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[1994] 1 C.F. 374

T-333-93

Le procureur général du Canada (requérant)

c.

Randall Milson Degaris (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Degaris (1re inst.)

Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 29 septembre et 6 octobre 1993.

Fonction publique-Relations du travail-Demande d’annulation de la décision de l’arbitre que le manque chronique de personnel n’est pas une excuse pour refuser un congé en vertu de la convention collective — L’art. 43 de la Loi d’interprétation exige l’application de la clause privative figurant à l’art. 101 de la L.R.T.F.P. — La décision de l’arbitre ne peut être révisée que si celuici a interprété d’une façon erronée la loi lui conférant sa compétence ou la convention collective — Comme les exigences énoncées aux art. 92 et 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique relativement au dépôt d’un grief ont été respectées, l’arbitre a la compétence pour entendre l’affaire — La norme de contrôle s’appliquant à l’interprétation de la convention collective est celle du caractère manifestement déraisonnable — L’interprétation des « nécessités du service » est conforme au libellé de la convention collective et elle est exacte — Rien dans la L.G.F.P. ou la L.R.T.F.P. n’interdit à l’arbitre de déterminer si les niveaux de dotation sont suffisants aux fins d’interpréter la convention collective — L’arbitre ne fait qu’exposer les conséquences de n’avoir pas tenu compte des dispositions de la convention collective lors des calculs de dotation — Il est loisible à l’arbitre de déterminer si les niveaux de dotation sont suffisants par rapport aux stipulations de la convention collective — Le rôle de l’arbitre n’est pas limité à déterminer si la raison invoquée est authentique ou si on a tenu compte de considérations non pertinentes.

Il s’agit d’une demande présentée en vue d’obtenir l’annulation de la décision de l’arbitre accueillant le grief de l’intimé. L’intimé est contrôleur de la circulation aérienne et est à l’emploi du requérant, au sein de Transports Canada, à l’aéroport international Lester B. Pearson, depuis 1970-1971. En 1991, il a demandé un congé non payé d’un an, conformément à la clause 10.09 de la convention collective, aux fins d’une affectation en Arabie saoudite auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale (l’OACI). Cette clause prévoit que ce type de congé est accordé dans la mesure où « les nécessités du service le permettent ». Le congé a été refusé à cause des besoins du service—les niveaux de dotation étaient trop faibles pour que le requérant puisse se permettre d’avoir des membres de son personnel en congé. L’intimé a ultérieurement démissionné afin d’accepter l’affectation. À son retour, il a été réintégré au plus bas échelon salarial, bien que, avant son départ, il reçût le traitement maximum et une prime de superviseur de 5 p. 100. Le requérant devait avoir neuf superviseurs pour répondre aux besoins dans l’unité de l’intimé. Avant la démission de l’intimé, il n’y en avait que sept. Après le départ de l’intimé, aucun superviseur n’a été embauché et l’un d’eux a été muté à une autre unité pour des raisons de formation. L’aéroport international de Toronto a toujours manqué de personnel depuis les années 1970. Le requérant a à maintes reprises refusé des congés non payés aux employés qui voulaient participer au programme de l’OACI. L’arbitre a décidé que le manque chronique de personnel ne pouvait servir d’excuse pour refuser, en vertu de la convention collective, le congé demandé par l’intimé. Il a décidé que le manque de personnel ne pourrait justifier un refus que si l’employeur se trouvait, sans qu’il n’y soit lui-même pour rien, dans l’impossibilité de fournir les services à ses clients en raison de ce manque de personnel.

Le requérant s’appuie sur les articles 7 et 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques et sur l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour alléguer que l’arbitre n’a pas la compétence pour évaluer la pertinence des décisions qu’il prend en matière de dotation. Il allègue aussi que, en ce qui concerne l’interprétation de ce qui constitue des nécessités du service, l’arbitre n’a pas d’autre compétence que celle de déterminer si les niveaux de dotation sont la véritable raison pour refuser le congé ou si ce refus est fondé sur des considérations sans pertinence.

L’article 101, maintenant abrogé, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoyait que les décisions d’un arbitre étaient finales et qu’elles n’étaient susceptibles d’aucun recours judiciaire. L’article 43 de la Loi d’interprétation traite de l’effet de l’abrogation de dispositions légales.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’article 43 de la Loi d’interprétation exige l’application de la clause privative de l’article 101 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique parce que (1) il s’agit d’une procédure qui était en cours, relativement à un droit, avant l’abrogation de l’article 101; (2) les droits ou avantages du requérant, relativement aux motifs de révision permis, ont été déterminés au moment où la décision a été rendue ou au moment où le requérant pouvait demander le contrôle judiciaire; (3) l’abrogation n’affecte pas l’application antérieure de la loi. De plus, les règles de common law concernant l’effet qu’ont les modifications apportées à une loi prescriraient probablement l’application de la clause privative.

Même si la clause privative contenue à l’article 101 s’applique, la décision de l’arbitre peut être révisée s’il a mal interprété la loi l’habilitant ou la convention collective. La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une décision portant sur la compétence est la norme de justesse. Les seules dispositions conférant compétence à l’arbitre sont les articles 92 et 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui exigent simplement qu’il y ait un grief. Étant donné qu’un grief a été déposé, on a satisfait à l’exigence de ces deux articles.

