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[1994] 3 .C.F 323

T-648-89

Alice Clark (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défenderesse)

Répertorié : Clark c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Dubé—Edmonton, 7, 8, 9 et 10 septembre 1993; Ottawa, 26 avril 1994.

GRC — Action en dommages-intérêts intentée par un ancien membre de la GRC — Allégation de congédiement injustifié, de harcèlement, de négligence, de délit consistant à causer délibérément un choc nerveux — La demanderesse, qui avait été harcelée par des gendarmes de sexe masculin, a été atteinte d’une crise mentale — Ses supérieurs au sein de la GRC ont omis de lui venir en aide — Le harcèlement constituait la principale cause de la démission de la demanderesse — En vertu de l’art. 13(2) de la LGRC, les agents de la GRC ne peuvent pas être congédiés au bon plaisir — La demanderesse n’était pas régie par une convention collective — Le statut ambigu des membres de la GRC fait obstacle à une action pour congédiement injustifié intentée devant la Section de première instance de la Cour fédérale — Des dommages-intérêts ont été accordés à la demanderesse par suite de la négligence de son superviseur.

Couronne — Responsabilité délictuelle — Négligence — Responsabilité du fait d’autrui de la Couronne fondée sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne — Une femme qui avait été membre de la GRC a engagé une poursuite fondée sur le délit qui consiste à infliger délibérément un choc nerveux et sur la négligence — Examen de la jurisprudence et de la doctrine — La conduite dont on a fait preuve envers la demanderesse pendant une période de quatre ans était extrême et causé à celle-ci un préjudice réel qui a pris la forme d’une maladie — Les superviseurs de la demanderesse agissaient dans le cadre de leur emploi — Ils ont pardonné le harcèlement dont la demanderesse a fait l’objet et y ont participé — L’obligation de prudence qui existait envers la demanderesse a été régulièrement violée — La négligence engage la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne — Le caractère éloigné ou la prévisibilité n’étaient pas en jeu — La négligence du superviseur a directement causé le préjudice subi par la demanderesse.

Dommages-intérêts — Facteurs limitatifs — Limitation — Action en dommages-intérêts fondée sur le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux — L’omission de chercher à obtenir l’aide d’un psychologue ou d’un psychiatre ne constitue pas une omission de mitiger les dommages comme le serait le refus d’accepter les offres d’aide professionnelle, mais il s’agit d’un facteur à prendre en considération.

Il s’agissait d’une action en dommages-intérêts fondée sur un congédiement injustifié et intentée par un ancien membre de la GRC, qui alléguait que le harcèlement de nature sexuelle ou autre dont elle avait été victime de la part de certains de ses collègues et superviseurs de sexe masculin constituait une violation des conditions de travail et un acte de négligence et que cela avait eu pour effet de lui causer délibérément un choc nerveux. La demanderesse est devenue membre de la GRC en juillet 1980. Peu de temps après, elle a commencé à faire l’objet de commentaires sarcastiques et sexistes de la part de ses collègues de sexe masculin, qui ont continué à faire pareils commentaires malgré ses protestations. Le sergent lui a dit qu’elle n’était pas une vraie femme. D’autres membres la qualifiaient de [traduction] « lesbienne » et regardaient des films pornographiques dans le secteur de travail qu’elle occupait. La demanderesse a déclaré que le milieu de travail la rendait malheureuse et avait commencé à nuire à sa santé. Elle a complété son engagement d’une durée de cinq ans en juillet 1985 et a été réengagée aux fins du « service continu ». Un an plus tard, elle a demandé une mutation, en invoquant l’asthme comme motif. En octobre 1986, elle a déposé une plainte de harcèlement contre deux de ses superviseurs après que de nombreux commentaires défavorables et de nombreuses réprimandes eussent été versés dans son dossier. Son état s’étant aggravé au point qu’elle a été atteinte d’une crise mentale, la demanderesse a démissionné, en juillet 1987, en invoquant encore une fois l’asthme comme motif. Selon la preuve, la demanderesse a de fait été harcelée par des gendarmes de sexe masculin et ses supérieurs ont omis de lui venir en aide. Le harcèlement était la principale cause de sa démission. L’action soulevait trois questions principales : 1) la responsabilité découlant de la relation de travail, 2) la responsabilité délictuelle fondée sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne et 3) les dommages-intérêts.

Jugement : la demanderesse doit avoir gain de cause.

1) En vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, les officiers de la Gendarmerie détiennent leurs fonctions au gré du gouverneur en conseil. Toutefois, les arrêts de la Cour d’appel fédérale disent qu’en vertu du paragraphe 13(2) de la Loi, des dispositions du Règlement énonçant les motifs de renvoi et des ordres permanents du commissaire régissant les procédures y afférentes, les membres de la GRC ne peuvent pas être congédiés au bon plaisir. Il s’agissait de savoir si la demanderesse pouvait avoir gain de cause devant cette Cour pour des motifs habituellement et principalement associés à la relation de travail employeur-employé, et fondés sur un contrat de travail. Les principes qui s’appliquent aux contrats ont été jugés pertinents lorsque, par exemple, une disposition d’une convention collective régissant le congédiement de fonctionnaires était en conflit avec un pouvoir légal de congédiement au bon plaisir. La demanderesse n’était pas régie par une convention collective et n’était pas partie à un contrat de travail. Le statut reconnu comme ambigu des membres de la GRC, comme la demanderesse, ne permet pas à celle-ci d’invoquer devant la Cour une cause d’action fondée sur le congédiement injustifié, et ce, bien qu’elle ne puisse pas être congédiée au bon plaisir. Toutefois, cette conclusion n’a pas pour effet d’empêcher un membre de la GRC qui allègue des circonstances similaires d’exercer un recours ou de solliciter une compensation pécuniaire, étant donné la compétence réparatrice que possède le Tribunal canadien des droits de la personne.

2) Afin d’engager la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, la demanderesse devait établir, en premier lieu, qu’un délit avait été commis par un préposé de la Couronne, et, en second lieu, que le délit avait été commis dans le cadre de l’emploi du préposé. En l’espèce, l’ensemble de circonstances unique en son genre, où plusieurs des collègues et supérieurs de la demanderesse étaient en cause, par opposition à un seul individu, et où le comportement reproché avait duré quatre ans, étaye la réclamation de la demanderesse en ce qui concerne le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux. La conduite dont on a fait preuve envers la demanderesse était extrême et visait « à produire un effet semblable à celui qui a été produit ». Ceux qui ont agi en leur qualité de superviseurs ou de personnes ayant autorité à l’égard de la demanderesse agissaient dans le cadre de leur emploi. La conduite reprochée s’est manifestée strictement dans les limites de la relation employeur-employé et a été occasionnée par cette relation. La demanderesse pouvait également engager la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne en invoquant la négligence, en prouvant qu’on avait envers elle une obligation de prudence et que cette obligation a été violée. La question de savoir s’il existe une obligation dans un cas donné est une question de droit. Le degré de diligence requis est celui dont l’homme ou la femme ordinaire fait preuve. Le superviseur immédiat de la demanderesse avait envers elle une obligation de prudence et il a régulièrement violé cette obligation. Durant une longue période, il a délibérément refusé d’exercer son pouvoir de façon à mettre fin à des actes de harcèlement dont il était parfaitement au courant et auxquels il avait en fait parfois participé, pardonnant ainsi ce comportement. Aucune question de caractère éloigné ou de prévisibilité n’était soulevée : la négligence du superviseur a directement causé le préjudice subi par la demanderesse.

3) Les dommages-intérêts spéciaux visent à mettre la victime dans la situation financière où elle aurait été si l’accident ne s’était pas produit; ce chef de dommages-intérêts est destiné à représenter une « perte pécuniaire ». Étant donné que le montant de 100 500 $, représentant la rémunération perdue jusqu’à la fin des dix années de service de la demanderesse au sein de la GRC, constitue le fondement le plus approprié aux fins du calcul de la somme accordée, il convient d’accorder la somme de 88 000 $ à l’égard de la rémunération perdue du mois de septembre 1987 au mois de septembre 1990. Quant aux dommages-intérêts généraux, les tribunaux canadiens ont adopté la théorie fonctionnelle pour évaluer les dommages-intérêts dans le cas d’une perte non pécuniaire. Cette théorie consiste à évaluer le montant qui constituera une consolation raisonnable compte tenu de l’état mental particulier de la victime. Le fait que la demanderesse n’a pas activement cherché à obtenir l’aide d’un psychologue ou d’un psychiatre ne constitue pas une omission de mitiger les dommages comme le serait le refus d’accepter les offres d’aide professionnelle, mais il reste néanmoins qu’il faut prendre ce facteur en considération. La somme de 5 000 $ assurerait à la demanderesse « une consolation raisonnable » pour sa dignité blessée par suite de la conduite délictuelle reprochée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.

Judgment Interest Act, S.A. 1984, ch. J-0.5.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 41(2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 53(2).

Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, ch. I-23, art. 23(1).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, ch. R-9, art. 13, 21(1),(2).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 9, 10.

Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, ch. C-38, art. 3, 4.

Loi sur l’indemnisation des employés de l’État, S.R.C. 1970, ch. G-8.

Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. (1985), ch. G-5.

Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., ch. 1391, art. 45, 46, 47, 48, 49, 64, 74.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734; (1994), 165 N.R. 101 (C.A.); Boothman c. Canada, [1993] 3 C.F. 381 (1re inst.); Wilkinson v. Downton, [1897] 2 Q.B. 57; Rahemtulla v. Vanfed Credit Union, [1984] 3 W.W.R. 296; (1984), 51 B.C.L.R. 200; 4 C.C.E.L. 170; 29 C.C.L.T. 136 (C.S.C.-B.); Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.); Anns v. Merton London Borough Council, [1977] 2 W.L.R. 1024 (H.L.); Smyth v. Szep, [1992] 2 W.W.R. 673.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Kedward c. La Reine, [1973] C.F. 1142 (1re inst.); conf. [1976] 1 C.F. 57; 11 N.R. 586 (C.A.); Huxter c. Canada, [1985] A.C.F. no 700 (QL); Laroche et Beirsdorfer, Re (1982), 131 D.L.R. (3d) 152; 39 N.R. 407 (C.A.F.); Brown v. Waterloo Regional Board of Commissioners of Police (1982), 37 O.R. (2d) 277 (H.C.); inf. en partie par (1983), 43 O.R. (2d) 113 (C.A.); Queen, The and Archer v. White, [1956] R.C.S. 154; (1955), 1 D.L.R. (2d) 305; 114 C.C.C. 77; Dawkins v. Lord Paulet (1869), L.R.5 Q.B. 94.

