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[1996] 1 C.F. 3

T-66-86

Walter Patrick Twinn agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la Bande de Sawridge, Wayne Roan agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la Bande Ermineskin, Bruce Starlight agissant en son nom et au nom de tous les autres membres de la Bande des Sarcis (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

et

Conseil national des autochtones du Canada, Native Council of Canada (Alberta) et Non-Status Indian Association of Alberta (intervenants)

Répertorié : Bande de Sawridge c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon—Edmonton, 20, 22, 23, 24, 27, 28, 29 septembre, 4, 5, 6, 7, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 26, 27, 28, 29 octobre, 1er, 2, 3, 4, 5 novembre, Ottawa, 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 24, 25, 26, 29, 30 novembre, 1er, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 13 décembre 1993, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 30, 31 mars, 1er, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25 avril 1994; Ottawa, 6 juillet 1995.

Peuples autochtones — Inscription — Action en jugement déclarant que les modifications de 1985 de la Loi sur les Indiens, qui changent le droit à l’inscription sur les listes de bande, sont incompatibles avec l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît les droits existants, ancestraux ou issus de traités — Action rejetée par ce motif que l’art. 35(4) garantit les droits, ancestraux et issus de traités, également aux personnes des deux sexes — Il n’y avait ni loi coutumière ni droit en matière d’appartenance — Avant les traités, les Indiens étaient libres de quitter le campement du chef et de se joindre à un autre, personne n’a jamais été expulsé — L’Acte des Sauvages, 1876, et les traités ont éteint tout droit ancestral de décider de l’appartenance aux bandes — Les Indiens ne tiennent d’aucun traité ni d’aucune loi le droit de décider de l’appartenance — Ils ont adopté ex post facto les dispositions de l’Acte des Sauvages, 1869 — Le fait que le régime matrimonial, selon les Indiens, constituait parfois un élément de diverses versions de la Loi sur les Indiens ne signifie pas qu’il soit reconnu par la Constitution comme un droit ancestral ou issu de traité.

Droit constitutionnel — Droits ancestraux ou issus de traités — Action en jugement déclarant que les modifications de 1985 de la Loi sur les Indiens, qui changent le droit à l’inscription sur les listes de bande, sont incompatibles avec l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît les droits existants, ancestraux ou issus de traités — Les droits qui permettaient à un époux indien d’amener son épouse non indienne résider dans la réserve, mais qui interdisaient aux femmes indiennes de faire de même avec leurs époux non indiens, ont été éteints par l’art. 35(4), qui garantit les droits ancestraux et issus de traités également aux personnes des deux sexes.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Action en jugement déclarant que les modifications de 1985 de la Loi sur les Indiens, qui permettent aux Indiennes d’habiter avec leurs époux non indiens dans les réserves, portent atteinte au droit qui est garanti par l’art. 2d) de la Charte à ces bandes et à chacun de leurs membres de s’associer librement avec d’autres individus — Les modifications sont justifiées au regard des droits à l’égalité reconnus à l’art. 15 et de l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes, que consacre l’art. 28 de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les modifications de 1985 de la Loi sur les Indiens ont changé le droit à l’inscription sur les listes de bande de façon à permettre aux femmes indiennes d’habiter avec leurs époux non indiens dans les réserves — Ces modifications sont justifiées au regard des droits à l’égalité reconnus à l’art. 15 et de l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes, que consacre l’art. 28, en sus de l’art. 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — Les modifications de 1985 de la Loi sur les Indiens permettent aux Indiennes d’habiter avec leurs époux non indiens dans les réserves — S’il y a eu atteinte à la liberté d’association garantie par l’art. 2d) de la Charte, elle est justifiée au regard des droits à l’égalité reconnus à l’art. 15 et de l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes, que consacre l’art. 28.

Action en jugement déclarant que certaines modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens (spécifiquement les articles 8 à 14.3) sont incompatibles avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le nouveau texte modifie le régime de l’inscription sur les listes de bande. Le paragraphe 35(1) reconnaît les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada. Le paragraphe 35(4) garantit les droits—ancestraux ou issus de traités—également aux personnes des deux sexes.

Les demandeurs prétendent que, avant que l’article 35 ne fût adopté le 17 avril 1982, les lois du Canada confirmaient le droit des Indiens de décider qui appartenait à leurs diverses bandes et n’avaient pas pour effet d’imposer à celles-ci des membres supplémentaires. Que leurs ancêtres vivaient en sociétés organisées bien longtemps avant l’adoption des lois du Parlement du Canada ou la signature des traités, et qu’aucune loi ni aucun traité n’a eu pour effet d’éteindre le droit de ces sociétés de décider qui sont leurs membres. Que selon la pratique et le principe ancestraux, la femme, après le mariage, suivait son époux pour aller habiter au lieu de résidence ordinaire de l’époux au sein du groupe tribal de ce dernier. Que ce droit ancestral a survécu aux traités qui ont été conclus ou ont été inscrits dans ceux-ci. Et que la coutume ancestrale ou le supposé droit des bandes de faire, à l’endroit de leurs propres membres du sexe féminin, de la discrimination fondée sur l’état matrimonial de celles-ci, a été maintenu par les premières définitions législatives des mots Sauvage ou Indien, particulièrement par cette mention : « Tout individu du sexe masculin et de sang sauvage, réputé appartenir à une bande particulière ».

Les demandeurs concluent subsidiairement à jugement déclarant que le fait d’imposer des membres supplémentaires à leurs bandes sans leur consentement porte atteinte au droit qui est garanti par l’alinéa 2d) de la Charte à ces bandes et à chacun de leurs membres de s’associer librement avec d’autres individus.

Jugement : l’action doit être rejetée.

Les soi-disant droits ancestraux et issus de traités qui permettent à un époux indien d’amener son épouse non indienne résider dans la réserve, mais qui interdisent aux femmes indiennes de faire de même avec leurs époux non indiens, ont été éteints par le paragraphe 35(4), qui s’applique indépendamment des autres dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition vise à établir l’égalité des droits entre les personnes des deux sexes, indépendamment des droits ou responsabilités de chacun à une époque antérieure. Par ce seul motif, les demandeurs doivent être déboutés de leur action.

La souveraineté anglaise, et plus tard la souveraineté britannique, a été exprimée formellement pour la première fois dans la Charte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le 2 mai 1670. Tout droit dont les demandeurs sont en mesure d’établir l’existence doit avoir été exercé avant cette date, ne doit pas avoir été éteint avant l’entrée en vigueur du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et doit, en outre, survivre à l’application du paragraphe 35(4) de cette loi, parce que l’affirmation de souveraineté a eu pour effet d’assujettir les peuples autochtones aux lois d’application générale concernant le crime, la propriété, l’administration civile et la responsabilité civile délictuelle. Dans la mesure où ces lois d’application générale ont pour effet de porter atteinte aux droits ancestraux, ceux-ci sont éteints. Les droits ancestraux non spécifiés et qui, de ce fait, ne font pas l’objet de ces traités ne sont pas éteints et continuent d’exister.

Le droit que revendique les demandeurs de décider qui appartient à leurs bandes a été éteint par l’Acte des Sauvages, 1876, qui précédait les traités en question. Le Parlement a pris entièrement en charge cette responsabilité en adoptant cette Loi et celles qui l’ont précédée.

Les archives tenues par les commissaires chargés de la négociation des traités démontrent de façon concluante que, s’il y avait un droit ancestral de décider de l’appartenance à la bande, ce droit a été éteint à l’époque où le Traité no 7 fut signé, puisqu’il s’agissait d’une condition de sa conclusion. Le commissaire chargé de négocier le traité a de manière indubitable affirmé le pouvoir du gouvernement canadien de décider de l’appartenance aux effectifs des bandes et ce conformément aux dispositions de l’Acte des Sauvages, 1876 et des lois antérieures. Ce sont les Indiens qui ont, les premiers, admis la perte de ce pouvoir de décision, et qui ont demandé au gouvernement de prendre en charge cette responsabilité pour leur compte.

L’examen du texte des traités ne révèle pas l’existence, en faveur des Indiens, de quelque droit qui leur aurait été accordé par le traité et qui les aurait autorisés à décider de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes ou de leurs réserves. C’est ce que comprenaient les Indiens, ils comprenaient aussi que désormais ce serait le gouvernement du Canada qui déciderait de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes et de leurs réserves, étant donné qu’il s’était engagé à payer aux Indiens pour toujours certaines sommes à titre de charges perpétuelles des contribuables. Il est clair que le gouvernement était également bien déterminé à décider qui avait, individuellement, droit à ces paiements et qui n’y avait pas droit.

La Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute mesure législative. Le fait que le régime matrimonial, selon les demandeurs, constituait parfois un élément de diverses versions de la Loi sur les Indiens ne signifie pas qu’il soit reconnu par la Constitution comme un droit ancestral ou issu de traité. Ce régime était toujours sujet à abrogation et, de fait, il a été abrogé.

Si la bande pouvait encore décider qui sont ses membres et si le gouvernement était appelé, comme il est obligé de le faire, à verser les sommes prévues à tous les membres et à leur accorder tous les autres avantages existants aujourd’hui, les bandes pourraient alors, hypothétiquement, ruiner les contribuables en élargissant de façon exponentielle le nombre de leurs membres, sans aucune limite, même celles prévues par les modifications de 1985. Il est peu probable que cela se produise, mais les demandeurs semblent avoir oublié la contrepartie originale prévue par le traité. Le gouvernement a, depuis l’époque des traités, exercé de manière absolue le pouvoir de décider qui sont les membres des bandes et les Indiens qui ont droit aux paiements et aux autres avantages.

L’Acte des Sauvages de 1869 prévoyait que dès qu’une femme indienne épousait un non-Indien, tous les liens la rattachant à sa réserve natale étaient rompus. Les femmes qui se trouvaient dans cette situation avaient la possibilité soit de se faire verser une somme forfaitaire égale soit de choisir de continuer à recevoir chaque année l’annuité prévue par le traité. Dans ce dernier cas elle devenait une titulaire de « billet rouge ». Le régime du « billet rouge » a été aboli en 1951. Ce qui montre non seulement que le Parlement a constamment adopté des dispositions législatives afin de prendre en charge la responsabilité de décider qui étaient les membres des groupes autochtones même la conclusion des traités, mais encore que les demandeurs ont, ex post facto, adopté la sévérité de la loi de 1869 et affirmé que cette loi exprimait la « règle » ancestrale selon laquelle, de temps immémorial, ce sont les groupes autochtones qui décident qui sont leurs membres.

Avant les traités, les prédécesseurs des demandeurs n’avaient pas pour coutume de décider qui étaient leurs membres ou qui étaient les partisans de leurs chefs. L’importance du chef dépendait du nombre d’individus ou de familles qui choisissaient de le suivre. Même les gens nés de partisans d’un chef donné étaient libres de quitter le campement de ce dernier et d’aller se joindre à un autre. Il n’existait aucun droit de « veto » en la matière. Même les personnes qui ne se comportaient pas convenablement n’étaient pas expulsées. Cette liberté était à l’opposé du principe de la « détermination » de l’effectif de la bande. Il n’y avait ni droit ancestral ni lois coutumières dans ce domaine. Il n’existait pas de droit, ancestral ou issu de traités, qui donnerait ouverture à l’application du paragraphe 35(1).

Les demandeurs n’ont pas été capables d’indiquer quelque disposition de la loi ou des traités qui, avant le 17 avril 1982 ou par la suite, pourvoyait à la survie, à la protection ou à l’application des « lois coutumières » ou droits ancestraux et issus de traités qu’ils allèguent en l’espèce, si ces droits ont jamais existé. Aujourd’hui, les bandes acceptent les décisions du gouvernement en ce qui a trait à l’identité des personnes qui sont des Indiens et des bandes auxquelles ces personnes appartiennent. Au fil des ans, le Parlement a adopté un ensemble exhaustif de dispositions législatives régissant de façon exclusive l’appartenance aux bandes indiennes. En pratique, la notoriété semble avoir été l’idée qu’ont eu de cette notion divers représentants gouvernementaux.

L’équité est une des pierres d’assise de la Charte et si les demandeurs l’invoquent, ils ne peuvent invoquer uniquement l’alinéa 2d). Ils doivent également reconnaître que les modifications de 1985 sont justifiées, au regard de l’article premier, par les articles 15 et 28, qui produisent dans la Charte le même effet que le paragraphe 35(4) en dehors de celle-ci. S’il y a eu atteinte à la liberté d’association garantie aux demandeurs par l’alinéa 2d), elle est tout à fait justifiée pour assurer le respect des principes d’égalité prévus à l’article 15 et par le fait que, par application de l’article 28, les droits et libertés protégés par la Charte sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Les modifications de 1985 s’appliquent aux gens qui vivaient à la date à laquelle celui-ci est entré en vigueur. Elles ne compensent personne pour l’exclusion passée et elles ne sont pas censées modifier rétroactivement le statut ou la situation de quiconque. Elles visent à corriger la situation des personnes qui étaient vivantes à la date de son entrée en vigueur. Le texte de loi a un effet prospectif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte de la Terre de Rupert, 1868, 31-32 Vict., ch. 105 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 6].

Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, art. 3, 4, 5, 11, 12, 13, 15, 16, 20, 25, 26, 27.

Acte pour abroger en partie et amender un acte intitulé : Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des sauvages dans le Bas-Canada, S.C. 1851, ch. 59, art. II.

Acte pour protéger les sauvages dans le Haut-Canada, contre la fraude, et les propriétés qu’ils occupent ou dont ils ont jouissance, contre tous empiétements et dommages, S.C. 1850, ch. 74, art. IV, V, VI.

Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages, et à l’extension des dispositions de l’acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux, S.C. 1869, ch. 6, art. 3, 6, 19.

Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance, S.C. 1868, ch. 42, art. 6, 9, 15, 17.

Acte relatif aux Sauvages, 1880, S.C. 1880, ch. 28, art. 12, 13.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2d), 15, 25, 28.

Convention sur le transfert des ressources naturelles (Alberta) [confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930, 20 & 21 Geo. V, ch. 26 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 16) [L.R.C. (1985), appendice II, no 26], art. 2], par. 12.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3

(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,

1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle

de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91.

Loi constitutionnelle de 1930, 20 & 21 Geo. V, ch. 26 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 16) [L.R.C. (1985), appendice II, no 26].

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27, art. 4.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) « bande », « liste de bande » (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1), « Indien », « registre des Indiens » (mod., idem), « membre d’une bande », « registraire » (mod., idem), 4 (mod., idem, art. 2), 4.1 (édicté, idem, art. 3; mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 48, art. 1), 5 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 6 (mod., idem; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 43, art. 1), 7 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 8 (mod., idem), 9 (mod., idem), 10 (mod., idem), 11 (mod., idem; L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 43, art. 2), 12 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 13 (mod., idem), 13.1 (édicté, idem), 13.2 (édicté, idem), 13.3 (édicté, idem), 14 (mod., idem), 14.1 (édicté, idem), 14.2 (édicté, idem), 14.3 (édicté, idem), 88.

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 90(1)b).

Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 16.

Proclamation de 1983 modifiant la Constitution, TR/84-102, art. 2.

Proclamation royale (1763), L.R.C. (1985), appendice II, no 1.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337(2), 1101.

Traité de Paris (1763).

Traité d’Utrecht (1713).

Traité no 6 (1876).

Traité no 7 (1877).

Traité no 8 (1899).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Sigeareak El-53 v. The Queen, [1966] R.C.S. 645; (1966), 57 D.L.R. (2d) 536; [1966] 4 C.C.C. 393; 49 C.R. 271; 56 W.W.R. 478; R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; (1969), 9 D.L.R. (3d) 473; 71 W.W.R. 161; 10 C.R.N.S. 334; Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570; (1991), 83 D.L.R. (4th) 381; [1991] 3 C.N.L.R. 79; 127 N.R. 147; 46 O.A.C. 396; 20 R.P.R. (2d) 50; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; (1990), 30 Q.A.C. 287; 70 D.L.R. (4th) 427; 56 C.C.C. (3d) 225; [1990] 3 C.N.L.R. 127; 109 N.R. 22; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; (1987), 40 D.L.R. (4th) 18; 77 N.R. 241; 22 O.A.C. 321; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Baker Lake (Hamlet) c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1980] 1 C.F. 518 (1979), 107 D.L.R. (3d) 513; [1980] 5 W.W.R. 193; [1979] 3 C.N.L.R. 17 (1re inst.); Calder et autres c. Procureur général de la

Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; (1973), 34 D.L.R. (3d) 145; [1973] 4 W.W.R. 1; Bay c. Registraire des Indiens (1976), 9 CNLC 36 (C.F. 1re inst.); Delgamuukw v. British Columbia (1993), 104 D.L.R. (4th) 470; [1993] 5 W.W.R. 97; 30 B.C.C.A. 1; 49 W.A.C. 1 (C.A.C.-B.); R. v. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1993] 5 W.W.R. 542; (1993), 29 B.C.A.C. 273; 80 B.C.L.R. (2d) 158; [1993] 4 C.N.L.R. 158; 48 W.A.C. 273 (C.A.C.-B.).

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901; (1990), 108 A.R. 1; [1990] 4 W.W.R. 97; 73 Alta. L.R. (2d) 193; [1990] 3 C.N.L.R. 95; 55 C.C.C. (3d) 353; 108 N.R. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

Sikyea v. The Queen, [1964] R.C.S. 642; (1964), 50 D.L.R. (2d) 80; 49 W.W.R. 306; [1965] 2 C.C.C. 129; 44 C.R. 266; The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267; (1966), 55 D.L.R. (2d) 386; [1966] 3 C.C.C. 137; 47 C.R. 382; Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282; (1981), 123 D.L.R. (3d) 95; 9 Sask. R. 149; 59 C.C.C. (2d) 193; 36 N.R. 437.

DOCTRINE

Fumoleau, René. As Long as this Land Shall Last : A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870-1939, Toronto : McClelland and Stewart, 1973.

Marty, Sid. « Prairie Oasis » (1995), 115 Canadian Geographic 46.

Morris, Alexander. The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories Including the Negotiations on Which They Were Based, and Other Information Relating Thereto, Toronto : Belfords, Clarke& Co., 1880.

Nicholson, Norman L. The Boundaries of the Canadian Confederation, The Carleton Library No. 115. Toronto : Macmillan, 1979.

Slattery, Brian. « The Constitutional Guarantee of Aboriginal and Treaty Rights » (1982-83), 8 Queen’s L.J. 232.

Tillett, Leslie, ed. Wind on the Buffalo Grass : Native American Artist-Historians, 1976. Reprint, New York : Da Capo Press, 1989.

ACTION en jugement déclarant que certaines modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens (spécifiquement les articles 8 à 14.3) sont incompatibles avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Action rejetée.

AVOCATS :

Catherine M. Twinn, Martin J. Henderson et Philip P. Healey pour les demandeurs.

Dogan D. Akman pour la défenderesse.

Eugene Meehan pour l’intervenant Conseil national des autochtones du Canada.

P. Jonathan Faulds et Thomas K. O’Reilly pour l’intervenant Native Council of Canada (Alberta).

Terrence P. Glancy pour l’intervenante Non- Status Indian Association of Alberta.

PROCUREURS :

Catherine M. Twinn, Slave Lake (Alberta) et Shibley, Righton, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Lang Michener, Ottawa, pour l’intervenant Conseil national des autochtones du Canada.

Field & Field Perraton, Edmonton, pour l’intervenant Native Council of Canada (Alberta).

Royal, McCrum, Duckett & Glancy, Edmonton, pour l’intervenante Non-Status Indian Association of Alberta.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Muldoon : Il s’agit en l’espèce d’une affaire constitutionnelle dans laquelle les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant que certaines dispositions clés d’une loi du Parlement sont incompatibles avec certaines parties de l’article 35 de la Constitution du Canada, notamment les dispositions édictées par la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Avis a été dûment signifié au procureur général de chaque province (le procureur général du Canada représentant déjà la défenderesse) conformément à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19] et à la Règle 1101 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663]. Aucun des procureurs généraux provinciaux n’a demandé la permission d’intervenir ni celle de déposer un exposé des faits et du droit, de comparaître par procureur et de participer à l’audition.

Cependant, trois intervenants ont été autorisés à participer à la présente affaire et se sont pratiquement vus reconnaître la qualité de parties ainsi que tous les droits et privilèges y afférents. Cette qualité leur a été reconnue par une ordonnance du juge McNair, rendue le 14 septembre 1989 (doc. 96). Au procès, les demandeurs ont présenté une requête en vue de faire évincer les trois intervenants, mais, pour les motifs énoncés alors, cette requête a été rejetée avec dépens, dépens qui seront constitués d’une somme accordée aux avocats et payable à la défenderesse et à chacun des trois intervenants, quel que soit le sort de la cause.

Au procès, les demandeurs ont présenté une autre requête dans laquelle ils demandaient à la Cour de se déplacer pour aller visiter—visite qui aurait nécessairement été muette, silencieuse et sans communication, puisqu’on ne proposait le nom d’aucun témoin assermenté qui aurait été chargé d’accompagner la Cour—deux réserves, la Westbank en Colombie-Britannique et la Sarcee (ou Tsuu T’ina) en Alberta. En outre, les demandeurs ont également demandé l’autorisation de faire recueillir, par voie de commission rogatoire, la déposition d’un témoin qui, a-t-on affirmé, était âgé de 85 ans et refusait de voyager par avion. Cette requête sommaire, également pour des motifs énoncés à l’audience, a été rejetée le 18 octobre 1993, avec dépens en faveur de la défenderesse et des intervenants, quel que soit le sort de la cause.

Tout juste avant le début du procès, les demandeurs ont congédié leurs avocats inscrits au dossier, à l’instar de plusieurs autres avant eux, avant de retenir les services de ceux qui ont ultimement comparu et plaidé en leur nom. La Cour a statué que le procès devait avoir lieu selon le calendrier prévu, avec le minimum de retard, étant donné que les demandeurs eux-mêmes avaient provoqué le changement d’avocats et qu’il ne fallait pas leur permettre de réduire à néant les efforts déployés par les juges McNair et Cullen en vue de préparer l’affaire pour le procès. En conséquence, les nouveaux avocats des demandeurs, qui étaient bien au fait du bateau dans lequel ils s’embarquaient, ont été contraints de prendre la relève pratiquement au pied levé.

Il se trouve que le dernier retard qui est survenu a été, dans une large mesure, causé par les innombrables lacunes de la merveille technologique qui a été utilisée—avec le personnel nécessaire à son fonctionnement—pour reproduire, à la vitesse de l’éclair, la transcription des débats et l’image des pièces sur un écran d’ordinateur. Du point de vue de la Cour, ce retard n’a pu être évité. Les bonnes vieilles méthodes auraient été plus rapides.

LA LÉGISLATION APPLICABLE

Les récriminations des demandeurs visent, affirme-t-on, une loi du Parlement : 33-34 Elizabeth II, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27, (les modifications de 1985). L’article 4 des modifications de 1985 est mentionné de façon plus particulière en ce qu’il édicte les nouveaux articles 8, 9, 10, 11 et 12 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5[1]. Comme certaines de ces dispositions renvoient à des dispositions antérieures et qu’il y a interrelation entre des dispositions qui sont abrogées et édictées en même temps, la Cour estime qu’il est pratique et sûrement pas déraisonnable de faire couler l’encre nécessaire pour citer les dispositions applicables, tout en gardant à l’esprit que, pour établir la validité de ces dispositions, il faut non seulement démontrer qu’elles respectent le partage constitutionnel des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, mais également qu’elles sont compatibles avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 mentionné au début des présents motifs. Dans certains cas, la disposition abrogée [L.R.C. (1985), ch. I-5, à moins d’indication contraire] est citée (en italique) tout juste avant les dispositions—reproduites en caractères gras—des modifications de 1985 [L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1, 2 et 4, tels que modifiées lorsque précisé], que certains continuent d’appeler projet de loi C-31 [L.R.C. (1985), ch. I-5]. Les dispositions antérieures au projet de loi C-31, qui n’ont pas été modifiées par celui-ci et qui sont toujours en vigueur sont reproduites en caractères ordinaires :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

«bande » Groupe d’Indiens, selon le cas :

a) à l’usage et au profit communs desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951;

b) à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent;

c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi.

« Indien » Personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être.

« liste de bande » Liste de personnes tenue en vertu de l’article 8 par une bande ou au ministère;

« membre d’une bande » Personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

« registraire » Le fonctionnaire du ministère responsable du registre des Indiens et des listes de bande tenus au ministère;

« registre des Indiens » Le registre de personnes tenu en vertu de l’article 5;

4. (1) La mention d’un Indien, dans la présente loi, exclut une personne de la race d’aborigènes communément appelés Inuit.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par proclamation, déclarer que la présente loi, ou toute partie de celle-ci, sauf les articles 37 à 41, ne s’applique pas

a) à des Indiens ou à un groupe ou une bande d’Indiens;

b) à une réserve ou à des terres cédées, ou à une partie y afférente,

et peut par proclamation révoquer toute semblable déclaration.

(2) Le gouverneur en conseil peut, par proclamation, déclarer que la présente loi, ou toute partie de celle-ci, sauf les articles 5 à 14.3 et 37 à 41, ne s’applique pas

a) à des Indiens ou à un groupe ou une bande d’Indiens;

b) à une réserve ou à des terres cédées, ou à une partie y afférente.

Il peut en outre, par proclamation, révoquer toute semblable déclaration.

(2.1) Sans que soit limitée la portée générale du paragraphe (2), il demeure entendu que le gouverneur en conseil est réputé avoir eu le pouvoir de faire, en vertu du paragraphe (2), toute déclaration qu’il a faite à l’égard des articles 11, 12 ou 14 ou d’une disposition de ceux-ci, dans leur version antérieure au 17 avril 1985.

(3) Les articles 114 à 122 et, sauf si le ministre en ordonne autrement, les articles 42 à 52 ne s’appliquent à aucun Indien, ni à l’égard d’aucun Indien, ne résidant pas ordinairement dans une réserve ou sur des terres qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

4.1 La mention du terme « Indien » dans les définitions de « bande », « argent des Indiens » ou « Indien mentalement incapable » à l’article 2 et la mention … [aux diverses dispositions énumérées] valent également mention de toute personne qui a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande et dont le nom y a effectivement été consigné. [L.R.C. (1985) (1er suppl.) ch. 32, art. 3].

4.1 La mention du terme « Indien » dans les définitions de « bande », « argent des Indiens » ou « Indien mentalement incapable » à l’article 2 et la mention de ce terme aux paragraphes 4(2) et (3) et 18(2), aux articles 20 et 22 à 25, aux paragraphes 31(1) et (3) et 35(4), aux articles 51, 52, 52.2 et 52.3, aux paragraphes 58(3) et 61(1), aux articles 63 et 65, aux paragraphes 66(2) et 70(1) et (4), à l’article 71, aux alinéas 73g) et h), au paragraphe 74(4), à l’article 84, à l’alinéa 87(1)a), à l’article 88, au paragraphe 89(1) et à l’alinéa 107b) valent également mention de toute personne qui a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande et dont le nom y est consigné. [L.R.C. (1985), ch. 48 (4e suppl.), art. 1.]

5. Est maintenu au ministère un registre des Indiens, compose des listes de bande et des listes générales et où doit être consigné le nom de chaque personne ayant droit d’être inscrite comme Indien.

5. (1) Est tenu au ministère un registre des Indiens où est consigné le nom de chaque personne ayant le droit d’être inscrite comme Indien en vertu de la présente loi.

(2) Les noms figurant au registre des Indiens le 16 avril 1985 constituent le registre des Indiens au 17 avril 1985.

(3) Le registraire peut ajouter au registre des Indiens, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes de la présente loi, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans ce registre.

(4) Le registre des Indiens indique la date où chaque nom y a été ajouté ou en a été retranché.

(5) Il n’est pas requis que le nom d’une personne qui a droit d’être inscrite soit consigné dans le registre des Indiens, à moins qu’une demande à cet effet soit présentée au registraire.

6. (1) Sous réserve de l’article 7, une personne a droit d’être inscrite si elle remplit une des conditions suivantes :

a) elle était inscrite ou avait droit de l’être le 16 avril 1985;

b) elle est membre d’un groupe de personnes déclaré par le gouverneur en conseil après le 16 avril 1985 être une bande pour l’application de la présente loi;

c) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iv), de l’alinéa 12(1)b) ou du paragraphe 12(2) ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions;

d) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(1), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions;

e) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande :

(i) soit en vertu de l’article 13, dans sa version antérieure au 4 septembre 1951, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet article,

(ii) soit en vertu de l’article 111, dans sa version antérieure au 1er juillet 1920, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet article;

f) ses parents ont tous deux droit d’être inscrits en vertu du présent article ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.

(2) Sous réserve de l’article 7, une personne a droit d’être inscrite si l’un de ses parents a le droit d’être inscrit en vertu du paragraphe (1) ou, s’il est décédé, avait ce droit à la date de son décès.

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)f) et du paragraphe (2) :

a) la personne qui est décédée avant le 17 avril 1985 mais qui avait droit d’être inscrite à la date de son décès est réputée avoir droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa (1)a);

b) la personne visée aux alinéas (1)c), d), e) ou f) ou au paragraphe (2) et qui est décédée avant le 17 avril 1985 est réputée avoir droit d’être inscrite en vertu de ces dispositions. [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 43, art. 1.]

7. (1) Le registraire peut ajouter à une liste de bande ou à une liste générale, ou en retrancher, le nom de toute personne qui, d’après la présente loi, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans cette liste.

(2) Le registre des Indiens doit indiquer la date où chaque nom y a été ajouté ou en a été retranché.

7. (1) Les personnes suivantes n’ont pas le droit d’être inscrites :

a) celles qui étaient inscrites en vertu de l’alinéa 11(1)f), dans sa version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet alinéa, et dont le nom a ultérieurement été omis ou retranché du registre des Indiens en vertu de la présente loi;

b) celles qui sont les enfants d’une personne qui était inscrite ou avait le droit de l’être en vertu de l’alinéa 11(1)f), dans sa version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de cet alinéa, et qui sont également les enfants d’une personne qui n’a pas le droit d’être inscrite.

(2) L’alinéa (1)a) ne s’applique pas à une personne de sexe féminin qui, avant qu’elle ne soit inscrite en vertu de l’alinéa 11(1)f), avait le droit d’être inscrite en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

(3) L’alinéa (1)b) ne s’applique pas à l’enfant d’une personne de sexe féminin qui, avant qu’elle ne soit inscrite en vertu de l’alinéa 11(l)f), avait le droit d’être inscrite en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

8. Les listes de bande dressées au ministère le 4 septembre 1951 constituent le registre des Indiens et les listes applicables doivent être affichées à un endroit bien en vue dans le bureau du surintendant qui dessert la bande ou les personnes visées par la liste et dans tous les autres endroits où les avis concernant la bande sont ordinairement affichés.

8. Est tenue conformément à la présente loi la liste de chaque bande où est consigné le nom de chaque personne qui en est membre.

9. (1) Dans les six mois de l’affichage d’une liste conformément à l’article 8 ou dans les trois mois de l’addition du nom d’une personne à une liste de bande ou à une liste générale, ou de son retranchement d’une telle liste, en vertu de l’article 7 :

[le conseil de la bande, des électeurs, tout adulte inscrit sur la liste affichée ou la personne concernée]

peuvent, par avis écrit au registraire, renfermant un bref exposé des motifs invoqués à cette fin, protester contre l’inclusion, l’omission, l’addition ou le retranchement, selon le cas, du nom de cette personne, et il incombe à la personne qui formule la protestation d’établir ces motifs.

(2) Lorsqu’une protestation est adressée au registraire, en vertu du présent article, il fait tenir une enquête sur la question et rend une décision qui, sous réserve d’un renvoi prévu au paragraphe (3), est définitive et sans appel.

(3) Dans les trois mois de la date d’une décision du registraire aux termes du paragraphe (2) :

a) soit le conseil de la bande que vise la décision du registraire;

b) soit la personne qui a fait la protestation ou à l’égard de qui elle a eu lieu,

peut, moyennant un avis par écrit, demander au registraire de soumettre la décision à un juge, pour révision; le registraire doit alors déférer la décision, avec tous les éléments qu’il a pris en considération pour y arriver :

(4) Le juge visé au paragraphe (3) :

a) enquête sur la justesse de la décision du registraire et peut alors exercer tous les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes;

b) décide si la personne qui a fait l’objet de la protestation a ou n’a pas droit, selon le cas, d’après la présente loi, à l’inscription de son nom au registre des Indiens.

(5) La décision du juge est définitive et sans appel.

(6) La décision du registraire à l’égard d’une protestation ne peut être renvoyée qu’une seule fois devant un juge aux termes du présent article.

(7) Lorsque la décision du registraire a été renvoyée devant un juge, pour révision, aux termes du présent article, il incombe à la personne qui a demandé le renvoi d’établir que la décision du registraire est erronée.

9. (1) Jusqu’à ce que la bande assume la responsabilité de sa liste, celle-ci est tenue au ministère par le registraire.

(2) Les noms figurant à la liste d’une bande le 16 avril 1985 constituent la liste de cette bande au 17 avril 1985.

(3) Le registraire peut ajouter à une liste de bande tenue au ministère, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes de la présente loi, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans cette liste.

(4) La liste de bande tenue au ministère indique la date où chaque nom y a été ajouté ou en a été retranché.

(5) Il n’est pas requis que le nom d’une personne qui a droit à ce que celui-ci soit consigné dans une liste de bande tenue au ministère y soit consigné, à moins qu’une demande à cet effet soit présentée au registraire.

10. Lorsque le nom d’une personne du sexe masculin est inclus dans une liste de bande ou une liste générale, ou y est ajouté ou omis, ou en est retranché, les noms de son épouse et de ses enfants mineurs doivent également être inclus, ajoutés, omis ou retranchés, selon le cas.

10. (1) La bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

(2) La bande peut, avec l’autorisation de la majorité de ses électeurs :

a) après avoir donné un avis convenable de son intention de ce faire, fixer les règles d’appartenance à ses effectifs;

b) prévoir une procédure de révision des décisions portant sur l’appartenance à ses effectifs.

(3) Lorsque le conseil d’une bande prend en vertu de l’alinéa 81(1) (p. 4) un règlement administratif mettant en vigueur le présent paragraphe à l’égard de la bande, l’autorisation requise en vertu des paragraphes (1) et (2) doit être donnée par la majorité des membres de la bande âgés d’au moins dix-huit ans.

(4) Les règles d’appartenance fixées par une bande en vertu du présent article ne peuvent priver quiconque avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande immédiatement avant la fixation des règles du droit à ce que son nom y soit consigné en raison uniquement d’un fait ou d’une mesure antérieurs à leur prise d’effet.

(5) Il demeure entendu que le paragraphe (4) s’applique à la personne qui avait droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande en vertu de l’alinéa 11(1)c) avant que celle-ci n’assume la responsabilité de la tenue de sa liste si elle ne cesse pas ultérieurement d’avoir droit à ce que son nom y soit consigné.

(6) Une fois remplies les conditions du paragraphe (1), le conseil de la bande, sans délai, avise par écrit le ministre du fait que celle-ci décide désormais de l’appartenance à ses effectifs et lui transmet le texte des règles d’appartenance.

(7) Sur réception de l’avis du conseil de bande prévu au paragraphe (6), le ministre, sans délai, s’il constate que les conditions prévues au paragraphe (1) sont remplies :

a) avise la bande qu’elle décide désormais de l’appartenance à ses effectifs;

b) ordonne au registraire de transmettre à la bande une copie de la liste de bande tenue au ministère.

(8) Lorsque la bande décide de l’appartenance à ses effectifs en vertu du présent article, les règles d’appartenance fixées par celle-ci entrent en vigueur à compter de la date où l’avis au ministre a été donné en vertu du paragraphe (6); les additions ou retranchements effectués par le registraire à l’égard de la liste de la bande après cette date ne sont valides que s’ils sont effectués conformément à ces règles.

(9) À compter de la réception de l’avis prévu à l’alinéa (7)b), la bande est responsable de la tenue de sa liste. Sous réserve de l’article 13.2, le ministère, à compter de cette date, est dégagé de toute responsabilité à l’égard de cette liste.

(10) La bande peut ajouter à la liste de bande tenue par elle, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes des règles d’appartenance de la bande, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans la liste.

(11) La liste de bande tenue par celle-ci indique la date où chaque nom y a été ajouté ou en a été retranché.

11. (1) Sous réserve de l’article 12, une personne a droit d’être inscrite dans les cas suivants :

a) elle était, le 26 mai 1874, pour l’application de l’Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance, chapitre 42 des Statuts du Canada de 1868, loi modifiée par l’article 6 du chapitre 6 des Statuts du Canada de 1869 et par l’article 8 du chapitre 21 es Statuts du Canada de 1874, considérée comme ayant droit à la détention, l’usage ou la jouissance des terres et autres biens immeubles appartenant aux tribus, bandes ou groupes d’Indiens au Canada, ou affectés à leur usage;

b) elle est membre d’une bande

(i) soit à l’usage et au profit communs de laquelle des terres ont été mises de côté ou, depuis le 26 mai 1874, ont fait l’objet d’un traité les mettant de côté,

(ii) soit que le gouverneur en conseil a déclarée constituer une bande pour l’application de la présente loi;

c) elle est du sexe masculin et descendante directe par les hommes d’une personne du sexe masculin décrite à l’alinéa a) ou b);

d) elle est l’enfant légitime

(i) soit d’une personne du sexe masculin décrite à l’alinéa a) ou b),

(ii) d’une personne décrite à l’alinéa c);

e) elle est l’enfant illégitime d’une personne du sexe féminin décrite à l’alinéa a), b) ou d);

f) elle est l’épouse ou la veuve d’une personne ayant le droit d’être inscrite aux termes de l’un des alinéas a) à e).

(2) L’alinéa (1)e) s’applique seulement aux personnes nées après le 13 août 1956.

11. (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes :

a) son nom a été consigné dans cette liste, ou elle avait droit à ce qu’il le soit le 16 avril 1985;

b) elle a droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)b) comme membre de cette bande;

c) elle a droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)c) et a cessé d’être un membre de cette bande en raison des circonstances prévues à cet alinéa;

d) elle est née après le 16 avril 1985 et a droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)f) et ses parents ont tous deux droit à ce que leur nom soit consigné dans la liste de bande ou, s’ils sont décédés, avaient ce droit à la date de leur décès.

(2) À compter du jour qui suit de deux ans la date de sanction de la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, ou de la date antérieure choisie en vertu de l’article 13.1, lorsque la bande n’a pas la responsabilité de la tenue de sa liste prévue à la présente loi, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande tenue au ministère pour cette dernière dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) elle a le droit d’être inscrite en vertu des alinéas 6(1)d) ou e) et elle a cessé d’être un membre de la bande en raison des circonstances prévues à l’un de ces alinéas;

b) elle a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)f) ou du paragraphe 6(2) et un de ses parents visés à l’une de ces dispositions a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande ou, s’il est décédé, avait ce droit à la date de son décès.

