Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2016] 3 R.C.F. 19

A-293-15

2015 CAF 268

The Canadian Copyright Licensing Agency, s/n Access Copyright (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Alberta, Sa Majesté la Reine du chef de la province du Manitoba, la province du Nouveau-Brunswick, Sa Majesté du chef de Terre-Neuve-et-Labrador, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Nouvelle-Écosse, le gouvernement du Nunavut, Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Île-du-Prince-Édouard, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Saskatchewan, le gouvernement du Yukon et Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique (intimés)

Répertorié : Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta

Cour d’appel fédérale, juge Stratas, J.C.A.—Ottawa, 26 novembre 2015.

Pratique — Affidavits — Requête demandant le retrait de certains documents que la demanderesse a inclus dans la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Commission du droit d’auteur du Canada — La Commission a répondu à la demande en vertu de la r. 317 des Règles des Cours fédérales — La demanderesse a placé les documents qui n’avaient pas été obtenus en vertu de la règle 317 dans son dossier de demande — Ces documents n’étaient pas joints à un affidavit décrivant leur origine — Il s’agissait de savoir comment une personne présente devant la cour de révision les documents qui ont été présentés au décideur administratif — La demanderesse a commis une erreur en ne déposant pas les documents au moyen d’un affidavit en vertu de la règle 306 des Règles — Le dépôt d’un affidavit permet de procéder à un contre-interrogatoire sur celui-ci, car les parties sont en droit de vérifier les positions de l’autre partie sur la question de savoir si certains documents joints aux affidavits étaient effectivement devant le décideur administratif — Même si elle était de bonne foi, la demanderesse est allée à l’encontre de la règle selon laquelle les faits doivent être prouvés au moyen d’éléments de preuve et elle aurait pu donner lieu à une iniquité procédurale — Quant au recours, la règle 3 des Règles oblige la Cour à appliquer les Règles de façon à permettre d’apporter une solution juste, et non de punir une partie qui a fait une erreur qui peut être corrigée — La Cour a ordonné entre autres le retrait du dossier des documents qui y ont été inclus par erreur, permettant aux parties de déposer des affidavits en vertu de la règle 306 des Règles et de procéder à des contre-interrogatoires en vertu de la règle 308 des Règles — Requête accordée.

Il s’agissait d’une requête présentée par les intimés demandant le retrait de certains documents que la demanderesse a inclus dans sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada.

En réponse à la demande formulée par la demanderesse en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, la Commission a informé les parties qu’elle n’avait en sa possession aucun document pertinent que la demanderesse n’avait pas déjà en sa possession. La demanderesse a ensuite placé les documents qui n’avaient pas été obtenus en vertu de la règle 317 dans son dossier de demande. Ils n’étaient pas joints à un affidavit décrivant l’origine des documents.

Il s’agissait de savoir comment une personne présente devant la cour de révision les documents qui ont été présentés au décideur administratif.

Jugement : la requête doit être accordée.

Des documents qui ne sont pas présentés avec un affidavit qui en certifie l’authenticité ne sont pas en soi des éléments de preuve admissibles. Aux termes des règles 306 et 307, les demandeurs et les intimés peuvent signifier à l’autre partie un affidavit accompagné des documents. Elles n’ont à inclure que les documents nécessaires à la demande. La règle 308 permet d’effectuer des contre-interrogatoires relativement aux affidavits, car les parties sont en droit de vérifier les positions de l’autre partie sur la question de savoir si certains documents joints aux affidavits étaient effectivement devant le décideur administratif au moment où il a rendu sa décision. La demanderesse a par conséquent commis une erreur en ne déposant pas les documents au moyen d’un affidavit en vertu de la règle 306 des Règles. Après avoir reçu cet affidavit, les intimés auraient pu exercer leur droit de contre-interroger en vertu de la règle 308. L’erreur de la demanderesse n’était pas mal intentionnée. La demanderesse était de bonne foi et elle cherchait une façon rapide et facile de présenter les documents devant la Cour. Malheureusement, la façon dont la demanderesse a procédé a contrevenu aux Règles, elle allait à l’encontre de la règle générale selon laquelle les faits dont est saisie la cour de révision doivent être prouvés au moyen d’éléments de preuve, et elle aurait pu donner lieu à une iniquité procédurale.

