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[1994] 3 C.F. 551

A-339-92

Commission canadienne des droits de la personne (requérante) (intimée)

c.

Canadian Liberty Net et Tony McAleer (alias Derek J. Peterson) (intimés) (appelants)

Répertorié : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net (C.A.)

Cour d’appel, juges Heald, Stone et Décary, J.C.A.—Vancouver, 11 mai; Ottawa, 27 mai 1994.

Pratique — Appels et nouveaux procès — Requête en annulation de l’appel interjeté contre une injonction interlocutoire interdisant l’utilisation d’une ligne décrite comme la ligne de la haine jusqu’à ce que le Tribunal des droits de la personne ait rendu une ordonnance définitive — L’appel de l’ordonnance déclarant les intimés coupables d’avoir contrevenu à l’injonction interlocutoire en vigueur est en instance — Ordonnance définitive du Tribunal — La Commission allègue qu’il n’y a plus de question en litige, étant donné que l’ordonnance d’injonction est périmée — Les intimés allèguent que la Cour n’avait pas compétence pour décerner l’injonction, et, par conséquent, que l’injonction est nulle et qu’ils ne peuvent pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal — La contestation de l’ordonnance d’injonction continuait d’être valide vu que la contestation de l’ordonnance décernée pour outrage au tribunal était toujours pendante — La Cour n’est pas saisie de l’appel relatif à l’outrage au tribunal — La question de la compétence de la Cour n’est pas réglée — Il n’est pas sûr que la nullité alléguée de l’ordonnance d’injonction n’ait aucune conséquence sur l’appel relatif à l’outrage au tribunal, en raison des relations étroites entre les deux appels — Même si théorique, l’appel devrait être entendu pour régler d’importantes questions de compétence et de statut.

Compétence de la Cour fédérale — Requête présentée conformément à l’art 52a) et b) de la Loi sur la Cour fédérale et à la Règle 1100 des Règles de la Cour fédérale pour faire annuler l’appel interjeté contre l’ordonnance d’injonction interlocutoire décernée par la Section de première instance — Intimés déclarés coupables d’avoir contrevenu à l’ordonnance — L’appel est-il théorique? — La Cour avait-elle la compétence pour décerner l’injonction? — Contestation directe de la compétence de la Cour fédérale — La Cour fédérale est une cour supérieure ayant le pouvoir de décerner des injonctions, mais elle n’est pas une cour de compétence générale — La question n’est pas tranchée — L’appel n’est pas théorique — Même s’il était théorique, l’appel devrait être entendu pour plusieurs raisons, entre autres, parce que la question débattue est une question importante touchant la compétence de la Cour et le statut de la Commission canadienne des droits de la personne dans un domaine du droit qui évolue très rapidement.

Il s’agit d’une requête en annulation d’un appel interjeté contre une injonction interlocutoire. Le juge Muldoon avait accordé l’injonction interlocutoire demandée par la Commission, enjoignant à Canadian Liberty Net de cesser d’utiliser ce qui est décrit comme la ligne de la haine, jusqu’à ce qu’une ordonnance définitive ait été rendue par suite des procédures engagées devant le Tribunal des droits de la personne. Les appelants en ont appelé de ce jugement. Subséquemment, le juge Teitelbaum a jugé que les appelants avaient contrevenu à l’ordonnance d’injonction et qu’ils étaient coupables d’outrage au tribunal. Les appelants en ont appelé de ce jugement. Puis, le Tribunal a conclu que l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne avait été violé, et il a décerné une ordonnance de ne pas faire en vertu du paragraphe 54(1). Les appelants ont présenté une requête pour faire annuler la décision du Tribunal, mais cette requête a été rejetée pour le motif que la preuve par affidavit n’avait pas été déposée en temps utile. La requête en annulation se fondait sur le motif qu’il n’y avait plus de question en litige, étant donné que l’injonction interlocutoire était périmée, le Tribunal ayant rendu son ordonnance définitive. Les appelants allèguent que l’ordonnance d’injonction ne peut pas être dissociée de l’ordonnance qui a été décernée pour outrage au tribunal, dont ils ont aussi appelé, parce que, selon eux, ils ne pouvaient pas être déclarés coupables d’outrage au tribunal pour avoir contrevenu à une ordonnance qui, avancent-ils, est nulle parce qu’elle a été décernée par une cour qui n’avait pas la compétence pour la décerner, et parce qu’elle a été décernée à la demande d’une partie, la Commission, qui n’avait aucun droit de la demander.

Arrêt : la requête doit être rejetée.

