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[1994] 2 .C.F. 265

T-2640-93

Société par actions « Oceangeotechnology » (également appelée Ocean Geotechnologica Ltd., personne morale) (demanderesse)

c.

Navire « 1201 » (anciennement le « John A. MacDonald »), Global Marketing Systems, Inc., personne morale, et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « 1201 » (anciennement le « John A. MacDonald ») (défendeurs)

Répertorié : Société par actions « Oceangeotechnology » c. 1201 (Le) (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum—Halifax, 11 janvier; Ottawa, 17 janvier 1994.

Droit maritime — Pratique — Demande de radiation, en ce qui concerne le navire défendeur, d’une action in rem en dommages-intérêts intentée par suite des dommages découlant de la résiliation d’un contrat de remorquage — Conformément à un contrat verbal de remorquage du navire défendeur de Halifax jusqu’en Inde, et à la demande des défendeurs, la demanderesse a envoyé immédiatement à Halifax un remorqueur, qui se trouvait alors en Méditerranée — Les défendeurs ont résilié le contrat douze jours et demi plus tard — Une action in rem ne peut être intentée que s’il existe un « lien » avec le navire — En envoyant le remorqueur, la demanderesse a pris la première mesure en vue de remplir les obligations prévues au contrat — Établissement d’un lien avec le navire — La demande tombe sous le coup de l’art. 22(2)k) de la Loi sur la Cour fédérale, qui permet d’intenter une action in rem relativement à « une demande d’indemnisation pour remorquage d’un navire » — Il n’est pas nécessaire d’avoir effectivement commencé le remorquage en fixant un câble au navire pour pouvoir présenter une « demande d’indemnisation pour remorquage ».

Il s’agit d’une demande visant à obtenir que l’action soit radiée en ce qui concerne le navire défendeur, que le mandat soit radié et que la saisie du navire soit déclarée invalide, et que les sommes déposées à titre de garantie soient remises. La défenderesse Global était propriétaire du navire à l’époque en cause. En octobre 1993, son représentant a conclu une entente verbale avec les représentants de la demanderesse en vue du remorquage du navire par un remorqueur de haute mer désigné de Halifax jusqu’en Inde. Les intéressés se sont entendus sur tous les éléments importants et essentiels de l’entente verbale. À la demande de Global et de son représentant, le remorqueur, qui se trouvait alors en Méditerranée, a été immédiatement envoyé à Halifax. Au bout de douze jours et demi, alors que le remorqueur était en route pour Halifax et que les défendeurs étaient tenus constamment au courant de la position du remorqueur, les défendeurs ont résilié le contrat. La demanderesse a introduit une action contre le navire, ses propriétaires et toutes les personnes ayant un droit sur lui en vue d’obtenir les frais de résiliation et le taux de remorquage quotidien prescrits dans un formulaire standard de confirmation écrite, et des intérêts. Le navire a été saisi, mais la saisie a été levée à la suite de la fourniture d’une garantie d’exécution. Aux termes des paragraphes 43(2), (3), (7) et (8) de la Loi sur la Cour fédérale, un demandeur a le droit d’intenter une action in rem si l’objet de son action »en l’espèce le contrat que la demanderesse a conclu avec les défendeurs »est un des sujets énumérés aux alinéas 22(2)a) à s). Les défendeurs prétendent que la demande présentée par la demanderesse se rapporte entièrement aux actes commis par la défenderesse Global pour répudier ses obligations contractuelles « avant que le contrat ne soit exécuté par l’une ou l’autre partie » Les défendeurs prétendent également que l’alinéa 22(2)k) ne s’applique pas, étant donné que cet alinéa parle de « remorquage », c’est-à-dire l’action de remorquer des navires. En outre, la demanderesse n’est pas concernée par le navire, étant donné que la demande est fondée entièrement sur une présumée entente. La demanderesse s’est fiée sur le contrat de remorquage et sur le fait que le remorqueur était en route pour Halifax pour exécuter le contrat. La question en litige est celle de savoir s’il est clair et évident que, même si les faits susmentionnés sont véridiques, la demanderesse peut uniquement intenter une action in personam, mais non une action in rem.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Une action in rem ne peut être intentée que s’il existe un « lien » avec le navire défendeur.

