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[1994] 3 .C.F 261

A-404-93

Betty MacNeill (intimée) (requérante)

c.

Procureur général du Canada (appelant) (intimé)

Répertorié : MacNeill c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Desjardins et Robertson, J.C.A.— Ottawa, 29 mars et 3 mai 1994.

Droits de la personne — Un comité d’appel de la CFP avait confirmé la recommandation de l’administrateur général de renvoyer une fonctionnaire qui était incapable d’exercer ses fonctions par suite de blessures qu’elle avait subies au travail — Il s’agissait de savoir si l’application des dispositions relatives au « renvoi » de l’art. 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique était discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) — Il s’agissait de savoir si l’application de la LCDP relevait de la compétence du comité.

Fonction publique — Compétence — L’administrateur général avait recommandé le renvoi d’une employée qui était incapable d’exercer ses fonctions par suite de blessures qu’elle avait subies au travail — Un comité d’appel de la CFP avait confirmé la recommandation — Il s’agissait de savoir si l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) relevait de la compétence du comité — Il s’agissait de savoir si l’application des dispositions relatives au « renvoi » de l’art. 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique était discriminatoire au sens de la LCDP.

L’intimée MacNeill, qui était fonctionnaire, était devenue invalide par suite de blessures qu’elle avait subies au travail. L’administrateur général du Ministère avait recommandé son renvoi conformément au paragraphe 31(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP) parce qu’elle était incapable d’exercer ses fonctions. L’intimée a interjeté appel de cette recommandation devant un comité d’appel, en invoquant la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Le comité a rejeté l’appel pour le motif que le renvoi d’un employé qui, de son propre aveu, est incapable d’exercer ses fonctions ne peut pas être discriminatoire et que, de toute façon, il n’avait pas le pouvoir de déterminer si la recommandation était compatible avec la LCDP. La Section de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire de cette décision que l’intimée avait présentée. Le juge de première instance a conclu qu’en statuant sur un appel en vertu de l’article 31 de la LEFP, le comité d’appel était tenu d’appliquer les dispositions relatives à l’emploi contenues dans la LCDP. Il a également conclu qu’étant donné qu’il y avait eu discrimination en refusant de continuer à employer l’intimée en raison de son incapacité, l’administrateur général avait l’obligation d’essayer de bonne foi d’accommoder la requérante et de l’aider à conserver un emploi sous peine de contravention de l’article 7 de la LCDP et qu’il incombait au comité d’appel de déterminer si l’employeur l’avait fait. Il s’agissait d’un appel de cette décision.

Arrêt (le juge Hugessen, J.C.A., dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Il s’agissait de savoir si l’article 31 de la LEFP était incompatible avec la LCDP et s’il avait été modifié ou abrogé d’une façon quelconque par la LCDP. L’article 7 de la LCDP interdisait une distinction illicite fondée sur la déficience. La déficience et l’incapacité sont apparentées, et peut-être même synonymes. Par conséquent, l’article 31 de la LEFP en l’occurrence était un cas de discrimination directe. Toutefois, appliqué à l’espèce, l’article 31 de la LEFP contenait en soi l’énoncé d’une EPJ qui était parfaitement compatible avec la LCDP. Il prévoyait que les qualités physiques devaient être reliées au rendement dans l’exercice des fonctions d’un poste. Il s’inscrivait parfaitement dans les dispositions de l’alinéa 15a) de la LCDP par rapport à une EPJ. Par conséquent, il n’existait aucune obligation d’accommodement de la part de l’employeur. L’article 31 n’était pas incompatible avec la LCDP et n’avait pas été modifié par cette dernière. Les pouvoirs du comité d’appel demeuraient donc intouchés.

Le juge Robertson, J.C.A. (concourant quant au résultat) : Le comité d’appel n’avait pas le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions relatives à l’emploi que contenait la LCDP. Le comité d’appel était un organisme créé par le législateur et n’avait aucun pouvoir inhérent. Il pouvait trancher une question à la seule condition que le Parlement lui ait expressément ou implicitement conféré un pouvoir à l’égard des parties, de l’objet du litige ou de la réparation envisagée. En l’espèce, l’objet du litige devant le comité d’appel touchait à l’interprétation et à l’application des dispositions relatives à l’emploi contenues dans la LCDP lorsqu’il s’agissait d’entériner la recommandation que l’administrateur général avait formulée en vertu de l’article 31 de la LEFP. En cas de discrimination indirecte, le comité devrait déterminer légalement les limites de l’accommodement et des contraintes excessives. Il ne fait aucun doute que ces déterminations dépassaient les termes exprès de la LEFP.

La recommandation de l’administrateur général de renvoyer l’employée est susceptible d’appel au comité d’appel, qui peut soit accueillir soit rejeter l’appel. Ces deux options constituent le mandat du comité d’appel. Aucune disposition de la LEFP n’autorise expressément le comité d’appel à accorder la réparation demandée par l’intimée, soit l’accommodement. De plus, aucune disposition de la LEFP ne confère implicitement au comité d’appel le pouvoir d’appliquer la LCDP.

La LCDP et son interprétation par les tribunaux ne constituaient pas une « directive légale » au sens de l’arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, directive que le comité d’appel devait appliquer afin de respecter le mandat conféré par le législateur en vertu de l’article 31. Le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Ahmad n’étendait pas la compétence du comité d’appel au-delà de son mandat légal.

Essentiellement, l’intimée soutenait que le comité d’appel devait avoir le pouvoir d’appliquer la LCDP comme politique. Soumettre la question à la Commission des droits de la personne pourrait causer de longs retards. L’inefficacité du système ne peut pas en soi conférer à un tribunal administratif une compétence qui n’est pas expressément ou implicitement autorisée par le Parlement. En outre, le tribunal des droits de la personne possède des pouvoirs beaucoup plus étendus que le comité d’appel lorsqu’il s’agit d’accueillir et de rechercher des éléments de preuve.

Le juge Hugessen, J.C.A. (dissident) : La principale question était liée à la compétence du comité d’appel d’entendre des observations et de faire enquête à l’égard de la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général à la lumière des obligations imposées à l’employeur par la LCDP.

L’application de l’article 31 à une personne qui était incapable d’exercer les fonctions de son poste en raison d’une déficience constituait un exemple classique de discrimination indirecte ou par suite d’un effet préjudiciable. On ne réglait rien en cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable en disant que la règle était dûment appliquée, parce que la règle elle-même n’était pas en litige en pareil cas. En vertu de la LCDP, il ne s’agissait pas de déterminer si l’intimée était incapable d’exercer ses fonctions, mais si elle avait perdu son emploi en raison de sa déficience et, le cas échéant, si l’employeur avait respecté son obligation d’accommodement.

Les tribunaux ont souvent jugé que des règles adoptées sous le régime d’autres lois avaient été implicitement modifiées ou même abrogées par les dispositions législatives sur les droits de la personne. La compétence du comité d’appel d’entendre des observations sur la conformité avec la LCDP n’impliquait pas et n’exigeait pas un élargissement de ses pouvoirs d’accorder une réparation. Dans l’arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, il a été dit qu’un comité d’appel ne pouvait pas décider qu’il ne devait pas donner suite à une recommandation de l’administrateur général « en l’absence de mauvaise application d’une directive légale ou juridique ». Par conséquent, une infraction présumée par l’employeur à l’une des dispositions de la LCDP régissant ses relations avec les employés constituait une mauvaise application d’une directive légale. En outre, si cette infraction survenait dans le cadre du processus menant à la recommandation de renvoyer l’employé, elle relevait du champ de compétence du comité d’appel établi sous le régime de l’article 31. Par conséquent, le comité d’appel a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’entendre les observations fondées sur le présumé non-respect de la LCDP par l’employeur.

Toutefois, le comité d’appel pouvait uniquement accueillir ou rejeter l’appel. Il ne pouvait accorder aucun autre redressement.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3, 7, 15a), 25, 41, 50(2), 66.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 5d), 10 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10), 12 (mod., idem, art. 11), 21 (mod., idem, art. 16), 31.

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228, art. 106, 124.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644; (1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287 (C.A.); Clare c. Canada (Procureur général), [1993] 1 C.F. 641; (1993), 100 D.L.R. (4th) 400; 93 CLLC 14,025; 149 N.R. 303 (C.A.); Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Larsen, [1981] 2 C.F. 199; (1980), 117 D.L.R. (3d) 377 (C.A.); Le procureur général du Canada c. Loiselle, [1981] 2 C.F. 203 (C.A.); Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; (1985), 21 D.L.R. (4th) 1; [1985] 6 W.W.R. 166; 38 Man. R. (2d) 1; 15 Admin. L.R. 177; 8 C.C.E.L. 105; 85 CLLC 17,020; 61 N.R. 241; Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24; (1988), 53 D.L.R. (4th) 29; 23 C.C.E.L. 15; 9 C.H.R.R. D/5359; 88 CLLC 17,024; 88 N.R. 150 (C.A.); Niles c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1992), 94 D.L.R. (4th) 33; 92 CLLC 17,031; 142 N.R. 188 (C.A.F.); Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 10 C.H.R.R. D/5515; 88 CLLC 17,031; Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714; (1987), 46 D.L.R. (4th) 165; 82 N.R. 352 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; (1990), 123 N.R. 83 (C.A.); Pitawanakwat c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4825; 125 N.R. 237 (C.A.F.); Burke c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4824; 125 N.R. 239 (C.A.F.); Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444; (1990), 91 CLLC 14,010; 122 N.R. 122 (C.A.); Canada (Ministre de la Défense nationale) c. Mongrain, [1992] 1 C.F. 472; (1991), 135 N.R. 125 (C.A.); Wardair Canada Inc. c. Cremona et Commission canadienne des droits de la personne (1992), 146 N.R. 69 (C.A.F.); Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145; (1982), 137 D.L.R. (3d) 219; [1983] 1 W.W.R. 137; 39 B.C.L.R. 145; 82 CLLC 17,014; [1982] I.L.R. 1-1555; 43 N.R. 168; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; (1992), 9 O.R. (3d) 224; 93 D.L.R. (4th) 346; 138 N.R. 1; 55 O.A.C. 81; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 141 N.R. 185.