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)d) et du paragraphe (2) :

a) la personne dont le nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou d’une liste de bande dans les circonstances prévues aux alinéas 6(1)c), d) ou e) et qui est décédée avant le premier jour où elle a acquis le droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande dont elle a cessé d’être membre est réputée avoir droit à ce que son nom y soit consigné;

b) la personne visée à l’alinéa (2)b) est réputée avoir droit à ce que son nom soit consigné dans la même liste de bande que celle dans laquelle le parent visé au même paragraphe a ou avait, ou est réputé avoir, en vertu du présent article, droit à ce que son nom y soit consigné. [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 43, art. 2]

(4) Lorsqu’une bande fusionne avec une autre ou qu’elle est divisée pour former de nouvelles bandes, toute personne qui aurait par ailleurs eu droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de la bande en vertu du présent article a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de la bande issue de la fusion ou de celle de la nouvelle bande à l’égard de laquelle ses liens familiaux sont les plus étroits.

12. (1) Les personnes suivantes n’ont pas le droit d’être inscrites :

a) une personne qui, selon le cas :

(i) a reçu, ou à qui il a été attribué, des terres ou certificats d’argent de métis,

(ii) est un descendant d’une personne décrite au sous-alinéa (i),

(iii) est émancipée,

(iv) est née d’un mariage célébré après le 4 septembre 1951 et a atteint l’âge de vingt et un ans, dont la mère et la grand-mère paternelle ne sont pas des personnes décrites à l’alinéa 11(1)a), b) ou d) ou admises à être inscrites en vertu de l’alinéa 11(1)e),

sauf si, étant une femme, cette personne est l’épouse ou la veuve de quelqu’un décrit à l’article 11;

b) une femme qui a épousé un non-Indien, sauf si cette femme devient subséquemment l’épouse ou la veuve d’une personne décrite à l’article 11.

(2) L’addition, à une liste de bande, du nom d’un enfant illégitime décrit à l’alinéa 11(1)e) peut faire l’objet d’une protestation en tout temps dans les douze mois de l’addition et si, à la suite de la protestation, il est décidé que le père de l’enfant n’était pas un Indien, l’enfant n’a pas le droit d’être inscrit selon cet alinéa.

(3) Le ministre peut délivrer à tout Indien auquel la présente loi cesse de s’appliquer, un certificat à cet effet.

(4) Les sous-alinéas (1)a)(i) et (ii) ne s’appliquent pas à une personne qui,

a) en conformité de la présente loi, est inscrite à titre d’Indien le 13 août 1958;

b) est un descendant d’une personne désignée à l’alinéa a) du présent paragraphe.

(5) Le paragraphe (2) s’applique seulement aux personnes nées après le 13 août 1956.

12. À compter du jour qui suit de deux ans la date de sanction de la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, ou de la date antérieure choisie en vertu de l’article 13.1, la personne qui,

a) soit a le droit d’être inscrite en vertu de l’article 6 sans avoir droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue au ministère en vertu de l’article 11;

b) soit est membre d’une autre bande,

a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste d’une bande tenue au ministère pour cette dernière si le conseil de la bande qui l’admet en son sein y consent.

13. Sous réserve de l’approbation du ministre et, si ce dernier l’ordonne, sous réserve du consentement de la bande qui accorde l’admission :

a) une personne dont le nom apparaît sur une liste générale peut être admise au sein d’une bande avec le consentement du conseil de la bande;

b) un membre d’une bande peut être admis parmi les membres d’une autre bande avec le consentement du conseil de celle-ci.

13. Par dérogation aux articles 11 et 12, nul n’a droit à ce que son nom soit consigné en même temps dans plus d’une liste de bande tenue au ministère.

13.1 (1) Une bande peut, avant le jour qui suit de deux ans la date de sanction de la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, décider de laisser la responsabilité de la tenue de sa liste au ministère à condition d’y être autorisée par la majorité de ses électeurs.

(2) Si la bande décide de laisser la responsabilité de la tenue de sa liste au ministère en vertu du paragraphe (1), le conseil de la bande, sans délai, avise par écrit le ministre de la décision.

(3) Malgré la décision visée au paragraphe (1), la bande peut, à tout moment par la suite, assumer la responsabilité de la tenue de sa liste en vertu de l’article 10.

13.2 (1) La bande peut, à tout moment après avoir assumé la responsabilité de la tenue de sa liste en vertu de l’article 10, décider d’en remettre la responsabilité au ministère à condition d’y être autorisée par la majorité de ses électeurs.

(2) Lorsque la bande décide de remettre la responsabilité de la tenue de sa liste au ministère en vertu du paragraphe (1), le conseil de la bande, sans délai, avise par écrit le ministre de la décision et lui transmet une copie de la liste et le texte des règles d’appartenance fixées par la bande conformément au paragraphe 10(2) pendant qu’elle assumait la responsabilité de la tenue de sa liste.

(3) Lorsque est donné l’avis prévu au paragraphe (2) à l’égard d’une liste de bande, la tenue de cette dernière devient la responsabilité du ministère à compter de la date de réception de l’avis. Elle est tenue, à compter de cette date, conformément aux règles d’appartenance prévues à l’article 11.

13.3 Une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue par le ministère en vertu de l’article 13.2 si elle avait droit à ce que son nom soit consigné dans cette liste, et qu’il y a effectivement été consigné, avant qu’une copie en soit transmise au ministre en vertu du paragraphe 13.2(2), que cette personne ait ou non droit à ce que son nom soit consigné dans cette liste en vertu de l’article 11.

14. Une femme qui est membre d’une bande cesse d’en faire partie si elle épouse une personne qui n’en est pas membre, mais si elle épouse un membre d’une autre bande, elle entre dès lors dans la bande à laquelle appartient son mari.

14. (1) Au plus tard après la date de sanction de la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, le registraire transmet au conseil de chaque bande une copie de la liste de la bande dans son état antérieure à cette date.

(2) Si la liste de bande est tenue au ministère, le registraire, au moins une fois tous les deux mois après la transmission prévue au paragraphe (1) d’une copie de la liste au conseil de la bande, transmet à ce dernier une liste des additions à la liste et des retranchements de celle-ci non compris dans une liste antérieure transmise en vertu du présent paragraphe.

(3) Le conseil de chaque bande, dès qu’il reçoit copie de la liste de bande prévue au paragraphe (1) ou la liste des additions et des retranchements prévue au paragraphe (2), affiche la copie ou la liste, selon le cas, en un lieu bien en évidence dans la réserve de la bande.

14.1 Le registraire, à la demande de toute personne qui croit qu’elle-même ou que la personne qu’elle représente a droit à l’inclusion de son nom dans le registre des Indiens ou une liste de bande tenue au ministère, indique sans délai à l’auteur de la demande si ce nom y est inclus ou non.

14.2 (1) Une protestation peut être formulée, par avis écrit au registraire renfermant un bref exposé des motifs invoqués, contre l’inclusion ou l’addition du nom d’une personne dans le registre des Indiens ou une liste de bande tenue au ministère ou contre l’omission ou le retranchement de son nom de ce registre ou d’une telle liste dans les trois ans suivant soit l’inclusion ou l’addition, soit l’omission ou le retranchement.

(2) Une protestation peut être formulée en vertu du présent article à l’égard d’une liste de bande par le conseil de cette bande, un membre de celle-ci ou la personne dont le nom fait l’objet de la protestation ou son représentant.

(3) Une protestation peut être formulée en vertu du présent article à l’égard du registre des Indiens par la personne dont le nom fait l’objet de la protestation ou son représentant.

(4) La personne qui formule la protestation prévue au présent article a la charge d’en prouver le bien-fondé.

(5) Lorsqu’une protestation lui est adressée en vertu du présent article, le registraire fait tenir une enquête sur la question et rend une décision.

(6) Pour l’application du présent article, le registraire peut recevoir toute preuve présentée sous serment, par affidavit ou autrement, si celui-ci, à son appréciation, l’estime indiquée ou équitable, que cette preuve soit ou non admissible devant les tribunaux.

(7) Sous réserve de l’article 14.3 la décision du registraire visée au paragraphe (5) est définitive et sans appel.

14.3 (1) Dans les six mois suivant la date de la décision du registraire visée sur une protestation prévue à l’article 14.2, peuvent, par avis écrit, en interjeter appel devant le tribunal visé au paragraphe (5).

a) s’il s’agit d’une protestation formulée à l’égard d’une liste de bande, le conseil de la bande, la personne qui a formulé la protestation ou la personne dont le nom fait l’objet de la protestation ou son représentant,

b) s’il s’agit d’une protestation formulée à l’égard du registre des Indiens, la personne dont le nom a fait l’objet de la protestation ou son représentant,

(2) Lorsqu’il est interjeté appel en vertu du présent article, l’appelant transmet sans délai au registraire une copie de l’avis d’appel.

(3) Sur réception de la copie de l’avis d’appel prévu au paragraphe (2), le registraire dépose sans délai au tribunal une copie de la décision en appel, toute la preuve documentaire prise en compte pour la décision, ainsi que l’enregistrement ou la transcription des débats devant le registraire.

(4) La cour peut, à l’issue de l’audition de l’appel prévu au présent article :

a) soit confirmer, modifier ou renverser la décision du registraire;

b) soit renvoyer la question en appel au registraire pour réexamen ou nouvelle enquête.

Les questions en litige amènent principalement à comparer les articles 11 et 12 des modifications de 1985 et les dispositions qu’elles ont remplacées. Toutefois, comme il sera indiqué, les autres dispositions citées et leur économie revêtent de l’importance.

Il ne fait aucun doute que les demandeurs n’auraient pas intenté la présente action s’ils avaient été d’accord avec les effets que produisent, selon eux, ces dispositions. Les demandeurs, la défenderesse et les trois intervenants ont produit des actes de procédure détaillés, dans lesquels les premiers exposent leurs récriminations et les autres les contestent.

LES ACTES DE PROCÉDURE

Au paragraphe 13 de la déclaration modifiée, les demandeurs prétendent que, avant la reconnaissance et la confirmation des droits existants—ancestraux ou issus de traités—le 17 avril 1982 (sous réserve de quelques exceptions limitées non mentionnées), les lois du Parlement confirmaient le droit des Indiens de décider qui appartenait à leurs diverses bandes et n’avaient pas pour effet d’imposer à celles-ci des membres supplémentaires. Toutefois, dans sa défense, le procureur général nie l’ensemble de ces prétentions et affirme que celles-ci sont contraires aux dispositions explicites des diverses Lois sur les Indiens qui se sont succédées et aux décisions prises par le pouvoir exécutif en application de ces textes de loi. De leur côté, les intervenants, décrits par l’avocat du Conseil national des autochtones du Canada (CNAC) comme étant les « exclusées » [sic], ont plaidé ce qui suit :

Intervention du CNAC

[traduction] 13. En ce qui concerne le paragraphe 13 de la déclaration, le CNAC nie les allégations y formulées.

Intervention du Native Council of Canada (Alberta) [NCC(A)]

[traduction] (d) En ce qui concerne le paragraphe 13 de la [déclaration], le NCC(A) affirme que les lois du … Parlement … antérieures à la constitutionnalisation des [droits revendiqués] violaient les droits des Indiens en privant des autochtones de leur statut d’Indien [qualité d’Indien inscrit] et du droit d’être membre d’une bande, droit et qualité que leur reconnaissait la loi, tout en reconnaissant ces droits à des individus qui n’étaient pas des autochtones.

Intervention de la Non-Status Indian Association of Alberta [NSIAA]

[traduction] 8. En ce qui concerne le paragraphe 13 … les conséquences d’un mariage entre un Indien et un non-Indien n’étaient pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Compte tenu de cette différence, l’histoire n’appuie pas :

A.   l’allégation selon laquelle les bandes indiennes ne se faisaient pas imposer de membres sans leur consentement;

B.   l’allégation selon laquelle la façon différente dont les hommes et les femmes étaient traités constitue un droit ancestral;

C.   la façon différente dont les hommes et les femmes étaient traités constitue un droit issu de traité.

Au paragraphe 14 de la déclaration, les demandeurs allèguent ce qui suit :

[traduction] 14. Par l’édiction de la Loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27 (les « modifications de 1985 »), le Parlement a tenté unilatéralement d’obliger les bandes indiennes à admettre certaines personnes comme membres. les modifications de 1985 imposent des membres à une bande sans exiger que le conseil de cette bande ou les membres de celle-ci y consentent et, de fait, elles imposent ces personnes à la bande même si le conseil de la bande ou les membres de celle-ci s’y opposent. Dans aucune loi antérieure, le Parlement n’exerçait un tel pouvoir.

La défenderesse nie l’allégation formulée dans la dernière phrase, elle affirme que les modifications de 1985 parlent d’elles-mêmes et que, de plus, en ce qui concerne le paragraphe 14 de la déclaration des demandeurs, le paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] accorde au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer à l’égard des matières y prévues, que c’est effectivement ce qu’il a fait en fixant, dans la loi, les critères et les conditions d’appartenance aux bandes, ainsi que les circonstances dans lesquelles les droits prévus peuvent être acquis, détenus, perdus, révoqués, retrouvés ou rétablis sans le consentement des bandes ou de leur conseil respectif.

Relativement à ces affirmations de la défenderesse, les demandeurs ont répondu et lié contestation de la manière suivante (dossier certifié conforme : onglet 4, page 2, paragraphes 2 et 3) :

[traduction] 2. En ce qui concerne l’alinéa 5b) et les paragraphes 11, 12 et 14, les demandeurs affirment qu’ils existent en tant qu’Indiens, tribus et bandes vivant en sociétés organisées depuis bien longtemps avant l’adoption des lois du Parlement du Canada ou la signature des traités, et qu’aucune loi ni aucun traité n’ont eu pour effet d’éteindre le droit de ces sociétés de décider qui sont leurs membres.

3. En ce qui concerne les paragraphes en question, les demandeurs affirment également que, par l’effet des traités en litige, les terres faisant partie des réserves des bandes demanderesses ont été mises de côté à l’usage exclusif des Indiens concernés et que, à aucun moment avant l’édiction des mesures législatives en litige, le Parlement du Canada n’a édicté de loi ayant pour objet d’abroger ou de restreindre les droits conférés par ces traités ou produisant un tel effet.

Les intervenants ont, dans leur intervention respective, fait des affirmations suivantes :

NSIAA :

[traduction] 9. En ce qui concerne les paragraphes 14 et 15 de la déclaration, les paragraphes 14, 15, 15a), 15b) et 15c) de la défense et les paragraphes 4, 5 et 6 de la réponse et contestation liées, l’association est d’avis que :

A.   les révisions apportées à la Loi par les modifications de 1985 sont compatibles avec l’historique législatif de la Loi et des textes qui l’ont précédée;

B.   en ce qui concerne la bande des Sarcis demanderesse et les personnes au nom desquelles l’association parle, le nombre de personnes ayant des droits acquis est minime, et que, pour ce qui est de celles qui ont le droit, à certaines conditions, de devenir membres de la bande des Sarcis, cette dernière a compétence pour trancher cette question conformément aux dispositions de son code d’appartenance.

(A) :

[traduction] (e) En ce qui concerne le paragraphe 14 de la déclaration, le NCC(A) affirme que le Parlement a, par les modifications de 1985, tenté de corriger les injustices et les torts que causaient, jusque-là, l’application de la Loi sur les Indiens, et en même temps de permettre aux bandes indiennes d’exercer un degré plus grand d’autonomie gouvernementale.

CNAC :

[traduction] 14. En ce qui concerne le paragraphe 14 de la déclaration, le NCC nie que l’exercice du pouvoir dont font mention les demandeurs était sans précédent dans les textes de loi antérieurs.

Dans leur réponse, les demandeurs affirment que les peuples autochtones qui les ont précédés vivaient « en sociétés organisées », et cela « bien avant toute loi » du Parlement. L’avocat de la défenderesse a souligné que les mots « tribus et bandes » étaient ceux utilisés par les Euro-Canadiens, mais que, pour sa part, il préférait désigner ces groupes par les mots « campements » et « camps ». Ces observations expliquent la forme que prend l’admission qu’a faite la défenderesse et qui, la première fois, a été consignée dans le volume 6 de la transcription des débats [ci-après TD] (TD6), aux pages 615 et 618. On y rapporte les propos suivants de M. Akman :

[traduction] M. AKMAN : Non, votre Honneur. Si je puis venir en aide à mon collègue [M. Healey], et c’est d’ailleurs avec un très grand plaisir que je le fais, dans la mesure où les demandeurs affirment que les camps dans lesquels ils vivaient sont synonymes de sociétés organisées, nous acceptons alors très volontiers la proposition selon laquelle ces camps constituaient des sociétés organisées. [TD6, à la page 615.]

… j’ai affirmé que nous admettions que ces camps organisés étaient des sociétés organisées. Le mot « société » peut désigner bien des choses; en l’espèce, il désigne un camp organisé, voilà tout. [TD6, à la page 618.]

On a fait référence à l’admission de la défenderesse, qui a valeur de plaidoirie écrite, à au moins une dizaine d’autres occasions au cours du procès et, évidemment, il en est fait état dans les passages correspondants de la transcription des débats.

PRÉOCCUPATIONS EXPRIMÉES PAR DES TÉMOINS À L’ÉGARD DES MODIFICATIONS DE 1985

Divers témoins ont, dans leur déposition, fait des observations analogues à celles énoncées dans l’examen qui vient d’être fait des actes de procédure relativement aux effets concrets ou envisagés des modifications de 1985. Peut-être la Cour n’aurait-elle pas dû permettre de tels témoignages de nature spéculative, mais il n’était pas entièrement inapproprié d’écouter les propos d’un témoin autochtone âgé, qui a été appelé à la barre et été autorisé à relater de l’« histoire orale », malgré la règle interdisant le ouï-dire. Sophie Makinaw a déposé par l’entremise d’un excellent interprète, Harold Cardinal, que la Cour félicite et remercie pour les services manifestement impeccables, compétents et dévoués qu’il a rendus. Le témoignage de Mme Makinaw n’est pas pris en considération pour l’exactitude des prévisions qu’il renferme, mais plutôt pour démontrer les pires craintes qu’entretiennent les demandeurs relativement à l’application pratique des modifications de 1985. Mme Makinaw a donné une longue réponse, qui est reproduite ici dans une version légèrement abrégée.

[traduction] Bon, quand nous parlons de cette situation, il faut bien comprendre que nous ne parlons pas uniquement des femmes qui, après avoir quitté notre réserve [depuis 1951], y reviennent. Ces femmes ont aujourd’hui des enfants et, dans certains cas, des petits enfants. De plus, dans bien des cas, si elles reviennent dans nos réserves, elles voudront le faire avec leurs époux, elles voudront que leurs époux reviennent avec elles.

Je veux parler spécifiquement des époux de race blanche dans le présent cas. Il n’est pas certain que ces personnes sauront accepter notre mode de vie et vivre comme nous. Il est possible que l’homme blanc qui vient vivre sur la réserve voudra nous imposer, imposer à nos communautés, ses propres valeurs, le mode de vie qu’il connaît, et je n’ai pas encore vraiment songé, je n’ai pas eu le temps de me demander vraiment qu’elles pourraient être les conséquences d’une telle situation.

Un des problèmes que nous connaissons déjà et qui s’aggravera si un grand nombre de personnes reviennent dans nos réserves est que déjà celles-ci sont en train de devenir surpeuplées. Par exemple, si je prends ma propre situation, j’habite un quart de lot qui compte déjà cinq maisons. Mon fils occupe un autre quart de lot où se trouvent déjà trois maisons. On peut prévoir, d’ailleurs notre réserve est déjà surpeuplée à l’heure actuelle, que cette situation aura pour effet de faire monter la tension et de créer des situations irritantes et de nombreux conflits. Ce n’est pas que nous voulons éviter tout conflit, toute situation irritante, mais cela pourrait se produire si un nombre considérable de nouveaux habitants venaient s’établir dans un territoire déjà surpeuplé.

Prenons par exemple la question des services de base, des services aussi fondamentaux que l’eau, l’approvisionnement en eau. Déjà, compte tenu du nombre de maisons qu’il y a sur notre réserve actuellement, nous commençons déjà à manquer d’eau, et les habitants de la réserve … de l’eau doit être transportée pour qu’ils puissent en avoir, pour qu’ils puissent compter sur ce genre de services, et ce genre de problèmes ne fera que croître.

La question de savoir qui devrait habiter notre réserve est réellement une question qu’il nous revient à nous—propriétaires et habitants de ce territoire—de trancher. Il s’agit d’une décision qui ne devrait pas être prise ailleurs ou par quelqu’un d’autre que nous.

L’INTERPRÈTE : Je lui ai demandé de répéter sa réponse, car j’ai manqué certains éléments.

R Le temps est venu pour nous de prendre en charge nos affaires et de prendre nous-mêmes les décisions qui nous concernent. Nous avons une obligation envers nos enfants. Bon nombre d’entre eux commencent à grandir et nous avons l’obligation de planifier pour leur avenir. Déjà, si on pense à la question du logement, nous sommes incapables de répondre aux besoins d’une population sans cesse grandissante.

C’est à nous qu’il appartient de décider qui est membre ou non de notre bande, qui a le droit d’être inscrit. Nous partageons déjà … en tant que Cris nous partageons déjà beaucoup de territoires avec les Blancs. Tout ce que nous avons conservé pour nous ce sont les terres qui constituent actuellement nos réserves. Si les Blancs veulent accorder plus de terres, plus de services, ils devraient alors le faire sur le territoire qui a été partagé avec eux, car ils disposent d’abondamment de terres pour fournir aux leurs de telles choses, si c’est ce qu’ils veulent faire. Nous …

L’INTERPRÈTE : Avant qu’elle poursuive son témoignage, il y a une autre partie que j’aimerais finir de traduire.

R Ce qui me préoccupe, c’est le fait d’amener des Blancs dans la communauté. Si le pouvoir, le droit de décider qui est ou n’est pas membre nous est enlevé et est remis entre les mains … entre les mains d’étrangers, nous n’avons aucun moyen de décider quel genre de personnes peut venir s’établir dans notre communauté. Déjà, nous commençons à connaître des problèmes importants avec des Blancs, ou plutôt avec des mauvais Blancs, c’est-à-dire ceux qui viennent vendre de la drogue chez nous ou y exercer divers types d’activités illégales. En effet, nous sommes déjà aux prises avec ce problème.

Si la loi est modifiée, comme le laisse entendre votre question, et que la décision est prise par quelqu’un d’autre, nous n’aurons aucun moyen d’empêcher ces personnes de venir dans nos réserves. Il est possible que certains d’entre eux viennent s’installer près de nous, voire même dans la maison voisine, et il est certain que les gens s’opposeront concrètement à cette situation s’ils se rendent compte qu’ils sont contraints de vivre avec de telles personnes dans leurs communautés.

L’INTERPRÈTE : Je crois maintenant avoir rendu l’ensemble de son témoignage.

LA COUR : J’ai une question à poser au témoin, si vous me le permettez, M. Healey. Mme Makinaw est-elle d’avis que les épouses qui ne sont pas des Cries créent moins de problème que les époux qui sont des Cris?

R Nous … le problème que je vois, c’est que les peuples non cris, les personnes non cries, parce que nous parlons de Blanc ou de Métis, ces personnes ne sont pas familières avec notre culture, elles ne sont pas familières avec notre mode de vie et, lorsqu’elles viennent vivre avec nous, elles sont agressives et elles veulent nous dominer. Elles vivent d’une manière différente de la nôtre et souvent elles ne sont pas honnêtes, et c’est ce que … c’est un des problèmes que je vois. [TD6, aux pages 633 à 637.]

Les préoccupations énoncées par Mme Makinaw étaient sensiblement les mêmes que celles exprimées précédemment par l’autre témoin qui a relaté de l’« histoire orale », Mme Agnes Smallboy, propos qui sont consignés aux pages 274 à 277 du volume 3 de la transcription des débats. Mme Smallboy n’a pas été la seule à tenir les Européens, leurs descendants actuels et les immigrants venus par la suite au pays responsables d’avoir troublé l’existence « idyllique » que menaient les Indiens sur notre continent. Toutefois, elle a modifié cette position, sans peut-être prendre conscience du recul qu’elle marquait par rapport au caractère absolu de la mythologie à laquelle elle croit, comme l’indique l’extrait suivant :

[traduction] Q M. HEALEY : Agnes, vous savez peut-être comment c’était avant la venue des Blancs. Pouvez-vous dire au juge si vous savez des choses sur ce qui se passait avant que les Blancs ne viennent … ou sur les Indiens?

R Pour dire la vérité, les Indiens vivaient en paix sur ce territoire avant la venue des hommes blancs.

LA COUR : Est-ce absolument vrai?

Mme Smallboy, n’y avait-il pas de conflit entre les Indiens, aucun prisonnier n’était capturé?

Pourriez-vous lui poser la question s’il vous plaît?

LE TÉMOIN : C’est vrai. Il y avait des conflits, il y avait des batailles entre les tribus. Les nôtres se rendaient dans le Sud pour livrer bataille aux tribus qui habitaient au sud de chez nous, mais il s’agissait d’affaires internes.

LA COUR : C’est la réponse?

L’INTERPRÈTE : Oui. [Non souligné dans le texte; TD3, à la page 279.]

Affirmer que les Indiens « vivaient en paix sur ce territoire avant l’arrivée des Blancs » est une affirmation qui n’est pas du tout exacte, comme l’a indiqué Mme Smallboy et comme l’a expliqué par la suite Wayne Roan lorsqu’il a affirmé, dans son témoignage, que les Pieds-Noirs étaient l’[traduction] « ennemi traditionnel … qui a contribué à maintenir ma population à un faible niveau, et mon peuple faisait de même en ce qui les concernait ». Tragiquement, il existe encore un sentiment d’antagonisme entre les jeunes Pieds-Noirs et les jeunes Cris [traduction] « Cette attitude nous a été transmise » (TD7, aux pages 763 et 764).

LE TEXTE DES DISPOSITIONS DE LA CONSTITUTION

Il convient de revenir à l’objet des appréhensions qu’éprouvent les demandeurs à l’égard des modifications de 1985, modifications qui, selon eux, sont inconstitutionnelles et ultra vires du Parlement. Ce qui rend ces modifications inconstitutionnelles et ultra vires, d’affirmer les demandeurs, ce sont l’existence et l’effet de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui, au moment de son édiction, était ainsi rédigé :

35. (1) Les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada.

(Cela semble curieux puisque les Métis peuvent difficilement être considérés comme des « autochtones », étant donné qu’ils ne sont un peuple que depuis la venue des Européens et qu’ils étaient alors appelés les « Sang-mêlés » en raison de leurs origines mixtes. Les auteurs de la Constitution se sont permis ici de réviser l’histoire.)

Environ 14 mois après l’entrée en vigueur du texte précité de l’article 35, cette disposition a été modifiée par la Proclamation de 1983 modifiant la Constitution [TR/84-102, art. 2], qui a eu pour effet de lui ajouter les deux paragraphes suivants :

35. …

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits—ancestraux ou issus de traités—visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

CARACTÈRE DÉTERMINANT DU PARAGRAPHE 35(4)

Compte tenu de la nature des récriminations des demandeurs (exposées précédemment) et de leur fondement principal, en regard de la nature et du fondement principal des récriminations des intervenants contre l’état du droit avant les modifications de 1985 (récriminations qui sont décrites dans le témoignage de Mary Two-Axe Early—TD48), le paragraphe 35(4) semble avoir un effet déterminant. Sans pousser plus loin l’examen des plaintes des demandeurs, il est évident qu’a été entièrement éteinte par le paragraphe 35(4) la coutume matrimoniale, les soi-disant droits ancestraux et issus de traités qui permettent à un époux indien d’amener son épouse non indienne résider dans la réserve, mais qui interdisent aux femmes indiennes de faire de même avec leurs époux non indiens.

Les demandeurs sont clairement visés par les dispositions de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qu’ils invoquent eux-mêmes. Plus les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 35(1), plus le paragraphe 35(4) produit ses effets sur les droits qu’ils prétendent avoir en vertu du paragraphe 35(1) et qui, en conséquence, sont modifiés de façon qu’ils soient garantis également à l’ensemble des Indiens—hommes et femmes.

Il n’y a jamais eu et il ne pourra jamais y avoir d’exemple plus clair d’extinction d’un droit ancestral ou issu de traité qui, présumément, permettrait d’exercer de la discrimination entre Indiens et plus particulièrement à l’endroit des femmes indiennes que le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition produit effectivement un tel effet d’extinction et ce, de manière absolue, impérative et très spécifique. En effet, cette disposition s’applique « [i]ndépendamment de toute autre disposition de la présente loi », c’est-à-dire la Loi constitutionnelle de 1982.

Les dépositions des témoins des intervenants ont clairement illustré les épreuves et les douleurs des femmes qui ont été expulsées de leur foyer et de leur réserve natale et qui se sont même vues dépouiller de leur statut d’Indien, ainsi que le douloureux sentiment d’injustice qu’elles éprouvaient du fait de devenir des non-Indiens alors que les « dames blanches » qui mariaient des membres masculins de leur bande devenaient elles des Indiennes. Le paragraphe 35(4) vise à leur accorder réparation.

Cette disposition de la Constitution vise à établir l’égalité des droits entre les personnes des deux sexes, indépendamment des droits ou responsabilités de chacun à une époque antérieure. Pour ce seul motif, l’action des demandeurs est rejetée. C’est la loi suprême du Canada qui met fin à l’inégalité dont sont victimes les femmes indiennes du fait de leur état matrimonial. L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] pourrait sûrement, si ce n’était peut-être de l’article 25, étayer lui aussi étayer la validité du texte de loi contesté, mais le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982—ainsi que les autres paragraphes de l’article 35—est, dans les faits, une « disposition visant spécifiquement les Indiens », dans une Constitution par ailleurs largement antiraciste, et qui a pour objet spécifique de réduire les inégalités passées entre les hommes indiens et les femmes indiennes. En conséquence, la validité des modifications de 1985 repose sur deux fondements : un fondement possible, l’article 15, et un fondement absolu, le paragraphe 35(4). De plus, il ne fait aucun doute que le Parlement pouvait adopter ces modifications en vertu de son pouvoir de légiférer relativement aux Indiens. En conséquence, le paragraphe 35(4) s’applique impérativement, qu’il ait ou non été invoqué par les plaideurs. Il est impossible d’écarter son application.

Les demandeurs ont avancé plusieurs autres arguments au soutien de leur position et, en toute justice, la Cour se doit de tous les examiner, car certains d’entre eux sont très solides. Par ailleurs, il y a également d’autres points qui doivent être pris en considération.

SOUVERAINETÉ BRITANNIQUE ET ANGLAISE

(a)       La Charte de la CBH.

Le roi d’Angleterre, Charles II, agissant aux droits de l’Angleterre (et évidemment pas aux droits de l’Écosse) a, par acte de l’exécutif, constitué en personne morale une compagnie de commerce dotée de pouvoirs considérables en la matière et appelée « Gouverneur et compagnie d’aventuriers d’Angleterre faisant la traite à la Baie d’Hudson », ci-après la CBH. Les pouvoirs commerciaux considérables dont était investie la compagnie sont notamment décrits dans la loi du R.-U. connue sous le nom de Acte de la Terre de Rupert, 1868, 31-32 Vict., ch. 105 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 6], qui mentionne les « terres et territoires, le droit de gouvernement et autres droits, privilèges, libertés, franchises, pouvoirs et autorité » accordés à la CBH. La constitution en personne morale de la CBH s’est faite au moyen de lettres patentes qui ont été accordées par le Roi, le 2 mai 1670, et qui sont souvent appelées la Charte royale de la compagnie. Le territoire de la CBH, sur lequel celle-ci avait le pouvoir exclusif de faire le commerce, était connu sous le nom de Terre de Rupert et comprenait :

[traduction] … toutes les terres et territoires sur les régions, côtes et confins des mers, baies, rivières, lacs et détroits susmentionnés qui n’appartenaient pas déjà ou n’avaient pas déjà été concédés à aucun des sujets de Sa Majesté, ou n’appartenaient pas aux sujets d’aucune autre prince ou États chrétiens, ainsi que le droit de pêcher toutes les sortes de poissons, de baleines et d’esturgeons et tous les autres animaux marins de la Couronne dans les mers, baies, ilôts et rivières du territoire et le poisson y capturé, et la souveraineté sur les eaux des côtes dans les limites susmentionnées, ainsi que toutes les mines d’or, d’argent, de gemme et de pierres précieuses de la Couronne, découvertes ou non dans les limites des territoires et lieux précités; et ladite terre est, à compter de ce jour, comptée et reconnue au nombre de nos quatre plantations aux colonies en Amérique, sous le nom de Terre de Rupert.

SAUF POUR TOUJOURS fidélité, allégeance et pouvoir souverains qui Nous [c.-à-d; le roi Charles] sont dus ainsi qu’à nos héritiers et successeurs …

Le Roi avait également accordé à la compagnie, entre autres choses, la permission d’établir des tribunaux de juridiction civile et criminelle.

Pour être en mesure d’accorder cette Charte à la CBH en mai 1670, il est logique de supposer que la Couronne avait déjà affirmé sa souveraineté (par l’entremise notamment de Sir Thomas Button) sur les territoires à un certain moment auparavant, date que ne connaît pas précisément la Cour. Ce que l’on sait de façon précise, toutefois, c’est qu’il y a eu affirmation de la souveraineté anglaise (et plus tard britannique) sur la Terre de Rupert au début de mai 1670. L’historien Norman L. Nicholson décrit la Terre de Rupert de la manière indiquée ci-après, dans son ouvrage The Boundaries of the Canadian Confederation, (Carleton Library No. 115 et Macmillan of Canada), à la page 18 :

[traduction] Cette région est généralement considérée comme étant l’ensemble du territoire dont les cours d’eau se jettent dans la Baie d’Hudson.

Selon Nicholson, ce territoire se serait même étendu plus loin, car, dès le départ, la France a contesté les prétentions de la CBH, mais elle a renoncé aux siennes dans le Traité d’Utrecht. Dans les faits, la CBH a été, jusqu’en 1867, l’instrument fondamental par lequel la Couronne affirmait sa souveraineté sur l’ensemble des plaines de l’Ouest, jusqu’aux montagnes Rocheuses, à tout le moins au nord du 49e parallèle de latitude. La Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que l’Acte de la Terre de Rupert, 1868 complètent l’histoire de la lutte pour la souveraineté sur ce territoire—qui est finalement devenu territoire canadien—lutte dont il n’est pas nécessaire de rappeler ici tous les détails historiques.

(b)       La Proclamation royale (1763)

Environ un demi-siècle après l’union de l’Angleterre et de l’Irlande, et quelque huit mois après le Traité de Paris, conclu le 10 février 1763, le roi George III a publié la Proclamation royale (1763), datée du 7 octobre de l’année en question, L.R.C. (1985), appendice II, no 1. Cet acte émanant du souverain a un certain rapport avec les Indiens des plaines et l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur les plaines de l’Ouest.

La Proclamation a eu tout d’abord pour effet de créer quatre gouvernements coloniaux chargés d’établir la loi et l’ordre britanniques dans les territoires cédés à la Couronne en vertu du traité conclu la même année : les gouvernements de Québec, de la Floride orientale, de la Floride occidentale et de Grenade, chacun de ces gouvernements ayant le pouvoir de convoquer des assemblées législatives et de créer des tribunaux civils. On réitérait, dans cette Proclamation, l’affirmation de souveraineté formulée dans la Charte de la CBH, en faisant mention de celle-ci à l’égard des terres habitées par les Indiens au-delà et à l’extérieur de la Terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest. Le passage pertinent est ainsi rédigé :

Nous déclarons de plus que c’est Notre plaisir royal ainsi que Notre volonté de réserver pour le présent, sous Notre souveraineté, Notre protection et Notre autorité, pour l’usage desdits sauvages, toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la baie d’Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l’ouest des sources des rivières qui de l’ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer. [Non souligné dans le texte original.]

Ainsi, la Couronne a déployé, pour l’usage des Indiens, sa souveraineté, sa protection et son autorité sur toutes les terres et territoires, à l’exception de la Terre de Rupert, des territoires du Nord-Ouest et, il est possible de le supposer, sur toutes les terres jusqu’au pied des montagnes de l’Ouest. Toutefois, dans les terres situées au-delà et qui étaient réservées pour les Indiens, les officiers militaires et les personnes chargées de l’administration des affaires indiennes étaient autorisés à y poursuivre les criminels fuyant la justice afin de s’en saisir et de les arrêter.

Dans l’exposé des faits du droit qu’ils ont déposé, [traduction] « Point V », aux pages 167 et 168, les demandeurs prétendent, malgré la citation et le résumé qui précèdent, que la Proclamation royale (a) [traduction] « a clairement proclamé le droit des communautés indiennes de décider qui sont leurs membres relativement aux questions touchant le contrôle, l’utilisation, l’occupation et la jouissance de leurs terres », (b) [traduction] « qu’on leur a fait une promesse concrète et dont ils peuvent demander l’exécution [et qui] a été préservée sous forme d’obligation constitutionnelle visant tous les Indiens au Canada », (c) [que la Proclamation] [traduction] « s’appliquait à tous les peuples indigènes du territoire qui est aujourd’hui le Canada (ainsi qu’à d’autres parties de l’Amérique du Nord) » et (d) [que la Proclamation] [traduction] « s’appliquait (de façon plus particulière) aux territoires à l’intérieur desquels se trouvent les demandeurs ». (Exposé des faits et du droit des demandeurs, page 167.)

L’auteur de la prose dithyrambique qui vient d’être citée avait lu, manifestement sans les comprendre toutefois, certains des écrits du professeur Brian Slattery, quoique ce dernier soit cité par les demandeurs sur ce point. La défenderesse a cité l’article du professeur Slattery intitulé « The Constitutional Guarantee of Aboriginal and Treaty Rights » (1982-83), 8 Queen’s L.J. 232, qui porte directement sur la question et dans lequel l’auteur déclare, à la page 267 :

[traduction] L’étendue géographique précise du territoire indien a donné lieu à certaines discussions dans les milieux universitaires et dans la jurisprudence. Par exemple, la Cour suprême du Canada a statué que l’ancien territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson, la Terre de Rupert, était exclu du territoire indien. Cette décision est indubitablement correcte.

L’arrêt de la Cour suprême du Canada auquel on fait allusion est Sigeareak El-53 v. The Queen, [1966] R.C.S. 645, où la Cour déclare, à la page 650 :

[traduction] La Proclamation exclut expressément le territoire concédé à la Compagnie de la baie d’Hudson, et il ne fait aucun doute que la région en litige se trouvait dans ce territoire. En conséquence, la Proclamation ne s’applique pas et ne s’est d’ailleurs jamais appliquée à la région en litige, et les jugements qui affirment le contraire n’exposent pas correctement l’état du droit.

Jusqu’à maintenant, semble-t-il, les affaires portant sur les droits ancestraux ou issus de traités ont porté sur l’existence ou non du droit d’occuper des terres et de droits de chasse et de pêche. Le présent cas ne porte sur aucun droit de cette nature. Les affaires de terres et de territoires concernent des gens—des Indiens, qui occupent les terres ou les territoires en question et qui s’adonnent eux-mêmes à la chasse et à la pêche. Les lois et les proclamations ne traitent jamais de droits ancestraux dans l’abstrait. Ainsi, étant donné que la Proclamation royale (1763) exclut spécifiquement les territoires que les ancêtres des demandeurs auraient sillonné, elle ne s’applique donc pas aux peuples autochtones—«aux ancêtres »—qui auraient sous réserve des guerres autochtones, occupé les territoires en question en les sillonnant. L’avocat des demandeurs n’a pas abandonné, durant les plaidoiries, l’argumentation écrite erronée des demandeurs. Il en a à peine fait mention, comme on peut le constater dans TD57, aux pages 164 et 165. Cependant, en réplique, l’avocat des demandeurs a reconnu à la Proclamation royale (1763) une certaine forme d’atavisme pratiquement mystique, comme l’indiquent les propos suivants, qui figurent dans TD78 aux pages 44 et 45 :

[traduction] Comme je l’ai indiqué, votre Honneur, de fait vous pouvez remonter directement à l’origine. Vous ne pouvez, votre Honneur, examiner le paragraphe 91(24) et l’article 35 de façon complètement isolée.