Pour ce qui est de remédier à la situation, la règle 3 oblige la Cour à appliquer les Règles de façon à permettre d’apporter une solution juste, et non de punir une partie qui a fait une erreur qui peut être corrigée. À cette fin, la Cour a ordonné, entre autres, que les documents inclus par erreur dans le dossier de demande de la demanderesse soient retirés de ce dossier; que la demanderesse signifie, conformément à la règle 306 des Règles, un affidavit accompagnant les documents qui, selon elle, ont été présentés devant la Commission et qui sont en sa possession, y compris les documents inclus par erreur dans le dossier de demande; que les intimés signifient des affidavits en réponse à l’affidavit de la demanderesse; et, conformément à la règle 308, que des contre-interrogatoires aient lieu en ce qui concerne ces affidavits.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 3, 306, 307, 308, 309, 310, 317, 318.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. v. Northumberland Compensation Appeal Tribunal, ex p. Shaw, [1951] EWCA Civ. 1 (BAILII), [1952] 1 K.B. 338; Hartwig v. Commission of Inquiry into matters relating to the death of Neil Stonechild, 2007 SKCA 74 (CanLII), 284 D.L.R. (4th) 268.

DÉCISIONS CITÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224; Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81; Canada (Procureur général) c. Lacey, 2008 CAF 242; Canada (Procureur général) c. Canadian North Inc., 2007 CAF 42; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263.

requête présentée par les intimés demandant le retrait de certains documents que la demanderesse a inclus dans sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada (Access Copyright (Gouvernements provinciaux et territoriaux – 2005-2014), en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2015/DEC-2015-03-22.pdf>). Requête accordée.

OBSERVATIONS ÉCRITES

Jessica Zagar pour la demanderesse.

Wanda Noel, J. Aidan O’Neill et Ariel A. Thomas pour les intimés sauf Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique.

Bruce M. Green pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

The Canadian Copyright Licensing Agency, exerçant ses activités sous le nom d’« Access Copyright », Toronto, pour la demanderesse.

Wanda Noel et Fasken Martineau DuMoulin, S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour les intimés (sauf Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique).

Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, Vancouver, pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Stratas, J.C.A. :

A.        Introduction et faits essentiels donnant lieu à la requête

[1]        Access Copyright a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. La société cherche à faire casser la décision de la Commission du droit d'auteur du 22 mai 2015 [Access Copyright (Gouvernements provinciaux et territoriaux) 2005-2014]. Les intimés ont maintenant présenté une requête demandant le retrait de certains documents qu'Access Copyright a inclus dans le dossier de demande.

[2]        Pour commencer, il est nécessaire de faire une brève description des documents en litige.

[3]        Dans son avis de demande, Access Copyright a inclus une demande en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106 (les Règles)] afin que la Commission lui fournisse « des documents [et] des éléments matériels pertinents quant à la demande qu'[Access Copyright] n'a pas mais qui sont en la possession [de la Commission] ». En réponse à la demande formulée en vertu de la règle 317, la Commission a informé les parties qu'elle n'avait en sa possession aucun document pertinent que la demanderesse n'avait pas déjà en sa possession.

[4]        La requête dont la Cour est saisie concerne la façon dont Access Copyright a traité les documents qui avaient été présentés devant la Commission et qui étaient en sa possession, c'est-à-dire les documents qui n'ont pas été obtenus en vertu de la règle 317. Access Copyright a simplement placé les documents dans son dossier de demande. Ils n'étaient pas joints à un affidavit décrivant l'origine des documents.

[5]        Les intimés demandent la radiation de ces documents du dossier de la demanderesse. Ils affirment que les documents auraient dû être joints à un affidavit. Pour les motifs qui suivent, je suis d'accord avec les intimés.

[6]        L'omission de joindre les documents à un affidavit semble être une lacune technique sans importance. Comme je l'expliquerai, ce n'est pas le cas : dans certaines circonstances, cette lacune peut entraîner une iniquité procédurale, et elle porte atteinte à un principe fondamental concernant l'admissibilité de la preuve.

B.        Analyse

1)         Les principes applicables

[7]        La question suivante est à la base de la requête : dans un contrôle judiciaire, comment une personne présente-t-elle devant la cour de révision les documents qui ont été présentés au décideur administratif?

[8]        La fréquence à laquelle cette question est soumise aux Cours fédérales démontre que beaucoup de gens ne connaissent pas la réponse. Il y a peu de jurisprudence à ce sujet, peut-être parce que nous considérons que les règles pertinentes sont claires. En effet, les règles sont claires, mais elles sont complexes et liées entre elles. Dans certains cas, elles s'interprètent en tenant compte de la common law. Il est maintenant temps de donner des lignes directrices générales.

