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[1996] 2 C.F. 3

A-656-95

Me André Côté, Me Fernand Côté, Me Denis Côté, Me Gaétane Labrie, Me Jean Soucy, Me Gaétan Bouchard, Me Laval Desbiens, Me René Michel Ouellet, Me Sandra Thériault, Me Dorisse St-Pierre, Me Line St-Pierre, Me Richard Thivierge, Me Claude Lajoie, Me Yvon Lemieux, Me Marie-Josée Raymond, Me Aline Rouleau, Me André Lagacé, Me Louise Jean, Me Jean-Jacques Vien et Me Gaston Michaud (appelants)

c.

M. George Addy, directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi sur la concurrence (intimé)

Répertorié : Côté c. Addy (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Montréal, 8 janvier; Ottawa, 5 février 1996.

Concurrence Appel formé contre un jugement de la Section de première instance rejetant une requête en annulation de mandats de perquisitionLes appelants pratiquent la profession de notaire dans la province de QuébecIls auraient comploté pour empêcher ou réduire la concurrence dans des transactions immobilières, en contravention de l’art. 45(1)c) de la Loi sur la concurrenceLes mandats de perquisition avaient été décernés en vertu de l’art. 15(1) de la LoiOn ne peut pas interjeter appel de la délivrance d’un mandat de perquisition décerné en vertu de la Loi sur la concurrenceLe législateur fédéral a décidé d’exclure la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance rendue à l’étape de l’enquêteLes contestations des appelants quant au fond étaient prématurées, et le meilleur moment pour les trancher serait lors du procès.

Compétence de la Cour fédérale Section d’appel Les appelants ont invoqué la Règle 330 en vue de l’annulation de mandats de perquisitionLe juge de première instance a rejeté la requête pour le motif qu’elle était prématuréeEn raison des dispositions de la Loi sur la concurrence, la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence pour vérifier le bien-fondé d’un jugement de révision d’une ordonnance de délivrance d’un mandat de perquisitionSon rôle n’en est pas un de contrôle et de surveillance à l’égard de la Section de première instanceExamen de la jurisprudence relative aux appels interjetés contre des mandats de perquisitionL’impossibilité d’interjeter appel en vertu de la Loi sur la concurrence est analogue à celle constatée par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la Loi de l’impôt sur le revenuL’exclusion des procédures prévues à l’art. 15 de la disposition relative aux appels doit être traitée en vertu du Code criminel.

Il s’agissait d’un appel formé contre un jugement de la Section de première instance rejetant une requête en annulation de mandats de perquisition. Ces mandats ont été décernés en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la concurrence sur la foi d’allégations selon lesquelles les appelants, qui pratiquent tous la profession de notaire dans la province de Québec, avaient comploté pour empêcher ou réduire la concurrence dans la prestation de services professionnels reliés aux transactions immobilières, en contravention de l’alinéa 45(1)c) de la Loi. Les appelants ont contesté la légalité des gestes accomplis par l’intimé pour les motifs qu’il n’a pas été prouvé que les sources non identifiées que le dénonciateur invoquait étaient dignes de confiance; que les dénonciations ne contenaient pas de motifs raisonnables pour justifier la délivrance de mandats de perquisition; et que la description des biens dont la saisie était autorisée était trop vague et trop générale. Il a été allégué que cela constituait une violation des articles 7 et 8 de la Charte, mais la validité de la Loi sur la concurrence elle-même n’a pas été contestée. Le juge Richard a conclu que ces contestations quant au fond étaient prématurées et il a rejeté la requête en annulation des mandats de perquisition. La principale question soulevée par le présent appel a trait à la compétence : peut-on interjeter appel à la Cour d’appel fédérale de la délivrance d’un mandat de perquisition par la Section de première instance?

Arrêt (le juge Décary, J.C.A., dissident) : l’appel doit être rejeté.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : La question de la possibilité d’interjeter appel contre la délivrance d’un mandat de perquisition en vertu de la Loi sur la concurrence a été examinée deux fois par la Cour d’appel de l’Ontario, qui a conclu qu’on ne peut pas interjeter appel auprès de cette Cour contre la délivrance d’un mandat de perquisition en vertu de la Loi. Cette dernière possède ses sauvegardes en vue de la protection de la partie qui fait l’objet de la perquisition, et la Cour d’appel ne devrait pas encourager le recours à d’autres réparations. En toute dernière analyse, l’ultime sauvegarde en faveur de la personne visée par une enquête est la tenue de son procès une fois que les accusations ont été formulées. L’impossibilité d’interjeter appel en vertu de la Loi sur la concurrence est analogue à celle constatée par la Cour suprême du Canada dans deux arrêts récents où elle a conclu à la majorité qu’on ne peut pas interjeter appel contre des mandats de perquisition décernés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Même si, dans ces deux cas, la contestation était fondée sur un droit d’appel existant en droit provincial, non en droit fédéral comme en l’espèce, les questions de principe étaient les mêmes. Comme le législateur fédéral a décidé délibérément d’exclure la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance rendue à l’étape de l’enquête, il faudrait donc considérer les droits d’appel en vertu de l’article 27 de la Loi sur la Cour fédérale comme étant limités aux affaires non criminelles. Le législateur fédéral a prévu expressément au paragraphe 73(3) de la Loi sur la concurrence un droit d’appel de la Section de première instance à la Cour d’appel dans des poursuites ou procédures criminelles précises entamées en vertu de la partie VI ou de l’article 74 de la Loi, mais pas en ce qui concerne les procédures relatives aux mandats de perquisition en vertu de l’article 15. Non seulement n’y a-t-il pas de « disposition contraire » dans la Loi en ce qui concerne les appels interjetés contre des mandats de perquisition, mais l’exclusion des procédures prévues à l’article 15 de la disposition relative aux appels laisse à entendre qu’elles étaient censées être traitées en vertu du Code criminel. La contestation de fond des appelants ne visait pas la constitutionnalité de l’article 15 ou de toute autre disposition de la Loi mais les gestes accomplis par l’intimé, et le meilleur moment pour la trancher, c’est lors du procès, où l’on pourra en faire toute la preuve. L’appel doit échouer en ce qui concerne la question de la compétence.

Le juge Marceau, J.C.A. : En raison des dispositions de la Loi sur la concurrence et du Code criminel, telles qu’interprétées et appliquées par la Cour suprême du Canada dans deux décisions récentes, la Cour d’appel fédérale n’a pas juridiction pour vérifier le bien-fondé d’un jugement de révision d’une ordonnance prévoyant la délivrance d’un mandat de perquisition. La Cour d’appel n’est pas, à l’égard de la Division de première instance, dans la même situation qu’une cour supérieure l’est à l’égard d’un tribunal inférieur. Son rôle n’en est pas un de contrôle et de surveillance. Peut-être pourrait-elle avoir le pouvoir de se prononcer sur la justesse d’une décision de première instance affirmant une absence de juridiction mais pas pour assumer elle-même juridiction. Le rejet opposé par le juge Richard à la demande de révision, au motif qu’il serait prématuré pour lui de considérer la prétention invoquée d’une violation des principes de la Charte, ne saurait être assimilé à un refus d’exercer sa juridiction sous l’autorité de la Règle 330. En rendant cette décision, il a agi tout à fait dans le cadre de sa compétence, et le Parlement n’a pas donné à la Cour d’appel le pouvoir de vérifier s’il a eu tort ou non.

Le juge Décary, J.C.A., (dissident) : Lorsque le juge de révision refuse d’exercer sa juridiction ou ne l’exerce qu’en partie, le justiciable qui est ainsi privé de son droit à une révision est-il contraint de faire son deuil de l’exercice de ce droit ou peut-il s’adresser à la Cour d’appel pour inviter celle-ci à forcer le juge de révision à exercer sa juridiction ou encore à l’exercer à sa place? Le juge de révision a ignoré l’argument des appelants relatif au caractère « large et général » de la description des effets à saisir eu égard à la nature de l’infraction alléguée. Il appartient traditionnellement au juge de révision de trancher, à la face même du mandat, la question de sa validité eu égard à l’ampleur de la description des effets à saisir. Les appelants n’ont pas eu, à proprement parler, de révision et le recours qu’ils ont exercé n’était pas, à l’égard de cet argument, un droit d’appel de la nature de celui que le législateur fédéral a voulu écarter par les dispositions de la Loi sur la concurrence. Les appelants avaient droit à ce que l’ordonnance prononcée ex parte soit révisée; ce droit leur a été en partie refusé par le juge de révision. Ils peuvent demander à la Cour d’appel fédérale, conformément aux alinéas 27(1)c) et 52b) de la Loi sur la Cour fédérale, d’ordonner au juge de révision de compléter l’exercice de sa juridiction ou demander à la Cour de le compléter à sa place.