Étant donné que la clause privative s’applique, la norme de contrôle qui s’applique à l’interprétation de la convention collective par l’arbitre sera donc celle concernant le caractère manifestement déraisonnable, permettant l’intervention judiciaire seulement dans le cas où la décision de l’arbitre ne s’appuie manifestement pas sur le libellé de la convention collective. En vertu de cette norme, l’interprétation n’a même pas à être la « bonne ». Une décision n’est pas manifestement déraisonnable si elle peut s’appuyer d’une façon ou d’une autre sur la preuve, même si la cour examinant cette décision pourrait arriver à une autre conclusion et, dans le contexte d’une convention collective, dans la mesure où les termes de la convention n’ont pas reçu une interprétation qu’ils ne peuvent raisonnablement pas avoir. Non seulement l’interprétation des « nécessités du service » par l’arbitre s’appuyait-elle sur le libellé de la convention, mais elle était la meilleur qui pût être donnée. Les arbitres ont déclaré à plusieurs reprises que l’employeur ne peut pas invoquer les « nécessités du service » comme raison, « lorsqu’il a omis de pourvoir à un nombre suffisant de postes pour s’acquitter de ses obligations contractuelles, en particulier pendant une longue période, cela constituant une violation de la convention collective ». La décision de l’arbitre se fondait aussi sur d’autres motifs, p. ex. celui que la demande de congé avait été présentée à l’employeur à un moment qui laissait à ce dernier suffisamment de temps pour remplacer l’employé; le manque de personnel était chronique et l’employeur ne manifestait aucune intention d’y remédier; le multiplicateur avait été calculé de façon erronée sans que l’on ait tenu compte de la probabilité que des congés soient accordés en vertu de la clause 10.09, et il n’a jamais été corrigé.

Rien dans la Loi sur la gestion des finances publiques ou la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’interdit à l’arbitre de déterminer si les niveaux de dotation sont suffisants aux fins d’interpréter la convention collective. Les décisions prises par le requérant en matière de dotation doivent être ouvertes à examen dans le contexte de la convention collective. Les parties étaient conscientes que les dispositions d’une convention collective ont un effet sur la dotation. La convention collective gouverne la relation d’emploi : cela fait partie de l’entente que l’employeur doive se soumettre à certaines obligations. L’arbitre n’a fait que clarifier la convention collective. L’arbitre n’a pas ordonné au requérant de modifier ses politiques de dotation. Il a simplement dit que si le requérant omettait de tenir compte des dispositions de la convention collective en calculant le nombre réel d’employés nécessaires, il devrait en assumer les conséquences, c’est-à-dire qu’il ne pourrait pas alléguer cette excuse en vertu de la clause 10.09.

L’arbitre n’est pas tenu de conclure à l’existence de « considérations non pertinentes » pour déterminer si une excuse était valable. Il peut examiner les faits de l’affaire et conclure que le refus n’était pas justifié. L’arbitre peut examiner ce que signifient les « nécessités du service ». Le fait que la dotation a été donnée comme raison ne veut pas nécessairement dire qu’il s’agit d’une nécessité du service. La décision de l’arbitre peut également être étayée par le motif que celui-ci a conclu à l’absence d’une excuse valable, compte tenu des actions du requérant après le départ de l’intimé.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F- 7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 7 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2), 11 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 22; L.C. 1991, ch. 24, art. 50).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 7, 92, 93, 101 (abrogé par L.C. 1992, ch. 54, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. v. Ford, [1993] O.J. no 1936 (C.A) (Q.L.); Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 152 N.R. 1; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; (1993), 102 D.L.R. (4th) 402; 153 N.R. 81.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Jarrell c. La Reine, A-931-83, juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 6-9-84, C.A.F., non publié.

DÉCISIONS CITÉES :

Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720, [1980] 1 R.C.S. 178; (1979), 33 N.S.R. (2d) 22; 99 D.L.R. (3d) 193; 57 A.P.R. 22; 79 CLLC 14,210; 27 N.R. 502; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 102 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 150 N.R. 161; Laws et autres et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers 166-2-6437-6440, 6666, 6473/4, 7026-7029, décision en date du 16-1-80, C.R.T.F.P.; Savage et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-9734, décision en date du 9-6-81, C.R.T.F.P.; Milne et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-18376, décision en date du 17-8-89, C.R.T.F.P.; Rooney et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-21306, décision en date du 13-8-91, C.R.T.F.P.; Graham et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-21414, décision en date du 26-8-91, C.R.T.F.P.; MacGregor et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-22489, décision en date du 22-10-92, C.R.T.F.P.; McConaghy et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier 166-2-22945, décision en date du 24-3-93, C.R.T.F.P. ([1993] C.C.R.T.F.P. no 43 (Q.L.)); Hollier et autre et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers 166-2-10526, 10527, décision en date du 17-11-81, C.R.T.F.P.; Canada (Conseil du Trésor) c. Randal, A-1589-83, juge Heald, J.C.A., jugement en date du 23-10-84, C.A.F., non publié; conf. dossiers 166-2-13810 et 166-2-13811, décision en date du 19-10-83, C.R.T.F.P.

DEMANDE d’annulation de la décision rendue par l’arbitre [Degaris et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers 166-2-22490 et 166-2-22491, décision en date du 4-1-93, C.R.T.F.P. ([1993] C.C.R.T.F.P. No 1 (Q.L.))], selon laquelle le manque chronique de personnel ne pouvait être invoqué pour refuser un congé en vertu de la convention collective. Demande rejetée.

AVOCATS :

Harvey A. Newman et Neelam Jolly pour le requérant.

Peter J. Barnacle pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Nelligan/Power, Ottawa, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Cullen : Il s’agit d’une demande que le procureur général du Canada a présentée, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édictée par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)], en vue d’obtenir une ordonnance annulant et infirmant la décision par laquelle A. S. Burke [[1993] C.R.T.F.P.C. no 1 (Q.L.)], arbitre nommé conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, article 93, a fait droit au grief de l’intimé. L’arbitre a conclu que la première chronique de personnel au sein de l’unité de contrôle terminal de l’aéroport international Lester B. Pearson ne pouvait pas être invoquée pour refuser un congé à l’intimé en vertu de la convention collective.