Vous pouvez commencer par la Proclamation royale et les éléments de celle-ci auxquels je vous ai référés. Pour les fins du présent argument, votre Honneur, je n’invoque même pas la Proclamation royale à ce moment-ci pour vous demander de prononcer quelque conclusion que ce soit. J’affirme simplement qu’il est clair que la Proclamation royale s’applique au moins à certaines parties du territoire où se trouvent des bandes indiennes. Au moins si cela est vrai, votre Honneur, vous examinerez alors le texte de la Proclamation royale et ses modalités d’application en ce qui concerne le respect qui doit être accordé aux décisions que prennent collectivement les Indiens de céder des terres, terres qui ne peuvent être transférées qu’à la Couronne et ce par voie de cession et pas autrement.

M. Akman affirme que le texte même de la Proclamation royale indique que celle-ci n’est qu’une mesure temporaire. Eh bien! Elle est devenue une mesure permanente lorsque le paragraphe 91(24) a été adopté. Peut-être le texte dit-il qu’il s’agissait d’une mesure intérimaire, mais autant que je sache il ne s’est rien passé dans l’intervalle, votre Honneur. De fait, ce qui s’est produit, c’est l’établissement, après 1867, d’une jurisprudence indiquant que les réserves indiennes sont assorties de droits spéciaux, et la législation fondée sur le paragraphe 91(24) a été promulguée et est venue appuyer ces droits, et elle a été interprétée de manière à protéger ceux-ci.

Votre Honneur, nous en arrivons ensuite à l’article 35, qui fait partie intégrante de ce même processus évolutif. En conséquence, votre Honneur, j’affirme qu’il est important de se reporter aux propos qu’a formulés un juge de la Cour suprême dans un arrêt où les autres juges ont souscrit à son raisonnement sur ce point, votre Honneur, et où il est expressément déclaré : [traduction] « Nous sommes en présence d’un autre cas de statut spécial, voici quels sont les intérêts opposés en jeu et la façon dont nous allons régler la question. » En effet, on ne peut accorder un statut spécial et respecter l’intégrité de ce statut si on permet que des normes égalitaires y portent atteinte constamment.

On comprend mieux la thèse des demandeurs lorsqu’on constate, un peu plus loin à la page 45, dans TD78, que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282 est une source de déception pour eux, comme l’a indiqué leur avocat, dans les propos suivants :

[traduction] Ainsi lorsque les juges dans cet arrêt ou des arrêts ultérieurs—je pense particulièrement aux motifs du juge Pigeon dans Calder, si je ne me trompe pas. Pardon, votre Honneur, on me souligne que c’est dans Drybones. Non pas dans Calder, mais dans Drybones. Il est nécessaire de protéger ce statut particulier votre Honneur. Si on permet d’invoquer les valeurs de l’ensemble de la société pour justifier une atteinte aux effets d’un statut particulier, alors, dans les faits, il n’y a plus de statut particulier. Voilà concrètement notre thèse, votre Honneur. C’est ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que les bandes indiennes ont des droits spéciaux que personne d’autre ne possède.

D’ailleurs, votre Honneur, à cet égard, il existe d’autres droits que mes clients et d’autres communautés indiennes ont et que personne d’autre ne possède. Cependant, votre Honneur, j’affirme que cela est bien établi, et je vous renvoie, à cet égard, à la page 47 de mon mémoire et aux sources qui y sont mentionnées. [TD78, pages 45 et 46.]

Une fois que l’on a compris que les demandeurs répudient et réprouvent la notion d’égalité devant la loi, on a bien saisi le principe fondamental sur lequel repose leur action : le statut spécial dont il est question dans Drybones, le juge Pigeon, que l’avocat des demandeurs cite au soutien de sa thèse, étant l’un des trois juges dissidents dans cet arrêt. La portée de l’arrêt Drybones peut être dégagée du passage suivant du sommaire où l’on résume le raisonnement du juge Hall, à la page 283 :

Le Juge Hall : … La Déclaration canadienne des droits n’a de valeur et n’a de sens que lorsque, sous réserve de l’unique exception énoncée à l’art. 2, elle répudie dans chaque loi du Canada la discrimination en raison de la race, de l’origine nationale, de la couleur, de la religion et du sexe à l’égard des droits de l’homme et des libertés fondamentales énoncés à l’art. 1, de quelque façon que cette discrimination puisse se manifester, non seulement entre Indiens et Indiens, mais entre tous les Canadiens qu’ils soient Indiens ou non-Indiens.

Il semble, à la lumière des motifs du juge Macfarlane dans Delgamuukw v. British Columbia (1993), 104 D.L.R. (4th) 470 (C.A.C.-B.), aux pages 492 et 493 que :

[traduction] La common law donne effet aux traditions considérées par une société autochtone comme faisant partie intégrante de sa culture distinctive, et qui existent à la date à laquelle cette société affirme sa souveraineté. La Loi constitutionnelle de 1982 protège les droits ancestraux qui existaient encore en 1982. [Non souligné dans le texte original.]

La Cour statue, en se fondant sur la suite logique des événements énoncés précédemment, que la Couronne a affirmé sa souveraineté sur la Terre de Rupert et même sur le territoire qui s’étend jusqu’aux pieds des montagnes de l’Ouest en accordant la Charte de la CBH, le 2 mai 1670, territoires qui ont été plus tard exclus du champ d’application de la Proclamation royale (1763). Quels que soient les droits ancestraux que revendiquent les demandeurs, ces droits doivent, pour être considérés comme tels, avoir existé avant mai 1670.

L’avocat des demandeurs a concédé ce point, sauf pour ce qui est de l’année, c’est-à-dire 1670, dans TD79, à la page 51 :

[traduction] … vous n’avez pas à trancher de façon définitive cette question en l’espèce, mais pour l’ensemble des demandeurs, ce serait certainement avant 1763.

Quoi qu’il soit … [l]a preuve concerne la période antérieure à la venue de l’homme blanc, il s’agit de preuves concernant les temps ancestraux. Vous n’avez pas à trancher cette question, votre Honneur, pour décider, à la lumière de la preuve dont vous disposez, s’il a été établi que le droit ancestral existait avant la venue de l’homme blanc, à une époque antérieure à l’affirmation de la souveraineté.

La Cour statue que l’affirmation de la souveraineté anglaise, et plus tard la souveraineté britannique, a, pour la première fois, été exprimée formellement dans la Charte de la CBH, le 2 mai 1670. Tout droit dont les demandeurs sont en mesure d’établir l’existence doit avoir été exercé avant cette date. De plus, ces droits ne doivent pas avoir été éteints avant l’entrée en vigueur du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et ils doivent, en plus, survivre à l’application du paragraphe 35(4) de cette Loi. Il reviendra à d’autres, à un autre moment, d’expliquer de quelle façon les révisionnistes qui ont arrêté le texte du paragraphe 35(2) ont imaginé qu’il pouvaient honnêtement qualifié les Métis de peuple autochtone, titulaire de droits ancestraux. La nature accorde des bienfaits spéciaux aux peuples hybrides, à la progéniture d’actes de procréation interraciale, comme l’a correctement affirmé le demandeur Wayne Roan dans son témoignage, dans TD8, à la page 837. Seul un révisionniste déterminé voudrait considérer les Métis comme des individus appartenant à une seule des deux souches d’ancêtres dont ils sont intrinsèquement issus. Toutefois, on constatera que, dans le présent litige à saveur tristement raciste, leur comportement et leur mode de vie sera décrit comme étant ceux de [traduction] « Sangs-mêlés pratiquant le “mode de vie des Indiens” ».

POSITION DES DEMANDEURS EN CE QUI CONCERNE LA SUBSOMPTION DES DROITS ANCESTRAUX SOUS LES DROITS ISSUS DE TRAITÉS OU LA FUSION DE CES DEUX TYPES DE DROIT

Dans la déclaration amendée des demandeurs (examinée en corrélation avec d’autres actes de procédure et précisions figurant dans le dossier certifié conforme), les passages suivants portent sur les deux types de droits allégués :

[traduction] 9. Sont compris parmi les droits ancestraux les droits de propriété, les lois coutumières et les institutions gouvernementales que les peuples autochtones possédaient et ont conservé en dépit de la colonisation de l’Amérique du Nord par les Européens.

Le paragraphe 9 (ainsi que le paragraphe 11) de la déclaration a été jugé incomplet par la Cour qui a ordonné, le 31 octobre 1986, la production de précisions. Dans sa défense, la défenderesse a plaidé que, par suite de ces précisions, le paragraphe 9, de l’acte de procédure initial était [traduction] « sans rapport avec les droits spécifiques … définis dans … [les] précisions ». Même si elles portent sur la teneur des droits plaidés, les déclarations des intervenants ne visent pas spécifiquement la subsomption de ces droits.

La déclaration des demandeurs se poursuit ainsi :

[traduction] 10. Les droits issus de traités sont les droits qui ont été obtenus par des bandes ou tribus indiennes en vertu de traités conclus avec Sa Majesté ou dont l’existence a été confirmée par de tels traités. [La défenderesse admet cette affirmation.] Ces droits étaient généralement reconnus à des collectivités connues sous le nom de bandes. Typiquement, la signature d’un traité par une bande indienne emportait également la réduction—volontairement acceptée par la bande—de droits ancestraux spécifiés. [La défenderesse ne répond pas à cette affirmation, étant donné que, à son avis, elle ne se rapporte pas de façon suffisamment précise aux droits spécifiques allégués par les demandeurs.]

11. Le droit des membres d’une bande indienne de décider qui sont les membres de celle-ci était un droit ancestral existant avant la signature des traités nos 6, 7 et 8. Ce droit est demeuré un droit ancestral le 17 avril 1982.

Le paragraphe 11 de la déclaration des demandeurs (ainsi que le paragraphe 9) a été jugé insuffisant par la Cour qui a ordonné la production de précisions. Les précisions suivantes ont été produites :

[traduction] En ce qui concerne les paragraphes 9 et 11 de la déclaration modifiée, les demandeurs affirment ce qui suit :

Le droit ancestral particulier des bandes demanderesses ou de leurs prédécesseurs qui est mentionné aux paragraphes 9 et 11 de la déclaration modifiée est le droit des membres des bandes visées de décider, en application de leurs lois coutumières, qui sont leurs membres et de mettre leur veto à l’admission de toute personne en tant que membre. [Dossier certifié conforme]

Dans sa défense modifiée, la défenderesse a répondu ainsi à ces allégations :

[traduction] 11. En ce qui concerne le paragraphe 11 de la déclaration :

a) il affirme que les allégations de fait y figurant et qui sont explicitées dans le paragraphe 2 des précisions ne sont pas étayées par la littérature ethnologique et historique ni par les documents produits ou déposés par les parties, et qu’elles sont incompatibles avec cette littérature et ces documents;

b) il nie les prétentions de droit y figurant et qui sont explicitées dans le paragraphe 2 des précisions;

c) subsidiairement, il affirme que, si le droit ancestral invoqué par les demandeurs a jamais existé, ce droit :

i) a été éteint par lesdits traités et les différentes lois sur les Indiens qui se sont succédées à partir de 1876;

ii) a été remplacé par un régime législatif établissant le statut d’Indien et l’appartenance à la bande fondée sur ce statut, comportant des dispositions exhaustives régissant la question de l’appartenance à la bande et pourvoyant à la prise de décision de nature administrative à cet égard dans le cadre du régime établi par la loi.

Il convient de signaler que, inexplicablement, la défenderesse n’a pas invoqué le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982, mais, dans le présent litige, il est tout simplement impossible de faire abstraction, de la voix puissante et impérative de la loi suprême du Canada, qu’elle ait ou non été plaidée. Évidemment, elle a été clairement invoquée par deux des intervenants, le NCC(A) et la NSIAA, dans leurs interventions respectives.

La pièce 134 renferme des extraits de l’interrogatoire préalable de Wayne Roan, à la page numérotée 4b), où figure la question 140 et la réponse correspondante, ainsi qu’une réponse supplémentaire donnée par Bruce Starlight au nom de la demanderesse, Bande des Sarcis :

[traduction] [Question 140]—Est-ce que le droit ancestral concernant l’appartenance à la bande a la même teneur et la même portée qu’un droit issu de traité? Dans le cas contraire, quelle est la différence? [Vol. 3, à la page 267.]

Réponse : Oui—le droit ancestral concernant l’appartenance a été implicitement reconnu dans le cadre du processus de négociation du traité et il est ainsi devenu un droit issu de traité, en plus d’être un droit ancestral—voir le paragraphe 12 de la déclaration modifiée.

L’avocat de la défenderesse a triomphalement insisté sur le fait que, en raison de cette réponse, il suffisait d’examiner les dispositions du traité pour déterminer s’il existait des droits ancestraux. Après tout, les demandeurs eux-mêmes, dans leur propre acte de procédure, au paragraphe 10 de leur déclaration modifiée affirment que « [t]ypiquement, la signature d’un traité … emportait également la réduction—volontairement acceptée par la bande—de droits ancestraux spécifiés » [non souligné dans le texte original].

Il est indubitablement vrai qu’il y a réduction des droits ancestraux, mais les demandeurs ont plaidé—et la Cour est d’accord avec eux sur ce point—que les droits ancestraux visés par cette réduction sont évidemment ceux qui sont spécifiés dans le traité, et non pas tous les droits ancestraux de façon générale. Les traités, ainsi que les diverses version de la Loi sur les Indiens qui ont précédé les traités en cause, ont tous une incidence sur le mode de vie des autochtones et pour effet de réduire les droits ancestraux de ceux-ci. Même l’affirmation de souveraineté a eu pour effet d’assujettir les peuples autochtones aux lois d’application générale concernant le crime, la propriété, l’administration civile et la responsabilité civile délictuelle qui sont entrées en vigueur à mesure que s’est établie la souveraineté anglaise puis britannique. Dans la mesure où ces lois d’application générale ont pour effet d’éteindre des droits ancestraux ou d’y porter atteinte, les droits ancestraux ont été réduits d’autant. Les peuples autochtones ne sont pas des « étrangers », mais, à compter du moment de l’affirmation de souveraineté, ils sont devenus des sujets du Souverain. À cet égard, l’article 88 de la Loi sur les Indiens énonce, d’une façon presque redondante, l’évidente réalité qu’une fois leur statut spécial écarté, les Indiens n’ont plus, en conséquence, qu’un statut général. Cet article confirme que les peuples autochtones sont des sujets de la Couronne—titulaires à la fois d’un statut spécial et d’un statut général—et définit le contour de ces statuts.

Comme toute autre personne, quelle que soit l’attitude paternaliste qu’adoptent à leur endroit certains juges ou fonctionnaires, les Indiens de l’Ouest du pays sont tenus d’obéir aux lois du pays, même si celles-ci n’étaient pas connues de leurs lointains ancêtres, et ce tant et aussi longtemps que ces lois n’abrogent pas des droits ancestraux existants, comme l’indique le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Avant l’entrée en vigueur du paragraphe 35(1), les lois édictées par le Parlement pouvaient effectivement éteindre des droits ancestraux, mais pour que cette extinction ou abrogation se fasse de façon claire et sans ambiguïté, il n’était pas nécessaire que la loi en question précise que [traduction] « les droits ancestraux incompatibles avec la présente loi, à savoir : … sont éteints ». Les lois qui avaient cet effet, sans pour autant être libellées dans ces termes clairs, étaient néanmoins valides, si elles avaient été édictées en conformité avec l’objet général visé au paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est ce qu’a affirmé la Cour suprême du Canada, relativement aux droits issus de traités et aux obligations de l’État à cet égard, dans les arrêts Sikyea v. The Queen, [1964] R.C.S. 642; The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267 et Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282.

Il est légitime de faire une analogie entre l’extinction de droits ancestraux et ce qu’affirment les tribunaux à l’égard de l’extinction des droits issus de traités, toutes les fois que cela se produit. Certains droits ancestraux ont été clairement éteints par les trois traités invoqués par les demandeurs, mais les droits ancestraux non spécifiés et qui, de ce fait, ne font pas l’objet de ces traités ne sont pas éteints, et, s’ils ne le sont pas par la suite par un texte de loi valide, y compris par des dispositions constitutionnelles, par exemple le paragraphe 35(4), ces droits, quels qu’ils soient, continuent logiquement d’exister. De fait, au paragraphe 35(1), on les appelle « droits existants—ancestraux ». Le paragraphe 12 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles (Alberta), confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930 [20 & 21 Geo. V, ch. 26 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 16) [L.R.C. (1985), appendice II, no 26], art. 2], a eu pour effet d’éteindre de façon analogue le droit implicite prévu par le Traité no 8 de chasser à des fins commerciales, sauf pour se nourrir. Aussi récemment qu’en mai 1990, dans l’arrêt R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, les juges de la majorité ont déclaré qu’il y avait effectivement eu extinction. Dans cet arrêt, il a été jugé que la Convention de 1930 assurait aux Indiens le droit de chasser, de piéger et de pêcher « pour se nourrir » seulement, et à aucune autre fin. Il s’agit de l’application du vieux principe latin expressio unius est exclusio alterius. La Cour a statué que les textes législatifs et constitutionnels énonçant cette extinction étaient clairs et non ambigus. En l’espèce, la Cour juge que les traités ne subsument pas de façon générale les droits ancestraux. Les traités ne portent que sur les droits qui y sont visés. Les propositions qui précèdent semblent toutes bien fondées à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570.

LES TRAITÉS

Afin de découvrir quels sont les droits ancestraux qui ont été et sont véritablement subsumés sous des traités et qui, de ce fait, ont été éteints par ceux-ci, il est nécessaire d’analyser soigneusement les traités en question. Par la suite, si les droits ancestraux que revendiquent les demandeurs n’ont, à ce jour, été touchés par aucun traité, il faudra se demander si le droit qu’invoque les demandeurs est, comme ils le prétendent, véritablement un droit ancestral.

De fait, les demandeurs invoquent deux droits ancestraux. Le premier vise leur récrimination principale, mais plus limitée, et qui concerne le fait de permettre aux femmes indiennes qui ont épousé des non-Indiens de vivre dans la réserve où elles habitaient avant leur mariage—c’est-à-dire inévitablement la réserve où elles sont nées et qui est celle de la bande à laquelle elles appartiennent—soit en restant dans cette réserve soit en y retournant. Les demandeurs prétendent que le droit ancestral existant qu’ils revendiquent découle de la pratique et du principe ancestraux qui voulaient que, après le mariage, la femme suivait son époux pour aller habiter au lieu de résidence ordinaire de l’époux au sein du groupe tribal de ce dernier et non de celui de l’épouse. S’appuyant sur ce principe étroit, les demandeurs affirment, de façon plus générale, que, depuis les temps ancestraux, les groupes ou campements indiens décidaient qui étaient leurs membres et que ce droit ancestral a survécu aux traités qui ont été conclus ou ont été inscrits dans ceux-ci. Les demandeurs affirment, triomphalement, que le pouvoir des bandes de décider de l’appartenance à leurs effectifs est une conséquence inévitable de la vie en « sociétés organisées » de leurs ancêtres, sociétés organisées dont la défenderesse a, à l’audience, admis l’existence par la voix de son avocat. Ces questions seront analysées ultérieurement.

Fondement des traités

Ressasser les haines raciales et religieuses du passé ne peut servir qu’à les attiser stérilement et sans espoir d’y trouver une solution. Cette proposition est une vérité éternelle, comme en témoignait clairement, jusqu’à tout récemment du moins, la situation en Irlande et comme en témoignent manifestement les folies meurtrières auxquelles se livrent actuellement les peuples du Sud de l’ancienne Yougoslavie en Europe ainsi que les Hutus et les Tutsis en Afrique. En raison de courants historiques et économiques qui étaient inévitables, il était certain que l’Amérique du Nord serait occupée et dominée par les Européens. Il est inutile de pleurer ce tournant du destin. La seule question qui se posait était celle de savoir si les Européens qui domineraient seraient les Français, les Britanniques ou les Espagnols. Par la suite, au cours du dix-neuvième siècle, la lutte se fit entre les Canadiens et les Américains.

À ce stade-ci, en ce qui concerne de façon générale la dynamique historique du phénomène de la coexistence des peuples ou des tensions entre ceux-ci, il convient de reconnaître la vérité de la proposition voulant que, dans la présente affaire qui touche le droit public et constitutionnel ainsi que l’histoire, les admissions des parties et des intervenants n’ont pas tout le poids qu’elles auraient si elles avaient été faites dans le cadre d’une affaire de droit privé. Il en est ainsi en raison des dimensions plus grandes que le genre de litige dont nous sommes saisis revêt sur les plans historique et constitutionnel ainsi qu’en matière d’intérêt public. Par conséquent, aucune partie ni aucun des intervenants n’est habilité à modifier, par un simple aveu, l’histoire du pays ou sa Constitution.

À cet égard, il convient également de rappeler les propos du juge Lamer (aujourd’hui juge en chef du Canada) dans la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la page 1050, où, relativement à l’admissibilité de documents de nature historique qui ne faisaient pas partie du dossier devant les instances inférieures, le juge a écrit ce qui suit :

Je considère que tous les documents auxquels je ferai référence, que mon attention y ait été attirée par l’intervenante ou à la suite de mes recherches personnelles, sont des documents de nature historique sur lesquels je suis autorisé à me fonder en vertu de la notion de connaissance judiciaire. Comme le disait le juge Norris dans White and Bob (à la page 629) :

[traduction] La cour a le droit « de prendre connaissance d’office des faits historiques passés ou contemporains » comme l’a dit lord du Parcq dans l’arrêt Monarch Steamship Co., Ld. v. Karlshamns Oljefabriker (A/B), [1949] A.C. 196, à la p. 234, [1949] 1 All E.R. 1 à la p. 20, et a le droit de se fonder sur sa propre connaissance de l’histoire et sur ses recherches, Read v. Bishop of Lincoln, [1892] A.C. 644, le lord chandelier Halsbury, aux pp. 652 à 654.

Les documents que je cite nous permettent tous, à mon avis, d’identifier avec plus de précision la réalité historique essentielle à la résolution du présent litige.

Référence, est faite ici à l’ouvrage Wind on the Buffalo Grass : Native American Artist-Historians, œuvre colligée et éditée par Leslie Tillett, qui a été réimprimée par Da Capo Press, New York, 1989. L’avantage de cet ouvrage est qu’il s’agit d’un bref exposé condensé du contexte historique, tel que raconté par les Indiens des plaines qui étaient les victimes désignées des « tuniques bleues ».

Les témoignages tendent à indiquer que les conditions de vie des Indiens des plaines de l’Ouest au sud du 49e parallèle de latitude devaient être sensiblement les mêmes qu’au nord de cette frontière. Tillett a d’ailleurs écrit, dans la préface de son ouvrage, à la page xi :

[traduction] Les brefs commentaires accompagnant la plupart des illustrations de scènes de la « vie quotidienne » [crées par des témoins oculaires indiens] nous renseignent suffisamment sur le mode de vie des Indiens des plaines pour l’objet du présent ouvrage, qui est de laisser parler les images. Il convient simplement de se rappeler que les Indiens (particulièrement les Sioux) étaient des nomades qui déplaçaient leurs campements pour suivre les bisons, pour trouver de nouveaux pâturages pour leurs chevaux ou encore, à l’occasion, pour se réinstaller à la suite de guerres tribales. Si l’histoire de l’humanité peut être décrite de manière simplifiée comme étant le passage de la période de la cueillette à celle de la chasse, puis ensuite de la période de l’agriculture à celle de l’industrialisation, il est possible de décrire les Indiens des plaines comme étant les derniers grands chasseurs qui ont survécu jusque dans l’ère industrielle.

Le gouvernement des États-Unis avait pour politique d’entasser les Autochtones des plaines dans des réserves. Le général Custer et son septième régiment de cavalerie, des instruments de cette politique, massacraient les Indiens qui refusaient de se laisser rassembler de la sorte, mais, à au moins une occasion, ils ont conclu une paix que le général n’avait ni l’autorité de conclure ni le pouvoir de faire respecter. Il s’agissait d’un cas où des Américains, rendus fous par l’appât du gain et flairant la présence de l’or dans le sol, ont tout simplement envahi une réserve et expulsé les Indiens qui s’y trouvaient, comme le raconte Tillett, à la page 50 de son ouvrage. Custer rêvait d’être nommé candidat des Démocrates à la présidence, à la convention d’investiture qui devait se tenir une semaine après la bataille qu’il déclencha et perdit de façon désastreuse le 25 juin 1876.

Voici, à cet égard, les propos de l’auteur, dans la préface, à la page xii :

[traduction] … Custer a attaqué des forces indiennes numériquement supérieures avec un courage aveugle, mais cet aveuglement a causé sa perte. En effet, il ne savait pas combien d’Indiens il attaquait, ni par quels chefs ces Indiens étaient dirigés. C’était de la pure folie que de donner l’assaut à quelque 4 000 guerriers dirigés par des chefs aussi inspirés que Crazy Horse et Sitting Bull et qui étaient soudainement appelés à défendre leurs femmes et leurs enfants [contre les soldats bien armés du 7e régiment de cavalerie qui voulaient les massacrer, faut-il le signaler].

Il était impossible de ne pas parler des répercussions de la bataille qui a eu lieu à Little Big Horn River étant donné que les suites de cette bataille sont encore avec nous aujourd’hui. Une nation de 40 millions d’habitants, tempérée par la guerre civile et une fois de plus unie dans son désir d’étendre ses frontières vers l’ouest, célébrait son centenaire lorsqu’elle reçut la nouvelle de la défaite de Custer. Il était tout simplement impossible d’accepter que ces bandes de va-nu-pieds pouvaient stopper la marche de la « civilisation » et la « destinée manifeste » du peuple américain; qu’elles aient pu vaincre une partie de l’armée américaine dirigée par un héros national, le général George A. Custer, était encore plus incroyable. Enfin, le fait que les Indiens avaient dépouillé les corps des soldats de leurs habits et les avaient mutilés, et qu’ils avaient pu ensuite s’enfuir pratiquement sans subir de pertes, donnait aux tenants de l’« extermination des Indiens » toutes les munitions dont ils avaient besoin. Les quelques faibles voix suggérant de faire preuve d’humanité et de compassion furent étouffées par les violents appels à la revanche, appels qui résonnèrent jusqu’aux Black Hills, où l’or pouvait faire de la revanche une entreprise également rentable. Le grand chef Crazy Horse a été assassiné d’une manière extrêmement brutale et ignominieuse en 1877. Suivirent douze années au cours desquelles s’évapora rapidement tout espoir qu’avaient pu entretenir les Indiens. Cet émotif peuple des plaines succomba aux espoirs insensés qu’incarnent les promesses de la Danse des esprits. [Soulignement ajouté.]

Des documents révèlent qu’il existait, au sein du Congrès américain, un parti qui prônait le génocide et qui aurait tout simplement exterminé les Indiens des plaines s’il avait pu faire triompher ses idées. Un nouveau groupe de jeunes hommes manifestement corrompus ou très peu scrupuleux furent recrutés sous la bannière du 7e régiment de cavalerie et dépêchés dans l’Ouest afin de venger l’anéantissement du régiment initial, que Custer avait stupidement (certains disent « couragement ») conduit au massacre. Les massacres se sont poursuivis pendant un certain temps, qu’ils suffise de mentionner les atrocités commises à Wounded Knee par les nouveaux membres du 7e régiment de cavalerie.

La situation chaotique qui existait dans l’Ouest américain était bien connue des Indiens qui ont participé aux traités nos 6 et 7, voire au traité no 8. En 1844, le sénateur américain William Allen a lancé, au sein du Sénat, un slogan qui, s’il n’a pas perdu toute actualité aujourd’hui, n’en a pas moins été repris pendant des dizaines d’années :

Fifty-four forty, or fight!

Il prônait l’expansion du territoire des États-Unis au nord du parallèle situé à 54’ 40” de latitude nord. C’était le slogan des démocrates expansionnistes, durant la campagne présidentielle de 1844, au cours de laquelle les frontières de l’Oregon étaient une question brûlante d’actualité. Le nouveau président, Jas. K. Polk, un démocrate, fit avec le Royaume-Uni, en 1846, un compromis fixant la frontière au 49e parallèle. Le slogan et les sentiments qu’il animait perdurèrent chez bien des Américains de l’Ouest, longtemps après le compromis.

Les Indiens du Canada, qui avaient rejeté l’invitation de joindre les rangs de leurs homologues américains dans les guerres indiennes au sud de la frontière, étaient bien au fait, en plus d’être inquiets, de la politique d’expansionnisme violent et meurtrier qui donnait lieu à un génocide et comptait de nombreux adeptes parmi les Américains. L’expression « Indiens du Canada » est tout à fait juste, car les Indiens et les chefs qui les ont représentés dans le cadre de la négociation des traités se sont clairement présentés comme des sujets de la Reine. Ils n’ont exprimé aucun doute quant à leur qualité de sujets de la Reine, tant avant de conclure les traités qu’après l’avoir fait. Peut-être parce qu’ils avaient vu « les signes précurseurs », les Indiens du 19e siècle ont rationnellement accepté le caractère inexorable de la marche de l’histoire.

Il est dit, dans la preuve, que l’avancée des Commissaires (entraînant les colons dans leur sillage) était acceptée par certains Cris, qui la considéraient comme étant aussi irrésistible que les flots de la « rivière Saskatchewan » près de Fort Carleton.

Il ne fait aucun doute que, en concluant les traités, les Indiens désiraient se placer sous la protection et—peut-être à tort—sous la dépendance de la Couronne, représentée par les Commissaires chargés par Ottawa de négocier les traités. Ces Commissaires, contrairement au général Custer et à son gouvernement, avaient le pouvoir et la capacité de permettre aux Indiens de vivre en paix et de les protéger des Américains—autant du 7e régiment de cavalerie que des commerçants de whisky.

Parmi les autres facteurs importants qui, à cette époque, incitaient les Indiens à conclure des traités, mentionnons les suivants : les maladies, la famine et la disparition, facilement prévisible des vastes troupeaux de bisons sauvages, animal qu’on appelait « buffalo » et que les Indiens des plaines chassaient pour sa viande, sa peau, ses tendons, ses os et ses cornes et dont il dépendait pour maintenir leur mode de vie préindustrielle particulier. Il est fort possible que l’introduction, par les Espagnols, du cheval, dont l’utilisation s’est rapidement répandue, ainsi que l’introduction, par tous les Européens, de la carabine et d’autres armes à feu sont autant de facteurs qui ont contribué à la diminution des troupeaux. Il ne fait par ailleurs aucun doute que l’arrivée de colons européens a également contribué de façon considérable à la disparition des troupeaux de bisons.

La Cour prend connaissance d’office d’un excellent article écrit par un auteur bien informé, Sid Marty, sur Cypress Hills, intitulé « Prairie Oasis ». Cet article a été publié dans l’édition de janvier-février 1995 du magazine Canadian Geographic. En voici certains passages, aux pages 57 et 58 :

[traduction] L’établissement original [Fort Walsh] a été construit par la Police à cheval du Nord-Ouest, en 1875, à titre de poste de surveillance en vue de faire échec aux activités des commerçants de whisky, mais il a été démantelé et abandonné en 1883—pas avant toutefois de recevoir la visite de Sitting Bull et d’un groupe de guerriers Sioux après leur bataille avec le général Custer à Little Bighorn. Cependant, c’est le poste de Farwell et le lieu du massacre, deux kilomètres en aval du fort, que j’étais venu visiter …

Toutes les conditions propices y étaient réunies : gibier, eau, bois combustible et protection contre les vents violents des prairies. Voilà comment les choses ont dû paraître aux yeux du chef Manitupotis (Little Soldier) et de sa bande de pauvres Assiniboines du Nord, lorsque, affamés, ils sont arrivés à Cypress Hills, en 1873.

Les temps étaient difficiles dans les plaines de l’Ouest à cette époque. Le whisky et la petite vérole, qui avaient été introduits dans la région par les chasseurs de loups (wolfers) et les commerçants de whisky de race blanche, avaient fait des ravages parmi les Indiens des États-Unis. En 1872, le même phénomène était en train de se produire au Canada puisque les commerçants, fuyant le marshal américain, avaient établi à Cypress Hills quatre forts pour y faire le commerce du whisky.

L’arrivée du whisky coïncida avec celle de la petite vérole, qui marqua le début d’une période de misère sans précédent pour les Indiens des plaines qui, autrefois prospères, en étaient rendus à mendier pour se procurer le tord-boyaux. Bon nombre d’entre eux trouvèrent la mort dans des combats entre ivrognes ou succombèrent à la maladie. La nouvelle de la situation malheureuse des Indiens, qui fut transmise dans l’Est du pays par les missionnaires et par les agents de la Compagnie de la Baie d’Hudson, souleva la colère de bon nombre de personnes. Certaines d’entre elles pressèrent Ottawa de créer un service de police et de le dépêcher sans délai dans l’Ouest.

Le 28 avril 1873, le premier ministre John A. Macdonald proposa le projet de loi visant à créer le service de police, mais aucune activité de recrutement ou de formation ne fut amorçée. Ce n’est qu’après le massacre de Cypress Hills, quatre semaines plus tard, et en réponse au tollé qu’il souleva que des mesures furent prises pour faire de ce service de police une réalité.

La bande Benton [formée de chasseurs de loups qui s’étaient fait voler leurs chevaux plus tôt], qu’une source fiable a plus tard décrit comme étant des « personnes issues de la pire couche sociale du pays », vint en aide à Hammond, qui avait investi le camp indien. Tant les assaillants que les assiégés étaient animés par la peur et par le courage que leur donnait le whisky. Personne ne peut affirmer avec certitude qui a tiré le premier coup, mais le lendemain matin quelque vingt à trente Assiniboines (d’après les Blancs), y compris des femmes et des enfants, gisaient morts dans la clairière et le taillis de saules. (L’histoire orale assiniboine rapporte que 50 à 60 personnes auraient perdu la vie.)

La nouvelle du massacre parvint dans l’Est du Canada deux mois plus tard, portée par une vague de nationalisme et d’antiaméricanisme. Le gouvernement fédéral ne perdit pas de temps et donna suite à son projet de créer un service de police à cheval …

Les commerçants de whisky fuirent les plaines avant l’arrivée de la police l’année suivante. Arrivant ainsi, longtemps avant les premiers colons, la police créa, aux frontières explorées du Canada, un climat de paix et d’ordre qui était totalement à l’opposé de ce qui se passait aux États-Unis. Le massacre de Cypress Hills demeure une aberration dans l’histoire de l’Ouest canadien, un prolongement temporaire, dans le Nord-Ouest du pays, de la mentalité pionnière violente qui avait cours chez nos voisins du Sud.

Les membres de la « Police à cheval » se sont révélés à l’époque et continuent d’être aujourd’hui des gardiens de la paix impartiaux tant pour le gouvernement canadien que les Indiens des plaines.

Ainsi, il y avait donc une contrepartie intrinsèque dans les traités nos 6, 7 et 8. Le gouvernement canadien voulait ouvrir les prairies aux colons de l’Est du pays—une politique d’expansionnisme à la canadienne qui, grâce à l’aide de la police à cheval, n’avait pas d’accents meurtriers—et les Indiens, vu l’adversité dans laquelle ils se trouvaient face à un monde nouveau, voulaient notamment être protégés contre les colons et désiraient l’état de dépendance qu’ils ont négocié, apparemment « pour toujours » (Les effets dévastateurs de la dépendance de tout un peuple aux largesses de l’État sont illustrés par les documents figurant à la pièce 41(18). Les sommes ainsi versées par l’État ont un autre effet pervers. En effet, elles constituent un fardeau perpétuel pour les contribuables du pays, même si les conditions pénibles du siècle dernier sont maintenant choses du passé tout autant que les moments glorieux, s’il en est, de cette époque, qu’il est impossible aujourd’hui de faire revivre.)

Cependant, les conditions qui existaient à la fin du 19e siècle sont des faits historiques bien connus et dont la Cour prend connaissance d’office ou, pour exprimer la chose légèrement différemment, comme dans Sioui, dont la Cour a « connaissance judiciaire ».

Les textes de lois

Outre les conditions socio-économiques dont il est fait mention précédemment en tant que fondement des traités, il faut également tenir compte des divers textes de lois qui peuvent être considérés comme le continuum historique de la Loi sur les Indiens. Cette Loi précède les traités examinés dans le cadre du présent litige. Le plus ancien de ces textes, qui figure dans le volume I du recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse (onglet 3), est 13 et 14 Victoria, S.C. 1850, ch. 74, qui est daté du 10 août 1950. Ce texte est intitulé « Acte pour protéger les sauvages dans le Haut Canada, contre la fraude, et les propriétés qu’ils occupent ou dont ils ont jouissance, contre tous empiètements et dommages ». Malgré sa portée géographique limitée, cette loi a été édictée par la législature de la Province du Canada résultant de l’union du Bas et du Haut Canada le 10 février 1841. La loi susmentionnée visait principalement à protéger les terres et les biens personnels des « sauvages et les personnes mariées à des sauvages », y compris les articles IV et V qui concernent les taxes, les corvées, et l’article VI qui concerne l’interdiction de vendre des liqueurs fortes aux sauvages. La Loi supposait que tous savaient qui était un Indien.

L’année suivante, la même législature a, le 30 août 1851, dans le chapitre 59, défini pour le Bas-Canada le terme sauvage [Acte pour abroger en partie et amender un acte intitulé : Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des sauvages dans le Bas-Canada, S.C. 1851, ch. 59]. L’article II de cette Loi était ainsi rédigé :

II. Et qu’il soit déclaré et statué, qu’afin de déterminer quelles personnes auront droit de posséder et occuper les terres et autres propriétés immobilières appartenant aux diverses tribus ou peuplades de sauvages dans le Bas-Canada, ou appropriées à leur usage, et pourront en jouir, les personnes et classes de personnes suivantes, et nulles autres, seront considérées comme sauvages appartenant à la tribu ou peuplade de sauvages intéressés dans telles terres ou propriétés immobilières :

Premièrement. Tous sauvages pur sang, réputés appartenir à la tribu ou peuplade particulière de sauvages intéressés dans les dites terres ou propriétés immobilières, et leurs descendants.

Secondement. Toutes personnes résidant parmi les sauvages dont les père et mère étaient ou sont, ou dont l’un ou l’autre était ou est descendu de l’un ou l’autre côté, de sauvages, ou d’un sauvage réputé appartenir à la tribu ou peuplade particulière de sauvages intéressés dans les dites terres ou propriétés immobilières, ainsi que les descendants de telles personnes; et

Troisièmement. Toutes femmes maintenant légalement mariées, ou qui le seront ci-après à aucune des personnes comprises dans les diverses classes ci-dessus désignées; les enfants issus de tels mariages, et leurs descendants.