La Cour, lorsqu’elle doit se pencher sur une requête en annulation, doit être entièrement convaincue que l’appel, s’il était accueilli, n’aurait pratiquement aucun effet sur les parties. La contestation de l’ordonnance d’injonction continuait d’être valide vu que la contestation de l’ordonnance décernée pour outrage au tribunal était toujours pendante. La requête demandant le rejet de l’appel de l’injonction était indirectement une contestation de l’appel relatif à l’outrage au tribunal. La Cour n’était pas saisie de l’appel relatif à l’outrage au tribunal, et la question de la contestation indirecte ne se posait pas comme telle dans l’appel de l’injonction dans la mesure où ce dernier n’était qu’une contestation directe de l’ordonnance d’injonction.

Étant donné qu’il s’agissait, en l’espèce, d’une contestation directe de la compétence de la Cour fédérale, qui est une cour supérieure ayant le pouvoir de décerner des ordonnances d’injonction, mais qui n’est cependant pas une cour de compétence générale, on ne peut simplement pas affirmer que la question est réglée. Il appartiendra à la formation de la Cour qui entendra l’appel relatif à l’outrage au tribunal de trancher.

Les relations entre l’appel de l’injonction et l’appel relatif à l’outrage au tribunal sont si étroites, qu’il n’est pas absolument sûr que la nullité alléguée de l’ordonnance d’injonction ne puisse pas avoir de conséquences sur l’appel relatif à l’outrage au tribunal, qui est en instance. Il se peut qu’il y ait encore matière à controverse.

Même s’il était théorique, l’appel de l’injonction devrait être entendu parce que l’exigence d’un débat contradictoire est bel et bien remplie; la question débattue est une question importante touchant la compétence de la Cour et le statut de la Commission dans un domaine du droit qui évolue rapidement; il y a fort à parier que d’autres justiciables n’auront pas la possibilité ou les moyens de contester en temps utile devant la Cour la compétence de la Section de première instance de décerner, à la demande de la Commission, le type d’ordonnance d’injonction interlocutoire dont il est ici question; la question réapparaîtra certainement, sans doute à brève échéance, et la bonne administration de la justice requiert que la question soit tranchée maintenant. Finalement, en entendant l’appel, la Cour ne fera que jouer son rôle traditionnel et n’empiétera pas sur la compétence du législateur.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 13(1), 54(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52a), b)(i).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1100, 1206.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Eastern Trust Company v. McKenzie, Mann & Co., [1915] A.C. 750; (1915), 22 D.L.R. 410; 31 W.L.R. 248 (P.C.); British Columbia (Attorney General) v. Mount Currie Indian Band, [1991] 4 W.W.R. 507; (1991), 54 B.C.L.R. (2d) 129; [1992] 1 C.N.L.R. 70; 47 C.P.C. (2d) 214 (C.S.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor, [1987] 3 C.F. 593; (1987), 37 D.L.R. (4th) 577; 9 C.H.R.R. D/4929; 29 C.R.R. 222; 78 N.R. 180 (C.A.); conf. par [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1992] 3 C.F. 155; (1992), 90 D.L.R. (4th) 190; 14 Admin. L.R. 294; 9 C.R.R. (2d) 330; 48 F.T.R. 285 (1re inst.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1992] 3 C.F. 504; (1992), 56 F.T.R. 42 (1re inst.); Commission canadienne des droits de la personne c. Canadian Liberty Net et Peterson (no 2) (1992), 56 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.); Khaki c. Canadian Liberty Net, [1993] D.C.D.P. no 17 (QL); Can. Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury, [1953] 1 D.L.R. 385; (1952), 7 W.W.R. (N.S.) 49; 105 C.C.C. 20 (C.A.C.-B.); conf. par, sub nom. Poje v. A.G. for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516; [1953] 2 D.L.R. 785; (1953), 105 C.C.C. 311; 17 C.R. 176; Leberry v. Braden (1900), 7 B.C.R. 403 (S.C.); Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585; 48 D.L.R. (3d) 641; 19 C.C.C. (2d) 218 (H.C.); conf. par (1975), 11 O.R. (2d) 167; 65 D.L.R. (3d) 231; 29 C.C.C. (2d) 325 (C.A.).

REQUÊTE en annulation d’un appel interjeté contre une injonction interlocutoire, présentée pour le motif qu’il n’y a plus de question en litige étant donné que l’injonction est périmée. Requête rejetée.

AVOCATS :

Douglas H. Christie pour les appelants (intimés).

John L. Finlay pour l’intimée (requérante).

PROCUREURS :

Douglas H. Christie, Victoria, pour les appelants (intimés).

Arvay, Finlay, Victoria, for l’intimée (requérante).