LES FAITS

Pendant toute la période pertinente, les parties étaient régies par la convention collective que le Conseil du Trésor avait conclue avec l’Association canadienne du contrôle du trafic aérien[1].

L’intimé, Randall Milson Degaris, travaillait et travaille encore comme contrôleur de la circulation aérienne à Transports Canada, à l’aéroport international Lester B. Pearson. L’intimé est employé à Transports Canada depuis 1970-1971, et travaille au sein de l’unité de contrôle terminal (l’UCT) depuis 1975. La seule interruption dans l’emploi de l’intimé a eu lieu de janvier 1992 à juin 1992, lorsque celui-ci s’est vu obligé de démissionner pour aller en Arabie saoudite à la suite d’une affectation auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale (l’OACI).

Au printemps de 1991, l’intimé a été informé que l’OACI avait un poste à pourvoir en Arabie saoudite. L’OACI affecte des contrôleurs de la circulation aérienne d’un pays à un autre, et ce, habituellement par l’entremise des Affaires extérieures. En juillet 1991, l’intimé a demandé un congé non payé d’un an, conformément à la clause 10.09 de la convention collective, aux fins de cette affectation en Arabie saoudite.

Clause 10.09 de la convention collective est ainsi libellé :

10.09 Il est convenu que, lorsque les nécessités du service le permettent, les employés du groupe du contrôle de la circulation aérienne qui sont choisis pour travailler pour l’OACI, le SUCO, ou dans le cadre du programme d’aide extérieure du Canada, se verront accorder un congé non payé sur présentation d’une lettre indiquant qu’ils ont été acceptés par un organisme de ce genre[2]. [C’est moi qui souligne.]

En août ou septembre[3], le requérant a refusé la demande de congé présentée par l’intimé. Le requérant a invoqué les « nécessité du service » pour refuser le congé. Le requérant a fait savoir que les postes n’étaient pas suffisamment pourvus et qu’il ne pouvait pas se permettre de laisser un employé prendre un congé. Le requérant a plutôt proposé à l’intimé de prendre un congé dans le cadre d’un programme connu sous le nom de « programme de congé autofinancé » dans quatre ou cinq ans, lorsque les niveaux de dotation pourraient le permettre. Le 28 août 1991, l’intimé a demandé un congé pour des « raisons personnelles » conformément à la clause 10.07 de la convention collective. Ce congé a également été refusé[4].

Le 9 septembre ou le 28 octobre 1991[5], par suite du refus du requérant d’accorder un congé quelconque, l’intimé a envoyé une note de service au requérant, pour lui faire part de son intention de démissionner ou de prendre sa retraite le 31 décembre 1991. Le requérant a accepté la lettre de démission ou d’avis de retraite.

L’intimé et sa famille se sont rendus en Arabie saoudite en janvier 1992, mais ils ont dû revenir quelques mois plus tard seulement, en juin 1992, parce que l’intimé ne pouvait pas gagner assez d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. À son retour, l’intimé a demandé son ancien emploi. On lui a dit qu’il pouvait avoir un emploi, mais qu’il devait commencer au niveau de traitement minimum. Plusieurs semaines plus tard, l’intimé a demandé à occuper le poste de superviseur. Cette demande a été refusée.

L’intimé travaille actuellement comme contrôleur de l’exploitation au sein de l’unité de contrôle terminal (l’UCT), Centre de contrôle régional de Toronto, au niveau de traitement minimum de la catégorie AI -05. Au printemps de 1991, l’intimé était superviseur au sein de l’UCT et, en cette qualité, il touchait le salaire maximum au niveau AI -05, plus une prime de superviseur de 5 p. 100. Selon l’intimé, la différence entre le niveau minimum AI-05 et le niveau maximum plus la prime de 5 p. 100 est de plus de 20 000 $ l’an. L’intimé avait un solde de 1 069,59 heures en crédits de congé de maladie, qu’il a perdu en raison de sa démission. En outre, il a perdu tous les droits qu’il avait à une indemnité de départ, car le versement de celle-ci, aux termes de la convention collective, est régi par les mêmes conditions que celles qui s’appliquent à la pension de retraite. En effet, l’employé qui a dix années de service et qui est âgé de plus de quarante-cinq ans a droit à cette indemnité. Or, en 1992, l’intimé n’avait pas encore quarante-deux ans. Toutefois, il était conscient des conséquences et a néanmoins décidé de démissionner[6].

L’UCT est la plaque tournante des opérations; le degré de stress est très élevé à cause du fort volume de la circulation et du manque de personnel. Les problèmes de stress sont particulièrement graves dans le cas des superviseurs, car ceux-ci ont un double rôle; en plus de leurs propres fonctions, ils doivent remplacer d’autres superviseurs pendant leurs jours de repos, et agir à titre de contrôleurs à cause de l’effectif insuffisant. Étant donné la pénurie de personnel, il fallait faire une quantité importante d’heures supplémentaires. Ainsi, l’un des témoins à l’audience a signalé qu’il devait travailler pendant quatre de ses cinq jours de repos[7].

Pour satisfaire aux besoins en dotation, il fallait neuf superviseurs au sein de l’unité. Toutefois, avant la démission de l’intimé, l’unité comptait sept superviseurs seulement. De fait, après le départ de l’intimé, personne d’autre n’a été embauché et on a permis à un superviseur, M. Kenneth Ralph, d’être muté à une autre division aux fins de la formation. Le requérant n’a apparemment pas invoqué les nécessités du service lorsque M. Ralph a été muté et aucun superviseur intérimaire n’a été nommé pendant cette période. Par conséquent, le nombre de superviseurs au sein de l’UCT est passé de sept, en décembre 1991, lorsque l’intimé était encore là, à six, puis à cinq, lorsque M. Ralph a été muté.