Les mandats délivrés en l’espèce permettaient à l’intimé d’obtenir des informations relatives à la totalité des services rendus par les notaires et de déterminer si, en sus des actes touchant les transactions immobilières, il ne s’en trouverait pas d’autres qui pouvaient porter atteinte à la Loi sur la concurrence. C’est le particulier, et non le général, que le mandat devait viser, et tout en reconnaissant qu’il soit possible de permettre une saisie plus générale dans la mesure où elle peut être reliée au particulier, la méthode adoptée en l’espèce, qui était de permettre au départ la saisie générale, quitte à la réduire ensuite au particulier selon la discrétion des officiers saisissants, va fondamentalement à l’encontre des principes établis. En matière d’infractions dites économiques de la nature de celles qu’on trouve dans la Loi sur la concurrence, les tribunaux acceptent plus facilement que des mandats soient rédigés en termes généraux. Rédiger un mandat de manière à transformer l’infraction particulière reprochée en infraction générale ne saurait être toléré. Le juge qui décerne un mandat doit s’assurer que les moyens demandés ont un certain lien de proportionnalité avec l’infraction reprochée et les locaux visés. Le juge qui a décerné le mandat n’avait pas le pouvoir de décrire les effets à saisir de la manière dont elle l’a fait et, ce faisant, elle a donné à l’intimé carte blanche. L’ordonnance rendue ex parte doit être annulée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 34(2).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231.3 (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121).

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), art. 15(1) (mod., idem, art. 24), 45(1) (mod., idem, art. 30), 73(1),(3), 74 (mod., idem, art. 44).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 27(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 7), 52b) (mod., idem, art. 17).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 330 (mod. par DORS/79-58, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338; (1990), 106 N.B.R. (2d) 408; 73 D.L.R. (4th) 110; 265 A.P.R. 408; [1990] 2 C.T.C. 262; 58 C.C.C. (3d) 65; 90 DTC 6447; 110 N.R. 171; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53; (1993), 102 D.L.R. (4th) 456; [1993] 4 W.W.R. 225; 78 B.C.L.R. (2d) 257; 81 C.C.C. (3d) 286; 20 C.R. (4th) 104; 14 C.R.R. (2d) 193; [1993] 1 C.T.C. 301; 93 DTC 5137; 153 N.R. 1; 45 W.A.C. 81; Goldman et al. v. Hoffmann-La Roche Ltd. (1987), 60 O.R. (2d) 161; 42 D.L.R. (4th) 436; 35 C.C.C. (3d) 488; 16 C.P.R. (3d) 289; 22 O.A.C. 85 (C.A.); Hudson’s Bay Co. v. Canada (Director of Investigation and Research under the Competition Act) (1992), 10 O.R. (3d) 89; 42 C.P.R. (3d) 448; 58 O.A.C. 7 (C.A.); R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; (1991), 83 D.L.R. (4th) 193; 7 C.R. (4th) 117; 128 N.R. 81.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (1987), 28 Admin. L.R. 92; 36 C.C.C. (3d) 161; 59 C.R. (3d) 339; 32 C.R.R. 146 (C.A.); Société pour l’Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Édouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307 (1980), 58 C.P.R. (2d) 119; 39 N.R. 508 (C.A.); Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 20 (1989), 50 C.C.C. (3d) 182; 28 F.T.R. 79; 99 N.R. 22 (C.A.); Zevallos and The Queen, Re (1987), 37 C.C.C. (3d) 79; 59 C.R. (3d) 153; 32 C.R.R. 373; 22 O.A.C. 76 (C.A. Ont.); Lefebvre c. Morin, 200-10-000174-83, 4 février 1985, J.E. 85-366 (C.A. Qué.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 Q.A.C. 254; [1992] R.L. 91 (C.A.); Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462.

DÉCISIONS CITÉES :

Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416; (1993), 99 D.L.R. (4th) 350; 78 C.C.C. (3d) 510; 18 C.R. (4th) 374; 13 C.R.R. (2d) 65; [1993] 1 C.T.C. 111; 93 DTC 5018; 146 N.R. 270; R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764; (1989), 49 C.C.C. (3d) 453; 70 C.R. (3d) 383; 41 C.R.R. 39; 96 N.R. 391; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 21 C.R.R. 76; 67 N.R. 241; 16 O.A.C. 81; Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (1984), 13 D.L.R. (4th) 706; 12 C.R.R. 45; [1984] CTC 506; 84 DTC 6478; 55 N.R. 255 (C.A.); Lagiorgia c. Canada, [1987] 3 C.F. 28 (1987), 35 C.C.C. (3d) 445; 16 C.P.R. (3d) 74; 57 C.R. (3d) 284; [1987] 1 C.T.C. 424; 87 DTC 5245; 77 N.R. 78 (C.A.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Church of Scientology et al. and The Queen (No. 6), Re (1987), 31 C.C.C. (3d) 449; 30 C.R.R. 238; 18 O.A.C. 321 (C.A. Ont.); autorisation de pourvoi à la CSC refusée [1987] 1 R.C.S. vii.

APPEL formé contre un jugement de la Section de première instance rejetant une requête en annulation de mandats de perquisition décernés en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la concurrence. Appel rejeté.

AVOCATS :

Bruno J. Pateras, c.r., pour les appelants.

François Rioux pour l’intimé.

PROCUREURS :

Pateras & Iezzoni, Montréal, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Marceau, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des opinions émises par mes deux collègues et des conclusions opposées qu’ils défendent. Je suis de l’avis du juge MacGuigan, J.C.A. qu’en raison des dispositions de la Loi sur la concurrence [L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)] et du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], telles qu’interprétées et appliquées par la Cour suprême dans ses décisions récentes Knox Contracting Ltd.[1] et Kourtessis[2], cette Cour n’a pas juridiction pour vérifier le bien-fondé d’un jugement de révision d’une ordonnance d’émission d’un mandat de perquisition. Je suis d’accord avec ses motifs de jugement et crois, comme lui, qu’ils conduisent inéluctablement au rejet immédiat de l’appel. C’est avec égards que je crois, en effet, devoir me dissocier de cette opinion du juge Décary, J.C.A. à l’effet que la conclusion du juge MacGuigan, J.C.A. n’est pas décisive et que l’appel doit néanmoins réussir au motif que, si cette Cour n’a pas juridiction pour vérifier le bien-fondé du jugement de révision, elle peut et doit forcer le juge de première instance à exercer pleinement son pouvoir de révision lorsqu’il a omis de le faire ou encore se prononcer elle-même à sa place, si elle le juge à-propos. Voici brièvement pourquoi.

Je doute de l’exactitude de cette proposition que mon collègue met à la base de sa conclusion. La Section d’appel de la Cour fédérale n’est pas, à l’égard de la Section de première instance, dans la même situation qu’une cour supérieure l’est à l’égard d’un tribunal inférieur. Son rôle n’en est pas un de contrôle et de surveillance. Il serait étonnant que sa juridiction vienne du seul refus de la Section inférieure d’agir. Peut-être pourrait-elle avoir le pouvoir de se prononcer sur la justesse d’une décision de première instance affirmant une absence de juridiction mais certes pas, il me semble, pour assumer elle-même juridiction. De toute façon, mon opposition à la thèse de mon collègue ne vient pas autant de ces réserves que je viens d’exprimer à l’égard de sa proposition de principe que de ma conviction que cette proposition de principe, même si elle était valable, ne pourrait avoir application.

C’est qu’à mon avis, le rejet opposé par le juge de première instance à la demande de révision, au motif qu’il serait prématuré pour lui de considérer la prétention invoquée d’une violation des principes de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], ne saurait être assimilé à un refus d’exercer sa juridiction sous l’autorité de la Règle 330 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/79-58, art. 1)]. C’est dans le pur exercice de sa juridiction que le juge considère prématuré, que ce soit pour cause de manque de preuve ou autre, peu importe, de considérer un tel moyen fondé sur la Charte. On peut prétendre qu’il a eu tort mais on ne peut soutenir qu’il a refusé d’exercer sa juridiction, et le Parlement n’a pas donné à cette Cour le pouvoir de vérifier s’il a eu tort ou non. Si l’on se place sur le seul plan pratique, d’ailleurs, la position de mon collègue me semble déboucher sur une situation qui serait difficile à comprendre : un rejet de la demande de révision au motif qu’il serait prématuré de considérer le moyen invoqué basé sur la Charte conduirait à une décision de cette Cour soumise au contrôle de la Cour suprême alors qu’un rejet de la demande au motif que le moyen invoqué basé sur la Charte ne lui paraît pas convaincant fermerait définitivement la porte à toute considération par quelqu’autre tribunal, supérieur ou non.