DÉCISIONS CITÉES :

McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339; (1974), 48 D.L.R. (3d) 129; 5 N.R. 251 (C.A.); Gallant c. La Reine du chef du Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1re inst.); Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1re inst.); Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.); Poirier c. Canada (Gendarmerie royale (GRC), Commissaire), [1983] A.C.F. no 605 (QL); Reilly v. The King, [1934] 1 D.L.R. 434; [1934] 1 W.W.R. 298; [1934] A.C. 176 (C.P.); conf. [1932] R.C.S. 597; Crossman v. City of Peterborough and Peterborough Utilities Comm., [1966] 2 O.R. 712 (C.A.); Desjardins c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (1986), 18 Admin. L.R. 314; 3 F.T.R. 52 (C.F. 1re inst.); Marshment v. Borgstrom, [1942] R.C.S 374; [1942] 4 D.L.R. 1; Beaulieu v. Sutherland (1986), 35 C.C.L.T. 237 (C.S.C.-B.); Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484; (1977), 18 N.R. 568 (C.A.); Adams c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1993] A.C.F. no 1321 (QL); Horn c. Canada et autre (1994), 73 F.T.R. 301 (C.F. 1re inst.); Langille et autres c. Canada (1991), 44 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.); Canada c. Tremblay (1989), 28 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.); Canada c. Dupont (1986), 6 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.); Canada c. Lavoie (1986), 5 F.T.R. 223 (C.F. 1re inst.); Canada c. Brogan, [1985] A.C.F. no 1022 (QL); Bieletski v. Obadiak (1921), 61 D.L.R. 494; [1921] 3 W.W.R. 229 (B.R. Sask.); conf. par (1922), 65 D.L.R. 627; [1922] 2 W.W.R. 238 (C.A. Sask.); Purdy v. Woznesensky, [1937] 2 W.W.R. 116 (C.A. Sask.); Abramzik et al. v. Brenner et al. (1967), 65 D.L.R. (2d) 651; 62 W.W.R. 332 (C.A. Sask.); Timmermans v. Buelow (1984), 38 C.C.L.T. 136 (H.C. Ont.); Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; (1987), 42 D.L.R. (4th) 81; 42 C.C.L.T. 1; [1988] 1 C.N.L.R. 152; 78 N.R. 40; 23 O.A.C. 84; 9 R.F.L. (3d) 225; Bettel et al. v. Yim (1978), 20 O.R. (2d) 617; 88 D.L.R. (3d) 543; 5 C.C.L.T. 66 (C. Cté.); Allan et al. v. New Mount Sinai Hospital et al. (1980), 28 O.R. (2d) 356; 109 D.L.R. (3d) 634; 11 C.C.L.T. 299; 4 L. Med. Q. 146 (H.C.); inf. (1981), 33 O.R. (2d) 603; 125 D.L.R. (3d) 276; 19 C.C.L.T. 76 (C.A.); Crown Diamond Paint Co. Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 794 (1re inst.); Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; (1984), 10 D.L.R. (4th) 641; [1984] 5 W.W.R. 1; 29 C.C.L.T. 97; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; (1992), 91 D.L.R. (4th) 289.

DOCTRINE

Cooper-Stephenson, Kenneth D. and Iwan B. Saunders. Personal Injury Damages in Canada. Toronto : Carswell, 1981.

Fleming, John G. The Law of Torts, 8th ed. Sydney : Law Book Company, 1992.

Fridman, G. H. L. Fridman on Torts. London : Waterlow Publishers, 1990.

Fridman. G. H. L. The Law of Torts in Canada, vol. 1. Toronto : Carswell, 1989.

Hogg, Peter W. Liability of the Crown, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1989.

Irvine, John. Annot. (1984), 38 C.C.L.T. 136.

Linden, Allen M. Canadian Tort Law, 5th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 1993.

Posser, William L. « Insult and Outrage » (1956), 44 Cal. L.Rev. 40.

ACTION en dommages-intérêts fondée sur la négligence, le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux, le congédiement injustifié d’un membre de la GRC qui alléguait qu’une longue période de harcèlement sexuel et autre dont elle avait été victime de la part de ses collègues de sexe masculin et de ses superviseurs l’avait amenée à démissionner. Action accueillie sauf quant au congédiement injustifié.

AVOCATS :

Lorne E. Goddard pour la demanderesse.

Bruce Logan pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Chapman Riebeek, Red Deer (Alberta), pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Dubé : Il s’agit d’une action en dommages-intérêts intentée contre Sa Majesté par un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC ou la Gendarmerie), qui allègue que le harcèlement de nature sexuelle ou autre dont elle a été victime de la part de certains de ses collègues et superviseurs de sexe masculin lui a causé énormément de stress et a entraîné une grave dépression, et l’a forcée à démissionner en juillet 1987. La demanderesse allègue qu’elle a fait l’objet d’un congédiement injustifié et que les actes commis par ses collègues et superviseurs constituaient une violation des conditions de travail, de la discrimination en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[1] (la Charte) et de la négligence, et que cela a eu pour effet de lui causer délibérément un choc nerveux.

Les quatre jours réservés à l’audition de l’affaire, qui a eu lieu à Edmonton (Alberta) en septembre 1993, (soit le nombre de jours demandé par les parties et accordé par la Cour) ont pris fin sans qu’on ait eu le temps de présenter les arguments oraux. Deux séries d’observations écrites ont été présentées, lesquelles ont pris fin le 15 mars 1994.

1.         La preuve

Le 16 juillet 1980, la demanderesse, qui s’appelait alors Alice Abernathy, est devenue membre de la GRC, conformément aux dispositions de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi)[2]. En septembre 1981, après avoir terminé sa formation de base et sur le terrain, elle a été affectée au détachement de Red Deer City (Red Deer City). Elle a travaillé au sein de l’équipe des services généraux jusqu’en août 1982, lorsqu’elle a été mutée à la section de la circulation[3].

La demanderesse a témoigné qu’elle avait fait face à des problèmes, au sein de la section de la circulation, sous la supervision du caporal Warren McDonald, et que ce dernier faisait preuve de favoritisme envers les membres de sexe masculin et critiquait injustement son rendement. La demanderesse a également commencé à faire l’objet de commentaires désagréables de la part des membres de sexe masculin de l’équipe des services généraux qui travaillaient fréquemment avec elle. Le sergent qui supervisait cette équipe lui a dit, en présence d’autres membres, qu’elle n’était pas une vraie femme tant qu’elle n’avait pas d’enfant, et qu’elle devrait s’en aller chez elle et fonder un foyer. D’autres membres la qualifiaient de [traduction] « lesbienne » et de [traduction] « surveillante de police ». Malgré les protestations de la demanderesse, on a continué à faire des commentaires de ce genre.

À un moment donné, la demanderesse a été empoignée et embrassée par un membre qui lui a dit de l’appeler lorsque son mari s’absentait, si elle voulait un vrai homme[4]. Pendant qu’elle effectuait un poste de nuit, un certain caporal T. C. Steeves a commencé à projeter un film pornographique dans le secteur de travail où était la demanderesse. Cette dernière s’est plainte, et on lui a dit de [traduction] « ficher le camp » si elle n’était pas contente. Les membres affectés aux services généraux lui ont carrément dit qu’ils ne voulaient pas qu’elle les aide, lorsqu’une plainte était faite, de se mêler de ses affaires et de ne s’occuper que de la circulation. La demanderesse trouvait que les membres qui agissaient ainsi étaient hostiles envers elle et envers les autres membres de sexe féminin. Elle croyait qu’elle ne pouvait pas compter sur eux pour l’aider lorsqu’elle en avait besoin et qu’elle n’était pas la bienvenue dans leur équipe.

En mars 1984, la demanderesse a de nouveau été mutée aux services généraux au sein de l’équipe du caporal Bruce Bishop, sous la supervision du sergent Robert Williams. En septembre 1984, le caporal Fred Mazur a remplacé le caporal Bishop à titre de superviseur de la demanderesse. Cette dernière a continué à faire partie de son équipe jusqu’en février 1987 et s’est sentie mise au ban pendant toute cette période. On a continué à la harceler. À un moment donné, elle est arrivée à son poste de travail et a trouvé une paire de seins en plastique collés à l’aide de ruban adhésif à son poste, avec son numéro de matricule et les mots [traduction] « FILLE DE LA GRC » écrits dessus. Plusieurs membres de sexe masculin qui étaient là riaient. La demanderesse s’est plainte au caporal Mazur, qui n’a rien fait pour imposer des mesures disciplinaires aux gendarmes. Le caporal Mazur a témoigné qu’il ne pouvait pas dire si l’on pouvait considérer la chose comme offensante parce qu’il n’avait pas vu les seins.

Une autre fois, des membres de la GRC déployaient la double page centrale d’un Playboy. Lorsque la demanderesse s’est plainte au caporal Mazur, ce dernier lui a dit qu’ils l’évalueraient pour elle. Il y a également eu d’autres cas où des films pornographiques avaient été projetés pendant les quarts de nuit. La demanderesse a témoigné que le caporal Mazur était parfois présent. Elle a eu une autre expérience choquante lorsqu’un gilet pare-balles souple qu’elle avait commandé a été placé dans son panier, dans une aire ouverte du détachement, avec les mots [traduction] « Ton gilet souple soutien-gorge playtex cross your heart » figurant sur l’emballage.

Un grand nombre de ces allégations ont été confirmées par le témoignage de Linda Ley, qui travaillait comme secrétaire au sein du détachement à ce moment-là, laquelle a dit que la demanderesse entrait dans son bureau en pleurant et semblait déprimée. Selon Mme Ley, certains membres se montraient [traduction] « cruels » envers la demanderesse, et [traduction] « on tentait presque de l’isoler, de ne pas la laisser faire partie du personnel, de l’exclure ». Aucun des agents de sexe masculin désigné par la demanderesse à l’instruction n’a été cité comme témoin par la défenderesse. Les supérieurs de la demanderesse qui ont été cités pour témoigner n’ont pas expressément nié que ces événements offensants s’étaient produits. Certains d’entre eux ont critiqué le propre rendement de la demanderesse.

La demanderesse a déclaré que le milieu de travail la rendait malheureuse et avait commencé à nuire à sa santé. En particulier, elle a remarqué que son asthme, relié au stress et contracté en raison du climat de Red Deer, et pour lequel le docteur R. C. Cooper la traitait à l’aide de médicaments depuis 1982, s’était aggravé. Elle n’aimait plus aller travailler. Elle se sentait comme une [traduction] « bonne à rien ».

L’engagement de la demanderesse, pour la période de cinq ans, a pris fin en juillet 1985. La demanderesse a témoigné qu’à ce moment-là, il y avait trois possibilités : elle pouvait démissionner, s’enrôler de nouveau, ou la GRC pouvait décider de ne pas la réengager. La demanderesse a été réengagée aux fins du « service continu ». Elle a déclaré qu’elle n’avait pas parlé de ses problèmes à l’inspecteur D. C. Nielsen, officier responsable du détachement avec lequel elle avait signé le document de réengagement, étant donné qu’on savait qu’il serait remplacé par l’inspecteur Lawrence Pearson en octobre 1985.

Toutefois, la demanderesse avait décidé de prendre des mesures pour remédier à la situation, et a rencontré les quatre autres collègues de sexe féminin affectées à Red Deer City. Elles ont toutes convenu, sauf une, de faire part de leurs préoccupations, sans donner de noms. En août 1985, la demanderesse a de fait informé l’inspecteur Pearson de ses préoccupations au cours d’une entrevue privée, dans le cadre d’une vérification annuelle du détachement et avant que celui-ci n’assume les fonctions d’officier responsable à Red Deer City.