Il n’est pas clair et évident que la demanderesse ne pouvait pas intenter une action in rem. Un contrat de remorquage du navire a été conclu. Il n’y aurait pas eu de lien avec le navire défendeur si rien d’autre n’avait été fait et que la défenderesse avait résilié le contrat, et la demanderesse n’aurait pas pu intenter une action in rem, étant donné qu’aucune mesure n’aurait été prise pour remplir les obligations prévues au contrat. Le fait que le remorqueur faisait déjà route depuis douze jours et demi et que les défendeurs étaient tenus constamment au courant de sa position fait tomber la demande sous le coup de l’alinéa 22(2)k).

On ne devrait pas limiter les demandes d’indemnisation prévues à l’alinéa 22(2)k) aux seuls cas où il y a effectivement eu remorquage. Il n’est pas nécessaire d’entreprendre le « remorquage » au moyen d’un câble fixé au navire pour pouvoir présenter une « demande d’indemnisation pour remorquage ». Il suffit d’avoir commencé à exécuter le contrat pour pouvoir présenter une « demande d’indemnisation » en vertu de l’alinéa 22(2)k).

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22, 43(2),(3),(7),(8) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Entreprises Ludco Ltée. c. Canada, T-742-93, juge Dubé, ordonnance en date du 3-12-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Bande no 146 des Indiens Pieds-Noirs (membres) c. Canada et Bande no 146 des Indiens Pieds-Noirs (chef et conseillers) (1986), 7 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.); Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732; (1972), 72 D.T.C. 6215 (C.F. 1re inst.); Leoborg, The, [1962] 2 Lloyd’s Rep. 146 (Adm.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire « Neekis » (1986), 31 D.L.R. (4th) 709; 6 F.T.R. 235 (C.F. 1re inst.); Corostel Trading c. Navire « Catalina » (1986), 6 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, rev. 4th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1968, « towage ».

DEMANDE de radiation, en ce qui concerne le navire défendeur, d’une action en dommages-intérêts pour les dommages subis par suite de la résiliation d’un contrat de remorquage.

AVOCATS :

James E. Gould, c.r. pour la demanderesse.

Peter D. Darling pour les défendeurs.

PROCUREURS :

McInnes Cooper & Robertson, Halifax, pour la demanderesse.

Huestis Holm, Halifax, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum : Le 10 novembre 1993, la demanderesse, la société par actions « Oceangeotechnology », a déposé au greffe de la Cour fédérale une déclaration dans laquelle elle sollicite la réparation suivante contre les défendeurs, le navire 1201 (anciennement le John A. MacDonald), ci-après appelé le « navire », Global Marketing Systems (Global), et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire 1201 (anciennement le John A. MacDonald) :

[traduction] a) frais de résiliation

(dommages-intérêts liquidés)

72 500 $ U.S.

b) taux de remorquage quotidien

(12,5 jours à 3 500 $ U.S.)

TOTAL

43 750

116 250 $ U.S.

c) les intérêts accumulés sur les sommes qui précèdent aux taux commerciaux d’emprunt en vigueur à compter du 1er novembre 1993 et jusqu’à la date du jugement, et par la suite aux taux commerciaux en vigueur jusqu’à la date du paiement, ou à tout autre taux et pour toute autre période de temps que la Cour peut accorder;

d) les dépens de l’action;

e) une ordonnance d’évaluation et de vente du navire;

f) toute autre réparation que la Cour peut accorder.

Ainsi qu’il est précisé dans la déclaration, l’action intentée contre le navire défendeur est une action in rem.

Par ailleurs, le 10 novembre 1993, un affidavit portant demande de mandat a été déposé au greffe de la Cour, à la suite de quoi un mandat de saisie du navire a été décerné. Le 23 novembre 1993, une décision a été rendue dans laquelle la garantie d’exécution a été fixée à la somme de 140 000 $ U.S. La garantie d’exécution a été fournie et la saisie du navire a, depuis lors, été levée.

Le 6 janvier 1994, les défendeurs ont signifié et déposé un avis de requête dans lequel ils demandent :

[traduction] a) une ordonnance fondée sur l’article 401 des Règles accordant à la défenderesse Global Marketing Systems Inc., dans la mesure où cela est nécessaire pour présenter la requête mentionnée à l’alinéa b), le permission de déposer dans la présente instance un acte de comparution conditionnelle à titre personnel ou en sa qualité de propriétaire du navire défendeur;

b) une ordonnance fondée sur l’article 419 des Règles radiant la présente instance en ce qui concerne le navire « 1201 » (anciennement le « JOHN A. MACDONALD ») et radiant en outre le mandat qui a été décerné le 10 novembre 1993 et qui a été versé au présent dossier, invalidant la saisie du navire défendeur et remettant au procureur de la partie requérante les sommes déposées à titre de garantie d’exécution pour la mainlevée de la saisie du navire en question le 19 novembre 1993.

