant donné que les mots "quiconque est directement touché par l'objet de la demande" du paragraphe 18.1(1), venaient remplacer l'ancien paragraphe 28(2) de la même Loi qui disait "toute partie directement intéressée" [soulignement ajouté]. Dans l'affaire Friends of the Island , Mme le juge Reed a écrit à la page 283 du Recueil:

Étant donné ce contexte, je ne peux pas conclure que, lorsque le législateur a modifié la Loi sur la Cour fédérale afin de supprimer certaines des difficultés qu'avait suscitées le partage des compétences antérieur entre la Section de première instance et la Section d'appel (établi aux articles 18 et 28), il a voulu limiter la révision judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) au critère défini avant les arrêts Thorson, Borowski et Finlay. Je suis d'avis que le libellé du paragraphe 18.1(1) attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l'espèce et le type d'intérêt qu'a le requérant justifient cette reconnaissance. (À supposer bien sûr qu'il y ait une question réglable par les voies de justice et qu'il n'existe aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux.)17

Je considère que les commentaires du juge Reed, et les motifs du juge MacKay dans l'affaire Ultramar, sont fondés sur l'idée que, lorsque les conditions exposées dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay concernant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public sont réunies, le paragraphe 18.1(1) doit être interprété de manière à reconnaître la qualité pour agir que l'on puisse ou non dire que le requérant est "directement touché".

Dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)18, le juge Cory, se prononçant au nom de la Cour a décrit dans les termes suivants le critère applicable en matière de reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public:

On a vu qu'il faut tenir compte de trois aspects lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public. Premièrement, la question de l'invalidité de la loi en question se pose-t-elle sérieusement? Deuxièmement, a-t-on démontré que le demandeur est directement touché par la loi ou qu'il a un intérêt véritable quant à sa validité? Troisièmement, y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour?

D'après moi, le mot "loi" au paragraphe précédent s'applique également aux "actes publics". Dans l'arrêt Conseil canadien des Églises , le juge Cory a écrit19:

La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d'empêcher que la loi ou les actes publics soient à l'abri des contestations. [C'est moi qui souligne.]

Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'avocat de la requérante fait valoir que sa Majesté du chef de l'Alberta a qualité pour présenter la présente demande en tant qu'entité "directement touchée par l'objet de la demande" aux termes mêmes de l'article 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale et, subsidiairement, qu'elle a qualité pour agir dans l'intérêt public ou, subsidiairement encore, que sa qualité pour agir est de plein droit. Il cite, à l'appui de ses arguments, des preuves soumises à la Cour et selon lesquelles la requérante s'intéresse depuis longtemps à la commercialisation des céréales en Alberta, elle joue depuis longtemps un rôle réglementaire en matière de production, d'approvisionnement, de livraison et de commercialisation des produits agricoles dans la province, elle est socialement et économiquement intéressée à la bonne marche des exploitations agricoles et des emplois que cela crée dans la province et elle a donc un intérêt réel ou direct dans le programme de livraison de grains de l'intimée puisque ce programme touche les producteurs de céréales de l'Alberta. Il fait valoir que la position de Sa Majesté du chef de l'Alberta est entièrement analogue à celle de Sa Majesté du chef de la province de la Nouvelle-Écosse, au nom de laquelle le procureur général de la Nouvelle-Écosse s'était vu reconnaître, dans l'affaire Ultramar, qualité pour agir dans l'intérêt public. Et, enfin, il fait valoir que les tribunaux canadiens aient ou non reconnu à la Couronne du chef d'une province la prérogative de contester un programme instauré par un organisme fédéral telle que la Commission canadienne du blé, une telle prérogative devrait être reconnue en l'occurrence. À l'appui de cette thèse, il cite parmi d'autres références, cet extrait de l'ouvrage The Canadian Constitution and the Courts20:

