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A-487-12

2013 CAF 284

Hyundai Heavy Industries Co., Ltd et Hyundai Canada Inc. (demanderesses)

c.

ABB Inc., CG Power Systems Canada Inc., Remington Sales Co., Hyosung Corporation, Hico America Sales and Technology, Inc. et Procureur général du Canada (défenderesses)

Répertorié : Hyundai Heavy Industries Co., Ltd. c. Abb Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Mainville, Webb et Near, J.C.A.—Ottawa, 5 novembre et 6 décembre 2013.

Antidumping — Contrôle judiciaire conformément à l’art. 96.1 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans le cadre de laquelle elle rendait une décision définitive de dumping en vertu de l’art. 41(1)a) de la Loi concernant certains transformateurs de puissance originaires ou exportés de la République de Corée — Une des demanderesses (Hyundai Heavy Industries Co., Ltd (HHI)) produit et vend des transformateurs de puissance en République de Corée et en exporte au Canada — Comme il n’était pas possible de déterminer les valeurs normales des transformateurs conformément à l’art. 15 de la Loi, les valeurs normales devaient être établies conformément à l’art. 19b) — Quant au prix à l’exportation, l’ASFC a déterminé en vertu de l’art. 24 de la Loi qu’il était sujet à caution, et il a en conséquence appliqué les dispositions de l’art. 25(1)d) de la Loi pour le calculer — La question principale à trancher dans le cadre de la présente demande concernait la détermination du prix à l’exportation des transformateurs de puissance par l’ASFC — Le seul point en litige en l’espèce concernait le montant établi au titre des bénéfices pour l’application de l’art. 25(1)d)(i) de la Loi — Le Règlement sur les mesures spéciales d’importation contient des instructions pour déterminer le montant des bénéfices — L’ASFC a eu du mal à obtenir des renseignements se rapportant aux montants destinés au calcul des bénéfices de l’importateur de transformateurs de puissance et a utilisé les bénéfices réalisés par le fabricant et le fabricant/importateur — Les demanderesses ont soutenu que les bénéfices réalisés par deux plaignantes (ABB Inc. et CG Power Systems of Canada Inc.) auraient dû être rectifiés pour tenir compte des opérations de fabrication et de vente de celles-ci — En l’espèce, la valeur normale aux termes de l’art. 19b) de la Loi a été calculée en ajoutant au coût de production de HHI certains montants, notamment une somme raisonnable pour les bénéfices, augmentant ainsi la valeur normale — Le montant des bénéfices raisonnablement attribuables à une fonction de fabrication a été pris en compte deux fois, une fois pour calculer la valeur normale pour HHI, et aussi pour calculer le prix à l’exportation pour l’autre demanderesse (Hyundai Canada Inc.) — Rien n’indiquait que le montant des bénéfices des deux plaignantes ait été rectifié avant de servir à déterminer le prix à l’exportation pour Hyundai Canada Inc. — Aucune raison n’a été fournie pour expliquer cette omission — Il ne paraissait pas raisonnable (ni correct) dans la présente affaire d’augmenter la valeur normale en incluant un montant de bénéfices attribuables à la fonction de fabrication, et de réduire en même temps le prix à l’exportation en déduisant ce même montant — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 96.1 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans le cadre de laquelle elle rendait une décision définitive de dumping, en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi, concernant certains transformateurs de puissance originaires ou exportés de la République de Corée.