Voici les moyens invoqués au soutien de la requête en question :

[traduction] LES MOYENS INVOQUÉS AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE sont que l’instance in rem est irrégulièrement constituée, étant donné que le navire défendeur ne peut faire l’objet de la présente instance.

À l’ouverture de l’audience et par suite d’une entente intervenue entre les avocats, l’avocat des défendeurs a retiré sa demande de dépôt d’un acte de comparution conditionnelle.

Par conséquent, la seule question litigieuse à trancher est celle de savoir si l’action in rem de la demanderesse devrait être radiée en vertu de la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] et, plus particulièrement, comme l’avocat des défendeurs l’a affirmé, si elle devrait être radiée en vertu de la Règle 419(1)a), au motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action in rem, ou en vertu de la Règle 419(1)c), au motif que la demande est scandaleuse, futile ou vexatoire, ou en vertu de la Règle 419(1)f), au motif qu’elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour.

Les défendeurs ont déposé, avec leur demande de radiation de l’action in rem de la demanderesse, l’affidavit souscrit par le docteur Anil Sharma le 24 décembre 1993. L’affidavit du docteur Sharma n’a aucune importance dans la présente instance.

Aux termes de la Règle 419(2), aucune preuve n’est admissible sur une demande introduite en vertu de la Règle 419(1)a), mais des éléments de preuve peuvent être présentés si la demande de radiation est fondée sur les alinéas b), c), d), e) ou f) de la Règle 419(1).

Le principe général à appliquer dans le cas d’une demande de radiation d’une déclaration a récemment été formulé par le juge Dubé de notre Cour dans le jugement Entreprises Ludco Ltée c. Canada, T-742-93, jugement encore inédit rendu le 3 décembre 1993, à la page 3 :

Il est constant en matière de radiation que la Cour doit considérer comme prouvées les allégations de fait contenues dans la ou les plaidoiries en question. De plus, le requérant doit démontrer qu’il est clair et évident que la plaidoirie visée ne divulgue aucune cause raisonnable d’action.

Par conséquent, pour répondre à la question de savoir s’il y a lieu ou non de radier une déclaration, les faits allégués dans les actes de procédure pertinents doivent être considérés comme véridiques et le requérant (en l’espèce, les défendeurs) doit démontrer qu’il est clair et évident que l’acte de procédure visé ne divulgue aucune cause raisonnable d’action, c’est-à-dire qu’il est clair et évident que le demandeur ne pourrait obtenir gain de cause (voir également l’arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441).

En ce qui concerne les demandes de radiation fondées sur les Règles 419(1)c) et f), dans le jugement Bande no 146 des Indiens Pieds-Noirs (membres) c. Canada et Bande no 146 des Indiens Pieds-Noirs (chef et conseillers) (1986), 7 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), à la page 139, je cite et je fais miens les propos qu’a tenus le juge Pratte (maintenant juge d’appel) dans le jugement Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (1re inst.), où il a le mieux expliqué l’application de cet article des Règles [aux pages 735 et 736] :

(1) Lorsque la Cour est saisie d’une demande en radiation d’une déclaration en vertu de la Règle 419, elle ne peut pas, aux fins de déterminer si la déclaration révèle une cause raisonnable d’action, tenir compte de la preuve présentée à l’appui de la demande. Toutefois, la Cour doit tenir compte de cette preuve pour décider si l’action est futile ou vexatoire, ou si elle constitue autrement un emploi abusif des procédures de la Cour (Règle 419(2)).

(2) Lorsqu’une demande en radiation d’une déclaration est faite en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour n’a pas à décider si les allégations contenues dans la déclaration, à supposer qu’elles soient fondées, font état d’une cause d’action, mais, plutôt, si elles font état d’une cause raisonnable d’action …

Par contre, lorsque cette Cour est saisie d’une demande en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour doit simplement décider si, en supposant que tous les faits allégués dans la déclaration soient vrais, la réclamation du demandeur est soutenue.