[traduction] Cela appelle, cependant, une question d'ordre plus général quant au rôle qui pourrait incomber au procureur général lorsqu'il s'agit, dans l'intérêt public, de contester en justice des lois ou des actes constitutionnellement invalides. Traditionnellement, seul le procureur général pouvait réclamer en justice une déclaration selon laquelle un organisme public avait commis un excès de pouvoir. Cela devait sans doute comprendre des situations où l'on prétendait qu'un organisme public avait agi sans compétence, la loi au titre de laquelle il entendait agir étant elle-même ultra vires. Alors que le procureur général n'a le droit d'engager une action que dans les cas où l'ensemble du public est touché par une mesure, il semblerait que la question de savoir si une loi est ou non valide serait effectivement une question intéressant l'ensemble du public.

L'application de ces principes de common law dans le cadre d'un système fédéral soulève des difficultés considérables. Le procureur général d'une province pourrait-il, par exemple, contester en justice le pouvoir d'un organisme fédéral au motif que sa loi constitutive était ultra vires? Le procureur général du Canada pourrait-il, de la même manière, contester la validité d'une loi provinciale? Au Canada, ces questions n'ont pas encore reçu de réponse définitive.

Nous avons vu que dans quatre provinces (le Manitoba, la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario) la loi confère au procureur général du Canada ou de la province le droit de demander qu'une loi provinciale soit déclarée invalide, et la loi ontarienne permet également qu'une telle action soit engagée par l'un ou l'autre de ces deux personnes pour contester la validité d'une loi fédérale. Selon une certaine jurisprudence, le procureur général du Canada peut être admis en tant que demandeur additionnel dans le cadre d'une action engagée par un particulier et tendant à faire constater l'invalidité d'une loi ou d'un règlement provincial là où l'on fait valoir que les dispositions provinciales empiètent sur un domaine relevant de la compétence fédérale. Cela ne manque pas de logique étant donné qu'en pareille circonstance le procureur général du Canada est le seul officier de justice chargé de protéger la compétence du Parlement dans l'hypothèse où celle-ci serait affectée. Certains auteurs affirment également que le procureur général du Canada a maintenant un intérêt suffisant, comme l'exige le droit québécois, pour intervenir dans une affaire relative à la Charte canadienne des droits et libertés et à l'effet que ce texte est susceptible d'avoir sur une loi provinciale. La Cour suprême a cependant émis des doutes quant à la question de savoir si le procureur général d'une province aurait, en vertu des règles générales, qualité pour demander un jugement déclaratoire constatant l'invalidité d'un texte de loi fédéral, étant donné qu'il ne se trouverait pas dans une situation différente de celle des autres procureurs généraux des provinces.

En Australie, la Haute Cour a décidé que le procureur général d'un État avait qualité pour contester la validité de la Loi sur les pharmacies fédérale relativement à la manière dont ce texte s'appliquait dans le cadre de son État. Cet avis peut être débattu. Chaque procureur général ne devrait peut-être, par principe, avoir le droit d'engager, de son propre chef, une action qu'à l'encontre des lois de sa propre juridiction. Dans ce genre d'affaire, le droit du procureur général découle probablement des prérogatives royales, la Couronne agissant à titre de parens patriae. Dans d'autres circonstances, les tribunaux ont estimé que la portée des prérogatives du chef du Canada ou d'une province correspond à la répartition du pouvoir législatif prévue dans la Loi constitutionnelle.