Voilà donc pourquoi je ne puis souscrire à la thèse de mon collègue Décary et fais miens les motifs de jugement de mon collègue MacGuigan, avec sa conclusion que l’appel doit être rejeté pour défaut de juridiction.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Il s’agit d’un appel formé contre un jugement rejetant une requête en annulation de mandats de perquisition. Ces mandats avaient été décernés après qu’un représentant de l’intimé eut fait sous serment des dénonciations selon lesquelles il existait des motifs raisonnables de croire que les appelants, qui pratiquaient tous la profession de notaire à Rivière-du-Loup et à Trois-Pistoles dans la province de Québec, avaient comploté et conclu un accord pour empêcher ou réduire la concurrence dans la prestation de services professionnels reliés à des transactions immobilières, en contravention de l’alinéa 45(1)c) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 30] de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, et ses modifications (la Loi).

Le dénonciateur a déclaré que ses sources étaient principalement les six enquêtes effectuées par téléphone auprès des bureaux en question. En se fondant sur ces dénonciations, le juge McGillis a décerné des mandats de perquisition les 16 et 22 mars 1995, en vertu du paragraphe 15(1) [mod., idem, art. 24] de la Loi, mandats qui autorisaient l’intimé à entrer dans les locaux des appelants et à y faire des perquisitions en vue de saisir certains documents. Les mandats de perquisition ont tous été exécutés en mars 1995.

Les appelants ont présenté une requête en vertu de la Règle 330 des Règles de la Cour fédérale en vue de l’annulation des mandats de perquisition. Cette requête a été rejetée par le juge Richard le 10 octobre 1995. Les appelants ont interjeté appel auprès de notre Cour en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 7].

Bien que le dossier conjoint en l’espèce soit presque exclusivement en français, les avocats des deux parties ont fait valoir leurs points de vue entièrement en anglais. La Cour a demandé aux parties de débattre la question de la compétence avant la question de fond.

Les dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence sont libellées ainsi :

15. (1) À la demande ex parte du directeur ou de son représentant autorisé et si, après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle, un juge d’une cour supérieure, d’une cour de comté ou de la Cour fédérale est convaincu :

a) qu’il existe des motifs raisonnables de croire :

(i) soit qu’une personne a contrevenu ou a manqué de se conformer à une ordonnance rendue en application de l’article 32, 33 ou 34, ou de la partie VIII,

(ii) soit qu’il y a des motifs justifiant que soit rendue une ordonnance aux termes de la partie VIII,

(iii) soit qu’une infraction prévue à la partie VI ou VII a été perpétrée ou est sur le point de l’être;

b) qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il existe, en un local quelconque, un document ou une autre chose qui fournira une preuve en ce qui concerne les circonstances visées aux sous-alinéas a)(i), (ii) ou (iii), selon le cas,

celui-ci peut délivrer sous son seing un mandat autorisant le directeur ou toute autre personne qui y est nommée à :

c) pénétrer dans le local, sous réserve des conditions que peut fixer le mandat;

d) perquisitionner dans le local en vue soit d’obtenir ce document ou cette autre chose et d’en prendre copie, soit de l’emporter pour en faire l’examen ou en prendre des copies.

45. (1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de cinq ans et une amende maximale de dix millions de dollars, ou l’une de ces peines, quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou arrangement avec une autre personne :

73. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le procureur général du Canada peut entamer et diriger toutes poursuites ou autres procédures prévues par l’article 34, l’un des articles 45 à 51 … devant la Section de première instance de la Cour fédérale, et, aux fins de telles poursuites ou autres procédures, la Section de première instance de la Cour fédérale possède tous les pouvoirs et la compétence d’une cour supérieure de juridiction criminelle selon le Code criminel et selon la présente loi.

(3) Un appel peut être interjeté de la Section de première instance de la Cour fédérale à la Cour d’appel fédérale et de la Cour d’appel fédérale à la Cour suprême du Canada dans toutes poursuites ou procédures visées à la partie VI ou à l’article 74 de la présente loi, conformément à la partie XXI du Code criminel pour les appels d’un tribunal de première instance, et d’une cour d’appel.

Le paragraphe 34(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, prévoit :

34. (1) …

(2) Sauf disposition contraire du texte créant l’infraction, les dispositions du Code criminel relatives aux actes criminels s’appliquent aux actes criminels prévus par un texte et celles qui portent sur les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire s’appliquent à toutes les autres infractions créées par le texte.

La Règle 330 des Règles de la Cour fédérale dispose :

Règle 330. La Cour peut annuler

a) toute ordonnance rendue ex parte, ou

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui a omis de comparaître par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis de requête insuffisant;

mais une telle annulation n’affecte ni la validité ni la nature d’une action ou omission antérieure à l’ordonnance d’annulation sauf dans la mesure où la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d’annulation.

Le paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale est libellé ainsi :

27. (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d’appel fédérale, des décisions suivantes de la Section de première instance :

a) jugement définitif;

b) jugement sur une question de droit rendu avant l’instruction;

c) jugement interlocutoire;

d) jugement sur un renvoi d’un office fédéral ou du procureur général du Canada.

La Charte canadienne des droits et libertés prévoit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

I

En ce qui a trait à la compétence, la présente affaire porte surtout sur une question qui a fait l’objet d’un arrêt où la Cour suprême du Canada était partagée à 3 contre 3 dans l’affaire Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53 : peut-on interjeter appel à la Cour d’appel fédérale de la délivrance d’un mandat de perquisition par la Section de première instance?

Dans l’affaire Kourtessis, une cour supérieure d’une province avait décerné des mandats pour la perquisition et la saisie de documents pouvant servir à prouver qu’il y avait eu violations de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. La formation de la Cour suprême a conclu à l’unanimité que l’appel devait être accueilli, puisqu’il avait déjà été jugé que l’article 231.3 [édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 121] violait l’article 8 de la Charte dans l’arrêt Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, mais elle était partagée de façon égale sur la question de procédure consistant à savoir s’il importait sur le plan de la compétence que le mandat de perquisition ait été décerné dans l’affaire Baron par la Cour fédérale tandis qu’en l’espèce il émanait d’une cour supérieure d’une province.

Le juge La Forest a signalé que les appels ne sont qu’une création de la loi écrite, comme la Cour l’avait décidé dans l’arrêt R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, et que, particulièrement en matière criminelle, les questions interlocutoires qui peuvent être tranchées au procès devraient l’être à ce moment-là, plutôt qu’à l’occasion de requêtes distinctes, pour des raisons de dépens, de temps, d’efforts et d’argent. En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, la procédure applicable aux dispositions pénales est celle prévue au Code criminel, qui, sous son régime général de procédure criminelle, ne prévoit aucun droit d’appel à l’encontre d’une ordonnance qui décerne un mandat de perquisition; ce résultat découlait de l’arrêt Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338, où la Cour a jugé à la majorité que les procédures de perquisition visées à l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu ont été adoptées conformément à la compétence fédérale en matière de droit criminel et de procédure criminelle et que, par conséquent, aucun droit d’appel prévu par la procédure d’une province ne s’appliquait.

Le juge La Forest a examiné l’anomalie possible selon laquelle il peut exister un droit d’appel à l’encontre d’un mandat de perquisition lorsque celui-ci est demandé à un juge de la Cour fédérale, en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale (aux pages 84 et 85) :

Le Parlement n’a probablement pas vraiment tenu compte des procédures différentes des deux cours de justice. Le droit d’appel à la Cour d’appel fédérale n’a pas été adapté aux besoins du processus de justice criminelle, comme il l’a été à l’égard de la procédure criminelle appliquée par les cours provinciales. Au contraire, la disposition qui prévoit un appel à la Cour fédérale est générale et vise à répondre aux besoins liés à la compétence ordinaire de cette cour qui a pour fonction principale d’examiner des questions de nature civile et administrative et d’autres questions qui intéressent particulièrement le fédéral, plutôt qu’à ceux liés au processus de justice criminelle où des considérations différentes peuvent intervenir. Bref, l’anomalie peut tenir à la supposition qu’il existe un droit d’appel à la Cour d’appel fédérale. En effet, il y a de sérieuses raisons de principe de ne pas prévoir des appels contre des décisions interlocutoires dans les procédures criminelles en général. Même si je comprends très bien que l’on soit tenté de considérer qu’il existe un droit d’appel en l’espèce, pour des motifs d’uniformité, je m’inquiète grandement des répercussions générales que peut avoir la décision des cours d’appel d’introduire des droits d’appel et d’autres procédures dans les poursuites criminelles. Je pourrais également souligner qu’il est encore possible de s’interroger sur le rôle approprié de l’examen en appel de la question des mandats de perquisition par la Cour d’appel fédérale conformément à l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Cela représenterait une incursion inusitée de la Cour d’appel fédérale dans ce qui constitue surtout de la procédure criminelle.