L’inspecteur Pearson a témoigné que la demanderesse s’était plainte du traitement inégal qui était réservé aux membres de sexe féminin, mais qu’il ne pouvait pas se rappeler qu’elle avait mentionné des cas précis de harcèlement sexuel. Il croyait qu’elle s’était probablement arrangée avec les membres de sexe féminin pour se plaindre, et que c’était elle qui avait [traduction] « le plus à perdre » puisque les autres membres de sexe féminin n’avaient pas de problèmes. Toutefois, lorsqu’il a assumé la direction du détachement, la chose l’inquiétait suffisamment pour qu’il inclue la question sur une liste de points à améliorer qu’il a communiquée à toutes les équipes. Pourtant, il a déclaré ne pas avoir fait de suivi pour s’assurer qu’on se conformait à ses instructions, car [traduction] « il n’avait jamais eu connaissance qu’il y ait eu traitement inégal ».

La demanderesse a dit que, malgré l’intervention de l’inspecteur Pearson, la situation ne s’était pas améliorée et que, peu de temps après, pendant une visite au bureau, celui-ci a mis sa main sur son épaule et lui a dit : [traduction] « Comment ça va, ma chère? » devant tous les autres membres. L’inspecteur Pearson a nié avoir employé les mots [traduction] « ma chère », mais il a dit qu’il employait le mot [traduction] « chère » depuis quarante ans sans que personne ne se plaigne. À ses yeux, il n’y avait rien d’offensant à s’adresser ainsi à un membre de la GRC de sexe féminin. La demanderesse estimait que l’inspecteur Pearson s’était adressé à elle sur un ton méprisant et condescendant, et a conclu qu’il ne remédierait pas à la situation. Elle a décidé de faire son travail, d’éviter les ennuis et d’attendre une mutation.

Au cours des années 1985 et 1986, le milieu de travail a nui au rendement de la demanderesse. Elle est devenue indécise et hésitante lorsqu’il s’agissait de traiter les plaintes et les enquêtes, et il lui était même difficile d’aller travailler. À ce moment-là, la demanderesse a senti qu’il ne servait à rien de présenter un grief officiel étant donné que ses supérieurs ne l’appuieraient pas.

De plus, en juin 1986, sa première évaluation annuelle du rendement depuis la rencontre avec l’inspecteur Pearson indiquait une baisse de rendement. Le caporal Mazur a déclaré que la demanderesse était une mauvaise enquêteuse; ses préoccupations étaient partagées par le sergent Williams. Toutefois, en février 1985, la demanderesse avait suivi un cours à l’intention des enquêteurs, donné par des enquêteurs criminels expérimentés, et son aptitude avait été évaluée comme étant supérieure à la moyenne.

Le caporal Mazur, à l’avis duquel souscrivait le sergent Williams, a fortement recommandé que la demanderesse soit mutée aux services de la circulation ou de l’administration, où [traduction] « elle pourrait faire un bon travail ». L’inspecteur Pearson s’est opposé à la mutation de la demanderesse, bien que la recommandation du caporal Mazur eût normalement été un facteur important, parce qu’il [traduction] « n’allai[t] pas muter un membre dont le rendement était mauvais » à un autre détachement. S’il avait recommandé la mutation de la demanderesse à la section de la circulation, la mutation aurait été effectuée, alors qu’en l’absence de sa recommandation, les chances de mutation étaient minimes.

Le 29 août 1986, la demanderesse elle-même a demandé une mutation, en invoquant l’asthme comme motif et, le même jour, elle a rencontré le sergent Williams à la demande de celui-ci. La demanderesse affirme que ce dernier l’a informée qu’elle pouvait démissionner ou accepter un renvoi fondé sur des raisons d’ordre médical, ou qu’il la ferait congédier d’ici la fin de l’année. Lorsqu’on lui a demandé comment elle pouvait se rappeler aussi clairement les choix que le sergent Williams lui avait donnés, la demanderesse a déclaré que la dernière solution dont il avait parlé l’avait estomaquée à un point tel que [traduction] « cela [était] resté gravé » dans sa mémoire.

Le sergent Williams a témoigné n’avoir jamais proféré pareilles menaces, mais avoir simplement mentionné que la GRC n’était pas satisfaite du rendement de la demanderesse et qu’il était temps pour elle de continuer son chemin. Il importe de noter que le sergent Williams a témoigné qu’il avait pris des notes lors de l’entrevue, mais qu’il ne savait pas où elles étaient ou si elles avaient été détruites.

À ce moment-là, un grand nombre de commentaires et de réprimandes ont été versés dans le dossier de la demanderesse. Le deuxième jour de travail qui a suivi celui où elle a rencontré le sergent Williams, le caporal Mazur a émis trois 1004 défavorables (soit des commentaires défavorables des supérieurs de la demanderesse au sujet du rendement de celle-ci). Par la suite, la demanderesse a fait l’objet de nombreux 1004 défavorables.

La demanderesse et son mari ont tous les deux témoigné que son état de santé s’était détérioré depuis le 29 août 1986. Le mari de la demanderesse a déclaré que, pendant la période qui a suivi, il arrivait à la maison après avoir effectué son poste de nuit pour trouver la demanderesse qui avait passé toute la nuit assise à la noirceur, à pleurer. La demanderesse a témoigné qu’elle ne pouvait plus dormir et manger, qu’elle a commencé à se renfermer en soi-même et qu’elle ne pouvait pas arrêter de pleurer.

Le 15 octobre 1986, la demanderesse a déposé une plainte de harcèlement contre le sergent Williams et le caporal Mazur à l’égard de la rencontre du 29 août, du traitement injuste au sein du détachement, et des 1004. Elle a rencontré le surintendant Phil Helfrich pour discuter de la situation. Le surintendant Helfrich a témoigné que la demanderesse était affolée, et, qu’à son avis, [traduction] « elle devait prendre ce genre de mesure », et qu’[traduction] « il n’était pas facile pour elle de le faire ». Pendant la rencontre, il a été question d’une mutation, mais aucune mutation n’a eu lieu.

L’état de la demanderesse a empiré. Le docteur Cooper a témoigné que, lorsqu’il a vu la demanderesse, en octobre 1986, elle était déprimée et avait la larme à l’œil et qu’elle avait de la difficulté à prendre des décisions. Les techniques de lutte contre le stress proposées par le docteur R. J. Huddleston, psychologue indépendant auquel le psychologue Yvon Bouchard de la GRC avait référé la demanderesse, n’ont aidé celle-ci que d’une façon intermittente.

À la fin du mois de février 1987, la demanderesse s’est sentie incapable de retourner au détachement. Le docteur Cooper lui a recommandé de prendre deux semaines de congé de maladie. Après avoir examiné la demanderesse le 24 février 1987, le docteur David Shih, agent divisionnaire des Services de santé, a souscrit à cet avis. Selon le rapport qu’il a rédigé, la demanderesse

[traduction] … souffrait d’une maladie associée au stress causant une crainte excessive et de la dépression dès qu’elle retourn[ait] à son lieu de travail … [S]i elle continuait à travailler à cet endroit, elle continuerait à avoir des symptômes associés au stress et à être affectée en ce sens que sa capacité de se concentrer diminuerait et que ses crises émotives augmenteraient.

Le médecin a conclu que, [traduction] « compte tenu de la situation actuelle, la patiente [était] atteinte d’une crise mentale ».

Par conséquent, le 26 février 1987, la demanderesse a temporairement été affectée à la patrouille de la route d’Innisfail, où son rendement a été [traduction] « fort satisfaisant ». Le 22 avril 1987, elle a été mutée au détachement de Beaverlodge. À cet endroit également, ses superviseurs ont trouvé son travail satisfaisant à tous les égards. Elle n’a pas été harcelée à ces deux postes.

En mai 1987, la demanderesse a appris qu’elle faisait l’objet d’une enquête visant à déterminer si des accusations de voies de fait criminelles seraient portées à la suite d’événements mettant en cause des détenus, lesquels s’étaient produits en 1982, en 1983 et en août 1986. Le témoignage non contredit de la demanderesse était que ses supérieurs étaient au courant de chacun de ces événements, au moment où ceux-ci s’étaient produits. Ainsi, d’autres membres, dont le sergent Williams, avaient été témoins de l’événement qui s’était produit en août 1986, le sergent Williams ayant déclaré qu’à son avis, en sa qualité d’enquêteur criminel expérimenté, l’événement ne justifiait pas qu’on porte des accusations criminelles.

Le mari de la demanderesse a témoigné au sujet de l’état de santé de cette dernière, qui s’était amélioré à la suite de sa mutation en dehors de Red Deer City, et qui s’était fortement détérioré lorsqu’elle avait été mise au courant de la tenue d’une enquête criminelle. La demanderesse a déclaré que l’enquête, qui avait lieu à un moment où tout allait bien à Beaverlodge, loin de la discrimination et du stress auxquels elle avait fait face à Red Deer, l’avait mise à bout et qu’elle s’était vu obligée de démissionner. Elle croyait que la GRC [traduction] « s’acharnerait contre [elle] tant qu’[elle] ne partirai[t] pas ». En juillet 1987, elle a démissionné, en invoquant l’asthme comme motif. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle l’avait fait, elle a déclaré : [traduction] « Je voulais seulement m’en aller. Je ne voulais plus m’expliquer encore une fois. Je voulais seulement avoir la paix ».

La demanderesse croyait que si elle démissionnait, l’enquête criminelle serait abandonnée. Toutefois, en novembre 1987, elle a été accusée de voies de fait relativement aux événements qui s’étaient produits en 1982 et en 1986. Son état s’est de nouveau détérioré. En septembre 1988, la demanderesse a subi un procès devant jury et a été reconnue non coupable, et ce, sous les deux chefs d’accusation. Aucun des supérieurs de la demanderesse qui a témoigné ne semblait savoir qui a porté les accusations contre elle. Le surintendant principal R. K. Leatherdale a émis l’hypothèse selon laquelle le membre désigné pour mener l’enquête criminelle interne avait porté les accusations.

Selon mon évaluation de la preuve, la demanderesse a de fait été harcelée par des gendarmes de sexe masculin et ses supérieurs, au sein de la GRC, ont omis de lui venir en aide. Je conclus également que le harcèlement était la principale cause de sa démission. Elle souffrait d’asthme et elle a fait savoir qu’elle avait demandé une mutation à cause de son état de santé. Elle a également informé certaines personnes qu’elle avait démissionné à cause de sa maladie, mais la véritable cause de sa démission était le stress, la dépression et l’anxiété causés par le harcèlement dont elle était victime de la part de membres de la GRC de sexe masculin et l’omission de ses supérieurs d’intervenir. J’ai trouvé que la demanderesse était un témoin digne de foi.

Le propre médecin de la demanderesse, le docteur Cooper, a témoigné que l’asthme dont était atteinte sa patiente pouvait être aggravé par le stress et que cette dernière souffrait de dépression. Il a suivi la demanderesse de 1982 à 1987 et a vu son état empirer. Cela a été confirmé par le rapport de l’agent divisionnaire des Services de santé, le docteur Shih, qui a décrit l’état de la demanderesse, en février 1987, comme une [traduction] « crise mentale ».