Si cette répartition des pouvoirs constitutionnels s'applique aux requêtes en jugement déclaratoire présentées par les procureurs généraux, il est peu probable que l'on puisse jamais intenter une action publique afin de mettre directement en cause la validité d'une loi. Ce genre d'action a l'avantage d'être simple, puisque le procureur n'a pas, pour l'intenter, à démontrer son intérêt en l'espèce. Mais, dans le cadre de l'action qu'il intente, il lui faut contester la validité de textes votés par l'assemblée législative de sa juridiction. Or, le procureur général appartient à un gouvernement qui est responsable devant cette assemblée législative et s'il estime qu'un texte de loi est invalide, il lui appartient de prôner son abrogation. Si le gouvernement rejette ses conseils en la matière, il lui faut soit se rendre à la décision de la majorité, soit démissionner. S'il entretient simplement des doutes quant à la validité de la loi, ou si l'abrogation du texte ne paraît pas politiquement faisable, pour lui la meilleure solution consiste à conseiller au Cabinet de solliciter l'avis des tribunaux sur la question ou, pour reprendre la démarche adoptée par le juge Laskin, au nom de la Cour suprême dans l'affaire Thorson, il est peu probable que l'on puisse exiger, avant de reconnaître à un procureur général qualité pour agir, que celui-ci propose un texte de rechange, dans un système fédéral où le procureur général est l'officier de justice d'un gouvernement et tenu à ce titre d'appliquer les textes de loi votés par le Parlement lorsqu'un texte voit sa validité mise en cause.

Un particulier peut, lui, engager une telle action à titre de partie civile. En pareille circonstance, il doit obtenir, du procureur général, l'autorisation d'engager l'action au nom de ce dernier. Les principes qui empêchent le procureur général d'engager lui-même une telle action l'empêcherait sans doute aussi d'autoriser un particulier à engager ce type singulier d'action publique.

L'action qu'un procureur général peut engager contre des organismes publics afin d'éviter tout excès de pouvoir pourrait faire l'objet d'une utilisation quasi constitutionnelle. Il pourrait notamment en être ainsi lorsqu'on estime que l'organisme public en question a exercé à tort des pouvoirs légaux parfaitement valides, appliquant donc la loi de manière inconstitutionnelle, contrairement à la répartition des pouvoirs ou aux dispositions de la Charte des droits et libertés. Un procureur général provincial pourrait ainsi demander aux tribunaux de constater qu'une municipalité a exercé le pouvoir de prendre des règlements en vue de maintenir l'ordre sur la voie publique d'une manière qui est contraire au Code criminel. Cela ne mettrait nullement en cause la loi provinciale en vertu de laquelle la municipalité prétend avoir pris son règlement, mais seulement le règlement, au motif que celui-ci dépasse le cadre envisagé par la loi en question. [Les renvois sont omis.]

En réponse, l'avocat de l'intimée fait remarquer que, selon la preuve produite, il y avait, en Alberta, 33 012 détenteurs de carnets et 112 581 détenteurs dans l'ensemble de la zone désignée au titre de la campagne 1995-1996, chacun desquels était directement touché par le programme de livraison de grains de l'intimée. Il note qu'aucune de ces personnes ne s'est jointe à la présente demande de contrôle judiciaire bien qu'un détenteur de carnet, également fonctionnaire au service de la requérante, ait déposé un affidavit à l'appui de la requête présentée par cette dernière. L'avocat de l'intimée soutient donc que la requérante n'appartient pas à cette grande catégorie de personnes "directement touchées" au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale . Il soutient également que la requérante ne correspond pas aux critères permettant de lui reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public étant donné qu'il existe, à l'évidence, "une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour" et que ce moyen appartient aux personnes qui sont nettement plus "directement touchées" que ne l'est la requérante. L'avocat de l'intimée a également fait valoir que la requérante n'avait présenté aucune preuve tendant à établir l'absence de toute autre loi permettant de porter cette question devant la Cour. Pour terminer, l'avocat a relevé que la théorie de la "qualité pour agir de plein droit" n'a pas encore été, dans le présent contexte, adoptée par les tribunaux canadiens et, ainsi que le juge Strayer, de la Cour d'appel, le fait remarquer dans le passage de son ouvrage cité plus haut: "[l]'application de ces principes de common law dans le cadre d'un système fédéral soulève des difficultés considérables21 ."

L'argumentation développée par l'avocat de l'intimée me semble déterminante sur ce point.