DOCTRINE

Robert, Paul. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Le Petit Robert), Paris : Le Robert, 1987.

Shorter Oxford English Dictionary, Oxford : Clarendon Press, 1993.

APPEL contre un jugement de la Section de première instance ([1993] 3 C.F. 575; (1993), 93 CLLC 17,021; 64 F.T.R. 41) accueillant une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un comité d’appel de la fonction publique (MacNeill c. Ministère des Affaires des anciens combattants (1992), 12 ABD 279) avait rejeté un appel, pour le motif qu’il n’avait pas compétence pour appliquer les dispositions relatives à l’emploi de la Loi canadienne sur les droits de la personne en statuant sur un appel contre la recommandation de l’administrateur général de renvoyer l’intimée pour le motif qu’elle était devenue incapable d’exercer ses fonctions, même si cette incapacité résultait de blessures subies au travail. Appel accueilli.

AVOCATS :

Brian J. Saunders pour l’appelant (intimé).

Andrew J. Raven pour l’intimée (requérante).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (intimé).

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour l’intimée (requérante).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. (dissident) : Il s’agit d’un appel interjeté contre un jugement de la Section de première instance [[1993] 3 C.F. 575] accueillant une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un Comité d’appel [(1992), 12 DCA 279] nommé en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique[1]. Au moment qui nous concerne, cet article disposait ce qui suit :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.

(2) Dans le délai imparti par la Commission après réception de l’avis mentionné au paragraphe (1), le fonctionnaire peut faire appel de la recommandation de l’administrateur général devant un comité chargé par la Commission de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

(3) Après notification de la décision du comité, la Commission, en fonction de cette dernière :

a) avertit l’administrateur général qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation;

b) rétrograde ou renvoie le fonctionnaire.

(4) En l’absence d’appel, la Commission peut prendre, à l’égard de la recommandation, toute mesure qu’elle estime opportune.

(5) La Commission peut renvoyer un fonctionnaire en application d’une recommandation fondée sur le présent article; le fonctionnaire perd dès lors sa qualité de fonctionnaire.

L’intimée, Betty MacNeill, est fonctionnaire depuis de nombreuses années. Par suite d’une blessure subie au travail, elle présente une déficience. Les parties s’entendent sur le fait qu’elle est dorénavant incapable d’exercer les fonctions du poste pour lequel elle a été nommée dans la fonction publique et que cette incapacité découle de la blessure susmentionnée.

L’administrateur général a recommandé le renvoi de Mme MacNeill conformément au paragraphe 31(1) parce qu’elle est incapable d’exercer ses fonctions. Mme MacNeill a contesté cette recommandation devant un Comité d’appel établi en vertu du paragraphe 31(2). D’après les arguments présentés par l’intimée au Comité d’appel, l’employeur proposait en fait de refuser de continuer à l’employer en raison d’une déficience physique, ce qui est contraire à l’article 7 et au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP)[2]. Par conséquent, Mme MacNeill a soutenu que le droit de l’employeur de la renvoyer était assujetti à une obligation d’accommodement qu’il n’avait pas respectée.

Le Comité d’appel a rejeté l’appel sur le fondement que le renvoi d’un employé qui, de son propre aveu, est incapable d’exercer ses fonctions ne peut être discriminatoire et que, de toute façon, le Comité n’avait pas le pouvoir de déterminer si la recommandation était ou non compatible avec la LCDP. Le Comité a refusé de s’interroger sur l’existence d’une obligation d’accommodement de la part de l’employeur et du contenu de cette obligation en de telles circonstances. Il s’est prononcé de la façon suivante [aux pages 300 et 301] :

Il ne fait aucun doute selon moi que la Loi canadienne sur les droits de la personne est d’une nature spéciale et a une portée plus grande que les lois ordinaires. Cependant, ce point ne suffit pas en soi pour que je décide de modifier, de la manière qui m’a été suggérée, mon interprétation de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, interprétation généralement reconnue.

De plus, et de toute façon, je ne peux conclure, en me basant sur la preuve détaillée qui m’a été présentée, que le ministère a agi de mauvaise foi ou a fait preuve de discrimination envers l’appelante (au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne) en concluant que Mme MacNeill était et demeure incapable de remplir les fonctions de son poste. Il me semble qu’aucune accusation de discrimination, en ce qui concerne précisément la recommandation visant le renvoi de l’appelante, ne résisterait à un examen minutieux, puisque le représentant de l’appelante et Mme MacNeill elle-même sont d’accord avec le ministère sur le fond de la question : Mme MacNeill est, de toute évidence, incapable de remplir les fonctions du poste auquel elle a été nommée et à l’égard duquel son renvoi pour incapacité a été recommandé.

Par conséquent, je ne peux considérer que la recommandation en cause peut être qualifiée de discriminatoire, eu égard à la décision que le ministère est en droit de prendre conformément à l’article 31. Il me semble qu’une recommandation faite en application de cet article ne peut être perçue comme étant discriminatoire lorsque toutes les parties ont clairement convenu que Mme MacNeill est incapable de remplir les fonctions de son poste, surtout si on considère que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit essentiellement que les nominations et les promotions doivent se faire selon le principe du mérite.

Un Comité d’appel convoqué pour entendre un appel interjeté en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique contre une recommandation visant un renvoi, comme dans le présent cas, ne peut que confirmer ou rejeter la recommandation après avoir examiné à fond la question; il n’a pas compétence pour considérer d’autres possibilités. Dans les arrêts Weyer, La Reine c. St-Hilaire, Loiselle et Larsen (tous cités), la Cour d’appel fédérale a été catégorique sur ce point. Autrement dit, pour décider si la recommandation en cause devrait ou non être appliquée, je ne peux me demander, par exemple, si Mme MacNeill aurait pu être nommée à un autre poste dont elle aurait peut-être été capable de remplir les fonctions.

Cela nous amène au second pilier de l’argumentation complexe de M. MacDonald, c’est-à-dire que Mme MacNeill aurait été victime de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je dois préciser que l’examen de cette question n’est pas de mon ressort. Il est possible, et M. MacDonald semble en être convaincu, qu’une ou plusieurs des mesures prises par le ministère aient constitué une forme de discrimination. Y a-t-il eu en fait discrimination? Ce n’est pas à moi d’en juger puisque cette question ne relève pas de ma compétence. Une avenue possible est peut-être celle qui semble avoir été explorée dans la décision Boucher, rendue par le Tribunal des droits de la personne, que M. MacDonald a portée à mon attention. Il va sans dire que je ne peux prédire ce que ce tribunal aurait dit face à l’ensemble de la preuve présentée ici, mais je fais mention de cette affaire dans le but de laisser entendre à l’appelante que d’autres recours s’offrent à elle.

Par conséquent, il est évident que je ne partage pas l’opinion de M. MacDonald selon laquelle un comité d’appel doit intervenir face à ce qu’il voudrait que je perçoive comme un acte discriminatoire dans l’application de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Même s’il est permis de croire que la Loi canadienne sur les droits de la personne se distingue des lois ordinaires, à mon humble avis, cette distinction n’implique pas qu’il faille rejeter une recommandation faite en application de l’article 31—recommandation appuyée sur des faits sur lesquels toutes les parties semblent s’entendre—simplement parce qu’il est concevable que certains aspects du comportement du ministère puissent être assimilés à des actes discriminatoires, au sens où on pourrait l’entendre dans une action intentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. [Non souligné dans l’original.]

La demande de contrôle judiciaire présentée par Mme MacNeill a été accueillie par la Section de première instance. Le juge était d’avis que le Comité d’appel possédait la compétence nécessaire. Il a déclaré ce qui suit [à la page 604] :

Le Comité d’appel a une fonction d’examen aussi bien vis-à-vis de la conduite de l’administrateur général ayant abouti à la recommandation de renvoi visant la requérante que de la recommandation elle-même, afin de vérifier si une recommandation conforme à la loi a suivi des comportements, eux aussi, conformes à la loi. Si le membre du Comité avait tenu compte de la preuve de ce qui semblerait constituer, de la part de l’administrateur général, un certain effort en vue d’accommoder les fonctions du poste à l’incapacité physique de la requérante, ainsi que le prévoit les dispositions de la LCDP, il est probable que la Cour rejetterait la requête. Mais, le Comité a refusé de faire cela même qu’à juste titre lui demandait la requérante. C’est ce refus qui constitue une erreur justifiant examen.