(3) Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu’elle est vexatoire ou futile, ou qu’elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l’avis du juge qui préside l’audience, l’action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d’avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu’il soit évident que l’action du demandeur est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l’affaire sera plaidée au fond. C’est uniquement dans ce cas qu’il y a lieu d’enlever au demandeur l’occasion de plaider. [C’est moi qui souligne.]

Quels sont les faits qui sont allégués dans la déclaration et qui, comme je l’ai déjà dit, doivent être considérés comme véridiques?

La demanderesse (intimée) a été constituée en personne morale en Ukraine. Son siège social est situé à Sébastopol, en Ukraine. À l’époque en cause, Global était propriétaire du navire. Le représentant de Global a entamé des négociations en vue d’obtenir les services d’un remorqueur de haute mer, le Muzhestvenniy (le « remorqueur »). Le navire défendeur avait été vendu « à l’étranger » à la défenderesse (requérante) Global. Au cours du mois d’octobre 1993, Global, dont le siège social et le principal établissement est situé à Cumberland, au Maryland, a sollicité, par l’entremise de son représentant et courtier, les services d’un remorqueur de haute mer pour remorquer le navire de Halifax (Nouvelle-Écosse), où il mouillait, jusqu’à Alang, en Inde. À l’époque en cause, Global était propriétaire du navire. Le représentant de Global a entamé des négociations avec World Marine Transport & Salvage Inc., de Houston (Texas), en vue d’obtenir les services d’un remorqueur de haute mer. Cette société agissait à titre de représentant nord-américain de la demanderesse et des représentants généraux de la demanderesse. Le 22 octobre 1993, une entente verbale est intervenue au sujet du remorquage du navire par le remorqueur entre, d’une part, World Marine, le représentant de la demanderesse pour l’Amérique du Nord, et, d’autre part, le représentant qui agissait pour le compte des défendeurs. À cette date, les intéressés se sont entendus sur tous les éléments importants et essentiels de l’entente verbale [traduction] « y compris la désignation du remorqueur à titre de remorqueur désigné pour exécuter le service de remorquage, ainsi que le coût et les dates du service de remorquage ». À la conclusion de l’entente verbale et à la demande de Global et de son représentant, le représentant de la demanderesse, World Marine, a recommandé à la demanderesse de mobiliser immédiatement le remorqueur et de l’envoyer promptement à Halifax. La demanderesse a effectivement mobilisé et envoyé le remorqueur à Halifax. Le remorqueur se trouvait alors en Méditerranée. La demanderesse allègue que, comme l’entente verbale a été conclue le vendredi 22 octobre 1993, il a été convenu que les négociations portant sur les détails finaux du contrat de remorquage auraient lieu le lundi 25 octobre 1993. Le représentant de la demanderesse pour l’Amérique du Nord, World Marine, a rédigé, sur une formulaire standard, une confirmation écrite entre la demanderesse et Global. Ce contrat de confirmation prévoyait le paiement des frais de résiliation de 72 500 $ U.S. en cas de résiliation du contrat de remorquage par Global, et des taux de remorquage de 2 500 $ U.S. et de 3 500 $ U.S. ou au prorata à titre respectivement de taux portuaire et de taux maritime quotidiens de remorquage. Après que le remorqueur eut été envoyé et alors qu’il se dirigeait vers Halifax, Global aurait résilié le contrat de remorquage, ayant conclu une nouvelle entente avec d’autres propriétaires de remorqueurs. Global a également informé la demanderesse et son représentant qu’elle ne considère pas l’entente verbale comme définitive et qu’elle adopte le point de vue selon lequel il n’y a pas eu d’entente entre les parties et que, par conséquent, rien n’est dû à la demanderesse.

Question en litige

Si l’on suppose, en ce qui concerne la présente demande, que les faits susmentionnés qui sont allégués dans la déclaration sont véridiques, la demanderesse peut-elle introduire une instance sous forme d’action in rem ou est-il clair et évident que, même si les faits susmentionnés sont considérés comme véridiques, la demanderesse peut uniquement intenter une action in personam, mais non une action in rem?

Analyse

En l’espèce, les parties sont d’accord pour dire que le litige porte sur une question maritime et que la Cour fédérale du Canada a la compétence nécessaire.

L’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] donne compétence à la Cour fédérale du Canada en ce qui concerne la navigation et la marine marchande. Le paragraphe 22(1) dispose :

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas—opposant notamment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

Le paragraphe 22(2) précise qu’« il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1) » la Cour fédérale a compétence sur les sujets maritimes qui y sont énumérés.