La preuve versée au dossier ne porte pas à conclure que la requérante serait "directement touché[e]" au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Si, à n'en pas douter, la requérante possède un intérêt dans le programme de livraison de grains de l'intimée, et la preuve le confirme en effet, j'estime que cela ne permet pas d'affirmer que la requérante est directement touchée.

Avant de reconnaître à la requérante qualité pour agir dans l'intérêt public, il me faudrait constater l'absence de tout autre moyen raisonnable et efficace de porter la question devant la Cour. Je ne peux pas conclure en ce sens au vu de la preuve versée au dossier et des arguments présentés devant la Cour. Les producteurs de céréales de l'Alberta peuvent saisir la Cour. Il est clair qu'ils sont directement touchés. De récentes affaires portées devant la Cour montrent bien qu'ils n'hésitent pas à le faire22. On ne saurait donc affirmer que l'autre voie permettant de porter cette affaire devant la Cour est théorique plutôt qu'effective, raisonnable et efficace.

Pour finir, en ce qui concerne la qualité pour agir de plein droit, notons que le législateur a explicitement reconnu qualité pour agir au procureur général du Canada. Je ne saurais conclure que le fait de ne pas avoir reconnu la même qualité pour agir aux procureurs généraux des provinces était un simple oubli. Si le législateur avait entendu leur reconnaître la qualité pour agir en de telles circonstances, il aurait pu très aisément le faire. Je ne suis pas disposé à interpréter l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale comme contenant les mots que l'avocat de la requérante voudrait pouvoir y lire. Ces mots ne s'y trouvant pas, je ne suis pas en mesure de reconnaître qualité pour agir de par la common law.

En conséquence, j'estime que la requérante n'a pas qualité pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire.

(3)  La manière dont l'intimée administre son programme de livraison de grains est-elle conforme à la compétence qu'elle tient de la Loi sur la Commission canadienne du blé?

La requérante ne s'en prend pas à l'ensemble du programme de livraison de grains de l'intimée. Elle ne met pas en cause non plus le volet des livraisons prévues en fonction de la surface cultivée, pas plus qu'elle ne conteste l'ensemble du volet constitué de livraisons fixées par contrat. La thèse de la requérante est que l'affectation et l'administration des contingents, par l'intimée, dans le cadre de son programme et des deux principaux volets constituant celui-ci entraînent un manquement à certaines des obligations que lui impose la Loi sur la Commission canadienne du blé. L'avocat de la requérante fait de manière plus précise valoir que:

" Selon le paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 38, art. 1; L.C. 1991, ch. 47, art. 713; 1995, ch. 31, art. 1] et les articles 26 et 28 de la Loi sur la Commission canadienne du blé (la Loi), l'intimée est tenue de délivrer aux producteurs des carnets de livraison autorisant la livraison de grains produits sur les terres constituant les exploitations agricoles des producteurs. L'intimée ne respecte pas l'obligation que la Loi lui impose sur ce point puisque, dans le cadre du programme, bien que les carnets de livraison autorisent effectivement la livraison de grains, il s'agit d'autorisations conditionnelles et l'intimée est seule juge quant à la question de savoir si ces conditions ont été effectivement remplies.

" L'article 5 de la Loi impose à l'intimée l'obligation d'organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada. Or, l'intimée manque à cette obligation en demandant, dans le cadre de son programme de livraison de grains, aux producteurs de produire du grain sans s'engager par là même à commercialiser l'ensemble du grain qu'ils sont tenus de produire.

" Le paragraphe 32(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 2] de la Loi impose à l'intimée l'obligation de commercialiser le blé et l'orge produits dans la zone désignée, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation. Dans le cadre du programme de livraison de grains, l'intimée manque à cette obligation en raison même des conditions fixées, et ce, pour tout le blé et l'orge produits dans la zone désignée en vue d'être vendus sur le marché interprovincial et de l'exportation.