Il faut également avoir à l’esprit un autre facteur. Comme je l’indiquerai plus loin, je ne suis pas tout à fait sûr que l’on a voulu que le juge appelé à décerner le mandat ait à se prononcer sur une question constitutionnelle comme celle soulevée en l’espèce. Dans l’affirmative, cette question ne pourrait pas faire l’objet d’un appel et, de toute façon, puisque les questions sur lesquelles le juge se prononce dans l’exercice de ses fonctions, sont de nature factuelle, il n’y a guère de place pour un appel.

Compte tenu de toutes ces questions non résolues, il serait risqué, en l’absence de plaidoirie, de supposer simplement que le droit général d’appel énoncé dans la Loi sur la Cour fédérale s’applique à une procédure prévue dans une loi distincte qui vient simplement compléter le régime général de procédure criminelle, dans lequel les appels de cette nature ne sont pas prévus. Si on interprète toutes les dispositions législatives pertinentes d’une manière harmonieuse avec leur objet sous-jacent, on peut certainement soutenir que le Parlement n’a pas, par cette attribution mineure de compétence à la Cour fédérale (qui constitue pour elle une compétence inhabituelle), envisagé d’accorder le droit général d’appel conçu pour des types tout à fait différents de poursuites. En d’autres termes, il se peut qu’il n’y ait aucune anomalie.

Je devrais ajouter que l’arrêt Baron c. Canada, précité, ne touche aucunement cette question. Dans cette affaire, il s’agissait d’une action en jugement déclaratoire, qui pouvait clairement faire l’objet d’un appel. En tout état de cause, aucune question de compétence n’a été soulevée dans cette affaire.

Toutefois, il était d’accord avec ses autres collègues pour dire que la Cour aurait dû, suivant son pouvoir discrétionnaire, permettre aux appelants de présenter une action en jugement déclaratoire, car sinon il n’y a pas de procédure raisonnablement efficace en ce qui concerne l’examen des contestations constitutionnelles. Lorsque le procès a commencé, il y a alors un « tribunal compétent » pour trancher les contestations relatives à la Charte. Mais (à la page 88) :

La situation est différente à l’étape préalable au procès. Lorsqu’une perquisition est effectuée, comme en l’espèce, il n’y a pas de juge du procès et, contrairement à la situation qui existe après qu’une accusation est portée, il n’existe aucune garantie explicite de la Charte que les poursuites seront engagées dans un délai raisonnable. Une enquête peut se poursuivre indéfiniment en violation (à supposer que les dispositions en matière de perquisition soient inconstitutionnelles) des droits garantis aux appelants par la Charte. Les biens de la personne qui a fait l’objet de la perquisition peuvent demeurer sous la garde de l’État pendant une très longue période contrairement aux normes de la Charte.

Dans les affaires criminelles ordinaires, le problème qui surgit ici ne se pose pas. Le pouvoir de décerner un mandat de perquisition en vertu de l’art. 487 du Code criminel appartient à un juge de paix et, en conséquence, un juge de cour supérieure peut délivrer un bref de certiorari afin de vérifier la légalité d’une procédure; si cette procédure est jugée non valide, le mandat peut être annulé et les articles saisis doivent être restitués. En l’espèce, la difficulté réside dans le fait que c’est un juge de cour supérieure qui a le pouvoir de décerner un mandat de perquisition en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’en common law la décision d’un tel juge ne saurait être attaquée indirectement.

Le juge appelé à décerner le mandat n’est pas en mesure de procéder à un examen de la constitutionnalité lors d’une audition ex parte, et je doute que ce juge ou un autre juge agissant pour lui puisse le faire à la suite d’une demande d’examen de type Wilson; voir Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594. Ni l’arrêt Wilson, ni l’arrêt Meltzer ne sont clairs sur ce point.

Parce que l’instance serait « soustraites [sinon] à un examen prompt et efficace de leur constitutionnalité au moyen de l’attribution à un juge de cour supérieure des fonctions qui, pendant des siècles, ont été exercées par des juges de cours inférieures sous réserve d’un contrôle judiciaire et qui, même aujourd’hui, sont encore exercées par des juges de cours inférieures dans le cas des infractions criminelles les plus graves » (aux pages 91 et 92), il faut accueillir une action en jugement déclaratoire.

Le juge Sopinka estimait que l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Knox Contracting n’était pas déterminant en l’espèce, bien que « les seules différences pertinentes entre l’espèce et l’affaire Knox Contracting so[ie]nt que, dans ce dernier cas, on n’a pas contesté la constitutionnalité de la mesure législative applicable ni demandé de jugement déclaratoire » (aux pages 101 et 102). Le juge Sopinka a ajouté (aux pages 107 à 109) :

Il serait anormal que des contribuables qui doivent contester devant les cours supérieures provinciales des mandats de perquisition décernés en vertu de la LIR se retrouvent sans droit d’appel s’ils n’ont pas gain de cause, alors que la question ne se pose pas en ce qui a trait à la compétence de la Cour d’appel fédérale dans des procédures identiques engagées devant la Cour fédérale. La juxtaposition des affaires Kourtessis et Baron illustre cette difficulté pratique. Dans la première affaire, le Ministre a demandé un mandat à la cour supérieure d’une province et, dans la seconde, il l’a demandé à la Cour fédérale. La LIR prévoit que le Ministre peut faire ce choix à sa discrétion. Dans la plupart des cas, le choix est fondé sur la commodité. L’exercice de ce choix aura de graves conséquences sur les droits du contribuable si nous approuvons l’application générale de l’arrêt Knox Contracting à toutes les procédures dans lesquelles on conteste des mandats décernés en application de la LIR devant les tribunaux provinciaux. Si nous confirmons l’arrêt Kourtessis de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, les contribuables qui auront la mauvaise fortune d’être assujettis à un mandat décerné par une cour supérieure provinciale n’auront aucun droit d’appel contre le refus d’un juge d’une cour supérieure provinciale d’annuler le mandat, alors que si le mandat est décerné par la Cour fédérale, il n’y aura aucun problème de compétence en matière d’appel comme le démontre l’arrêt Baron. Il serait malheureux de permettre que les droits d’appel d’un contribuable soient déterminés selon le bon vouloir du Ministre.

Mon collègue le juge La Forest laisse entendre qu’il n’y a pas d’anomalie parce que, si je comprends bien ses motifs, il se peut qu’il y ait absence de droit d’appel à la Cour d’appel fédérale dans les circonstances exposées dans l’arrêt Baron. La réparation demandée dans Baron était identique à celle demandée en l’espèce et comprenait une requête en annulation des mandats de perquisition ainsi qu’une action en jugement déclaratoire. Se fondant sur ce droit d’appel, la Cour d’appel a annulé les mandats de perquisition et invalidé l’art. 231.3 LIR. Ce pourvoi a été entendu en même temps que celui-ci où la question de la compétence se posait vraiment. Contrairement à ce qui s’est passé en l’espèce, ce n’est pas par inadvertance que la question de la compétence n’a pas été traitée dans l’arrêt Baron; c’est parce qu’aucune question de compétence ne se posait. Si la Cour d’appel fédérale n’avait effectivement pas compétence, alors l’arrêt de notre Cour était entaché de nullité. Pour que nous ayons compétence pour entendre un pourvoi et pour confirmer le jugement qui fait l’objet du pourvoi, il faut que ce jugement constitue un exercice valide de la compétence de la cour en question.

Le juge Sopinka a d’abord suggéré comme réparation un jugement déclaratoire assorti d’un certiorari (à la page 109) :

Afin d’éviter une telle anomalie, je suis d’avis d’établir une distinction d’avec l’arrêt Knox Contracting de manière à ne pas exclure un appel dans des procédures relatives à :

(i)   un jugement déclarant que la loi qui autorise un mandat de perquisition viole la Constitution, conjugué à

(ii)  une demande d’annulation du mandat de perquisition.

Cependant, subsidiairement il a aussi accepté une action visant à obtenir un jugement déclaratoire pour des motifs constitutionnels, parce qu’« une action visant à obtenir un jugement déclaratoire relativement à la constitutionnalité d’une loi ne participe pas nécessairement de la loi contestée » (à la page 113). En vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, il y a également d’autres procédures pour lesquelles un jugement déclaratoire pourrait être accordé en matière criminelle : « [à] titre d’exemple, il y a la demande d’annulation d’une dénonciation ou d’un acte d’accusation pour le motif que l’article du Code criminel sur lequel l’accusation est fondée viole la Charte » (à la page 115).