2.         La réparation recherchée

La demanderesse allègue avoir droit à des dommages-intérêts pour avoir fait l’objet d’un congédiement injustifié sans préavis ou sans motif valable, et décrit le préjudice subi comme étant [traduction] « la perte de salaire du mois de septembre 1987 jusqu’à (la date de son nouvel enrôlement [sic]) ». Sa demande de redressement est ainsi libellée :

[traduction] PAR CONSÉQUENT, LA DEMANDERESSE RÉCLAME :

a) Des dommages-intérêts généraux et des dommages- intérêts fondés sur la négligence, jusqu’à concurrence de la somme de 250 000 $;

b) Des dommages-intérêts généraux pour violation du contrat de travail, jusqu’à concurrence de la somme de 250 000 $;

c) Des dommages-intérêts généraux pour souffrances et douleurs, jusqu’à concurrence de la somme de 100 000 $;

d) La somme de 250 000 $ pour la violation des droits qui lui sont reconnus par la Charte des droits;

e) Des dommages-intérêts spéciaux, jusqu’à concurrence du montant devant être établi à l’instruction;

f) Les dépens;

g) L’intérêt;

Je me propose d’examiner les réclamations de la demanderesse dans l’ordre suivant : la responsabilité découlant de la relation de travail, la responsabilité délictuelle fondée sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne[5] (la LRC), la discrimination fondée sur la Charte, et les dommages-intérêts.

3.         La relation de travail en soi

a.         Les observations des parties

L’avocat de la demanderesse soutient que les conditions de travail implicites de la demanderesse au sein de la GRC comprenaient un traitement juste ainsi que le respect de la politique procédurale relativement à la cessation d’emploi : on aurait dû signifier un exposé des insuffisances à la demanderesse, une audience aurait dû être tenue et une décision rendue. Cependant, la GRC s’est soustraite aux politiques existantes, en choisissant de harceler la demanderesse et de la forcer à quitter la Gendarmerie [traduction] « pour ne pas avoir à essayer de la faire officiellement renvoyer … et à examiner les allégations de harcèlement sexuel ».

Étant donné que le paragraphe 13(1) de la Loi prévoit expressément que les officiers sont nommés à titre amovible, il est possible de soutenir que les membres réguliers, qui sont régis par les dispositions distinctes du paragraphe 13(2), ne sont pas nommés à titre amovible, mais qu’ils sont plutôt assujettis à un contrat de travail. Pareil contrat n’a pas à être consigné par écrit pour que la Cour lui donne effet. Les conditions de ce contrat sont énoncées dans la Loi, dans le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada[6] (le Règlement) et dans les ordres permanents du commissaire[7](les OPC) : McCleery c. La Reine[8]. La conduite de la défenderesse constituait une violation fondamentale du contrat de travail de la demanderesse.

D’autre part, l’avocat de la défenderesse soutient que la demanderesse pouvait se prévaloir de la procédure de présentation des griefs et qu’elle ne l’a pas fait : il n’existe donc pas de cause d’action devant la Cour. En outre, le paragraphe 23(1) de la Loi d’interprétation[9] prévoit que, sauf disposition contraire de la loi pertinente, les fonctionnaires sont réputés avoir été nommés à titre amovible. La demanderesse a été nommée en vertu de la Loi, de sorte qu’elle est devenue préposée de Sa Majesté. Les conditions de service étaient établies par la Loi et assujetties à la Loi, qui renferme un code complet en matière de recrutement, d’administration et de discipline au sein de la GRC. La demanderesse n’était donc pas employée en vertu d’un contrat de travail. On laisse entendre que cette conclusion est étayée, par analogie, par les décisions dans lesquelles la Cour a statué que les membres des forces armées et les fonctionnaires ne pouvaient exercer aucun recours judiciaire en cas de congédiement injustifié[10]. L’avocat cite également McCleery[11], dans lequel la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument invoqué par l’intimée, à savoir que l’engagement d’un membre de la GRC constituait un contrat avec le commissaire.

b.         Analyse et conclusions

L’article 13 de la Loi est ainsi libellé :

13. (1) Les officiers de la Gendarmerie détiennent leurs fonctions au gré du gouverneur en conseil.

(2) Sauf s’il est nommé pour une fonction temporaire, chaque membre autre qu’un officier doit, lors de sa nomination, signer un acte d’engagement pour une période n’excédant pas cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé par le Commissaire en tout temps avant l’expiration de la durée de son engagement.

Le contexte de l’emploi des membres de la GRC a été examiné dans un certain nombre de décisions, dont la majorité se rapportaient à des demandes de contrôle judiciaire de décisions ou de procédures administratives en matière de renvoi, de discipline ou de mutation.

Dans l’arrêt Kedward c. La Reine[12] qui se rapporte directement à une action pour congédiement injustifié en soi intentée par un membre de la GRC, le juge suppléant Sheppard a conclu qu’en l’absence d’un contrat de travail pour une période déterminée, le membre de la GRC était nommé à titre amovible, que la prérogative de la Couronne permettait le congédiement au bon plaisir, et que le demandeur ne pouvait pas avoir gain de cause, étant donné en particulier que le pouvoir de congédiement ou de renvoi établi par la Loi n’avait pas été excédé. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale[13], pour le motif que le pouvoir conféré au Commissaire par le paragraphe 13(2) de la Loi, précité, en matière de renvoi avait été exercé conformément aux motifs et procédures énoncés dans le Règlement et dans les OPC et que l’appelant avait donc été licitement congédié. Toutefois, l’arrêt Kedward ne règle pas la présente espèce, étant donné que la cause d’action invoquée par la demanderesse, le cas échéant, est fondée sur le fait qu’on s’était soustrait aux procédures de congédiement ou de renvoi et sur la démission forcée, ce qui équivaut à un licenciement positif[14].

Compte tenu des conclusions qu’elle avait elle-même tirées, la Cour d’appel, dans l’arrêt Kedward, n’a pas examiné les conclusions tirées par le juge suppléant Sheppard, selon lesquelles un contrat de travail pour une période déterminée était une condition préalable à une action pour congédiement injustifié, et qu’autrement, la prérogative illimitée de la Couronne autorisait le congédiement au bon plaisir. En l’espèce, le réengagement de la demanderesse en juillet 1985 n’était pas pour une période déterminée, mais plutôt [traduction] « aux fins d’un service continu ». Toutefois, les jugements de la Cour d’appel fédérale qui font autorité disent en général qu’en vertu du paragraphe 13(2) de la Loi, des dispositions du Règlement énonçant les motifs de renvoi[15], et des OPC régissant les procédures y afférentes[16], les membres de la GRC ne peuvent pas être congédiés au bon plaisir[17].

Dans Laroche, la Cour a rejeté une demande d’annulation de la décision qu’avait prise le Commissaire de confirmer une recommandation de congédiement. En examinant si la décision était purement administrative ou si elle était de nature quasi judiciaire, le juge Le Dain (tel était alors son titre) a décrit la nature de l’emploi des membres comme suit[18] :

Les dispositions de la [Loi] … et en particulier les articles 13 et 15, montrent qu’un membre de la Gendarmerie autre qu’un officier se trouve dans une situation autre que celle d’employeur ou d’employé et qu’il détient une charge reconnue et réglementée par la loi. Cette charge en reste une même si, au moment de sa nomination, le membre de la Gendarmerie doit signer un acte d’engagement pour une période n’excédant pas cinq ans et si, en vertu de l’article 53 de la Loi (et de l’article 37 de la Loi sur la Cour fédérale [alors en vigueur]), il est réputé être un préposé de la Couronne, en matière de responsabilité. C’est l’opinion qui a été adoptée au sujet de la situation d’un agent de police à laquelle … devrait être assimilée celle d’un membre de la Gendarmerie. Voir A.-G. for New South Wales v. Perpetual Trustee Co. (Ltd.) et al., [1955] A.C. 457; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police [[1979] 1 R.C.S. 311] … Il ne découle pas non plus des règlements … que, du point de vue du congédiement, cette charge soit occupée à titre amovible. Je partage l’opinion exprimée par le juge Thurlow dans McCleery … selon lequel ce qui est maintenant l’article 67 du Règlement et précise les motifs de licenciement d’un membre autre qu’un officier, doit être considéré, compte tenu de ce que vise nécessairement le paragraphe 21(2) de la Loi, comme une réserve valable au pouvoir de licenciement apparemment illimité conféré par le paragraphe 13(2). Par conséquent, le pouvoir de licencier pour incompétence un membre autre qu’un officier de la Gendarmerie semblerait entrer dans la dernière catégorie de renvois décrits par lord Reid dans Ridge v. Baldwin et al., [1964] A.C. 40, à la p. 65 : « le congédiement d’un employé par son employeur, la destitution d’une charge occupée à titre amovible et la destitution d’une charge pour un motif déterminé. » [C’est moi qui souligne.]

Il s’agit de savoir si la demanderesse, qui est visée par la dernière catégorie de congédiement, peut avoir gain de cause devant cette Cour pour des motifs habituellement et principalement associés à la relation de travail employeur-employé, et fondés sur le contrat de travail. Il est reconnu depuis longtemps que le fait d’occuper une charge publique peut être caractérisé par [traduction] « certaines relations contractuelles, que ce soit en ce qui concerne le salaire ou les conditions de travail, d’une part, et l’obligation de servir fidèlement et en faisant preuve d’une diligence et d’une compétence raisonnables, d’autre part »[19]. Les principes qui s’appliquent aux contrats ont été jugés pertinents lorsque, par exemple, une disposition d’une convention collective régissant le congédiement de fonctionnaires était en conflit avec un pouvoir légal de congédiement au bon plaisir[20].

Ces principes ont également été appliqués aux personnes qui détiennent une charge au sein d’un service de police, auxquelles le juge Le Dain a comparé les membres de la GRC : dans l’arrêt Brown v. Waterloo Regional Board of Commissioners of Police[21], la violation du contrat constituait le fondement de l’octroi de dommages-intérêts à un chef de police dont le congédiement avait été annulé dans des procédures de contrôle judiciaire. Le juge Linden (tel était alors son titre) a fait le raisonnement suivant[22] :

[traduction] Il est clair que les relations qui existent entre un chef ou un agent de police et la Commission sont fondées sur une situation légale qui n’est pas régie par les règles ordinaires s’appliquant à l’employeur et son employé … une fois qu’ils sont nommés, les agents et les chefs de police assument, en vertu de la loi et de la common law, certaines tâches qui ne sont pas régies par le droit ordinaire des contrats…

Toutefois, cela ne veut pas dire que le droit des contrats n’a pas sa place dans la réglementation des relations entre la police et les commissions qui supervisent les policiers. Ces commissions se voient conférer le pouvoir de contracter d’une façon générale … Par conséquent, bien que les relations entre la police et les commissions ne puissent pas être régies exclusivement par le droit des contrats, les commissions et les policiers peuvent passer des contrats, à condition que ceux-ci ne soient pas en conflit avec les obligations qui leur incombent en vertu de la loi ou de la common law.

Il n’y a pas lieu d’empêcher l’exécution d’un contrat, et ce, bien qu’une des parties puisse occuper une charge publique, comportant des droits et obligations prévus par la loi. Les dispositions contractuelles dans ce cas-ci, comme dans d’autres cas, seront reconnues par les tribunaux dans la mesure où elles ne vont pas à l’encontre d’une obligation existante prévue par la loi ou la common law. [C’est moi qui souligne.]

La Cour d’appel de l’Ontario a souscrit à l’avis du juge Linden, selon lequel [traduction] « l’omission de la commission d’accorder chaque année au demandeur des augmentations de salaire raisonnables, ainsi que les avantages sociaux habituels … constituait sans aucun doute une violation du contrat »[23].