L’intimé semble considérer que la Loi et la LCDP existent et fonctionnent chacune dans son compartiment hermétique, un peu comme deux solitudes. Ce qui relie nettement leurs deux existences et leur fonctionnement c’est que ceux qui assurent l’administration de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qui exercent les fonctions qui y sont inscrites sont liés, comme leur royal protecteur, par les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et en particulier par les dispositions en matière d’emploi.

La principale question soulevée par le présent pourvoi est liée à la compétence du Comité d’appel d’entendre des observations et de faire une enquête à l’égard de la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général à la lumière des obligations de l’employeur en vertu de la LCDP.

Bien que nul ne conteste le fait que l’employeur soit assujetti aux dispositions de la LCDP, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’application des dispositions de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, précitée, relatives au renvoi peut elle-même être assimilée à une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP. Comme je l’ai indiqué, le Comité d’appel a répondu par la négative. Cette réponse négative enlève tout bien-fondé à la question principale et puisque, de toute façon, il est utile de comprendre la nature de la discrimination reprochée pour discuter des pouvoirs du Comité d’appel, j’estime qu’il y a lieu d’aborder cette question en premier lieu.

À mon sens, l’application de l’article 31 à une personne qui est incapable d’exercer les fonctions de son poste en raison d’une déficience constitue un exemple classique de discrimination indirecte ou de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination était décrit dans l’arrêt déterminant Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres (l’affaire O’Malley)[3] par le juge McIntyre (à la page 551) :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu’on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable en matière d’emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu’un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, « Ici, on n’embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir ». En l’espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D’autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Essentiellement pour les mêmes raisons qui sous-tendent la conclusion que l’intention d’établir une distinction n’est pas un élément nécessaire de la discrimination proscrite par le Code, je suis d’avis que cette Cour peut considérer que la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, décrite dans les présents motifs, contrevient au Code. Une condition d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer. [Non souligné dans l’original.]

Cette définition a été précisée par le juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)[4] (aux pages 514 et 515) :

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d’obligation d’accommodement à l’égard des membres individuels du groupe puisque, comme l’a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l’égard des membres d’un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu’elles puissent être justifiées, c’est dans leur application générale qu’elles doivent l’être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l’employeur ne réussit pas à démontrer qu’il s’agit d’une EPN. Une telle règle doit être distinguée d’une règle qui, neutre en apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s’applique. En pareil cas, le groupe des personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s’applique. Dans les faits, fréquemment, le « groupe » lésé se composera d’une seule personne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu’elle s’appliquera à tous sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l’employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir des contraintes excessives. [Non souligné dans l’original.]

Voici comment j’interprète la distinction : une règle constitue de la discrimination directe si son application entraîne toujours une distinction pour un motif illicite : tous ceux qui sont assujettis à la règle font partie d’une des catégories que le législateur cherche à protéger. Par ailleurs, une règle sera indirectement discriminatoire si seulement quelques-unes de ces applications ont un effet discriminatoire préjudiciable pour un motif prohibé.

À première vue, l’article 31 est tout à fait neutre, puisqu’il concrétise la simple règle, appuyée sur le sens commun, selon laquelle l’employé doit être capable d’exécuter au moins les fonctions minimales de son poste. L’employeur peut « renvoyer », c’est-à-dire refuser de continuer d’employer, une personne qui est incapable d’exercer les fonctions pour lesquelles elle a été embauchée. Mais l’incapacité n’est pas une déficience, puisqu’elle peut être attribuable à un certain nombre de motifs indépendants de l’état physique ou mental. L’employé peut être emprisonné ou détenu physiquement. Il peut avoir perdu son permis d’exercice ou ses qualifications professionnelles qui sont des conditions préalables pour l’exercice des fonctions de son poste (par exemple, le conducteur de camion qui perd son permis de conduire ou l’avocat qui est radié du Barreau). La règle ne constitue pas alors de la discrimination directe. Par contre, si la cause de l’incapacité de l’employée constitue un motif de distinction illicite, comme c’est le cas s’il s’agit d’une déficience, la règle deviendra un acte discriminatoire par suite d’un effet préjudiciable sur l’employé en question. L’employeur refuse de continuer d’employer cette personne en raison de la déficience.

Dans l’affaire Canada (Ministre de la Défense nationale) c. Mongrain[5], la Cour a été saisie d’une règle apparemment neutre qui était très semblable à celle qui est énoncée au paragraphe 31(1) : l’employeur exigeait que l’employé soit disponible pour travailler. Toutefois, l’application de cette règle apparemment neutre et sensée à une employée enceinte qui pouvait par ailleurs se prévaloir d’un congé de maternité sans solde a été jugée comme un acte discriminatoire par suite d’un effet préjudiciable en raison du sexe de la personne.

En outre, on ne règle rien en cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable en invoquant que la règle est dûment appliquée, parce que la règle elle-même n’est pas en litige en l’espèce. Par définition, une règle d’emploi neutre peut être appliquée à certains employés sans avoir d’effet discriminatoire. Toutefois, quand l’application en bonne et due forme de cette même règle a un effet préjudiciable sur certaines personnes ou sur certains groupes qui, selon le Parlement, ont besoin d’une protection spéciale, elle sera jugée discriminatoire et engendrera, de la part de l’employeur, une obligation d’accommodement à l’égard de la personne ou du groupe protégé[6].

Ce n’est pas parce que Mme MacNeill a avoué être incapable d’exécuter les fonctions de son poste qu’elle peut être victime de discrimination, comme le Comité d’appel semble l’avoir pensé, lorsqu’on a refusé de continuer à l’employer. En vertu de la LCDP, il ne s’agit pas de déterminer si elle est incapable d’exercer ses fonctions mais bien de voir si elle perd son emploi en raison de sa déficience et, le cas échéant, de décider si l’employeur a respecté son obligation d’accommodement. Le législateur n’exige pas de l’employeur qu’il embauche ou continue d’employer des personnes qui présentent une déficience; par contre, il l’oblige à déterminer si une modification appropriée du milieu de travail et qui ne cause pas de contraintes excessives pourrait permettre à ces personnes de faire leur travail. En l’espèce, il aurait été possible d’accommoder Mme MacNeill en essayant de lui trouver un autre emploi qu’elle était capable d’exercer. Comme je l’ai indiqué, le Comité d’appel a refusé même d’envisager cette question.

Voilà qui m’amène à la question principale que j’ai soulignée ci-dessus. Le Comité d’appel avait-il la compétence voulue pour entendre l’observation selon laquelle la recommandation de renvoi de l’employeur était contraire aux obligations de celui-ci en vertu de la LCDP?

Je signalerai d’abord que les exemples abondent dans la jurisprudence récente où les tribunaux ont jugé que des règles adoptées sous le régime d’autres lois ont été implicitement modifiées ou même abrogées par les dispositions législatives sur les droits de la personne : voir Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre[7]; Canada (Procureur général) c. Druken[8]; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne)[9]. Ce phénomène n’est pas surprenant compte tenu de la préséance reconnue aux textes législatifs en matière de droits de la personne et de l’intention expresse de la LCDP de « s’appliquer » à toutes les lois du Canada afin de proscrire les pratiques discriminatoires. Bien que ce fait n’élargisse pas en soi les pouvoirs des comités d’appel constitués en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, il constitue une partie importante du contexte dans lequel la question doit être étudiée.

Je préciserai en outre que la question soulevée dans le cadre du présent pourvoi tient uniquement à la compétence du Comité d’appel d’entendre des observations sur la conformité avec la LCDP. Une telle compétence n’implique ni n’exige un élargissement des pouvoirs du Comité d’appel d’accorder réparation. La LCDP contient ses propres mécanismes de redressement et rien dans ce texte législatif ne permet d’étendre le pouvoir d’un tribunal purement interne comme un comité d’appel pour que celui-ci puisse faire des choses qu’un tribunal des droits de la personne est autorisé à faire.

La décision déterminante sur la portée de l’enquête menée par le Comité d’appel est l’arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique[10], où le juge en chef Jackett a déclaré ce qui suit (aux pages 646 et 647) :

Qu’une personne soit compétente ou incompétente pour un poste est une question d’opinion; en l’absence de directives juridiques spéciales, tout ce qu’on peut légalement demander à ce sujet est que l’opinion ait été formée d’une manière honnête et que, au départ au moins, elle soit fondée sur l’observation par les supérieurs hiérarchiques de la personne dont la compétence est mise en question, de la façon dont cette dernière remplit ses fonctions. Dans des circonstances particulières, ces personnes peuvent utiliser des règles empiriques rudimentaires et toutes faites comme guide pour parvenir à l’opinion requise; mais à mon avis, en l’absence

a) de mauvaise application d’une directive légale ou juridique ou

b) de la preuve de mauvaise foi de la part de ceux dont les observations et le jugement sont en cause,

un comité de révision établi conformément à l’article 31 ne pourrait pas à bon droit décider qu’il ne doit donner aucune suite à une recommandation d’un sous-chef à moins qu’on ne lui ait soumis des documents pertinents, établissant effectivement que le sous-chef a eu tort d’estimer que l’employé en question était « incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ».