Somme toute, l’arrêt Kourtessis a pour effet de souligner la question sans la trancher. Il a quelque chose d’un accrochage ultérieur à la suite de la décision rendue précédemment dans l’affaire Knox Contracting, qui tournait principalement autour de la question de savoir si les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu tiraient leur validité du pouvoir de taxation du gouvernement fédéral ou de son pouvoir en matière de droit criminel. Dans une décision rendue à une majorité de quatre juges contre trois, la Cour suprême a statué que le fait qu’il existe une compétence législative en vertu des deux pouvoirs du gouvernement fédéral n’a pas déterminé le résultat; au contraire, il faut trancher la contestation de dispositions précises en se fondant sur ces dispositions plutôt que sur la loi dans son ensemble. Des dispositions qui établissaient une infraction punissable d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement dans le cas d’une déclaration de revenu frauduleuse et malhonnête relevaient du droit criminel. Le juge Cory a dit (à la page 356) :

Ainsi, bien que les art. 231.3 et 239 puissent se justifier constitutionnellement en vertu du pouvoir général de taxation, il n’est pas nécessaire, aux fins de l’espèce, d’examiner cet aspect. Ces articles sont vraiment de nature criminelle et la procédure en matière criminelle est expressément soustraite à la compétence provinciale.

Le juge La Forest s’est exprimé ainsi (aux pages 356 et 357) :

En choisissant une sanction criminelle et en appliquant toutes les dispositions du Code criminel « [s]auf disposition contraire du texte créant l’infraction » (voir la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, par. 34(2)), le Parlement, me semble-t-il, s’est montré disposé à adopter les procédures ordinaires du droit criminel pour les appliquer, sous réserve de tout changement énoncé dans la Loi de l’impôt sur le revenu

Il a donc été décidé à la majorité qu’aucun appel ne peut être interjeté contre les mandats de perquisition décernés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le juge Cory est allé jusqu’à dire en principe (à la page 354) :

Il est opportun que le Code ne prévoie aucun moyen d’appel contre ces procédures, car ces appels ne sont ni souhaitables ni nécessaires et ne devraient pas, en règle générale, être encouragés.

Ces considérations seront utiles lorsqu’on les appliquera à l’espèce.

II

La question de la possibilité d’interjeter appel contre la délivrance d’un mandat de perquisition en vertu de la Loi sur la concurrence a été examinée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Goldman et al. v. Hoffmann-La Roche Ltd. (1987), 60 O.R. (2d) 161. Le juge Finlayson, J.C.A. a, au nom de la Cour, statué que les infractions alléguées à l’appui de la délivrance d’un mandat de perquisition étaient [traduction] « de nature criminelle et que leur adoption dépendait du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 » (à la page 173), même si d’autres parties de la Loi peuvent exiger le support du pouvoir fédéral en matière de trafic et de commerce (par. 91(2)). Le juge Finlayson a conclu (aux pages 178 et 180) :

[traduction] À mon avis, en l’espèce, il y a une loi fédérale applicable à part la Loi sur la concurrence. C’est le Code criminel et il ne contient aucune disposition en vue d’un appel contre la délivrance d’un mandat de perquisition. Lorsque des accusations seront portées en vertu des art. 34 et 38 de la Loi sur la concurrence, le Code régira la poursuite, le procès et les appels y afférents. Entre temps, le Code ne dit rien en ce qui concerne la question dont nous sommes saisis tout comme en ce qui concerne les mandats de perquisition dans toute affaire criminelle. Je ferais miennes les paroles du juge Lacourcière [dans l’arrêt Ratherman (1979), 26 O.R. (2d) 520, à la p. 528, 103 D.L.R. (3d) 491] et je dirais que « ce fut une décision délibérée du législateur fédéral d’exclure en principe la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance rendue à l’étape de l’enquête ».

L’examen ci-dessus de la Loi sur la concurrence et des pouvoirs qui en découlent m’oblige à conclure qu’on ne peut interjeter appel auprès de notre cour contre la délivrance d’un mandat de perquisition en vertu de l’art. 13. J’estime en outre que notre cour ne devrait pas s’efforcer de trouver une réparation qui aurait seulement pour effet d’enlever toute valeur à un processus d’enquête. La Loi sur la concurrence possède ses sauvegardes en vue de la protection de la partie qui fait l’objet de la perquisition, et notre cour ne devrait pas encourager le recours à d’autres réparations. En toute dernière analyse, l’ultime sauvegarde en faveur de la personne visée par une enquête est la tenue de son procès une fois que les accusations ont été formulées. Aucun tribunal ne devrait s’interroger à ce stade-ci de l’instance pour savoir si la délivrance d’un mandat de perquisition peut devenir un abus de procédure. Le directeur procède à ses propres risques à cet égard et, s’il a commis un abus de pouvoir, ou s’il le fait par la suite, sa conduite et celle de ses représentants, si elles ne sont pas examinées au moyen du processus de révision prévu dans la Loi sur la concurrence, doivent être scrutées par un juge de première instance avant qu’un préjudice ne puisse être causé à la partie visée par une enquête.

Une autre formation de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Hudson’s Bay Co. v. Canada (Director of Investigation and Research under the Competition Act) (1992), 10 O.R. (3d) 89, a également infirmé une ordonnance refusant d’annuler deux mandats de perquisition décernés en vertu de l’article 15 de la Loi sur la concurrence pour le motif que la Cour d’appel n’avait pas compétence. La Cour a déclaré (à la page 91) :

[traduction] Aucun appel contre la délivrance, ex parte, d’un mandat de perquisition n’est prévu dans la Loi sur la concurrence. En l’absence d’un droit d’appel prévu par la loi, l’art. 674 du Code criminel…s’applique… Aucun appel de ce genre n’est prévu … dans le Code criminel… Par conséquent, notre cour ne possède pas de compétence inhérente.

Je suis d’accord avec ces décisions; je crois que la Cour d’appel de l’Ontario a bien exposé le droit. Comme l’a dit Mme le juge McLachlin dans un arrêt rendu à la quasi-unanimité dans l’affaire R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577, à la page 641 :

[I]l faut décourager les appels de décisions rendues à l’enquête préliminaire [dans les affaires criminelles]. Bien que la loi doive au besoin offrir une réparation, cette réparation devrait en général être accordée dans le contexte de la procédure habituelle, savoir le procès.

Il n’y avait qu’une exception à l’examen fondé sur la Charte à l’étape du procès, croyait-elle, et c’était fondé sur l’arrêt rendu précédemment dans l’affaire Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, (aux pages 640 et 641) :

La seule exception à cette règle semble être le cas où il n’y a aucune autre réparation, existante ou possible, applicable à la violation d’un droit garanti par la Charte… Ainsi, bien que l’examen fondé sur la Charte ait normalement lieu à l’étape du procès, il est possible de chercher à l’obtenir auparavant dans les cas où il n’existe pas d’autre réparation.

L’impossibilité d’interjeter appel en vertu de la Loi sur la concurrence est analogue à celle constatée par la Cour suprême dans l’arrêt Knox Contracting relativement à la Loi de l’impôt sur le revenu. Naturellement, tant dans l’arrêt Knox que dans l’arrêt Kourtessis, ce résultat découlait d’une contestation fondée sur un droit d’appel existant en droit provincial, non en droit fédéral comme en l’espèce. Néanmoins, les questions de principe semblent être tout à fait les mêmes. Comme le législateur fédéral a décidé délibérément d’exclure la possibilité d’interjeter appel d’une ordonnance rendue à l’étape de l’enquête, compte tenu de ce que le juge La Forest a mentionné comme « procédure complète en vertu du Code criminel » (Kourtessis , précité, à la page 80) et des sauvegardes intégrées à la Loi sur la concurrence et mentionnées par le juge Finlayson dans l’arrêt Hoffmann-La Roche, il faudrait donc considérer les droits d’appel en vertu de l’article 27 de la Loi sur la Cour fédérale comme étant limités aux affaires non criminelles, ainsi que le préconisait l’intimé. Selon les propos déjà cités du juge La Forest (Kourtessis, précité, à la page 84) :

Le droit d’appel à la Cour d’appel fédérale n’a pas été adapté aux besoins du processus de justice criminelle, comme il l’a été à l’égard de la procédure criminelle appliquée par les cours provinciales. Au contraire, la disposition qui prévoit un appel à la Cour fédérale est générale et vise à répondre aux besoins liés à la compétence ordinaire de cette cour qui a pour fonction principale d’examiner des questions de nature civile et administrative et d’autres questions qui intéressent particulièrement le fédéral, plutôt qu’à ceux liés au processus de justice criminelle où des considérations différentes peuvent intervenir.

Cela concorde avec le paragraphe 34(2) de la Loi d’interprétation, qui prévoit que, dans le cas des actes criminels et des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, les dispositions du Code criminel s’appliquent aux infractions créées par d’autres textes de loi, sauf disposition contraire du texte créant l’infraction.