" Le paragraphe 2(1), les alinéas 6a ), b) et k) ainsi que l'alinéa 32(1)a) de la Loi imposent à l'intimée l'obligation d'acheter tout le blé et l'orge produits dans la zone désignée qu'un producteur peut offrir de vendre et de livrer à l'intimée à un silo ou à un wagon de chemin de fer. Encore une fois, aux termes mêmes du programme de livraison de grains, l'intimée manque à l'obligation qui lui incombe à l'égard de l'ensemble du blé et de l'orge produits dans la zone désignée et destinés au marché interprovincial et de l'exportation.

" En obligeant, en raison même des conditions du programme de livraison de grains, les agriculteurs à livrer, et donc à soustraire au marché de l'exportation, du grain que l'intimée ne finira peut-être jamais par acheter, l'intimée manque à l'obligation qui est la sienne de ne pas réduire la quantité de blé, de produits du blé, d'orge ou de produits de l'orge offerte sur le marché interprovincial ou international.

" Comme la Cour l'a relevé dans le cadre de l'affaire Murphy23 , les dispositions de la Loi sont surtout dans l'intérêt des producteurs de blé de la zone désignée. Encore une fois, en raison de certaines des conditions du programme de livraison de grains, il est allégué que l'intimée n'agit pas principalement dans l'intérêt des producteurs et que, au contraire, elle a surtout pour souci de protéger ses propres intérêts commerciaux.

" Encore une fois, en citant Murphy , il est allégué qu'en raison de son programme de livraison de grains l'intimée manque à son obligation de commercialiser en temps opportun la production de grains de la zone désignée et la partie de cette production de grains que représentent les contingents initialement accordés aux producteurs.

" Pour finir, et encore une fois en citant l'arrêt Murphy , ils font valoir qu'en raison de certaines dispositions de son programme de livraison de grains l'intimée manque à ses obligations de ne pas retarder les expéditions de grains et de faire en sorte que le grain voué à l'expédition fasse l'objet d'un transport diligent et ordonné.

En réponse, l'avocat de l'intimée m'a cité, entre autres, les passages suivants des motifs du juge Muldoon dans l'affaire Archibald c. Canada24:

Le grain est un important produit de consommation domestique au Canada et d'exportation à l'étranger. L'histoire de l'économie du grain qui a été présentée en preuve devant la Cour démontre qu'un libre marché provoque des situations de surabondance et de famine, et de grandes variations de prix, et que des spéculateurs ont profité à l'excès des producteurs de grains. En outre, les forces du libre marché génèrent aussi une production défavorable au marché. Le Canada jouit d'une réputation mondiale pour ce qui est de la commercialisation fiable et exempte de corruption du grain, qui constitue un produit d'exportation renommé et important du Canada.

. . .

La loi habilitante a pour objet de faciliter l'"organisation de la commercialisation" du grain cultivé au Canada. La défenderesse a établi que la Commission canadienne du blé atteint cet objectif. Elle n'a pas d'autre raison d'être.

La loi est conçue de telle manière que la défenderesse a seulement besoin d'établir que lorsque la loi est appliquée et que la CCB exerce ces activités, elle vend du grain de façon méthodique. Les dispositions de la Loi, et surtout les articles 2 et 28, qui permettent à la CCB de fixer des contingents et de recourir à un système de livraisons à contrat, sont le pivot de la commercialisation méthodique . . . En outre, la coordination des ventes réelles de grains est régie par le plan annuel de ventes de la Commission canadienne du blé . . . Plus particulièrement, la CCB"du fait de son monopole"a établi de solides marchés dans des pays tels la Chine et le Japon, et a accru la part de marché générale du Canada par rapport aux États-Unis . . . .