Selon la fréquence des mariages interraciaux, du lieu de résidence et de la notoriété, l’article II aurait pu légalement subsumer sous la définition de sauvages, des non-Indiens ainsi que les Métis ou sang-mêlés, et ce en vertu de la volonté autonome et d’une déclaration d’autorité (ipse dixit) de la législature, du Parlement ou du Canada d’avant la Confédération.

La Loi sur les Indiens comme fondement des traités

La première loi du Parlement postérieure à la Confédération qui a été mentionnée dans le présent contexte a été Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance, S.C. 1868, ch. 42 (31 Vict.) sanctionnée le 22 mai 1868. Figurant à l’onglet 5 du vol. I (inter alia) du recueil de textes loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, l’Acte de 1868 susmentionnée comporte certaines dispositions pertinentes :

6. Toutes les terres réservées pour les Sauvages, ou pour toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou possédées en leur nom (held in trust) pour leur bénéfice, seront censées être réservées et possédées pour les mêmes fins qu’avant la passation du présent acte, tout en restant assujéties à ses dispositions; et ces terres ne pourront être vendues, aliénées ou affermées avant d’avoir été cédées à la couronne pour les objets prévus au présent acte.

15. Dans le but de déterminer quelles personnes ont droit de posséder, occuper ou exploiter les terres et autres propriétés immobilières, appartenant ou affectées aux diverses nations, tribus ou peuplades de Sauvages au Canada, les personnes et classes de personnes suivantes, et nulles autres, seront considérées comme Sauvages appartenant aux nations, tribus ou peuplades de Sauvages intéressées dans les terres ou propriétés immobilières en question :

Premièrement.—Tout Sauvage pur sang, réputé appartenir à la nation, tribu ou peuplade particulière de Sauvages intéressés dans ces terres ou propriétés immobilières, et ses descendants;

Secondement.—Toutes personnes résidant parmi ces Sauvages, dont les père et mère étaient ou sont descendus, ou dont l’un ou l’autre était ou est descendu, de l’un ou de l’autre côté, de Sauvages ou d’un Sauvage réputé appartenir à la nation, tribu ou peuplade particulière de sauvages intéressés dans ces terres ou propriétés immobilières, ainsi que leurs descendants; et

Troisièmement.—Toutes femmes légitimement mariées à aucune des personnes comprises dans les diverses classes ci-dessus désignées, les enfants issus de ces mariages, et leurs descendants.

17. Nulle personne autre que les Sauvages et ceux qui sont mariés à des Sauvages, ne s’établira ni ne résidera sur les terres ou chemins, ou réserves de chemins traversant les terres appartenant à toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou occupées par elle, ni ne les occupera; et toutes les hypothèques exécutées ou consenties par des Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, ainsi que tous les baux, contrats et conventions passés ou apparemment passés (purporting to be made) par des Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, en vertu desquels il serait permis à d’autres qu’à des Sauvages de résider sur ces terres, seront absolument nuls et de nul effet.

Il ressort de l’examen comparatif de l’article II de l’Acte de 1851 pour le Bas-Canada et de l’article 15 de l’Acte de 1868 qui précède que le terme « nation » [«band » dans le texte anglais] a été ajouté aux mots tribus ou peuplades de Sauvages. Le mot « alliés » [«allies » dans le texte anglais] a depuis longtemps cessé d’être utilisé pour décrire les Indiens. De plus, en 1868, la rédaction de l’article 17 a été facilitée par la teneur de l’article 15; et l’article 9 faisait état d’une interdiction par ailleurs étrangement limitée visant les liqueurs enivrantes.

L’année suivante, en 1869, le Parlement a édicté l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages, et à l’extension des dispositions de l’acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux, S.C. 1869, ch. 6 (32-33 Vict.). L’article 6 de cette Loi est la disposition qui nous intéresse en l’espèce :

6. La quinzième section de la trente-unième Victoria, chapitre quarante-deux, est amendée en y ajoutant le proviso suivant :

« mais toute femme Sauvage qui se mariera à un autre qu’un Sauvage, cessera d’être une Sauvage dans le sens du présent acte, et les enfants issus de ce mariage ne seront pas non plus considérés comme Sauvages dans le sens du présent acte; pourvu aussi que toute femme Sauvage qui se mariera à un Sauvage d’une autre nation, tribu ou peuplade cessera d’être membre de la nation, tribu ou peuplade à laquelle elle appartenait jusque là, et deviendra membre de la nation, tribu ou peuplade à laquelle appartient son mari; et les enfants issus de ce mariage seront membres de la tribu de leur père seulement. »

Une fois de plus, le Parlement promulgue sa loi et personne n’en disconvient. À nouveau, les Indiens, ni plus ni moins que tous les Euro-Canadiens et non-Indiens, sont tenus d’obéir à la loi (par exemple à l’article 3, qui interdit la vente de liqueurs enivrantes, et à l’article 19 qui interdit aux Indiens de se représenter faussement comme émancipés) ou, à défaut, de subir la peine prévue.

La loi suivante qui nous intéresse, celle intitulée l’Acte des Sauvages, 1876, a reçu la sanction royale le 12 avril 1876, c’est-à-dire quelques mois seulement avant la conclusion du Traité no 6, près de Carlton, les 23 et 28 août 1876, et près de Fort Pitt, le 9 septembre 1876. À compter de ce moment-là, le Parlement a exercé un pouvoir de plus en plus grand sur la détermination des effectifs de chaque « tribu, … peuplade ou … corps de Sauvages » et il a défini les termes « bande » et « Sauvage ». Ces termes sont définis ainsi à l’article 3 de l’Acte des Sauvages, 1876 :

3. Les expressions qui suivent, usitées dans le présent acte, seront censées avoir la signification qui leur est ci-dessous attribuées, à moins que cette signification ne soit inconciliable avec le sujet ou incompatible avec le contexte :—

1. L’expression « bande » signifie une tribu, une peuplade ou un corps de Sauvages qui possèdent une réserve ou des terres en commun, ou y ont un intérêt commun, mais dont le titre légal est attribué à la Couronne, ou qui partagent également dans la distribution d’annuités ou de deniers provenant de l’intérêt de fonds dont le gouvernement du Canada est responsable; et l’expression « la bande » signifie la bande à laquelle le contexte se rattache; et l’expression « la bande », lorsque quelque décision est prise, signifie la bande en conseil.

2. L’expression « bande irrégulière » signifie une tribu, une peuplade ou un corps d’individus de sang sauvage, qui ne possèdent aucun intérêt dans une réserve ou des terres dont le titre légal est attribué à la Couronne, qui ne possèdent aucun fonds commun administré par le gouvernement du Canada, ou qui n’ont pas de relations par traité avec la Couronne.

3. L’expression « Sauvage » signifie,—

Premièrement.—Tout individu du sexe masculin et de sang sauvage, réputé appartenir à une bande particulière;

Secondement.—Tout enfant de tel individu;

Troisièmement.—Toute femme qui est ou a été légalement mariée à tel individu :

(a.) Pourvu que tout enfant illégitime, à moins qu’il n’ait partagé, du consentement de la bande, dans les deniers à distribuer à cette bande, pendant une période de plus de deux ans, puisse en tout temps être exclu du nombre de ses membres par la bande, si cette exclusion est sanctionnée par le Surintendant-Général;

(b.) Pourvu que tout Sauvage qui aura continuellement résidé pendant cinq ans dans un pays étranger, cessera, avec la permission du Surintendant-Général, d’en faire partie, et ne pourra faire de nouveau partie de la bande ou d’aucune autre bande, à moins que le consentement de la bande, avec l’approbation du Surintendant-Général ou de son agent, ne soit préalablement obtenu; mais la présente disposition ne s’appliquera à aucun homme de profession, artisan, missionnaire, instituteur ou interprète y exerçant ses fonctions comme tel;

(c.) Pourvu que toute femme Sauvage qui se mariera à un autre qu’un Sauvage ou un Sauvage sans traités, cessera d’être une Sauvage dans le sens du présent acte, sauf qu’elle aura droit de partager également avec les membres de la bande à laquelle elle appartenait antérieurement dans la distribution annuelle ou semi-annuelle de ses annuités, fonds d’intérêt et rentes; mais ce revenu pourra être commué en sa faveur en tout temps, en le lui payant pour dix ans, du consentement de la bande;

(d.) Pourvu que toute femme Sauvage qui se mariera à un Sauvage d’une autre bande, ou à un Sauvage sans traités, cessera de faire partie de la bande, à laquelle elle appartenait antérieurement, et deviendra membre de la bande ou de la bande irrégulière dont son mari fera partie;

(e.) Pourvu aussi que tout Métis dans Manitoba qui aura partagé dans la distribution des terres des Métis, ne sera pas compté comme Sauvage; et qu’aucun Métis chef de famille (sauf la veuve d’un Sauvage, ou un Métis qui aura déjà été admis dans un traité,) ne pourra, à moins de circonstances très exceptionnelles, qui seront déterminées dans chaque cas par le Surintendant-Général ou son agent, être compté comme Sauvage, ou avoir droit à être admis dans un traité avec les Sauvages :

4. L’expression « Sauvage sans traités » signifie tout individu de sang sauvage, qui est réputé appartenir à une bande irrégulière, ou qui vit à la mode des Sauvages, même si cet individu ne réside que temporairement en Canada;

5. L’expression « Sauvage émancipé » signifie tout Sauvage, sa femme ou son enfant mineur non-marié, qui a reçu des lettres patentes lui concédant en pleine propriété quelque partie de la réserve qui peut avoir été concédée à lui-même, à sa femme, et à ses enfants mineurs, par la bande dont il fait partie, ou tout Sauvage non-marié qui peut avoir reçu des lettres patentes pour une concession de la réserve;

6. L’expression « réserve » signifie toute étendue ou toutes étendues de terres mises à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le bénéfice d’une bande particulière de Sauvages, ou qui lui est concédée, dont le titre légal reste à la Couronne, mais qui ne lui sont pas transportées, et comprend tous les arbres, les bois, le sol, la pierre, les minéraux, les métaux ou autres choses de valeur qui s’y trouvent, soit à la surface, soit à l’intérieur;

7. L’expression « réserve spéciale » signifie toute étendue ou toutes étendues de terres mises à part, avec tout ce qui y est attaché, pour l’usage ou l’avantage de quelque bande ou bande irrégulière de Sauvages, dont le titre est attribué à une société, corporation ou communauté légalement établie, et capable de poursuivre et être poursuivie, ou à une ou des personnes de descendance européenne, mais lesquelles terres sont tenues en fidéicommis pour cette bande ou bande irrégulière de Sauvages, ou dont l’usage lui est accordé par charité;

8. L’expression « terres des Sauvages » signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été transportée par cession à la Couronne;

9. L’expression « matières enivrantes » signifie et comprend tous spiritueux, alcools, liqueurs, spiritueuses, vins, liqueurs fermentées ou mélangées, boissons enivrantes de toute espèce, fluides enivrants, ainsi que l’opium et toute préparation d’opium, soit liquide, soit solide, et toute autre drogue ou substance enivrante, et le tabac ou le thé mêlé, mélangé ou imprégné d’opium ou de toute autre drogue, matière, substance ou spiritueux enivrants, soit liquide, soit solide;

10. L’expression « Surintendant-Général » signifie le Surintendant-Général des affaires des Sauvages;

11. L’expression « agent » signifie le commissaire, le surintendant, l’agent, ou tout autre officier agissant d’après les instructions du Surintenant-Général;

12. Lex expressions « personne » et « individu » signifient un individu autre qu’un Sauvage, à moins que le contexte n’exige clairement une autre interprétation.

4. Toutes les réserves pour les Sauvages ou pour quelque bande de Sauvages, ou possédées en fidéicommis pour eux, seront censées être réservées et possédées pour les mêmes fins qu’avant la passation du présent acte, tout en restant assujéties [sic] à ses dispositions.

5. Le Surintendant-Général pourra autoriser l’arpentage, avec plans et procès-verbaux, de toute réserve pour les Sauvages, indiquant les terres améliorées, les forêts et les terres propres à la culture, et contenant tous autres renseignements qui pourront être nécessaires; et il pourra autoriser la subdivision en lots de tout ou partie d’une réserve.

11. Nul individu ou Sauvage, autre que les Sauvages de la bande, ne s’établira ni ne résidera ou ne chassera sur les terres ou marais, ni ne les occupera ou n’en fera usage, ni ne s’établira ou ne résidera sur les chemins, ou les réserves de chemins traversant une réserve appartenant à cette bande ou occupée par elle; et toutes les hypothèques exécutées ou consenties par des Sauvages, ainsi que tous les baux, contrats et conventions passés ou apparemment passés par des Sauvages, en vertu desquels il serait permis à des personnes ou Sauvages autres que des Sauvages de la bande de résider ou chasser sur cette réserve, seront absolument nuls et non avenus.

12. Si quelque individu ou Sauvage, autre qu’un Sauvage de la bande, sans la permission du Surintendant-Général (permission qui sera, néanmoins, en tout temps révocable), s’établit, réside ou chasse sur des terres ou marais, ou les occupe ou en fait usage, ou s’établit ou réside sur des chemins ou réserves de chemins, compris dans cette réserve, ou les occupe, ou si quelque Sauvage est illégalement en possession de quelque lot ou partie de lot dans une réserve subdivisée, le Suritendant-Général, ou l’officier ou personne qu’il pourra à cet effet déléguer et autoriser, devra, sur plainte à lui faite, et sur preuve des faits à sa satisfaction, émettre un mandat (warrant) sous ses seing et sceau, adressé au shérif du district ou comté qu’il appartient,—ou si la réserve en question n’est pas située dans un comté ou district, alors adressé à toute personne lettrée qui consentira d’agir,—lui enjoignant d’expulser immédiatement de ces terres, marais ou chemins, ou réserves de chemins, ou de ce lot ou partie de lot, tout tel individu ou Sauvage et sa famille ainsi établis ou y résidant, ou y chassant, ou les occupant, ou en étant illégalement en possession, ou de notifier cet individu ou ce Sauvage d’avoir à cesser de faire usage comme susdit de ces terres, marais, chemins ou réserves de chemins; et le shérif ou autre personne en question expulsera et notifiera cet individu ou ce Sauvage en conséquence, et aura, à cette fin, les mêmes pouvoirs que pour l’exécution de mandats en matières criminelles; et les frais encourus pour toute expulsion ou notification seront supportés par l’individu expulsé ou notifié, et pourront être recouvrés de lui comme le peuvent l’être les frais dans toute poursuite ordinaire :

Pourvu que rien de contenu au présent acte n’empêchera un Sauvage ou Sauvage sans traités, s’il a été domicilié au Canada pendant cinq ans, ne faisant pas partie de la bande, de résider sur la réserve ou de recevoir un permis d’occupation du consentement de la bande et avec l’approbation du Surintendant-Général.

13. [Expulsion, arrestation et punition, en vertu d’un mandat du Surintendant-Général, des individus et Sauvages qui reviennent après une première expulsion.]

15. Le Surintendant-Général, ou l’officier ou la personne plus haut mentionnés, fera dresser et inscrire à son bureau le jugement ou l’ordre rendu contre le contrevenant, et ce jugement ne sera pas évocable par certiorari ou de toute autre manière, et il ne pourra non plus en être interjeté appel, mais il sera final.

16. [Punition des individus autres que des Sauvages de la bande à laquelle appartient à la réserve qui empiètent dans celle-ci—peines prévues pour les infractions commises par ces individus—emprisonnement en cas de non-paiement des amendes—amendes payées au Receveur-Général pour être appliquées à l’usage et au bénéfice de la bande en la manière prescrite par le Gouverneur en conseil.]

20. Si un chemin de fer ou une route passe, ou si des travaux publics se trouvent sur une réserve appartenant à une bande de Sauvages ou possédée par elle, ou qu’ils y causent quelque dommage, ou si une réserve souffre quelque dommage fait en vertu de quelque acte du parlement ou de la législature d’une province, il lui sera payé une indemnité en conséquence, de la même manière que celle prescrite quant aux terres ou aux droits d’autres personnes. Dans tous les cas où un arbitrage sera possible, le Surintendant-Général nommera l’arbitre au nom des Sauvages et les représentera en toute chose se rattachant au règlement de cette indemnité; et la somme adjugée dans chaque cas sera remise au Receveur-Général pour l’usage de la bande de Sauvages au bénéfice de laquelle la réserve est possédée, et au bénéfice de tout Sauvage qui y aura fait des améliorations.

25. Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d’avoir été cédée à la Couronne pour les objets prévus au présent acte.

26. Nulle cession d’une réserve ou partie de réserve à l’usage des Sauvages ou d’une bande, ou de tout Sauvage en particulier, ne sera valide ou obligatoire si elle n’est faite aux conditions suivantes :—

1. La cession sera ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou conseil convoqué à cette fin conformément à leurs usages, et tenu en présence du Surintendant-Général, ou d’un officier régulièrement autorisé par le Gouverneur en conseil ou le Surintendant-Général à y assister; mais nul Sauvage ne pourra voter ou assister à ce conseil s’il ne réside pas d’ordinaire sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y est intéressé;

2. Le fait que la cession a été consentie par la bande à ce conseil ou cette assemblée devra être attesté sous serment devant un juge d’une cour supérieure, de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire, par le Surintendant-Général ou par l’officier autorisé par lui à assister à ce conseil ou cette assemblée, et par l’un des chefs ou principaux membres ayant droit de vote qui y aura assisté, et lorsque la ratification sera ainsi certifiée, le certificat sera soumis au Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse;

27. [Matières enivrantes prohibées dans les conseils des Sauvages.]

Le texte qui précède constitue une longue illustration de l’exercice de la volonté du Parlement en ce qui concerne « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens », conformément au paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867. Certaines observations s’imposent ici, avant d’entamer l’examen du texte des traités et des négociations qui ont abouti à ceux-ci, afin d’indiquer quels sont les facteurs qui servent de fondement à ces traités.

Premièrement, il ne ressort pas du paragraphe 3.12 que les Indiens ne sont pas des « personnes » ou « individus ». Il s’agissait plutôt de l’application, dans une loi raciste, d’une technique de rédaction visant à distinguer les Indiens des autres personnes ou individus. Selon une technique plus moderne de rédaction, ces autres personnes ou individus auraient été désignés ou auraient pu l’être par le terme « non-Indien ».

Deuxièmement, les demandeurs ont fait valoir avec vigueur que, logiquement, le fait d’avoir réservé des parcelles de terrains pour l’utilisation, l’occupation et le bénéfice exclusifs des bandes indiennes signifie sans doute que ces bandes ont le pouvoir de décider qui elles autoriseront à venir sur ces terres et à qui elles refuseront de le faire. Cela signifie, d’affirmer les demandeurs, que les bandes disposent du droit—qui n’a pas été éteint—de décider qui sont leurs membres. Cela aurait pu être un argument logique si, dans les faits, les Indiens eux-mêmes avaient pris à leur guise toutes ces mesures. La responsabilité de déterminer qui était un Indien et les modalités d’exercice de cette responsabilité, l’exclusion des sang-mêlés, la définition de « bande », la protection des réserves, la création d’un poste de fonctionnaire—Surintendant-Général—et l’édiction et l’application des lois criminelles—mesures que seul l’État peut prendre—, l’assujettissement tant des Indiens que des non-Indiens au respect des lois—civiles et criminelles—à compter, de l’édiction de l’article 3 de l’Acte des Sauvages, 1876, qui est fondé entièrement sur l’exercice par le Parlement de ses pouvoirs législatifs sont autant d’éléments démontrant que l’argument des demandeurs s’appuie sur des prémisses erronées. De fait, la responsabilité de décider de l’appartenance à la bande ainsi que les droits relatifs à l’utilisation, à l’occupation et la jouissance des terres indiennes n’ont pas le moins du monde été affirmés par les ancêtres et prédécesseurs putatifs des demandeurs, même avant la conclusion du Traité no 6. Ces Indiens d’une autre époque savaient tous qu’ils étaient des sujets de Sa Majesté la Reine, dont les conseillers résidaient à Ottawa, et qu’ils étaient tenus d’obéir à la loi au même titre que les non-Indiens. Ils étaient tous des sujets britanniques nés au Canada, statut qui, aujourd’hui, correspond à la citoyenneté canadienne. D’ailleurs, même l’honorable Alexander Morris, qui a négocié les traités pour le compte de la Couronne (c’est-à-dire le gouvernement du Canada) était tout autant qu’eux un natif de l’Amérique du Nord. En effet, selon la Canadian Encyclopaedia, ce dernier était né le 17 mars 1826, à Perth (ville qui, aujourd’hui, se trouve en Ontario, alors que, à l’époque, elle faisait partie de l’Ouest du Canada d’alors).

Le droit que revendique les demandeurs de décider qui appartient à leurs « bandes » (terme défini dans la loi) a été positivement éteint par l’Acte des Sauvages, 1876. Le Parlement a pris entièrement en charge cette responsabilité en édictant cette loi et celles qui l’ont précédée. Même si la responsabilité de décider de l’appartenance aux groupes sociaux ou campements de chasse avait effectivement constitué un droit ancestral, il a été éteint par des mesures législatives on ne peut plus claires, avant même la conclusion des Traités nos 6, 7 et 8. Qui plus est, on verra que c’est le lieutenant-gouverneur Morris qui, au cours de la négociation du Traité no 6, a fait la démonstration la plus évidente de l’exercice d’un des aspects importants du pouvoir dont disposait le Parlement et le gouvernement du Canada relativement à l’appartenance aux bandes, c’est-à-dire l’exclusion des sang-mêlés.

Les dossiers de Morris

Conscients que les Indiens ne possédaient pas encore de langage écrit, les commissaires chargés de négocier les traités préparaient des compte rendus assez exhaustifs de ce qui se disait de part et d’autre au cours des négociations. Peu de temps après le début du procès, l’avocat des demandeurs a cité un long passage de l’ouvrage intitulé : The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, Including the Negotiations on Which They Were Based, and Other Information Relating Thereto, de l’honorable Alexander Morris, C.P., Belfords, Clark & Co. Publishers (première impression en 1880), Toronto, appelé ci-après les dossiers de Morris. Plus loin dans les présents motifs, on se reportera au long passage cité. Quoique ce document n’ait pas été formellement déposé en tant que pièce, un exemplaire des dossiers de Morris a été mis à la disposition de la Cour, (sans que personne ne s’y oppose évidemment, compte tenu des passages précités de l’arrêt Sioui), pour le compte de l’intervenant Conseil national des autochtones du Canada. Une fois de plus, la Cour tient à rappeler que, dans le cadre de la présente action, qui est un exemple parfait de litige de droit public, les parties et les intervenants ne peuvent absolument pas, de par leurs objections, effacer le récit authentique de l’histoire ou encore, par leur consentement, en confirmer la validité. Même si les dossiers de Morris peuvent être cités et interprétés, compte tenu qu’ils ont été publiés pour la première fois dès 1880, c’est-à-dire peu de temps après les événements qui y sont décrits, il s’agit d’un élément de preuve entièrement neutre dans le présent contexte, en ce que ces dossiers constituent un compte rendu historique contemporain, qui a été préparé et publié un siècle avant la présente action. De fait, les demandeurs citent de longs passages des dossiers de Morris dans le volume 2 de leur recueil de documents—traités, textes et articles.

En 1871, par exemple, longtemps avant la conclusion du Traité no 6, chacune des parties a appris quelle serait, en partie, la position préconisée par l’autre et savait que la « Couronne » ou la « Reine » signifiait le Canada et non la Cour de Saint-James. Aux pages 169 et 170 des dossiers de Morris, il est fait état d’un extrait, transmis à Ottawa, d’[traduction] « une lettre émanant de M. Christie, alors agent principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui est devenu par la suite un des commissaires chargés de négocier les traités, lettre dans laquelle celui-ci transmettait les messages des chefs cris au lieutenant-gouverneur Archibald, “le représentant de notre Grande Mère à Fort Garry, l’établissement sur la rivière Rouge. Voici l’extrait et les messages en question : »

[traduction] Edmonton House, 13 avril 1871.

Le 13 courant (avril), j’ai reçu la visite des chefs cris, représentant les Cris des plaines d’ici à Carlton, accompagnés par quelques-uns de leurs partisans.

Par cette visite, ils voulaient savoir si leurs terres avaient été vendues ou non, et qu’elle était l’intention du gouvernement canadien à leur égard. Ils ont fait état d’une épidémie qui avait fait rage tout au long de l’été dernier et de la famine qui avaient suivi, de la pauvreté de leurs territoires, de la diminution visible des troupeaux de bisons qui constituent leur seule ressource, et ils ont clos l’entretien en demandant que leur soient remis sur le champ certains présents, et que j’expose leur situation au représentant de Sa Majesté à Fort Garry. Ces Indiens ont entendu, de diverses sources, de nombreuses rumeurs depuis le transfert à la Puissance du Canada des territoires du Nord-Ouest, et ils étaient très impatients d’entendre de ma bouche même le récit de ce qui s’était produit.

Je leur ai dit que le gouvernement canadien n’avait encore fait aucune demande en ce qui concerne leurs terres ou leurs territoires de chasse, et que, lorsqu’on leur demanderait quelque chose, il est vraisemblable que des commissaires seraient au préalable dépêchés afin de traiter avec eux, mais que, jusque là, ils n’avaient pas à s’inquiéter et ils n’avaient qu’à continuer à vivre en paix avec tout le monde. J’ai de plus indiqué que le Canada, dans les traités conclus avec les Indiens jusqu’ici, s’était montré très généreux, et que ceux-ci vivaient maintenant à l’aise dans des établissements bien organisés, et que je n’avais aucun doute qu’on appliquerait la même politique généreuse dans le cadre des négociations avec eux.

D’un jour à l’autre, il est possible que l’on découvre de l’or en quantité profitable sur le versant est des montagnes Rocheuses. Nous comptons, au Montana ainsi que dans les établissements miniers près de nos frontières, une importante population pionnière mixte qui attend seulement l’annonce de la découverte de gisements d’or pour se précipiter en Saskatchewan; et, en l’absence de toute forme de gouvernement ou d’ordre établi à cet endroit, ou de forces pour protéger les Blancs et les Indiens, les conséquences qu’aurait l’arrivée de ces personnes sont évidentes.

Le message suivant, émanant du chef Sweet Grass, est représentatif du message transmis par les chefs des Cris des plaines de la Saskatchewan au lieutenant gouverneur Archibald, à Fort Garry :

[traduction] Grand Père,—je vous serre la main et vous souhaite la bienvenue. On a dit que nos terres avaient été vendues et nous n’avons pas aimé ce que nous avons attendu. Nous ne voulons pas vendre nos terres, elles nous appartiennent et personne n’a le droit de les vendre.

On est en train de dépouiller notre territoire de tous les animaux à fourrure qui s’y trouvent, animaux qui jusqu’ici constituaient notre seule ressource. Nous sommes pauvres et nous voulons de l’aide—nous voulons que vous fassiez preuve de compassion à notre endroit. Nous voulons du bétail, des outils, des instruments aratoires et toute l’aide dont nous avons besoin pour nous établir—notre territoire n’est plus en mesure d’assurer notre subsistance.

Prenez des mesures afin de nous éviter la famine. L’hiver dernier, nous avons été victimes d’une grande famine, et la petite vérole a emporté bon nombre des nôtres, tant des gens âgés que des jeunes gens et des enfants.

Nous voulons que vous empêchiez les Américains de venir commercer sur nos terres et donner de l’eau de feu, des munitions et des armes à nos ennemis les Pieds-Noirs.

Nous avons fait la paix cet hiver avec les Pieds-Noirs. Mais comme nos jeunes hommes ne sont pas disciplinés, cette paix pourrait bien ne pas durer longtemps.

Nous vous invitons à venir discuter avec nous. Si vous ne pouvez venir vous mêmes, envoyez un représentant.

Nous vous transmettons ce message par notre Maître, M. Christie, en qui nous avons toute confiance. Voilà ce que j’avais à dire. [Dossiers de Morris, aux pages 170 et 171.]

Il ressort des dossiers de Morris que, à l’instar du révérend George McDougall, ministre du culte à qui on avait demandé de rencontrer les Cris et de faire rapport à cet égard avant de conclure le Traité no 6, on demanda à un autre religieux, le père Constantine Scollen de faire de même dans le cas des Pieds-Noirs. Ce dernier rédigea un rapport, daté du 8 septembre 1876, qu’il présenta au lieutenant-gouverneur Morris. Ce rapport figure aux pages 247 à 249 des dossiers de Morris.

Entre-temps, l’honorable David Laird, devenu lieutenant-gouverneur du territoire du Nord-Ouest, et le lieutenant-colonel de la P.C. (connu des Blackfeet sous le nom de Stamixotokon) avaient été, en août 1877, nommés par le gouvernement commissaires spéciaux des Sauvages et chargés de négocier un traité (le Traité no 7) avec les Pieds-Noirs, les Gens du Sang, les Piégânes, les Stony, les Sarcis et d’autres Indiens habitant la partie non cédée du territoire attenant à la frontière américaine, à l’est des Rocheuses et attenant aux terres cédées visées par les Traités nos 4 et 6. Le père Scollen avait fait état de la misère dans laquelle vivaient les Pieds-Noirs et avait pressé le gouvernement de proposer dès que possible aux Pieds-Noirs et aux autres « clans » la conclusion d’un traité.

Dans son édition du 4 octobre 1877, le journal Globe reproduisait la transcription détaillée du compte rendu fait par le lieutenant-gouverneur Laird des négociations entre les Indiens et les commissaires, ainsi que des discours faits par les diverses parties. Ce compte rendu figure aux pages 251 à 262 des dossiers de Morris. Certains passages du compte rendu du commissaire Laird revêtent un intérêt particulier en l’espèce :

Dans la soirée du lundi je reçus aussi un messager de « Bobtail », chef des Cris, qui était arrivé sur le terrain où devait se conclure le traité, accompagné de la plus grande partie de sa tribu. Il dit qu’il n’avait pris part à aucun traité; cependant, qu’il n’avait pas assisté à l’assemblée d’aujourd’hui parce qu’il n’était pas certain si les Commissaires consentiraient à le recevoir avec les Pieds-Noirs. Je lui demandai, ainsi qu’à ses compagnons, de rencontrer les commissaires le jour suivant, mais à une heure différente de celle fixée pour les autres Sauvages. [Il fut convenu que Bobtail signerait une adhésion au Traité no 6 : page 257.]

Le mardi nous rencontrâmes avec les Sauvages à l’heure ordinaire. Nous leur expliquâmes encore les conditions qui leur avaient été proposées la veille, en appuyant particulièrement sur le fait que par la loi du Canada on ne pouvait s’emparer de leurs réserves, les occuper ou les vendre sans leur consentement. La liberté de chasser dans toute l’étendue de la prairie leur fut garantie, pourvu toutefois qu’ils ne molestassent pas les colons ou autres personnes établies dans le pays.

Les chefs furent invités à donner leur opinion et un des sous-clients des « Sang » fit alors un long discours. Il nous dit que la police à cheval était dans le pays depuis quatre ans et qu’ils avaient détruit une grande quantité de bois. Il demanda comme compensation que les commissaires payassent aux Sauvages $ 50 par tête à chaque chef, et $ 30 à chacun des autres. Il dit que les Pieds-Noirs, les Gens du Sang, les Sarcis et les Piégânes étaient unis, mais il demanda que les Cris et les Métis fussent chassés dans leur pays. Il fit la remarque que la Reine avait envoyé la police dans le but de les protéger, et il espérait qu’elle ne la retirerait pas de sitôt, parce qu’elle mettait à l’abri de tout danger le sommeil des Sauvages pendant la nuit.

« Pied de Corbeau » dit qu’il ne parlerait que le lendemain. Le « Vieux-Soleil », autre chef influent des Pieds-Noirs, dit la même chose. « Queue-d’aigle », le chef principal des Piégânes, dit qu’il avait toujours suivi les conseils que les officiers de la police à cheval lui avaient donnés. Il espère que les engagements pris vis-à-vis d’eux par les commissaires leur seront garantis tant que le soleil luira et que l’eau suivra son cours. Les chefs Stony exprimèrent leur disposition d’accepter sans réserve les conditions offertes.

Craignant que si l’on ne refusait pas immédiatement les réclamations du chef des Gens du Sang qui avait parlé, plusieurs des Sauvages les considéraient comme étant accordées, je leur dis que ce chef avait trop demandé. Il avait admis les avantages que les Sauvages avaient retirés de la présence de la police, et cependant il avait été assez peu raisonnable pour demander que le gouvernement payât une indemnité considérable à chaque Sauvage pour le peu de bois que leurs bienfaiteurs avaient brûlé. Je leur dis, qu’au contraire, si une indemnité devrait être payée elle devrait l’être par les Sauvages à la Reine, qui leur avait envoyé la police. Alors « Pied de Corbeau » et les autres chefs se mirent à rire de l’orateur des Sang.

Je dis aussi que les commissaires ne pouvaient pas consentir à exclure les Cris et les Métis du pays des Pieds-Noirs; qu’ils étaient les enfants de la Grande Mère aussi bien que les Pieds-Noirs et les Gens du Sang, et qu’elle ne voulait pas les voir mourir de faim. Naturellement, les Cris et les Métis pourraient être poursuivis s’ils empiétaient sur leurs réserves. L’acte des Sauvages le leur garantissait. Le gouvernement local avait adopté une loi pour la protection du bison. Elle aurait pour effet d’empêcher un grand nombre de personnes de visiter le pays pendant la saison où la chasse est fermée. Quant à empêcher aucuns des sujets de Sa Majesté de venir dans toutes les parties du pays, pourvu toutefois qu’ils se conformassent aux lois, que c’était tout à fait contraire à la liberté que la Reine accorde à son peuple, et les commissaires ne pouvaient faire aucune promesse de ce genre[2].

Il est important de signaler ce que les chefs indiens reconnus ont affirmé au nom de leur peuple, particulièrement les propos de Pied de Corbeau :

[traduction] … « Pied de Corbeau » parla le premier. Ses remarques furent brèves, mais il exprima sa reconnaissance de ce que la police à cheval leur eût été envoyée et déclara son intention d’accepter le traité. Le chef des Gens du Sang qui avait tant demandé la veille, dit qu’il suivrait les autres chefs. Le « Vieux Soleil », chef principal des Pieds-Noirs du Nord, dit que « Patte de Corbeau » avait bien parlé. Nous ne désappointerons pas les commissaires, dit-il et je suis heureux que nous tombions tous d’accord sur les conditions. Les Sauvages avaient besoin de bétail, de fusils, de munitions, de tabac, de haches et d’argent. « Tête de Bœuf », le premier chef des Sarcis, dit : « Nous allons tous prendre votre avis. » « Tête d’Aigle », le principal chef des Piégânes ajouta : « Je vous donne la main et nous approuvons tout ce que Pied de Corbeau a dit. » « La Pluie », le chef des Gens du Sang du Nord, dit qu’il n’allait jamais à l’encontre du conseil de l’homme blanc. Quelques-uns des sous-chefs parlèrent dans le même sens.

Les commissaires exprimèrent leur satisfaction de voir les Sauvages aussi unanimes, et annoncèrent qu’ils prépareraient le traité et l’apporteraient le lendemain pour le faire signer. La seule question difficile à résoudre était celle des réserves. Les commissaires pensèrent que ce serait passer inutilement le temps que de discuter cette question en grande assemblée, et ils décidèrent que l’un d’eux irait visiter les principaux chefs dans leur camp et les consulterait séparément sur les endroits qu’ils désiraient choisir. Le lieutenant-colonel McLeod se chargea de cette mission, tandis que je m’occupais de rédiger le traité. La mission eut un tel succès que nous fûmes en état de désigner dans le traité les endroits choisis.

Samedi, le 22 septembre, nous rencontrâmes les Sauvages pour conclure le traité. « Mekasto » ou « Corbeau-Rouge », grand-chef des Gens du Sang du Sud, était arrivé la veille sur le terrain que nous occupions et s’avança pour se faire présenter aux commissaires.

La réunion des Sauvages était nombreuse. Tous les premiers chefs des différentes tribus étaient alors présents; il n’y avait d’absents que deux chefs des Pieds-Noirs et deux sous-chefs des Gens du Sang. L’assemblée était aussi nombreuse que nous pouvions l’espérer.

Les commissaires avaient d’abord dit aux Sauvages qu’ils accepteraient les chefs qu’ils reconnaissaient, et près de la tente étaient assis au premier rang ceux qui avaient été présentés aux commissaires comme les chefs reconnus des différentes tribus.

Les conditions ayant été expliquées aux Sauvages par un interprète, quelque-uns des chefs du Sang qui n’avaient dit que très peu la veille, vu l’absence du « Corbeau-Rouge », prirent alors la parole, et lui-même, en quelques mots bienveillants, donna son assentiment au traité. « Pied de Corbeau » s’avança alors et demanda que son nom fut apposé au traité. Les commissaires l’ayant d’abord signé, M. L’Heureux, qui connaissait la langue des Pieds-Noirs, signait le nom des chefs qui en faisaient la demande et le sien comme témoin de leurs marques.

… [J]e reçus aussi une députation de Métis qui me présentèrent une requête, exprimant le désir que la loi concernant le bison ne fut pas rigoureusement mise en force pendant l’hiver suivant, et priant qu’on leur donnât du secours pour avancer leurs travaux de ferme. Quant à ce qui a rapport à l’ordonnance pour la protection du bison, je leurs répondis qu’un délai insuffisant s’étant écoulé depuis que l’avis avait été donné, la loi ne serait pas rigoureusement mise en force pendant le premier hiver, et que je transmettrais à Ottawa leur demande de secours pour la culture des terres[3].

Les passages qui précèdent ne constituent qu’une petite partie seulement du chapitre X des dossiers de Morris, chapitre qui concerne le traité avec les Pieds-Noirs (no 7). Bien qu’il soit trop volumineux pour être reproduit ici, pratiquement tout ce chapitre est important en l’espèce. La conclusion que tire la Cour de ces passages est que les Indiens qui étaient parties au Traité no 7 comprenaient clairement :

a) qu’ils négociaient avec les commissaires du gouvernement canadien, qui invoquaient de façon spécifique « les lois canadiennes » et « l’Acte des Sauvages » dont la source était indiquée, de façon indirecte mais néanmoins assez nette, comme étant « Ottawa »;

b) qu’ils étaient des sujets britanniques et des Indiens du Canada et que, de ce fait, au même titre que les colons euro-canadiens, ils étaient également assujettis aux lois canadiennes, tant civiles que criminelles;

c) qu’ils ne pouvaient exclure quiconque des terres cédées, sauf les personnes se trouvant dans leurs réserves;

d) qu’ils pouvaient librement continuer de chasser et de pêcher dans les terres cédées, sauf si celles-ci étaient occupées par des colons, et que, vu l’arrivée de nouveaux colons, les territoires disponibles pour la chasse et la pêche ne pouvaient aller qu’en diminuant;

e) qu’ils ne décideraient plus, pour l’avenir, de l’appartenance à la bande, c’est-à-dire qu’ils ne décideraient pas qui serait considéré comme un Indien et quels seraient ceux (les sangs-mêlés) qui seraient exclus du traité et des réserves choisies, et ne recevraient pas les paiements annuels prévus.