Les marchandises importées au Canada font l’objet d’un « dumping » lorsque leur valeur normale dépasse leur prix à l’exportation. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit la marge de dumping comme la différence entre ces deux montants. L’une des demanderesses, Hyundai Heavy Industries Co., Ltd. (HHI), produit et vend des transformateurs de puissance en République de Corée et en exporte au Canada. Hyundai Canada Inc. (HC) et Remington Sales Co. en sont les importatrices. Comme il n’a pas été possible de déterminer les valeurs normales conformément à l’article 15 de la Loi pour un certain nombre de raisons, la valeur normale a été calculée conformément à l’alinéa 19b) de la Loi. Ce calcul a été obtenu en faisant la somme des coûts de production des marchandises, d’un montant raisonnable pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, et d’un montant raisonnable pour les bénéfices. Quant au prix à l’exportation, l’ASFC a conclu que le prix qui est déterminé en vertu de l’article 24 de la Loi (qui correspond au moindre de ces deux montants : le prix auquel l’exportateur a vendu les marchandises et le prix auquel l’importateur les a achetées) était sujet à caution, et il a en conséquence appliqué l’alinéa 25(1)d) de la Loi pour le calculer. Aux termes de l’alinéa 25(1)d) de la Loi, le prix à l’exportation est fixé en déduisant du prix auquel l’importateur vend les marchandises en question à une personne qui ne lui est pas associée certains montants énoncés aux sous-alinéas 25(1)d)(i) à (v) de la Loi.

La question principale à trancher en l’espèce concernait la détermination du prix à l’exportation des transformateurs de puissance par l’ASFC.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le seul point en litige en l’espèce concernait le montant établi au titre des bénéfices réalisés sur la vente pour l’application du sous-alinéa 25(1)d)(i) de la Loi, qui prévoit qu’un montant pour les bénéfices réalisés sur la vente soit déduit du prix de vente des marchandises en question. Le Règlement sur les mesures spéciales d’importation contient des instructions permettant de déterminer le montant des bénéfices. D’après le dossier, l’AFSC a eu du mal à obtenir des renseignements se rapportant aux montants destinés au calcul des bénéfices et seuls les bénéfices réalisés par trois sociétés, au lieu du montant représentatif des bénéfices moyens de la branche de production nationale tel que l’exige le Règlement, ont effectivement été pris en compte. Ces trois sociétés sont les deux plaignantes, ABB Inc. et CG Power Systems of Canada Inc., et HC. Les demanderesses ont fait valoir que les bénéfices réalisés par les deux plaignantes auraient dû être rectifiés pour ne pas représenter les bénéfices issus des opérations de fabrication et de vente, attendu que les deux plaignantes vendaient des transformateurs de puissance qu’elles fabriquaient, et que l’autre vend des transformateurs de puissance qu’elle fabrique au Canada ou bien qu’elle importe au pays. L’ASFC s’est servie des bénéfices réalisés par le fabricant et le fabricant/importateur pour établir le montant devant être utilisé au titre des bénéfices de l’importateur des transformateurs de puissance parce qu’elle considérait essentiellement les fabricants et les distributeurs comme étant au même niveau du circuit de distribution. Le montant établi en vertu de l’article 25 de la Loi doit représenter une estimation raisonnable de ce que l’importateur aurait eu à payer pour la marchandise s’il n’avait pas été associé à l’exportateur. Pour calculer ce montant estimatif, il faut prendre soin de déterminer si les bénéfices d’une société qui fabrique la marchandise et la vend à des utilisateurs finaux devraient servir à établir ceux que réalise la société qui se contente de l’importer pour la vendre à ces derniers. Rien dans l’article 25 de la Loi ou les articles 21 et 22 du Règlement ne donne à penser que les bénéfices désignent autre chose que le montant qui serait établi suivant les principes commerciaux habituels; par conséquent, les bénéfices, pour l’application de ces dispositions, correspondent à la différence entre les dépenses et les revenus. On ne saurait utiliser les bénéfices d’une société qui fabrique et vend des marchandises à des utilisateurs finaux, sans aucune rectification, pour déterminer ceux de la société qui importe simplement les marchandises en question pour les vendre aux utilisateurs finaux pour la seule raison que ces deux sociétés se disputent les mêmes clients. En ne mettant l’accent que sur les clients à qui les produits sont vendus, la composante dépense n’est pas explicitement prise en compte.

