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A-599-96

Procureur général du Canada (requérant)

c.

Jencan Ltd. (intimée)

Répertorié: Canada (Procureur général)c. Jencan Ltd. (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Stone et McDonald, J.C.A."Fredericton, 8 mai; Ottawa, 24 juin 1997.

Assurance-chômage  Appel d'un jugement par lequel la C.C.I. a infirmé la décision par laquelle le M.R.N. avait conclu que l'emploi d'un certain salarié n'était pas unemploi assurableau sens de la Loi Dans la décision précédente, le ministre avait conclu que, comme l'intimée et le salarié avaient un lien de dépendance entre eux, l'emploi en question n'était pas assurable En l'espèce, les modalités d'emploi du salarié étaientessentiellement les mêmesqu'auparavant L'art. 3(1)a) de la Loi exige que le salarié soit employé aux termes d'un contrat de louage de services Vu le nombre élevé d'appels interjetés de décisions rendues par le ministre en vertu de l'art. 3(2)c)(ii), la Cour se doit de clarifier davantage les règles de droit applicables La C.C.I. doit procéder à une analyse à deux étapes L'art. 3(2)c)(ii) de la Loi confère au ministre le pouvoir de rendre des décisions discrétionnaires La retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas déterminé si le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon régulière.

Droit administratif  Contrôle judiciaire  Certiorari  La C.C.I. a infirmé la décision par laquelle le M.R.N. avait conclu que l'emploi d'un certain salarié n'était pas assurable au sens de l'art. 3(1)a) de la Loi Le ministre se serait fondé à tort sur le jugement antérieur rendu par la C.C.I. entre les mêmes parties Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur en infirmant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu de l'art. 3(2)c)(ii)? Le ministre s'est vu conférer le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un employeur et un salarié sont réputés ne pas avoir un lien de dépendance entre eux L'intervention de la Cour de l'impôt n'est justifiée que si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi La retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve Il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue judiciaire en l'espèce.

Demande de contrôle judiciaire d'un jugement par lequel la Cour canadienne de l'impôt a infirmé la décision par laquelle le ministre du Revenu national avait conclu que l'emploi d'un certain salarié n'était pas un "emploi assurable" au sens de la Loi sur l'assurance-chômage . Le salarié en question avait travaillé de façon intermittente pour l'intimée durant trois périodes, à savoir du 29 juin 1992 au 20 mars 1993, du 16 août 1993 au 7 mai 1994 et du 4 juillet 1994 au 7 janvier 1995. Le ministre avait conclu que l'emploi que le salarié avait exercé au cours des deux premières périodes ne constituait pas un emploi assurable, étant donné que l'intimée et le salarié avaient un lien de dépendance entre eux et que ce type d'emploi était un emploi exclu au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi. Dans ce jugement antérieur, la décision Jencan no 1, la Cour canadienne de l'impôt avait conclu que le ministre disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que les parties avaient un lien de dépendance entre elles et elle avait rejeté l'appel interjeté par l'intimée. Peu de temps après, l'intimée a demandé au ministre de déterminer si l'emploi que le salarié avait exercé entre le 4 juillet 1994 et le 7 janvier 1995 était un emploi assurable. Se fondant sur les affirmations de l'employeur suivant lesquelles les modalités d'emploi du salarié au cours de la période en question étaient "essentiellement les mêmes" et se fondant sur quelques hypothèses de fait, le ministre a conclu une fois de plus que l'emploi exercé par le salarié au cours de la période en question n'était pas un emploi assurable. Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a infirmé la décision du ministre au motif que les modalités d'emploi du salarié étaient très différentes au cours de la période en question et que le ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des allégations qui étaient réfutées par la preuve. Les deux principales questions en litige dans le présent appel sont celles de savoir si le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit 1) en concluant que le travailleur avait été engagé en vertu d'un contrat de louage de services; 2) en infirmant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c )(ii) de la Loi.

Arrêt: la demande doit être accueillie.

1) Le ministre a statué que le salarié n'exerçait pas un emploi assurable au motif qu'il n'existait pas de véritable contrat de louage de services entre lui et l'intimée, comme l'exige l'alinéa 3(1)a), et que l'emploi du salarié était un "emploi exclu" au sens de l'alinéa 3(2)c ). Lorsqu'elle est saisie d'un appel d'une décision du ministre, la Cour de l'impôt doit déterminer s'il existe un fondement factuel suffisant pour justifier la décision du ministre selon l'un ou l'autre des moyens invoqués. La Cour de l'impôt doit donc examiner chaque moyen séparément à la lumière de la preuve. La décision par laquelle le ministre a conclu, en vertu de l'alinéa 3(1)a), que l'emploi exercé par le salarié n'était pas régi par un contrat de louage de services, constitue une décision quasi-judiciaire qui est, en appel, susceptible d'un contrôle indépendant de la part de la Cour de l'impôt. On ne saurait dire que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en infirmant la décision du ministre. Il lui était loisible, dans le cadre d'un examen indépendant, d'estimer que la preuve permettait de conclure à l'existence d'un véritable contrat de louage de services entre l'intimée et le salarié. Pour en venir à cette conclusion, il s'est contenté de déclarer qu'il existait une "véritable relation juridique" entre l'intimée et le salarié. La véritable question à se poser sous le régime de l'alinéa 3(1)a ) est celle de savoir si le salarié était employé en vertu d'un contrat de louage de services ou en vertu d'un contrat d'entreprise. L'un et l'autre types de contrat sont susceptibles de créer une "véritable relation juridique" entre les parties. Mais pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 3(1)a ), il faut qu'il existe un véritable contrat de louage de services, ce qui suppose, essentiellement, l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Malgré les motifs laconiques du juge suppléant de la Cour de l'impôt, il n'y a aucune raison en droit de modifier la conclusion qu'il a tirée sur cette question.

Le nombre élevé d'appels interjetés de décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis que la Cour a prononcé l'arrêt Tignish Auto Parts donne à penser qu'il y a lieu de clarifier davantage les règles de droit applicables.

2) Lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt doit procéder à une analyse à deux étapes. À la première étape, elle limite son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite par le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre de rendre de telles décisions. La Cour de l'impôt doit donc faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Toutefois, même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière compatible avec la loi. Suivant le principe de la primauté du droit, tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Bien que la décision précédente qui avait été rendue dans l'affaire Jencan no 1 ne constitue pas en soi un "facteur non pertinent", le représentant du ministre a commis une erreur en l'espèce en se fondant exclusivement sur les hypothèses de fait retenues dans le jugement Jencan no 1 sans obtenir de confirmation fiable que les faits étaient effectivement identiques. Bien que la Cour de l'impôt doive faire preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions que le ministre rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), cette retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre. Pour évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour de l'impôt peut tenir compte des faits qui ont été portés à son attention au cours de l'audition de l'appel. Le ministre peut invoquer la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion lorsqu'un prestataire l'amène à se fier à un état de fait qui n'existe plus. Mais, en l'espèce, les conditions préalables à l'application de la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion ne sont pas réunies. L'affirmation de l'intimée selon laquelle les modalités d'emploi du salarié étaient "essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes" est trop équivoque et ambiguë pour justifier l'application de cette théorie. Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Il aurait dû se demander si les autres faits établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. Ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne déterminant pas si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve devant lui. Ce faisant, il n'a pas fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé lorsqu'il contrôle une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c )(ii).

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28(2) (mod., idem, art. 8).

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 251(1),(2).

Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 3(1)a), 3(2)c) (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 2), 4(1),(2), 61(3) (mod., idem, art. 37), 70(1),(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 23), 71(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 1; 185 N.R. 73 (C.A.F.); Canada c. Succession Schnurer, [1997] 2 C.F. 545; (1997), 208 N.R. 339 (C.A.); Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministre du Revenu national et al. (1994), 178 N.R. 361 (C.A.F.); D. R. Fraser and Co., Ld. v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24 (P.C.); Desroches c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 316 (C.A.F.); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621; (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 62; 16 Imm. L.R. (2d) 241; 136 N.R. 254 (C.A.).

décisions examinées:

Jencan Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1995] A.C.I. no 1142 (QL); Xie c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 75 F.T.R. 125 (C.F. 1re inst.).

décisions mentionnées:

Canada (Procureur général) c. Charbonneau (1996), 41 C.C.L.I. (2d) 297; 207 N.R. 299 (C.A.F.); Hébert c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1997] F.C.J. no 512 (C.A.) (QL); Boulis c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. 875; (1972), 26 D.L.R. (3d) 216; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 C.F. 644; (1995), 40 Admin. L.R. (2d) 40; 96 CLLC 141,075; 192 N.R. 148 (C.A.); Aubut c. Ministre du Revenu national (1990), 126 N.R. 381 (C.A.F.); Borsellino et Salvo c. Ministre du Revenu national (1990), 120 N.R. 77 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Dunham, [1997] 1 C.F. 462; (1996), 205 N.R. 289 (C.A.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Nuttall c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1997] A.C.F. no 640 (C.A.) (QL); Thibaudeau c. M.R.N., [1994] 2 C.F. 189; (1994), 114 D.L.R. (4th) 261; 21 C.R.R. (2d) 35; [1994] 2 C.T.C. 4; 94 DTC 6230; 167 N.R. 161; 3 R.F.L. (4th) 153 (C.A.); Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 79 F.T.R. 263; 24 Imm. L.R. (2d) 305 (C.F. 1re inst.); Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73; (1994), 27 Admin. L.R. (2d) 110; 76 F.T.R. 182; 24 Imm. L.R. (2d) 289 (1re inst.).

doctrine

Halsbury's Laws of England, Vol. 16, 4th ed. London, Butterworths, 1976.

Revenue Canada. Circulaire d'information 73-29R2. Ottawa: Revenu Canada, 16 octobre 1995.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'un jugement par lequel la Cour canadienne de l'impôt ([1996] A.C.I. no 663 (QL)] a infirmé la décision par laquelle le ministre du Revenu national avait conclu que l'emploi d'un certain salarié n'était pas un "emploi assurable" au sens de la Loi sur l'assurance-chômage . La demande est accueillie.

avocats:

Paul Plourde pour le requérant.

Michael F. G. Noel, pour l'intimée.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Noel, O'Neill & Urquhart, Chatham (Nouveau-Brunswick), pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac: La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'un jugement en date du 21 juin 1996 [Jencan Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1996] A.C.I. no 663 (QL)] par lequel la Cour canadienne de l'impôt a accueilli l'appel interjeté par l'intimée et infirmé la décision par laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) avait conclu que l'emploi que James S. Jenkins (le salarié) avait exercé auprès de l'intimée entre le 4 juillet 1994 et le 7 janvier 1995 n'était pas un "emploi assurable" au sens de la Loi sur l'assurance-chômage1 .

LES FAITS

La société intimée, qui a été constituée en personne morale le 27 février 1976, exploite à longueur d'année une entreprise générale de construction. Les actions de l'intimée appartiennent en totalité aux parents du salarié. Blaine Jenkins, le père du salarié, possède 90 pour 100 des actions, et Lillian Jenkins, la mère du salarié, en possède 10 pour 100. Blaine Jenkins est également propriétaire de deux autres entreprises, qu'il exploite: "All Air", une entreprise qui fournit des services de réfrigération et de climatisation, et l'"Universal Rentals and Sales", une entreprise de location de matériel. Ces trois entreprises, qui sont connues collectivement sous le nom de "groupe Jenkins", comptent une trentaine d'employés.

Au cours de la période en cause, la société intimée gagnait un revenu brut moyen d'environ 115 000 $ par mois. La plus grande partie de ce revenu provenait de l'installation de fenêtres, de portes et de systèmes de ventilation. Le salarié travaillait de façon intermittente pour l'intimée depuis plus de dix ans. Il avait commencé comme manœuvre, mais, à l'époque en cause, il était généralement considéré comme un ouvrier qualifié. Son travail consistait à installer des fenêtres, des portes et des systèmes de ventilation.

Le 30 août 1995, la Cour canadienne de l'impôt a prononcé oralement un jugement dans l'affaire Jencan Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1995] T.C.J. no 1142 (QL), dans le dossier 95-829(UI). Cette affaire portait sur un appel interjeté d'une décision par laquelle le ministre avait conclu que l'emploi que le salarié avait exercé auprès de l'intimée du 29 juin 1992 au 20 mars 1993 et du 16 août 1993 au 7 mai 1994 ne constituait pas un emploi assurable. Le principal motif invoqué par le ministre pour justifier sa décision était que l'intimée et le salarié avaient un lien de dépendance entre eux et que, par conséquent, l'emploi du salarié était un emploi exclu au sens de l'alinéa 3(2)c) [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 2] de la Loi sur l'assurance-chômage. Par souci de commodité, j'appellerai désormais cette première décision de la Cour de l'impôt la décision Jencan no 1.