[9]        Comme pour chaque question de procédure qui se présente dans le système des Cours fédérales, il faut s'en remettre en premier lieu aux Règles des Cours fédérales.

[10]      Voyons d'abord la règle 317, celui qu'Access Copyright a invoqué dans son avis de demande. La règle 317 permet à une partie d'obtenir certains documents du décideur administratif. Celui-ci répond à la demande conformément à la règle 318 des Règles.

[11]      La règle 317 s'interprète en tenant compte de la common law. Il y a plus de 60 ans, le bref de certiorari, qui servait à casser les décisions d'un décideur administratif, pouvait être utilisé dans le cas d'une erreur apparaissant à la lecture du dossier. Ce type d'erreur était assez limité et n'avait rien à voir avec la notion du caractère déraisonnable telle que nous la connaissons aujourd'hui. Par conséquent, les documents dont était saisi le décideur administratif et qui pouvaient être présentés à la cour de révision étaient extrêmement limités : R. v. Northumberland Compensation Appeal Tribunal, ex p. Shaw, [1951] EWCA Civ. 1 (BAILII), [1952] 1 K.B. 338, aux pages 351 et 352.

[12]      La décision Northumberland établissait le principe voulant que la preuve présentée au décideur administratif ne devait pas être produite devant la cour de révision. Cependant, depuis la décision Northumberland, les possibilités de recours au certiorari se sont radicalement élargies, ce qui a eu pour effet d'accroître la quantité de documents qu'il faut présenter à la cour de révision. De nos jours, le certiorari peut être utilisé en cas de décision déraisonnable quant au fond, comme la situation envisagée dans la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Un contrôle judiciaire de cette nature peut exiger que la cour de révision soit saisie de grandes parties des documents dont le décideur administratif a tenu compte pour rendre sa décision, ou même de la totalité de ces documents.

[13]      La règle 317 reflète la réalité d'aujourd'hui, c'est-à-dire que les motifs admissibles de contrôle judiciaire sont plus vastes qu'ils l'ont déjà été. Il donne au demandeur le droit de recevoir tout ce dont était saisi le décideur au moment où celui-ci a rendu sa décision et que le demandeur n'a pas en sa possession : Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, au paragraphe 7. Cela permet aux parties de [traduction] « se prévaloir efficacement de leur droit de contester des décisions administratives du point de vue du caractère raisonnable » et de [traduction] « faire en sorte que la cour de révision [qui est appelée à statuer sur le caractère raisonnable] examine la preuve présentée au tribunal en question » : Hartwig v. Commission of Inquiry into matters relating to the death of Neil Stonechild, 2007 SKCA 74 (CanLII), 284 D.L.R. (4th) 268, au paragraphe 24 (où des commentaires sont formulés relativement à une règle semblable à la règle 317).

[14]      Cet extrait de la décision Hartwig reconnaît le lien qui existe entre le dossier dont est saisie la cour de révision et la capacité qu'a la cour de révision d'examiner ce qu'a fait le décideur administratif. Si la cour de révision n'a aucune preuve de ce sur quoi le décideur administratif s'est fondé, elle pourrait ne pas être en mesure de détecter une erreur susceptible de révision. Autrement dit, si le dossier de la preuve présenté à la cour de révision est insuffisant, cela pourrait mettre le décideur administratif à l'abri du contrôle judiciaire à l'égard de certains des motifs possibles. Voir Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81, au paragraphe 276 (dans des motifs rendus par un juge dissident, mais qui ne font pas l'objet de désaccord sur ce point).

[15]      La règle 317 peut avoir une autre utilité qui est moins essentielle, mais qui demeure importante. Les parties qui étaient présentes devant le décideur administratif ont souvent en leur possession tous les documents que le décideur administratif a examinés pour rendre sa décision. Cependant, ce n'est pas toujours le cas. De plus, il arrive que les parties n'aient pas la certitude d'avoir tout en leur possession. Parfois, elles désirent confirmer exactement ce dont le décideur a effectivement tenu compte pour rendre sa décision. La règle 317 des Règles leur en donne le moyen.