Les paragraphes 43(2), (3), (7) et (8) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12] de la Loi sur la Cour fédérale exposent dans quels cas une action in rem peut être intentée :

43….

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Cour peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d’autres biens, ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.

(3) Malgré le paragraphe (2), la Cour ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l’article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2)e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

(7) Il ne peut être intenté au Canada d’action réelle portant, selon le cas, sur :

a) un navire de guerre, un garde-côte ou un bateau de police;

b) un navire possédé ou exploité par le Canada ou une province, ou sa cargaison, lorsque ce navire est en service commandé pour le compte de l’État;

c) un navire possédé ou exploité par un État souverain étranger »ou sa cargaison »et accomplissant exclusivement une mission non commerciale au moment où a été formulée la demande ou intentée l’action les concernant.

(8) La compétence de la Cour peut, aux termes de l’article 22, être exercée en matière réelle à l’égard de tout navire qui, au moment où l’action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l’action.

En l’espèce, le véritable propriétaire du navire en litige est la défenderesse Global qui, au moment du fait générateur du litige, était—et est toujours—le véritable propriétaire du navire (voir les allégations contenues dans la déclaration).

Par conséquent, la demanderesse aurait le droit d’intenter une action in rem si l’objet de son action, le contrat qu’elle a conclu avec les défendeurs, était un des sujets énumérés aux alinéas 22(2)a) à s).

Thèse des requérants (défendeurs)

Ainsi que je l’ai déclaré, l’avocat des défendeurs convient qu’en l’espèce, la Cour fédérale a compétence en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Il prétend que bien que la question en litige porte sur un sujet maritime, la demande présentée par la demanderesse se rapporte entièrement aux actes commis par la défenderesse Global pour répudier ses obligations contractuelles « avant que le contrat ne soit exécuté par l’une ou l’autre partie ». Les défendeurs font valoir que « l’objet de la demande de la demanderesse (la résiliation du contrat de remorquage du navire par le remorqueur) ne porte pas sur les actes du navire défendeur ou sur une tentative d’obtenir un dédommagement pour les services qui lui ont été rendus ». Les défendeurs prétendent que les exigences du paragraphe 43(2) de la Loi n’ont pas été satisfaites et que la demanderesse ne peut donc pas intenter d’action in rem.

Les défendeurs prétendent que certaines des dispositions pertinentes de la Loi sur la Cour fédérale sont les alinéas 22(2)d), e), i) et k). L’alinéa 22(2)k) porte sur « une demande d’indemnisation pour remorquage d’un navire, ou ». Les défendeurs prétendent que l’alinéa 22(2)k) ne s’applique pas, étant donné que cet alinéa parle de « remorquage » et que le Black’s Law Dictionary, 4e éd. rev., donne la définition suivante du mot anglais towage (remorquage) :

[traduction] REMORQUAGE. Action de remorquer des navires et des bâtiments, habituellement au moyen d’un bateau à vapeur plus petit appelé « remorqueur ». Par ext. droits payés pour le remorquage fluvial des navires sur les cours d’eau.

Traction sur un cours d’eau d’un bâtiment par un autre bâtiment qui lui est attaché ou traction terrestre de ce même bâtiment par une force humaine ou animale. Par ext. droits ou frais payés au propriétaire du terrain jouxtant un cours d’eau par le patron du chaland qui tire le bâtiment. Jacob. Voir aussi Ryan v. Hook, 34 Hun. (N.Y.) 191; The Kingaloch, 26 Eng. Law & Eq. 597; The Egypt, D.C.Va, 17 F. 359, 370.

Je suis d’accord avec l’avocat des défendeurs pour dire que les alinéas 22(2)d), e) et i) ne s’appliquent pas en l’espèce.

L’avocat soutient en outre que ni la déclaration ni l’affidavit portant demande de mandat ne révèlent l’existence de faits qui démontrent que la demanderesse est concernée par le navire défendeur, étant donné que la demande de la demanderesse est fondée entièrement sur une présumée entente et sur une rétractation ultérieure de la part de la défenderesse Global. Les défendeurs prétendent que le navire défendeur n’avait rien à voir avec l’annulation de l’entente présumée.