Pour tirer la conclusion à laquelle il est arrivé dans l'affaire Jencan no 1, le ministre s'était fondé sur des renseignements fournis par un agent des appels de Revenu Canada, qui avait entrepris un examen détaillé de l'emploi du salarié chez l'intimée. L'agent des appels avait communiqué avec la direction de l'intimée à huit ou dix reprises et avait obtenu d'elle des renseignements détaillés au sujet des ventes et de la liste de paie2. Au cours de cette enquête, la direction de l'intimée et le salarié ont eu amplement l'occasion de faire valoir leur point de vue devant l'agent des appels avant que le ministre ne conclue que l'emploi du salarié n'était pas assurable.

Statuant sur l'appel interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Jencan no 1, le juge suppléant Léger a rejeté à l'audience l'appel de l'intimée au motif que:

[traduction] . . . le ministre disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que les parties avaient un lien de dépendance entre elles et qu'elles n'auraient pas conclu un contrat de travail si un tel lien n'avait pas existé entre elles. Vu cette conclusion et compte tenu du fait qu'on ne m'a soumis aucun élément de preuve pour démontrer que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire, je n'ai pas d'autre choix que de rejeter l'appel3.

Le 20 septembre 1995, moins d'un moins après le prononcé de cette décision, l'intimée a demandé, conformément au paragraphe 61(3) [mod., idem, art. 37] de la Loi sur l'assurance-chômage, que le ministre décide si l'emploi que le salarié avait exercé entre le 4 juillet 1994 et le 7 janvier 1995 était un emploi assurable4. Il est acquis aux débats que les principales fonctions du salarié"installer des fenêtres, des portes et des systèmes de ventilation"étaient les mêmes, au cours de la période en cause, que celles qu'il exerçait au cours des périodes d'emploi visées par la décision rendue par le juge suppléant Léger dans l'affaire Jencan no 1 .

Conformément à la procédure suivie par Revenu Canada lorsqu'on lui demande de donner son avis sur une question, un agent des appels a été désigné pour examiner les faits soumis par les intéressés5. L'agent des appels a communiqué avec la société intimée en vue d'obtenir de plus amples renseignements. Une des questions que l'agent des appels a posée à Blaine Jenkins, le principal actionnaire de l'intimée, était celle de savoir si les modalités d'emploi du salarié étaient différentes de celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes. M. Jenkins a répondu à l'agent des appels que les modalités d'emploi du salarié au cours de la période en question étaient [traduction] "essentiellement les mêmes"6.

Ayant obtenu ce qu'il semble avoir considéré comme une confirmation que les modalités d'emploi du salarié n'avaient pas changé, l'agent des appels a soumis au ministre une recommandation fondée sur les mêmes hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé dans l'affaire Jencan no 1 pour conclure que l'emploi du salarié n'était pas assurable. Par souci de commodité, je reproduis les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé dans sa réponse à l'avis d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt:

[traduction]

a) Dans le jugement no 95-829 (UI) de la Cour canadienne de l'impôt, l'appel a été rejeté pour les périodes allant du 29 juin 1992 au 20 mars 1993 et du 16 août 1993 au 7 mai 1994, pour le motif que l'appelante et le travailleur avaient entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi;

b) au cours de la période en question, l'appelante a embauché le travailleur selon les mêmes modalités que celles qui s'appliquaient pendant les périodes mentionnées à l'alinéa 4a) qui précède;

c) l'appelante a été constituée le 27 février 1976 et exploite à longueur d'année une entreprise à titre d'entrepreneur général en construction et en rénovation;

d) les actions de l'appelante sont réparties comme suit:

        Actionnaire     Pourcentage des actions

        Blaine Jenkins            90 %

        Lillian Jenkins            10 %

e) le travailleur est le fils de Blaine et de Lillian Jenkins;

f) les fonctions principales du travailleur consistaient à installer des fenêtres, des portes et des systèmes de ventilation;

g) pendant les périodes en question, le travailleur a été rémunéré au taux horaire de 12 $ et de 13 $, respectivement, rémunération qui lui était versée par chèque à toutes les semaines;

h) le travailleur travaillait apparemment de 8 h 30 à 16 h 30;

i) le travailleur était toujours appelé à effectuer le même nombre d'heures supplémentaires, de sorte à garantir que le montant de son chèque de paye soit toujours le même;

j) le travailleur a été embauché pour le nombre minimal de semaines dont il avait besoin pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

k) le travailleur n'était pas supervisé dans l'exécution de ses fonctions;

l) le travailleur aurait apparemment été mis à pied à cause d'un manque de travail;

m) le revenu brut mensuel de l'appelante ne varie pas sensiblement d'une période de l'année à l'autre;

n) le travailleur est une personne liée à l'appelante au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

o) le travailleur avait un lien de dépendance avec l'appelante;

p) compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que le travailleur et l'appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance7. [Mots non soulignés dans l'original.]

Au cours de l'instance qui s'est déroulée devant la Cour canadienne de l'impôt, l'intimée a contesté plusieurs des principales hypothèses de fait formulées par le ministre au sujet des modalités d'emploi du salarié. Plus précisément, l'intimée a nié les allégations contenues aux alinéas b), g) à k), o) et p) et ce, malgré le fait que M. Jenkins avait auparavant déclaré à l'agent des appels que les modalités d'emploi du salarié au cours de la période en cause étaient essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes.

Se fondant sur ces hypothèses de fait, le ministre a, le 16 novembre 1995, conclu une fois de plus que l'emploi que le salarié avait exercé au cours de la période en question n'était pas un emploi assurable. Cette fois-ci, le ministre a invoqué deux motifs pour justifier sa décision. En premier lieu, il s'est dit d'avis que le salarié n'était pas employé aux termes d'un contrat de louage de services contrairement à ce qu'exige l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage. En second lieu, le ministre a estimé que l'emploi exercé par le salarié était un emploi exclu au sens de l'alinéa 3(2)c), étant donné que le salarié et l'intimée avaient entre eux un lien de dépendance et qu'ils n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. Voici le libellé des alinéas 3(1)a) et 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage:

3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas:

a) un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps soit aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

. . .

(2) Les emplois exclus sont les suivants:

. . .

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance et, pour l'application du présent alinéa:

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

C'est à l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu8 que l'on trouve le critère qui sert à décider s'il existe un lien de dépendance pour l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage. L'article 251 prévoit notamment:

251. (1) Pour l'application de la présente loi:

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

. . .

(2) Pour l'application de la présente loi, sont des "personnes liées" ou des personnes liées entre elles:

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b) une société et:

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne;

(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

JUGEMENT DE LA COUR DE L'IMPÔT

Par jugement rendu le 21 juin 1996, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a accueilli l'appel interjeté par l'intimée et infirmé la décision par laquelle le ministre avait conclu que l'emploi exercé par le salarié au cours de la période en question n'était pas un emploi assurable.