En l’espèce, la valeur normale aux termes de l’alinéa 19b) de la Loi a été calculée en ajoutant au coût de production de HHI certains montants, notamment une somme raisonnable pour les bénéfices. Par conséquent, un montant représentant les profits attribuables à la fonction de fabrication a donc été inclus dans la valeur normale (et l’a ainsi augmentée). Si le montant des bénéfices raisonnablement attribuables à une fonction de fabrication était également déduit pour établir le prix à l’exportation pour HC, il serait pris en compte deux fois — pour calculer la valeur normale pour HHI, et aussi pour calculer le prix à l’exportation pour HC. Rien n’indiquait que le montant des bénéfices des deux plaignantes ait été rectifié avant de servir à déterminer le prix à l’exportation pour HC, et aucune raison n’a été fournie pour expliquer cette omission. La seule justification donnée pour avoir recours à ces montants est que les sociétés se disputaient les mêmes clients.

Étant donné que la marge de dumping correspond à la différence entre la valeur normale et le prix à l’exportation, il ne paraît pas raisonnable (ni correct) dans la présente affaire d’augmenter la valeur normale en incluant un montant de bénéfices attribuables à la fonction de fabrication, et de réduire en même temps le prix à l’exportation en déduisant ce même montant, sans autre explication.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15, art. 2(1) « dumping », 15 à 31, 38(1), 39(1), 41, 96.1.

Règlement sur les mesures spéciales d’importation, DORS/84-927, art. 21, 22.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147.

décision examinée :

Certains réfrigérateurs électriques avec compartiment de congélation dans la partie supérieure, lave-vaisselle électriques de type ménager et sécheuses au gaz ou électriques, CDA‑USA‑2000‑1904‑03, en ligne :
˂https://www.nafta-sec-alena.org/Accueil/R%C3%A8glement-des-diff%C3%A9rends/D%C3%A9cisions-et-rapports˃.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (Agence des services frontaliers du Canada, AD/1395, en ligne : <http://www.cbsa-asfc.gc.ca/sima-lmsi/i-e/ad1395/ad1395-i12-fd-fra.pdf>) de l’Agence des services frontaliers du Canada dans le cadre de laquelle elle rendait une décision définitive de dumping, en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation concernant certains transformateurs de puissance originaires ou exportés de la République de Corée. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Jesse I. Goldman et George W. H. Reid pour les demanderesses.

Christopher J. Kent, Andrew M. Lanouette et Marc McLaren-Caux pour les défenderesses ABB Inc., et CG Power Systems Canada Inc.

Personne n’a comparu pour la défenderesse Remington Sales Co.

Personne n’a comparu pour les défenderesses Hyosung Corporation et Hico America Sales and Technology, Inc.

Personne n’a comparu pour le défendeur le procureur général du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bennett Jones LLP pour les demanderesses.

Cassidy Levy Kent (Canada) LLP pour les défenderesses ABB Inc., et CG Power Systems Canada Inc.

Borden Ladner Gervais LLP pour les défenderesses Hyosung Corporation et Hico America Sales and Technology, Inc.

Sous-procureur général du Canada pour le défendeur le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendu par

[1]        Le juge Webb, J.C.A. : Le 22 octobre 2012, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada rendait une décision définitive de dumping, en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S‑15 (LMSI). Cette décision concernait certains transformateurs de puissance (les transformateurs de puissance) ainsi décrits au paragraphe 26 de sa décision [Agence des services frontaliers du Canada, AD/1395] :

Transformateurs à liquide diélectrique avec une puissance admissible maximale égale ou supérieure à 60 000 kilovolts ampères (60 mégavolts ampères), assemblés ou non, complets ou incomplets, originaires ou exportés de la République de Corée.

La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision, fondée sur l’article 96.1 de la LMSI; elle concerne en particulier la détermination du prix à l’exportation par le président.

[2]        Les parties intéressées ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Cependant, comme le démontre l’analyse qui suit, cette question ne porte aucunement à conséquence dans la présente affaire, et il n’y a donc pas lieu de s’y attarder davantage. Je serais d’ailleurs parvenu à la même conclusion, que la norme de contrôle applicable soit celle du caractère raisonnable ou de la décision correcte.