Les défendeurs prétendent qu’à diverses reprises, la Cour a insisté sur la nécessité de l’existence d’un lien suffisant entre le navire défendeur et la réclamation du demandeur avant d’approuver l’exercice de sa compétence in rem. Il cite, à titre d’exemple, le jugement Westview Sable Fish Co. et autres c. Le navire « Neekis » (1986), 31 D.L.R. (4th) 709 (C.F. 1re inst.), dans lequel le navire de la demanderesse, le Nootka Mariner avait mis à l’eau des trappes à morue et avait ensuite dû rentrer au port à cause d’ennuis mécaniques. L’équipage du Neekis était accusé d’avoir volé les trappes en question et de les avoir montées à bord du navire défendeur. On essayait de justifier la compétence in rem de la Cour sur le fondement de l’alinéa 22(2)e) de la Loi. Aux pages 711 et 712, le juge Rouleau déclare :

Il me semble évident, en l’espèce, que le navire n’a pas subi d’avarie, qu’il n’y a pas eu d’avarie causée par un abordage, je ne vois pas non plus d’avarie reliée à la navigation, qui pourrait, de quelque façon, donner lieu à une action in rem. La demanderesse prétend que le professeur Tetley semble vouloir élargir l’interprétation de l’arrêt Currie v. M’Knight, [1897] A.C. 97, dans son plus récent article sur les privilèges maritimes et les réclamations, où il fait les commentaires suivants à la page 167 :

[traduction] La définition de navigation dans Currie v. M’Knight semble excessivement restreinte. On soupçonne, par exemple, que le dommage causé par la fumée d’un navire amarré à un quai constitue un dommage attribuable au navire. Il ne faut pas non plus trop voir le navire comme s’il devait être strictement « l’instrument qui provoque le dommage ».

Il semble plutôt évident que l’équipage constitue l’intermédiaire inséparable par lequel le navire (l’instrument) agit habituellement. Le dommage est donc causé par un navire alors que l’équipage agit au nom de ce dernier, lequel ne sert que d’instrument accessoire.

Je devrais souligner que le professeur Tetley a aussi écrit sur le sujet à la page 173, sous le titre« What constitutes “An act of the ship?” », il cite à la page 173 le juge d’appel Maclennan, dans l’affaire St. Lawrence Transportation Co. Ltd. v. Schooner « Amédée T », [1924] Ex. C.R. 204. Selon l’auteur, le raisonnement du juge semble irréfutable, et il le cite :

[traduction] La distinction entre le fait de l’équipage du navire et le fait du navire est artificielle puisque l’équipage comme le navire ont pour objectif ultime de naviguer. Les privilèges sont un moyen de promouvoir une navigation sûre et conforme à la loi, et de protéger les droits des personnes à qui l’on a causé un préjudice.

La décision du lord juge d’appel Maclennan est bien fondée en droit.

Si j’ai bien compris les principes énoncés dans Currie v. M’Knight, le professeur Tetley semble suggérer que la définition relative à la navigation est excessivement restreinte, bien qu’il estime que le raisonnement du lord juge d’appel Maclennan soit bien fondé, point de vue que je partage. [traduction] « L’objectif ultime qui est de faire naviguer le navire est le principe sur lequel doit se fonder le recours extraordinaire de l’action in rem ». Je ne suis pas convaincu, en l’espèce, que les allégations contenues dans la déclaration peuvent aller dans ce sens. Selon la jurisprudence qui prévaut, l’existence d’un privilège maritime et d’une action in rem découlant de l’enchevêtrement de filets, du sectionnement de lignes ou de l’appropriation illicite d’apparaux n’est pas fondée. La demanderesse a, sans aucun doute, un droit d’action contre ceux qui volent ses filets de pêche, mais cette action ne peut être intentée que in personam contre les auteurs de ces actes.

Les défendeurs citent également l’affaire Corostel Trading c. Navire « Catalina » (1986), 6 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la demande portait sur des « services [non précisés] rendus relativement à l’achat du navire défendeur ». Le juge Joyal a conclu que cela était insuffisant pour appuyer une action in rem. Ainsi que je l’ai déclaré, les défendeurs invoquent les deux décisions précitées pour démontrer qu’il doit exister un « lien suffisant » avec le navire défendeur pour pouvoir introduire une instance sous forme d’action in rem.

Je ne suis pas en désaccord avec les défendeurs en ce qui concerne cette prétention. Je suis d’accord moi aussi pour dire qu’une action in rem ne peut être intentée que s’il existe un « lien » avec le navire défendeur.