Il n’est pas contesté que l’aéroport international de Toronto a toujours manqué de personnel depuis les années 1970, sauf pendant une brève période dans les années 1980[8]. Au fil des ans, par suite de ce problème, le requérant a à maintes reprises refusé des congés non payés aux employés qui voulaient participer au programme de l’OACI. Un certain nombre d’employés ont demandé un congé au fil des ans, mais un seul s’est vu accorder pareil congé, et ce, en 1983, lorsque le manque de personnel ne posait de toute évidence pas de problème[9]. Même dans le cas où tous les postes étaient pourvus, le multiplicateur de dotation (qui sert au calcul de la taille de l’effectif sur lequel le requérant doit compter pour répondre à tous les besoins, compte tenu du nombre d’absences, etc.) ne permettait pas à celui-ci de se conformer aux dispositions de la clause 10.09 ou de la clause 10.07, puisque les absences visées par cette disposition n’étaient jamais prises en considération[10].

Le 13 ou le 18 octobre 1991[11], l’intimé a présenté un grief en vertu de la convention collective. Le grief était ainsi libellé :

[traduction] Le 9 septembre 1991, j’ai demandé une année de congé pour raisons personnelles en vertu de la clause 10.07 de la convention collective. De plus, en juillet, l’OACI a demandé mon détachement en vertu de la clause 10.09. Dans les deux cas, on a refusé ma demande en invoquant les nécessités du service. Au cours des vingt années que j’ai travaillé à Toronto, on n’a jamais réussi à atteindre et à maintenir un niveau de dotation satisfaisant. Le fait que l’employeur ne réussit pas à doter ces installations de l’effectif dont il a besoin ne devrait pas être accepté comme un motif valable pour bloquer mes propres aspirations légitimes.

Ce grief a été rejeté aux premier, deuxième et dernier paliers pour le motif que la demande de congé de l’intimé n’avait pas été présentée à un moment où la dotation du Centre de contrôle régional de Toronto permettait l’octroi d’un congé en vue de l’affectation d’un employé à l’OACI.

L’affaire a ensuite été renvoyée à un arbitre conformément à l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’audience a été tenue devant M. Albert S. Burke, commissaire, Commission des relations de travail dans la fonction publique, les 5 et 6 novembre 1992. L’intimé s’est uniquement appuyé sur la question fondée sur la clause 10.09 et non sur la question fondée sur la clause 10.07, de sorte que l’arbitre n’a tranché que la première question.

L’arbitre a rendu la décision suivante :

En l’occurrence, non seulement l’employeur a admis que la pénurie de personnel durait depuis très longtemps, mais il a reconnu que, lorsqu’il avait fixé le multiplicateur devant servir au calcul de la taille de l’effectif sur lequel il devait compter pour pouvoir répondre à tous ses besoins, il n’avait pas pris en considération la clause 10.09, ni la clause 10.07 du reste.

L’employeur ne m’a pas convaincu que les nécessités du service étaient un motif valable pour refuser au fonctionnaire le congé qu’il avait demandé en vertu de la clause 10.09. L’employeur ne peut invoquer les nécessités du service pour refuser à un fonctionnaire un avantage que lui garantit la convention collective que s’il se trouve, bien malgré lui, à court de personnel au point de ne pouvoir assurer à la clientèle le service qui lui revient. Dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur manque de personnel depuis des années et, même pendant l’absence de M. Degaris de janvier à juillet 1992, il n’a même pas remplacé celui-ci. Par surcroît, il a détaché un autre superviseur dont le poste est lui aussi demeuré vacant.

La pénurie de personnel découle manifestement du fait que l’employeur n’a pas recruté et recyclé des employés qualifiés en vue de se doter d’un effectif assez nombreux pour qu’il puisse remplir ses obligations contractuelles et assurer le service voulu à la clientèle.

L’avocate de l’employeur m’a renvoyé à Hollier et Willis (supra). Dans cette affaire, l’arbitre a pris en considération le facteur inconnu auquel devait faire face la direction, à savoir l’implantation d’un nouveau système informatisé de contrôle de la circulation aérienne. De plus, la direction attendait les conclusions de la Commission Dubin. À cause de ces facteurs, la direction n’était pas en mesure de déterminer la taille de l’effectif dont elle aurait besoin pour assurer les services en question. De plus, le projet de loi sur la retraite anticipée risquait d’avoir des conséquences à ce moment-là imprévisibles sur le nombre d’employés nécessaires.

En l’occurrence, aucun de ces facteurs n’est entré en jeu. Le représentant de l’employeur a témoigné que de nouveaux stagiaires devaient incessamment entrer en fonctions à titre de contrôleurs aériens. Le fait que l’employeur a réussi à fonctionner avec deux superviseurs en moins pendant l’absence du fonctionnaire montre clairement que le refus, fondé sur les nécessités du service, d’accorder le congé demandé en vertu de la clause 10.09 n’était pas justifié.

Pour ce qui est du redressement, j’ai décidé de reporter ma décision sur ce point et j’ordonne à l’employeur d’explorer avec le fonctionnaire et son agent négociateur la possibilité qu’ils puissent en arriver à un règlement mutuellement satisfaisant de cette affaire[12].