[3]        Les marchandises importées au Canada font l’objet d’un « dumping » (au sens du paragraphe 2(1) de la LMSI) lorsque leur valeur normale dépasse leur prix à l’exportation. Le paragraphe 2(1) définit la marge de dumping comme la différence entre ces deux montants. La valeur normale est déterminée conformément aux articles 15 à 23.1 et 30 de la LMSI, et le prix à l’exportation suivant les articles 24 à 28 et 30. Si la valeur normale ou le prix à l’exportation ne peuvent être établis selon ces dispositions, ils le sont selon les modalités fixées par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (article 29 de la LMSI).

[4]        Hyundai Heavy Industries Co., Ltd. (HHI) produit et vend des transformateurs de puissance en République de Corée et en exporte au Canada. Hyundai Canada Inc. (HC) et Remington Sales Co. en sont les importatrices.

[5]        Au paragraphe 71 de la décision du président, il est noté que :

Les marchandises en cause fabriquées par HHI sont faites aussi sur mesure, d’après les besoins particuliers de chacun de ces clients. Par conséquent, il n’y a pas de ventes intérieures de marchandises similaires. Il n’a donc pas été possible de déterminer les valeurs normales conformément à l’article 15 de la LMSI, selon les ventes intérieures de marchandises similaires. Il a été toutefois possible d’établir les valeurs normales conformément à l’alinéa 19b) de la LMSI, en faisant la somme des coûts de production des marchandises, d’un montant raisonnable pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, et d’un montant raisonnable pour les bénéfices.

[6]        Les demanderesses ne contestent aucunement la détermination de la valeur normale par le président.

[7]        La question à trancher dans le cadre de la présente demande concerne la détermination du prix à l’exportation par le président. Aux termes de l’article 24 de la LMSI, le prix à l’exportation correspond au moindre de ces deux montants : le prix auquel l’exportateur a vendu les marchandises (moyennant certaines rectifications) et le prix auquel l’importateur les a achetées (moyennant certaines rectifications). Si le président estime que ce montant est sujet à caution pour un motif énoncé à l’alinéa 25(1)b) de la LMSI, le prix à l’exportation doit alors être fixé conformément aux alinéas c), d) ou e) de cette disposition. En l’espèce, le président a estimé que le prix à l’exportation déterminé en vertu de l’article 24 de la LMSI était sujet à caution, et il a en conséquence appliqué l’alinéa 25(1)d) de la LMSI pour le calculer. Les demanderesses ne contestent pas la conclusion selon laquelle le prix à l’exportation établi suivant l’article 24 de la LMSI est sujet à caution, et ne soutiennent pas non plus que l’alinéa 25(1)d) n’était pas la disposition pertinente pour le calculer.

[8]        Aux termes de l’alinéa 25(1)d) de la LMSI, le prix à l’exportation est fixé en déduisant du prix auquel l’importateur vend les marchandises en question à une personne qui ne lui est pas associée certains montants énoncés aux sous‑alinéas 25(1)d)(i) à (v) de la LMSI. Le seul point en litige en l’espèce concerne le montant établi au titre des bénéfices réalisés sur la vente pour l’application du sous‑alinéa 25(1)d)(i) de la LMSI. Cette disposition exige que le montant suivant soit déduit du prix de vente des marchandises en question :

25. […]

d) si les marchandises sont importées pour une étape ultérieure de fabrication, pour montage ou pour conditionnement au Canada ou comme biens entrant dans la fabrication ou la production au Canada d’autres marchandises, leur prix de vente après ces opérations, ou le prix de vente des marchandises dans la fabrication desquelles elles ont été incorporées, à une personne à laquelle le vendeur n’est pas associé au moment de la vente, moins un montant égal à la somme des montants suivants :

(i) un montant pour les bénéfices réalisés sur la vente,

Règles particulières

[9]        Les articles 21 et 22 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation, DORS/84‑927, contiennent des instructions à l’intention du président appelé à déterminer le montant des bénéfices. Ces dispositions prévoient :

21. Pour l’application du sous‑alinéa 25(1)d)(i) de la Loi, « un montant pour les bénéfices » s’entend d’un montant égal aux bénéfices qui seraient réalisés dans le cours ordinaire des affaires lors de la vente des marchandises montées, conditionnées ou ayant fait l’objet d’une étape ultérieure de fabrication, ou des marchandises dans la fabrication desquelles des marchandises importées ont été incorporées.