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Décary, J.C.A. : L’intimée Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a présenté, conformément à l’alinéa 52a ) et au sous-alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], et à la Règle 1100 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], une requête pour qu’il soit mis fin à l’appel en cause interjeté par les appelants de l’injonction interlocutoire décernée par le juge Muldoon, dont l’ordonnance formelle est datée du 27 mars 1992.

Il est ici nécessaire de dresser la chronologie des faits se rapportant à la requête.

Des plaintes ont été déposées auprès de la Commission au sujet de messages téléphoniques dénigrant les Juifs et les non-Blancs. Ces messages auraient été diffusés par Canadian Liberty Net (CLN) et M. Derek J. Peterson, et auraient été susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris sur la base de motifs de distinction illicite, contrevenant ainsi au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[1] (la « Loi »). Par suite de ces plaintes, la Commission, le 17 janvier 1992, a décidé de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne (le « Tribunal ») chargé d’enquêter sur les plaintes.

Le 27 janvier 1992, la Commission a déposé un avis de requête introductive d’instance devant la Section de première instance de la Cour pour obtenir une injonction interlocutoire enjoignant à CLN et à ses agents de cesser d’utiliser ce qui y est décrit comme la ligne de la haine [traduction] « jusqu’à ce qu’une ordonnance définitive ait été rendue par suite des procédures engagées devant le Tribunal des droits de la personne »[2].

Le 3 mars 1992 [[1992] 3 C.F. 155 (1re inst.)], le juge Muldoon accueillait la demande d’injonction interlocutoire de la Commission, et, le 27 mars 1992, il décernait l’injonction formelle.

Le 9 mars 1992, les appelants ont déposé un avis d’appel du jugement du juge Muldoon (ci-après appelé « appel de l’injonction »).

Le 25 mai 1992, le Tribunal a commencé ses audiences, qui ont eu lieu du 25 au 29 mai, puis les 24, 25 et 27 août 1992. À la clôture des audiences, le Tribunal a réservé sa décision.

Le 11 juin 1992, la Commission a présenté à la Section de première instance une requête pour obtenir contre les appelants une ordonnance de justification leur enjoignant de se présenter devant la Cour pour expliquer pourquoi ils ne devraient pas être condamnés pour outrage au tribunal.

Dans l’ordonnance et les motifs qu’il rend le 9 juillet 1992 [[1992] 3 C.F. 504 (1re inst.)], le juge Teitelbaum conclut que les appelants ont contrevenu à l’ordonnance d’injonction et qu’ils sont, par conséquent, coupables d’outrage au tribunal.

Le 13 juillet 1992, les appelants ont déposé un avis d’appel du jugement du juge Teitelbaum (ci-après appelé « appel relatif à l’outrage au tribunal »).

Le 26 août 1992 [(1992), 56 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.)], le juge Teitelbaum a condamné M. Tony McAleer (alias Derek J. Peterson) à deux mois de prison, à payer une amende de 2 500 $ avant sa sortie de prison et, à défaut du paiement de cette amende, à passer un mois de plus en prison. Il condamne aussi CLN à payer sur-le-champ une amende de 5 000 $.

Le 7 juillet 1993, le dossier d’appel, préparé par le greffe de la Cour fédérale conformément à la Règle 1206, est déposé et des copies sont envoyées aux parties.

Le 10 août 1993, les appelants ont déposé leur exposé des faits et du droit, à la fois pour l’appel de l’injonction et pour l’appel relatif à l’outrage au tribunal.

Le 9 septembre 1993, le Tribunal a conclu que le paragraphe 13(1) de la Loi a été violé, et il a décerné une ordonnance restrictive [[1993] D.C.D.P. no 17 (QL)] contre les appelants en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi.

Le 28 septembre 1993, les appelants ont déposé un avis de requête introductive d’instance devant la Section de première instance pour faire annuler la décision du Tribunal.

Le 25 janvier 1994, à la demande de la Commission, le juge Tremblay-Lamer a rejeté l’avis de requête introductive d’instance présenté à la Section de première instance, pour le motif que les appelants avaient omis de déposer en temps utile leur preuve par affidavit. Les appelants en ont aussi appelé de ce jugement.