Comme l’intimé l’a signalé, le législateur fédéral a prévu expressément au paragraphe 73(3) de la Loi un droit d’appel de la Section de première instance à notre Cour dans des poursuites ou procédures criminelles précises entamées en vertu de la partie VI ou de l’article 74 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 44] (partie VII) de la Loi, mais pas en ce qui concerne les procédures relatives aux mandats de perquisition en vertu de l’article 15 (partie I). Non seulement n’y a-t-il pas de « disposition contraire » dans la Loi en ce qui concerne les appels interjetés contre des mandats de perquisition, mais l’exclusion des procédures prévues à l’article 15 de la disposition relative aux appels laisse à entendre qu’elles étaient censées être traitées en vertu du Code criminel.

Les appelants ont protesté qu’une telle interprétation battrait en brèche le pouvoir existant de la Cour fédérale, tout particulièrement l’arrêt de notre Cour Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.), qui traitait de la juridiction d’appel de la Cour à l’égard d’un mandat d’écoute électronique et de perquisition décerné en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [S.C. 1984, ch. 21]. La question de la compétence portait principalement sur la question de savoir si le juge qui avait décerné le mandat l’avait fait à titre de juge de la Cour ou de persona designata; il a été décidé qu’il l’avait fait à titre de juge de première instance. Quant à savoir si on pouvait quand même interjeter appel, le juge Mahoney, J.C.A. a dit brièvement (à la page 116) :

À mon avis, cette prétention échoue dès le départ. La proposition sur laquelle elle se fonde, suivant laquelle le présent appel est formé à l’encontre de la délivrance d’un mandat de perquisition, est erronée. Le présent appel est interjeté du rejet d’une demande d’annulation fondée sur la Règle 330. Notre Cour a déjà statué qu’elle était habilitée à entendre un tel appel, à conclure que le juge de première instance s’était trompé en refusant d’annuler une ordonnance rendue ex parte et, en accueillant l’appel, à annuler effectivement cette ordonnance. (Voir, par exemple, l’arrêt Société pour l’Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Édouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307(C.A.). Il n’a été établi, en l’espèce, aucune raison grave justifiant cette Cour de s’écarter de ses jugements antérieurs…

Dans l’arrêt Société pour l’Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Édouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307(C.A.), cité par le juge Mahoney, la Cour traitait une demande visant l’annulation d’une ordonnance d’injonction interlocutoire rendue ex parte dans une affaire de droits d’auteur, mais aucune question n’avait été soulevée relativement à la compétence.

L’arrêt Atwal a été rendu avant que la Cour suprême ne se prononce dans les affaires Knox Contracting et Kourtessis, comme ce fut le cas également pour l’arrêt Solvent Petroleum Extraction Inc. c. M.R.N., [1990] 1 C.F. 20 (C.A.), autre affaire invoquée par les appelants. Notre Cour a alors confirmé la constitutionnalité de l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui a été annulé plus tard par la Cour suprême dans l’arrêt Baron, et elle a confirmé un appel interjeté contre le rejet par la Section de première instance d’une demande visant l’annulation d’un mandat de perquisition. Il n’y a pas eu contestation de la compétence. Il en est de même des arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (C.A.); et Lagiorgia c. Canada, [1987] 3 C.F. 28 (C.A.). De la même manière, dans l’arrêt de la Cour suprême Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, où des dispositions de la Loi sur la concurrence ont été annulées pour des motifs énoncés à l’article 8, on n’a pas soulevé de question relative à la compétence.

Il y a peut-être une certaine différence en ce qui concerne l’exception à la règle générale de l’impossibilité d’interjeter appel entre les formulations utilisées par la Cour suprême dans les arrêts Seaboyer et Kourtessis. Dans l’arrêt Seaboyer, le juge McLachlin était d’avis que ce ne sont même pas toutes les contestations fondées sur la Charte qui devraient être susceptibles d’appel, mais seulement celles où il n’y aurait pas d’autre réparation. Le juge La Forest était d’accord dans l’arrêt Kourtessis avec le principe selon lequel « [d]ans la mesure où il existe une procédure raisonnablement efficace d’examen des contestations constitutionnelles, je ne vois pas pourquoi il faut en établir une autre » (à la page 87). Mais il a conclu qu’il n’existe pas de procédure raisonnablement efficace « [c]ompte tenu de l’état actuel du droit » (à la page 87) à l’étape préalable au procès. Tout particulièrement, il n’existe aucune garantie explicite de la Charte que les poursuites seront engagées dans un délai raisonnable, de sorte qu’ »[u]ne enquête peut se poursuivre indéfiniment en violation (à supposer que les dispositions en matière de perquisition soient inconstitutionnelles) des droits garantis aux appelants par la Charte » (à la page 88). Le juge Sopinka partageait la même opinion.

Je suppose que les juges La Forest et Sopinka parlaient tous deux de contestations fondées sur la Charte relativement à des dispositions législatives telles qu’elles ont été adoptées et non pas simplement telles qu’elles ont été appliquées. La parenthèse ouverte par le juge La Forest (« à supposer que les dispositions en matière de perquisition soient inconstitutionnelles ») semblerait l’indiquer. Le juge Sopinka se reportait au fait qu’« une action visant à obtenir un jugement déclaratoire relativement à la constitutionnalité d’une loi ne participe pas nécessairement de la loi contestée » (à la page 113).

En l’espèce, si tant est qu’il y avait quelque question relative à la Charte, il n’y avait pourtant pas de contestation de la constitutionnalité de l’article 15 de la Loi ni d’aucune autre disposition de la Loi. La contestation de fond en l’espèce était la suivante : il n’a pas été prouvé que les sources (c.-à-d. des tiers) non identifiées que le dénonciateur invoquait pour conclure que les appelants avaient violé la Loi étaient dignes de confiance; les dénonciations ne contenaient pas de motifs raisonnables pour justifier la délivrance de mandats de perquisition; et la description des biens dont la saisie était autorisée était trop vague et trop générale. Cela a été allégué à titre incident comme des violations des articles 7 et 8 de la Charte, mais ce n’avait naturellement rien à voir avec la validité de la Loi elle-même. À mon avis, le juge Richard a eu raison de conclure au caractère prématuré de telles contestations.

Autrement dit, la contestation de fond des appelants en l’espèce ne visait pas le droit mais les gestes accomplis par l’intimé, et le meilleur moment pour la trancher, c’est lors du procès, où l’on pourra en faire toute la preuve.

III

Par conséquent, l’appel doit échouer en ce qui concerne la question de la compétence.

Cela étant, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les questions de fond soulevées par les appelants. Il vaut toutefois la peine de noter que, s’il y avait eu en l’espèce contestation de la Loi elle-même sur le fondement des articles 7 ou 8 de la Charte, elle aurait pu être tranchée, comme l’a suggéré le juge La Forest, dans le contexte d’une action en jugement déclaratoire.

L’appel doit être rejeté avec dépens.

* * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : Je partage, pour l’essentiel, l’opinion de mon collègue le juge MacGuigan, J.C.A., mais je ne crois pas que sa conclusion permette ici de trancher la totalité du litige qui nous est soumis. Je m’explique.

Le droit d’un justiciable de demander la révision d’une autorisation donnée ex parte est acquis. Lorsque l’ordonnance attaquée a été rendue par un juge de la Cour fédérale, c’est la Règle 330 qui permet expressément la révision. Lorsque l’ordonnance a été rendue par un juge d’une cour supérieure provinciale, il appert que ce soit en vertu du pouvoir inhérent de la Cour supérieure de réviser ses ordonnances prononcées ex parte que le justiciable peut demander la révision. Le procureur de l’intimé était d’accord là-dessus.

Le problème, inédit à ce que je sache, que soulève ce dossier, est le suivant : lorsque le juge de révision refuse d’exercer sa juridiction ou ne l’exerce qu’en partie, le justiciable qui est ainsi privé de son droit à une révision est-il contraint de faire son deuil de l’exercice de ce droit ou peut-il s’adresser à la Cour d’appel pour inviter celle-ci à forcer le juge de révision à exercer sa juridiction ou encore à l’exercer à sa place?