22. Pour l’application des articles 20 et 21, le montant des bénéfices réalisés lors de la vente des marchandises dans le cours ordinaire des affaires est, selon le cas :

a) le montant des bénéfices qui découlent généralement de la vente de marchandises similaires au Canada par des vendeurs se situant au même niveau ou presque du circuit de distribution que l’importateur, à des acheteurs se trouvant au Canada et qui ne sont pas associés à ces vendeurs;

b) s’il est impossible de déterminer le montant visé à l’alinéa a), le montant des bénéfices qui découlent généralement de la vente de marchandises de la même catégorie générale au Canada par des vendeurs se situant au même niveau ou presque du circuit de distribution que l’importateur, à des acheteurs se trouvant au Canada et qui ne sont pas associés à ces vendeurs;

c) s’il est impossible de déterminer les montants visés aux alinéas a) et b), le montant des bénéfices qui découlent généralement de la vente de marchandises qui sont de la gamme ou du groupe suivant qui comprend la catégorie visée à l’alinéa b), par des vendeurs au Canada se situant au même niveau — ou presque — du circuit de distribution que l’importateur, à des acheteurs se trouvant au Canada et qui ne sont pas associés à ces vendeurs.

[10]      En l’espèce, il appert clairement du dossier et de la décision du président que ce dernier a eu du mal à obtenir des renseignements se rapportant aux montants destinés au calcul des bénéfices. Bien qu’il ait déclaré au paragraphe 74 de sa décision que :

Les prix à l’exportation selon l’alinéa 25(1)d) étaient basés sur […] le montant représentatif des bénéfices moyens de la branche de production nationale, conformément à l’alinéa 22c) du RMSI.

le président a précisé à l’annexe 2 de celle‑ci que seuls les bénéfices réalisés par trois sociétés ont effectivement été pris en compte. Ces trois sociétés sont les deux plaignantes et HC.

[11]      Les demanderesses font valoir que les bénéfices réalisés par ABB Inc. et CG Power Systems of Canada Inc. (les deux plaignantes) n’auraient pas dû être utilisés sans rectifications, attendu que l’une de ces sociétés ne vend que des transformateurs de puissance qu’elle fabrique au Canada, et que l’autre vend des transformateurs de puissance qu’elle fabrique au Canada ou bien qu’elle importe au pays. Les demanderesses avancent que les profits réalisés par ces deux sociétés représentent les bénéfices issus des opérations de fabrication et de vente. HC ne vend que des transformateurs de puissance qu’elle importe au Canada.

[12]      Le montant à déterminer est celui des « bénéfices réalisés sur la vente » (sous‑alinéa 25(1)d)(i) de la LMSI). Le président explique à l’annexe 2 de sa décision pourquoi il s’est servi des bénéfices réalisés par le fabricant et le fabricant/importateur pour établir le montant devant être utilisé au titre des bénéfices de l’importateur des transformateurs de puissance :

Au sein du marché des transformateurs de puissance au Canada, l’ASFC considère les fonctions exercées par les fabricants qui vendent le produit à l’utilisateur final comme étant les mêmes, ou presque, que les fonctions exercées par les distributeurs qui vendent le produit à l’utilisateur final. C’est pourquoi les fabricants et les distributeurs sont considérés comme étant au même niveau du circuit de distribution, puisqu’ils sont en concurrence directe pour les mêmes clients.