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que, pour rendre sa décision en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage, le ministre s'était fondé à tort sur le jugement antérieur rendu par la Cour de l'impôt dans l'affaire Jencan no 1. Plus précisément, il s'est dit d'avis que le ministre avait commis une erreur en se fondant sur l'allégation que le salarié avait, lors de la période en question, été embauché aux mêmes conditions que celles qui s'appliquaient lors des périodes visées par la décision de la Cour de l'impôt dans l'affaire Jencan no 1 (voir l'allégation b) ci-dessus reproduite).

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a souligné que, bien qu'il incombe à l'appelante (l'intimée dans la présente demande) d'établir ce qu'elle avance, chaque appel doit être jugé en fonction des faits qui sont établis. À son avis, le ministre avait eu tort d'accepter en bloc les hypothèses de fait qui avaient été retenues dans la décision précédente, étant donné que, compte tenu de la preuve administrée dans le présent appel, les modalités d'emploi du salarié étaient très différentes au cours de la période en question. Pour reprendre ses propres paroles: "[l]es faits en l'espèce sont différents de ceux qui ont été exposés dans l'affaire Jencan, précitée"9. En d'autres termes, certaines des allégations de fait du ministre avaient été réfutées dans le contexte du présent appel.

Ayant conclu que le ministre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des allégations qui étaient réfutées par la preuve, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a estimé qu'il lui était loisible, conformément à l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national10, d'examiner de nouveau les points litigieux soulevés dans le présent appel.

Il a statué que la prépondérance de la preuve établie par l'intimée permettait de conclure qu'un véritable contrat de louage de services existait entre le salarié et l'intimée. Il s'est dit convaincu qu'il existait "une véritable relation juridique" entre l'intimée et le salarié.

Contrairement à la décision du ministre, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a ensuite statué que l'emploi du salarié n'était pas un "emploi exclu" au sens du paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage . Malgré le fait que le salarié et la société intimée étaient des "personnes liées" au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu , le juge suppléant de la Cour de l'impôt en est arrivé à la conclusion exposée dans le paragraphe suivant de ses motifs:

Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur l'hypothèse qu'aucun contrat de louage de services n'existait pas. Il a également exercé son pouvoir discrétionnaire en supposant, à tort, que les faits étaient exactement les mêmes que dans un autre appel. C'est ce qui l'a sans doute amené à exercer son pouvoir discrétionnaire de façon non appropriée et à déterminer que l'appelante [l'intimée en l'espèce] et le travailleur avaient entre eux un lien de dépendance.

Ayant examiné la preuve, cette cour est convaincue que l'appelante et le travailleur n'avaient pas de lien de dépendance pendant la période allant du 4 juillet 1994 au 7 janvier 1995 seulement11.

Ayant conclu que le salarié et l'intimée "n'avaient pas de lien de dépendance", le juge suppléant de la Cour de l'impôt a accueilli l'appel interjeté par l'intimée et a infirmé la décision par laquelle le ministre avait conclu que l'emploi exercé par le salarié au cours de la période en question n'était pas assurable.

Le procureur général du Canada a introduit la présente demande en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.

CADRE LÉGISLATIF

L'article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 23] et le paragraphe 71(1) de la Loi sur l'assurance-chômage exposent la portée de la compétence et des pouvoirs qui sont conférés à la Cour de l'impôt lorsqu'elle est saisie d'un appel d'une décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61. Voici le texte de ces dispositions:

70. (1) La Commission ou une personne que concerne le règlement d'une question par le ministre ou une décision sur appel au ministre, en vertu de l'article 61, peut, dans les quatre-vingt-dix jours de la communication du règlement ou de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l'impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt de la manière prescrite.

(2) Sur appel interjeté en vertu du présent article, la Cour canadienne de l'impôt peut infirmer, confirmer ou modifier le règlement de la question, peut annuler, confirmer ou modifier l'évaluation ou peut renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il l'étudie de nouveau et fasse une nouvelle évaluation; dès lors, elle est tenue de notifier par écrit sa décision et ses motifs aux parties à l'appel.

71. (1) Le ministre et la Cour canadienne de l'impôt ont le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu'il est nécessaire de décider pour régler une question ou reconsidérer une évaluation qui doit être réglée ou reconsidérée en vertu des articles 61 ou 70, ainsi que de décider si une personne est ou peut être concernée et, sauf disposition contraire de la présente loi, la décision du ministre ou de la Cour canadienne de l'impôt, selon le cas, est définitive et obligatoire à toutes les fins de la présente loi.

ANALYSE

En l'espèce, le ministre fait valoir deux moyens pour justifier sa décision suivant laquelle le salarié n'exerçait pas un emploi assurable auprès de l'intimée. En premier lieu, le ministre soutient qu'il n'existait pas de véritable contrat de louage de services entre l'intimée et le salarié, contrairement à ce qu'exige l'alinéa 3(1)a). En second lieu, le ministre affirme que l'emploi exercé par le salarié était un emploi exclu au sens de l'alinéa 3(2)c), étant donné que le salarié et l'intimée avaient entre eux un lien de dépendance et qu'ils n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un tel lien de dépendance.

Il ressort des motifs de son jugement que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a tenu compte des deux moyens invoqués pour justifier la décision du ministre selon laquelle l'emploi du salarié n'était pas un emploi assurable. Toutefois, à mon humble avis, ses motifs auraient été plus clairs s'il avait analysé les deux moyens séparément. Si leur bien-fondé avait été établi par la preuve, l'un ou l'autre des deux moyens invoqués par le ministre aurait suffi pour justifier la décision par laquelle le ministre avait conclu que l'emploi exercé par le salarié au cours de la période en cause n'était pas assurable. Chacun des deux moyens aurait donc dû être examiné séparément à la lumière de la preuve. Un examen distinct est particulièrement important dans des affaires comme la présente, dans laquelle la norme de contrôle applicable est différente pour chacun des moyens invoqués.

La décision par laquelle le ministre a conclu, en vertu de l'alinéa 3(1)a), que l'emploi exercé par le salarié n'était pas régi par un contrat de louage de services, constitue une décision quasi-judiciaire qui est, en appel, susceptible d'un contrôle indépendant de la part de la Cour de l'impôt. En revanche, notre Cour a statué, dans l'arrêt Tignish, précité, que la Cour de l'impôt devait faire preuve d'une plus grande retenue judiciaire lorsqu'elle examine une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Comme on le verra, ce n'est que lorsque la Cour de l'impôt conclut que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi qu'elle peut contrôler le bien-fondé de la décision rendue par le ministre en vertu de la disposition en question.