La demande de révision des appelants se fondait sur les arguments suivants[3] :

a)   les ordonnances émises par l’honorable juge McGillis enfreignent les articles 7 et 8 de la Charte et n’étaient pas autorisées par le paragraphe 15(1) de la Loi, plus particulièrement et sans restreindre la généralité de ce qui précède les requérants prétendent que :

i)    les ordonnances émises par l’honorable juge McGillis violent les articles 7 et 8 de la Charte et n’étaient pas autorisées par le paragraphe 15(1) de la Loi, dans la mesure où elles autorisent des perquisitions alors que la dénonciation à l’appui de la demande pour lesdites ordonnances n’établit aucune motif raisonnable de croire qu’une infraction a été commise, contrairement à l’article 45(1)c) de la Loi sur la concurrence;

ii)   de plus, la dénonciation, à sa face même, énonce des conclusions déraisonnables relativement aux faits allégués dont plusieurs ne sont pas dignes de foi ou non pertinents;

b)   la description des effets à saisir mentionnée à la dénonciation et aux mandats de perquisition est si large et générale qu’elle permet au Directeur de procéder à une véritable excursion de pêche, et de saisir à peu près n’importe quoi selon sa propre discrétion et celle de ses fonctionnaires, en violation du paragraphe 15(1) de la Loi et des articles 7 et 8 de la Charte; [Mes soulignements.]

Dans ses motifs, le juge de révision s’est exprimé comme suit[4] :

Le procureur des requérants a déposé une requête fondée sur la règle 330 des Règles de la Cour fédérale … pour déterminer

a)   si l’honorable juge McGillis a rendu ses ordonnances en violation du paragraphe 15(1) de la Loi sur la concurrence, … et

b)   si les dénonciations et les mandats violent les articles 7 et 8 de la Charte au motif qu’ils ne rencontrent pas les critères dans l’arrêt Hunter c. Southam … et l’arrêt Baron c. Canada

Comme le disait le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. Garofoli [à la p. 1452] : …

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation.

En me fondant sur ce critère, j’arrive à la conclusion, quant au premier motif invoqué par les requérants, qu’il existe une preuve au dossier pouvant justifier l’émission des mandats par l’honorable juge McGillis.

Quant au deuxième motif invoqué par les requérants, il est, à mon avis, prématuré. Si des accusations sont portées contre les requérants, ce sera au juge du procès de décider les questions relatives à la recevabilité de la preuve recueillie en application des mandats en conformité avec les articles 7, 8 et 24 de la Charte…

Il ressort clairement de ces motifs, à mon avis, que le juge de révision a ignoré l’argument relatif au caractère « large et général » de la description des effets à saisir eu égard à la nature de l’infraction alléguée.

Cet argument, en effet, n’a rien à voir en l’espèce avec l’existence d’« une preuve au dossier pouvant justifier l’émission des mandats » et ne saurait être assimilé à des « questions relatives à la recevabilité de la preuve recueillie en application des mandats en conformité avec les articles 7, 8 et 24 de la Charte ». Il appartient traditionnellement au juge de révision de trancher, à la face même du mandat, la question de sa validité eu égard à l’ampleur de la description des effets à saisir. Ainsi, dans Zevallos and The Queen, Re[5], où la Cour d’appel de l’Ontario, après avoir décidé que lorsque la seule question en litige était l’admissibilité lors du procès de la preuve saisie, le juge de révision devait déférer le tout au juge du procès, ajoutait que son raisonnement

[traduction] … se limite au cas où la seule question en litige est celle de l’admissibilité; lors du procès, de la preuve relative à la perquisition et à la saisie. Il ne s’applique pas aux cas où la demande d’annulation vise d’autres fins, par exemple empêcher une perquisition ou une saisie ou obtenir la restitution du bien saisi.

Aussi, dans les circonstances, suis-je d’avis qu’à l’égard de cet argument de révision, les appelants, victimes d’une des plus graves atteintes qui soit à la vie privée, n’ont pas eu, à proprement parler, de révision et que le recours qu’ils exercent devant nous n’est pas, à l’égard de cet argument, un droit d’appel de la nature de celui que le Parlement a voulu écarter par les dispositions de la Loi sur la concurrence[6]. Les appelants ont droit à ce que l’ordonnance prononcée ex parte soit révisée; ce droit leur a été en partie refusé par le juge de révision; ils peuvent, me semble-t-il, demander à cette Cour, en sa qualité de cour d’appel et conformément aux alinéas 27(1)c) et 52b) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 17] de la Loi sur la Cour fédérale, d’ordonner au juge de révision de compléter l’exercice de sa juridiction ou demander à cette Cour de le compléter à sa place. Cette conclusion s’inscrit dans le prolongement de ces propos que tenait le juge Sopinka dans Kourtessis c. M.R.N.[7] dans le contexte de l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu :

Je soulignerais simplement que le par. 231.3(7) ne semble pas permettre la contestation de la validité du mandat pour des motifs qui ont été traditionnellement autorisés. En fait, lors d’une procédure antérieure en l’espèce, les mandats ont été annulés par le juge Proudfoot en raison d’une omission de divulguer et d’un manque de précision. Les fouilles, les perquisitions et les saisies comportent la plus grave atteinte à la vie privée. Les mandats de perquisition décernés en vertu du Code criminel peuvent être contestés par requête en annulation présentée à la cour supérieure de la province. Les moyens comprennent l’omission de divulguer, le manque de précision, l’existence de procédures d’enquête moins envahissantes et ainsi de suite. Voir Shumiatcher c. Attorney-General of Saskatchewan (No. 2) (1960), 34 C.R. 154 (B.R. Sask.), Re Church of Scientology, précité, et R. v. Sismey (1990), 55 C.C.C. (3d) 281. Je serais surpris qu’un citoyen qui fait l’objet d’une perquisition en vertu de la LIR ne puisse pas avoir recours à une telle procédure.

Les extraits pertinents d’un des mandats attaqués et qui se retrouvent dans chacun des mandats sont les suivants[8] :

IL EST ORDONNÉ que le présent mandat soit émis autorisant le Directeur des enquêtes et recherches et les personnes ci-après désignées à pénétrer et à perquisitionner certains lieux en vue d’obtenir certains documents et autres choses et d’en prendre copies ou de les emporter pour en faire l’examen ou en prendre des copies.

2. Les infractions pour lesquelles le présent mandat est émis sont :

2.1 Que les notaires André Côté, Fernand Côté ainsi que d’autres personnes dans la ville de Rivière du Loup, dans la province de Québec ou ailleurs au Québec, entre les mois de janvier 1994 et février 1995 ou aux environs, ont illégalement comploté, se sont coalisés, ont conclu un accord ou un arrangement avec l’une ou l’autre ou entre deux ou plusieurs d’entre elles, pour empêcher ou réduire indûment la concurrence dans la fourniture par les notaires du service de préparation, de réception et de conservation d’actes touchant les transactions immobilières contrevenant ainsi à l’article 45(1)c) de la Loi sur la concurrence.

4. Les documents et autres choses à être recherchés sont :

lettres, correspondance, notes de service, rapport, notes manuscrites ou dactylographiées, ordres du jour, avis de convocation à des réunions, comptes rendus de réunions, procès-verbaux de réunions, listes, agendas, calendriers, messages téléphoniques, relevés de comptes de téléphone, relevés de télécopieur, comptes de carte de crédit au sujet de voyages d’affaires, relevés de compte de dépenses, états de compte, reçus, listes de tarifs, prix ou honoraires professionnels, études, commandes, contrats, accords, livres, factures, enregistrement sonores, imprimés d’ordinateur, disquettes, cassettes ou rubans, d’ordinateur ou tout autre support informatique, bilans ou état financiers, organigrammes, certificat d’enregistrement ou d’incorporation et lettres patentes, carte géographiques, tableaux des membres de l’Ordre des notaires du Québec, tableaux, graphiques, guides, brouillons, ébauches, ou autres choses

ayant trait aux services professionnels fournis par les notaires du district judiciaire de Kamouraska, dans la province de Québec, en particulier, la préparation, la réception et la conservation d’actes touchant les transactions immobilières pour la période débutant le 1er janvier 1994 et se terminant à la date des présentes qui sont directement ou indirectement reliées :

a) à l’identification et la description des services professionnels fournis par le notaire soit, en particulier, la préparation, la réception et la conservation d’actes touchant les transactions immobilières;

b) à la définition des marchés géographiques quant à leur étendue réelle ou potentielle;

c) à la liste des notaires pratiquant la profession dans le district judiciaire de Kamouraska;

d) à la structure de l’industrie soit entre autres, les parts de marché de janvier 1991 à ce jour pour fins de comparaison, de chacun des notaires du district judiciaire de Kamouraska, présentes ou à venir, les recettes de janvier 1991 à ce jour pour fins de comparaison, présentes ou prévues, les coûts de janvier 1991 à ce jour pour fins de comparaison, présents ou prévus, le nombre de dossiers et de clients, le rendement financier de l’industrie, les barrières ou obstacles à l’entrée dans la profession de notaire;

e) la formation d’association de notaires, de comités, leur composition, les mandats, les buts et objectifs des associations et comités;

f) à la formulation, la rédaction, l’adoption, la révision, l’ajustement, la continuation, l’implantation, l’adhésion à ou l’application de politiques de tarifs, prix ou honoraires professionnels, de janvier 1991 à ce jour pour fins de comparaison, présentes ou à venir, y compris les frais de déplacement et de recherches;