À mon avis, ces arrêts n’aident pas la demanderesse, qui n’était pas régie par une convention collective, et qui n’était pas partie au genre de contrat à l’existence duquel il a été conclu dans l’arrêt Brown.

Cette opinion est étayée par la décision que la Cour d’appel fédérale a récemment rendue dans Gingras c. Canada[24]. En décidant que les membres de la GRC avaient droit à la prime au bilinguisme accordée aux fonctionnaires fédéraux, le juge Décary, J.C.A., a examiné les diverses façons dont les lois qualifiaient le statut professionnel des membres, et a fait la remarque suivante[25] :

Il s’impose en effet de distinguer selon qu’on traite de droit commun ou de ce que j’appellerais le droit interne de l’administration publique fédérale. Le fait qu’une personne soit dite « employée » aux fins du droit interne de l’administration, n’emporte pas nécessairement qu’elle soit une « employée » au sens du droit commun …

En droit commun, les fonctionnaires forment une catégorie spéciale d’employés et suivant une longue tradition, les règles contractuelles ordinaires ne leur sont pas applicables. Les membres des forces policières échappent encore davantage à ces règles ainsi que le soulignait le vicomte Simonds dans Attorney-General for New South Wales v. Perpetual Trustee Co. (Ld.) ([1955] A.C. 457 (P.C.), à la p. 482 (H.L.) :

[traduction] Leurs seigneuries sont d’avis qu’il est suffisamment justifié de dire comme la Haute cour que le service d’un agent est « de nature différente » ou « sur un plan différent » à égard de la relation domestique, qu’il est « différent par sa nature et ce qui en découle », et que, même si certains des éléments que la loi sous-entend dans le contrat ordinaire de louage de services sont également présents dans la relation de l’agent envers la couronne, il existe une différence fondamentale portant qu’il faut examiner avec prudence la question de savoir si une forme d’action à laquelle on peut avoir recours dans un cas est disponible dans l’autre également.

Bien qu’il soit possible que certaines des distinctions soient devenues désuètes au fil des ans, il n’en reste pas moins qu’on peut comprendre que le Parlement, compte tenu du statut particulier et ambigu des membres de la GRC en droit commun, prenne le soin, à l’occasion et pour des fins particulières … de préciser que les membres de la GRC sont, ou ne sont pas, des « préposés » ou des « employés » de la Couronne. [C’est moi qui souligne.]

Je conclus donc que, dans les circonstances particulières de l’espèce, et compte tenu du poids des arrêts existants, le statut reconnu comme ambigu des membres de la GRC, comme la demanderesse, ne permet pas à celle-ci d’invoquer devant la Cour une cause d’action fondée sur le congédiement injustifié, et ce, bien qu’elle ne puisse pas être congédiée au bon plaisir.

En tirant cette conclusion, je me suis demandé si ce résultat a pour effet d’empêcher un membre de la GRC qui allègue des circonstances similaires d’exercer un recours ou de solliciter une compensation pécuniaire. Étant donné la compétence réparatrice que possède le Tribunal canadien des droits de la personne, laquelle est énoncée au paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[26] (LCDP), qui prévoit l’octroi d’une indemnité pour perte de salaire dans le cas où une plainte est jugée fondée, je suis convaincu que tel n’est pas le cas. En l’espèce, la demanderesse n’a pas présenté une plainte en vertu de la Loi susmentionnée, comme elle aurait pu le faire.

Étant donné la conclusion que j’ai tirée sur ce point, il n’est pas nécessaire de décider si la demanderesse était théoriquement ou légalement tenue d’épuiser les recours administratifs internes avant de solliciter une réparation devant cette Cour, ou si ces recours auraient, en théorie, été adéquats, compte tenu des circonstances.

Toutefois, il importe de noter que la procédure de présentation des « griefs » qui s’appliquait au moment où la demanderesse exerçait ses fonctions, était régie par les articles 45 à 49 du Règlement. L’article 45 parle d’une « réclamation ». En fait, la demanderesse a déposé une réclamation en octobre 1986. Le chapitre II.16 du MA, pendant la période pertinente, énonçait également une procédure plus détaillée à l’égard des « griefs » en soi[27].

La décision que le juge Rouleau a rendue dans Desjardins c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada[28] laisse entendre que la procédure de présentation des réclamations et la procédure de présentation des griefs sont distinctes, et qu’il n’existe aucune irrégularité du fait qu’on a recours à la première procédure plutôt qu’à la seconde. L’application de la procédure de présentation des griefs à la demanderesse, dont la réclamation faisait l’objet d’une enquête, semble donc incertaine : on ne sait pas exactement ce sur quoi le grief de la demanderesse aurait dû porter, selon la défenderesse, étant donné que la réclamation pendante se rapportait à une façon d’agir, plutôt qu’à des événements distincts susceptibles de faire l’objet d’un grief, comme les rapports sur le rendement. En outre, si je comprends bien, la procédure énoncée dans les OPC du chapitre II.16 aurait obligé la demanderesse à présenter son « objection » officielle ou officieuse, relativement à ces rapports, aux supérieurs immédiats et intermédiaires avec lesquels elle avait des difficultés.

4.         Responsabilité délictuelle

a.         Les observations des parties

La déclaration de la demanderesse est double : elle est fondée, en premier lieu, sur le fait qu’on lui a délibérément causé un choc nerveux et, en second lieu, sur une négligence « ordinaire ». En s’appuyant sur la décision rendue par le juge Noël dans l’arrêt Boothman c. Canada[29], la demanderesse soutient qu’elle satisfait aux exigences énoncées dans cet arrêt lorsqu’il s’agit d’établir le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux. Elle prétend qu’elle faisait l’objet d’une tentative concertée de la part de la GRC dans son ensemble pour la contraindre à quitter la Gendarmerie parce qu’elle avait manifesté son inquiétude au sujet du harcèlement sexuel dont elle était victime au détachement de Red Deer City. Le harcèlement réitéré et délibéré à auquel des membres de la GRC ont assujetti la demanderesse s’est produit dans le contexte de l’emploi de celle-ci et lui a causé un traumatisme psychologique. La responsabilité de la Couronne est donc engagée, conformément à l’article 4 (maintenant article 10) de la LRC, de la même façon qu’elle le serait si la négligence qu’un agent de la GRC aurait commise en conduisant un véhicule à moteur avait causé des lésions corporelles.

La demanderesse désigne trois catégories de préposés de la Couronne comme auteurs du délit : les agents individuels, qui la harcelaient parce qu’elle était une femme; les superviseurs, qui étaient au courant du harcèlement, ou auraient dû l’être, et qui ont décidé de ne rien faire; les superviseurs qui, par leur conduite, ont contribué à la harceler et à la forcer à quitter la Gendarmerie. La demanderesse signale le grand nombre de 1004, les menaces de congédiement, le refus de la muter et le fait qu’on a porté des accusations criminelles se rapportant à des événements qui s’étaient produits plusieurs années auparavant et dont ses superviseurs étaient au courant dès le début. Elle soutient que le droit que possède la GRC de réglementer les questions internes de conduite et de discipline ne s’étend pas à la conduite délictuelle qui est ici reprochée.

Toutefois, la défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas plaidé et n’a pas prouvé qu’on a comploté en vue de la forcer à quitter la Gendarmerie, en lui causant un choc nerveux. La preuve établit simplement que les superviseurs de la demanderesse se sont acquittés de leurs obligations en la supervisant. Les tribunaux ne sont pas autorisés à s’ingérer dans les affaires de conduite et de discipline de la GRC, et il n’est donc pas possible d’intenter une action contre un agent de la GRC, et ce, même s’il a agi avec malveillance et sans cause raisonnable[30]. Même si la conduite reprochée a eu lieu, les seuls recours dont la demanderesse peut se prévaloir sont la procédure interne de présentation des griefs ou le mécanisme prévu par la LCDP à l’égard des plaintes.

En outre, la défenderesse soutient qu’une cause d’action fondée sur la négligence n’existe que si le préjudice est attribuable à la conduite négligente d’un préposé de la Couronne, et uniquement si on reconnaît, en droit, l’obligation d’éviter le préjudice. En l’espèce, la théorie d’emploi commun limite la responsabilité de l’employeur[31] et l’article 4 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne (LRC) empêche la demanderesse de présenter une réclamation fondée sur cette théorie. De plus, aux fins du recouvrement pour préjudice causé, le choc nerveux doit être un état psychiatrique identifiable, attribuable à la violation d’une obligation de prudence existante[32]. Enfin, si le choc nerveux s’est produit dans le cadre de l’emploi de la demanderesse, la Loi sur l’indemnisation des employés de l’État (la LIEE)[33] s’applique à cette dernière et le paragraphe 4(1) (maintenant article 9) de la LRC rend sa réclamation irrecevable.

La demanderesse répond que l’état psychiatrique, soit la dépression, a été établi, qu’elle ne s’appuie pas sur l’emploi commun afin d’établir la responsabilité de la Couronne et que, puisqu’elle n’a pas été victime d’un « accident », la LIEE ne s’applique pas à elle.

b.         Analyse et conclusions

Il est utile au départ de régler trois questions que la défenderesse a soulevées. Premièrement, je conclus que la théorie de l’emploi commun existant en common law ne s’applique pas en l’espèce, la décision devant être strictement fondée sur les dispositions de la LRC. Comme certains auteurs l’ont souligné, cette théorie est [traduction] « maintenant disparue »[34].

Deuxièmement, à mon avis, les décisions que la défenderesse invoque pour affirmer que la Cour n’a pas compétence n’ont aucun rapport avec la présente espèce, car elles ne visent ni l’une ni l’autre la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne en vertu de la LRC. Dans l’arrêt Archer[35], il s’agissait de savoir si les tribunaux civils étaient autorisés à annuler les déclarations de culpabilité inscrites en vertu du Code de discipline de la GRC. La Cour suprême du Canada a décidé que ces tribunaux n’avaient pas compétence, en l’absence d’un abus de pouvoir ou d’un acte non autorisé. Dans l’arrêt Dawkins, la majorité de la Cour du Banc de la Reine a rejeté une action en libelle intentée contre le supérieur de la partie demanderesse, parce que les motifs de ce dernier n’étaient pas pertinents, puisque les lettres en question avaient été rédigées dans le cadre d’un devoir militaire. Je remarque également que la Cour a été saisie de nombreuses demandes concernant les affaires internes de la GRC en matière de « conduite et de discipline » et qu’elle a accueilli un grand nombre de ces demandes[36].

Troisièmement, il est vrai que l’article 9 de la LRC rend irrecevables les poursuites engagées en vertu de cette loi pour toute perte ouvrant droit au paiement d’une indemnité sur le Trésor[37], mais l’avocat de la défenderesse n’a invoqué aucun ouvrage ni aucun arrêt, et je n’en connais aucun, qui laisse entendre que la réclamation de la demanderesse est visée par la définition du mot « accident » figurant dans la LIEE[38].

En ce qui concerne le droit régissant la réclamation de la demanderesse, les dispositions pertinentes de la LRC sont ainsi libellées :

3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,

a) à l’égard d’un délit civil commis par un préposé de la Couronne, …

4. …

(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l’alinéa 3(1)a), à l’égard d’un acte ou d’une omission d’un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la présente loi, l’acte ou l’omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.