Dans l'arrêt Canada c. Succession Schnurer12, notre Cour a bien précisé que, lorsqu'elle est saisie d'un appel, la Cour de l'impôt doit décider s'il existe un fondement factuel suffisant pour justifier la décision du ministre selon l'un ou l'autre des moyens invoqués par celui-ci. La Cour de l'impôt doit donc examiner chaque moyen séparément à la lumière de la preuve. Elle doit d'abord se demander si l'emploi était exercé dans le cadre d'un contrat de louage de services exprès ou tacite. Dans la négative, l'emploi n'est pas assurable, à moins qu'il ne tombe sous le coup de l'une des exceptions à l'alinéa 3(1)a) qui sont énumérées au paragraphe 4(1) ou dans un règlement pris en application du paragraphe 4(2). En second lieu, la Cour de l'impôt doit, s'il s'agit d'un emploi régi par un contrat de louage de services ou d'un emploi qui est par ailleurs assurable aux termes de l'article 4, se demander s'il s'agit d'un "emploi exclu" au sens du paragraphe 3(2).

Pour ce qui est tout d'abord de l'alinéa 3(1)a), on ne saurait dire que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en infirmant la décision par laquelle le ministre avait conclu que le salarié n'était pas employé dans le cadre d'un contrat de louage de services. Il était loisible au dit juge, dans un examen indépendant, de conclure, en se fondant sur la prépondérance de la preuve, à l'existence d'un véritable contrat de louage de services entre l'intimée et le salarié. Je tiens toutefois à signaler que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'a pas longuement motivé ses conclusions sur cette question et que, dans les motifs qu'il a effectivement exposés, son choix de mots n'est pas des plus heureux. Pour conclure, en se fondant sur la prépondérance de la preuve, à l'existence d'un véritable contrat de louage de services, il s'est contenté de déclarer qu'il était convaincu qu'il existait une "véritable relation juridique" entre l'intimée et le salarié13 .

La véritable question à se poser sous le régime de l'alinéa 3(1)a) est celle de savoir si le salarié était employé en vertu d'un contrat de louage de services ou en vertu d'un contrat d'entreprise. L'un et l'autre type de contrat sont susceptibles de créer une "véritable relation juridique" entre les parties. Mais, sous réserve des exceptions contenues au paragraphe 3(2), seuls les emplois qui entrent dans la première catégorie remplissent les conditions requises pour être considérés comme des "emplois assurables" au sens de l'alinéa 3(1)a ). Il ne suffit pas de conclure qu'il existe un véritable contrat ou une véritable relation juridique entre les parties. Pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 3(1)a), il faut qu'il existe un véritable contrat de louage de services, ce qui suppose, essentiellement, l'existence d'un lien de subordination entre les parties14. En d'autres termes, le salarié doit être un véritable employé de l'intimée, et pas seulement un entrepreneur qui travaille pour l'intimée dans le cadre d'un contrat d'entreprise.

Malgré ses motifs laconiques, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois précisé que, suivant son appréciation de la preuve, l'intimée avait établi qu'il existait un véritable contrat de louage de services entre elle et le salarié. Comme il était loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt de tirer une telle conclusion, étant donné qu'il se trouvait dans une situation privilégiée qui lui permettait d'examiner les hypothèses de fait retenues par le ministre à la lumière des témoignages entendus au procès15, et comme le requérant n'a pas contesté cet aspect des motifs du jugement, il n'y a aucune raison en droit de modifier la conclusion qu'il a tirée sur cette question. Je passe donc à l'examen des motifs exposés par le juge suppléant de la Cour de l'impôt au sujet des questions que soulève l'alinéa 3(2)c).

Je signale d'entrée de jeu que les termes que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a employés pour infirmer la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) risquent de créer de la confusion. Il conclut en effet, d'après la preuve, que le salarié et l'intimée "n'avaient pas de lien de dépendance pendant la période allant du 4 juillet 1994 au 7 janvier 1995 seulement"16. Or, cela n'est pas tout à fait exact. Le sous-alinéa 3(2)c)(i) déclare expressément que la question de savoir s'il existe ou non un lien de dépendance entre des personnes est "déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu". Il est acquis aux débats en l'espèce que le salarié et l'intimée sont des "personnes liées" au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu . L'intimée l'a reconnu au cours de l'instance qui s'est déroulée devant la Cour de l'impôt. La question cruciale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en modifiant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Cette disposition confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de présumer que des "personnes liées" n'ont pas de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage s'il est d'avis que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. En l'espèce, le requérant soutient que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur en infirmant la décision discrétionnaire par laquelle le ministre avait conclu que le salarié et l'intimée n'auraient pas dû être réputés ne pas avoir de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage.

Le nombre d'appels interjetés de décisions qui ont été rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis le prononcé de l'arrêt Tignish donne à penser qu'il y a lieu de clarifier davantage les règles de droit applicables. Pour cette raison, j'exposerai les principes que l'on peut dégager de la jurisprudence de notre Cour portant sur le sous-alinéa 3(2)c)(ii).

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Dans l'arrêt Tignish, notre Cour a, sous la plume du juge Desjardins, J.C.A., expliqué dans les termes suivants la compétence limitée qui est conférée à la Cour de l'impôt à cette première étape de l'analyse:

Le paragraphe 7(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que les faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit . . .17.

Dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministre du Revenu national et al., notre Cour a confirmé sa position. Dans une remarque incidente, le juge Décary, J.C.A., a déclaré ce qui suit:

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national ((25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que lorsque la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel "de novo" et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance18 .

L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots "si le ministre du Revenu national est convaincu" que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c )(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary, J.C.A., déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt "s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire", il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

Si le pouvoir qu'a le ministre de présumer que des "personnes liées" n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'ils sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D. R. Fraser and Co., Ld. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré:

[traduction] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu19.

Le juge Abbott, de la Cour suprême, a cité et approuvé les commentaires de lord Macmillan dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration20. Voir également les arrêts Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports)21 et Canada (Procureur général) c. Purcell22.

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le prestataire en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre en vertu de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii)"en examinant le bien-fondé de cette dernière"lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre: (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c )(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

En l'espèce, le motif d'intervention invoqué par le juge suppléant de la Cour de l'impôt était que le ministre s'était fondé à tort sur les hypothèses de fait retenues dans la décision Jencan no 1, un jugement antérieur de la Cour de l'impôt portant sur l'emploi exercé par le salarié auprès de la société intimée.