Thèse de la demanderesse

La demanderesse prétend qu’il existe un contrat de remorquage avec la défenderesse Global, le propriétaire d’un navire désigné, et qu’aux termes de ce contrat, un remorqueur désigné devait remorquer un navire désigné de Halifax jusqu’en Inde. Elle soutient que ce contrat stipulait notamment qu’en cas de résiliation, des frais fixes d’annulation ainsi qu’un tarif quotidien devraient être payés pour les jours que le remorqueur passerait en mer et au port. À cause de l’existence du contrat, le remorqueur désigné était en route pour Halifax pour exécuter le contrat.

La demanderesse soutient que la compétence en matière d’action in rem ne doit être limitée d’aucune façon et elle cite au soutien de ce principe la décision Cormorant Bulk-Carriers Inc. v. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.), à la page 78.

L’avocat de la demanderesse soutient également que le principe suivant lequel le navire doit être un bénéficiaire est incorrect et il invoque le paragraphe 43(2) de la Loi pour appuyer sa prétention.

Discussion

Ainsi que je l’ai déjà déclaré, dans le cas d’une demande fondée sur la Règle 419, à de rares exceptions près—qui ne s’appliquent pas en l’espèce—, tous les faits qui sont allégués dans la déclaration sont réputés véridiques et ce n’est que dans les cas manifestes qu’une action sera rejetée en vertu de cette disposition.

Je suis convaincu qu’eu égard aux circonstances de la présente affaire, il n’est pas clair et évident que la demanderesse ne pouvait intenter une action in rem. La demanderesse et la défenderesse Global ont conclu un contrat en vue de remorquer le navire. Je suis convaincu que si rien d’autre n’avait été fait et que la défenderesse Global avait alors résilié le contrat, la demanderesse n’aurait pas pu intenter une action in rem, étant donné qu’aucune mesure n’aurait été prise pour remplir les obligations prévues au contrat et qu’on ne pourrait affirmer qu’il existait un lien avec le navire. Dans l’affaire qui m’est soumise, les faits démontrent qu’un contrat a été conclu pour faire remorquer de Halifax jusqu’en Inde un navire désigné par un remorqueur désigné. En outre, suivant la déclaration, les parties auraient convenu que le remorqueur désigné serait immédiatement envoyé à Halifax (il se trouvait alors en Méditerranée). Le remorqueur a effectivement été envoyé. Au bout de douze jours et demi, alors que le remorqueur était en route pour Halifax et que la demanderesse tenait les défendeurs constamment au courant de la position du remorqueur, les défendeurs ont résilié le contrat.

Est-ce que ces faits font tomber la demande sous le coup de l’alinéa 22(2)k), qui prévoit qu’« une demande d’indemnisation pour remorquage d’un navire » peut être introduite sous forme d’action in rem ?

L’avocat des défendeurs affirme que, pour qu’il y ait une demande d’indemnisation pour remorquage, il faut nécessairement qu’il y ait un câble de remorque. En d’autres termes, il aurait à tout le moins fallu que le remorqueur soit rattaché par un câble au navire avant qu’une demande d’indemnisation pour remorquage et, partant, une action in rem, puissent être introduites.

En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Restreindre les demandes d’indemnisation prévues à l’alinéa 22(2)k) de la Loi aux seul cas où il y a effectivement eu remorquage est beaucoup trop limitatif. Je suis convaincu qu’il n’est pas nécessaire d’entreprendre effectivement le « remorquage » au moyen d’un câble effectivement fixé au navire pour pouvoir présenter une « demande d’indemnisation pour remorquage ». Il suffit, comme en l’espèce, d’avoir commencé à exécuter le contrat de remorquage pour pouvoir présenter une « demande d’indemnisation pour remorquage » en vertu de l’alinéa 22(2)k).

Dans la décision Leoborg, The, [1962] 2 Llyod’s Rep. 146, il a été jugé que les services d’escorte d’un remorqueur sont des services de la nature d’un remorquage. Certes, si un remorqueur désigné est envoyé pour commencer à remorquer un navire désigné, on peut, dans le cas d’une demande fondée sur la Règle 419, conclure qu’il n’est pas clair et évident que le demandeur n’a pas une cause raisonnable d’action in rem, et on ne peut non plus pas dire qu’une telle demande est scandaleuse, futile ou vexatoire.

La demande de radiation est rejetée avec dépens.

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