Il est de droit constant qu’afin d’engager la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne, la demanderesse doit établir, en premier lieu, qu’un délit a été commis par un préposé de la Couronne et, en second lieu, que le délit a été commis dans le cadre de l’emploi du préposé. En l’espèce, la demanderesse fonde sa réclamation tant sur le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux que sur la négligence. J’examinerai chaque question séparément.

(i)         Le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux

Comme le juge Noël l’a fait remarquer dans l’arrêt Boothman[39], la reconnaissance judiciaire de cette cause d’action de nature délictuelle émane de l’arrêt Wilkinson v. Downton, affaire dans laquelle un farceur avait informé une femme que son mari avait été sérieusement blessé, ce qui avait causé à cette dernière un choc nerveux ainsi que des souffrances morales et physiques prolongées. En concluant à la responsabilité du défendeur, le juge Wright a dit ceci[40] :

[traduction] Le défendeur a … intentionnellement commis un acte destiné à causer un préjudice physique à la demanderesse—c’est-à-dire violer son droit à la sécurité personnelle, et lui a causé, de fait, un préjudice physique en conséquence. Cette proposition à elle seule me semble représenter une bonne cause d’action, puisqu’on n’a pas tenté de justifier l’acte. Ce préjudice intentionnel est, sur le plan juridique, malicieux, bien que l’on n’impute au défendeur aucun but malicieux de causer le préjudice subi et aucun mobile malveillant.

Il est difficile d’imaginer qu’une telle déclaration, faite de manière spontanée avec un caractère sérieux apparent, pourrait ne pas produire de graves effets dans les circonstances sur toute personne qui n’est pas exceptionnellement indifférente et par conséquent, on doit imputer l’intention de produire un tel effet et dire qu’on a causé plus de tort que prévu ne constitue pas une réponse en droit, car c’est habituellement le cas de tous les préjudices. [C’est moi qui souligne.]

Le principe énoncé dans l’arrêt Wilkinson a été adopté et appliqué dans un certain nombre d’arrêts canadiens[41]. Dans l’arrêt Purdy, la Cour a conclu[42] que l’intention de causer à la partie demanderesse un choc nerveux devait être imputée à la partie défenderesse. Dans l’arrêt Abramzik, le juge en chef Culliton a fait remarquer qu’[43] [traduction] « il est certain que le fait de causer délibérément un choc, ou l’indifférence irréfléchie à l’égard de la question de savoir si l’acte commis occasionnera un choc ouvre droit à une action ». Dans l’arrêt Rahemtulla, le juge McLachlin (tel était alors son titre) a appliqué trois critères tirés d’arrêts antérieurs[44] : premièrement, une conduite choquante, ou flagrante et extrême; deuxièmement, une conduite visant [traduction] « à produire un effet semblable à celui qui a été produit »; troisièmement, une conduite causant un préjudice réel, c.-à-d. une maladie visible et prouvable. Dans l’arrêt Timmermans, le juge Catzman a conclu[45] que l’intention et le mobile restreints de la partie défenderesse ne dégageaient pas celle-ci de sa responsabilité, étant donné en particulier qu’elle était au courant de l’état émotif fragile de la partie demanderesse.

Les arrêts susmentionnés se rapportaient à des événements déterminants isolés. Toutefois, dans la décision récemment rendue dans Boothman, sur laquelle la demanderesse s’appuie[46], le harcèlement et l’intimidation[47] avaient duré sept mois et avaient causé une grave dépression mentale qui persistait toujours au moment de l’instruction, sept ans plus tard. Le juge Noël a conclu que le défendeur, qui supervisait la demanderesse et qui était son seul compagnon de travail, avait embauché cette dernière à cause de sa vulnérabilité émotionnelle, l’avait exploitée afin de la dominer et, ayant échoué, l’avait amenée à tomber malade et à démissionner. Il a conclu que le superviseur avait exercé son pouvoir d’une façon injuste, de façon à infliger des douleurs et souffrances morales à la demanderesse, à la harceler, à l’humilier, à l’agresser et à lui nuire. Il a conclu à l’existence de dommages délibérés comme ceux qui avaient été causés dans l’arrêt Wilkinson, auxquels venait s’ajouter un but malveillant, étant donné que la fragilité psychologique de la demanderesse était connue, et a accordé des dommages-intérêts fondés sur les voies de fait et le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux, en plus des dommages-intérêts exemplaires.

Les auteurs ont résumé comme suit les principes découlant de la jurisprudence. Fridman dit[48] que :

[traduction] Le défendeur peut causer pareil préjudice [émotionnel ou mental] sans physiquement toucher le demandeur, sans menacer sa sécurité physique, et sans aucunement entraver sa liberté de mouvement. Il faut absolument que le défendeur cause le préjudice en commettant lui-même directement un acte.

Pour que naisse une cause d’action, il faut à la fois une conduite extrême et des [traduction] « conséquences objectives et fortement nuisibles, sur le plan physique ou psychopathologique » plutôt qu’une [traduction] « simple angoisse ou crainte »[49]. Quant au premier cas, Linden fait remarquer[50] que :

[traduction] Le caractère choquant pourrait … découler de la situation spéciale d’autorité du défendeur. Si un propriétaire, un agent de police ou un directeur d’école insultait ou menaçait quelqu’un sur le bien-être futur duquel il exerce un certain contrôle, on pourrait considérer que ces actes dépassent les limites de la bienséance, de sorte qu’ils ouvriraient droit à une action.

Prosser ajoute[51] que :

[traduction] On peut également conclure au caractère choquant et extrême du fait que le défendeur sait que le demandeur est particulièrement sensible, susceptible et vulnérable lorsqu’un préjudice découlant de la détresse mentale lui serait causé par la conduite particulière …

Le caractère choquant est fondé sur le fait que le défendeur est au courant de la vulnérabilité du demandeur; en l’absence de pareille connaissance, une conduite qui n’est pas par ailleurs suffisamment extrême n’entraîne aucune responsabilité, bien que le demandeur puisse de fait subir un préjudice grave à cause de pareille conduite.

Fleming fait remarquer ceci au sujet de l’intention[52] :

[traduction] Il est rare qu’on ait pleinement l’intention de causer un choc nerveux comportant un préjudice physique. En général, le défendeur cherche simplement à effrayer, à terrifier ou à alarmer sa victime. Cependant, cela est tout à fait suffisant, à condition que la conduite du défendeur ait été de nature à pouvoir raisonnablement terrifier une personne normale, ou que ce dernier ait su ou ait dû savoir que sa conduite terrifierait probablement le demandeur, pour des raisons qui lui sont propres. Pareille conduite pourrait être qualifiée d’insouciante.

Le mot « visant » à causer un préjudice n’a pas été interprété strictement …

Irvine laisse entendre[53] que l’interprétation du mot [traduction] « visant » qui est la plus conforme à la façon dont ce dernier est employé dans l’arrêt Wilkinson et dans les arrêts subséquents est

[traduction] … que le choc nerveux … n’était même pas raisonnablement prévisible, étant donné la connaissance restreinte qu’avait le défendeur de la fragilité de sa victime, et qu’il était encore moins envisagé, mais qu’une appréhension ou sensation émotionnelle ennuyeuse, gênante ou désagréable … était prévue et envisagée, bien que l’appréhension ou le malaise émotionnel ainsi prévus n’aillent pas jusqu’au choc nerveux traumatique qui a de fait été causé.

Irvine cite également des arrêts selon lesquels la limitation de responsabilité fondée sur le caractère éloigné et sur l’imprévisibilité ne s’applique pas aux délits intentionnels[54].

L’affaire dont nous sommes ici saisis se rapporte à une situation qui ne ressemble aucunement à celles qui existaient dans les décisions examinées. En premier lieu, plusieurs des collègues et supérieurs de la demanderesse sont en cause, par opposition à un seul individu. De plus, en l’espèce, le comportement reproché se rapporte tant à la façon d’agir d’un certain nombre de ces personnes, qu’à des actes ou omissions isolés de la part de ces mêmes personnes ou d’autres personnes, sur une période de quatre ans. Étant donné cet ensemble de circonstances unique en son genre, je suis néanmoins convaincu que les arrêts susmentionnés étayent la réclamation de la demanderesse en ce qui concerne le délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux, et ce, pour les motifs susmentionnés.

Je suis convaincu que la preuve ci-dessus examinée établit que la conduite dont on a fait preuve envers la demanderesse était extrême, et visait [traduction] « à produire un effet semblable à celui qui a été produit »[55]. J’ai également conclu que la détérioration de l’état mental et physique de la demanderesse jusqu’à sa réaffectation, en février 1987, satisfait au troisième critère énoncé dans l’arrêt Rahemtulla, c.-à-d. un préjudice réel qui a pris la forme d’une maladie. À mon avis, l’état de la demanderesse, attesté tant par le docteur Cooper que par le docteur Shih, était analogue à l’état à l’égard duquel des dommages-intérêts ont été accordés dans cet arrêt-là, et dans l’arrêt Timmermans[56].

En outre, la preuve non contredite concernant l’état de la demanderesse, lorsqu’elle a été mise au courant de l’enquête criminelle, établit qu’il s’agissait également de plus qu’une [traduction] « simple angoisse ou crainte ». Selon la preuve, la dépression dont la demanderesse avait souffert à Red Deer, en 1986, n’était rien comparativement à celle dont elle a été atteinte lorsque l’enquête a commencé. Je remarque que, dans l’arrêt Rahemtulla[57], le juge McLachlin a conclu que la réaction qu’avait eue la partie demanderesse par suite de la conduite délictuelle de la partie défenderesse satisfaisait au troisième critère concernant le préjudice réel, et ce, malgré l’absence d’une preuve présentée par un médecin expert. Dans l’arrêt Boothman[58], le juge Noël a fait remarquer que l’exigence voulant qu’une maladie psychiatrique reconnaissable soit prouvée semble être fort strictement observée dans les réclamations fondées sur le délit qui consiste à causer un choc nerveux par négligence, lesquelles visent habituellement la réaction d’une personne qui a été témoin d’un accident ou qui a vu la victime, et dans lesquelles les règles ordinaires de la négligence s’appliquent.

Puisque j’ai conclu que les préposés de la Couronne ont délibérément causé un choc nerveux à la demanderesse, je dois me demander si la conduite délictuelle a eu lieu dans le cadre de leur emploi. À mon avis, il est certain que ceux qui ont agi en leur qualité de superviseurs ou de personnes ayant autorité à l’égard de la demanderesse agissaient dans le cadre de leur emploi. Je souscris à l’avis que le juge Noël a exprimé dans l’arrêt Boothman[59], à savoir qu’il n’existe

… aucune différence, sur le plan juridique, entre le cas d’un préposé qui, alors qu’il était chargé de superviser du personnel, abuse de son pouvoir de la manière décrite dans les présents motifs, et celui d’un préposé, à qui on a confié des biens, qui détourne ces biens à son profit. Dans les deux cas, la faute est directement attribuable et liée à l’obligation ou à la responsabilité imposée au préposé.