QUESTIONS LITIGIEUSES

Le requérant affirme que les questions litigieuses sont :

[traduction] La question de savoir si la décision de l’arbitre selon laquelle les nécessités du service permettaient au requérant d’accorder un congé à l’intimé, bien qu’au moment où la demande a été examinée, le requérant manquât de personnel, constitue une interprétation manifestement erronée de l’article 10.09 de la convention collective. [C’est moi qui souligne.]

L’intimé laisse entendre que les questions litigieuses sont :

[traduction] a) La question de savoir si la décision de l’arbitre, à savoir que le requérant avait violé la convention collective en refusant un congé en vertu de l’article 10.09, compte tenu des nécessités du service, était manifestement déraisonnable, et ce, quelles que soient les circonstances.

b) La question de savoir si la décision de l’arbitre, à savoir que le requérant avait violé la convention collective en refusant un congé en vertu de l’article 10.09, compte tenu des nécessités du service, était manifestement déraisonnable, et ce, quelles que soient les circonstances, et constituait une erreur de droit susceptible de révision. [C’est moi qui souligne.]

Bref, il est clair qu’il s’agit en l’espèce de déterminer si l’arbitre a tiré une conclusion manifestement déraisonnable.

CONCLUSIONS

Je suis convaincu que la clause privative figurant à l’article 101 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique s’applique en l’espèce. L’article 43 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21] exigerait son application pour les raisons suivantes :

(1) Il s’agit d’une procédure qui était en cours, relativement à un droit, avant l’abrogation de l’article 101 [abrogé par L.C. 1992, ch. 54, art. 73] (alinéas 43c) et 43e)).

(2) Les droits ou avantages du requérant, relativement aux motifs de révision permis, étaient déterminés au moment où la décision a été rendue ou au moment où le requérant pouvait demander le contrôle judiciaire. À ce moment-là, les droits ou avantages du requérant étaient acquis et la clause privative était encore en vigueur (alinéa 43c)).

(3) Cette abrogation ne doit pas influer sur l’application antérieure de la Loi. Cette Loi, qui contenait l’article 101, s’appliquait antérieurement de façon à limiter l’étendue du contrôle, et doit donc demeurer en vigueur aux fins de la présente espèce (alinéa 43b)).

De plus, compte tenu de la décision récemment rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Ford, O.J. no 1936, 26 août 1993 (C.A.), encore inédite, les règles de common law concernant l’effet qu’ont les modifications apportées à une loi prescriraient probablement l’application de la clause privative, et, comme je l’ai dit, étant donné que la clause privative s’applique, la norme de contrôle sera celle concernant le caractère manifestement déraisonnable. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230, cette norme permet uniquement l’intervention judiciaire lorsque la décision de l’arbitre ne peut clairement pas être étayée par le libellé de la convention collective. Il est clair qu’en vertu de cette norme, l’interprétation n’a même pas à être la « bonne ». L’interprétation que l’arbitre a donnée à l’expression « nécessités du service » pouvait non seulement être étayée par le libellé de la convention, mais c’était aussi l’interprétation juste et la meilleure interprétation, de nombreux autres arbitres ayant dit la même chose dans des affaires antérieures.

Même en l’absence de l’article 101, la norme qu’il convient d’appliquer est la norme de justesse, sous réserve bien sûr de la position normale prise par la Cour relativement à la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des décisions d’experts dans le domaine administratif. La question a été examinée dans plusieurs arrêts de la Cour suprême du Canada[13]. Étant donné que la norme de justesse ne sera pas appliquée en l’espèce, je n’examinerai pas ce qui a été dit dans ces arrêts au sujet de la question de la retenue judiciaire.

RÉVISION MALGRÉ LA CLAUSE PRIVATIVE

(a)       Types d’examens :

La décision de l’arbitre est susceptible d’examen de deux façons, même si la clause privative figurant à l’article 101 s’applique encore. En premier lieu, la décision de l’arbitre pourrait être révisée si celui-ci interprétait, d’une façon erronée, la Loi lui conférant sa compétence. La norme relative à ce type d’erreur sera toujours la norme de justesse. Ce principe a récemment été confirmé dans l’arrêt Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada (précité).

Dans cette affaire-là, l’arbitre, nommé en vertu de la législation du travail de l’Ontario, devait trancher un grief concernant les avantages dont bénéficiaient les retraités en vertu d’une convention collective qui avait expiré. L’arbitre avait uniquement compétence à l’égard des conventions collectives; il a été soutenu que puisqu’il n’y avait pas de convention collective, son examen était sans objet. Toutefois, l’arbitre a décidé que les droits survivaient à la convention. Par conséquent, c’était comme si la convention existait à cet égard, de sorte que l’arbitre avait compétence. La Cour a dit que l’arbitre avait raison sur ce point. Il s’agissait de savoir si la décision de l’arbitre était susceptible de révision, étant donné qu’il fallait qu’une convention collective existe pour que celui-ci puisse rendre une décision. Le juge La Forest a dit que normalement, dans le contexte des relations de travail, l’entité administrative a le droit de se tromper (c.-à-d., la compétence stricto sensu) :

Après tout, la façon la plus fréquente de contester la compétence d’un arbitre est l’affirmation par l’une des parties que l’incident à l’origine d’un grief n’est pas envisagé par la convention collective. L’arbitre règle ces questions en appliquant les faits à la convention telle qu’il l’interprète et on a clairement voulu que ce processus ressortisse à son expertise. Toutefois, lorsqu’il s’agit de décider si une convention collective régit les droits et les obligations des parties indépendamment de l’interprétation de cette convention, l’arbitre ne dispose d’aucun point de repère; l’existence ou la survie de la convention collective elle-même est mise en doute. Même si l’arbitre a le pouvoir de trancher ces questions, il doit le faire sans commettre d’erreur[14]. [C’est moi qui souligne.]