[13]      Bien qu’il ne soit fait aucune mention du Guide LMSI, le président s’est servi d’une terminologie très analogue qui est utilisée dans ce document. Le Guide LMSI est l’énoncé de politique interne du président sur les processus d’examen et de prise de décision concernant les enquêtes sur les mesures antidumping et les subventions au titre de la LMSI. On peut y lire, à partir de la page 314, sous le titre « Circuit de distribution » :

Circuit de distribution

Lorsque nous prenons en considération l’expression « même niveau ou presque du circuit de distribution », il ne faudrait pas éliminer une entreprise de la base de données de façon arbitraire, simplement à cause de sa désignation, par exemple « distributeur » ou « fabricant ». Il faudrait plutôt examiner attentivement les activités qu’exerce cette entreprise dans l’industrie, tout particulièrement en ce qui a trait à la vente et à la distribution. Dans la majorité des industries, il conviendrait d’utiliser des données tant des fabricants que des importateurs, car leurs ventes et fonctions de distribution auront vraisemblablement des similitudes marquées. Nous reconnaissons que, dans certains cas, il est raisonnable que des entreprises de différents niveaux du circuit de distribution s’attendent à des bénéfices de niveaux différents. Par exemple, un fabricant qui effectue lui‑même les fonctions de distribution (comparativement à un distributeur qui achète d’un manufacturier et qui revend les marchandises) peut probablement s’attendre à une marge bénéficiaire supérieure à celle du distributeur étant donné qu’une partie des bénéfices peut raisonnablement être attribuée à l’opération de fabrication.

Il pourrait néanmoins avoir lieu d’inclure un tel fabricant et de le considérer au même niveau ou presque dans le circuit de distribution que l’importateur ou le distributeur, vu les fonctions réellement remplies. Les sociétés au Canada sont généralement considérées au même niveau ou presque dans le circuit de distribution lorsqu’elles font des ventes aux mêmes clients et se disputent, en concurrence directe, les mêmes clients sur le marché. Lorsque les considérations ci‑dessus touchant le niveau dans le circuit de distribution existent, le dossier doit expliquer clairement les motifs de la décision.

[14]      Les défendeurs font valoir que le passage ci‑dessus a été approuvé dans la décision d’un groupe binational ayant effectué, au titre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, un examen en date du 15 avril 2002 relatif à Certains réfrigérateurs électriques avec compartiment de congélation dans la partie supérieure, lave‑vaisselle électriques de type ménager et sécheuses au gaz ou électriques, CDA‑USA‑2000‑1904‑03. Bien que le groupe binational ait cité dans sa décision le passage susmentionné (à l’exception de la dernière phrase du premier paragraphe et de la première phrase du second), rien n’indique explicitement qu’il en a approuvé la teneur. Immédiatement avant de citer l’extrait de ce passage, le groupe déclare [à la page 13] :

S’agissant de la question de savoir si les ventes prises en compte ont été effectuées par des vendeurs se situant presque au même niveau du circuit de distribution, à des acheteurs qui ne sont pas associés aux sociétés faisant l’objet de l’enquête, le commissaire a expliqué qu’il a cherché à obtenir de l’information sur les bénéfices auprès de nombreuses sources canadiennes au cours de son enquête et que le chiffre de bénéfices obtenu était fondé sur la meilleure information disponible. Dans ce contexte, le Guide LMSI indique, au point 5.10.2.3 :

[15]      Le groupe ajoute, immédiatement après l’extrait cité [à la page 14] :

Le commissaire a fait valoir que toutes les sociétés faisant l’objet de l’enquête vendaient aux mêmes clients et se faisaient concurrence pour le même marché; par conséquent, elles devraient être considérées comme se situant au même niveau du circuit de distribution. On n’a pas indiqué au groupe spécial de preuve contenue dans le dossier et le commissaire a déclaré qu’il n’avait pas de preuve, au stade de l’enquête, indiquant que les ventes ont été effectuées à des sociétés associées. Le groupe spécial n’est pas convaincu du bien‑fondé des arguments de Camco sur ce point. Si les ventes contestées par Camco étaient des ventes effectuées par Camco à des acheteurs associés, elle devrait avoir signalé ce fait au commissaire à un stade antérieur. Camco a fourni des chiffres au commissaire, pour se plaindre ensuite de l’utilisation de ces chiffres après la décision définitive.