À mon humble avis, la décision précédente qui avait été rendue dans l'affaire Jencan no 1 ne constituait pas en soi un "facteur non pertinent", contrairement à ce que prétend l'intimée. Il faut examiner comment la décision précédente a été utilisée. Le ministre n'a pas essayé de se fonder sur le jugement Jencan no 1  en tant que décision par laquelle il était lié pour ne pas tenir compte de la demande présentée par l'intimée en vue d'obtenir une décision. Se fondant sur ce qu'il croyait être une confirmation par l'intimée que les modalités d'emploi du salarié n'avaient pas changé depuis la décision précédente confirmée par la Cour de l'impôt dans le jugement Jencan no 1, le ministre a simplement retenu les hypothèses de fait formulées dans la décision précédente. Il n'était pas déraisonnable de la part du représentant du ministre, lorsqu'il examinait une autre demande de décision concernant le même salarié et le même payeur, de se fonder sur les hypothèses de fait formulées dans la décision précédente comme point de départ pour son examen des faits.

Si le représentant du ministre a commis une erreur en l'espèce, c'est en se fondant exclusivement sur les hypothèses de fait retenues dans le jugement Jencan no 1 sans obtenir de confirmation fiable que les faits étaient effectivement identiques. Lorsque le représentant du ministre a communiqué avec Blaine Jenkins et lui a posé des questions au sujet des modalités d'emploi du salarié, M. Jenkins lui a répondu qu'elles étaient "essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes". Ayant obtenu une réponse aussi équivoque et ambiguë, le représentant du ministre aurait dû interroger davantage M. Jenkins pour décider si les modalités d'emploi du salarié étaient effectivement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des périodes visées par la décision précédente et, dans la négative, comment et dans quelle mesure elles avaient changé. Je suis d'accord avec le juge suppléant de la Cour de l'impôt pour dire que, lorsqu'une décision fait l'objet d'un appel en vertu de l'article 70, le juge de la Cour de l'impôt doit contrôler la légalité de la décision du ministre en fonction des faits, tels qu'ils sont établis devant lui au procès. Le paragraphe 71(1) de la Loi sur l'assurance-chômage le précise bien en déclarant que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu'il est nécessaire de décider pour statuer sur l'appel. Ainsi que le juge Desjardins l'a déclaré dans l'arrêt Desroches c. Ministre du Revenu national:

En dernière analyse . . . comme l'a affirmé notre Cour dans Le Procureur général du Canada c. Jacques Doucet (21 juin 1993, A-1487-92 (C.A.F.) à la p. 6.), c'est la détermination du ministre qui est en cause, à savoir que l'emploi n'était pas assurable parce que la requérante et le payeur n'étaient pas liés par un contrat de louage de services. Le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt s'étend à l'étude du dossier et à la preuve en son entier. Ainsi, le juge Marceau, au nom de la cour s'est-il exprimé ainsi dans l'affaire Doucet:

" . . . Le juge avait le pouvoir et le devoir d'examiner toute question de fait ou de droit qu'il était nécessaire de décider pour se prononcer sur la validité de cette détermination. Ainsi le présuppose le paragraphe 70(2) de la Loi et le prévoit, dès après le paragraphe 71(1) de la Loi qui le suit . . . ." [Mots non soulignés dans l'original23 ]

Une remarque s'impose. Bien que tous les intéressés, y compris le salarié et l'intimée, aient la possibilité de faire valoir leur point de vue devant un agent des appels de Revenu Canada avant que le ministre ne rende sa décision en vertu du paragraphe 61(3) de la Loi sur l'assurance-chômage, il ne leur est pas loisible de répondre aux éléments de preuve recueillis par l'agent des appels ou de faire valoir leur point de vue directement devant le ministre avant que celui-ci ne rende sa décision. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle le législateur a accordé aux prestataires le droit d'interjeter appel de plein droit de la décision du ministre en vertu de l'article 70. En appel, les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour rendre sa décision sont considérés comme des hypothèses ou des allégations de fait. Bien qu'il incombe au prestataire, qui est la partie qui interjette appel de la décision du ministre, de faire la preuve de ce qu'il avance24, notre Cour a affirmé dans les termes les plus nets que le prestataire a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve lors de l'audience de la Cour de l'impôt pour contester les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé25.

Ainsi, bien que la Cour de l'impôt doive faire preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions que le ministre rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii)"en limitant son analyse préliminaire à un contrôle de la légalité de la décision du ministre" cette retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre. En affirmant que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'est pas limité aux faits sur lesquels le ministre se fonde pour rendre sa décision, on ne trahit pas l'intention qu'avait le législateur fédéral en conférant un pouvoir discrétionnaire au ministre26 . Pour évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour de l'impôt peut tenir compte des faits qui ont été portés à son attention au cours de l'audition de l'appel. Ainsi que le juge Desjardins, J.C.A., l'a déclaré dans l'arrêt Tignish:

. . . la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente27.

Le sous-alinéa 3(2)c)(ii) précise que, pour décider si le salarié et l'intimée auraient conclu entre eux un contrat louage de services à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance, le ministre doit tenir compte "de toutes les circonstances", notamment la rétribution versée au salarié, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli. En l'espèce, le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que l'intimée avait réfuté au moins deux des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé au sujet des modalités d'emploi du salarié.

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que la preuve soumise au procès réfutait l'allégation du ministre suivant laquelle le salarié était toujours appelé à faire le même nombre d'heures supplémentaires pour garantir que le montant de son chèque de paye soit toujours le même (voir l'allégation i) précitée). Cette hypothèse a été confirmée pour les périodes d'emploi en cause dans l'affaire Jencan no 128. Mais, dans le présent appel, il ressort de la preuve que le nombre d'heures supplémentaires que le salarié a effectuées au cours de la période en question variait de quatre heures à 10,67 heures par semaine.

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a également écarté l'hypothèse du ministre selon laquelle le salarié n'avait travaillé que le nombre minimal de semaines requises pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage (voir l'allégation j) précitée). Là encore, dans l'affaire Jencan no 1, cette hypothèse a été confirmée. Toutefois, pour la période en cause, il ressort à l'évidence de la preuve que cette hypothèse est fausse. Le salarié avait travaillé en tout 19 semaines au cours de la période en question, ce qui dépasse largement les dix semaines minimales exigées pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage au Nouveau-Brunswick.

Le requérant soutient toutefois que le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait tirées de l'affaire Jencan no 1 à cause de l'affirmation de Blaine Jenkins, le principal actionnaire de l'intimée, suivant laquelle les modalités d'emploi du salarié étaient "essentiellement les mêmes" que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes. Le requérant soutient qu'à cause de cette affirmation, l'intimée n'aurait pas dû être autorisée à contester les hypothèses de fait au procès.