L’interprétation que l’arbitre a donnée à la Loi lui conférant sa compétence ne semble pas être contestée[15], et ne pourrait pas l’être. Les seules dispositions conférant une compétence à l’arbitre sont les articles 92 et 93. Ces dispositions exigent uniquement qu’un grief soit présenté. En l’espèce, il existe de toute évidence un grief. Il est clair que les exigences de ces deux dispositions sont satisfaites. Le requérant soutient que, compte tenu du libellé de la clause 10.09 de la convention, l’arbitre n’avait pas compétence pour se prononcer sur [traduction] « le caractère adéquat de la politique de dotation du requérant ». À l’appui de cette proposition, le requérant s’appuie également sur certaines dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11] et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Il est clair qu’il s’agit d’une question d’une nature différente, à savoir, si l’avis que l’arbitre a exprimé au sujet de l’interprétation de la convention collective était juste, compte tenu de tous ces facteurs. Ce n’est pas la même chose que l’interprétation de la compétence qu’il possède pour entendre l’affaire. Cela étant, cette question fait partie du champ de compétence que le législateur voulait lui conférer[16].

Le second type d’examen auquel l’arbitre pourrait être assujetti se rapporte à son interprétation de la convention collective. Étant donné la clause privative, cette norme sera, contrairement à la norme antérieure, celle du caractère manifestement déraisonnable.

Avant d’examiner l’interprétation que l’arbitre a donnée à l’expression « nécessités du service », il faut décrire l’effet de l’application de la norme de contrôle fondée sur le caractère manifestement déraisonnable. Ce que signifie l’application de cette dernière norme a été en bonne partie clarifié après la décision que la Cour suprême du Canada a récemment rendue dans l’arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, où le juge Sopinka a déclaré ceci :

L’erreur manifestement déraisonnable se définit plus aisément en fonction de ce qu’elle n’est pas plutôt que de ce qu’elle est. Notre Cour a dit qu’une conclusion ou une décision d’un tribunal n’est pas manifestement déraisonnable s’il existe des éléments de preuve susceptibles de la justifier, même si elle ne correspond pas à la conclusion qu’aurait tirée la cour chargée de procéder à l’examen … ou, dans le contexte d’une convention collective, dans la mesure où les termes de celle-ci n’ont pas été interprétés d’une façon acceptable … Ces affirmations signifient, selon moi, que la cour de justice fera preuve de retenue même si, à son avis, l’interprétation qu’a donnée le tribunal à la convention collective n’est pas la « bonne » ni même la « meilleure » de deux interprétations possibles, pourvu qu’il s’agisse d’une interprétation que peut raisonnablement souffrir le texte de la convention[17].

Il s’agit de savoir si l’interprétation donnée à l’expression « nécessités du service » est manifestement déraisonnable, compte tenu de la définition précitée de ce qui n ‘est pas manifestement déraisonnable. Il semblerait qu’on puisse brièvement répondre par la négative, en disant que, de fait, la décision de l’arbitre est non seulement raisonnable, mais aussi, selon toute probabilité, la plus logique, et qu’elle est certainement étayée par la jurisprudence. Même selon le critère de la justesse, la décision de l’arbitre serait encore maintenue.

(b) Application de la norme du caractère manifestement déraisonnable à l’interprétation de la clause 10.09 :

Cette question n’a pas réellement à être examinée à fond. Il est clair que la décision rendue par l’arbitre, au sujet du sens de l’expression « nécessités du service », est tout au moins une que le libellé de la convention justifierait d’une façon raisonnable. En outre, compte tenu des affaires citées par l’arbitre, il semble que cette interprétation n’est pas nouvelle ou propre à cet arbitre. Les arbitres ont déclaré à plusieurs reprises que l’employeur ne peut pas invoquer les « nécessités du service » [traduction] « lorsqu’il a omis de pourvoir à un nombre suffisant de postes pour s’acquitter de ses obligations contractuelles, en particulier pendant une longue période, cela constituant une violation de la convention collective »[18]1

La décision de l’arbitre est également étayée par d’autres facteurs fort évidents, à savoir :

1. Le congé a été demandé en juillet 1991, de sorte que l’employeur aurait dû avoir amplement le temps de prendre des mesures par suite de la perte de ce superviseur. Il aurait pu remplacer l’intimé en désignant l’un des contrôleurs, en affectant un superviseur ou un contrôleur d’un autre secteur, ou encore en accroissant le nombre d’heures supplémentaires, chose qui n’est pas inhabituelle à Toronto. L’employeur ne semble pas avoir fait d’efforts et a simplement refusé la demande.

2. Il a été reconnu que la pénurie chronique de personnel durait depuis plus de 15 ans et, apparemment, l’employeur ne s’attendait pas à remédier à la situation ou n’avait pas l’intention de le faire, en ce sens qu’il a proposé à l’intimé de prendre un congé autorisé dans le cadre du « programme de congé autofinancé, dans quatre ou cinq ans, lorsque les niveaux de dotation pourraient le permettre ». [C’est moi qui souligne.]

3. L’employeur semble être peu disposé à remédier à la pénurie de personnel et il a invoqué cette pénurie pour refuser une dizaine d’autres demandes plutôt que de résoudre le problème d’une façon efficace. Il pouvait conserver le personnel et lui faire effectuer un grand nombre d’heures supplémentaires, en se fiant au fait qu’aucun congé n’était accordé ou n’allait être accordé.