Négociations

Il est écrit, à la page 222 du chapitre IX des dossiers de Morris, en ce qui concerne le traité conclu aux forts Carlton et Pitt (Traité no 6), que, le 23 août 1876, un des chefs cris présents s’est approché du gouverneur Morris pendant les négociations et lui a demandé publiquement :

[traduction] Mis-tow-asis—«Je voudrais dire un mot pour certains Sang-mêlés qui désirent vivre dans les réserves avec nous, ils sont aussi pauvres que nous et ont besoin d’aide. »

Le gouverneur—«Combien sont-ils? »

Mis-tow-asis—«Environ vingt. »

Le gouverneur—«La Reine a été généreuse envers les Sang-mêlés de Red River et leur a donné un grand territoire; nous ne sommes pas venus porter un message aux Sang-mêlés mais aux Indiens. J’ai entendu dire que certains Sang-mêlés veulent prendre des terres à Red River et se joindre aux Indiens ici, mais ils ne peuvent se servir à deux mains. Les Sang-mêlés du Nord-Ouest ne peuvent être parties au traité. Le petit groupe de Sang-mêlés qui vivent comme des Indiens, avec les Indiens, peuvent être considérés comme tels par les commissaires, qui évalueront chaque cas selon les faits qui lui sont propres, à mesure qu’ils se présenteront, et qui feront part de la mesure qu’ils proposent aux conseillers de la Reine pour qu’ils l’approuvent. »

Le traité a ensuite été signé par le lieutenant-gouverneur, l’honorable James McKay, par l’honorable W. J. Christie, par Mis-tow-Asis, Ah-tuck-ah-coop et les autres chefs et conseillers.

On indique, à la page 228 des dossiers de Morris, qu’une rencontre a eu lieu le 28 août 1876, avec les Indiens Willow de Duck Lake, à environ 8 kilomètres de Carlton House. Une fois de plus, on rapporte les propos suivants :

[traduction] Une demande a ensuite été présentée pour que les Sang-mêlés soient visés par le traité, ce à quoi le gouverneur a répondu : « J’ai expliqué aux autres Indiens que les commissaires ne sont pas venus pour les Sang-mêlés : il y avait cependant un certain groupe de Sang-mêlés indiens qui avaient toujours vécu dans le camp avec les Indiens et qui étaient, de fait, des Indiens, ceux-ci vont être reconnus, mais personne d’autre. »

À la page 226, relativement à la réunion mentionnée au paragraphe précédent, le 28 août 1876, on rapporte les propos suivants du gouverneur Morris aux Cris :

[traduction] Un de vous a demandé qu’on lui remette une tunique bleue si on lui reconnaissait la qualité de chef. Je ne sais pas encore qui sont les chefs. Pour être un chef il faut des partisans. Un homme s’est avancé et a dit être un chef, et je lui ai répondu qu’à moins d’avoir vingt tentes vous ne pouvez demeurer chef.

Les trois extraits qui précèdent démontre de manière très convaincante que, s’il y a déjà eu un droit ancestral de décider de l’appartenance à la bande, ce droit a été éteint de manière décisive à l’époque où le traité a été signé, puisqu’il s’agissait d’une condition de sa conclusion. Le gouverneur Morris a de manière indubitable affirmé le pouvoir du gouvernement canadien de décider de l’appartenance aux effectifs des bandes et ce conformément aux dispositions de l’Acte des Sauvages, 1876 et des lois antérieures édictées par le Parlement du Canada. Parmi les autres sources de l’affirmation historique de ce pouvoir de décision, mentionnons la pièce 1(4), pages 36 à 39, et, évidemment, la lecture qu’a fait l’avocat des demandeurs des passages pertinents pour qu’ils soient consignés au dossier et qui figurent dans la transcription des débats, vol. 2, aux pages 81 et 82. Le gouvernement a, de manière non ambiguë, affirmé son pouvoir de décider à l’égard de l’appartenance aux bandes, tant dans les réserves qu’à l’extérieur de celles-ci, dans sa loi et par la voix du commissaire chargé de négocier le traité, Alexander Morris.

En 1875, le révérend George McDougall avait été envoyé auprès des Indiens de la région qui, un an plus tard, allait être visée par le traité, pour leur faire part des principales intentions du gouvernement canadien au cours des négociations qui allaient s’engager en vue de la conclusion du traité. Voici, en partie, le rapport daté du 23 octobre 1875 qu’a transmis le révérend McDougall au gouverneur Morris :

[traduction] Les sujets qui sont généralement discutés aux réunions de leur conseil et qui seront soulevés devant les commissaires sont les suivants, exprimés dans leurs propres mots. « Dites au Grand Chef que nous sommes heureux que les commerçants ne soient plus autorisés à apporter des spiritueux dans notre territoire. Lorsque nous voyons des spiritueux, nous voulons en boire et cela nous détruit, alors que si nous n’en voyons pas, nous n’y pensons même pas. Demandez de notre part qu’on adopte une loi sévère, interdisant l’utilisation sans restriction du poison [la strychnine). L’utilisation de ce poison a pratiquement exterminé les animaux qui se trouvent sur notre territoire et a souvent créé de l’animosité entre nous et nos voisins blancs. Nous demandons également que soit adoptée une loi, qui s’appliquerait également aux Sang-mêlés et aux Indiens et qui punirait quiconque met le feu à nos forêts ou à nos plaines. Il y a quelques années de cela, il s’est produit un incendie de prairie qui, d’après nous, a été causé par la malveillance d’un ennemi et, en conséquence, aujourd’hui tout le monde utilise le feu de manière insouciante, et chaque année un grand nombre d’animaux et d’oiseaux précieux périssent en conséquence. Nous demandons également que l’autorité de nos chefs soit établie par le gouvernement. Au cours des dernières années, pratiquement chaque commerçant établit son propre chef et, en conséquence, nous nous trouvons subdivisé en petits groupes et nos meilleurs hommes ne sont plus respectés. »

Estimant, votre Honneur, que la chose vous serait utile à vous ainsi qu’aux commissaires, j’ai compté le nombre de tentes que j’ai visitées en plus d’inscrire le nom des endroits où j’ai rencontré des Indiens ( … quelque 3 976). [Dossiers de Morris, aux pages 174 et 175; soulignement ajouté.]

De toute évidence, il est impossible de croire qu’un peuple à qui l’on impose des dirigeants fantoches et qui se voit subdiviser « en petits groupes » par suite de l’influence de commerçants est en mesure de décider de l’appartenance à ses effectifs. Il est impossible d’affirmer qu’un peuple qui demandait au gouvernement d’établir ses « chefs » afin que, de par l’intervention de l’État, ses dirigeants politiques et sociaux soient reconnus officiellement et qu’ainsi ce peuple ne soit pas subdivisé contre son gré, au bon plaisir de commerçants cupides, qu’un tel peuple exerce quelque contrôle sur ses effectifs. Si un tel pouvoir de décider constitue véritablement une pratique ancestrale, les Indiens eux-mêmes l’ont abandonnée, sans aucune incitation de la part du gouvernement du Canada, qui a concrètement pris en charge cette responsabilité et a exercé ce pouvoir. Est-ce que, à cette époque, les Indiens en étaient venus à la même conclusion que la Cour aujourd’hui? Ce sont les Indiens qui ont, les premiers, admis la perte (ou l’absence) de ce pouvoir de décision, ce sont eux qui ont demandé au gouvernement de prendre en charge cette responsabilité pour leur compte, dans les traités comme dans les lois.

Selon une prémisse sousjacente, parfois exprimée dans la jurisprudence et par certains activistes cyniques, les « pauvres Indiens » se laissaient facilement duper par les êtres supérieurs qu’étaient les Euro-canadiens, et ils avaient besoin de mesures de protection, mesures applicables non seulement aux Indiens du 19e siècle, mais également à ceux nés au milieu du 20e siècle. La Cour estime que ni les Indiens qui ont conclu ces traités, ni leurs descendants actuels ne sont des êtres inférieurs, notamment sur les plans génétique, social ou intellectuel. La Cour rejette toute proposition—clairement exprimée ou sous-entendue—voulant que les Indiens soient des êtres inférieurs. Voilà pourquoi, la Cour est portée à rejeter l’idée que les Indiens ont, un siècle plus tard, besoin de la protection spéciale de l’État, protection qui semble souvent excessive et avilissante pour les Indiens, si on compare leur situation à celle des autres groupes « visibles » (et pas si « visibles » que cela) qui constituent la population générale du Canada et les contribuables de ce pays. Évidemment, les dossiers de Morris (pages 219 à 228, 270 et 271) indiquent qu’il y a eu des négociations très serrées, des cas où des demandes excessives ont été présentées aux commissaires du gouvernement canadien et auxquelles ceux-ci n’avaient pas le pouvoir d’acquiescer. Il y a même eu au moins un cas où les commissaires ont, en raison de la force de persuasion des Indiens, outrepassé leur pouvoir et admis qu’ils prenaient un risque en espérant que les concessions considérables qu’ils avaient faites seraient par la suite ratifiées par Ottawa. Les tribunaux eux aussi prétendent souvent que les Indiens ne comprenaient pas ce à quoi ils consentaient dans les traités qu’ils négociaient.

Récemment, les tribunaux ont adopté une attitude plus réaliste et moins paternaliste à l’égard des Indiens, en ces temps modernes si différents de la fin du 19e siècle. L’opinion principale à cet égard, semble-t-il, a été formulée par le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, où ce dernier, d’abord à la page 122, signale que tant le juge de première instance que la Cour d’appel et le juge en chef Dickson ont, dans cette affaire, donné de l’alinéa 90(1)b) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6] une :

… interprétation [qui] va non seulement au-delà des termes et des objets clairs de la Loi, mais [qui] fait fi de l’histoire et comporte de graves incidences en matière de politique indienne qui sont néfastes tant à l’égard du gouvernement que des autochtones.

Le passage suivant, qui figure à la page 130, a une certaine pertinence en l’espèce :

D’après le dossier historique, il n’y a aucun doute que les peuples autochtones ont reconnu la souveraineté ultime de la Couronne britannique et ont accepté de céder leurs terres traditionnelles pourvu que la Couronne les protège par la suite dans leur possession et usage des terres qui leur étaient réservées; voir les remarques du professeur Slattery dans son article « Understanding Aboriginal Rights » (1987), 66 R. du B. can. 727, à la p. 753. Les articles de la Loi sur les Indiens relatifs à l’inaliénabilité des terres des Indiens visent à mettre en application cette protection en interposant la Couronne entre les Indiens et les forces du marché qui, en l’absence de contrôle, étaient susceptibles de miner le titre de propriété des Indiens sur ces terres réservées. Dans l’arrêt récent Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, notre Cour fait état de ce point lorsqu’elle souligne, à la p. 677, que le caractère inaliénable a été adopté pour protéger les Indiens contre des transactions irréfléchies.

Les peuples qui sont à un stade d’évolution plus primitif (c’est-à-dire qui vivent de la chasse) que les autres (ceux qui sont rendus à l’ère industrielle ou post-industrielle) ne sont carrément pas des peuples inférieurs. On pourrait comparer leur stade de développement à celui de l’«adolescent » par rapport au stade de développement des « adultes » («non-Indiens »). Cependant, tant la loi que les traités ont empêché les Indiens de « voler de leurs propres ailes », comme peuvent le faire les adolescents non-indiens qui ont depuis toujours conclu des « transactions irréfléchies », jusqu’à ce que la majorité d’entre eux apprennent à s’abstenir de le faire et à se conduire prudemment.

Le juge La Forest poursuit ainsi, à la page 138 :

À la lecture de l’al. 90(1)b), il ne fait aucun doute que cette disposition ne s’appliquerait pas aux biens personnels qu’une bande indienne pourrait acquérir par suite d’un accord commercial ordinaire conclu avec un particulier. Les biens de cette nature ne seront protégés que lorsqu’il sera démontré qu’ils sont situés sur une réserve. Par conséquent, toute opération effectuée sur le marché commercial relativement aux biens acquis de cette façon sera régie par les lois d’application générale. Les Indiens ne profiteront d’aucune exemption de taxe à l’égard de ces biens et seront libres de les aliéner de la même manière que tout autre citoyen. De plus, pourvu que les biens ne soient pas situés sur une réserve, les tiers seront libres de les saisir. J’estime qu’il serait vraiment paradoxal qu’il en soit autrement. Comme le Juge en chef l’a souligné dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36 :

Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d’impôts, que les autres citoyens canadiens.

Plus loin, dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, le juge La Forest affirme, à la page 142, relativement à la négociation des traités, que la Couronne jouissait d’un « pouvoir de négociation supérieur », situation qui ne ressort pas de manière très évidente des dossiers de Morris. Quoi qu’il en soit, malgré cette information possiblement erronée en ce qui concerne le « pouvoir de négociation », le savant juge a par ailleurs rédigé les passages pertinents qui suivent aux pages 142 et 143 :

L’arrêt Nowegijick c. La Reine

Bien que les arguments fondés sur les textes et sur l’histoire que l’on avance pour restreindre le sens de l’expression « Sa Majesté » à l’al. 90(1)b) à la Couronne fédérale me paraissent irréfragables, je reconnais qu’il est nécessaire de se demander si les principes d’interprétation applicables à l’interprétation des lois relatives aux Indiens modifient ce résultat. Ces principes sont évidemment ceux formulés par le Juge en chef dans l’arrêt Norwegijick, précité, à la p. 36.

Je souligne au départ que je ne conteste pas le principe que les traités et les lois visant les Indiens devraient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devrait profiter aux Indiens. Dans le cas des traités, ce principe se justifie par le fait que la Couronne jouissait d’un pouvoir de négociation supérieur au moment de la négociation des traités avec les peuples autochtones. Du point de vue des Indiens, les traités ont été rédigés dans une langue étrangère et faisaient appel à des concepts juridiques d’un système de droit qui leur était inconnu. Dans l’interprétation de ces documents, il est donc tout simplement juste que les tribunaux tentent d’interpréter les diverses dispositions selon ce que les Indiens ont pu en avoir compris.

Mais selon ma conception de l’affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s’appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu’un traité est le produit d’une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l’expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu’il soit particulièrement utile d’essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l’article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d’interprétation libérale. Comme je l’ai déjà dit, il est clair que dans l’interprétation de la Loi sur les Indiens, il convient d’interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d’interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. Donc si la loi porte sur des promesses contenues dans un traité, les tribunaux vont toujours s’efforcer de rejeter une interprétation qui a pour effet de nier les engagements pris par la Couronne; voir l’arrêt United States v. Powers, 305 U.S. 527 (1939), à la p. 533.

En même temps, je n’accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens reviennent à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu’il peut être vraisemblable que les Indiens la préférerait à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

Il est évident que ce n’est pas un état de dépendance perpétuelle accompagné d’une situation d’apartheid, mais plutôt l’égalité et l’autosuffisance (y compris ce qu’on appelle le « filet de sécurité sociale » du Canada, pour ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il deviendra) qui favorisent la dignité humaine et l’égalité de tous les Canadiens. Il est difficile de comprendre pourquoi les tribunaux ont, au cours des dernières années, favorisé cet état de dépendance. Ce qu’on appelle l’« honneur de Sa Majesté » n’est certes rien de plus qu’une membrane sémantique transparente, qui sert à envelopper ensemble la situation d’apartheid que créent les réserves indiennes et l’état de dépendance perpétuelle par rapport aux contribuables canadiens. Cette situation déplorable, même si elle est historiquement authentique, n’appuie d’aucune façon, ainsi qu’il a déjà été démontré en l’espèce, la prétention des demandeurs selon laquelle ils décidaient qui appartenaient aux bandes. Cette situation a plutôt contribué à l’état de pauvreté et de marasme économique dans lequel vivent bon nombre d’Indiens.

Il est malheureux que, dans les dossiers de Morris, on n’aborde pas la question du Traité no 8. Cependant, les demandeurs, dans le volume 1 de leur recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine, ont reproduit, à l’onglet 6, ce qui semble être le chapitre II de l’ouvrage As Long as this Land Shall Last : A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870-1939 par René Fumoleau, McClelland et Stewart, 1973. Voici ce qu’on indique comme étant le sujet de ce chapitre : « Treaty 8, 1897-1900 » aux pages 46 à 48; 50 à 55, 58, 60 à 62. Voici certains passages importants de ce chapitre :

[traduction] La signature du Traité no 8 doit être examinée en corrélation avec les changements politiques et économiques qui façonnaient l’avenir de la jeune nation. La Police à cheval du Nord-Ouest était parvenue à faire régner la loi et l’ordre dans les Prairies, établissant ainsi la souveraineté politique du Canada sur la partie sud du territoire qui était passé sous l’autorité du Dominion en 1870. La région se développait constamment, grâce aux traités conclus avec les Indiens et à l’amélioration des systèmes de transport.

Toutefois, les possibilités qu’offraient les territoires non cédés situés au nord des prairies commencèrent bientôt à attirer les aventuriers et les colons. Entre 1896 et 1898, de telles personnes commencèrent à affluer vers les champs aurifères du Klondike. Cette situation eu des conséquences considérables sur le territoire en question et sur la population autochtone, entraînant l’obligation pour la Police à cheval du Nord-ouest de patrouiller et d’administrer le district Athabasca-Mackenzie et amenant le gouvernement à décider de conclure un traité avec les Indiens …

Cependant, le fait qu’on connaissait peu de chose sur le territoire et ses habitants aurait pour effet d’empêcher le traité d’être avantageux à long terme tant pour le gouvernement que pour les Indiens.

Le Traité no 8 vise un territoire considérable. En effet, il fallu à la Commission du traité deux étés pour recueillir l’adhésion de tous les Indiens concernés. À la même époque, la Commission chargée de négocier avec les Métis réglait les revendications de ceux-ci, divisant ainsi concrètement les peuples autochtones en deux groupes, les Indiens visés par un traité et les Indiens non visés par un traité.

Il est possible que le lecteur soit momentanément dérouté par les contradictions apparentes dans les divers récits des événements concernant la signature du Traité no 8. En effet, les documents qui ont été utilisés afin de reconstituer cette période reflètent les préjugés et les intérêts de leurs auteurs et ils diffèrent nécessairement sur certains faits ou sur l’interprétation de ceux-ci. Cela ne veut pas dire pour autant que ces versions par ailleurs divergentes ne se rejoignent pas dès qu’on cesse de les envisager dans une perspective historique.

Dès le printemps de 1897, la ruée vers l’or était en cours dans le Klondike. Des chercheurs d’or, venus de tous les coins du monde, arrivaient par train entier à Edmonton et à Vancouver. On prédisait que 50 000 personnes emprunteraient la rivière Athabasca et le fleuve Mackenzie pour se rendre dans les champs aurifères, soit un nombre de personnes considérablement supérieur à la population habitant la région. Ce chiffre se révéla considérablement au-deçà de la réalité, mais plusieurs centaines de personnes voyagèrent néanmoins sur ces cours d’eau et elles ne passèrent certes pas inaperçues.

À la fin de 1898, 860 prospecteurs étaient arrivés à Fort Smith. De ce nombre, environ 70 retournèrent à Edmonton ou restèrent dans les environs du Grand lac des Esclaves. Environ 790 atteignirent Fort Simpson. La plupart de ceux-ci passèrent l’hiver près des postes de traite ou dans des cabanes le long du fleuve Mackenzie. À la fin d’août 1899, « 529 mineurs et 186 bateaux étaient passés par Fort Wrigley ».

Bon nombre de personnes arrêtèrent leur course vers le Klondike lorsque se répandit la nouvelle de l’existence riches gisements aurifères à l’extrémité est du Grand lac des Esclaves …

Il ressort de tous les documents écrits de l’époque que l’accroissement de l’activité minière sur les berges du Grand lac des Esclaves se révéla une des raisons importantes de l’inclusion de cette région dans le territoire visé par le Traité no 8. Le père Breynat nota ce qui suit dans son journal en 1899 :

[traduction] Inquiet d’apprendre que de riches mines d’or avaient été découvertes près du Grand lac des Esclaves et désireux de s’assurer le droit à la majeure partie du butin, le gouvernement s’empressa prudemment d’envoyer une commission chargée de négocier un traité avec les Indiens et d’obtenir de ceux-ci la cession complète de leurs droits fonciers en contrepartie d’un loyer annuel à perpétuité et d’autres présents.

«Butin » était probablement le mot qu’il fallait utiliser, compte tenu des récriminations qu’avaient les Indiens contre les prospecteurs. Charles Mair, membre de la Commission qui avait été chargée de négocier avec les Métis en 1899, fit un lien entre ce problème social et la décision du gouvernement de conclure un traité :

[traduction] Les chercheurs d’or envahirent les régions sauvages de l’Athabasca sans la moindre hésitation, sans même demander la « permission » des autochtones. Comme il fallait s’y attendre, certains de ces maraudeurs firent montre d’un mépris viscéral à l’égard des droits des Indiens, abattant leurs chevaux, tuant leurs chiens et brisant leurs pièges à ours. Cette situation provoqua un tollé qui aurait inévitablement entraîné des représailles et l’effusion de sang si le gouvernement n’était pas intervenu pour prévenir tout trouble ultérieur en reconnaissant promptement le titre des autochtones sur le territoire … Les Indiens éprouvaient une grande méfiance à l’égard des chercheurs d’or, les méfaits susmentionnés laissaient deviner, à la manière du fétus de paille qui, emporté par le vent, indique dans quelle direction souffle celui-ci, la tournure qu’auraient immanquablement pris les événements si on avait tardé à signer des traités.

En plus de l’extinction du titre des Indiens sur le territoire en question, le gouvernement désirait exercer un contrôle plus serré sur les Indiens et les Blancs qui s’y trouvaient, de façon à assurer la colonisation et la mise en valeur paisibles du territoire et à favoriser la coexistence harmonieuse des Indiens et des Blancs. Dans le Nord, comme partout ailleurs, ce sont des considérations d’ordre économique qui guidaient d’abord et avant tout l’établissement de la politique concernant les Indiens.

Les historiens modernes s’entendent sur les motifs qui ont amené la négociation du Traité no 8 :

«On parlait du projet de pousser le chemin de fer d’Edmonton vers la rivière Nelson ou des Liards et de là vers le Yukon. Tout cela obligeait le gouvernement à établir un système quelconque d’administration. C’est pourquoi il s’était décidé à traiter avec les Indiens du Nord, comme il avait fait avec ceux des prairies. » L’évêque Grouard, Soixante ans d’apostolat, p. 358.

[traduction] « Comme la découverte de minéraux risquait à tout moment de déclencher l’afflux à cet endroit de nouveaux colons qui s’y établiraient de façon plus permanente, il devint nécessaire pour le gouvernement d’exercer une certaine autorité sur les Cris, les Chipewyans et les Castors dans la région de la rivière Athabasca et de la rivière de la Paix. On décida donc de dépêcher un groupe de commissaires chargés de conclure pour le gouvernement un traité avec ces tribus. »—K. Hughes, Father Lacombe, The Black Robe Voyageur, 1911, p. 377.

[traduction] « Ce n’est pas tant pour maintenir l’ordre que pour les [Indiens] protéger contre les Blancs qui, maintenant que la colonisation au Sud battait son plein, ne manqueraient pas d’envahir leur domaine, que ce traité [le Traité no 8] a été conclu. »—Sir C.E. Denny, The Law Marches West, 1931, p. 300.

«Des foules immenses de chercheurs d’or se portaient alors (1898) vers ce nouveau pays de cocagne. Pour prévenir tout sujet de dispute entre ces étrangers et les tribus indiennes dont ils traversaient les forêts, une commission, avec le P. Lacombe comme conseiller, fut envoyée dans le Grand-Nord au cours de 1899.—A.G. Morice, O.M.I. Histoire Abrégée de l’Ouest Canadien, 1914, p. 130.

[traduction] « Réagissant d’abord à la venue des prospecteurs et des colons durant et après la ruée vers l’or au Klondike, le ministère [des Affaires des Sauvages] prit des dispositions afin de conclure un traité avec les Indiens habitant les districts d’Athabasca et de la rivière de la Paix, au nord de la région visée par le Traité no 6 et au sud du Grand lac des Esclaves. »—M. Zaslow, The Opening of the Canadian North, 1971, p. 224 et 225.)

Le 4 janvier 1897, une patrouille de la Police à cheval du Nord-Ouest quittait, en attelage à chiens, le quartier général divisionnaire de Fort Saskatchewan, en Alberta. Il s’agissait de la première patrouille annuelle qui pénétrerait dans la région de la rivière de la Paix et au nord de celle-ci. Dirigée par l’inspecteur Arthur Murray Jarvis, cette première patrouille atteignit Fort Resolution le 13 février et elle revint à Fort Saskatchewan le 14 avril, après avoir parcouru plus de 2 000 milles. Apparemment, la patrouille se trouvait dans le district d’Athabasca (afin d’enquêter sur diverses questions telles que les incendies à répétition qui s’y produisaient, le trafic des boissons enivrantes et l’utilisation généralisée du poison que faisaient, prétendait-on, les trappeurs blancs dans cette région ». Comme les membres de la patrouille étaient les premiers représentants officiels du gouvernement à se rendre dans le Nord, à l’exception des arpenteurs fédéraux qui avaient parcouru cette région depuis 1882, la patrouille servirait également à assurer la souveraineté du Canada sur ce vaste territoire …

Ces rapports constituent les plus anciens comptes rendus, et par surcroît les seuls comptes rendus officiels de ce qui se passait dans les districts du Nord. Ces rapports ont une valeur inestimable pour l’évaluation des conditions qui ont influé sur la signature du Traité no 8. En effet, on y décrit le mode de vie des Indiens, leurs récriminations à l’égard du nombre sans cesse croissant de commerçants, de trappeurs et de prospecteurs qui envahissaient leurs territoires de chasse ancestraux, ainsi que leurs réactions lorsque, pour la première fois, ils vinrent en contact avec ceux chargés de faire appliquer les lois canadiennes.

Les deux patrouilles suivantes furent dirigées par l’inspecteur W. R. Routledge. Au cours de l’hiver 1897 et 1898, ce dernier se rendit jusqu’à Fort Simpson, parcourant 2 172 milles en 80 jours. L’hiver suivant, la patrouille se rendit aussi loin que Fort Resolution, traversant, à son retour, le territoire de la rivière de la Paix qui devait éventuellement être visé par le Traité no 8. Tout au long de leurs déplacements, les patrouilles étaient attentives à toute preuve de violation des lois concernant le gibier, les incendies, les boissons enivrantes et l’utilisation du poison, et elles consignaient fidèlement le détail de toutes les irrégularités observées.

Même si les quantités en cause étaient relativement minimes, le trafic illicite des boissons enivrantes dans le Nord fut l’une des premières activités auxquelles s’attachèrent les forces policières durant les patrouilles.

Routledge signala que le trafic des boissons enivrantes « était le fait uniquement de la classe inférieure des chasseurs blancs et des Sang-mêlés travaillant sur la rivière ». Pendant la période au cours de laquelle circulèrent les patrouilles, les dispositions de l’Acte des territoires du Nord-Ouest interdisant le commerce des boissons enivrantes furent appliquées de manière rigoureuse, par exemple, « Thomas McClelland [faisait] le commerce des boissons enivrantes, causant ainsi l’intempérance dans les camps indiens. Je l’ai jugé, déclaré coupable et condamné à 300 $ d’amende et aux dépens. »

Avant l’arrivée des chasseurs et trappeurs blancs dans les districts d’Athabasca et de MacKenzie, les Indiens ne savaient pas que l’on pouvait utiliser du poison pour tuer des animaux à fourrure.

Tout le long de son trajet, l’inspecteur Jarvis découvrit des éléments de preuve indiquant que l’on utilisait du poison.

Quelques Blancs et Sang-mêlés furent traduits devant les tribunaux par Jarvis, déclarés coupables d’avoir utilisé du poison et condamnés à des amendes de 25 ou 50 $. Il n’est donc pas étonnant que « les Indiens étaient très heureux et des visites effectuées par les policiers et des mesures prises par ceux-ci en vue d’éliminer l’utilisation du poison ». Dans son rapport pour 1898, l’inspecteur Routledge a indiqué que « l’utilisation du poison dans la région du Nord semble à toute fin pratique être une chose du passé ». Les trappeurs blancs étaient « les plus grands responsables de cette pratique », et le départ de certains d’entre eux pour les champs aurifères du Klondike eut pour effet de réduire l’utilisation du poison. Cependant, cette méthode de piégeage continua d’être utilisée à l’occasion, et elle donna lieu à des plaintes de la part des Indiens jusque vers la fin des années 30.

Compte tenu de la misère et de la famine qui affligeaient fréquemment les Indiens, l’intérêt que montrait le gouvernement à protéger le gibier semblait inopportun. Constant H. Giroux, O.M.I., missionnaire catholique à Arctic Red River, écrivit à l’inspecteur Jarvis, le 1er juillet 1897, et fit ressortir le contraste entre la rapidité avec laquelle le gouvernement agissait afin de protéger des animaux précieux et le peu de cas qu’il faisait manifestement de la situation des Indiens. « Par la même occasion, je vous exhorte d’inciter ce gouvernement à faire montre d’autant de zèle à protéger la vie des êtres humains qui habitent ce territoire. » Les patrouilles policières qui visitèrent ce territoire en 1897, 1898 et 1899 observèrent ces conditions et les consignèrent dans leurs rapports :

Avec la présence de la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest, le gouvernement ne semblait plus une présence aussi lointaine et l’aide aussi éloignée. Grâce aux patrouilles annuelles, la Gendarmerie avait gagné le respect des gens, leur donnant une impression de protection contre les intrus et de sécurité au cours des périodes agitées. Certaines personnes, à Fort Chipewyan, croyaient fermement que leurs ancêtres avaient signé le Traité no 8 parce qu’on leur avait dit que « la Reine ne laisserait jamais ses enfants mourir de faim ». Cela pourrait bien être vrai.

Quelle offre devait être faite aux Métis du district d’Athabasca-MacKenzie? Il était de toute première importance que l’«on obtienne qu’ils acceptent de renoncer à leur titre ancestral. » Enfin, on a jugé qu’il était davantage dans l’intérêt du public de conclure des traités avec les Métis plutôt que de leur délivrer des certificats, et que cette solution était par ailleurs plus propice à assurer le bien-être de ceux-ci. Les Métis qui le souhaitaient seraient ainsi autorisés à conclure des traités, dans les cas où les commissaires jugeraient que les Métis en question seraient considérés comme des Indiens. Ceux qui ne voudraient pas conclure de traités ou ne seraient pas autorisés à le faire recevraient un certificat leur donnant le droit soit de toucher 240 $ soit de recevoir 240 acres de terre.

Il convient de signaler ici deux facteurs qui ont pu influer sur le moment de la conclusion du Traité no 8 ainsi que sur le territoire visé par celui-ci. Il est fort possible que l’agitation observée chez les Métis du Petit lac des Esclaves et de la rivière de la Paix qui réclamaient que l’on reconnaisse leurs revendications territoriales ait eu pour effet d’accélérer les plans en ce qui concerne la négociation d’un traité, étant donné que, traditionnellement, jamais il n’y avait eu de règlement des revendications des Métis avant la conclusion d’un traité avec les Indiens.

Cette thèse est autant plus crédible si on compare cette situation avec celle qui existait au Yukon où, à l’époque de la signature du Traité no 8, les conditions politiques, économiques et sociales étaient analogues à celles de la région d’Athabasca-Mackenzie, sauf pour le fait qu’on n’y trouvait aucune population métis devant être pacifiée.

Dans la même veine, il est bien possible que le rôle joué par un influent politicien d’Edmonton, Frank Oliver, ait constitué un facteur déterminant dans la délimitation du territoire visé. En effet, il était certain que Oliver, qui encourageait l’établissement d’une route trans-canadienne en direction du Klondike, avec Edmonton comme porte d’entrée, ne manquerait pas d’attirer l’attention d’Ottawa sur le nord de l’Alberta.

[Commissaire chargé de la négociation du traité, James A.J.] McKenna a fait part de ses vues sur le système d’établissement de réserves dans une lettre datée du 17 avril 1899 et adressée à Sifton :

… il faudrait peut-être donner aux commissaires plus de pouvoirs. Nous ne pouvons guère nous fonder sur l’expérience passée pour négocier avec les Indiens auxquels nous avons maintenant affaire. Quand le gouvernement négociait l’abandon du titre des Indiens sur les terres des territoires organisés, il s’adressait à des nations indiennes qui possédaient des organisations tribales distinctes. L’idée de collectivité était forte chez eux et rendait nécessaire la création de réserves pour que les Indiens y poursuivent leur vie communautaire jusqu’à ce qu’ils puissent en être détournés progressivement.

Toutefois, la meilleure chose que l’on puisse dire à propos du régime des réserves est qu’il a permis au gouvernement de contrôler et de nourrir plus facilement les Indiens dans une région où il était nécessaire de le faire. L’expérience n’appuie pas l’opinion selon laquelle ce régime favorise l’épanouissement des Indiens …

D’après ce que j’ai pu apprendre au sujet du Nord, il semble que les Indiens qui y vivent agissent davantage à titre individuel qu’en tant que nation et qu’ils possèdent très peu d’organisation tribale. Ils vivent de chasse et d’efforts individuels, à peu près comme les Métis. Ils sont contre l’idée de vivre dans des réserves; et comme il est impossible que ce pays devienne jamais fortement colonisé, on peut se demander s’il serait de bonne politique de suggérer même de les grouper dans l’avenir. L’idée de réserve est incompatible avec la vie de chasseur et ne peut s’appliquer que dans un pays agricole. En ce qui concerne les réserves, les Indiens ne demanderont vraisemblablement tout au plus que certains petits postes de pêche à certains endroits …

Sifton a, le 12 mai 1899, donné aux commissaires chargés de négocier le traité leurs dernières instructions sur cette question. Les Indiens pouvaient soit choisir des réserves pour leurs bandes soit des propriétés « individuelles ». En conséquence, chaque famille indienne pouvait avoir sa propre petite réserve, distincte de celle des autres familles ou bandes.

Il s’agit d’une histoire longue et complexe. Bon nombre d’Indiens bien connus et dont il a été fait état dans la preuve présentée au cours de la présente action ont participé aux négociations, notamment le chef Keenooshayo et le conseiller Moostoos. Le père Albert Lacombe, prêtre célèbre, a également joué un rôle important. À cette occasion, toutefois, l’honorable David Laird n’a pas fait montre de la même habilité et de la même patience qu’au cours des négociations précédentes. Ce traité a donné lieu à des négociations serrées. En effet, il semble que les Indiens comprenaient très bien ce qui était leur meilleur intérêt et que les commissaires étaient très mal renseignés et très maladroits. L’affidavit de James K. Cornwall (Peace River Jim) (page 74) a été préparé afin qu’il y consigne son souvenir de ces négociations. Il a indiqué, au paragraphe 3 de l’affidavit, que Moostoos avait fait preuve de beaucoup de persuasion afin de convaincre les commissaires que la solution qui convenait aux Indiens des plaines ne convenait pas aux Indiens des bois. Les Indiens refusèrent de signer le projet de traité que leur avait lu Laird.

Des promesses ont été faites et, allègue-t-on, des promesses n’ont pas été tenues. On affirme que la réglementation de la chasse et de la pêche par le gouvernement n’était pas un des éléments du traité qui a ultimement été signé, mais que cet aspect a été inséré à la version imprimée qui a par la suite été distribuée.

Le résumé du chapitre, à la page 100 relate de façon concise l’historique par ailleurs long et complexe de ces événements turbulents :

[traduction] L’empressement qu’a mis le commissaire chargé de négocier le traité à recueillir les signatures des Indiens sur le document enlève toute illusion que le traité était un contrat signé par des partenaires égaux. On ne sait pas encore comment qualifier ce document, mais il n’en demeure pas moins que les représentants gouvernementaux qui ont, à Ottawa, rédigé les conditions du traité savaient peu de choses des Indiens du Nord-Ouest ou de leur mode de vie. Compte tenu des privations extrêmes qu’avaient connues les Indiens pendant de nombreux hivers, il n’est pas étonnant que la perspective d’obtenir de l’argent et des approvisionnements s’est révélée un facteur décisif dans leur décision d’accepter le traité. Les commissaires pouvaient, dans une certaine mesure, être contents d’eux-mêmes puisqu’ils étaient parvenus à vaincre la résistance des Indiens et à écarter la méfiance qu’ils avaient rencontrée. Les commissaires ont effectivement pu rapporter ce qui suit à Ottawa :

… il a été possible de faire disparaître les quelques petits malentendus qui étaient survenus dans l’esprit des plus intelligents, et l’on a fait tous les efforts pour fournir toutes les explications de nature à prévenir toute possibilité de malentendu.

Il ne fait aucun doute que l’appui des missionnaires et la présence de la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest a encouragé les Indiens à faire confiance aux représentants du gouvernement. Le traité a été considéré par les Indiens comme un pacte d’amitié, qui permettrait la colonisation pacifique du territoire. La cession des terres ou la renonciation à leur titre n’étaient pas des questions qui les préoccupaient. Cependant, ils voulaient néanmoins obtenir certaines garanties fondamentales du gouvernement : la liberté de chasser, de piéger, de chasser et de se déplacer librement. Lorsqu’on leur a promis que cette liberté serait protégée, les Indiens acceptèrent l’aide du gouvernement, convaincus que leur subsistance et celle de leurs enfants ne seraient pas menacées. Essentiellement, les négociations ayant abouti au traité ont été caractérisées par des promesses faciles et des réponses teintées d’opportunisme.

Le bien-fondé de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le traité a été conclu par les partenaires inégaux devient beaucoup moins certain à la lumière du récit qu’il fait lui-même des faits pertinents dans le chapitre II susmentionné. Dans bon nombre de négociations, sinon dans tous les cas, des partenaires égaux n’obtiennent pas tout ce qu’ils veulent. Ce que les Indiens comprenaient, c’est qu’ils tireraient des avantages considérables du Traité no 8. Ne pas avoir conclu de traité aurait menacé considérablement leur survie. Le recul du temps permet toujours d’avoir une vision parfaite des événements, mais même le recul du temps ne peut réduire la valeur de la contrepartie évidente qui découlait intrinsèquement du Traité no 8.

Le texte des traités

Les trois traités qui nous intéressent en l’espèce (les pièces 126, 127 et 128 : qui se trouvent également dans les recueils de textes de loi, jurisprudence et doctrine des parties) reposent sur l’utilisation et l’occupation des terres de l’Ouest du Canada. Évidemment, certains aspects de ces traités ont par la suite été élucidés dans la jurisprudence, plus particulièrement en ce qui concerne la chasse, la pêche et le piégeage. Ces aspects nous intéressent peu dans le présent cas. Il convient de rappeler que tous ces traités s’appliquent en corrélation avec le texte pertinent de l’Acte des Sauvages.

Ces traités sont trop volumineux pour qu’on les reproduise ici au complet, mais nous en examinerons certains passages. Comme chacun de ces traités comporte un préambule analogue, les plus larges extraits sont tirés du Traité no 6 et servent d’illustrations générales :

Traité no 6

Articles d’un traité fait et conclu près de Carlton, le vingt-troisième jour d’août, et le vingt-huitième jour du même mois, respectivement, et près du fort Pitt le neuvième jour de septembre … [1876], entre Sa Très Gracieuse Majesté la Reine … , par ses Commissaires, l’honorable Alexander Morris, lieutenant-gouverneur de la province de Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, et l’honorable James Christie, d’une part, et les tribus des Cris des Plaines et des Bois, et les autres tribus de Sauvages, habitants du pays, dans l’étendue des limites ci-après définies et décrites, par leurs chefs, choisis et nommés, tel que ci-après mentionné, d’autre part.