g) à des réunions, rencontres ou autres communications qui concernent entre autres l’ajustement ou la fixation de tarifs, prix, ou honoraires professionnels;

h) à la mise en place par les notaires de Rivière du Loup et de Trois-Pistoles de toute forme d’entente de répartition des marchés géographiques;

i) aux tarifs d’honoraires des notaires approuvés par décret, entre décembre 1983 et décembre 1990, par le gouvernement du Québec;

j) à des mesures prises pour mettre en application et faire respecter des tarifs, prix ou honoraires professionnels ou une entente, un accord ou arrangement de fixation de tarifs, prix ou honoraires professionnels;

k) aux noms, titres, définitions de tâches, responsabilités et attributions des dirigeants, administrateurs, représentants et employés qui participent à la formulation ou à l’implantation de politiques de tarifs, prix ou d’honoraires professionnelles;

l) à des échantillons d’écriture des dirigeants, administrateurs, mandataires, représentants ou des employés identifiés à un cabinet de notaires qui pourraient être utilisés afin d’identifier l’auteur d’une écriture inconnue apparaissant sur des documents emportés en vertu du présent mandat :

m) au degré de connaissance de la Loi sur la concurrence.

Il ressort des termes mêmes du mandat que bien que l’infraction alléguée soit d’avoir « illégalement comploté … pour empêcher ou réduire indûment la concurrence dans la fourniture par les notaires du service de préparation, de réception et de conservation d’actes touchant les transactions immobilières contrevenant ainsi à l’article 45(1)c) de la Loi sur la concurrence » (mes soulignements), le pouvoir de saisie s’étend à toutes « choses »

ayant trait aux services professionnels fournis par les notaires …, en particulier, la préparation, la réception et la conservation d’actes touchant les transactions immobilières … qui sont directement ou indirectement reliées :

a) à l’identification et la description des services professionnels fournis par le notaire soit, en particulier, la préparation, la réception et la conservation d’actes touchant les transactions immobilières; [Mes soulignements.]

À sa face même, par conséquent, le mandat vise tous les services professionnels fournis par le notaire et ce n’est qu’à titre d’exemple particulier de ces services que renvoi est fait aux actes touchant les transactions immobilières, lesquels, pourtant, sont les seuls reprochés. C’est le particulier, et non le général, que le mandat devait viser, et tout en reconnaissant qu’il soit possible de permettre une saisie plus générale dans la mesure où elle peut être reliée au particulier, la méthode adoptée en l’espèce, qui est de permettre au départ la saisie générale, quitte à la réduire ensuite au particulier selon la discrétion des officiers saisissants, me paraît aller fondamentalement à l’encontre des principes établis.

Je ne puis m’empêcher de constater que ces mandats permettent à l’intimé d’obtenir des informations relatives à la totalité des services rendus par les notaires qui permettraient à l’intimé de déterminer si, en sus des actes touchant les transactions immobilières, il ne s’en trouverait pas d’autres, touchant par exemple les testaments, qui pourraient porter atteinte à la Loi sur la concurrence. Ma crainte me paraît confirmée par ces propos que tenait le dénonciateur dans le paragraphe qui précédait immédiatement la très longue description des effets à saisir (description qu’a retenue le juge à la virgule près lorsqu’elle a décerné le mandat)[9] :

4. Le dénonciateur affirme de plus qu’il y a des motifs raisonnables de croire et croit que les documents et catégories de documents ou autres choses mentionnés ci-après fourniront la preuve, y compris la preuve d’actes similaires, de la commission desdites infractions. [Mes soulignements.]

Cette allusion soudaine à des « actes similaires », alors que l’enquête menée par l’intimé et la dénonciation ne visaient que les actes touchant les transactions immobilières, explique à mon avis le caractère on ne peut plus englobant de la description des choses à saisir et confirme à quel point cette description pèche par son ampleur et ouvre la porte à des abus.

Je sais qu’en matière d’infractions dites économiques de la nature de celles qu’on trouve dans la Loi sur la concurrence, les tribunaux acceptent plus facilement que des mandats soient rédigés en termes généraux. Il suffit de consulter l’arrêt classique prononcé en ce domaine par la Cour d’appel de l’Ontario dans Church of Scientology et al. and The Queen (No. 6), Re[10] pour s’en convaincre. Rédiger un mandat en des termes généraux dans le contexte de l’infraction particulière reprochée est une chose; rédiger un mandat de manière à transformer l’infraction particulière reprochée en infraction générale en est une autre, qui ne saurait être tolérée. Je fais miens à cet égard les propos du juge LeBel, de la Cour d’appel du Québec, dans Lefebvre c. Morin[11] cités et approuvés par le juge Tourigny dans Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres[12] :

Ces exigences signifient que la personne à qui la demande de mandat de perquisition est présentée doit posséder tous les éléments d’information nécessaires. A défaut, elle est incapable de remplir sa fonction. De même, la demande doit-elle préciser l’objet de la perquisition sans quoi celle-ci se transforme en une procédure d’enquête policière purement discrétionnaire dont les limites sont fixées par le policier lui-même et non par l’autorisation.

Pour respecter les exigences de l’art. 443 C.cr. et celles de la Charte le juge de paix émettant le mandat doit lui-même préciser suffisamment l’objet de la perquisition de façon à ne pas laisser l’officier ou le policier qui en est chargé la définir lui-même. Il fallait qu’il soit suffisamment informé de l’objet de la saisie. S’il ne l’était pas, il réduisait sa fonction à celle d’un tampon encreur. S’il l’était, une saisie analogue à celle qu’il a autorisée n’avait pas sa raison d’être.

Qui plus est, il faut bien comprendre que la nature de l’infraction alléguée et le caractère que je qualifierais d’artisanal des agissements reprochés—les onze mandats attaqués visent les neuf études de notaires de Rivière-du-Loup et les deux études de notaires de Trois-Pistoles, lesquelles regroupent un total de vingt notaires!—sont sans commune mesure avec ceux qu’on retrouvait dans Church of Scientology[13]. Le juge qui décerne un mandat doit s’assurer que les moyens demandés ont un certain lien de proportionnalité avec l’infraction reprochée et les locaux visés. Je suis tenté d’adapter au cas présent ces propos du juge Lamer (alors juge puîné) dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski[14] :

… il y a des endroits dont on ne devrait de façon générale permettre la fouille qu’avec réticence et, le cas échéant, avec plus de manières que pour d’autres endroits. On n’entre pas à l’église comme on le fait chez le loup; ni à l’entrepôt comme chez l’avocat.

Dans les circonstances, je suis d’avis que le juge qui a décerné le mandat n’avait pas le pouvoir de décrire les effets à saisir de la manière dont elle l’a fait et qu’elle a, ce faisant, donné à l’intimé carte blanche. Les appelants ont tout à fait raison de se plaindre de ce que « la description des effets à saisir … est si large et générale qu’elle permet au Directeur de procéder à une véritable excursion de pêche, et de saisir à peu près n’importe quoi selon sa propre discrétion et celle de ses fonctionnaires ». L’ordonnance ne peut qu’être annulée.

J’accueillerais l’appel de manière à permettre aux appelants de s’adresser à cette Cour aux fins d’obtenir la révision qu’ils n’ont pas eue en première instance de l’ordonnance prononcée ex parte contre eux et, rendant le jugement que le juge de révision aurait du rendre, j’accueillerais la demande de révision, j’annulerais les mandats de perquisition décernés le 16 mars 1995, j’ordonnerais que tous les effets saisis soient retournés aux notaires concernés et je condamnerais l’intimé aux dépens de l’appel et à ceux de la demande de révision.



[1] Knox Contracting Ltd. v. Canada, [1990] 2 S.C.R. 338.

[2] Kourtessis v. M.N.R., [1993] 2 S.C.R. 53.

[3] Joint record, at p. 3.

[4] Joint record, at pp. 122-123.

[5] (1987), 37 C.C.C. (3d) 79 (Ont. C.A.), at pp. 86-87.

[6] R.S.C., 1985, c. C-34, as amended.

[7] [1993] 2 S.C.R. 53, at p. 112.

[8] Joint record, at pp. 46-48.

[9] Joint record, at p. 36.

[10] (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (Ont. C.A.), at pp. 504-517, leave to appeal refused by the Supreme Court of Canada ([1987] 1 S.C.R. vii).

[11] (February 4, 1985), 200-10-000174-83, J.E. 85-366 (Que. C.A.).

[12] (1991), 41 Q.A.C. 254 (C.A.), at p. 272.

[13] Supra, note. 10.

[14] [1982] 1 S.C.R. 860, at p. 889.

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