Le moyen que le requérant fait valoir constitue une fin de non-recevoir, même s'il ne le formule pas ainsi. Notre Cour a adopté la définition suivante de la fin de non-recevoir: "[traduction ] une incapacité empêchant une partie d'alléguer ou de prouver dans une action judiciaire qu'un fait n'est pas ce que laisse supposer la question donnant lieu à cette incapacité"29. La fin de non-recevoir en litige en l'espèce est une "fin de non-recevoir fondée sur une assertion", laquelle a été définie dans les termes suivants:

[traduction] Lorsqu'une personne a, par ses paroles ou son comportement, fait à une autre une assertion claire et sans équivoque concernant un fait, ou bien en sachant qu'elle était fausse ou en voulant qu'on y donne suite, ou s'est comportée de façon à amener l'autre, en tant que personne raisonnable, à comprendre qu'on devait donner suite à une certaine assertion concernant un fait, ce que l'autre a fait en modifiant sa position à son détriment, il y a lieu à fin de non-recevoir contre la partie qui a fait l'assertion, et elle n'est pas autorisée à affirmer que le fait est autre que ce qui a été présenté30.

Ainsi que notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder31, selon la définition qui précède, pour que la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'applique, les éléments suivants doivent être réunis:

" une assertion concernant un fait faite avec l'intention qu'on y donne suite ou qu'une personne raisonnable présume qu'on devait y donner suite;

" celui que visait l'assertion y a donné suite;

" celui que visait l'assertion a modifié sa position par suite de l'assertion et a par là subi un préjudice.

Je suis d'avis que, lorsque les conditions applicables sont réunies, le ministre peut invoquer la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion lorsqu'un prestataire amène le ministre à se fier à un état de fait qui n'existe plus et à rendre ainsi une décision fondée sur des renseignements inexacts. Mais, dans le cas qui nous occupe, les conditions préalables à l'application de la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion ne sont pas réunies. La preuve ne permet pas de conclure que, par les assertions de ses dirigeants, l'intimée voulait amener le ministre à se fonder sur les hypothèses de fait retenues dans le jugement Jencan no 1 pour rendre sa décision pour la période en question. Compte tenu du fait que la décision rendue par le ministre dans l'affaire Jencan no 1 était défavorable à l'intimée et au salarié, il ne serait pas logique que ceux-ci essaient d'amener le ministre à se fonder sur les hypothèses de fait sur lesquelles reposait cette décision. Qui plus est, l'affirmation de Blaine Jenkins selon laquelle les modalités d'emploi du salarié étaient "essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes" est trop équivoque et ambiguë pour justifier une telle inférence.

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge serait arrivé à une conclusion différente selon la balance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée32. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités. Le juge Hugessen, J.C.A., l'a expliqué tout récemment dans l'arrêt Hébert, précité. Au paragraphe 5 de ses motifs du jugement, il déclare en effet:

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses "présuppositions", seront énoncées en détail dans la réponse à l'avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'elle a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, elle devra déterminer si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve . C'est manifestement ce qui s'est produit en l'espèce et nous ne sommes vraiment pas en mesure de déclarer que les conclusions de fait du juge ou sa conclusion portant que la décision du ministre pouvait se justifier étaient erronées. [Mots non soulignés dans l'original.]

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne décidant pas si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve devant lui. En conséquence, il n'était pas légalement en mesure de tirer ses propres conclusions selon la balance des probabilités. Bref, en statuant sur le bien-fondé de la décision du ministre sans d'abord conclure que celui-ci avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'a pas fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé lorsqu'il contrôle une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii).

Pour en venir à cette conclusion, je n'oublie pas que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que deux des hypothèses sur lesquelles la décision du ministre reposait avaient été réfutées au procès. Toutefois, comme nous avons conclu que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'a pas décidé si les autres éléments de preuve étaient suffisants pour justifier la décision du ministre, il ne nous appartient pas de trancher cette question dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, étant donné que nous n'avons pas le pouvoir, de par la loi ou autrement, de substituer notre propre appréciation de la preuve à celle du juge suppléant de la Cour de l'impôt.

Les pouvoirs qui sont conférés à notre Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire sont énoncés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale33, lequel s'applique à notre Cour par application du paragraphe 28(2)34. Le paragraphe 18.1(3) dispose que, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut:

18.1 (3) . . .

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

Le paragraphe 18.1(3) ne confère pas à notre Cour le pouvoir de rendre la décision que le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû rendre. Elle doit plutôt lui renvoyer l'affaire pour qu'elle rende une nouvelle décision (voir les décisions Nuttall c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.)35; Thibaudeau c. M.R.N.36; et Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration37. Bien qu'elle puisse renvoyer l'affaire avec des instructions précises quant à la décision à rendre, la Cour ne peut le faire que dans les cas les plus clairs. Dans le jugement Xie c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le juge Rothstein a déclaré:

Bien que la Cour soit compétente pour renvoyer une affaire afin qu'elle soit examinée de nouveau conformément aux directives qu'elle juge à propos, il me semble que la Cour ne devrait donner à un tribunal des directives de la nature d'un verdict commandé que lorsque l'affaire est simple et que la décision de la Cour relativement au contrôle judiciaire réglerait l'affaire dont le tribunal est saisi. Bien que, en règle générale, de tels cas se produiront certainement, la Cour devrait laisser aux tribunaux, avec leur expertise dans les questions à l'égard desquelles ils sont compétents, le droit de prendre des décisions sur le fond d'après les éléments de preuve qui leur ont été présentés38.

Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle la preuve versée au dossier est tellement claire que la seule conclusion possible est que le salarié et l'intimée sont réputés ne pas avoir entre eux de lien de dépendance, ni d'une affaire dans laquelle la seule question à trancher est une pure question de droit dont la solution aura pour effet de régler l'affaire. Saisi de la présente demande de contrôle judiciaire, je ne suis pas en mesure de dire si la preuve soumise au juge suppléant de la Cour de l'impôt justifiait ou non la décision par laquelle le ministre avait conclu, en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), que le salarié et l'intimée n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable. C'est une question à laquelle le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû répondre lorsqu'il a conclu que certaines des hypothèses de fait du ministre étaient réfutées par la preuve. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt et de renvoyer l'affaire à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle tienne une nouvelle audience devant un juge différent en conformité avec les présents motifs.

Le juge Stone, J.C.A.: Je suis du même avis.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je suis du même avis.