CONSIDÉRANT que les Sauvages, habitant le dit pays se sont, conformément à un rendez-vous indiqué par les dits Commissaires, rendus à des conférences au Fort Carlton, au Fort Pitt et à la rivière à la Bataille, pour délibérer sur certaines affaires qui intéressent Sa Très Gracieuse Majesté, d’une part, et les dits Sauvages de l’autre;

Et considérant que les dits Sauvages ont été notifiés et informés par les dits commissaires de Sa Majesté que c’est le désir de Sa Majesté d’ouvrir à la colonisation, à l’immigration et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables, une étendue de pays, bornée et décrite, tel que ci-après mentionné, et d’obtenir à cet égard le consentement de ses sujets Sauvages habitant le dit pays, et de faire un Traité et de s’arranger avec eux, de manière que la paix et la bonne harmonie puissent exister entre eux et Sa Majesté, et qu’ils puissent connaître et savoir avec certitude quels octrois ils peuvent espérer et recevoir de la générosité et de la bienveillance de Sa Majesté;

Et considérant que les Sauvages de la dite étendue de pays, se sont dûment réunis en conseil comme ci-dessus, et qu’étant requis par les Commissaires de Sa Majesté de nommer certains chefs et hommes marquants, qui seraient autorisés en leur nom, à conduire ces négociations et à signer un traité d’après elles, et à devenir responsables envers Sa Majesté du fidèle accomplissement de la part de ces bandes des obligations qu’elles contracteront, les dits Sauvages ont, en conséquence, nommé à cette fin, à savoir : comme représentant les Sauvages qui ont fait le traité à Carlton, les divers chefs et conseillers qui y ont apposé leurs signatures, et comme représentant les Sauvages qui ont fait le traité au Fort Pitt, les divers chefs et conseillers qui y ont aussi apposé leur nom;

Et là-dessus, en plein conseil, les différentes bandes ayant présenté leurs chefs aux dits Commissaires comme les chefs et les hommes marquants, pour les fins susdites, des bandes respectives des Sauvages habitant le district ci-après décrit;

Et considérant que les dits Commissaires ont alors et là reçu et reconnu les personnes ainsi présentées comme les chefs et les hommes marquants, pour les fins susdites, des bandes respectives des Sauvages habitant le dit district ci-après décrit;

Et considérant que les dits Commissaires ont procédé à négocier un traité avec les dits Sauvages, et que ce traité a été finalement accepté et conclu comme suit, savoir :

Les tribus des Sauvages Cris des Plaines et des Bois, et tous les autres Sauvages habitant le district ci-après décrit et défini, par le présent cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté la Reine et Ses Successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques, qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes, savoir :

Et aussi tous les droits, titres et privilèges quelconques qu’ils peuvent avoir à toutes autres terres, partout où elles se trouveront, dans les Territoires du Nord-Ouest, ou dans toute autre province ou partie des possessions de Sa Majesté, sises et situées dans les limites [sic] du Canada;

L’étendue de pays comprise dans les lignes ci-dessus tracées, embrassant une superficie de cent vingt et un mille carrés, plus ou moins;

Pour par Sa Majesté la Reine et Ses Successeurs avoir et posséder la dite étendue de pays à toujours;

Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, tout en ayant égard aux terres présentement cultivées par les dits Sauvages, et d’autres réserves pour l’avantage des dits Sauvages, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la Puissance du Canada, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, en la manière suivante, savoir :

Que le surintendant en chef des Affaires des Sauvages devra députer en [sic] envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande, après s’être consulté avec les Sauvages de telle bande quant au site que l’on pourra trouver le plus convenables par eux.

Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu’elle trouvera convenable, et aussi que les dites réserves de terre ou tout droit en icelles pourront être vendues et adjugées par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage des dits Sauvages, qui y auront droit, après qu’on aura au préalable obtenu leur consentement; et dans le but de faire voir la satisfaction que Sa Majesté éprouve à la vue du comportement et de la bonne conduite de ses Sauvages, elle leur accorde par le présent, en agissant par l’intermédiaire de ses commissaires, un présent de douze piastres pour chaque homme, femme et enfant appartenant aux bandes ici représentées, en satisfaction de toutes réclamations ci-devant existantes;

Et en outre, Sa Majesté s’engage de maintenir des écoles …

Sa Majesté, en outre, convient avec les dits Sauvages que dans l’étendue des limites des réserves des Sauvages, jusqu’à ce qu’il en ait été décidé autrement par son gouvernement de la Puissance du Canada, on ne permettra pas l’introduction ni la vente d’aucune boisson enivrante, et toutes les lois, maintenant en force ou qui pourront le devenir plus tard pour préserver ses sujets sauvages, demeurant sur les réserves ou ailleurs dans les limites des territoires du Nord-Ouest, des effets pernicieux provenant de l’usage des liqueurs enivrantes, seront observées rigoureusement;

Sa Majesté, en outre, convient avec les dits Sauvages qu’ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse et de la pêche dans l’étendue de pays cédée, tel que ci-dessus décrite, sujets à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par son gouvernement de la Puissance du Canada, et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissement, de mine, de commerce de bois ou autres par son dit gouvernement de la Puissance du Canada, ou par aucun de ses sujets y demeurant, et qui seront dûment autorisés à cet effet par le dit gouvernement.

Il est de plus convenu entre Sa Majesté et les dits Sauvages que telles parties des réserves ci-dessus indiquées qui pourront de temps à autre être requises pour des travaux ou des édifices publics de quelque nature que ce soit, pourront être prises dans ce but par le gouvernement de Sa Majesté de la Puissance du Canada, et il sera accordé une indemnité convenable en compensation des améliorations qui y auront été faites;

Et, en outre, que les commissaires de Sa Majesté devront, aussitôt que possible après l’exécution de ce traité, faire prendre un recensement exact de tous les Sauvages habitant l’étendue de pays ci-dessus décrite, en les rangeant par familles, et ils devront, chaque année après la date de ce recensement, à une certaine époque de l’année, dont on donnera dûment avis aux Sauvages, et dans un endroit ou des endroits désignés à cet effet, dans l’étendue des limites des territoires cédés, payer à chaque personne Sauvage la somme de cinq piastres par tête annuellement;

[Clauses concernant l’agriculture et l’élevage.]

Il est, en outre, convenu entre Sa Majesté et les dits Sauvages que tout chef, dûment reconnu comme tel, devra recevoir un traitement annuel de vingt-cinq piastres par année; et tout officier subalterne, n’excédant pas le nombre de quatre pour chaque bande, devra recevoir quinze piastres par année; et tout tel chef et officier subalterne comme susdit devra également recevoir, une fois tous les trois ans, un habillement complet convenable …

[Secours contre la peste et la famine.]

[Médicaments]

Et les chefs soussignés, en leur nom et au nom de tous les autres Sauvages habitant l’étendue du pays présentement cédé, déclarent solennellement par les présentes qu’ils s’engagent et promettent d’observer strictement ce traité, et aussi de se conduire et comporter comme de bons et loyaux sujets de Sa Majesté la Reine.

Ils promettent et s’engagent que sous tous les rapports ils subiront et se conformeront à la loi, et qu’ils maintiendront la paix et la bonne harmonie entre eux, et aussi entre eux et les autres tribus de Sauvages, ainsi qu’entre eux-mêmes et les autres sujets de Sa Majesté, qu’ils soient Sauvages ou blancs, habitant maintenant ou devant habiter par la suite quelque partie de la dite étendue de pays cédée, et qu’ils ne molesteront pas la personne ou la propriété d’aucun habitant de telle étendue du dit pays cédé, ni la propriété de Sa Majesté la Reine, et qu’ils n’inquièteront pas ni ne troubleront aucune personne passant ou voyageant dans la dite étendue de pays ou aucune partie d’icelle, et qu’ils aideront et assisteront les officiers de Sa Majesté à amener à justice et à châtiment tout Sauvage contrevenant aux dispositions de ce traité ou enfreignant les lois en force dans ce pays ainsi cédé.

L’examen du texte de ce traité, en corrélation avec l’Acte et les négociations, ne révèle pas l’existence, en faveur des Indiens, de quelque droit qui leur aurait été accordé par le traité et qui les aurait autorisés à décider de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes ou réserves. C’est ce que comprenaient les Indiens.

Traité no 7

Articles d’un traité fait et conclu, le vingt-deuxième jour de septembre … [1877] entre Sa Très Gracieuse Majesté la Reine … , par ses Commissaires, l’honorable David Laird, lieutenant-gouverneur et surintendant des Sauvages des Territoires du Nord-Ouest, et James Farquharson MacLeod, C.M.G. commissaire de la police à cheval du Nord-Ouest, d’une part, et les tribus des Pieds-Noirs, des Gens du Sang, des Piégânes, des Sarcis, des Stony, et des autres tribus de Sauvages, habitants du pays situé au nord de la ligne frontière des États-Unis et à l’est de la chaîne centrale des Montagnes-Rocheuses, et au sud et à l’ouest des traités Nos. 4 et 6 et par leurs chefs, sous-chefs ou conseillers, choisis tel que ci-après mentionné d’autre part.

CONSIDÉRANT …

Et considérant que les dits Sauvages ont été notifiés et informés par les dits commissaires de Sa Majesté que c’est le désir de Sa Majesté d’ouvrir à la colonisation, et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables, une étendue de pays, bornée et décrite, tel que ci-après mentionné, et d’obtenir à cet égard le consentement de ses sujets Sauvages habitant le dit pays, et de faire un Traité et de s’arranger avec eux, de manière que la paix et la bonne harmonie puissent exister entre eux et Sa Majesté et entre eux et les autres sujets de Sa Majesté, et qu’ils puissent connaître à savoir avec certitude quels octrois ils peuvent espérer et recevoir de la générosité et de la bienveillance de Sa Majesté;

Et Sa Majesté la Reine, convient avec les dits Sauvages qu’ils auront le droit de s’avérer [sic] à leurs occupations ordinaires de la chasse dans l’étendue de pays cédée, tel que ci-dessus décrite, sujet à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par son gouvernement du Canada agissant au nom de Sa Majesté; et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissement, de mine, de commerce de bois ou autres par son dit gouvernement du Canada, ou par chacun de ses sujets y demeurant, et qui seront dûment autorisés à cet effet par le dit gouvernement;

Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, et les dites réserves seront placées aux endroits suivants, savoir :—

Premièrement.—Les réserves des Pieds-Noirs, des Gens du Sang, et des Sarcis se composeront …

Deuxièmement—Que la réserve de la bande de Sauvages Piégânes sera sur la rivière du Vieux, à un endroit appelé « Ruisseau du Corbeau », au pied des collines du Porc-Epic.

Troisièmement—La réserve de la bande de Sauvages Stony sera dans le voisinage de Morleyville.

En considération du plaisir causé à Sa Majesté par la bonne conduite récente de les [sic] dits Sauvages, et en compensation de toutes les réclamations antérieures. Elle s’engage, par ses commissaires à leur faire présent d’un paiement de douze dollars en argent à chaque homme, femme et enfant des familles ici présentes.

[Paiements perpétuels]

Il est en outre convenu entre Sa Majesté et les dits Sauvages que la somme de deux mille dollars sera accordée chaque année subséquente pour l’achat de munitions devant être distribuées parmi les dits Sauvages; pourvu toutefois, que si à une époque ultérieure les munitions devenaient comparativement inutiles aux dits Sauvages, son gouvernement, du consentement des dits Sauvages ou d’aucune des bandes, dépasserait [sic][4] la proportion due à chaque bande à une autre fin et à leur avantage.

Il est en outre convenu que Sa Majesté donnera à chaque chef et sous-chef et à chaque chef et conseiller dûment reconnu comme tel, une fois tous les trois ans pendant la durée de leurs fonctions, un habillement complet convenable, et à chaque chef et conseiller des Stony, en reconnaissance de la signature du traité, un pavillon et une médaille convenables, et l’année prochaine ou aussitôt que la chose pourra avoir lieu commodément, chaque chef et sous-chef et chef des Stony recevra une carabine Winchester.

[Paiements pour le bétail et l’agriculture.]

[Promesses des Indiens d’être des loyaux sujets de Sa Majesté, d’observer les lois du Canada et de ne molester personne.]

L’examen du texte de ce traité, en corrélation avec l’Acte et les négociations, ne révèle pas l’existence, en faveur des Indiens, de quelque droit qui leur aurait été accordé par le traité et qui les aurait autorisés à décider de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes ou de leurs réserves. C’est ce que comprenaient les Indiens.

Traité no 8

Articles d’un traité fait et conclu aux différentes dates y mentionnées, [1899], entre Sa Très Gracieuse Majesté … , par ses commissaires l’honorable David Laird, de Winnipeg, Manitoba, Commissaire des Sauvages de la dite province et des Territoires du Nord-Ouest, James Andrew Joseph McKenna, d’Ottawa, Ontario, écuyer, et l’honorable James Hamilton Ross, de Régina, dans les Territoires du Nord-Ouest, d’une part; et les sauvages Cris, Castors, Chipewyans et autres, habitant les territoires compris dans les limites ci-après définies et décrites, par leurs chefs et conseillers soussignés, d’autre part :

Considérant que les sauvages habitant le pays ci-après décrit se sont conformément à un avis donné par l’honorable Surintendant général des Affaires des Sauvages en l’année 1898, réunis en conférence pour rencontrer une commission représentant le gouvernement de Sa Majesté pour le Dominion du Canada, à certains endroits dans les dits territoires dans cette présente année 1899, pour délibérer sur certaines affaires qu’intéressent Sa Très Gracieuse Majesté, d’une part, et les dits sauvages, d’autre part;

Et considérant que les dits sauvages ont été notifiés et informés par les dits commissaires de Sa Majesté que c’est le désir de Sa Majesté d’ouvrir à la colonisation, à l’immigration, au commerce, aux opérations minières et forestières et à telles autres fins que Sa Majesté pourra trouver convenables, une étendue de pays, bornée et décrite, tel que ci-après mentionné, et d’obtenir à cet égard le consentement de ses sujets sauvages habitant le dit pays, et de faire un Traité et de s’arranger avec eux de manière que la paix et la bonne harmonie puissent exister entre eux et les autres sujets de Sa Majesté, et qu’ils puissent connaître et savoir avec certitude quels octrois ils peuvent espérer et recevoir de la générosité et de la bienveillance de Sa Majesté;

Et considérant que les dits Commissaires ont procédé à négocier un traité avec les Cris, les Castors, les Chipewyans et les autres sauvages habitant le district ci-après défini et décrit, et que ce traité a été finalement accepté et conclu par les bandes respectives aux dates ci-dessous mentionnées, les dits sauvages par le présent cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour

Sa Majesté la Reine et ses successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes, savoir :

Et aussi tous leurs droits, titres et privilèges quelconques à toutes autres terres situées dans les Territoires du Nord-Ouest, la Colombie-Britannique ou dans toute autre partie du Canada.

Pour, Sa Majesté la Reine et ses successeurs, avoir et posséder le dit pays à toujours.

Et Sa Majesté la Reine convient par les présentes avec les dits sauvages qu’ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l’étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.

Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s’oblige de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n’excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites; et pour les familles ou les sauvages particuliers qui préfèreront vivre séparément des réserves des bandes, Sa Majesté s’engage de fournir une telle en particulier de 160 acres à chaque sauvage, la terre devant être cédée avec une restriction quant à l’inaliénation sans le consentement du Gouverneur général du Canada en conseil, le choix de ces réserves et terres en particulier devant se faire de la manière suivante, savoir : le Surintendant général des Affaires des Sauvages devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner ces réserves et terres après s’être consulté avec les sauvages intéressés quant à la localité que l’on pourra trouver convenable et disponible pour le choix.

Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu’elle trouvera convenable, et aussi que les dites réserves de terre ou tout droit sur ces terres pourront être vendus et adjugés par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage des dits sauvages qui y auront droit, après qu’on aura au préalable obtenu leur consentement.

Et en considération du plaisir causé à Sa Majesté par la bonne conduite de ses sauvages, et en compensation de toutes les réclamations antérieures, Elle s’engage, par ses commissaires, de faire à chaque chef un présent de trente-deux dollars en argent, à chaque conseiller un présent de vingt-deux dollars, et à chaque autre sauvage, de tout âge, des familles représentées à l’époque et au lieu des paiements, un présent de douze dollars.

[Paiements perpétuels]

[Maîtres d’école]

[Instruments aratoires et bétail]

[Promesses des Indiens d’être des loyaux sujets de Sa Majesté, d’obéir aux lois du Canada et de ne molester personne.]

L’examen du texte de ce traité, en corrélation avec l’Acte et les négociations, ne révèle pas l’existence, en faveur des Indiens, de quelque droit qui leur aurait été accordé par le traité et qui les aurait autorisés à décider de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes ou de leurs réserves. C’est ce que comprenaient les Indiens. Le texte reproduit précédemment fait état de la question litigieuse concernant la réglementation, par le gouvernement, des activités de chasse, de pêche et piégeage. Tout comme dans les Traités nos 6 et 7, le Traité no 8 prévoit la diminution constante du territoire disponible pour ces activités, puisqu’il y a été convenu que les Indiens pourront se livrer à ces activités dans le territoire visé « sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d’établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets ».

Il était très évident pour les Indiens parties aux trois traités—qui le comprenaient bien d’ailleurs—que désormais ce serait le gouvernement du Canada qui déciderait de l’appartenance aux effectifs de leurs bandes et de leurs réserves, étant donné qu’il s’était engagé à payer aux Indiens pour toujours certaines sommes à titre de charges perpétuelles des contribuables. Il est clair que le gouvernement était également bien déterminé à décider qui avait, individuellement, droit à ces paiements et qui n’y avait pas droit. Les Indiens n’étaient ni naïfs ni fous. Ils comprenaient bien que l’«argent est roi » et que « celui qui paie les violons, choisit la musique ». Les listes de ceux qui reçoivent des paiements ont été produites.

QUI PREND MARI PREND PAYS

Dans leur mémoire ou exposé des faits et du droit, les demandeurs ont, au soutien de leur prétention de nullité de la mesure législative contestée, écrit ce qui suit :

[traduction] 33. Dans le présent cas, la preuve confirme également que les communautés autochtones demanderesses ont, depuis les temps ancestraux, décidé qui étaient leurs membres dans leurs territoires, selon leurs coutumes traditionnelles, notamment celles voulant que la femme qui prend mari prend pays.

Cette affirmation n’a rien d’étonnant et ce pour deux raisons : a) après tout, les nouveaux fiancés ou époux doivent bien vivre à quelque part; et b) il était naturel qu’ils vivent à l’endroit où l’homme chassait, car c’était l’homme qui devait rapporter le bison à la maison.

Le témoin Agnes Smallboy, qui est une ancienne et un des témoins qui ont relaté de l’histoire orale, a fait la déposition suivante :

[traduction] Q. M. HEALEY : Comment est-vous devenue membre de la bande Ermineskin?

R.   Lorsque j’étais jeune, j’ai épousé un homme nommé Pete Morin qui était membre de cette réserve.

Q.  À quelle bande indienne apparteniez-vous avant d’épouser Peter Morin?

R.   J’étais membre de la bande Sampson. Dans notre langue, nous l’appelons « le pays des saules ». [TD3, à la page 270.]

Q.  M. HEALEY : Pourquoi avez-vous quitté votre bande pour vous joindre à la bande Ermineskin lorsque vous avez épousé Pete Morin?

R.   Je ne connaissais pas cet homme avant de l’épouser. Dans notre système, une femme … ce sont les parents qui font les arrangements en vue du mariage de leurs filles. Et lorsque mes parents m’ont dit que je devrais partir pour aller vivre avec cet homme, je leur ai obéi.

Q.  Savez-vous en quelle année vous avez épousé Pete Morin?

R.   1939 … ou 1939 … je crois, ou 38.

L’INTERPRÈTE : Elle a dit, j’ai dit « 38 ou 8. »

Q.  M. HEALEY : Aujourd’hui, êtes-vous une ancienne de la bande Ermineskin?

R.   Oui.

Q.  Est-ce que la femme suit toujours son époux, comme vous avez suivi le vôtre dans la bande Ermineskin?

R.   Oui, c’était comme ça que cela se passait … ou que ça se passe.

Q.  Est-ce que les Indiens suivent encore cette coutume aujourd’hui?

R.   Effectivement, c’est encore la coutume aujourd’hui. [TD3, à la page 271.]

Q.  M. HEALEY : … Est-ce que vous connaissez des cas où des femmes indiennes quittent la réserve pour suivre des non-Indiens?

R.   Oui, c’est la pratique que suivent les femmes.

Q.  Connaissez-vous des femmes de la bande Ermineskin qui ont quitté la réserve pour aller vivre avec des non-Indiens?

R.   Oui, c’était comme cela que ça se passait, lorsqu’elles quittaient, elles quittaient pour de bon.

Q.  Lorsqu’une femme indienne appartenant à une bande indienne décide de quitter la réserve pour aller vivre avec un non-Indien, comment réagissent les autres membres de la bande face à la décision de cette femme?

R.   Ses parents lui conseillent probablement de ne pas épouser une personne qui n’est pas un Indien visé par un traité.

Q.  Pourquoi font-ils cela?

R.   La bande dit probablement à ses parents qu’elle ne devrait pas épouser une personne qui n’est pas visée par un traité, ou encore peut-être que ses grands-parents, soit son grand-père soit sa grand-mère, lui conseillent de ne pas épouser une telle personne, mais c’est elle qui prend la décision en fin de compte, si elle décide de ne pas suivre ce conseil et de quitter la réserve.

Q.  Pourquoi lui donne-t-on ce conseil?

R.   La raison pour laquelle on lui conseille de ne pas épouser une personne non visée par un traité est que, une fois mariée, elle est tenue de quitter la réserve pour toujours et n’a plus le droit de revenir. Voilà pourquoi on lui conseille de ne pas donner suite à ce projet.

Q.  Est-ce qu’on donne ce conseil à toutes les femmes dans cette situation?

R.   Oui, toutes les femmes reçoivent ce conseil. Même moi on me l’a donné. [TD3, à la page 272.]

Mme Smallboy a de plus déclaré, dans son témoignage, que si les femmes autochtones qui ont épousé des non-Indiens ou des Indiens qui ne sont pas visés par un traité étaient autorisées à revenir dans les réserves avec leurs enfants, elle s’y opposerait car [traduction] « nos réserves deviendraient surpeuplées ». (TD3, page 274.)

Au cours du contre-interrogatoire, Mme Smallboy a déclaré ce qui suit :

[traduction] R. On nous disait que si nous épousions un homme blanc ou un sang-mêlé, nous perdrions alors notre statut. Nos parents ne voulaient pas que nous perdions notre statut. On nous conseillait donc de ne pas épouser des Blancs ou des sang-mêlés.

Q.  Ainsi, vous permettez à des femmes blanches de venir vivre dans la réserve, de devenir des membres de la bande, mais vous refusez cela à quelqu’un comme Mlle Wildcat, qui est née dans une communauté indienne et qui y a été élevée par des parents indiens, c’est bien ce que vous me dites?

R.   C’est exactement ce que je dis car, selon les arrangements qui étaient convenus avant que les ententes aient été conclues, la femme obtenait le même statut que son époux, de sorte que si une femme blanche ou une femme sang-mêlée épousait un Indien visé par un traité, elle devenait elle-aussi visée par le traité; et si une femme indienne épousait un homme blanc ou un Sang-mêlé, son statut devenait alors le même que celui de son époux. Voilà comment ça se passait. [TD4, aux pages 410 et 411.]

Il serait impossible de concilier l’opinion de Mme Smallboy avec le paragraphe 35(4) de la Constitution si sa réponse décrivait un droit ancestral ou issu de traité. De plus, il n’est pas plausible d’invoquer la notion de « droit » si Mme Smallboy décrivait une pratique ancestrale, car il s’agissait d’une pratique discriminatoire en ce qu’elle ne s’appliquait pas également aux personnes des deux sexes, puisque la femme se voyait accorder le statut de son époux, alors que l’homme n’obtenait pas celui de son épouse et que cette dernière ne pouvait lui conférer ce statut. À qui appartiendrait ce « droit »? Jusqu’à l’adoption du projet de loi C-31, un Indien cessait d’être membre de la bande dès qu’il ou elle perdait son statut d’Indien. (Il y a eu quelques cas de personnes dont la bande a cessé d’exister, mais qui ont néanmoins conservé leur statut en restant inscrites sur la liste générale.)

Est-il possible que les diverses Lois sur les Indiens qui se sont succédées et qui sont citées et examinées ailleurs dans les présents motifs aient eu pour effet de transformer en droit ancestral le régime souhaité par Mme Smallboy? Il est clair qu’il ne s’agissait pas d’un droit issu de traité. Quel est l’effet de mesures législatives sur ce qu’on prétend être un droit constitutionnel?

Il est notoire que la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute mesure législative. À la lumière des propos du juge La Forest dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, cités précédemment, il convient de signaler que la reconnaissance et la confirmation des droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada par la Constitution n’a pas pour effet de constitutionnaliser des mesures législatives ordinaires telles les dispositions des anciennes Lois sur les Indiens qui retiraient aux femmes indiennes qui se mariaient avec des non-Indiens le droit d’être membres de la bande à laquelle elles appartenaient jusque là. Voilà l’état du droit tel qu’il a été énoncé les juges Estey et Beetz dans l’arrêt Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to Amend The Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148. Le passage pertinent figure au sommaire, à la page 1153, et est ainsi rédigé :

L’article 29 [de la Charte] ne saurait jouer de façon à protéger les droits conférés par le projet de loi 30. Pour recevoir la protection de l’art. 29, les droits qui y sont mentionnés doivent être garantis constitutionnellement. Une garantie constitutionnelle ne s’attache pas aux droits ou privilèges conférés par une loi provinciale ordinaire, car ces droits et privilèges sont susceptibles d’être abrogés par voie législative. Comme le terme dominant de l’art. 29 est le terme « garantis », il n’est pas nécessaire d’élucider le sens des termes « by » ou « under » de la version anglaise de cet article.

Le fait que ce régime matrimonial a, de prétendre les demandeurs, constitué, à l’occasion, un élément de diverses versions de la Loi sur les Indiens n’a pas pour effet de faire de ce régime un droit ancestral ou issu de traité reconnu ou confirmé par la Constitution. En effet, ce régime était toujours sujet à abrogation et, de fait, il a été abrogé.

L’explication que donne Mme Smallboy du principe voulant que la femme qui prend mari prend pays est virtuellement la même que celle qu’a donnée Mme Makinaw, comme on peut le constater à la lecture des pages 572 et 573 (TD5) et de la page 633 (TD6). Dans TD6, les propos y rapportés de Mme Makinaw nous renseignent beaucoup sur la société autochtone, on peut y lire, par exemple : que les femmes n’avaient aucune identité propre, qu’elles n’étaient connues que comme les filles de leur père ou comme les épouses ou veuves de leur mari (page 602); que les chefs étaient des dirigeants héréditaires, qu’ils étaient les membres d’une sorte de famille royale (page 605); qu’elle parlait pour le chef et ancien de sa réserve (pages 644 et 645); qu’elles considèrent que les hommes blancs et les Métis ont une attitude trop agressive (pages 636 et 637); que les décisions relatives à la conclusion des traités n’étaient pas prises uniquement par les chefs mais également par la population réunie en conseil (pages 593 et 650), c’est-à-dire uniquement les hommes (page 603) au cours de la période qui a précédé la conclusion des traités. C’est avec surprise que l’on a appris que Mme Makinaw pouvait lire l’anglais et l’écrire un peu, et qu’elle n’avait probablement pas besoin des services de l’interprète (ce à quoi, toutefois, personne ne s’est opposé) comme l’indique la page 625; et, de fait, elle s’oppose à l’utilisation du mot « Indian » en anglais et du mot « Indien » en français pour désigner les Autochtones puisque, d’affirmer celle-ci, [traduction] « nous ne sommes pas originaires de l’Inde » (page 626).

Les demandeurs prétendent, d’une part, que le régime matrimonial qu’ils invoquent est un droit ancestral et, d’autre part, que les droits ancestraux sont des droits collectifs. Toutefois, il est certain que le principe voulant que la femme « qui prend mari prend pays » et ne peut conférer son statut d’Indien à son époux non-indien n’est un droit collectif que pour les hommes. Ce n’était pas et ce n’est pas un droit dont jouissent les femmes. S’il faut élever les pratiques ancestrales au rang des obligations constitutionnelles, il faudrait alors reconnaître et confirmer dans la Constitution les pratiques ancestrales qui consistaient à ne reconnaître aucune identité propre aux femmes et à leur refuser voix au chapitre dans les affaires des campements! Il est absurde de tenter de maintenir les femmes dans le silence et dans l’ombre. Il sera fait état, plus loin, du châtiment tout à fait impitoyable qui était infligé aux femmes qui avaient commis l’adultère, en regard de la peine insignifiante qui était appliquée aux hommes qui avaient fait la même chose. On pourrait fort bien se demander si cette terrible inégalité de traitement ne devrait pas elle aussi être reconnue et confirmée comme un droit ancestral? À qui appartiendrait ce droit? À la collectivité?

Un des demandeurs, Wayne Roan, a donné un témoignage fascinant. Il a lui aussi souscrit à l’interprétation faite par Agnes Smallboy de l’adage « qui prend mari prend pays », TD8, pages 889 et 890, 897 et 898 et 899 à 902. Au cours du contre-interrogatoire, M. Roan a formulé une réponse habile et astucieuse qui, en l’occurrence, ne répondait manifestement pas à la question qui lui avait été posée :

[traduction] Q. Et la deuxième loi que vous avez énoncée, était que la femme qui prend mari prend également pays?

R.   C’est exact, c’est la façon de faire des Indiens.

Q.  Et l’explication que vous avez donnée pour justifier cette pratique, c’était que l’homme était celui qui avait la force nécessaire pour défricher la terre, c’est bien ce que vous avez dit?

R.   C’est bien la façon dont je l’ai dit, oui.

Q.  Oui, que voulez-vous dire par défricher la terre?

R.   Je veux dire par là—c’est lui qui ouvre la voie à la femme. C’est-à-dire qu’en cas de difficultés—j’utilise l’exemple de la terre parce que vous ne verrez pas une femme abattre de gros arbres ou s’occuper de toutes les choses qu’un homme—que l’homme fait, que l’homme a été créé spécifiquement par Dieu pour accomplir. Dieu a créé la femme pour accomplir certaines choses précises et l’homme pour certaines autres.

Q.  O.K.

R.   Et la femme n’a pas été créée pour poursuivre un bison à 60 milles à l’heure, c’est l’homme qui le faisait. La femme, il [sic] ne suivait pas l’homme à dos de cheval, mais il [sic] attendait que l’homme ait terminé ce qu’il avait à accomplir, et c’est la femme qui venait ensuite compléter ce qu’il avait commencé pour assurer leur survie. [TD8, aux pages 932 et 933.]

Évidemment, le témoignage qui précède a vraiment une saveur poétique, mais il ne renseigne d’aucune façon sur l’endroit où les activités décrites devaient être accomplies. On pourrait fort bien déduire des réponses que l’homme et la femme—habitaient chez cette dernière plutôt que chez l’homme. Le témoin a affirmé que l’on préférait que les Cris se marient entre eux (TD8, à la page 931). L’aspect ironique du témoignage de M. Roan à cet égard est le fait—non contredit—qu’il a lui-même enfreint la règle qu’il a énoncée en mariant une femme sarcie qu’il a rencontrée à un pow-wow. Évidemment, M. Roan ne s’est pas opposé à ce que des Cris marient des non-Cris et il a bien expliqué son propre cas au cours de son témoignage sur la question. De fait, M. Roan a admis qu’il ne serait pas étonné si on lui disait que, de la fin des années 1970 jusqu’à 1985, la moitié des personnes ayant le statut d’Indien qui se sont mariées l’ont fait avec des personnes n’ayant pas ce statut et que, dans 60 % de ces cas, il s’agissait d’Indiens ayant marié des femmes non-indiennes. Comme on le verra, M. Roan n’a pas été cohérent dans son témoignage.

M. Roan a, au départ, nié que son père avait demandé au gouvernement d’autoriser son transfert au sein de la Bande Ermineskin pour qu’il puisse épouser une femme appartenant à cette bande. Toutefois, il s’est rétracté lorsqu’on lui a montré la pièce 30(253) qui, comme il a dû le reconnaître, établissait précisément ce fait. Cependant, il a tenté, sans succès de l’avis de la Cour, de démontrer que son père, Lazarus Shortback, avait invoqué ce motif pour dissimuler la véritable raison de son transfert. Cela n’a rien fait pour renforcer sa crédibilité :

[traduction] R. C’est mon père.

Q.  Ouais. Ainsi … votre mère ne l’a pas suivi suivant la coutume indienne, il a plutôt suivi votre mère au sein de la Bande Ermineskin, n’est-ce pas?

R.   Bien, pourquoi voulait-il son transfert au sein de la Bande Ermineskin?

Q.  Je vous demande pardon?

R.   Pourquoi voulait-il son transfert au sein de la Bande Ermineskin? C’est une des raisons qu’il a donnée.

Q.  C’est exact.

R.   C’était la raison la plus indiquée à l’époque, car il était possible d’obtenir son transfert dans une autre bande si on y avait des parents, et si des gens pouvaient affirmer que vous étiez quelqu’un de bien, qui avait quelque chose à apporter, c’est ainsi que mon père est devenu membre de cette bande. Il y avait des parents, qui ont affirmé qu’il était un bon homme, un charpentier, qui avait quelque chose à apporter à la bande.

Q.  M….

R.   Et ce sont—alors ces, ces membres de la bande ont convenu qu’il serait avantageux pour la Bande Ermineskin de l’accueillir. Mais avant que cela se produise, il éprouvait des problèmes à cultiver la terre au sein de la Bande de Samson. Il ne recevait pas—il estimait qu’il ne recevait pas suffisamment d’aide de la part de la Bande de Samson, c’est une des raisons pour lesquelles il a demandé son transfert au sein de la Bande Ermineskin. Ce fut facile parce que sa femme venait de la Bande Ermineskin, mais également parce qu’il avait des parents au sein de cette bande.

Q.  Il a donc suivi son épouse, ce n’est elle qui l’a suivi; n’est-ce pas?

R.   Il a choisi de faire ce qu’il était le mieux pour son épouse.

Q.  Ainsi, j’en déduis que votre coutume n’est pas que l’homme suit son épouse, mais que l’homme fait ce qu’il y a de mieux pour celle-ci?

R.   C’est pourquoi la femme suit son mari, elle lui fait confiance.

Q.  Je vois. Mais votre père était l’exception à cette règle?

R.   Non. Il n’était pas une exception à cette règle.

Q.  Je vois.

R.   Comme il ne s’entendait pas avec la bande dans l’autre réserve, il allé vivre dans une autre réserve où il avait des parents.

Q.  De fait, M. Roan, contesteriez-vous le fait que bon nombre d’hommes ont demandé leur transfert au sein de la Bande Ermineskin pour épouser des femmes de cette bande?

R.   Je n’ai pas—je n’ai jamais entendu les anciens en parler vraiment, à moins que, vous savez, mais pour ce qui est du mariage, il y a des gens qui sont restés ensemble sans se marier.

Q.  Je vois. Ce dont je vous parle maintenant c’est du mariage. Je vous parle d’hommes qui ont suivi des femmes dans la réserve ermineskin. Êtes-vous en train de me dire que le cas de votre père fut le seul de ce genre?

R.   C’est le seul—c’est le seul que je connais à l’heure actuelle.

Q.  Mais il pourrait y en avoir eu d’autres?

R.   C’est possible.

Q.  Oui. Comme se fait-il que vous sachiez certaines choses mais que vous n’en sachiez pas d’autres, alors que ces autres choses revêtent tant d’importance selon vos propres coutumes? Comment se fait-il que vos anciens ne parlent pas des hommes qui suivent les femmes, mais uniquement des femmes qui suivent les hommes?

R.   Parce que c’était leur loi.

Q.  Je vois.

R.   C’était leur coutume, c’était leur tradition.

Q.  Eh bien moi! M. Roan, j’affirme qu’une telle loi n’existe pas.

R.   Comment se fait-il que vous en sachiez tant sur un point, mais que vous ne sachiez rien du tout sur un autre? Voilà la question que vous venez tout juste de me poser. Je ne peux pas tout savoir. Tout comme vous ne connaissez pas tout vous mêmes. Vous ne pouvez pas comprendre tout ce que je dis maintenant. Vous ne cherchez pas à comprendre. Vous cherchez plutôt un mensonge, mais j’ai juré que je ne mentirais pas. Je vais vous dire tout ce que les anciens m’ont enseigné. Mais pour tout ce qui est documenté, qui est juridique, mes avocats vont s’en occuper. [TD8, aux pages 938 à 941.]

Quelques autres aspects du fascinant témoignage de M. Roan seront examinés plus loin.

Pour ce qui est de l’argument voulant que « qui prend mari prend pays », il est possible de constater, à la lumière des extraits précités du témoignage quasiment poétique de M. Roan, que, pour ce dernier, la mise en application de cette pratique n’avait pas pour effet d’éloigner l’épouse toujours soumise du campement de sa famille, ni de révoquer le droit de l’époux de demeurer membre de sa bande d’origine. Ce dernier exemple, tiré lui aussi du contre-interrogatoire, confirme cette observation :

[traduction] R. Il s’agit d’une seule des lois que les femmes suivent—une femme ne fait pas autant qu’un homme. C’est tout simplement que lorsqu’elle porte un bébé sur son dos, c’est encore un autre cas où l’homme ouvre la marche. Ce n’est pas que l’homme est plus important, ce n’est pas que l’homme, vous savez, est beaucoup plus important, vous savez, que la femme, ce n’est pas, ce n’est pas cela. C’est simplement la façon dont les choses se passaient. Si on regarde les choses raisonnablement, c’est ainsi que les choses fonctionnent, c’est ainsi qu’il les a créées.

Qu’essayez-vous de dire? C’est le—ma croyance en Dieu, qui a guidé le—l’être suprême qui m’a donné les mots pour décrire ces choses. C’est de cette façon qu’il les a décrites. C’est ce en quoi je crois, c’est ainsi que je les vois, et rien de ce que vous pourrez dire ne changera les choses. Cela fait partie de mon mode de vie. Ça ne fait pas partie du vôtre, c’est ma façon de voir les choses. Tout ce que j’essaie de faire ici c’est de vous faire comprendre que je vous explique, c’est ainsi que les choses se passaient. [TD9, aux pages 993 et 994.]