Le 28 mars 1994, la Commission a déposé sa requête pour faire rejeter l’appel de l’injonction. Cette requête s’appuie sur deux fondements : 1) il n’y a plus de question en litige, étant donné que l’injonction interlocutoire est périmée, le Tribunal ayant rendu son ordonnance définitive; 2) il est vexatoire de la part des appelants de maintenir leur appel, qui n’est pas fait de bonne foi. Pour leur part, les appelants font valoir que l’appel n’est pas théorique. Fondamentalement, ils allèguent que l’ordonnance d’injonction ne peut pas être dissociée de l’ordonnance qui a été décernée pour outrage au tribunal, dont ils ont aussi appelé, parce que, selon eux, ils ne pouvaient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour avoir contrevenu à une ordonnance qui, avancent-ils, est nulle parce qu’elle a été décernée par une cour qui n’avait pas la compétence pour la décerner, et parce qu’elle a été décernée à la demande d’une partie, la Commission, qui n’avait aucun droit de la demander.

À l’audience, la Commission n’a pas insisté sur le deuxième fondement. Il est exact que les appelants auraient pu demander que leur appel de l’injonction soit entendu plus tôt. Mais il est aussi exact qu’ils ont préparé leurs exposés des faits et du droit tant pour l’appel de l’injonction que pour l’appel relatif à l’outrage au tribunal dans le mois suivant la réception du dossier d’appel, et, comme l’a fait remarquer leur avocat, que les appelants n’avaient aucune raison de croire que le Tribunal aurait besoin de plus d’un an après la clôture des audiences pour rendre ses motifs. Ses clients, ajoute-t-il, n’avaient donc aucune raison de demander que l’on entende plus tôt un appel qui, si l’allégation de la Commission que l’appel est théorique est fondée, serait éventuellement devenu théorique dès l’instant où la décision a été rendue, ce qui pouvait être à n’importe quel moment. Dans les circonstances, on n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu mauvaise foi. Par ailleurs, la continuation de la procédure d’appel ne serait vexatoire que s’il était évident que l’appel est théorique, ce qui nous ramène, en fait, au premier fondement de la Commission.

La Cour, lorsqu’elle doit se pencher sur une requête en annulation comme celle en l’espèce, doit être entièrement convaincue que l’appel, s’il était accueilli, n’aurait pratiquement aucun effet sur les parties.

La Commission allègue qu’il est bien établi en droit qu’une ordonnance d’injonction, qu’elle soit valide ou non, doit être respectée jusqu’à ce qu’elle soit annulée, et qu’elle ne peut pas être indirectement contestée par la défense présentée à l’encontre des procédures d’outrage au tribunal engagées relativement au manquement volontaire à l’ordonnance. La Commission s’appuie sur des arrêts comme Eastern Trust Company v. McKenzie, Mann & Co.,[3]; Can. Transport (U.K.) Ltd. v. Alsbury[4]; Leberry v. Braden[5] et British Columbia (Attorney General) v. Mount Currie Indian Band[6]. Elle aurait pu s’appuyer aussi sur l’arrêt que la Cour a rendu dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor[7] et sur l’arrêt Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2)[8]. L’avocat des appelants a admis à l’audience que ses clients étaient liés par l’ordonnance d’injonction jusqu’à ce qu’ils s’y soient conformés, mais il a avancé que sa contestation de l’ordonnance d’injonction continuait d’être valide vu que sa contestation de l’ordonnance décernée pour outrage au tribunal était toujours pendante.

Je suis d’accord avec l’avocat des appelants.

Premièrement, à ce qu’il me semble, ce que la Commission allègue réellement dans sa requête pour faire rejeter l’appel de l’injonction, c’est que l’appel relatif à l’outrage au tribunal est sans fondement parce qu’il est une contestation indirecte de l’ordonnance d’injonction. On pourrait aussi soutenir que la Commission utilise en fait elle-même sa requête demandant le rejet de l’appel de l’injonction pour indirectement contester l’appel relatif à l’outrage au tribunal. Évidemment, la Cour n’est pas actuellement saisie de l’appel relatif à l’outrage au tribunal, et la question de la contestation indirecte ne se pose pas comme telle dans l’appel de l’injonction dans la mesure où ce dernier n’est qu’une contestation directe de l’ordonnance d’injonction.

Deuxièmement, je ne suis pas prêt actuellement à statuer, en l’espèce, que les autorités citées précédemment, si persuasives qu’elles soient, déterminent de façon décisive ce qui constitue le caractère théorique d’une procédure. Je remarque que Sir George Farwell, qui a écrit le jugement du Conseil privé dans l’affaire Eastern Trust[9], et le juge Macdonald, dans l’affaire Mount Currie Indian Band[10], ont tous les deux insisté sur le fait que l’ordonnance d’injonction en question avait été décernée par une cour supérieure de compétence générale. Mais, ce qui est plus important encore, dans l’arrêt Taylor, où la contestation ne portait pas sur la compétence de la Cour fédérale de décerner une ordonnance d’injonction, mais sur une décision, prétendument partiale, qui avait été rendue par la Commission canadienne des droits de la personne, et qui, en vertu de l’article 43 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, ch. 33], était devenue une ordonnance de la Cour fédérale, le juge d’appel Mahoney s’est exprimé de la façon suivante[11] :

L’allégation des appelants ne pourrait être pertinente que dans le cas d’une ordonnance qui serait nulle. Elle porte ici sur une ordonnance qui, selon eux, devrait être annulée mais dont il ne peuvent dire qu’elle est nulle. Elle est considérée en droit comme une ordonnance rendue par une cour supérieure dans le cadre de la compétence d’attribution qui lui a été conférée expressément par le Parlement.