4. Le multiplicateur a été calculé d’une façon erronée sans qu’il soit tenu compte de la probabilité que des congés soient accordés en vertu des clauses 10.07 ou 10.09. Il me semble que, si des pressions devaient être exercées sur le Conseil du Trésor, un besoin plus grand en personnel était indiqué et que le multiplicateur aurait pu et aurait dû être corrigé.

Dans les autres affaires où les arbitres ont conclu que les nécessités du service constituaient des excuses valables, la situation était clairement différente de celle qui existait en l’espèce. De toute évidence, cela renforce la validité de l’interprétation donnée à la clause 10.09[19].

L’avocat du requérant a cité Jarrell c. La Reine, décision non publiée de la Cour d’appel fédérale datée du 6 septembre 1984 (dossier du greffe A-931-83), où la Cour a rejeté la demande qui avait été présentée en vertu de l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] en vue de faire annuler la décision par laquelle l’arbitre avait rejeté un grief fondé sur ce qui était alors la clause 10.07 (maintenant clause 10.09). Dans cette affaire-là, le requérant était un contrôleur de la circulation aérienne à la tour de contrôle d’Oshawa, qui avait demandé un congé afin d’exercer un emploi auprès de l’OACI en Arabie saoudite, et qui s’était vu opposer un refus, l’employeur ayant invoqué le manque de personnel existant au sein de l’organisation. En rendant sa décision, la Cour d’appel a cité un passage figurant à la page 15 de la décision de l’arbitre, où il était question du manque de personnel :

… [L]a tour de contrôle d’Oshawa devait faire face à la possibilité d’une réduction du nombre de contrôleurs de la circulation aérienne, qui devait passer de neuf à sept, soit une baisse d’environ 22 p. 100. La pénurie était telle que des dispositions avaient été prises pour faire venir à Oshawa deux employés d’autres tours de contrôle. La pénurie de personnel à Oshawa n’était pas unique. Elle existait également ailleurs dans la région de l’Ontario et, d’après le surintendant des opérations, on craignait que la situation s’aggrave. [À la page 3 de la décision inédite.]

Le requérant a notamment soutenu que l’arbitre avait commis une erreur en tenant compte des nécessités du service ailleurs dans la région de l’Ontario. Sur ce point, la Cour d’appel a conclu qu’aucune erreur n’avait été commise et que la clause 10.07 ne limitait pas la considération des nécessités du service à ce seul endroit. La Cour a confirmé la décision de l’arbitre et a rejeté la demande.

Une distinction peut être faite entre cette affaire-là et la présente espèce, compte tenu de la nature du problème de pénurie de personnel. Dans l’arrêt Jarrell, précité, on prévoyait une réduction de personnel, le nombre d’employés devant passer de neuf à sept, ce qui entraînait le problème. En l’espèce, le problème était chronique. Pendant presque toute la période allant de 1980 à 1993, y compris la période où l’intimé était absent par suite de sa démission, il y avait une pénurie de personnel à la tour. Par conséquent, le raisonnement qui a été fait dans l’arrêt Jarrell, précité, ne peut pas s’appliquer en l’espèce. Quoi qu’il en soit, il n’est pas clair que la Cour d’appel ait examiné autre chose que l’étendue de la région dont il fallait tenir compte relativement au manque de personnel, question qui n’est pas ici en litige.

Enfin, je remarque que le requérant n’a pas cité quelque ouvrage ou arrêt convaincant pour contredire l’interprétation que l’arbitre avait donnée à la clause 10.09.

Le requérant soutient que l’arbitre n’a pas compétence pour évaluer le caractère adéquat des décisions prises par le requérant en matière de dotation au sein de la fonction publique. Le requérant s’appuie sur l’article 7 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 2] et l’article 11 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 22; L.C. 1991, ch. 24, art. 50] de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F -11, et sur l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P -35[20]. La façon la plus facile de régler la question est de faire remarquer qu’il n’y a rien dans l’une ou l’autre de ces dispositions qui nie expressément ou implicitement la compétence que possède l’arbitre d’évaluer le caractère adéquat de la dotation aux fins de l’interprétation de la convention collective.

En outre, les décisions prises par le requérant en matière de dotation doivent pouvoir être examinées dans le contexte de l’interprétation de la convention collective. Il est clair que les dispositions d’une convention collective ont un effet sur la dotation et que c’est ce qui est envisagé par les parties. Les parties étaient de bonne foi en concluant la convention et cette dernière doit régir leurs relations de travail car autrement elle ne serait pas réellement utile. Le fait que la convention exige que l’employeur agisse d’une certaine façon fait partie intégrante du marché. L’arbitre clarifie simplement, à l’intention des parties, ce que dit la convention collective. En l’espèce, l’arbitre n’a pas ordonné au requérant de modifier ses politiques de dotation. Il a simplement dit que si le requérant omettait de tenir compte des dispositions de la convention collective en calculant le nombre réel d’employés nécessaires, il devrait assumer les conséquences, c’est-à-dire qu’il ne pourrait pas alléguer cette excuse en vertu de la clause 10.09[21].

Le requérant soutient que la décision de l’arbitre constitue une usurpation de la prérogative du requérant en matière de gestion. Pour les motifs ci-dessus énoncés, je ne retiens pas cet argument.

En outre, le requérant soutient que l’arbitre a uniquement compétence, en ce qui concerne l’interprétation de ce que signifient les nécessités du service, pour déterminer si la dotation constitue un véritable motif, aux fins du refus d’accorder le congé demandé par l’employé, ou si d’autres considérations non pertinentes ont servi de fondement aux décisions du requérant[22]. La réponse à ce genre d’argument est triple.