L’affaire Ahmad portait sur un renvoi pour incompétence plutôt que pour incapacité mais, à mon avis, l’expression « en l’absence de mauvaise application d’une directive légale ou juridique » permet virtuellement de trancher la question en l’espèce. Il est clair que le Comité d’appel a le pouvoir de déterminer si la Loi sur l’emploi dans la fonction publique a été respectée. De fait, une des principales préoccupations du Comité (et c’est le cas du comité constitué en vertu de l’article 21 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 16]) est le respect du principe du mérite enchâssé à l’article 10 [mod., idem, art. 10]. Comme nous l’avons vu, toutefois, la LCDP « étend » et modifie implicitement la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Par conséquent, une infraction présumée par l’employeur à une des dispositions de la LCDP régissant ses relations avec ses employés constitue une mauvaise application d’une directive légale. En outre, si cette infraction survient dans le cadre du processus menant à la recommandation du renvoi d’un employé, elle relève du champ de compétence du comité d’appel établi sous le régime de l’article 31.

Les décisions que peut prendre le comité d’appel dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 31 sont limitées : il peut accueillir ou rejeter l’appel tout simplement. Ces restrictions ont été établies par la Cour dans l’affaire R. c. Larsen[11]. Voici un passage des motifs du juge Pratte, J.C.A., qu’on retrouve aux pages 201 et 202, cités dans leur version française originale puisque la traduction anglaise est au mieux ambiguë et au pire trompeuse* :

La dernière phrase du paragraphe 31(3) réfère de façon indirecte aux décisions qu’un Comité d’appel est habilité à prendre :

La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l’enquête,

a) avertir le sous-chef en cause qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation, ou

b) nommer l’employé à un poste avec un traitement maximum inférieur ou le renvoyer,

selon ce qu’a décidé le comité.

En l’espèce, l’auteur de la décision attaquée a interprété ce texte comme lui conférant le pouvoir de rendre l’une ou l’autre de trois décisions :

1. ordonner qu’on ne donne pas suite à la recommandation,

2. ordonner qu’on nomme l’employé à un autre poste, ou

3. ordonner que l’employé soit renvoyé.

Cette interprétation ne doit pas, à mon avis, être retenue. La dernière phrase du paragraphe 31(3) ne décrit pas les décisions qu’un Comité peut rendre; elle prescrit plutôt ce que doit faire la Commission suite à la décision du Comité. Or, cette décision peut soit faire droit à l’appel, soit le rejeter. C’est à ces deux hypothèses que réfèrent les alinéas 31(3)a) et b). Si le Comité fait droit à l’appel, la Commission doit, suivant l’alinéa a) « avertir le sous-chef en cause qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation »; si le Comité rejette l’appel, la Commission doit alors, comme le dit l’alinéa b), donner suite à la recommandation faite par le sous-chef soit en renvoyant l’employé, soit en le nommant à un poste inférieur selon la nature de la recommandation. [Non souligné dans l’original.]

Par conséquent, si un comité d’appel en vient à la conclusion que la recommandation de renvoi serait contraire aux obligations de l’employeur en vertu de la LCDP, il n’a pas d’autres choix que de faire droit à l’appel. Il ne peut accorder aucun autre redressement. En particulier, il ne peut ordonner à l’employeur d’apporter des changements spécifiques au cadre de travail ou offrir à l’employé un poste différent. À mon avis, toutefois, et contrairement à l’opinion exprimée par le Comité d’appel en l’espèce, précitée, le fait qu’il ne peut envisager d’issues autres que le rejet ou l’accueil de la recommandation ne restreint pas la portée de l’enquête que le Comité est tenu d’effectuer. Comme nous l’avons déjà mentionné, cette enquête s’étend à toute infraction présumée de l’employeur à ses obligations légales en matière d’emploi qui peut être pertinente à l’égard de la recommandation de renvoi. Si le Comité d’appel estime qu’il y a eu infraction, la recommandation ne devrait pas être mise en œuvre.

Une telle issue me semble compatible avec le régime général de la LCDP, qui favorise de toute évidence le fait que des requérants épuisent tous les autres recours dont ils peuvent se prévaloir :

41. Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

C’est particulièrement le cas d’un comité d’appel constitué sous le régime de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, puisqu’il intervient nécessairement avant qu’aucune mesure définitive ne soit prise par l’employeur. Ainsi, lorsque le comité juge que la recommandation de renvoi serait contraire à la LCDP, il permettra l’appel et il n’y aura pas d’infraction. Toutefois, si le comité d’appel en vient à la conclusion opposée, l’employé pourrait encore porter plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne et, en temps opportun, saisir le tribunal des droits de la personne de la question. Le comité d’appel possède une compétence et un champ d’enquête limités; il ne peut par exemple assigner de témoins. Par contre, la procédure est simple et, dans bien des cas, fournira une réparation adéquate. C’est seulement dans les cas où elle ne peut le faire qu’il sera nécessaire de recourir à des procédures plus formelles devant un tribunal dont les pouvoirs d’enquête sont beaucoup plus vastes et qui peut accorder des redressements beaucoup plus larges.

J’en viens donc à la conclusion, à l’instar du juge de première instance, que le comité d’appel a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’entendre les observations fondées sur le non-respect de la LCDP par l’employeur.

Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : Il s’agit d’un appel contre un jugement rendu par la Section de première instance où la principale question en litige consistait à déterminer si un Comité d’appel de la fonction publique établi sous le régime de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP)[12] Cet article a été abrogé par L.C. 1992, ch. 54, art. 21. a la compétence nécessaire pour appliquer les dispositions relatives à l’emploi contenues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne[13] (LCDP) lorsqu’il est appelé à trancher l’appel interjeté contre une recommandation formulée par un administrateur général.

L’intimée est devenue physiquement incapable d’exercer ses fonctions de commis au soutien des paiements (CR-03) au ministère des Anciens combattants à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) par suite d’une entorse au cou, au haut du dos, à l’épaule et au côté qu’elle a subie au travail en avril 1989. Après avoir été en congé de maladie prolongé et réaffectée en vain à des postes assortis de responsabilités moins lourdes, l’intimée a convenu en avril 1992, avec son employeur, que la plupart des postes, voire la totalité, au sein du Ministère l’obligeaient à faire travailler les mêmes muscles que lorsqu’elle exerçait les fonctions de commis de soutien des paiements[14]. En mai 1992, Mme MacNeill est avisée que le Ministère donnait suite à une recommandation de renvoi fondée sur l’article 31 de la LEFP puisqu’il avait été déterminé qu’elle était incapable d’exercer les fonctions de son poste. L’intimée, qui travaillait pour le même employeur depuis plus de 17 ans, a contesté cette recommandation.

Étant donné que l’intimée a avoué elle-même qu’elle était physiquement incapable d’exercer la majeure partie, voire la totalité, des fonctions de son poste, le comité a confirmé la recommandation. Ce dernier était convaincu que le Ministère, en recommandant le renvoi de Mme MacNeill, n’avait pas agi de mauvaise foi et qu’il n’avait pas non plus fait preuve de discrimination envers elle (au sens où le terme « discrimination » est employé dans le contexte de la LCDP). Le Comité s’est toutefois prononcé clairement en ce qui concerne sa compétence[15] :

… Mme MacNeill aurait été victime de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je dois préciser que l’examen de cette question n’est pas de mon ressort. Il est possible, et M. MacDonald semble en être convaincu, qu’une ou plusieurs des mesures prises par le ministère aient constitué une forme de discrimination. Y a-t-il eu en fait discrimination? Ce n’est pas à moi d’en juger puisque cette question ne relève pas de ma compétence.

C’est cette question même de compétence que le juge de première instance, lors du contrôle judiciaire, a assimilé à une erreur de la part du Comité. Le juge était d’avis que la LCDP avait modifié la LEFP et que le Comité d’appel était tenu d’en appliquer les dispositions. Il a déclaré ce qui suit[16] :

Le Comité d’appel a une fonction d’examen aussi bien vis-à-vis de la conduite de l’administrateur général ayant abouti à la recommandation de renvoi visant la requérante que de la recommandation elle-même, afin de vérifier si une recommandation conforme à la loi a suivi des comportements, eux aussi, conformes à la loi. Si le membre du Comité avait tenu compte de la preuve de ce qui semblerait constituer, de la part de l’administrateur général, un certain effort en vue d’accommoder les fonctions du poste à l’incapacité physique de la requérante, ainsi que le prévoient les dispositions de la LCDP, il est probable que la Cour rejetterait la requête. Mais, le Comité a refusé de faire cela même qu’à juste titre lui demandait la requérante. C’est ce refus qui constitue une erreur justifiant examen. [Non souligné dans l’original.]

Comme il estimait que les capacités physiques qui permettent de remplir certaines fonctions constituent une EPJ, le juge de première instance a conclu comme suit après avoir examiné la jurisprudence [aux pages 605 et 606] :

… le fait de lui imposer une description de poste qui n’est pas manifestement discriminatoire, ou l’exécution de certaines tâches physiques essentielles qui ne le sont pas non plus, doit clairement être considéré comme une EPJ en même temps qu’il faut y voir une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, selon la définition reconnue. Il ne s’agit donc pas de conclure ici à l’existence d’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable concomitant à l’existence d’une EPJ. En l’espèce, c’est l’EPJ qui constitue elle-même une discrimination par suite d’un effet préjudiciable selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada. Cela étant, la Cour va élargir le champ de la Loi et de la LCDP afin de tenir compte du droit qu’a la requérante de voir sa cause tranchée par un comité d’appel de la fonction publique puisque, selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada, la LCDP s’applique à son administrateur général.