En ce qui concerne les collègues ou les compagnons de travail de la demanderesse, il s’agit de savoir

… si l’acte [des préposés] se rattache suffisamment à l’exercice de [leurs] fonctions ou en est tellement éloigné que l’intéressé doit être considéré comme un étranger à l’égard de son commettant[60].

À mon avis, la conduite reprochée s’est manifestée strictement dans les limites de la relation employeur-employé et a été occasionnée par cette relation. Je conclus que les préposés de la Couronne agissaient dans le cadre de leur emploi.

(ii)        Négligence

Afin d’engager la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne sous ce chef, le demandeur doit montrer[61] :

[traduction] … (i) que le [préposé de la Couronne] avait envers lui une obligation de prudence; (ii) que le [préposé de la Couronne] aurait dû faire preuve d’un degré particulier de prudence afin de remplir cette obligation ou de s’en acquitter; (iii) que le [préposé de la Couronne] a violé son obligation de prudence en omettant d’exercer le degré pertinent de prudence; (iv) que pareille violation de l’obligation en question a causé un dommage ou une perte au demandeur; (v) que pareil dommage n’était pas une conséquence si éloignée de la violation que le [préposé de la Couronne] n’était pas responsable de son existence.

Les tribunaux canadiens ont employé une méthode en deux étapes à l’égard du critère de l’obligation, en s’inspirant des arrêts classiques Donoghue v. Stevenson[62] et Anns v. Merton London Borough Council[63] :

1)   y a-t-il des relations suffisamment étroites entre les parties … pour que [la défenderesse] aient pu raisonnablement prévoir que [son] manque de prudence pourrait causer des dommages à la personne en cause? Dans l’affirmative,

2)   existe-t-il des motifs de restreindre ou de rejeter a) la portée de l’obligation et b) la catégorie de personnes qui en bénéficient ou c) les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu[64]?

La question de savoir s’il existe une obligation dans un cas donné est une question de droit. Quant au degré de prudence requis, il s’agit de celui dont l’homme ou la femme raisonnable ordinaire fait preuve. Il s’agit d’un degré objectif de prudence. Fridman résume les considérations pertinentes comme suit[65] :

[traduction] La négligence en droit … signifie quelque omission de prendre la mesure que prendrait un homme raisonnable compte tenu des circonstances, ou la prise d’une mesure que ne prendrait pas un homme raisonnable compte tenu des circonstances. Le critère, lorsqu’il s’agit de savoir si la prise de cette mesure ou l’omission de prendre cette mesure, résultent d’une négligence, consiste à savoir si « monsieur tout le monde » jugerait qu’il en est ainsi.

Je suis convaincu que la preuve établit également l’existence d’une négligence qui engage la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne. À mon avis, il est certain qu’en sa qualité de superviseur immédiat de la demanderesse, le caporal Mazur avait envers cette dernière une obligation de prudence et qu’il a régulièrement violé cette obligation. Je conclus que, sur une longue période, il a délibérément refusé d’exercer son pouvoir de façon à mettre fin à des actes de harcèlement dont il était parfaitement au courant et auxquels il a en fait parfois participé, pardonnant ainsi ce comportement. Il a en outre négligé d’une façon flagrante de répondre aux signaux de détresse de la demanderesse comme il était tenu de le faire en tant que titulaire d’un poste de responsabilité. Et, comme je l’ai ci-dessus mentionné, les officiers supérieurs de la GRC ont omis de venir en aide à la demanderesse.

À mon avis, les circonstances de l’espèce ne soulèvent aucune question de caractère éloigné ou de prévisibilité. Le caporal Mazur n’était pas un simple spectateur non autorisé à exercer un contrôle sur le comportement de ses subalternes : sa négligence a directement causé le préjudice subi par la demanderesse, et il agissait clairement dans le cadre de son emploi.

5.         Discrimination fondée sur la Charte

Étant donné que j’ai conclu que la responsabilité délictuelle de la défenderesse était engagée, il est inutile d’examiner cette question.

6.         Dommages-intérêts

a.         Les observations des parties

La demanderesse réclame des dommages-intérêts spéciaux, à savoir la perte de salaire, et des dommages-intérêts généraux fondés sur la négligence ainsi que sur les souffrances et douleurs résultant du fait qu’on lui a délibérément causé un choc nerveux. Dans ses arguments écrits, elle soutient également, en citant l’arrêt Boothman[66], que la Cour a compétence pour accorder des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs (lesquels n’étaient pas sollicités dans la déclaration).

Quant à la question des dommages-intérêts spéciaux, la demanderesse a proposé trois solutions de rechange aux fins du calcul de ses pertes. La première se rapporte au salaire perdu depuis le mois de septembre 1987 jusqu’à la date de l’instruction, en septembre 1993, à savoir 201 000 $. Ce montant représente le salaire qu’elle aurait touché à la GRC, moins le montant qu’elle a gagné en travaillant à temps partiel pendant la période pertinente. La deuxième se rapporte au salaire perdu du mois de septembre 1987 au mois de septembre 1990, lorsque la demanderesse aurait complété dix années de service au sein de la GRC, moins la rémunération que la demanderesse a touchée pendant cette période. Le montant en cause est de 100 500 $. On a expliqué cette solution en affirmant que, au moment de son engagement dans la GRC, la demanderesse avait l’intention d’effectuer au moins dix années de service dans la Gendarmerie. Le troisième montant projeté est de 45 000 $; il représente la pension que la demanderesse aurait obtenue à la suite d’un congédiement fondé sur des raisons d’ordre médical, soit le double du montant représentant 60 % de son salaire en 1987. La demanderesse ajoute qu’elle a tout fait pour mitiger ses dommages en obtenant un emploi à temps partiel quelques mois seulement après avoir quitté la Gendarmerie.

Quant aux dommages-intérêts généraux, la preuve établit, selon la demanderesse, les tribulations et les souffrances auxquelles elle a été assujettie par suite de la conduite délictuelle de la défenderesse, et dont elle ne s’est rétablie que trois ans plus tard. Il est également soutenu que, dans les arrêts antérieurs, la somme de 5 000 $ qui avait été accordée à l’égard du délit qui consiste à causer délibérément un choc nerveux était fondée sur les circonstances particulières de l’affaire, et que cela ne lie pas la Cour.

D’autre part, la défenderesse affirme que la demanderesse n’a pas établi que les dommages qu’elle a subis étaient attribuables aux événements allégués. En outre, en omettant de se prévaloir adéquatement des services médicaux de la GRC, la demanderesse a rompu le lien de causalité et a omis de mitiger les dommages. La défenderesse affirme également qu’aucun élément de preuve important n’étaye la réclamation de la demanderesse, en ce qui concerne les dommages-intérêts spéciaux, et que, de toute façon, dans le cas de la perte d’un emploi, les dommages-intérêts spéciaux sont limités au délai de préavis raisonnable approprié. Toutefois, selon la défenderesse, la demanderesse n’a fait aucune tentative raisonnable pour mitiger les dommages.

b.         Analyse et conclusions

(i)         Dommages-intérêts spéciaux

Comme le souligne Fleming[67] :

[traduction] En ce qui concerne les dommages-intérêts spéciaux, le but avoué est de mettre la victime dans la situation financière où elle aurait été si l’accident ne s’était pas produit. On exprime souvent la chose en disant que la victime a droit à la restitution intégrale.

En ce qui concerne la perte de rémunération, il a également été souligné[68] Cooper- que :

[traduction] … [L]a grande majorité des arrêts étayent l’opinion selon laquelle l’évaluation sous ce chef est avant tout fondée sur une estimation de la perte de rémunération, en ce sens que les dommages subis par le demandeur correspondent à ce qu’il aurait gagné si ce n’avait été de l’accident, plutôt que ce qu’il était en mesure de gagner.

Ce chef de dommages-intérêts est destiné à représenter une « perte pécuniaire ». Celui qui aurait décidé de ne pas travailler du tout ne subit aucune perte de ce genre.

En ce qui concerne la perte de rémunération, seul un résumé manuscrit des calculs sur lesquels étaient fondés les chiffres susmentionnés a été présenté en preuve à l’instruction[69]. L’avocat de la défenderesse soutient qu’il faut accorder peu d’importance à ces chiffres, mais, à mon avis, il ne les a pas sérieusement contestés, que ce soit pendant le contre-interrogatoire ou dans ses observations écrites. Je suis prêt à considérer les chiffres mentionnés par la demanderesse comme des lignes directrices générales aux fins de l’octroi des dommages-intérêts spéciaux. À la lumière du témoignage de la demanderesse, le deuxième chiffre, qui représente la rémunération perdue jusqu’à la fin des dix années de service, lequel s’élève à 100 500 $, semble constituer le fondement le plus approprié aux fins du calcul de la somme accordée.

J’ai tenu compte des emplois exercés par la demanderesse depuis qu’elle a quitté la GRC. La demanderesse a témoigné avoir pris congé pendant presque tous les mois d’octobre, de novembre et de décembre 1987 et que, par la suite, elle a travaillé à temps partiel, principalement dans diverses succursales de la Banque Royale du Canada, jusqu’en décembre 1990. Depuis le mois de décembre 1990 jusqu’à la date de l’instruction, elle a travaillé à temps partiel pour le gouvernement de la Colombie-Britannique.

En me fondant sur les chiffres fournis par la demanderesse, j’ai conclu qu’il convient d’accorder la somme de 88 000 $ à l’égard de la rémunération perdue du mois de septembre 1987 au mois de septembre 1990. Je suis arrivé à ce chiffre en concluant qu’aucune somme ne doit être accordée pour 1987, étant donné que la demanderesse a témoigné avoir simplement [traduction] « pris congé » pendant les derniers mois de cette année-là.

(ii)        Dommages-intérêts généraux

Cooper-Stephenson et Saunders font remarquer[70] que, comme dans le cas de la perte pécuniaire,

[traduction] L’octroi de dommages-intérêts pour une perte non pécuniaire vise aussi essentiellement à assurer l’indemnisation, mais cela ne peut pas être fondé sur la restitution; … Rien ne peut faire oublier les souffrances et douleurs passées.

Les tribunaux canadiens ont adopté la théorie fonctionnelle pour évaluer les dommages-intérêts dans le cas d’une perte non pécuniaire. Dans l’arrêt Smyth v. Szep, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a dit ceci[71] :

[traduction] Depuis l’arrêt Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629 …, sinon auparavant, il est clairement établi en droit qu’en fin de compte, la consolation appropriée en ce qui concerne les souffrances et douleurs qu’a éprouvées le demandeur doit être déterminée selon la théorie fonctionnelle. Le juge du procès doit évaluer les dommages-intérêts en se fondant sur le préjudice que le demandeur a subi ainsi que sur les souffrances et douleurs auxquelles il a été assujetti et en tenant compte de tous les facteurs propres à la situation du demandeur.