[16]      Pour répondre à une demande formulée en vertu de la règle 317, le décideur administratif suit la règle 318. Aux termes de cette règle, il remet au demandeur les documents qu'il avait au moment où la décision en litige a été rendue (et que le demandeur n'a pas en sa possession). La règle 318 autorise également le décideur administratif à contester la communication des documents, par exemple en invoquant un privilège d'intérêt public ou le secret professionnel de l'avocat : voir la décision Slansky, précitée, aux paragraphes 277 à 283, au sujet de la façon de traiter une objection formulée conformément à la règle 318 dans le cas de documents confidentiels.

[17]      Les documents transmis par le décideur administratif en réponse à une demande faite en vertu de la règle 317 peuvent être simplement versés dans le dossier du demandeur ou de l'intimé : voir les alinéas 309(2)e.1) et 310(2)c.1) des Règles. Lorsque cela est fait, les documents se trouvent alors dans le dossier de la preuve dont est saisie la cour de révision et ils peuvent être utilisés par les parties et par la Cour. Aucun affidavit n'est nécessaire.

[18]      Par souci d'exhaustivité, je dois signaler deux autres choses. Premièrement, des extraits de toute transcription des témoignages oraux recueillis par un tribunal peuvent également être versés dans le dossier du demandeur ou de l'intimé sans affidavit : voir les alinéas 309(2)f) et 310(2)d) des Règles. Deuxièmement, la règle 318 prévoit qu'en plus de transmettre les documents à la partie qui a présenté la demande en vertu de la règle 317, le décideur administratif doit également « transmet[tre] » une copie certifiée conforme des documents à la cour de révision. Il faut souligner que les Règles utilisent le verbe « transmet[tre] », et non « déposer ». Les documents ne sont pas présentés officiellement devant la cour de révision comme faisant partie du dossier de la preuve : Canada (Procureur général) c. Lacey, 2008 CAF 242. Le greffe reçoit plutôt les documents afin de vérifier que les documents contenus dans un dossier de demande au titre des alinéas 309(2)e.1) ou 310(2)c.1) sont bel et bien ceux qu'a fournis le décideur administratif : Canada (Procureur général) c. Canadian North Inc., 2007 CAF 42, au paragraphe 11.

[19]      Je vais maintenant aborder la question des documents qu'une partie a en sa possession et dont le décideur administratif était saisi au moment où il a rendu sa décision. Ces documents peuvent être pertinents aux fins du contrôle judiciaire, mais ils ne sont pas transmis par un décideur en réponse à une demande faite en vertu de la règle 317. Les règles 309 et 310 ne permettent pas de verser ces documents dans le dossier du demandeur ou de l'intimé. Par conséquent, les parties doivent poser concrètement le geste de présenter ces éléments devant la cour de révision.

[20]      Il convient d'examiner ici les règles 306 à 310. Cependant, il faut avant tout comprendre que ces règles vont de pair avec un principe général fondamental : les faits doivent être prouvés au moyen d'éléments de preuve admissibles. Il existe des exceptions à cette règle, comme la connaissance d'office, les dispositions légales traitant de la question ou un exposé conjoint des faits (y compris une entente selon laquelle certains documents sont admissibles). Sauf pour ces exceptions, des documents qui ne sont pas présentés avec un affidavit qui en certifie l'authenticité ne sont pas en soi des éléments de preuve admissibles. Les documents simplement versés dans un dossier de demande ne sont pas admissibles.

[21]      Aux termes des règles 306 et 307, les demandeurs et les intimés peuvent signifier à l'autre partie un affidavit accompagné des documents. Soit dit en passant, par souci d'exhaustivité, je signale que des documents qui n'ont pas été présentés devant le décideur administratif peuvent être présentés à la cour de révision au moyen d'un affidavit. Cependant, il y a des restrictions et des exigences en matière d'admissibilité qu'il faut respecter et qui sont propres aux procédures de contrôle judiciaire : voir, par exemple, la décision Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, et les décisions qui y sont mentionnées.

[22]      En vertu des règles 306 et 307, les parties ne sont pas tenues d'inclure tous les documents dont était saisi le décideur administratif. Pour réduire les frais et simplifier le dossier, elles n'ont à inclure que les documents nécessaires à la demande. Ainsi donc, un demandeur peut signifier, conformément à la règle 306, un affidavit accompagné seulement de quelques-uns des documents. Pour sa part, l'intimé peut estimer que d'autres documents sont nécessaires. Il peut alors invoquer la règle 307 pour signifier un affidavit ajoutant des documents supplémentaires. Voir de façon générale la décision Canadian North, précitée, aux paragraphes 3 à 5.