L’appelant admet sans discussion que l’administrateur général est tenu d’appliquer la LCDP puisque celle-ci lie Sa Majesté[17]. Elle prétend, toutefois, que le juge de première instance a commis une erreur de droit, compte tenu de la compétence limitée du Comité d’appel[18] et du fait que l’article 31 de la LEFP constitue une discrimination directe, de sorte qu’il n’existe aucune obligation d’accommodement de la part de l’employeur.

L’intimée prétend que le point de départ, eu égard à la compétence du Comité, est la décision rendue par la présente Cour dans l’affaire Ahmad c. La Commission de la Fonction publique[19], où il a été établi que :

… en l’absence

a) de mauvaise application d’une directive légale ou juridique ou

b) de la preuve de mauvaise foi de la part de ceux dont les observations et le jugement sont en cause,

un comité de révision établi conformément à l’article 31 ne pourrait pas à bon droit décider qu’il ne doit donner aucune suite à une recommandation d’un sous-chef à moins qu’on ne lui ait soumis des documents pertinents, établissant effectivement que le sous-chef a eu tort d’estimer que l’employé en question était « incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ».

L’intimée nous invite à donner un sens large aux termes « directive légale ou juridique », puisque la LCDP, selon la Cour suprême, est une loi qui « n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais [qu’]elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire[20] ». Toujours selon l’intimée, la LCDP doit prévaloir s’il y a conflit entre elle et une autre loi particulière, à moins qu’une exception ne soit créée[21]. Par conséquent, les dispositions en matière de droits de la personne qui sont postérieures à une autre mesure législative avec laquelle elles sont incompatibles abrogent de façon implicite cette dernière[22]. L’intimée allègue que la règle relative aux capacités d’exercer les fonctions d’un poste qui est établie à l’article 31 de la LEFP est d’apparence neutre et ne constitue pas une discrimination directe fondée sur un motif prohibé. Cette règle devient cependant discriminatoire lorsqu’elle est appliquée aux gens qui, comme Mme MacNeill, sont atteints d’une affection invalidante, du moins dans la mesure où cette affection les empêche de satisfaire aux exigences imposées par cette règle. Comme il s’agit alors de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, l’employeur est assujetti à un devoir d’accommodement, et le juge de première instance a tranché de façon appropriée.

On ne peut réfuter le bien-fondé de l’interprétation de la LEFP à la lumière de la LCDP. À cet égard, soulignons que l’article 12 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 11] de la LEFP, qu’on retrouve à la partie II intitulée « Nomination », interdit expressément à la Commission de faire intervenir des distinctions fondées sur des motifs analogues aux motifs énoncés dans la LCDP lorsqu’elle prescrit ou applique des normes de sélection. Cependant, la partie III, intitulée « Emploi », où se trouve l’article 31 de la LEFP, ne mentionne pas de mesures visant à contrer la discrimination. Néanmoins, les deux parties conviennent que ces deux textes législatifs ne peuvent être interprétés indépendamment l’un de l’autre.

Cela étant, je dois déterminer si l’article 31 de la LEFP est incompatible avec la LCDP et si cette dernière a modifié ou abrogé d’une façon quelconque l’article 31 de la LEFP.

Le paragraphe 31(1) de la LEFP traite de deux notions distinctes, soit l’incompétence et l’incapacité :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire. [Non souligné dans l’original.]

Ces deux notions sont libellées en termes généraux et sont liées au rendement exigé pour un emploi. Dans l’affaire Clare, le juge Robertson, J.C.A., statue ainsi[23] :

À l’article 31, il est question d’une personne qui est soit « incompétent[e] dans l’exercice des fonctions de son poste », soit « incapable de remplir ces fonctions » (voir l’arrêt Snaauw c. Le Comité d’appel de la Commission de la Fonction publique, [1980] 1 C.F. 78 (C.A.), aux pages 82 et 83, où cette distinction est soulevée). Dans cet article, les mots « incompétent » et « incapable » n’ont pas nécessairement le même sens que celui que leur donne le requérant. À mon avis, aux fins de l’article 31, il faut se demander si un employé a fait défaut de remplir les normes de rendement voulues au travail, et non pas se demander pourquoi il ne les a pas remplies, comme le voudrait le requérant. [Non souligné dans l’original.]

Par la suite, le juge Robertson établit une certaine distinction entre « incompétence » et « incapacité »[24] :

À mon avis, l’employé « incapable » s’entend de l’employé qui est empêché de remplir ses fonctions, si bien qu’il est impossible, aux fins d’évaluer son rendement, de parler d’incompétence, c’est-à-dire le défaut de remplir une norme objective. La notion d’« incapacité » conviendrait dans le cas d’un employé qui n’est plus physiquement apte à remplir ses fonctions de travail. Cependant, indépendamment des motifs pour lesquels l’employé ne remplit pas ses fonctions, un employeur aurait le droit de le renvoyer. [Non souligné dans l’original.]

L’article 7 de la LCDP[25] mentionne de façon générale un « motif de distinction illicite » et doit être interprété à la lumière de l’article 3 qui énumère les motifs de distinction illicite, dont la « déficience ». Ce terme est défini plus en détail à l’article 25 de la LCDP :

25. …

« déficience » Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

L’alinéa 15a) de la LCDP établit l’exception suivante :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées.

La distinction est ténue entre les termes « incapable », « incapacité », « déficient » et « déficience », « invalide » et « invalidité ». Ils devraient, selon moi, être considérés apparentés, peut-être même synonymes[26].

Par « incapacité » on entend plus qu’une incapacité physique. Ce terme peut désigner l’incapacité mentale ou même l’incapacité juridique. L’article 31 de la LEFP, d’après moi, n’est pas d’apparence « neutre ». Il dispose en effet qu’un employé « incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste » ou « incapable de remplir ses fonctions » peut être renvoyé ou rétrogradé. L’article 31 est à première vue discriminatoire, mais pas toujours en fonction d’un motif illicite. L’incapacité ou l’inhabilité juridique ne constitue pas un motif de distinction illicite. Aucun litige ne surgit donc alors. À un moment donné, toutefois, l’incapacité (mentale ou physique) se transforme en un motif de distinction illicite lorsqu’elle devient une déficience. L’article 31 de la LEFP ressortirait alors ainsi : « Les personnes incompétentes ou incapables ne sont pas censées conserver leur poste si la compétence ou la capacité est nécessaire pour accomplir les fonctions inhérentes à ce poste ».

Ainsi libellée, cette règle constitue-t-elle une discrimination directe ou une discrimination par suite d’un effet préjudiciable?

Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres[27], le juge McIntyre a établi les critères suivants :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu’on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable en matière d’emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu’un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, « Ici, on n’embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir ». En l’espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D’autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Essentiellement pour les mêmes raisons qui sous-tendent la conclusion que l’intention d’établir une distinction n’est pas un élément nécessaire de la discrimination proscrite par le Code, je suis d’avis que cette Cour peut considérer que la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, décrite dans les présents motifs, contrevient au Code. Une condition d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer.

Dans l’affaire Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)[28], le juge Wilson explique ce qui suit :

En matière d’emploi, la discrimination directe consiste essentiellement à formuler une règle qui fait une généralisation quant à l’aptitude d’une personne à remplir un poste selon son appartenance à un groupe dont les membres partagent un attribut personnel commun, tel l’âge, le sexe, la religion, etc.

En résumé, une règle qui dit « ici on n’embauche aucun catholique » constitue de la discrimination directe. La politique d’embauche adoptée par une municipalité pour prévenir le népotisme, et qui exclut les conjoints et les membres de la famille des employés municipaux et des conseils municipaux à temps plein d’un emploi au sein de la municipalité[29], représente aussi une forme de discrimination directe[30]. Une règle qui oblige la présence au travail « le lundi, sauf en cas de maladie ou autre situation d’urgence, l’obligation religieuse n’étant pas considérée comme une situation d’urgence aux fins de cette règle[31] » ou une règle qui exige que les employés travaillent le vendredi soir et le samedi comme condition d’emploi[32] constituent des formes de discrimination par suite d’un effet préjudiciable puisqu’elles sont neutres à première vue mais qu’elles ont une incidence « préjudiciable » sur les employés dont la religion impose l’observance de certains préceptes ces jours-là.

L’article 31 en l’occurrence permet à l’administrateur général de renvoyer ou de rétrograder une personne qui est physiquement incapable d’exercer les fonctions de son poste. Il contient donc à première vue un élément de discrimination, soit la déficience physique. Il s’agit d’une règle que l’employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, qui n’est manifestement pas neutre et touche tous les employés de la même façon en ayant pour résultat d’éliminer immédiatement certains d’entre eux. La discrimination est directe : il n’est pas question ici d’une règle neutre qui semble viser tous les employés mais qui a un effet préjudiciable sur un employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Appliquée à l’affaire qui nous occupe ici, la règle est la suivante : « Quiconque est physiquement incapable d’exercer ses fonctions ne peut conserver son poste ». Dans le cadre du processus d’embauche plutôt que du renvoi, la règle devient « Quiconque est physiquement incapable d’exercer les fonctions demandées doit s’abstenir de postuler ». L’exigence de base est donc liée à la capacité physique. Pourrait-on dire alors que l’administrateur général qui a besoin, pour un poste de secrétaire, d’une personne qui possède les qualités physiques voulues pour dactylographier contrevient à la LCDP en refusant d’embaucher un candidat qui est incapable de le faire? Ou encore, n’aurait-il pas la possibilité de refuser d’embaucher, pour un poste de pompier, une personne qui est clouée dans un fauteuil roulant? Le bon sens nous oblige à répondre par la négative à ces deux questions.