Et en approuvant le raisonnement du juge Mahoney, J.C.A., le juge en chef Dickson a fait remarquer ce qui suit[12] :

Le fondement précis des motifs du juge Mahoney tient cependant à ce que les appelants n’ont pas cherché à contester directement la légalité de l’ordonnance du Tribunal, mais qu’il ont plutôt considéré l’ordonnance comme nulle et l’ont contestée indirectement dans la procédure pour outrage.

En l’espèce, nous avons une contestation directe de la compétence de la Cour fédérale, qui est une cour supérieure ayant le pouvoir de décerner des ordonnances d’injonction, mais qui n’est cependant pas une cour de compétence générale. Il est probable que le raisonnement de l’arrêt Taylor va refaire surface lors des procédures relatives à l’outrage au tribunal qui remettent en question la compétence de la Cour de décerner une ordonnance d’injonction, mais je ne peux simplement pas affirmer que la question est réglée, et il appartiendra à la formation de la Cour qui entendra l’appel relatif à l’outrage au tribunal de trancher.

En l’espèce, les relations entre l’appel de l’injonction et l’appel relatif à l’outrage au tribunal sont si étroites que j’hésiterais à affirmer qu’il est absolument clair que la nullité alléguée de l’ordonnance d’injonction ne peut pas avoir de conséquences sur l’appel relatif à l’outrage au tribunal, qui est pendant. Est-il totalement inconcevable, par exemple, comme le suggère l’avocat des appelants, que ces derniers puissent encourir une peine pour outrage au tribunal différente si l’ordonnance d’injonction s’avère nulle parce qu’ayant été décernée par une cour qui n’avait pas le pouvoir de la décerner? Il se peut qu’il y ait encore matière à controverse.

Aurais-je conclu, en appliquant le premier volet du critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général)[13], que l’appel de l’injonction était théorique, que j’aurais quand même permis, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, que l’appel soit entendu. L’exigence d’un débat contradictoire est bel et bien remplie; la question débattue est une question importante touchant la compétence de la Cour et le statut de la Commission dans un domaine du droit qui évolue très rapidement. Il y a fort à parier que d’autres justiciables n’auront pas la possibilité ou les moyens de contester en temps utile devant la Cour la compétence de la Section de première instance de décerner, à la demande de la Commission, le type d’ordonnance d’injonction interlocutoire dont il est ici question. La question réapparaîtra certainement, sans doute à brève échéance, et la bonne administration de la justice requiert que la question soit tranchée maintenant. Finalement, en entendant l’appel, la Cour ne fera que jouer son rôle traditionnel et n’empiétera pas sur la compétence du législateur.

Je rejetterais donc la requête en annulation, et j’accorderais les dépens aux appelants. De plus, je demande instamment aux parties de prendre les mesures nécessaires pour que l’appel de l’injonction et l’appel relatif à l’outrage au tribunal soient entendus ensemble au cours de la session d’automne de la Cour.

Le juge Heald, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1] L.R.C. (1985), ch. H-6. L’art. 13(1) est rédigé de la façon suivante :

13. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.

[2] D.A., à la p. 1.

[3] [1915] A.C. 750 (P.C.).

[4] [1953] 1 D.L.R. 385 (C.A.C.-B.); conf. par (sous le nom de Poje v. A.G. for British Columbia), [1953] 1 C.S.R. 516.

[5] (1900), 7 B.C.R. 403 (S.C.).

[6] [1991] 4 W.W.R. 507 (C.S.C.-B.).

[7] [1987] 3 C.F. 593 (C.A.); conf. par [1990] 3 R.C.S. 892.

[8] (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.); conf. par (1975), 11 O.R. (2d) 167 (C.A.).

[9] Précité, note 3, à la p. 255.

[10] Précité, note 6, à la p. 142.

[11] [1987] 3 C.F. 593 (C.A.), à la p. 600.

[12] [1990] 3 R.C.S. 892, à la p. 942.

[13] [1989] 1 R.C.S. 342.

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