Premièrement, rien n’indique que l’arbitre soit tenu de conclure à l’existence de [traduction] « considérations non pertinentes » pour déterminer si une excuse est valable. Il semble clair que l’arbitre peut examiner les faits de l’affaire et conclure, comme il l’a fait en l’espèce, que le refus n’était pas justifié.

Deuxièmement, compte tenu des arrêts susmentionnés, il est clair que l’arbitre peut examiner ce que signifient les « nécessités du service ». Par conséquent, le fait que la dotation était la raison donnée ne veut pas nécessairement dire qu’il s’agit d’une nécessité du service.

Enfin, il est clair que la décision de l’arbitre peut également être étayée par le motif que celui-ci a conclu qu’il n’existait aucune excuse valable, compte tenu des actions du requérant après le départ de l’intimé. Comme je l’ai ci-dessus fait remarquer, l’arbitre a conclu que les faits suivants étaient importants[23] :

1. Personne d’autre n’a été embauché pour occuper le poste de l’intimé après son départ.

2. On a permis à un autre employé de changer de division.

3. Le requérant n’a pas non plus remplacé cet employé.

4. Il est clair que pendant l’absence de l’intimé, le requérant a encore été en mesure de fournir le même niveau de service.

Compte tenu des arguments susmentionnés, je ne puis conclure que la décision de l’arbitre était manifestement déraisonnable ou que ce dernier n’avait pas compétence. Par conséquent, cette demande est rejetée, les dépens étant adjugés à l’intimé.



[1] Cette convention se trouve à l’onglet 1 de l’exposé des points d’argument du requérant.

[2] Il a été reconnu que toutes les conditions prévues à la clause 10.09, en ce qui concerne les congés, ont été remplies sauf le critère relatif aux nécessités du service.

[3] Il existe une certaine confusion au sujet de la date exacte car il semble que les dates indiquées dans les lettres de refus aient été changées. Toutefois, cela ne pose pas de problème car la date exacte n’a pas réellement d’importance.

[4] L’intimé a abandonné son grief relativement à cette disposition, de sorte que l’arbitre n’a pas rendu de décision quant à son effet en l’espèce.

[5] Ici encore, il existe une certaine confusion au sujet de la date exacte, mais il a été reconnu à l’audience que c’était le 28 août 1991. Le changement de date n’a aucune importance en l’espèce.

[6] Décision de l’arbitre, p. 8.

[7] Décision de l’arbitre, p. 5.

[8] Décision de l’arbitre, p. 15.

[9] Exposé des points d’argument de l’intimé, par. 13/NB. Toute mention de l’exposé des points d’argument de l’intimé constitue un renvoi à l’exposé modifié des points d’argument de l’intimé.

[10] Décision de l’arbitre, p. 27.

[11] Ici encore, il semble y avoir certaines contradictions au sujet des dates, mais la date exacte n’a réellement pas d’importance. Voir l’exposé des points d’argument de l’intimé, par. 7.

[12] Décision de l’arbitre, aux p. 27 et 28.

[13] Par exemple : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720, [1980] 1 R.C.S. 178; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316.

[14] Aux p. 260 et 261.

[15] Le requérant soutient (exposé des points d’argument, par. 14) que l’arbitre n’avait pas compétence, mais il ne soutient nulle part que la loi d’habilitation a été mal interprétée.

[16] Il est clair que l’interprétation d’une convention collective est précisément une compétence que le législateur voulait conférer à l’arbitre. L’arrêt Dayco fait autorité à ce sujet (voir le passage cité, deux paragraphes plus loin). Les motifs prononcés par le juge Dickson [alors juge puîné] dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, aux p. 235 et 236, font également autorité à cet égard.

[17] Aux p. 340 et 341.

[18] Exposé des points d’argument de l’intimé, par. 39, où sont cités : Laws et autres et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (16 janvier 1980), dossiers 166-2-6437-6440, 6666, 6473/4, 7026-7029 (C.R.T.F.P.); Canada (Conseil du Trésor) c. Randal (inédit) Cour d’appel fédérale, 23 octobre 1984 (dossier du greffe A-1589-83); confirmant les décisions rendues par la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans les dossiers 166-2-13810 et 13811 (inédites); Savage et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (9 juin 1981), dossier 166-2-9734) (C.R.T.F.P.); Milne et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (17 août 1989) dossier 166-2-18376 (C.R.T.F.P.); Rooney et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (13 août 1991), dossier 166-2-21306 (C.R.T.F.P.); Graham et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (26 août 1991), dossier 166-2-21414 (C.R.T.F.P.); MacGregor et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (22 octobre 1992), dossier 166-2-22489 (C.R.T.F.P.); McConaghy et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (24 mars 1993), dossier 166-2-22945 (C.R.T.F.P.) [[1993] C.R.T.F.P.C. no 43 (Q.L.)].

[19] Voir l’analyse de la décision Hollier et Willis [Hollier et autre et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (11 novembre 1981), dossiers 166-2-10526, 10527 (C.R.T.F.P.)] que l’arbitre a effectuée, à la p. 28.

[20] Exposé des points d’argument du requérant, par. 14.//Une copie des dispositions pertinentes de la Loi sur la gestion des finances publiques se trouve à l’onglet E, aux p. 177 à 181, du dossier de demande du requérant. Une copie de l’art. 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique se trouve à l’onglet E, à la p. 182 du dossier de demande du requérant.

[21] Voir également: Milne et Transports Canada, précité, à la p. 16; Rooney et Conseil du Trésor, précité, aux p. 9-10; Graham et Conseil du Trésor, précité, à la p. 10 et MacGregor et Conseil du Trésor, précité, à la p. 18.

[22].Exposé des points d’argument du requérant, par. 15.

[23] Voir la décision de l’arbitre, aux p. 28 et 29

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