Je dois maintenant déterminer si l’article 31 de la LEFP est une EPJ, ce qui, d’après l’article 15 de la LCDP, ne constitue pas une pratique discriminatoire.

Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke[33], le juge McIntyre explique ce que désigne une QPN [ou QPJ] (ou une EPN ou EPJ)[34] :

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Selon les propos du juge Wilson dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), lorsqu’il existe une EPJ, l’employeur n’a aucune obligation d’accommodement[35] :

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d’obligation d’accommodement à l’égard des membres individuels du groupe puisque, comme l’a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l’égard des membres d’un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu’elles puissent être justifiées, c’est dans leur application générale qu’elles doivent l’être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l’employeur ne réussit pas à démontrer qu’il s’agit d’une EPN. Une telle règle doit être distinguée d’une règle qui, neutre en apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s’applique. En pareil cas, tout le groupe des personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s’applique. Dans les faits, fréquemment, le « groupe » lésé se composera d’une seule personne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu’elle s’appliquera à tous sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l’employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir des contraintes excessives. Dans l’arrêt O’Malley, le juge McIntyre met en lumière les conséquences différentes que comportent une conclusion à la discrimination directe ou une conclusion à la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Voici comment il s’exprime à la p. 555 :

L’obligation dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou sur la croyance, consiste à prendre les mesures raisonnables pour s’entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive : en d’autres mots, il s’agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s’entendre sans que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose des frais excessifs. Les cas comme celui-ci soulèvent une question très différente de celle que soulèvent les cas de discrimination directe. Lorsqu’on démontre l’existence de discrimination directe, l’employeur doit justifier la règle, si cela est possible en vertu de la loi en cause, sinon elle est annulée. Lorsqu’il y a discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessairement annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c’est son effet sur eux plutôt que sur l’ensemble des employés qui doit être examiné. Dans un tel cas, le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l’emploi n’a besoin d’aucune justification; ce qui est requis est une certaine mesure d’accommodement. L’employeur doit, à cette fin, prendre des mesures raisonnables qui seront susceptibles ou non de réaliser le plein accommodement. Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d’atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l’absence de concessions de sa propre part, comme l’acceptation en l’espèce d’un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi. [Je souligne.]

Elle poursuit plus loin[36] :

Il en résulte finalement que, lorsqu’une règle crée une discrimination directe, elle ne peut être justifiée que par une exception légale équivalente à une EPN, c’est-à-dire un moyen de défense qui envisage la règle dans sa totalité. (Je souligne au passage que les codes de droit de la personne au Canada contiennent tous une disposition d’exception fondée sur l’EPN.) Par contre, lorsqu’une règle crée une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, il convient de confirmer la validité de cette règle dans son application générale et de se demander si l’employeur aurait pu composer avec l’employé lésé sans subir des contraintes excessives.

L’article 31 de la LEFP, appliqué à l’espèce, contient en soit l’énoncé d’une EPJ qui est parfaitement compatible avec la LCDP. Il prévoit que les qualités physiques doivent être reliées au rendement dans l’exercice des fonctions d’un poste. En outre, selon l’interprétation qui est donnée de cet article dans l’arrêt Ahmad, il exige que l’administrateur général ne montre aucune mauvaise foi et qu’il respecte une « directive légale ou juridique ». L’article 31 répond aussi bien aux critères objectifs que subjectifs établis dans Etobicoke. Il s’inscrit parfaitement dans les dispositions de l’alinéa 15a) de la LCDP. L’employeur n’a par conséquent aucune obligation d’accommodement.

L’article 31 de la LEFP n’est pas incompatible avec la LCDP. Il n’est pas non plus modifié par cette dernière. Les pouvoirs du Comité d’appel demeurent donc intouchés.

Pour ces motifs, j’accueille l’appel avec dépens, j’annule le jugement de la Section de première instance et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. (concourant quant au résultat) : Le présent pourvoi soulève deux questions. Il s’agit d’abord de déterminer si un Comité d’appel établi sous le régime de l’alinéa 5d) [maintenant abrogé par L.C. 1992, ch. 54, art. 4] de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la « LEFP ») la compétence nécessaire pour appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »). Le cas échéant, on nous a demandé de décider si l’application de l’article 31 de la LEFP à une personne incapable d’exécuter les fonctions de son poste en raison d’une déficience constitue de la discrimination indirecte ou par suite d’un effet préjudiciable, ce qui obligerait l’employeur de respecter son obligation d’accommodement. J’ai eu l’avantage indéniable de lire le projet de motifs des juges Hugessen et Desjardins. Bien que je souscrive à la décision rendue par cette dernière dans le présent appel, mon raisonnement suit une voie différente. En toute déférence, je suis d’avis que le Comité d’appel n’a pas le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions relatives à l’emploi que contient la LCDP.

Le Comité d’appel, à l’instar de tous les tribunaux administratifs, est un organisme créé par le législateur qui n’a aucun pouvoir inhérent. Il peut trancher une question à la seule condition que le Parlement ait expressément ou implicitement conféré au comité un pouvoir à l’égard des parties, du sujet du litige ou de la réparation envisagée. Ce principe général a été clairement établi par le juge La Forest dans Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, à la page 14 :

Il est essentiel de se rendre compte que le par. 52(1) ne fournit pas aux tribunaux administratifs une source distincte de compétence à l’égard des questions constitutionnelles. En effet le par. 52(1), s’il affirme de sa façon explicite la primauté de la Constitution, reste silencieux sur la question de compétence comme telle. En d’autres termes, le par. 52(1) ne précise pas les organismes qui peuvent étudier les questions relatives à la Charte et statuer à leur égard, et on ne peut dire qu’ils confèrent compétence aux tribunaux administratifs. La compétence du tribunal, doit plutôt lui avoir été conférée expressément ou implicitement par sa loi constitutive ou autrement. Ce principe fondamental demeure, quelle que soit la nature de la question dont est saisi le tribunal administratif. [Non souligné dans l’original.]

Le fait que la Cour suprême ait analysé la compétence de la Commission des relations de travail afin de déterminer si celle-ci pouvait statuer sur la validité de sa loi constitutive ne nous empêche pas d’appliquer la règle générale à l’affaire dont nous sommes saisis ici. L’arrêt Cuddy Chicks, précité, n’est qu’un exemple d’une longue série d’arrêts qui nous enjoint à déterminer si un tribunal administratif possède la compétence voulue pour trancher l’ensemble d’une question dont il est saisi : voir également Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.), par le juge Stone, J.C.A., aux pages 728 à 730; et Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.).

En l’espèce, il ne fait aucun doute que le Comité d’appel a compétence à l’égard des parties. La question qui surgit immédiatement consiste à déterminer s’il a compétence sur l’objet et la réparation. C’est d’abord à l’aide de l’article 31 de la LEFP qu’on peut chercher une réponse déterminante, puisque cet article énonce les pouvoirs du Comité d’appel. En voici les dispositions pertinentes :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.

(2) Dans le délai imparti par la Commission après réception de l’avis mentionné au paragraphe (1), le fonctionnaire peut faire appel de la recommandation de l’administrateur général devant un comité chargé par la Commission de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

(3) Après notification de la décision du comité, la Commission, en fonction de cette dernière :

a) avertit l’administrateur général qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation;

b) rétrograde ou renvoie le fonctionnaire

Une décision concernant la capacité ou la compétence d’un fonctionnaire entre donc clairement dans le champ de compétence du Comité d’appel, même si l’employé prétend que la recommandation de l’administrateur général visant son renvoi est fondée sur un motif discriminatoire comme la race. Cette question peut être tranchée de façon autonome sans que le Comité d’appel ait à décider, sauf par voie de conséquence, si l’employé est victime de discrimination : voir Pitawanakwat c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4825 (C.A.F.); et Burke c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 9 C.H.R.R. D/4824 (C.A.F.). Par contre, l’objet du litige porté devant le Comité d’appel touche à l’interprétation et l’application des dispositions de la LCDP relatives à l’emploi lorsqu’il s’agit d’entériner ou non la recommandation de l’administrateur général fondée sur l’article 31 de la LEFP. En cas de discrimination indirecte, le Comité devrait déterminer légalement les limites de l’accommodement et des contraintes excessives. Il ne fait aucun doute que ces déterminations dépassent les termes de la LEFP.

Par ailleurs, la réparation demandée par l’intimée, soit l’accommodement, force le Comité d’appel à aller au-delà de l’article 31 de la LEFP. Cet article confère à l’administrateur général de chaque division de la fonction publique le pouvoir de recommander à la Commission le renvoi ou la rétrogradation (mutation à un poste assorti d’un plafond salarial plus bas) d’un employé pour incapacité ou incompétence. Lorsqu’il recommande le renvoi, l’administrateur général n’est pas tenu par le législateur d’envisager la possibilité de rétrograder l’employé; voir Le procureur général du Canada c. Loiselle, [1981] 2 C.F. 203 (C.A.), aux pages 204 et 205. Une fois que la recommandation de renvoi est transmise à la Commission, l’employé peut interjeter appel de cette recommandation au Comité d’appel, qui accueille ou rejette la demande. Ces deux options constituent le mandat du Comité d’appel.