[16]      Dans cette affaire, la question était de savoir si certains montants devaient être pris en compte du fait que les ventes avaient été faites à des personnes associées. Rien n’indique qu’il y a eu contestation du fait que les bénéfices d’une société fabriquant et vendant les marchandises aux utilisateurs finaux ont été utilisés pour établir le montant des bénéfices réalisés par un importateur qui se contente de les distribuer.

[17]      Le montant que le président a cherché à déterminer en l’espèce est celui des bénéfices réalisés par l’importateur, qui est utilisé pour calculer le prix à l’exportation. Celui‑ci est établi selon un calcul basé sur le prix de vente, les bénéfices et les coûts de l’importateur (comme le prévoit l’article 25 de la LMSI) seulement si le prix à l’exportation calculé selon l’article 24 de la LMSI est sujet à caution. D’après cette disposition, ce prix correspond au moindre des deux montants suivants : le prix de vente de l’exportateur (moyennant certaines rectifications) et le prix d’achat de l’importateur (moyennant certaines rectifications). Le montant établi en vertu de l’article 25 de la LMSI doit donc représenter une estimation raisonnable de ce que l’importateur aurait eu à payer pour la marchandise s’il n’avait pas été associé à l’exportateur. Il me semble que, pour calculer ce montant estimatif, il faut prendre soin de déterminer si les bénéfices d’une société qui fabrique la marchandise et la vend à des utilisateurs finaux devraient servir à établir ceux que réalise la société qui se contente de l’importer pour la vendre à ces derniers.

[18]      Dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré (au paragraphe 30) que :

Par conséquent, quelle est la véritable nature du « bénéfice » aux fins de l’impôt? Bien que cette notion ait été exprimée de diverses manières, la formulation la plus claire et la plus concise de ce terme a peut‑être été donnée dans l’arrêt souvent cité de notre Cour M.N.R. c. Irwin, [1964] R.C.S. 662, à la p. 664, où les bénéfices d’une année ont été décrits comme étant constitués de [traduction] « la différence entre les recettes du commerce ou de l’entreprise encaissées pendant cette même année […] et les dépenses effectuées pour réaliser ces recettes » (en italique dans l’original). Cette définition a été reprise par le président Jackett dans la décision Associated Investors of Canada Ltd. c. M.N.R., [1967] 2 R.C. de l’É. 96, où il a déclaré ceci, à la p. 102 :

[traduction] Les principes commerciaux ordinaires prescrivent, suivant les décisions, qu’il faut déterminer le profit annuel d’une entreprise en défalquant des revenus de cette dernière pour l’année les dépenses engagées en vue de tirer lesdits revenus.

[19]      Rien dans l’article 25 de la LMSI ou les articles 21 et 22 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation ne donne à penser que les bénéfices désignent autre chose que le montant qui serait établi suivant les principes commerciaux habituels; par conséquent, les bénéfices, pour l’application de ces dispositions, correspondent à la différence entre les dépenses et les revenus. On ne saurait utiliser les bénéfices d’une société qui fabrique et vend des marchandises à des utilisateurs finaux, sans aucune rectification, pour déterminer ceux de la société qui importe simplement les marchandises en question pour les vendre aux utilisateurs finaux pour la seule raison que ces deux sociétés se disputent les mêmes clients. En ne mettant l’accent que sur les clients à qui les produits sont vendus (et donc sur la composante revenu des bénéfices), la composante dépense (qui est également importante) n’est pas explicitement prise en compte. Il se peut très bien que les fonctions liées à la vente de marchandises soient très similaires, mais la société qui fabrique aussi ces marchandises exerce une fonction qui n’est pas celle de la société qui ne fait que les importer pour les vendre. Dans de telles circonstances, il faudrait justifier autrement que les bénéfices d’une société qui fabrique et vend des marchandises servent à établir ceux d’une société qui ne fait qu’importer les produits qu’elle vend. C’est justement ce qu’envisage le Guide LMSI dans la dernière phrase de l’extrait reproduit plus haut : « [l]orsque les considérations ci‑dessus touchant le niveau dans le circuit de distribution existent, le dossier doit expliquer clairement les motifs de la décision. »