[23]      La règle 308 permet d'effectuer des contre-interrogatoires relativement aux affidavits. Pourquoi des contre-interrogatoires? Il peut parfois y avoir un doute sur la question de savoir si certains documents joints aux affidavits étaient effectivement devant le décideur administratif au moment où il a rendu sa décision. Les parties sont en droit de vérifier les positions de l'autre partie à cet égard. Plus tard, la cour de révision pourrait avoir à déterminer le contenu du dossier de la preuve avant de continuer et, dans certains cas, elle pourrait se fonder sur les contre-interrogatoires.

[24]      Tout affidavit signifié en vertu des règles 306 et 307 est versé dans le dossier de l'appelant ou de l'intimé : voir les alinéas 309(2)d) et 310(2)b). Les transcriptions des contre-interrogatoires doivent également être incluses : voir les alinéas 309(2)e) et 310(2)c).

2)         L'application des principes à l'espèce

[25]      En l'espèce, Access Copyright a simplement inclus, dans son dossier de demande, des documents qu'elle avait en sa possession et qui, selon elle, étaient devant la Commission au moment où celle-ci a rendu sa décision. Les documents n'ont pas été déposés au moyen d'un affidavit.

[26]      D'après l'analyse qui précède, il s'agissait là d'une erreur. Access Copyright aurait dû signifier un affidavit expliquant que la Commission était saisie des documents au moment où elle a rendu sa décision, et joindre les documents pertinents à cet affidavit. Après avoir reçu cet affidavit, les intimés auraient pu exercer leur droit de contre-interroger. Comme je l'ai expliqué au paragraphe 23, le droit de contre-interroger peut être important dans certaines circonstances. En l'espèce, je ne peux pas dire si les intimés auraient exercé ou non leur droit de contre-interroger. Parce qu'ils auraient pu exercer ce droit, le fait qu'Access Copyright aurait dû signifier un affidavit prend de l'importance. Finalement, à la suite de tout contre-interrogatoire, Access Copyright aurait dû inclure l'affidavit (avec les pièces) et la transcription des contre-interrogatoires dans le dossier de demande : voir les alinéas 309(2)d) et 309(2)e).

[27]      Je suis convaincu que l'erreur d'Access Copyright n'était pas mal intentionnée. L'affidavit franc et professionnel de l'avocat principal démontre qu'Access Copyright était de bonne foi et qu'elle cherchait une façon rapide et facile de présenter les documents devant la Cour. Malheureusement, la façon dont Access Copyright a procédé a contrevenu aux Règles, elle allait à l'encontre de la règle générale selon laquelle les faits dont est saisie la cour de révision doivent être prouvés au moyen d'éléments de preuve, et elle aurait pu donner lieu à une iniquité procédurale.

[28]      Les Règles des Cours fédérales peuvent faire place à de bonnes intentions qui donnent naissance à des solutions ingénieuses et pratiques qui simplifient les choses. Au début de l'affaire, Access Copyright et les intimés auraient pu discuter du dossier de la preuve dont avait besoin la Cour et ils auraient pu s'entendre sur une liste de documents à verser au dossier. Ensuite, au moyen d'une simple lettre avant le dépôt du dossier de demande, ou au moment du dépôt, Access Copyright aurait pu demander sur consentement une ordonnance permettant que l'entente et les documents visés par celle-ci soient versés sans affidavit dans le dossier de demande : voir le paragraphe 20 des présents motifs en ce qui concerne les exposés conjoints des faits.

[29]      Étant donné qu'Access Copyright a inclus des documents par erreur dans son dossier de demande, que faire maintenant?

[30]      Les intimés déclarent avoir subi un [traduction] « préjudice irréparable » en raison de cette irrégularité [traduction] « flagrante ». Ils affirment avoir signifié un affidavit en réponse à l'affidavit d'Access Copyright sans se rendre compte qu'Access Copyright avait l'intention d'inclure bien d'autres documents dans le dossier de demande. Comme on le verra par la suite, il est possible de corriger facilement cette irrégularité mineure.

[31]      Pour ce qui est de remédier à la situation, la position principale des intimés est essentiellement « tant pis, trop tard » : il devrait être interdit à Access Copyright d'inclure un affidavit accompagné de ces documents dans le dossier de demande, peu importe la pertinence que les documents en question pourraient avoir relativement au contrôle judiciaire que doit exercer la Cour.

[32]      Cet argument est exagéré. La règle 3 des Règles nous oblige à appliquer les Règles de façon à permettre d'apporter une solution juste, et non de punir une partie qui a fait une erreur — relativement inoffensive en l'espèce — qui peut être corrigée.