On ne manque pas de constater que le témoignage de M. Roan renferme certains passages allégoriques, quasiment poétiques (TD9, page 993). Il donne des exemples de cas où des femmes suivent leurs époux à travers les marécages et d’autres terrains difficiles, de sorte que l’homme est en mesure d’aider la femme et ainsi de rendre plus facile ou plus sûr le passage de cette dernière en ce monde. Dans la partie de son témoignage consigné tout juste avant le dernier passage cité, il a semblé admettre que l’adage pouvait également comporter un changement du lieu de résidence (TD9, page 993), mais on ne peut dire avec certitude s’il faisait référence à l’époque qui a précédé l’adoption des lois, et à celle qui a suivi la conclusion des traités, ou encore aux temps ancestraux. Dans toutes les discussions concernant les contacts entre les Indiens et les Européens, le temps des verbes est un facteur des plus importants. Autant on ne peut reprocher aux Indiens et aux non-Indiens d’aujourd’hui les fautes de leurs ancêtres ou de ceux qui tout au plus ressemblent à leurs ancêtres, autant on ne peut leur attribuer les vertus de ceux-ci. « À chaque jour suffit sa peine » (et on pourrait ajouter « sa vertu » ou « sa coutume »), les fautes ou les vertus des ancêtres d’un individu appartiennent à ses ancêtres et sont chose du passé, à moins que cet individu soit bien déterminé à faire de son futur un lugubre et continuel retour en arrière. Il semble que, dans le témoignage consigné un peu avant, M. Roan visait le régime législatif récent lorsqu’il parlait des femmes non-indiennes qui suivent leurs époux dans la réserve habitée par ces derniers. Toutefois, ce témoignage est loin d’être déterminant.

George Ermineskin, un ancien, a déposé en ce qui concerne l’adage « qui prend mari prend pays ». Il a témoigné de façon très vague et a même, au cours de l’interrogatoire principal, donné des réponses contraires aux prétentions des demandeurs, mais la Cour, malgré les objections formulées à cet égard, a permis à ce témoin de préciser ses réponses (TD10, aux pages 1319 à 1323). Il a confirmé avoir entendu dire que, avant l’existence des traités, les Indiens [traduction] « vivaient ensemble en raison de l’existence de groupes linguistiques » (distincts) (et on peut dire qu’ils vivaient séparés pour la même raison,) (TD10, page 1311). Comme on l’a vu plus tôt, les Cris et les Pieds-Noirs étaient des ennemis mortels. Cette animosité ne faisait que renforcer le caractère distinct des existences séparées qu’ils menaient déjà pour des raisons linguistiques. Cette preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’un « pouvoir de décision » sur l’appartenance à la bande. Tout comme c’est le cas aujourd’hui, il semble que les différences linguistiques étaient, autant à cette époque qu’aujourd’hui, une situation à l’égard de laquelle personne ne pouvait rien. Jusqu’à la conclusion du Traité de Wetaskawin, longtemps après l’affirmation de la souveraineté britannique (et par la suite canadienne), lorsque les Cris, les Pieds-Noirs et les Sarcis mirent fin à leurs hostilités, la preuve révèle, selon la prépondérance des probabilités, que, abstraction faite des mythes, personne ne connaissait la raison des hostilités. De plus, en l’absence de tout moyen de consigner par écrit l’historique des événements, la prépondérance des probabilités amène à conclure que ni les mythes ni l’histoire orale n’apporteraient de justifications ou de témoignages objectivement fiables concernant le début des hostilités. Voilà certes le problème que pose l’histoire orale. En effet, il ne vient pas facilement aux individus qui transmettent l’histoire orale de rapporter que leurs ancêtres ont pu être des personnes vénales, criminelles, cruelles, abjectes, injustes, lâches, perfides, intolérantes ou quoi que ce soit d’autre que des personnes nobles, braves, équitables, généreuses et ainsi de suite.

En un rien de temps, les récits historiques, même s’ils ont pu, à quelque moment, être fidèles, se transforment rapidement en propagande irrémédiablement partiale, sans vérité objective. Comme les caractéristiques péjoratives susmentionnées—et malheureusement bien d’autres encore—sont communes à l’ensemble de l’humanité, elles étaient sûrement présentes chez tous nos ancêtres, comme ils le sont chez leurs descendants actuels, mais personne, y compris les rapporteurs de l’histoire orale, ne veut l’admettre. Chaque tribu ou ethnie de toute l’espèce humaine inculque à ces enfants qu’ils sont « meilleurs » que tous les autres. Voilà l’origine des guerres qui ont affligé l’histoire de l’humanité. En conséquence, la défense ou le culte des ancêtres est l’une des plus contreproductives, des plus racistes, des plus haineuses et des plus rétrogrades de toutes les caractéristiques humaines, religions ou autres attitudes qui passent pour une manifestation de l’intelligence. Évidemment, les gens sont bien libres de s’y adonner—peut-être est-ce un trait de la nature humaine, mais c’est précisément ce trait qui fait de l’histoire orale une source si peu fiable. Cela dit, la Cour ne déprécie absolument pas ceux qui affirment que, comme leurs ancêtres n’ont jamais établi de langage écrit, l’histoire orale est leur seul moyen d’assurer la survivance de leur histoire. Il est toujours préférable de consigner les récits par écrit et ce le plus tôt possible après les faits, de façon à éviter que leur soient apportés certains des enjolivements qui font de l’histoire orale une source si peu fiable.

Les pratiques ancestrales sur lesquelles les demandeurs fondent les droits ancestraux qu’ils invoquent sont rapidement abandonnées, à tout le moins dans la situation que le témoin des demandeurs, George Ermineskin, n’a pas qualifié d’inhabituelle, c’est-à-dire les cas où l’argent est roi. Voici ce qu’il a déclaré à cet égard, en contre-interrogatoire, abstraction faite des interventions des avocats et de l’interprète :

[traduction] Q. Si je comprends bien, conformément à vos pratiques, ils ne se sont pas mariés à l’église ou en vertu des lois de l’Alberta. Est-ce exact?

R.   C’est bien cela.

Q.  Depuis combien de temps vivent-il ensemble?

R.   Quatre ans.

Q.  Conformément aux pratiques de vos ancêtres, à vos yeux, sont-ils mariés conformément aux pratiques des Cris?

R.   Oui, je dirais que c’est le cas, étant donné qu’il y a tellement de gens qui vivent ainsi.

Q.  J’en déduis que, selon ce que vous estimez être le mode de vie de vos ancêtres, lorsqu’une femme s’en allait vivre avec un homme dans une bande, elle devenait membre de la bande de celui-ci. Est-ce exact?

R.   Lorsqu’ils sont mariés légalement, c’est le cas.

Q.  Mais lorsqu’ils ne sont pas mariés légalement, comme dans le cas de sa fille, celle-ci devient-elle un membre de la bande à laquelle appartenait son compagnon et où elle vivait?

R.   Si elle a demandé son transfert dans cette bande et que les dirigeants ont accepté de la recevoir, c’est exactement ce qui se passait.

Q.  Votre fille n’a pas demandé son transfert au sein de la Bande de Samson, n’est-ce pas?

R.   Non.

Q.  Votre fille est donc encore membre de la Bande Ermineskin?

R.   Oui

Q.  Et elle reçoit donc les sommes qui sont versées à chaque membre de la Bande Ermineskin, en plus de profiter des autres avantages qui leur échoient?

R.   Oui.

Q.  Par conséquent, vous conviendrez avec moi que, même si elle vit avec un homme de la Bande de Samson, elle n’a perdu aucun des avantages de la Bande Ermineskin? Elle est toujours membre de cette bande?

R.   Oui.

Q.  J’en déduis donc que, à votre avis, conformément à vos pratiques, même si elle vit avec un homme au sein de la Bande de Samson, elle n’a pas cessé d’être membre de la Bande Ermineskin.

R.   Oui.

Q.  Ainsi, conformément à vos pratiques, une femme peut suivre un homme dans la maison de celui-ci, mais elle ne cesse pas nécessairement d’être membre de la bande au sein de laquelle vivent ses parents à elle?

R.   Non, elle n’a rien perdu du tout, puisqu’elle n’est pas légalement mariée.

Q.  À l’époque de ses ancêtres, avant la venue de l’homme blanc, est-ce que la femme qui s’en allait vivre avec un homme dans une autre bande cessait de faire partie de la bande à laquelle appartenait sa famille à elle?

R.   À cette époque, il n’y avait pas de problème de ce genre. Par exemple, aujourd’hui—je tiens à mentionner qu’aujourd’hui il y a la question de l’argent. À l’époque, les gens ne se mariaient pas légalement, ils vivaient tout simplement ensemble.

Q.  J’en déduis que, à l’époque de vos ancêtres, avant la venue de l’homme blanc, un homme et une femme pouvaient, à leur gré, décider de vivre ensemble. Est-ce exact?

R.   Oui.

Q.  Peu importe où ils avaient décidé de vivre, l’un et l’autre pouvaient retourner dans sa famille d’origine?

R.   À cette époque, il n’y avait pas de mariage, les vœux, les vœux sacrés—du mariage n’existaient pas, et les gens disposaient toujours de cette liberté.

Q.  De fait, M. Ermineskin, vos ancêtres étaient des gens très libres, n’est-ce pas?

R.   Oui.

Q.  Il n’y avait pas de réserves avant la venue des hommes blancs. N’est-ce pas?

R.   C’est vrai.

Q.  En conséquence, ils se déplaçaient avec qui ils voulaient pour aller à la chasse?

R.   Oui. À cette époque, les Cris avaient leur territoire, les Stonys avaient leur territoire et les Pieds-Noirs avaient le leur.

Q.  Mais à l’intérieur de leur territoire.

R.   Non. Ils restaient dans leur propre territoire.

Q.  Si un homme appliquait aujourd’hui à sa fille les pratiques de ses ancêtres, est-ce que sa fille pourrait revenir vivre avec lui?

R.   Si c’est ce qu’elle veut, elle pourrait alors le faire. Pour l’instant, elle vit uniquement ailleurs. Elle n’est pas légalement mariée. [TD10, aux pages 1326 à 1331.]

Ainsi, selon l’interprétation que donne l’ancien Ermineskin de l’adage qui prend mari prend pays, le mariage « légal » ou « formel » n’était pas une pratique ancestrale (bien que l’on semble avoir inféré de la cohabitation une certaine forme d’engagement mutuel), et la femme qui accompagnait l’homme ne cessait pas d’être membre du groupe de partisans d’un chef donné et au sein duquel elle était née, et elle pouvait y retourner pour vivre avec sa propre famille. Ce qu’il est possible de déduire de ce témoignage, c’est que l’institution non-autochtone que constitue le mariage « légal » (qui exige sans aucun doute une dissolution « formelle » pour rompre l’engagement) faisait obstacle à la liberté dont jouissaient les Autochtones de retourner dans leur bande d’origine et d’en redevenir membres, en plus de soulever certaines entraves de nature législative dont il a été question plus tôt dans les présents motifs.

Les témoins ont indiqué qu’il n’était pas rare que les Pieds-Noirs effectuent des incursions chez les Cris, et vice versa, afin d’aller y kidnapper des femmes destinées à devenir leurs épouses. L’ancien Ermineskin a parlé du cas d’une femme pied-noire qui avait été amenée dans un groupe de Cris qui étaient des partisans d’un certain chef. On lui a fait lecture d’un extrait du témoignage de Agnes Smallboy :

[traduction] R. Bien, anciennement, les femmes [pieds-noires] qui se mariaient estimaient qu’il n’y avait aucun problème à ne pas apprendre la langue crie. [TD11, à la page 1366.]

Relativement au témoignage de l’ancienne Agnes Smallboy, l’ancien George Ermineskin a, durant le contre-interrogatoire des avocats du NCC, déclaré ce qui suit :

[traduction] Q. Ancien Ermineskin, êtes-vous d’accord avec le fait que si des femmes pieds-noires vivaient dans un camp cri et qu’elles ne parlaient pas la langue crie, elles ne pratiquaient probablement pas le mode de vie des Cris?

R.   Oui, elles auraient eu de la difficulté à le faire.

Q.  Aussi, les femmes pieds-noires qui se mariaient avec des Cris tendaient à rester—à vivre comme les Pieds-Noirs?

R.   Probablement.

Q.  Et est-il probable que, dans un tel cas, cela créait des problèmes au sein du camp des Cris?

R.   Oui. [TD11, à la page 1368.]

Il est possible de déduire que les inconvénients que causait la présence, dans un campement cri, de personnes qui ne parlaient pas la langue crie était tolérable, car il ne semble pas que l’on ait jamais éliminé cette situation ou que des femmes pieds-noires aient été expulsées.

Relativement à l’adage « qui prend mari prend pays », les demandeurs ont appelé à la barre un ancien, David Jacobs. Ce dernier, qui est âgé de 79 ans et était natif de l’Est du Canada, était un Cayuga de la réserve des Six Nations près de Brantford en Ontario. Il s’est rendu en Alberta au cours des années 1930. Pendant que David Jacobs travaillait dans la réserve des Sarcis (aujourd’hui appelée Tsuu T’ina), Alex Bull lui annonça que sa fille Elsie voulait savoir s’il désirait l’épouser, Jacobs accepta et ils se marièrent. L’avocat de la défenderesse s’est opposé à ce que ce témoin relate de l’histoire orale, étant donné qu’il n’était pas un descendant d’ancêtres qui avaient vécu dans les prairies de l’Ouest et signé les traités en cause. La Cour a néanmoins reçu le témoignage de M. Jacobs, car ce dernier avait vécu parmi les Sarcis pendant 63 ans et que cette période pourrait fort bien correspondre à l’âge d’un témoin qui rapporterait de l’histoire orale, d’autant plus qu’il n’était pas nécessaire de soustraire de ces 63 années quelque période que ce soit, telle l’enfance, au cours de laquelle M. Jacobs n’aurait pas compris ce qui se passait.

Selon l’ancien Jacobs, l’enjeu du présent litige consiste à déterminer [traduction] « qui décide si ces personnes reviennent dans les réserves » (TD16, à la page 2280).

[traduction] R. Il s’agit de femmes qui n’ont pas marié des Indiens mais plutôt des Blancs, qui ont quitté la réserve et qui ont reçu une part des sommes versées à l’époque.

Q.  Connaissez-vous de telles personnes?

R.   J’en connais quelques-unes.

Q.  Qui connaissez-vous?

A.   Je connais Ruby Starlight ainsi que Sophia Many Horses. Je connais également Marjorie Henderson.

Q.  Bien, ces personnes que vous connaissez, ancien Jacobs, ont-elles des maris, des enfants et des petits enfants?

R.   Je sais qu’elles ont des maris et de nombreux petits enfants.

Q.  Bon, lorsque ces femmes indiennes ont décidé de quitter la réserve et de marier des hommes de la ville, comment réagissaient leurs familles à cette décision?

R.   Elles disaient non. Si vous quittez, vous quitterez pour toujours. Vous perdrez à jamais vos droits issus de traité.

Q.  Pourquoi ces femmes quittaient-elles la réserve?

R.   Parce qu’il y avait beaucoup de pauvreté dans la réserve à l’époque, et elles signaient un document et empochaient leur part. Elles demandaient leur part, que la bande détenait à l’époque. Elles étaient payées.

Q.  Qui était payé M. Jacobs?

R.   Elles étaient payées et après elles signaient le document.

Q.  Pourquoi étaient-elles payées?

R.   Pour quitter la réserve.

Q.  Accepteriez-vous que toutes ces personnes reviennent dans la réserve?

R.   Je serais d’accord, mais je ne suis pas le seul intéressé. Je n’accepterais que les femmes qui ont signé le document. Je ne voterais pas pour toutes les femmes, mais uniquement pour celles qui ont signé. Cependant, je ne suis pas le seul intéressé. Il y en a d’autres.

Q.  Bien, à votre avis, Monsieur, qui devrait décider du sort de ces personnes?

R.   Je pense que c’est la bande qui devrait décider.

Q.  Et pourquoi la bande devrait-elle le faire?

R.   Parce que le traité dit que l’argent et le territoire nous appartiennent. Et nous avons le privilège de dire oui ou non, nous avons tous notre mot à dire à cet égard. [TD16, aux pages 2280 à 2282.]

Dans l’esprit de l’ancien Jacobs, il y a un lien entre le traité et les paiements versés à perpétuité aux personnes dépendantes. Si, d’une part, la bande pouvait encore décider qui sont ses membres et si, d’autre part, le gouvernement était appelé, comme il est obligé de le faire, à verser les sommes prévues à tous les membres et à leur accorder tous les autres avantages existants aujourd’hui, les bandes pourraient alors, hypothétiquement, ruiner les contribuables en élargissant de façon exponentielle le nombre de leurs membres, sans aucune limite, même celles prévues par le projet de loi C-31. Évidemment, il est peu probable que cela se produise, mais le témoignage de l’ancien Jacobs montre bien de quelle façon on a oublié ou dénaturé la contrepartie originale prévue par le traité, c’est-à-dire qui paie les violons, choisit la musique. Les contribuables sont les éternels payeurs et le gouvernement, à tout le moins pour leur compte, a, depuis l’époque des traités, choisi la musique en exerçant, de manière absolue, le pouvoir de décider qui sont les membres des bandes et les Indiens qui ont droit aux paiements et aux autres avantages. L’ancien Jacobs est dans l’erreur, comme bien d’autres qui souscrivent sans réflexion à un révisionnisme historique non fondé ou qui souhaite une telle relecture incorrecte de l’histoire.

Chaque génération « héritait » des ennemis de la bande. L’ancien Jacobs a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

[traduction] Q. Avant la venue de l’homme blanc, ancien Jacobs, lorsque les Sarcis livraient bataille aux Cris, est-ce que les Sarcis permettaient aux hommes cris vaincus au cours des batailles de joindre leurs rangs?

R.   Non.

Q.  Que faisaient-ils avec ces hommes?

R.   Quelqu’un les tuait. [TD16, à la page 2298.]

Cela n’a rien à voir avec la détermination de l’appartenance à la bande, ni avec l’adage « qui prend mari prend pays ». Il s’agit davantage d’une reformulation de l’affirmation de M. Roan selon laquelle les Autochtones pratiquaient un macabre « contrôle démographique » mutuel, fondé non pas sur la contrôle des naissances mais sur l’élimination des individus. Cet argument n’est d’aucun secours aux demandeurs, car cette situation était indépendante de leur volonté : en effet, bien malgré eux, ils étaient tous des pions involontaires sur l’échiquier des rivalités autochtones.

L’ancien Jacobs a été contre-interrogé, non pas par l’avocat de la défenderesse, qui a renoncé à ce droit, mais plutôt par celui du CNAC :

[traduction] Q. Les membres de la bande des Six-Nations sont bien des Iroquois, n’est-ce pas?

R.   Ouais, je suis un Iroquois.

Q.  Selon les tradition iroquoises, n’est-il pas vrai que c’est la mère qui transmet la filiation, qui détermine lesquels des descendants sont également des Iroquois. N’est-ce pas le cas?

R.   … voyez-vous, il y a de cela bon nombre d’années, le conseil était formé uniquement d’hommes. Avant cela, les femmes n’avaient jamais fait partie du conseil.

Q.  O.K. Et lorsqu’une femme iroquoise mariait quelqu’un d’une autre bande [sic], l’homme en question joignait les rangs de la bande iroquoise. N’est-ce pas vrai? … La bande des Six-Nations? … Avant l’arrivée de l’homme blanc?

R.   Avant l’arrivée de l’homme blanc, il n’y avait pas d’Iroquois. [TD16, aux pages 2305 et 2306.]

R.   Je crois qu’un traité est éternel, qu’il s’applique tant que les rivières coulent et que l’herbe pousse.

Q.  Vous avez une très bonne mémoire, M. Jacobs, car le 16 octobre 1986, au cours d’une réunion à l’hôtel Westgate, vous avez utilisé pratiquement les mêmes mots?

R.   Oui. [TD16, à la page 2308.]

(On a fait référence à la pièce 38, à compter de la page 008317, qui constitue le procès-verbal, daté du 16 octobre 1985 (et non 1986), d’une séance d’information concernant le code d’appartenance de la Bande Tsuu T’ina qui s’est tenue à l’hôtel Westgate. Le nom de David Jacobs figure sur la liste des personnes présentes, au no 11. Les extraits cités de la pièce 38 sont des plus intéressants, même s’ils ne sont pas dénués d’un certain révisionnisme historique et juridique teinté d’un optimisme naïf. L’avocat du CNAC a poursuivi ainsi :

[traduction] M. MEEHAN :

« M. Starlight [un des demandeurs en l’espèce] a souligné au groupe qu’il n’était pas contre le rétablissement des femmes dans leurs droits. » [Conformément au projet de loi C-31].

Bon, vous nous avez déjà dit que vous pensez la même chose. En d’autres mots, vous êtes venus chez les Sarcis en tant qu’étranger. Vous êtes venus en tant d’Iroquois. Vous êtes venus sans connaître leur langue. Vous saviez peu de choses sur leurs coutumes à votre arrivée. Et vous nous dites que les femmes qui sont des Sarcis, connaissent les coutumes des Sarcis et parlent leur langue, qui veulent demeurer dans la réserve, qu’elles peuvent y rester. Vous êtes d’accord avec M. Starlight, n’est-ce pas?

R.   Je ne lui ai jamais parlé.

Q.  Mais vous vous rappelez qu’il a dit cela au cours de la réunion?

R.   Oui.

Q.  Vous vous en rappelez?

R.   Oui.

Q.  Êtes-vous d’accord avec ce point de vue?

R.   Oui. De fait, nous aimons ces personnes.

Q.  Donc vous êtes d’accord avec M. Starlight?

R.   Mais nous voulons que ce soit nous qui tranchions la question.

Q.  Je suis conscient de çà. Mais vous aimez ces personnes et vous êtes d’accord avec M. Starlight?

R.   Mais non en ce qui concerne leurs enfants et leur mari.

Q.  Mais vous êtes favorables aux femmes elles-mêmes, n’est-ce pas? Uniquement les femmes?

R.   Le mari et les enfants—

Q.  Je ne vous parle pas des maris et des enfants. Je vous demande uniquement votre avis à propos des femmes, les femmes sont les personnes que vous aimez?

R.   Ouais, uniquement les femmes.

Q.  O.K. Merci. M. Jacobs, vous avez également mentionné que certaines femmes qui se sont mariées avec des non-Indiens ont quitté la réserve et reçu de l’argent?

R.   Oui.

Q.  Savez vous que certaines d’entre elles se sont, dans les faits, fait dire de partir et ont effectivement été contraintes de le faire? Saviez-vous cela?

R.   Lorsqu’elles se marient, elles sont censées suivre leur mari. Elles étaient expulsées si elles ne le faisaient pas.

Q.  Ainsi, elles étaient effectivement expulsées?

R.   Ouais. Elles étaient expulsées, la police, la police montée venait et les amenait.

Q.  30 jours en prison?

R.   Ouais.

Q.  Dans la prison de l’homme blanc?

R.   Non, seulement elle. L’homme blanc n’est jamais venu. Il est resté en dehors. L’homme blanc n’est venu lui aussi qu’à une ou deux occasions seulement.

Q.  O.K. Et elles ont été amenées en dehors de la réserve par la police?

R.   Oui.

Q.  OK. Saviez-vous—saviez-vous que certaines de celles qui ont accepté de l’argent pour partir, qui ont reçu de l’argent pour partir, que, aux termes de la Loi sur les Indiens, pour qu’elles puissent revenir, elles doivent vous rembourser cet argent? [article 64.1], Saviez-vous cela?

R.   Je l’ai entendu dire. [TD16, aux pages 2311 à 2314.]

L’ancien Jacobs a affirmé que certaines femmes se sont mariées avec des non-Indiens parce que la bande était pauvre, (l’une d’elle, à tout le moins, ayant volontairement choisi l’émancipation), quoique, aujourd’hui, grâce au pétrole et au gaz naturel, au fait que le logement est en partie subventionné par le gouvernement fédéral et au fait qu’elles possèdent de nouveaux biens immobiliers, un centre sportif, un centre agricole pour la tenue de rodéos ainsi qu’une école, la bande [traduction] « est devenue plus riche, il y a de cela quelques années ».

[traduction] Q. La situation est meilleure aujourd’hui?

R.   Voilà pourquoi, les gens veulent venir. Il y a un grand nombre de … personnes qui cherchent à obtenir leur … droit du sang. [TD16, à la page 2317.]

R.   Il y a des milliers—il y a six semaines de cela, j’ai entendu dire qu’il y avait 500 000 personnes prêtes à venir et à obtenir ce document qui dit, vous savez, maintenant vous êtes un Indien visé par un traité, vous êtes dispensé du paiement de l’impôt, vous bénéficiez d’une exemption des taxes sur le gaz, le pétrole et les cigarettes. Il semble qu’ils viennent tous pour cette raison, et que s’ils veulent, s’ils veulent revenir pour profiter de tout cela, il y a autant de personnes que cela, c’était il y a six semaines, mais un grand nombre de ces personnes veulent venir dans les réserves. [TD16, à la page 2318.]

M. Jacobs s’est plaint que le fait qu’un grand nombre de personnes veulent profiter des avantages accordés aux Indiens entraînera une surpopulation excessive des réserves.

On a alors démontré à M. Jacobs, au moyen de la pièce 32, que la demande présentée par la bande afin de recevoir de nouveaux membres ou le consentement donné par celle-ci à cet égard étaient toujours infructueux, à moins que le gouvernement ne donne son approbation—doc. 863-869.

L’ancienne Hilda Big Crow a déposé relativement à l’adage qui prend mari prend pays. Femme sarcie (Tsuu T’ina) âgée de 84 ans, elle a tellement de descendantes de sexe féminin qu’elle ne sait plus exactement combien elle en a, elle ne sait même plus combien d’entre elles sont mariées. Toutefois, en ce qui concerne ses filles, elle a déclaré ceci :

[traduction] R…. Une est mariée avec un membre de la tribu des Gens-du-Sang, une autre avec un Pied-Noir, une autre est une Stony, et elles vivent toutes avec leur mari.

Q.  Mme Big Crow, est-ce que c’est une coutume indienne que la femme aille vivre avec son époux lorsqu’elle se marie?

R.   Oui. [TD18, à la page 2626.]

Q.  Comment savez-vous ces choses sur la façon dont les Indiens vivaient avant la venue de l’homme blanc?

R.   Mes grand-pères et mes grand-mères nous ont raconté ces histoires, voilà pourquoi je les connais. [TD18, à la page 2627.]

Q.  Avant la venue de l’homme blanc, savez-vous qu’elles étaient les tribus d’Indiens qui vivaient dans l’Ouest du Canada?

R.   Je sais qu’une de ces tribus était la nôtre, les Sarcis, il est possible qu’il y en ait eu bien d’autres.

Q.  Connaissez-vous le nom d’autres tribus qui vivaient ici avant la venue de l’homme blanc?

R.   Je sais qu’il y avait les Stonys.

Q.  Avant la venue de l’homme blanc, est-ce que ces différents Indiens, ces différentes tribus parlaient la même langue?

R.   Non. [TD18, à la page 2628.]

Q.  Que faisaient les Tsuu T’ina aux hommes indiens qu’ils capturaient au cours d’une bataille?

R.   Ils les tuaient.

Q.  Que faisaient les Tsuu T’ina des femmes indiennes qu’ils capturaient au cours d’une bataille?

R.   Parfois ils les gardaient comme esclaves, parfois comme épouses. [TD18, à la page 2630.]

L’ancienne Big Crow n’était en faveur du retour—en tant que membres de la réserve des Sarcis—que de certaines seulement des femmes qui s’étaient mariées avec des non-Indiens, mais elle s’opposait absolument à l’idée de recevoir leurs enfants, petits enfants, maris ainsi que les époux et les femmes de leurs enfants et de leurs petits enfants. Elle a affirmé qu’il appartenait à la nation Tsuu T’ina et non au gouvernement de décider qui devait être reçu dans la réserve ou non. (TD18, aux pages 2656 et 2657.)

Elle a dit avoir connu Ruby Starlight qui avait épousé Sam Fraser en 1932, et elle a affirmé qu’[traduction] « ils avaient eu environ quatre enfants. Ils sont restés, pendant un certain nombre d’années, dans la maison du père de Ruby dans la réserve et ils y ont élevé leurs enfants. » En contre-interrogatoire, l’avocat de la NIAA a prétendu que, en 1951, l’agent des Indiens, le Dr Murray, avait dit au couple de quitter la réserve, mais Mme Big Crow n’a pu confirmer cette affirmation.

Un des demandeurs, le chef Walter Twinn (qui est également sénateur aujourd’hui) a témoigné à l’égard de l’adage qui prend mari prend pays. C’est d’ailleurs lui qui a mentionné cet adage au cours de son interrogatoire principal :

[traduction] Q. Ces choses que vous décrivez, est-ce qu’on vous en a parlé pendant votre enfance?

R.   C’est cela.

Q.  Et qui vous a raconté la majeure partie de ce que vous savez sur l’histoire ou les traditions de votre peuple?

R.   J’écoutais ce que disaient mes oncles et mon père à cet égard. Plus tard, mon père a commencé à me donner pas mal d’information.

Q.  Que se passait-il si un camp de brousse cri était prospère et devenait trop gros?

R.   Bien, parfois il y avait trop d’habitants, cela dépendait du nombre d’habitants, ce nombre variait probablement en fonction de l’endroit où il était situé, de la présence d’un lac, de l’abondance de la nourriture. Mais, si je me rappelle bien, le groupe se scindait alors et le chef nommait quelqu’un qui devenait le nouveau leader ou chef de l’autre groupe, de l’autre bande.

Q.  Et ce groupe quittait alors avec le nouveau chef?

R.   C’est exact.

Q.  Et où allait-il vivre?

R.   À l’endroit qu’ils choisissaient et où il y avait de la nourriture.

Q.  Est-ce que votre père vous a parlé des coutumes de votre peuple en ce qui concerne l’endroit où le couple vivait après le mariage? Par exemple, si le couple venait—

R.   La femme suivait toujours son mari.

Q.  Est-ce qu’on a déjà expliqué pourquoi cela se passait ainsi?

R.   C’était à cause du territoire je crois. Par exemple, si une Crie des bois mariait un Indien de la prairie, il aurait été difficile pour cet Indien de la prairie d’assurer sa subsistance dans les bois. C’était un environnement qu’il ne connaissait pas, l’inverse aurait été également vrai. C’était une des raisons de cette coutume. [TD22, aux pages 3402 à 3404.]

À la fin de l’interrogatoire principal, l’avocat des demandeurs a dit à la Cour de se référer à la pièce 68, documents 438 et 439, ainsi qu’à la pièce 25, document 627.

Au cours du contre-interrogatoire de ce témoin, l’avocat de la défenderesse a dit au chef Twinn de se référer aux règles d’appartenance de la Bande de Sawridge, préparées par suite de l’adoption du projet de loi C-31, pièce 16 (353), pages 18 à 21. L’échange rapporté ci-après a suivi :

[traduction] Q. Pouvez-vous indiquer à la Cour si, à votre avis, les règles d’appartenance de cette bande, si ces règles reflètent vos pratiques et droits ancestraux, selon l’interprétation que vous en donnez vous même?

R.   Dans une certaine mesure. [TD23, à la page 3670.]

Q.  Pas complètement?

R.   Non.

Q.  Dans ce cas, quelles parties de ces règles sont conformes à vos pratiques ancestrales, selon l’interprétation que vous en donnez, et quelles parties ne le sont pas? Pourriez-vous l’indiquer à la Cour?

R.   Je crois que les règles ancestrales étaient—j’ai dit plus tôt que les règles prévoyaient que la femme allait vivre avec son mari, pour les raisons que j’ai énoncées plus tôt. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Q.  Non. Pourquoi n’est-ce plus le cas?

R.   Hem! Nous ne pouvons faire de discrimination fondée sur le sexe, sur d’autres motifs dans d’autres codes d’appartenance. [TD23, à la page 3671.]

Q.  Chef, je vais vous dire franchement ce que je pense, je vous affirme que les soi-disant règles d’appartenance que vous alléguez, que les règles et pratiques ancestrales en matière d’appartenance dont vous parlez n’ont jamais existé.

R.   C’est votre avis. Vous avez le droit à votre opinion.

Q.  Bon. Dans ce cas, pourriez-vous dire à la Cour quelles étaient ces règles et ces pratiques?

R.   Je crois que j’ai affirmé plus tôt que ces règles concernaient l’appartenance à la bande et s’appliquaient, pour des raisons évidentes, en cas de mariage. Elles concernaient ces personnes, les femmes qui suivaient leur mari et le consentement que devait donner la bande à l’égard de quiconque venait vivre dans la réserve. Voilà quelles étaient les règles ancestrales. [TD23, à la page 3677.]

Le chef Twinn a ensuite fait référence à l’expert des demandeurs, le Dr John Moore, qui a enregistré sur ruban magnétique les entrevues avec des anciens, entrevues qui ont par la suite été transcrites et figurent dans la pièce 78. Le témoignage des anciens qui y est consigné n’appuie pas vraiment les prétentions des demandeurs, comme le démontre la transcription des débats (TD23, pages 3681 et 3682 et 3685). (Le chef Twinn a affirmé qu’il n’était pas présent, même si son nom figure sur la liste; qu’il avait dû quitter pour vaquer à d’autres affaires.) Cet aspect est examiné aux pages 3685, puis aux pages 3687 à 3693 et 3694 à 3701.

Peu importe qui a témoigné à l’égard de l’adage « qui prend mari prend pays », le sens de cet adage demeure encore incertain. Par exemple, il est loin d’être certain que la femme qui s’en allait vivre avec son mari cessait, de ce fait, d’être membre du groupe autochtone au sein duquel elle était née, d’être membre des partisans de son chef. L’ancien Ermineskin estimait qu’elle ne cessait pas d’être membre.

Le témoignage le plus marquant fut celui donné pour les demandeurs, en interrogatoire préalable, par Wayne Roan. Ce témoignage a contredit celui de l’ancienne Agnes Smallboy. Toutefois, il faut signaler que M. Roan, qui enseigne la culture autochtone au Camp Smallboy, camp qui accueille et éduque les Sarcis, certains Sawridge et Pieds-Noirs ainsi que des membres de la Bande Ermineskin, était considéré comme étant tout aussi bien informé que Mme Smallboy. Qui plus est, les demandeurs ont fait venir Roan pour qu’il donne, au cours de l’interrogatoire préalable, des réponses faisant autorité.

Voici ces réponses faisant autorité, telles qu’elles ont été consignées dans la transcription de l’interrogatoire préalable (TIP) pièce 133(1) :

[traduction] 97. Q. Selon vos coutumes, quel est le sens du mot « Bande »?

R.   Selon mes coutumes—

98. Q. Oui.

R.   … ce mot n’a pas de signification. Suivant mes coutumes, le mot « bande » n’a pas de signification pour nous, non.

99. Q. Selon vos coutumes, quel est le sens du mot « tribu »?

R.   Suivant mes coutumes, nous n’avons pas de mot « tribu ».

100. Q. Conformément à vos coutumes, quel sens donnez-vous au mot « nation »?

R.   Il n’y a pas de mot « nation » dans mes coutumes—il n’y a pas de mot ayant le sens du mot « nation ».

253. Q. Mais si l’homme était de la même tribu, s’il était un Cri, il n’y avait aucune raison empêchant la femme d’amener son mari avec elle et il n’y aurait pas eu de problème à ce qu’il devienne membre de la bande [sic—ce mot est utilisé ici au sens de groupe ou camp existant avant la conclusion des traités]?

R.   Il n’y aurait pas eu de problème.

La défenderesse (ainsi que les intervenants) a parfaitement le droit de s’appuyer sur les réponses données à l’interrogatoire préalable. Compte tenu des réponses vaguement divergentes données par certains des témoins des demandeurs et des fluctuations que connaissait le groupe des partisans d’un chef donné durant les temps ancestraux, la Cour est convaincue que les réponses données par M. Roan au cours de l’interrogatoire préalable satisfont à la norme de la prépondérance des probabilités, eu égard à l’ensemble de la preuve qui a été présentée à la Cour. Les témoins qui ont présenté de l’histoire orale ont, pour la plupart, indiqué qu’ils s’opposent au retour des femmes qui « ont marié des non-Indiens » dans la période qui a suivi la conclusion des traités, et ils ont ajouté à l’adage « qui prend mari prend pays » le corollaire voulant que la personne qui contractait ainsi mariage quittait à jamais la réserve et ne pouvait plus y retourner. La Cour statue que, même si l’adage a pu avoir de façon générale une existence concrète dans la réalité, pour ce qui est du corollaire—dont la preuve n’a pas été faite selon la prépondérance des probabilités—n’est pas vrai et son existence n’a pas été établie pour les fins du présent litige, à supposer même qu’elle ait été établie pour quelque fin que ce soit.

L’adage « qui prend mari prend pays », selon l’interprétation que les demandeurs en donnent, mais dont ils n’ont pu faire la preuve, est, suivant l’exposé des faits et du droit des demandeurs, onglet 2D, page 74, un aspect de la manière dont [traduction] « les communautés autochtones des demandeurs ont, depuis les temps ancestraux, décidé qui sont leurs membres dans leurs territoires au moyen des coutumes traditionnelles ». La défenderesse nie la prétention des demandeurs. M. Roan a fait état de situations inverses, de cas où le mari est allé rester avec son épouse, au sein de la collectivité de cette dernière. Si l’adage invoqué était la règle inflexible que l’on prétend, on trouverait alors immanquablement dans la légende des cas de conflits sérieux relativement à son application, pourtant, aucun cas de ce genre n’a été cité. Évidemment, après 1869, l’Acte des Sauvages puis la Loi sur les Indiens ont contraint les femmes à l’exil en leur retirant leur qualité de membre. Les témoins des demandeurs auraient bien aimé que cette situation ait été la norme durant les temps ancestraux. Pauvres femmes autochtones! Ni leurs propres sociétés autochtones, ni le Parlement ne les ont traitées convenablement, comme en témoigne, par exemple, l’établissement et l’abolition du régime du « billet rouge » («Red Ticket » system).

Le régime du « billet rouge »

Historique

Le « régime » des « titulaires de billet rouge » ou la catégorie de femmes qui étaient désignées ainsi a pris naissance par l’édiction de l’alinéa 3(3)c) de l’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18 (39 Vict.) (voir les textes législatifs produits par les demandeurs, vol. 1, onglet 11, ou le recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, vol. 1, onglet 9, page 25), et il a par la suite été précisé par les articles 12 et 13 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, S.C. 1880, ch. 28 (43 Vict.) (voir les textes législatifs produits par les demandeurs, vol. 1, onglet 13, ou le recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, vol. 1, onglet 10). Ce régime ainsi que son application ont été abondamment décrits par plusieurs anciennes titulaires de « billet rouge », notamment Ruby Fraser et Joyce Runge, et ils ont de plus été décrits de façon très détaillée par un des témoins de la Couronne, Sandra Dolores Ginnish (lecture du témoignage de Ruby Fraser dans TD48, pages 106 à 113; témoignage de vive voix de Joyce Runge dans TD30, pages 4705 à 4713; et témoignage de vive voix de Sandra Dolores Ginnish dans TD31, pages 159 à 161 et TD32, pages 60 à 63; voir également, sur les listes de paiement, la mention des noms de Fraser et de Runge dans TD73, pages 84 et 85 et à la pièce 19, vol. 4-4, pages 493 et 494 sous la rubrique Bande #217).