[20]      En l’espèce, comme nous l’avons déjà indiqué, le président a calculé la valeur normale aux termes de l’alinéa 19b) de la LMSI en ajoutant au coût de production de HHI certains montants, notamment une somme raisonnable pour les bénéfices. Un montant représentant les profits attribuables à la fonction de fabrication a donc été inclus dans la valeur normale (et l’a ainsi augmentée). Si le montant des bénéfices raisonnablement attribuables à une fonction de fabrication était également déduit pour établir le prix à l’exportation pour HC, il serait pris en compte deux fois — pour calculer la valeur normale pour HHI, et aussi pour calculer le prix à l’exportation pour HC. Rien n’indique que le montant des bénéfices des deux plaignantes (qui fabriquent toutes deux des transformateurs de puissance) ait été rectifié avant de servir à déterminer le prix à l’exportation pour HC, et aucune raison n’a été fournie pour expliquer cette omission. La seule justification donnée pour avoir recours à ces montants est que les sociétés se disputaient les mêmes clients.

[21]      Étant donné que la marge de dumping correspond à la différence entre la valeur normale et le prix à l’exportation, il ne me paraît pas raisonnable (ni correct) dans la présente affaire d’augmenter la valeur normale en incluant un montant de bénéfices attribuables à la fonction de fabrication, et de réduire en même temps le prix à l’exportation en déduisant ce même montant, sans autre explication.

[22]      Il faut d’ailleurs noter que seulement trois montants ont été utilisés pour déterminer les bénéfices moyens. L’un de ces montants représentait les profits réalisés par une société qui vend seulement des transformateurs de puissance qu’elle fabrique au Canada, et l’autre des bénéfices réalisés par une société vendant des transformateurs de puissance qu’elle fabrique au Canada ou qu’elle importe au pays. Par conséquent, les deux tiers des valeurs employées pour déterminer le montant des bénéfices d’une société, qui vend seulement les transformateurs de puissance qu’elle importe au Canada, représenteraient vraisemblablement le montant des bénéfices attribuables à la fonction de fabrication.

[23]      Les demanderesses ont également soulevé certaines questions concernant la procédure suivie par le président. Il convient de noter que ce n’est que dans leur avis de demande qu’elles ont relevé que le président n’a pas obtenu de l’une des plaignantes des renseignements précis concernant les bénéfices, mais qu’elles ont soulevé d’autres points dans leur mémoire des faits et du droit. Comme je suis d’avis de renvoyer l’affaire au président pour qu’il la réexamine, je ne traiterai pas des questions relatives à la procédure qu’il a suivie.

[24]      Il faut signaler toutefois que la LMSI prévoit des délais stricts à l’intérieur desquels le président doit déterminer les montants. Aux termes du paragraphe 38(1) de la LMSI, le président doit rendre une décision provisoire de dumping dans un délai de 30 jours qui commence à courir 60 jours après le lancement d’une enquête au titre de l’article 31 (à moins qu’il ne proroge ce délai de 45 jours comme l’y autorise le paragraphe 39(1) pour les motifs prévus dans cette disposition). Dans les 90 jours suivant la décision provisoire de dumping rendue en vertu du paragraphe 38(1) de la LMSI, le président doit rendre une décision définitive de dumping aux termes de l’article 41. Comme il doit respecter des délais stricts, le président doit bénéficier d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer le meilleur moyen d’obtenir les renseignements nécessaires à l’intérieur de ces échéances relativement courtes.

[25]      Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens, j’annulerais la décision définitive de dumping, et je renverrais l’affaire au président pour qu’il rende une décision conforme aux présents motifs.

Le juge Mainville, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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