1 L.R.C. (1985), ch. U-1, modifiée (la Loi sur l'assurance-chômage).

2 Voir l'interrogatoire principal de M. Blaine Jenkins, notes sténographiques de l'audience du 24 mai 1996 qui s'est déroulée devant le juge suppléant Cuddihy de la Cour canadienne de l'impôt, aux p. 22 et 23.

3 [1995] T.C.J. no 1142 (QL), 30 août 1995 (C.C.I.), au par. 8.

4 L'art. 61(3) de la Loi porte:

61. . . .

(3) Dans le cas d'une demande de prestations faite en vertu de la présente loi, la Commission peut demander au ministre de déterminer les points suivants:

a) le fait qu'il y a ou qu'il y a eu exercice d'un emploi assurable;

b) le fait d'être l'employeur d'un assuré;

c) la durée d'un emploi assurable;

d) la rémunération assurable retirée d'un emploi.

L'employé en cause, ou l'employeur"effectif ou présenté comme tel"de celui-ci, peut aussi, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où la décision de la Commission lui a été notifiée, présenter les mêmes demandes au ministre.

5 Voir la Circulaire d'information 73-29R2 publiée le 16 octobre 1995 par Revenu Canada et intitulée "Procédure d'appel: le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-chômage".

6 Voir le contre-interrogatoire de Blaine Jenkins, procès-verbal de l'audience qui s'est déroulée le 24 mai 1996 devant le juge suppléant Cuddihy de la Cour canadienne de l'impôt, aux p. 67 et 68:

[traduction]

Q. Vous avez déjà déclaré dans votre témoignage que vous aviez parlé avec Revenu Canada de cette période, la période de. . . juillet 1994 à janvier 1995. Vous souvenez-vous si le fonctionnaire de Revenu Canada vous a demandé si les modalités d'emploi de M. Jenkins étaient les mêmes?

R. Je crois qu'il me l'a effectivement demandé.

Q. Qu'est-ce que vous avez répondu?

R. Je crois que j'ai répondu qu'elles étaient essentiellement les mêmes que celles qui s'appliquaient au cours des années précédentes.

7 [1996] A.C.I. no 663 (QL), au par. 3.

8 L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, modifiée.

9 Précité, note 7, au par. 20.

10 (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 1 (C.A.F.) (Tignish).

11 Précité, note 7, aux par. 28 et 29.

12 [1997] 2 C.F. 545 (C.A.).

13 Précité, note 7, au par. 23.

14 Voir, par ex., l'arrêt Canada (Procureur général) c. Charbonneau (1996), 41 C.C.L.I. (2d) 297 (C.A.F.).

15 Voir l'arrêt Hébert c. Canada (Ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1997] F.C.J. no 512 (C.A.) (QL).

16 Précité, note 7, au par. 29.

17 Tignish, précité, note 10, aux p. 8 et 9.

18 (1994), 178 N.R. 361 (C.A.F.), aux p. 362 et 363.

19 [1949] A.C. 24 (P.C.), à la p. 36.

20 [1974] R.C.S. 875, à la p. 877.

21 [1992] 1 R.C.S. 3, aux p. 76 et 77.

22 [1996] 1 C.F. 644 (C.A.), à la p. 653 (le juge Robertson, J.C.A.).

23 (1994), 167 N.R. 316 (C.A.F.), aux p. 319 et 320.

24 Voir les arrêts Aubut c. Ministre du Revenu national (1990), 126 N.R. 381 (C.A.F.) et Borsellino et Salvo c. Ministre du Revenu national (1990), 120 N.R. 77 (C.A.F.).

25 Tignish, précité, note 10, à la p. 9.

26 Voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Dunham, [1997] 1 C.F. 462 (C.A.), aux p. 468 et 469, le juge Marceau, J.C.A. (dans le contexte du droit d'interjeter appel devant un conseil arbitral d'une décision de la Commission de l'assurance-chômage).

27 Tignish, précité, note 10, à la p. 9. Voir également la décision Hébert, précitée, note 15, au par. 3.

28 Je fais observer que, dans l'affaire Jencan no 1, le fait que le salarié était toujours appelé à faire le même nombre d'heures supplémentaires pour lui assurer que son chèque de paie serait toujours le même est l'élément de preuve le plus important sur lequel s'est fondé le juge suppléant Léger, C.C.I. pour confirmer la décision précédente du ministre. Voici ce que le juge suppléant Léger a déclaré, aux par. 4 et 5 de son jugement:

[traduction] On a soumis en preuve certains éléments qui amènent la Cour à conclure que le ministre était justifié d'en arriver à sa conclusion. Ce n'est pas moi qui doit être convaincu, c'est le ministre du Revenu national qui doit l'être. À l'annexe R-1, à la dernière page, je trouve dix (10) inscriptions pour l'année mil neuf cent quatre-vingt-quatorze (1994) . . . sept cent vingt dollars et un cent (720,01 $) par semaine pour une période de dix (10) semaines. C'est exactement le même chiffre chaque semaine et ce chiffre représente quarante-quatre (44) heures de temps ordinaire et cinq virgule cinq heures (5,5) de temps supplémentaire, c'est-à-dire exactement ce qui lui faut pour obtenir exactement sept cent vingt dollars et un cent (720,01 $). Il s'agit là selon moi d'un indice silencieux qu'il y a quelque chose d'anormal dans son emploi.

Je conviens qu'il y a du travail supplémentaire dans ce genre de travail, mais le fait qu'il y en ait constamment et que le nombre d'heures supplémentaires soit exactement le même donne à penser qu'il y a quelque chose d'anormal dans une entreprise qui est normalement exploitée. Et c'est une raison qui justifiait le ministre de dire qu'il n'était pas convaincu qu'ils n'avaient pas de lien de dépendance entre eux.

29 ;Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), à la p. 630.

30 Halsbury's Laws of England, 4e éd., Vol. 16, London: Butterworths, 1976, à la p. 1010.

31 [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), à la p. 631.

32 Voir l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 776 et 777 (le juge Iacobucci).

33 L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

34 Le paragraphe 28(2) (mod., idem, art. 8) dispose:

28. . . .

(2) Les articles 18 à 18.5 s'appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2), et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d'appel comme si elle y était mentionnée lorsqu'elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d'une demande de contrôle judiciaire.

35 [1997] A.C.F. no 640 (C.A.) (QL).

36 [1994] 2 C.F. 189 (C.A.), à la p. 224.

37 (1994), 79 F.T.R. 263 (C.F. 1re inst.), à la p. 270.

38 (1994), 75 F.T.R. 125 (C.F. 1re inst.), à la p. 130 (le juge Rothstein). Voir également le jugement Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (1re inst.) (le juge Reed).

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