Aucune disposition de la LEFP n’autorise expressément le Comité d’appel à accorder la réparation demandée par l’intimée, soit l’accommodement. Je répète que le Comité d’appel ne peut qu’accueillir ou rejeter l’appel d’une recommandation formulée par l’administrateur général. Il ne peut même pas remplacer une décision de renvoi par une mutation; voir R. c. Larsen, [1981] 2 C.F. 199 (C.A.), aux pages 201 et 202. Cette limite est imposée pour des raisons d’ordre pratique : puisque la Commission ne peut créer de postes de sa propre initiative, la décision de muter plutôt que de renvoyer un employé pourrait avoir l’effet de retenir un employé incompétent à son poste jusqu’à ce qu’un nouveau poste soit disponible. Or, l’avocat de l’intimée a reconnu dans son argumentation orale que l’obligation d’accommodement pourrait, en l’espèce, exiger la création d’un poste pour Mme MacNeill. (Je présume que cet argument visait à contrer le fait que l’intimée n’a été renvoyée qu’après trois ans de tentatives infructueuses visant à la muter à des postes assortis de fonctions moins lourdes.) Cette réparation dépasse clairement les pouvoirs du Comité d’appel.

D’après les arguments présentés par l’intimée, le Comité d’appel devrait accueillir son appel au motif que l’employeur n’a pas prouvé qu’il avait respecté son devoir d’accommodement en deçà des contraintes excessives. Il serait alors possible de recommander encore le renvoi de l’intimée si elle continuait d’être incapable d’exercer ses fonctions. Si le Parlement avait voulu que le Comité d’appel puisse examiner la question des contraintes excessives, il serait raisonnable de croire qu’il aurait conféré au Comité d’appel les pouvoirs nécessaires pour appliquer alors directement sa décision. La méthode indirecte d’accommodement proposée par l’intimée me semble excéder grandement l’intention du Parlement à ce sujet. L’intimée tente d’obtenir une injonction interlocutoire qui resterait en vigueur jusqu’à ce que la Commission canadienne des droits de la personne ait apporté une solution appropriée à l’affaire. Comme l’intimée n’a aucunement l’obligation de porter le dossier devant la Commission des droits de la personne, sa position serait presque intouchable.

On ne m’a pas cité de disposition de la LEFP qui conférerait implicitement au Comité d’appel le pouvoir d’appliquer la LCDP. Le texte de loi que nous sommes appelés à examiner est radicalement différent de celui qui faisait l’objet de l’arrêt Cuddy Chicks, précité, qui habilitait expressément la Commission des relations de travail à trancher des questions de droit ainsi que des questions de droit et de faits relatives à sa propre compétence. Les articles 106 et 124 de la Loi sur les relations du travail, L.R.O. 1980, ch. 228, prévoient en effet ce qui suit :

106 (1) La Commission a compétence exclusive pour exercer les pouvoirs que lui confère la présente loi ou qui lui sont conférés en vertu de celle-ci et trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise. Ses décisions ont force de chose jugée. Toutefois, la Commission peut à l’occasion, si elle estime que la mesure est opportune, réviser, modifier ou annuler ses propres décisions, ordonnances, directives ou déclarations.

124 (1) Malgré les dispositions de la convention collective portant sur le règlement des griefs et sur l’arbitrage ou qui sont réputées y être incluses en vertu de l’article 44, la partie à une convention collective entre un employeur ou une association patronale et le syndicat ou le conseil de syndicats, peut soumettre à la Commission un grief portant sur l’interprétation, l’application ou une prétendue inexécution de la convention, y compris la question de savoir s’il y a matière à arbitrage. La décision de la Commission a force de chose jugée. [Non souligné dans l’original.]

Il n’existe aucune disposition équivalente dans la LEFP. La seule autre disposition liée indirectement à notre analyse est l’alinéa 5d), qui habilite simplement la Commission de la fonction publique à établir un comité d’appel. La LEFP ne précise même pas si le membre unique du comité d’appel doit être un fonctionnaire.

À mon avis, une décision de la Cour peut être appliquée directement aux faits de l’espèce. Dans l’affaire Viola, précitée, la Cour a dû déterminer si un comité d’appel, établi afin de décider si un candidat respectait les conditions d’un poste dans la fonction publique, avait la compétence nécessaire pour établir que ces conditions d’emploi étaient ou non conformes à la Loi sur les langues officielles de 1988 [L.C. 1988, ch. 38]. Celle-ci, à l’instar de la LCDP, est considérée comme un texte législatif quasi constitutionnel.

Statuant pour la Cour, le comité d’appel n’avait pas compétence en vertu de l’article 21 de la LEFP afin de déterminer si les conditions d’emploi étaient ou non conformes à la Loi sur les langues officielles de 1988, le juge Décary, J.C.A., s’exprime ainsi aux pages 387 et 388 :

La consécration constitutionnelle de droits linguistiques et leur prolongement quasi-constitutionnel, nuancés par l’appel à la prudence lancé aux tribunaux par la Cour suprême, n’emportent pas pour autant, à moins d’indications précises en ce sens, une modification des compétences des tribunaux appelés à interpréter et à appliquer ces droits. De même que la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas en elle-même source de compétences nouvelles, de même la Loi sur les langues officielles de 1988 n’établit pas de compétences nouvelles autres que celles, dévolues au commissaire aux langues officielles et à la Section de première instance de la Cour fédérale, qu’elle établit expressément. Ainsi, comme en l’espèce, ce n’est pas parce que le Ministère se serait vu imposer des obligations légales plus précises que par le passé lorsque vient le temps d’établir les exigences linguistiques d’un poste, qu’un comité d’appel acquerrait du fait même une compétence qui lui avait jusque-là échappée. À moins qu’on ne trouve dans la Loi elle-même une indication de l’intention du Parlement de confier au comité d’appel une compétence nouvelle relativement au droit de gérance du ministère, le comité d’appel devra se résigner à continuer à jouer le rôle qui jusqu’ici lui était dévolu et à laisser d’autres instances le soin de décider si, dans un cas donné, un ministère s’est conformé aux dispositions de la Loi sur les langues officielles de 1988. [Non souligné dans l’original.]

C’est dans une décision de la Cour qu’on retrouve la base présumée de la compétence implicite du Comité d’appel aux fins de l’application de la LCDP, soit Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.). Aux pages 646 et 647 de cette affaire, le juge en chef Jackett déclare ce qui suit :

Qu’une personne soit compétente ou incompétente pour un poste est une question d’opinion; en l’absence de directives juridiques spéciales, tout ce qu’on peut légalement demander à ce sujet est que l’opinion ait été formée d’une manière honnête et que, au départ au moins, elle soit fondée sur l’observation par les supérieurs hiérarchiques de la personne dont la compétence est mise en question, de la façon dont cette dernière remplit ses fonctions. Dans des circonstances particulières, ces personnes peuvent utiliser des règles empiriques rudimentaires et toutes faites comme guide pour parvenir à l’opinion requise; mais à mon avis, en l’absence

a) de mauvaise application d’une directive légale ou juridique ou

b) de la preuve de mauvaise foi de la part de ceux dont les observations et le jugement sont en cause,

un comité de révision établi conformément à l’article 31 ne pourra à bon droit décider qu’il ne doit donner aucune suite à une recommandation d’un sous-chef à moins qu’on ne lui ait soumis des documents pertinents, établissant effectivement que le sous-chef a eu tort d’estimer que l’employé en question était « incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ». [Non souligné dans l’original.]

Les parties prétendent que la LCDP et son interprétation par les tribunaux constituent une « directive légale » que le Comité d’appel doit appliquer afin de respecter le mandat qui lui est conféré par le législateur en vertu de l’article 31. En toute déférence, je ne crois pas que le raisonnement de la Cour dans l’affaire Ahmad, précitée, étende la compétence du Comité d’appel au-delà de son mandat légal. La « directive légale » dont il est question dans l’arrêt Ahmad désigne une simple règle d’application générale. Par exemple, dans Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444 (C.A.), la Cour a imposé aux employeurs le devoir de donner un avis suffisant du rendement insatisfaisant de l’employé avant de recommander le renvoi. De même, dans Clare c. Canada (Procureur général), [1993] 1 C.F. 641 (C.A.), il a été décidé qu’un employeur, qui avait mis en œuvre un programme de counselling destiné aux employés, est obligé d’envoyer cet employé en consultation à la demande de celui-ci avant son renvoi. Ces règles constituent des conditions préalables qui doivent être respectées avant que l’administrateur général puisse recommander le renvoi de l’employé. Elles représentent une « directive légale » que le Comité d’appel doit appliquer afin de respecter le mandat qui lui est conféré par l’article 31 de la LEFP.

Par contre, l’interprétation et l’application de la LCDP est complexe. Ce texte législatif ne crée pas de simples « directives légales » sauf, bien évidemment, celles par lesquelles l’administrateur général est lié. Par exemple, celui-ci est enjoint de ne pas faire de discrimination à l’encontre d’un employé lorsqu’il formule une recommandation destinée au Comité d’appel. Toutefois, le fait de déterminer si une pratique donnée constitue une discrimination directe ou indirecte ne s’assimile pas à une « directive légale ». Les opinions divergentes de notre Cour et de la Cour suprême à l’égard de la définition des effets de la discrimination directe et indirecte mettent en lumière la complexité et le caractère insaisissable de ces concepts.