Que le programme de livraison de grains de l'intimée ne permette pas d'éviter aux producteurs toute incertitude et de faire assumer par l'intimée tous les risques de baisse de la demande de grains sur le marché interprovincial et de l'exportation est un fait démontré par les divers aspects du programme de l'intimée évoqués devant la Cour par l'avocat de la requérante. Cela ne veut pas dire, cependant, que l'un ou l'ensemble de ces aspects sont constitutifs d'une action, d'un refus d'exercer une compétence ou d'un autre manquement susceptible d'être corrigé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire comme celle-ci. Si, d'après le dossier qui a été plaidé, je parvenais à la conclusion que c'est à juste titre que la Cour a été saisie de cette demande de contrôle judiciaire, ce qui, comme je l'ai indiqué plus tôt dans ces motifs, n'est pas le cas, je rejetterais quand même la demande sur le fond, car elle n'est justiciable d'aucun redressement susceptible d'être accordé dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

CONSIDÉRATIONS ADDITIONNELLES

Revenant rapidement à un facteur évoqué plus haut, il est assez révélateur qu'aucun producteur de grains ou détenteur d'un carnet de livraison ne se soit joint comme corequérant à Sa Majesté du chef de l'Alberta. Je suis, comme je l'ai dit plus haut, parfaitement conscient que tous les producteurs de grains de la zone désignée ne sont pas entièrement satisfaits des dispositions législatives et administratives qui régissent la commercialisation, sur le marché interprovincial de l'exportation, du blé et de l'orge cultivés dans la zone désignée. Cela dit, si certains producteurs ont décidé de contester en justice plusieurs aspects des dispositions législatives et administratives en vigueur, aucun, je le répète, n'a cherché à se joindre à la présente demande.

Je note, pour finir, que les éléments produits devant la Cour ont trait au programme de commercialisation du grain mis en place par l'intimée pour la campagne 1995-1996. Si, vu la demande présentée par le requérante et les preuves soumises à la Cour, j'avais décidé qu'il y avait lieu d'ordonner un redressement, j'aurais éprouvé beaucoup de peine à en trouver un qui ne serait pas devenu parfaitement théorique et qui aurait pu se révéler efficace dans le cadre de l'actuel programme de livraison de grains de l'intimée.

CONCLUSION

Par conséquent, et compte tenu des considérations exposées précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucun des avocats plaidant devant la Cour n'a invoqué de "raisons spéciales" justifiant une adjudication des dépens au titre de la Règle 618 des Règles de la Cour fédérale . Il n'y aura donc pas d'adjudication des dépens.

1 L.R.C. (1985), ch. C-24, modifiée.

2 L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

3 [1997] F.C.J. no 1603 (1re inst.) (QL).

4 [1980] 1 C.F. 326 (1re inst.).

5 [1985] 1 C.F. 127 (C.A.).

6 [1958] R.C.S. 626, à la p. 630.

7 Id., à la p. 642.

8 C.R.C, ch. 663 (et modifications).

9 (1994), 82 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.).

10 11 octobre 1995, T-1931-95, C.F. 1re inst., jugement non publié.

11 Voir, par exemple, Mcinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.).

12 [1996] 3 C.N.L.R. 54 (C.F. 1re inst.).

13 [1993] 3 C.F. 557 (1re inst.), à la p. 568.

14 Art. 5 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, supra, note 1.

15 [1993] 2 C.F. 229 (1re inst.); inf. par (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.A.F.) pour d'autres motifs.

16 [1995] 3 C.F. 713 (1re inst.).

17 Les affaires citées, portant sur la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public sont: Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; et Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607.

18 [1992] 1 R.C.S. 236, à la p. 253.

19 Id., à la p. 252.

20 B. L. Strayer, The Canadian Constitution and the Courts, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1988), aux p. 162 à 164.

21 Id., à la p. 162.

22 Voir, par exemple, Archibald c. Canada, [1997] 3 C.F. 335 (1re inst.) (appel devant la Cour fédérale interjeté le 9 mai 1997) et Jackson c. Canada (Procureur général), supra, note 3.

23 Supra, note 6.

24 Supra, note 22, aux p. 407-408 et 424-425.

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