Fondamentalement, la théorie fonctionnelle

[traduction] … ne consiste pas à quantifier un bien ou le bonheur perdu, mais plutôt à évaluer le montant qui, dans ce cas particulier, constituera une consolation raisonnable compte tenu de l’état mental particulier de la victime, …[72]

En déterminant la somme qu’il convient d’accorder en l’espèce, pour les souffrances et douleurs, j’ai tenu compte de la preuve de l’état de la demanderesse au cours de la dernière année où elle a servi dans la Gendarmerie ainsi que des efforts qu’elle a faits pour atténuer ses problèmes en obtenant l’aide professionnelle fournie par les services de la GRC, ou l’aide professionnelle à laquelle ces services l’ont renvoyée. J’ai également tenu compte du témoignage de la demanderesse, à savoir qu’il lui a fallu trois ans pour se rétablir de son expérience au sein de la GRC, mais que pendant cette période-là, elle n’a pas cherché à obtenir de l’aide professionnelle pour résoudre ses problèmes ou pour accélérer son rétablissement. À mon avis, le fait que la demanderesse n’a pas activement cherché à obtenir l’aide d’un psychologue ou d’un psychiatre ne constitue pas une omission de mitiger les dommages comme le serait le refus d’accepter les offres d’aide professionnelle, mais il reste néanmoins qu’il faut prendre ce facteur en considération.

Comme le juge Noël l’a fait remarquer dans l’arrêt Boothman[73], il est toujours difficile de calculer avec exactitude le montant des dommages-intérêts non pécuniaires. Toutefois, compte tenu des diverses sommes accordées lorsqu’un choc nerveux a délibérément été causé[74], j’estime que, comme dans ces cas-là, la somme de 5 000 $ assurera à la demanderesse [traduction] « une consolation raisonnable » pour sa dignité blessée par suite de la conduite délictuelle reprochée.

7.         Conclusion

Un jugement est rendu en faveur de la demanderesse au montant de 93 000 $, soit 88 000 $ à titre de dommages-intérêts spéciaux pour la perte de rémunération, et 5 000 $ à titre de dommages-intérêts généraux. La demanderesse aura également droit à l’intérêt, calculé conformément aux dispositions de la Judgment Interest Act[75] de l’Alberta, ainsi qu’aux dépens de l’action.



[1] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[2] S.R.C. 1970, ch. R-9, maintenant L.R.C. (1985), ch. R-10.

[3] Pour plus de clarté, il est bon de noter que les équipes affectées aux services généraux, à Red Deer, étaient composées de sept ou huit membres chacune, plus le caporal supervisant l’équipe et le sergent chef de veille. Étant donné qu’il y avait peu de femmes qui étaient membres de la GRC à ce moment-là, une seule femme était affectée à chaque équipe. Les membres affectés à la section de la circulation occupaient le même bureau, et travaillaient à côté des équipes affectées aux services généraux, mais séparément.

[4] En 1983, Alice Abernathy a épousé Bruce Clark, un collègue de la GRC; elle a conservé son propre nom de famille pendant qu’elle faisait partie de la Gendarmerie.

[5] S.R.C. 1970, ch. C-38, maintenant Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21].

[6] C.R.C., ch. 1391 : le pouvoir de réglementation est conféré à l’art. 21(1) de la Loi.

[7] Émis conformément à l’art. 21(2) de la Loi, et publiés sous les rubriques appropriées dans le Manuel d’administration (le « MA »).

[8] [1974] 2 C.F. 339 (C.A.), à la p. 348.

[9] S.R.C. 1970, ch. I-23, maintenant L.R.C. (1985), ch. I-21.

[10] Gallant c. La Reine du chef du Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1re inst.) (forces armées), Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1re inst.) (fonction publique).

[11] Note 8, précitée.

[12] [1973] C.F. 1142 (1re inst.).

[13] [1976] 1 C.F. 57.

[14] Dans l’arrêt Huxter c. Canada, [1985] A.C.F. no 700 (QL), le juge en chef adjoint avait ordonné que l’action intentée par un membre de la GRC, en vue de l’obtention d’un jugement déclaratoire concernant la démission alléguée de celui-ci et son réengagement, porte sur la question de savoir si la démission avait été volontaire et si elle avait été révoquée. En concluant que la démission avait été volontaire, le juge Muldoon a brièvement fait remarquer qu’il n’y avait pas « d’imputation de licenciement positif ». Je ne puis conclure que cette implication, selon laquelle les principes concernant le licenciement positif peuvent être pertinents, lorsque les relations de travail d’un membre de la GRC sont rompues dans certaines circonstances, est utile aux fins de trancher la présente action en dommages-intérêts.

[15] Anciens art. 64 et 74.

[16] En particulier, le MA-53.

[17] McCleery, note 8, précitée; Laroche et Beirsdorfer, Re (1982), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.A.F.); Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326 (C.A.); voir également Poirier c. Canada (Gendarmerie royale (GRC), Commissaire), [1983] A.C.F. no 605 (QL).

[18] Aux p. 164 et 165.

[19] Reilly v. The King, [1934] 1 D.L.R. 434 (C.P.), à la p. 436; confirmant [1932] R.C.S. 597.

[20] Crossman v. City of Peterborough and Peterborough Utilities Comm., [1966] 2 O.R. 712 (C.A.).

[21] (1982), 37 O.R. (2d) 277 (H.C.); infirmé en partie par (1983), 43 O.R. (2d) 113 (C.A.).

[22] Aux p. 281 et 282.

[23] Note 21, précitée, à la p. 121.

[24] [1994] 2 C.F. 734.

[25] Aux p. 756 et 757.

[26] S.C. 1976-77, ch. 33, art. 41(2), maintenant L.R.C. (1985), ch. H-6.

[27] La partie III de la Loi actuelle, L.R.C. (1985), ch. R-10, énonce maintenant une nouvelle procédure de présentation des griefs dans laquelle il n’est plus fait mention du mécanisme des « plaintes ».

[28] (1986), 18 Admin. L.R. 314 (C.F. 1re inst.), à la p. 322.

[29] [1993] 3 C.F. 381 (1re inst.).

[30] Queen, The and Archer v. White, [1956] R.C.S. 154; Dawkins v. Lord Paulet (1869), L.R.5 Q.B. 94.

[31] Marshment v. Borgstrom, [1942] R.C.S. 374.

[32] Beaulieu v. Sutherland (1986), 35 C.C.L.T. 237 (C.S.C.-B.).

[33] S.R.C. 1970, ch. G-8, maintenant L.R.C. (1985), ch. G-5.

[34] Hogg, Liability of the Crown, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1989), à la p. 99; voir également Fleming, The Law of Torts, 8e éd. (Sydney : Law Book Company, 1992), à la p. 515, Fridman, Fridman on Torts (Londres : Waterlow Publishers, 1990), à la p. 404.

[35] Note 30, précitée.

[36] McCleery, note 8, précitée; Danch c. Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Laroche et Beirsdorfer, note 17, précitée; Lutes, note 17, précitée; Desjardins, note 28, précitée; Adams c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1993] A.C.F. no 1321 (QL).

[37] Voir, par exemple, Horn c. Canada et autre (1994), 73 F.T.R. 301 (C.F. 1re inst.); Langille et autres c. Canada (1991), 44 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.).

[38] Horn (blessure subie dans un accident de chasse-neige); Canada c. Tremblay (1989), 28 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.) (coups occasionnant une blessure au dos); Canada c. Dupont (1986), 6 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.) (facteur qui s’était blessé en cherchant à éviter un chien); Canada c. Lavoie (1986), 5 F.T.R. 223 (C.F. 1re inst.) (facteur qui s’était blessé en tombant); Canada c. Brogan, [1985] A.C.F. no 1022 (QL) (facteur qui s’était fait mordre par un chien).

[39] Note 29, précitée.

[40] [1897] 2 Q.B. 57, aux p. 58 et 59.

[41] En plus de Boothman, note 29, précitée, voir Bieletski v. Obadiak (1921), 61 D.L.R. 494 (B.R. Sask.); confirmés par (1922), 65 D.L.R. 627 (C.A. Sask.) (choc nerveux subi à la suite de la répétition d’une déclaration fausse selon laquelle le fils du demandeur s’était suicidé); Purdy v. Woznesensky, [1937] 2 W.W.R. 116 (C.A. Sask.) (choc nerveux subi par une femme qui avait été témoin de voies de fait sur la personne de son mari); Abramzik et al. v. Brenner et al. (1967), 65 D.L.R. (2d) 651 (C.A. Sask.) (faisant une distinction entre l’arrêt Wilkinson et le fait de causer un choc nerveux par négligence); Rahemtulla v. Vanfed Credit Union, [1984] 3 W.W.R. 296 (C.S.C.-B.) (caissière de banque qui avait subi un choc nerveux à la suite d’une accusation injustifiée de vol et de son congédiement); Timmermans v. Buelow (1984), 38 C.C.L.T. 136 (H.C. Ont.) (choc nerveux causé par les actions que le propriétaire avait commises lorsqu’il avait tenté d’expulser un locataire psychologiquement vulnérable).

[42] Aux p. 119 et 120.

[43] À la p. 654.

[44] Aux p. 311 à 313.

[45] À la p. 150.

[46] Note 29, précitée.

[47] Prosser dit que, dans les arrêts américains, la responsabilité [traduction] « découlait habituellement du fait qu’on s’était longuement acharné sur quelqu’un en utilisant un certain nombre de méthodes extrêmes » : « Insult and Outrage » (1956), 44 Cal. L.Rev. 40, aux p. 48 et 49.

[48] Fridman, The Law of Torts in Canada, vol. 1 (Toronto : Carswell, 1989), à la p. 48.

[49] Fleming, note 34, précitée, aux p. 33 et 34; Linden, Canadian Tort Law, 5e éd. (Markham, Ont. : Butterworths, 1993), aux p. 50 et 51; voir également Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, à la p. 128.

[50] Linden, à la p. 52; voir également Prosser, note 47, précitée, aux p. 47 et 48.

[51] Ibid., à la p. 50.

[52] Note 34, précitée, aux p. 32 et 33.

[53] Annotation, dans Timmermans, note 41, précitée, aux p. 139 et 140.

[54] Ibid., à la p. 141 : Bettel et al. v. Yim (1978), 20 O.R. (2d) 617 (C. Cté), Allan et al. v. New Mount Sinai Hospital et al. (1980), 28 O.R. (2d) 356 (H.C. Ont.); confirmé pour d’autres motifs par (1981), 33 O.R. (2d) 603 (C.A.).

[55] Rahemtulla, note 41, précitée.

[56] Note 41, précitée; voir également Prosser, note 47, précitée, à la p. 53.

[57] Note 41, précitée, à la p. 313.

[58] Note 29, précitée, à la p. 395.

[59] Ibid., à la p. 393.

[60] Crown Diamond Paint Co. Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 794 (1re inst.), aux p. 799 et 800.

[61] Fridman, note 48, précitée, à la p. 233.

[62] [1932] A.C. 562 (H.L.).

[63] [1977] 2 W.L.R. 1024 (H.L.).

[64] Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2, aux p. 10 et 11; voir également Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021, à la p. 1145.

[65] Fridman, note 34, précitée, aux p. 314 et 315.

[66] Note 29, précitée.

[67] Note 34, précitée, à la p. 229.

[68] Stephenson et Saunders, Personal Injury Damages in Canada (Toronto : Carswell, 1981), aux p. 198, 203.

[69] Pièce P-7.

[70] Note 68, précitée, à la p. 342.

[71] [1992] 2 W.W.R. 673, à la p. 694.

[72] Cooper-Stephenson et Saunders, note 68, précitée, à la p. 344.

[73] Note 29, précitée, à la p. 397.

[74] Boothman, Rahemtulla et Timmermans, note 41, précitée, Bettel, note 54, précitée.

[75] S.A. 1984, ch. J-0.5.

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