On demande à la Cour d’appliquer les dispositions de la LCDP et de déclarer l’intimée victime de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Cette détermination pourrait aisément être reformulée comme une directive légale, soit que la recommandation de renvoyer une personne invalide conformément à l’article 31 de la LEFP en raison de son incapacité constitue une discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Cette approche me semble en toute déférence gravement incompatible avec l’intention de l’arrêt Ahmad, précité, et laisse complètement de côté la question de première importance dont nous sommes saisis, c’est-à-dire déterminer si le Parlement entendait conférer au Comité d’appel la compétence voulue pour appliquer la LCDP. C’est le rôle du Parlement, et non pas des tribunaux, d’accorder une compétence aux tribunaux créés par le législateur.

Essentiellement, l’intimée adopte la position selon laquelle le Comité d’appel devrait avoir le pouvoir d’appliquer la LCDP comme politique. L’avocat de l’intimée a admis en toute franchise qu’il était réticent à soumettre la question à la Commission canadienne des droits de la personne en raison des longs délais dans le traitement des plaintes. Je comprends la frustration de l’intimée : on pourrait croire en l’occurrence qu’un retard représente vraiment un déni de justice. Toutefois, l’inefficacité du système ne peut en soi conférer à un tribunal administratif une compétence qui n’est pas expressément ni implicitement autorisée par le Parlement. Certains motifs d’ordre pratique militent aussi contre l’élargissement de la compétence du Comité d’appel.

Le tribunal des droits de la personne possède de vastes pouvoirs d’accueillir et de rechercher des éléments de preuve, y compris des renseignements ou des preuves qui ne seraient pas admissibles devant un tribunal judiciaire (voir le paragraphe 50(2) de la LCDP). Ce pouvoir est vital pour déceler des pratiques et des politiques discriminatoires subtiles. En revanche, le Comité d’appel ne jouit pas de tels pouvoirs, ce qui pourrait entraîner une anomalie, soit que les allégations de discrimination présentées à un tribunal des droits de la personne pourraient plus facilement être fructueuses que celles qui font l’objet d’une enquête à la lumière de l’article 31 de la LEFP. Ce risque montre bien que l’octroi, au Comité d’appel, de la compétence d’appliquer la LCDP éliminerait la nécessité de procédures multiples; à ce sujet, voir Pitawanakwat, précité, et Burke, précité.

Pour ces motifs, je suis d’avis que le Comité d’appel ne possède pas la compétence voulue pour appliquer la LCDP. Le Parlement n’a pas conféré au Comité d’appel la compétence expresse d’interpréter des textes législatifs, et encore moins d’examiner l’objet ou la réparation dont nous sommes saisis. Son rôle est limité à trancher les faits : l’employé est-il incompétent ou incapable? La recommandation de l’administrateur général a-t-elle été formulée de bonne foi? Les conditions préalables d’une telle décision ont-elles été respectées? Il n’existe pas non plus de politiques ou de raisons pratiques déterminantes qui appuient l’existence d’une compétence implicite qui permettrait au Comité d’appel de prendre la LCDP en considération. Comme j’estime que le Comité d’appel n’a pas le pouvoir voulu, il n’est pas nécessaire de trancher les autres questions considérées par mes collègues.

Pour ces motifs, je trancherai le pourvoi de la même façon que ma collègue, le juge Desjardins, J.C.A.



[1] L.R.C. (1985), ch. P-33.

[2] L.R.C. (1985), ch. H-6.

Voici le texte de l’article 7 :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

La « déficience » figure au paragraphe 3(1) à titre de motif de distinction illicite.

[3] [1985] 2 R.C.S. 536.

[4] [1990] 2 R.C.S. 489.

[5] [1992] 1 C.F. 472 (C.A.).

[6] Notons en passant qu’il existe une distinction, subtile au point d’être invisible, entre l’obligation d’accommodement dans le cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable et l’obligation d’effectuer des examens individuels qui devra souvent être satisfaite pour que l’employeur puisse invoquer sa bonne foi et l’existence d’une exigence professionnelle justifiée lorsque la règle est directement discriminatoire : voir Wardair Canada Inc. c. Cremona et Commission canadienne des droits de la personne (1992), 146 N.R. 69 (C.A.F.). Cette distinction est sans conséquence ici puisque nous faisons face à une discrimination par suite d’un effet préjudiciable et qu’aucune défense s’appuyant sur une EPJ n’est possible.

[7] [1982] 2 R.C.S. 145.

[8] [1989] 2 C.F. 24 (C.A.).

[9] [1992] 2 R.C.S. 321.

[10] [1974] 2 C.F. 644 (C.A.).

[11] [1981] 2 C.F. 199 (C.A.).

* The last phrase of subsection 31(3) refers indirectly to the decisions that an appeal board is authorized to make :

… upon being notified of the board’s decision on the inquiry the Commission shall,

(a) notify the deputy head concerned that his recommendation will not be acted upon, or

(b) appoint the employee to a position at a lower maximum rate of pay, or release the employee,

accordingly as the decision of the board requires.

In the case at bar the maker of the decision a quo interpreted this as conferring on it the authority to render one of three decisions :

1. to order that the recommendation not be acted upon,

2. to order that the employee be appointed to another position, or

3. to order that the employee be released.

This interpretation should not, in my opinion, be upheld. The last phrase in subsection 31(3) does not describe the decisions a board may render; rather it sets forth what must be done by the Commission following a decision of the board. It may either allow the appeal or dismiss it. These are the two possibilities to which paragraphs 31(3)(a) and (b) refer. If the board allows the appeal, the Commission must, according to paragraph 9(a), [cad170]notify the deputy head concerned that his recommendation will not be acted upon[cad186]; if the board dismissed the appeal, the Commission must then, as stated in paragraph (b), act upon the recommendation made by the deputy head, either by releasing the employee, or by appointing him to a lower position, depending on the nature of the recommendation. [Non souligné dans l’original.]

[12] L.R.C. (1985), ch. P-33.

[13] L.R.C. (1985), ch. H-6.

[14] Mémoire d’appel, à la p. 60.

[15] À la p. 301.

[16] À la p. 604.

[17] Art. 66 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[18] R. c. Larsen, [1981] 2 C.F. 199 (C.A.); Le procureur général du Canada c. Loiselle, [1981] 2 C.F. 203 (C.A.).

[19] [1974] 2 C.F. 644 (C.A.), à la p. 647. Bien que l’arrêt Ahmad ait porté sur l’incompétence plutôt que sur l’incapacité, il est appliqué à tous les appels fondés sur l’art. 31 de la LEFP.

[20] Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 547.

[21] Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, à la p. 156.

[22] Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.), à la p. 31.

[23] Clare c. Canada (Procureur général), [1993] 1 C.F. 641 (C.A.), à la p. 654. Voir également Niles c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1992), 94 D.L.R. (4th) 33 (C.A.F.), à la p. 45. Dans cette dernière décision, une politique du CN en matière d’alcoolisme (Policy and Authority on Problem Drinking and Alcoholism) énonçait ce qui suit :

4. Exiger de l’employé concerné qu’il se soumette à certaines conditions liées au programme de réadaptation. Si l’employé refuse de collaborer, ou si le traitement médical et d’autres mesures échouent, il faut alors envisager de le congédier si son rendement ne cesse de se dégrader. Cette mesure s’avérerait nécessaire, dans ce cas comme dans d’autres, parce que l’employé ne satisferait pas aux normes minimales de rendement.

La Cour a déterminé qu’il s’agissait en l’espèce de discrimination par suite d’un effet préjudiciable.

[24] Clare, à la p. 655.

[25] 7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu.

[26] Voir Le Petit Robert, éditions Le Robert (1987) :

Incapable 1o Qui n’est pas capable (par nature ou par accident, de façon temporaire, durable ou définitive). Ne pas être en mesure; être dans l’impossibilité; ne pas pouvoir; 2o Qui n’est pas susceptible de … 3o Qui n’a pas l’adresse, l’aptitude, la capacité nécessaire. Inapte. Inhabile.

Incapacité 1o État de celui, de celle qui est incapable (de faire qqch.) Défaut de capacité. 2o État d’une personne qui, à la suite d’une blessure, d’une maladie, est devenue incapable de travailler, d’accomplir certains actes. Impossibilité, inaptitude.

Invalide 1o Qui n’est pas en état de mener une vie active, de travailler, du fait de sa mauvaise santé, de ses infirmités, de ses blessures.

Invalidité 1o État d’une personne invalide. diminution de la capacité de travail.

Déficient 1o Qui présente une déficience.

Déficience 1o Insuffisance organique ou mentale. 2o Faiblesse, insuffisance.

[27] [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551.

[28] [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 513.

[29] Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279.

[30] Voir Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 517.

[31] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 501.

[32] Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970.

[33] [1982] 1 R.C.S. 202, à la p. 208.

[34] Dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, la juge Wilson a déclaré ce qui suit à la p. 502 :

Notre Cour a eu plusieurs fois l’occasion d’examiner le concept légal de qualification professionnelle normale (« QPN ») ou d’exigence professionnelle normale (« EPN »).

[35] [1990] 2 R.C.S. 489, aux p. 514 et 515.

[36] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 517.

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