[33]      À cette fin, la Cour ordonne ce qui suit :

a)         dans les 10 jours suivant l'ordonnance de la Cour, les documents inclus par erreur dans le dossier de demande d'Access Copyright (qui seront précisés dans l'ordonnance de la Cour) doivent être retirés de ce dossier, et le mémoire des faits et du droit d'Access Copyright, rédigé en fonction du dossier incorrect, doit être retiré du dossier de demande ou du dossier de la Cour, selon le cas;

b)         dans les 20 jours suivant l'ordonnance de la Cour, conformément à la règle 306, Access Copyright peut signifier un affidavit accompagnant les documents qui, selon elle, ont été présentés devant la Commission et qui sont en sa possession, y compris les documents inclus par erreur dans le dossier de demande d'Access Copyright;

c)         conformément à la règle 307, les intimés peuvent signifier des affidavits en réponse à l'affidavit signifié aux termes du point b);

d)         conformément à la règle 308, des contre-interrogatoires peuvent avoir lieu en ce qui concerne les affidavits signifiés aux termes des points b) et c);

e)         les échéances pour les points c) et d) sont celles que fixent les règles 307 et 308;

f)          dans les délais prévus par la règle 309, Access Copyright doit préparer un dossier de demande supplémentaire comprenant les documents précisés à la règle 309 qui ne figurent pas dans la version corrigée du dossier de demande; au même moment, Access Copyright doit également déposer son mémoire des faits et du droit;

g)         les intimés (composés de deux groupes représentés séparément) doivent verser leurs dossiers et leurs mémoires des faits et du droit conformément à la règle 310; plus précisément, ces dossiers doivent comprendre tous les affidavits des intimés, peu importe s'ils ont été déposés en réponse au nouvel affidavit d'Access Copyright ou en réponse à la version originale du dossier de demande d'Access Copyright;

h)        les délais ultérieurs sont ceux que prescrivent les Règles des Cours fédérales.

[34]      Cette requête concernait une erreur mineure qui pouvait être corrigée. Tant et aussi longtemps que des êtres humains prendront part à des litiges, peu importe les efforts qui seront déployés, des erreurs comme celle commise en l'espèce se produiront parfois, même de la part d'excellents avocats. Heureusement, la plupart des erreurs de procédure, comme celle en l'espèce, n'ont pas de répercussions graves sur les droits des clients. Les erreurs de ce genre ne devraient être rien de plus qu'un inconvénient mineur au cours du trajet qui nous mène à la destination ultime : une décision sur le litige qui est juste et équitable pour tous.

[35]      Cependant, en l'espèce, les parties se sont arrêtées en cours de route pour se quereller, et elles ont oublié la destination. Après qu'Access Copyright eut commis son erreur, les intimés ont écrit pour signaler l'erreur. Malgré la clarté des règles pertinentes, Access Copyright est restée sur sa position au lieu de la réévaluer. À cela, les intimés ont réagi en présentant leur requête. Mais ils se sont eux aussi montrés inflexibles en affirmant avec fermeté que selon eux, il devait être interdit à Access Copyright d'utiliser, aux fins du contrôle judiciaire, tout document qu'elle avait inclus de manière incorrecte dans son dossier de demande, peu importe si la Cour en avait besoin ou non. Access Copyright a réagi à son tour en présentant une requête incidente, pour laquelle la Cour n'a pas à rendre une décision, où elle proposait une solution moins sévère et plus pratique. Dans cette requête incidente, Access Copyright a présenté des observations louables qui démontraient qu'elle reconnaissait son erreur. Cependant, cela n'a rien changé : ni l'une ni l'autre partie n'a repris la route.

[36]      Toutes les parties ont agi de bonne foi; elles ont représenté les intérêts de leurs clients avec vigueur et elles ont défendu leur position avec leur excellence habituelle. Cependant, en l'espèce, l'intransigeance du début a débouché sur une requête visant un redressement excessif, ce qui a suscité à son tour une requête incidente. On a perdu de vue la destination : la Cour, soucieuse d'apporter une solution pratique au problème, veut simplement effectuer son contrôle judiciaire correctement et équitablement, en se fondant sur un dossier de la preuve bien fondé et juste. L'accent aurait dû être mis sur la solution, et non sur le conflit.

[37]      Une ordonnance sera rendue conformément aux présents motifs. Il ne sera pas adjugé de dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.