Le régime des « titulaires de billet rouge » était le résultat d’un certain nombre d’étapes difficiles de l’évolution des premières versions de la Loi sur les Indiens, comme il sera indiqué ci-après. De façon plus particulière, 1869 est une date déterminante puisque c’est l’année au cours de laquelle le Parlement a, pour la première fois, imposé par voie législative aux femmes indiennes qui mariaient des non-Indiens, l’excommunication des terres réservées aux Indiens et des droits aux autres avantages accordés à ceux-ci (Acte des Sauvages de 1869, S.C. 1869, ch. 6 (32-33 Vict.), texte qui figure dans le recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, vol. 1, onglet 7, article 6). L’Acte de 1869 était très sévère; en effet, dès qu’une femme indienne mariait un non-Indien, tous les liens rattachant celle-ci à sa réserve natale étaient complètement et irrévocablement rompus. Cette modification est devenue, beaucoup plus tard dans le temps et dans l’histoire, l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens. Pourquoi le Parlement a-t-il imposé un traitement aussi sévère aux femmes indiennes; la réponse à cette question est simple, de dire les demandeurs. Le Parlement ne faisait que reconnaître, dans la loi, la coutume ou pratique indienne selon laquelle la femme, dès son mariage, s’en allait toujours vivre avec son mari et rompait de ce fait à jamais les liens qui la rattachaient à sa bande natale (par exemple, TD52, pages. 9 et 10, TD53, pages 94, 98, 112 et 130 à 138, ainsi que le célèbre « Drummond Memo » et la correspondance connexe figurant dans la pièce 73, onglets 14 et 15 et 16). Cette coutume ou pratique (qui aurait été codifiée dans la loi) avait pour objet, d’affirmer les demandeurs, de permettre aux communautés indiennes de décider qui étaient leurs membres, de contrôler l’utilisation des terres et d’empêcher des étrangers de venir s’installer dans la communauté par suite de mariages, particulièrement lorsqu’il s’agissait d’étrangers susceptibles d’avoir une influence néfaste.

À l’opposé, la défenderesse et les intervenants prétendent que la modification apportée par la loi de 1869 visait un tout autre objet. Ils ont proposé un certain nombre de possibilités ou de raisons, notamment : a) protéger les communautés habitant des réserves contre la venue dans celles-ci, « par voie de mariages », d’hommes blancs affichant une attitude agressive, qui accapareraient des terres et des ressources de la réserve en quantités excessives ou qui s’adonneraient à des activités malhonnêtes, comme le fait de vendre illégalement des boissons enivrantes aux Indiens ou de leur voler leur bois; b) favoriser l’émancipation et l’assimilation des Indiens; ou, enfin, c) l’Acte des Sauvages aurait tout simplement été modifié pour y intégrer le sexisme, par ailleurs répandu dans les lois européennes où les femmes, de tous âges et de tout statut à l’exception de la « feme sole », étaient traitées comme des personnes à charge des hommes qui avaient les liens les plus étroits avec elles, qu’il s’agisse de leur père ou de leur mari. (Débats ayant précédé l’adoption de la loi de 1869, cités dans le recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, vol. 1, onglet 6; voir également : TD61, pages 98 à 101, et 106; mémoire de l’intervenante NSIAA, pages 23; TD74, pages 119 à 121 et 163; pièce 42, onglet 20; mémoire de l’intervenant CNAC(A), pages 5, 10, 35 et 38; et TD54, page 106.) Comme l’indiquent d’autres éléments de preuve examinés dans les présents motifs, l’adage « qui prend mari prend pays » était le moins plausible des motifs.

Quelle que soit la raison justifiant la modification de 1869, il va soi que tous n’étaient pas heureux de ce changement, comme en témoigne le nombre de plaintes auxquelles il a donné lieu (par exemple, pièces 44, onglets 93 et 94, 119 et 147; pièce 43, onglet 67; pièce 42, onglet 20; TD69, pages 85 à 100; et TD70, pages 2 et 3, 6 et 7 et 11). Toutefois, le Parlement a manifestement tenu compte du mécontentement de la base, comme en témoignent les débats qui ont précédé l’adoption de l’Acte des Sauvages, 1876 (débats reproduits dans le recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse, vol. 1, onglet 8), et il a agi en conséquence dans le texte de l’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18 (39 Vict.), qui a entraîné, comme nous l’avons indiqué précédemment, la création du régime des « titulaires de billet rouge ».

Application du régime

C’est peut-être le témoin Sandra Dolores Ginnish qui a le mieux décrit, dans son témoignage, l’application du régime du « billet rouge ». Celle-ci a déclaré ce qui suit, propos qui sont reproduits dans TD31, aux pages 159 et 160 :

[traduction] Q. Dans quelles circonstances avez-vous rencontré l’expression « titulaire de billet rouge »?

R.   J’ai rencontré l’expression « titulaire de billet rouge » dans le cadre de mon travail au sein de la direction de l’inscription et des listes de bande. Cette expression vise les femmes indiennes qui avaient épousé des non-Indiens avant 1951 et qui, par suite de ce mariage, avaient perdu leur statut d’Indien et avaient cessé d’être membres de la bande à laquelle elles appartenaient jusque-là.

Cependant, comme ces femmes étaient membres de bandes qui payaient—qui recevaient, en vertu d’un traité, des annuités ou des intérêts produits par certaines sommes d’argent, les femmes qui se trouvaient dans cette situation avaient la possibilité soit de se faire verser une somme forfaitaire égale à dix fois le montant de l’annuité prévue par le traité, soit de choisir de continuer à recevoir chaque année cette annuité.

Étaient considérées comme des titulaires de billet rouge les femmes qui avaient choisi de continuer à recevoir chaque année l’annuité prévue par le traité plutôt que de se faire verser une somme forfaitaire.

Q.  Cette possibilité était-elle offerte aux femmes qui avaient, après l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens de 1951, marié des non-Indiens et, de ce fait, perdu leur statut d’Indien et cessé d’être membres de la bande à laquelle elles appartenaient jusque-là?

R.   Non, cette possibilité ne leur était pas offerte.

Le témoin a de plus indiqué ce qui suit, propos qui sont reproduits dans TD32, à la page 60 :

[traduction] R. Le billet rouge lui-même?

Q.  Oui.

R.   Il s’agissait d’une carte qui était remise à la femme qui avait marié un non-Indien, avait perdu son statut d’Indien et avait cessé d’être membre de la bande à laquelle elle appartenait jusque-là. À l’origine, cette carte était rouge et elle indiquait que la femme en question n’était plus membre de la bande, mais qu’elle avait néanmoins droit aux paiements prévus par le traité, lorsque ceux-ci étaient effectués.

Mme Ginnish est la directrice de la Direction de l’inscription et des listes de bande du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Elle s’est révélée un témoin parfaitement crédible. (Le régime du « billet rouge » est également décrit dans : TD74, pages 172 à 175; TD73, pages 79 et 80; TD44B, pages 53 à 56; TD31, pages 159 à 161; TD32, pages 60 à 63; mémoire de l’intervenant CNAC, page 35; pièce 34, page 1141; pièce 54, onglet 157; TD70, pages 2 à 12; et pièce 74.)

Abolition du régime

Le régime du « billet rouge » a été aboli par l’article 15 de la Loi sur les Indiens de 1951, S.C. 1951, ch. 29 (15 Geo. VI) (recueil de textes de loi, jurisprudence et doctrine de la défenderesse) vol. 2, onglet 3, page 320). Cette modification, même si elle ne portait pas atteinte aux droits des personnes qui étaient alors titulaires de billet rouge (autrement dit, les titulaires de billet rouge qui étaient toujours vivantes en 1951 continuaient de recevoir les paiements prévus par les traités), empêchait ce régime de se perpétuer et de toucher les femmes indiennes des générations futures qui marieraient des non-Indiens. (Pour plus de détails, voir également : TD44B, pages 53 à 56; TD65, pages 34 et 35; TD73, pages 79 à 82 et 90; ainsi que le témoignage de Mme Ginnish, mentionné précédemment.)

On constate que, à tout propos, le Parlement a édicté des dispositions législatives afin de prendre en charge la responsabilité de décider qui étaient les membres des groupes autochtones ou des partisans d’un chef donné, et ce avant même la négociation des Traités nos 6, 7 et 8 : qu’il suffise de mentionner la disposition édictée par la loi de 1869—un exemple parfait de cette situation—, disposition qui avait pour effet de dépouiller, par voie législative, de tous les avantages auxquelles elles avaient droit jusque-là les femmes indiennes qui mariaient des non-Indiens, et qui est éventuellement devenue le fameux alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens qui nous intéresse en l’espèce. La Cour statue que les demandeurs ont, ex post facto, adopté la sévérité de la loi de 1869 et, en véritables révisionnistes, affirment que, en 1869, cette Loi du Parlement exprimait la « règle » ancestrale selon laquelle, de temps immémorial, ce sont les groupes autochtones qui décident qui sont leurs membres. Le régime du « billet rouge » a permis d’accorder—mais jusqu’en 1951 seulement—une certaine forme d’indemnisation aux femmes qui étaient exclues.

PREUVE ANTHROPOLOGIQUE

Une preuve volumineuse a été produite à l’égard de cette question, preuve émanant principalement de l’expert des demandeurs, le professeur John Hartwell Moore, professeur d’anthropologie à la University of Florida, et de l’expert de la défenderesse, M. Alexander von Gernet, professeur adjoint d’anthropologie au Erindale College, University of Toronto. La défenderesse a retenu les services de M. von Gernet et lui a demandé de faire, en sa qualité d’expert, un examen critique du document préparé par le professeur Moore et intitulé The Ethnology of Traditional Law Among Native Peoples of Canada, appelé ci-après le « rapport » du professeur Moore. Mais que ce mandat a rendu le professeur Moore furieux! En effet, dès le début de sa déposition en contre-interrogatoire (TD36B, pages 7 et 8), ce dernier s’est emporté et s’est lancé dans des attaques terribles contre la réputation professionnelle de M. von Gernet, donnant ainsi à la Cour, dès le départ, une impression des plus défavorable de sa propre (professeur Moore) crédibilité sur le plan de l’objectivité et de la compétence professionnelle. De fait, la Cour est d’avis que le rapport du professeur Moore laisse beaucoup à désirer pour ce qui est du caractère soigné et approfondi des recherches sur le terrain et des conclusions.

Le rapport du professeur Moore se compose des pièces suivantes : pièce 110—son curriculum vitae, pièce 111(1)—The Ethnology of Traditional Law Among Native People of Canada et particulièrement Response of Certain Patrilocal Peoples to the Passage of the Indian Act of 1985, un résumé de l’analyse et des conclusions du professeur Moore, pièce 111(2)—Appendix B comprenant Supplemental Reports on the Ermineskin Band 1879 to 1950, pièce 111(3)—Complete Data Set, pièce 111(2)(A)—Supplementary Report by Janis E. Campbell et pièce 111(4)—Transcripts of Meetings with Plaintiff Bands. Le rapport compte également divers addendas cotés A à E.

Le rapport principal de M. von Gernet est la pièce 122, à laquelle sont joints cinq documents supplémentaires qui constituent les pièces 122(A) à (E). Des deux experts qui ont déposé, M. von Gernet s’est révélé le témoin le plus impressionnant, le professionnel le plus méticuleux et le mieux organisé et, enfin, celui qui a fait montre de la plus grande assurance et de la plus grande pondération en contre-interrogatoire. La Cour préfère son témoignage, chaque fois que celui-ci contredit le rapport et le témoignage du professeur Moore ainsi que l’opinion des autres témoins. Cependant, cela ne revient pas à conclure que le professeur Moore avait entièrement tort, loin de là.

Après avoir examiné attentivement les rapports et les témoignages des deux experts, la Cour conclut que M. von Gernet a correctement décrit la coutume pertinente et que sa description est, dans une certaine mesure, étayée par le témoignage de M. Roan. La raison pour laquelle M. von Gernet fait mention des Pieds-Noirs dans son analyse est que ceux-ci étaient l’une des parties demanderesses au début de la présente action. La partie 6 de son rapport, la pièce 122, en est l’élément le plus important, qu’il faut lire pour sa valeur intrinsèque et la minutie avec laquelle elle a été rédigée.

Dans une société organisée, il peut exister, de fait il doit exister diverses coutumes propres à assurer le caractère ordonné, régulier et uniforme de la vie de tous les jours. Une coutume, qui se caractérisait par son caractère vindicatif, a été décrite par Wayne Roan. Il s’agissait de la peine qui, durant les temps ancestraux, était infligée par les Cris à ceux parmi eux qui se rendaient coupables d’adultère :

[traduction] Ces deux mots sont les mots que les gens craignaient le plus, car ce sont des mots qui définissent le genre de vie que l’on mène, et l’on est puni soit par les gens eux-mêmes, soit par les membres ou encore en vertu du droit naturel.

LA COUR :

Est-ce que c’était une infraction d’entretenir des rapports avec l’époux ou l’épouse de quelqu’un d’autre?

R.   Il s’agissait d’une infraction grave. Lorsqu’une femme—commençons d’abord par les femmes. La femme qui avait de tels rapports était une femme mariée, qui avait une famille, et cela embarrassait sa famille, son père, ses frères, et la communauté, la tribu ou le camp était déshonorée du fait qu’une telle chose survienne, si la situation était découverte, devenait publique. Si c’était le cas—si quelqu’un perdait la vie ou si des querelles familiales éclataient parce qu’une femme avait commis de tels gestes, la peine était un peu plus sévère. On lui coupait le nez ou une oreille, ou encore une oreille ou un sein, compte tenu de l’étendue de l’infraction qu’il [sic] avait commis contre les lois régissant l’appartenance au camp et contre les gens habitant celui-ci.

Par ailleurs, si c’était un homme qui avait commis l’adultère, il devenait la risée du camp. On le pointait du doigt—on l’affublait de sobriquets. De plus, dans presque tous les cas, son épouse elle-même le punissait, ou le différent—ou les parents de l’épouse. Mais ultimement, cela constituait une situation gênante, l’homme devenait la risée [du camp] si la situation se poursuivait.

LA COUR :

Il s’agissait de châtiments vraiment différents pour la même infraction.

R.   Dans certains cas, si un homme courtisait une autre femme, compte tenu de l’identité de l’homme, c’était l’époux de la femme qui infligeait lui-même la peine.

LA COUR :

Et quelle était cette peine?

R.   Ça pouvait même aller jusqu’à la mort. [TD8, aux pages 880 et 881.]

Les souffrances que causait à la femme la peine qui lui était infligée, notamment la probabilité qu’elle soit victime d’une hémorragie, d’une infection et de la gangrène causant sa mort étaient bien pires que celles que « pouvaient » subir l’homme. Selon d’autres témoins, par exemple Harley Crowchild, la mutilation était le lot des femmes infidèles. Ce témoin a indiqué que, chez les Sarcis, on leur coupait le bout du nez (TD15, page 2231). Le mari infidèle était bien à plaindre. Imaginez, on se moquait de lui! Ainsi, une des coutumes était un régime de peines applicables aux époux infidèles.

L’organisation de la chasse et la mise en place des mesures de sécurité des campements sont d’autres caractéristiques d’une société organisée. Une telle société peut comporter certaines coutumes et non d’autres. Les demandeurs affirment que les sociétés organisées qu’étaient les campements autochtones devaient naturellement avoir ipso facto des règles visant à déterminer qui en étaient membres. Pourtant, les faits présentés en preuve n’appuient pas cette affirmation en apparence logique. Qui plus est, même si cette affirmation reposait sur des faits, la nature et la teneur de la contrepartie prévue par les traités ont eu pour effet d’éteindre de manière absolue la coutume ou le droit dont on vante tant l’existence et qui aurait permis aux bandes indiennes de décider qui étaient leurs membres. Un tel « droit », s’il a jamais existé, a subi un coup mortel par suite de l’adoption de l’Acte des Sauvages, et il a par la suite été complètement éteint par les traités, aux termes desquels le gouvernement, qui versait des annuités aux Indiens, s’était naturellement arrogé le pouvoir de déterminer quels seraient les Indiens qui y auraient droit. Même si le gouvernement a semblé faire preuve de très peu de prévoyance et a agi de manière irréfléchie en décidant de verser à perpétuité des sommes aux Indiens visés par les traités, il n’a pas été obtus au point de laisser ceux-ci et leurs amis décider combien de personnes auraient droit au statut d’Indien visé par un traité et aux paiements en découlant. Comme les effets naturels de la procréation présentaient déjà suffisamment de risques pour les contribuables, il était inutile de les accroître de façon significative en accordant aux Indiens le droit de décider eux-mêmes qui avaient droit à la « naturalisation ». De nombreux sang-mêlés et Métis avaient joint les rangs de campements autochtones (apparemment sans que leur adhésion ait été soumise à un vote ou qu’ils aient eu à se conformer à quelque règle régissant l’appartenance aux bandes) et, au moment où les Traités nos 6, 7 et 8 ont été conclus, les chefs et leurs partisans étaient disposés à tenter d’obtenir que les sang-mêlés et les Métis se voient reconnaître, en vertu des traités, le droit d’être membres ainsi que le droit aux paiements prévus et aux terres faisant partie des réserves. Les commissaires chargés de négocier les traités pour le gouvernement n’avaient pas reçu d’instructions les autorisant à convenir de prélèvements sur les deniers publics et ils refusèrent d’inclure ces non-Indiens dans les traités. En conséquence, il est carrément déraisonnable—voire impossible—de prétendre qu’un hypothétique droit ancestral de décider qui était membre des réserves, c’est-à-dire de décider de l’appartenance à l’effectif de la bande, ait survécu pour tout ou partie sans être éteint. Si ce droit a jamais existé, il n’a pas manqué d’être éteint, et ce au plus tard au moment de la conclusion des traités, car la garantie absolue offerte par le gouvernement à l’égard des terres constituant les réserves et le pouvoir de décision concomitant du gouvernement sur la détermination de l’effectif des bandes dans les réserves étaient deux des conditions essentielles de ces traités.

La question de savoir si le droit invoqué par les demandeurs a existé est l’un des points litigieux qui doit être tranché dans la présente action. Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs et la défenderesse ont, à cet égard, fait témoigner des experts qui ont examiné cette question de manière très sérieuse.

La partie 6 du rapport de M. von Gernet est des plus pertinente. Elle fourmille de notes en fin de texte renvoyant à diverses sources, comme le reste de son rapport d’ailleurs. Voici quelques passages persuasifs (après suppression des renvois aux notes en fin de texte) que la Cour juge convaincants.

[traduction] 6.5 DÉTERMINATION DE L’«APPARTENANCE » À L’EFFECTIF DU GROUPE

Les demandeurs ont affirmé qu’ils considèrent comme un droit ancestral « le droit des membres de leurs bandes, en vertu de leurs lois coutumières respectives, de déterminer qui sont les membres de leurs bandes et de mettre leur veto à l’admission de toutes personnes comme membres de celles-ci ». [Détails tirés de l’alinéa 4b) de l’ordonnance du juge Strayer datée du 31 octobre 1986.] Après avoir examiné les notions de « coutume » et « bande », je vais maintenant m’attacher à la notion de « qualité de membre ». Les recherches de M. Moore ne donnent aucun renseignement que se soit sur la façon dont les Cris des plaines, les Cris des bois, les Sarcis et les Pieds-Noirs décidaient qui avaient droit à cette qualité. Même si, dans son rapport, il précise la teneur du « droit traditionnel » allégué, il conceptualise ce droit en fonction non pas des mécanismes décisionnels appliqués, mais plutôt de la logique du système culturel. Comme je l’ai indiqué précédemment (Article 3.5 qui précède) [l’adaptation au milieu détermine les variations dans les systèmes culturels], le rapport fait une pétition de principe : si les « lois » régissant la qualité de membre découlent de contraintes qui ne sont pas le fait des hommes, comment la qualité de membre peut-elle être alors déterminée par des « membres » qui, réunis en conseil, votent pour ou contre? C’est une chose de prétendre que quelqu’un est exclu d’un groupe en raison de la manière dont un système (de conception anthropologique) fonctionnait, mais c’est une toute autre chose d’affirmer qu’une telle personne est exclue par l’exercice d’un droit de veto.

Il est essentiel d’identifier des décideurs ou une instance décisionnaire, non seulement au regard des allégations concernant la « qualité de membre » formulées dans la déclaration, mais également pour déterminer si le mot « loi » peut être considéré comme une description acceptable de la réglementation tribale alléguée (voir l’article 3.4 qui précède). Même si j’ai prétendu qu’il n’est pas indiqué pour un anthropologue de décider laquelle parmi une multitude de pratiques devrait constituer la culture « traditionnelle » d’une société du vingtième siècle, et même si j’éprouve de sérieuses réserves quant à la capacité de quiconque de pouvoir vérifier si l’une ou l’autre de ces pratiques étaient en vigueur à la date ou aux dates de la signature des traités, je vais néanmoins, pour les fins de la discussion, passer en revue la littérature afin de voir s’il n’est pas possible d’y trouver quelque élément de preuve concernant la façon dont les hommes (par opposition à un système) décidaient, au cours de la période qui a précédé la signature des traités, qui avait droit à la « qualité de membre » d’un groupe.

6.5.1 Preuve ethnographique

Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que la littérature ethnographique qui est citée dans le rapport de M. Moore, annexée à celui-ci, ou les deux, pour recueillir des éléments de preuve concernant les mécanismes de formation des groupes. Chez les Pieds-Noirs, les parents de la mère ou de l’épouse d’un membre du sexe masculin, et de fait toute personne, indépendamment de son sexe, de son degré de consanguinité ou de parenté par alliance, pouvaient camper avec le groupe et s’affilier à un leader donné. À l’inverse, tout membre pouvait décider de prendre la qualité de membre au sein des partisans d’un autre chef. Parfois, des familles entières s’affiliaient à un nouveau groupe. Dans l’ensemble, la qualité de membre semble avoir été principalement fonction de la situation économique plutôt que des liens du sang. Il n’y a aucune indication que les dirigeants des groupes prenaient quelque décision que ce soit relativement à l’exclusion de nouveaux membres ou de membres désirant revenir au sein d’un groupe. De fait, dans ce qu’on a décrit comme étant l’«individualisme anarchique des habitants des plaines »,le chef avait relativement peu de pouvoirs; ce n’est qu’après la conclusion des traités que le gouvernement a conféré au chef un pouvoir qu’il ne possédait pas auparavant à l’échelle locale.

Une situation analogue existait au sein des Sarcis. Les familles pouvaient s’affilier soit temporairement soit de façon permanente avec tout groupe, et de nouvelles unités sociales pouvaient prendre forme chaque fois qu’un chef attirait plusieurs familles dans sa sphère d’influence. Les chefs ne possédaient pas de pouvoir formel et ils n’avaient aucun moyen de faire respecter leurs souhaits personnels autrement qu’en se gagnant l’appui de la population. L’examen des listes de paiements concernant les Sarcis révèle que, entre 1877 et 1891, il y a eu d’importants mouvements et réalignements de population entre les bandes.

Selon Mandelbaum, chez les Cris des plaines, [traduction] « la reconnaissance de la qualité de membre au sein de la bande était une affaire simple. Toute personne qui vivait dans le campement depuis un certain temps et qui se déplaçait avec le groupe était rapidement reconnue comme étant un membre de celui-ci. » Il n’y a aucune preuve indiquant que les membres prenaient—suivant un certain formalisme et à la lumière de critères particuliers—quelque décision que ce soit relativement à l’inclusion de nouveaux membres au sein du groupe ou à l’exclusion de personnes qui en faisaient partie. Au contraire, ceux qui souhaitaient s’affilier à un groupe prenaient leur décision en fonction du prestige du chef ou de l’aptitude de celui-ci à nourrir ses partisans.

Plusieurs sources indépendantes concernant divers groupes cris confirment qu’il n’y avait pas de dirigeants—institutionalisés ou établis de manière formaliste—qui étaient chargés de fonctions exécutives ou judiciaires. Même si M. Moore n’a pas fourni d’information visant spécifiquement les Cris des bois, d’autres sources tendent à indiquer que les dirigeants de ces Indiens ne disposaient pas de pouvoirs de coercition. Qui plus est :

[l’]effectif des bandes locales et régionales fluctuait, en fonction des talents de leurs chefs, de facteurs environnementaux, notamment de l’abondance du gibier, et des réorganisations familiales. Il n’y a aucun indice que les bandes régionales ou locales respectaient des frontières territoriales bien définies. Les familles étaient libres de quitter une bande pour en joindre—de façon permanente ou temporaire—une autre où elles comptaient des parents. Les variations dans la taille et la composition des bandes étaient directement fonction de l’exploitation des ressources naturelles et de l’adaptation aux saisons.

6.5.2 Répercussions

Le concept de « qualité de membre » est difficile à examiner en l’absence de toute référence au type de groupe au sein duquel les individus sont inclus ou dont ils sont exclus. Il est clair qu’un individu peut être simultanément « membre » de plusieurs groupes représentant différents ordres de l’organisation sociale … la « qualité de membre » dans chacun de ces groupes reposant sur un fondement différent. Qui plus est, si un étranger intègre un groupe par le mariage ou par quelque autre lien social, ils [sic] deviennent de facto « membres » du nouveau groupe du fait de leur présence dans le nouveau milieu social, de leur apport à celui-ci, ou des deux, indépendamment de toute règle d’exclusion ayant pour effet de restreindre certains « droits »…. En outre, contrairement à l’impression que crée M. Moore, la notion de « citoyenneté » n’est pas invoquée dans les discussions anthropologiques concernant le statut des individus qui appartiennent à des groupes pratiquant une économie de prédation, cette notion étant généralement réservée aux sociétés organisées complexes de type étatique.

Pour ces raisons, l’importance qu’accorde M. Moore à la linéarité en tant que critère de détermination de l’appartenance à un groupe est uniquement une vision arbitraire, qui a pour effet de confiner la notion de « qualité de membre » à une certaine abstraction théorique. Les sources ethnographiques indiquent que le régime patrilinéaire idéal n’était pas un facteur important dans la prise des décisions concernant l’affiliation à un groupe. À mon avis, cela s’applique également aux groupes autochtones qui ont signé des traités au cours des années 1870… Je prétends que, pour les Indiens, dans le cadre des traités, la notion de « qualité de membre » concernait l’identité de ceux qui appartenaient concrètement à un groupe fonctionnel (par exemple, les regroupements sociaux qui se mêlaient, au cours de l’été, autour de certains lacs) et non pas les liens de consanguinité et de parenté par alliance de chaque individu.

Si la preuve ethnographique qui est citée dans le rapport de M. Moore, annexée à celui-ci, ou les deux, est considérée comme une description fidèle des « traditions » qui existaient avant la signature des traités, on peut alors affirmer que les Pieds-Noirs, les Sarcis, les Cris des plaines et les Cris des bois avaient tous des organisations sociales remarquablement souples, au sein desquelles on ne suivait pas de règles formelles régissant la « qualité de membre », ou que si de telles règles existaient, elles étaient rarement appliquées. Les chefs y avaient certainement moins de pouvoir et une autorité beaucoup moins grande à l’échelle locale que les pouvoirs et l’autorité dont ils commencèrent à jouir après la signature des traités. Qui plus est, quiconque lit les sources ethnographiques ne manque pas d’être étonné par le fait qu’on y fait peu mention de décisions prises par ceux qui appartenaient déjà à un groupe. Au contraire, on y insiste sur les décisions des individus et des familles qui envisageaient de joindre un regroupement social. En conséquence, il semble que c’était plutôt les candidats qui décidaient si un groupe donné leur convenait ou si un chef particulier avait les compétences nécessaires pour bien servir leurs intérêts. Il est possible d’y voir un indice que l’inclusion comportait plus d’avantages que l’exclusion. Ces constatations sont conformes aux conclusions qu’ont formulées les antropologues, de façon générale, à l’égard des sociétés pratiquant une économie de prédation. Pour reprendre les propos de Leacock et Lee, ces sociétés se caractérisent par [traduction] « des pratiques de partage de type égalitariste, un antiautoritarisme poussé, un attachement important à la coopération conjugué à un grand respect de l’individualisme et, enfin, une souplesse considérable pour ce qui était de leur effectif et du mode de vie en général. »

Cette souplesse se révéla un atout … car elle facilitait des regroupements propres à permettre l’adaptation aux bouleversements démographiques et aux changements dans la disponibilité de la nourriture. J’irais même jusqu’à affirmer que, si les chefs avaient invoqué un droit de véto pour s’opposer à l’admission de personnes en fonction de leur sexe et d’une certaine forme de jus sanguinis (droit du sang), non seulement une telle attitude aurait-elle été contraire aux principes de bienveillance, de générosité et de partage qu’ils prônaient, mais elle aurait même entraîné la mort de plusieurs pauvres individus isolés.

6.6 SORT DES FEMMES AUTOCHTONES QUI MARIAIENT DES EUROPÉENS

Un des aspects du rapport de M. Moore qui m’apparaît singulier est l’absence complète dans celui-ci de tout examen de la question des mariages entre les femmes autochtones et les Européens. Je considère ce fait singulier étant donné que le rétablissement de ces femmes dans leur droit d’être membre des bandes, rétablissement qui a découlé des modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens, semble avoir été l’une des principales raisons pour lesquelles les demandeurs ont intenté la présente action devant la Cour.

Dans la présente section, je m’écarte des « lois coutumières » qui, prétend-on, ont été [traduction] « conservées en dépit de la colonisation de l’Amérique du Nord par les Européens », [déclaration, paragraphe 9] pour m’attacher aux pratiques qui se sont établies en raison de la présence européenne en Amérique du Nord. Bien qu’il ne puisse jamais être possible de découvrir, par exemple, quel statut les partisans de Ermine Skin reconnaissait, en 1878, aux femmes qui épousaient des hommes « blancs » (ou si, de fait, de tels mariages se sont jamais produits), certaines sources documentaires nous donnent un aperçu général des mariages, dans l’Ouest du Canada, entre des autochtones et des nouveaux venus au cours des périodes protohistorique et historique.

Compte tenu du fait que la vaste majorité des documents ethnohistoriques ont été produits par des Européens, il a toujours été ardu pour les chercheurs de relater les expériences des femmes autochtones. Sylvia Van Kirk est celle qui s’est le mieux acquittée de cette tâche dans sa thèse de doctorat, thèse qui a été révisée et publiée sous le titre Many Tender Ties. Mme Van Kirk a étudié pratiquement toutes les sources d’information pertinentes les plus anciennes afin d’examiner le rôle qu’ont joué, dans l’Ouest canadien, les femmes autochtones au sein d’une société qui reposait sur le commerce des fourrures (sources d’information qui se trouvent dans le fonds documentaire pour la période de 1670 à 1870). À mon avis, ces travaux sont éminemment pertinents et je m’y suis référé pour rédiger la section qui suit.

6.6.1 Mariage à la façon du pays

Le succès du commerce des fourrures a été, dans une large mesure, le fruit des mariages entre des commerçants européens et des femmes autochtones. Contrairement aux contacts interculturels qui se produisaient dans d’autres parties du monde, dans la plupart des cas, les relations de nature sexuelle qu’avaient les commerçants avec des femmes autochtones n’étaient pas de simples aventures passagères, mais elles se caractérisaient par un mariage à la façon du pays.

Chez les Cris de l’Ouest du pays, le mariage était considéré moins comme une union entre des individus que comme un contrat entre deux groupes familiaux; d’où la pratique qui consistait à offrir des services à la famille de l’épouse, pratique dans le cadre de laquelle le couple allait vivre près des parents de l’épouse, avant la naissance du premier enfant, pour que l’époux puisse fournir des provisions à ses beaux-parents et démontrer qu’il était digne de s’acquitter de ses nouvelles responsabilités. Dans les premiers temps, le mariage à la façon du pays était essentiellement une adaptation (et non pas une simple imitation) de ces pratiques autochtones. Les Autochtones insistaient pour que le commerçant européen qui désirait épouser une des leurs obtienne le consentement du père et de la mère de celle-ci et verse le « prix de l’épouse » fixé par la famille de cette dernière. Les nouveaux arrivants adoptèrent même la pratique de la polygamie. En effet, il existe de nombreux exemples de représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui avaient plus d’une femme autochtone.

Mme Van Kirk prétend que les liens ainsi créés par ces mariage [traduction] « contribuaient à améliorer les relations avec une nouvelle tribu, donnant à l’Indienne le rôle d’agent de liaison culturel entre les Blancs et son peuple. » Il s’agissait là d’un prolongement logique du rôle intrinsèque important que jouent les femmes dans les rapports qu’entretiennent des groupes distincts.

[traduction] Il est important de souligner que, au départ, les Indiens ont encouragé la conclusion d’alliances, par le mariage, entre leurs femmes et les commerçants européens. L’Indien envisageait le mariage comme une mesure d’intégration socio-économique. En effet, l’alliance établie par le mariage créait un lien social réciproque qui servait à consolider ces rapports économiques avec l’étranger. Ainsi, par le mariage, le commerçant entrait dans le cercle familial de l’Indien. En contrepartie des faveurs sexuelles et autres droits matrimoniaux qu’ils accordaient aux commerçants en les laissant épouser des femmes indiennes, les Indiens attendaient en retour des privilèges réciproques, tel le libre accès aux postes de traite et aux provisions. Le fait pour une famille indienne de marier une de ses filles à un commerçant de fourrures était source de prestige ainsi que promesse de sécurité. Chez les familles cries, cela devint une coutume de réserver au moins une de leurs filles pour l’offrir comme épouse aux « hommes blancs ».

Compte tenu de ces pratiques et attentes, il aurait été tout à fait illogique pour le groupe au sein duquel était née l’épouse d’ostraciser celle-ci ou de rompre formellement les liens qui la rattachaient à lui. De fait, le maintien de tels rapports était éminemment souhaitable, voire essentiel dans une économie de troc.

Il existe des preuves du maintien des liens consanguins et ce même après que les avantages économiques découlant des liens de parenté par alliance avaient cessé d’exister ou avaient diminué par suite de la séparation du couple mixte. Des représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de la Compagnie du Nord-Ouest qui avaient été témoins de la chose ont rapporté que des femmes autochtones qui avaient marié des hommes blancs et eu des enfants avec eux étaient retournées dans leur groupe d’origine. Dans certains cas, les mariages étaient considérés presque comme des prêts à long terme. Certains époux jugeaient même convenables de prêter leurs épouses pendant des périodes allant d’une nuit à plusieurs années, périodes au terme desquelles les femmes pouvaient revenir, accompagnées des enfants auxquels elles avaient donné naissance pendant leur absence.

Il est difficile d’apprécier les répercussions de ces unions interraciales sur l’organisation sociale des autochtones. Le métissage en est peut-être la conséquence la mieux connue. La progéniture des Canadiens français qui travaillaient pour la Compagnie du Nord-Ouest et de leurs femmes indiennes menant la vie de chasseurs de bisons dans les plaines. Même si les Métis se dissociaient, à dessein, et des Indiens et des Européens, dans bon nombre de cas il n’y avait aucune différence entre eux et les Cris sur les plans linguistique et culturel. D’autres mariages mixtes furent à l’origine de nouveaux groupes d’Indiens. De fait, un des huit groupes de Cris des plaines de la fin du dix-neuvième siècle, que Mandelbaum désigne comme étant les Gens de Parklands, était principalement composé de descendants d’un commerçant écossais. Dans la majorité des cas, les répercussions furent vraisemblablement moins importantes. En effet, les mariages qui survenaient périodiquement servaient à établir des rapports étroits entre des communautés autochtones autonomes et des postes de traite.

L’arrivée de femmes européennes dans l’Ouest canadien, les premières déguisées en garçons en 1806, fit naître des préjugés envers les femmes autochtones et entraîna la réduction du nombre de mariages à la façon du pays. Fait plus important encore, après 1870, l’objectif des Européens, en l’occurrence les Britanniques, consistait principalement à établir une société agraire. Dans ces circonstances, on avait peu besoin de liens socio-économiques entre des femmes autochtones et des hommes européens. En conséquence, on peut supposer que, lorsque les traités numérotés furent conclus, le phénomène des mariages à la façon du pays qui avait caractérisé les rapports matrimoniaux entre les Autochtones et les nouveaux venus pendant deux siècles, était en déclin. Néanmoins, ces unions demeuraient suffisamment fréquentes pour que le gouvernement canadien décide de les réglementer.

6.6.2 Les femmes et la Loi sur les Indiens

L’Acte d’émancipation de 1869 a été la première loi canadienne portant sur le statut des femmes autochtones qui avaient marié des non-Indiens. Le texte de loi disposait que ces femmes n’étaient pas des « Sauvages » au sens de l’Acte en question et qu’elles cessaient d’être membres de la bande à laquelle elles appartenaient jusque là. En 1872, les Indiens de l’Ontario et du Québec firent des pressions pour que cette disposition soit modifiée de sorte que [traduction] « les femmes indiennes aient le privilège d’épouser qui elles voulaient et quand elles le voulaient, sans être exclues ou expulsées de la tribu. [Envoi du président du General Indian Council (Napance) au ministre de l’Intérieur, daté du 16 juin 1872.] Leurs appels restèrent lettre morte et les dispositions portant exclusion furent reprises dans l’Acte des Sauvages, 1876.

Il convient de signaler que l’indignation que soulevaient ces dispositions ne se limitait pas aux femmes indiennes comme Sandra Lovelace, qui porta l’affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Même des anthropologues et des historiens professionnels abandonnèrent leur réserve habituelle d’hommes de sciences dans la description qu’ils faisaient de la [traduction] « discrimination sexuelle flagrante » qui était la « caractéristique la plus infâme » de l’Acte. Il ne s’agit pas là d’une simple réaction découlant de la sensibilisation à l’égalité des sexes et aux droits ancestraux qu’a entraînée l’adoption de la Charte des droits et libertés. Au contraire, ceux qui estiment que les mariages à la façon du pays n’avaient pas pour effet de diminuer le statut de l’épouse au sein de son groupe d’origine reconnaissent que les dispositions portant exclusion des lois de 1869 et de 1876 étaient des conditions injustes imposées par une société dominée par les hommes…

L’affirmation téméraire de M. Moore selon laquelle les dispositions portant exclusion de l’Acte d’émancipation de 1869 [traduction] « auraient facilement pu être rédigées par un chef ou un sous-chef de l’une des bandes demanderesses » et sont généralement [traduction] « compatibles avec l’ensemble des lois traditionnelles » est, à franchement parler, absurde. En effet, la loi a été édictée avant que le Canada ne fasse l’acquisition de la Terre de Rupert et du territoire du Nord-Ouest de la Compagnie de la Baie d’Hudson et avant la signature des premiers traités numérotés avec les Indiens de l’Ouest. M. Moore ne prétend sûrement pas que les chefs des Six Nations Iroquoises, Nations qui relevaient de l’autorité du Canada à l’époque, auraient pu facilement rédiger un tel document. Comme l’a fait observer J.R. Miller, historien de la University of Saskatchewan :

[traduction] Le fait de rattacher, dans la Loi sur les Indiens, la filiation et l’identité indiennes au père était l’application irréfléchie, par une société patriarcale, des vues patrilinéaires européennes; mais ces vues cadraient mal avec celles des sociétés indiennes, telle la société iroquoise, où l’identité et l’autorité étaient transmises par la branche maternelle de la famille. Tous ces efforts de réaménagement culturel illustrent également de quelle façon et de quelle manière les premières mesures prises en vue de protéger les gens semblaient toujours conduire aux abîmes de la coercition.

En outre, ce serait pousser la crédibilité à l’extrême que de croire que, par quelque coïncidence inexplicable de l’histoire, une société organisée de type étatique ait pu édicter un texte de loi visuellement identique aux « lois » des sociétés tribales qu’elle tentait de « civiliser ».

6.6.3 Répercussions

Si j’ai bien compris leur déclaration, les demandeurs contestent notamment le fait qu’on ait rétabli dans leur droit d’être membres de la bande des femmes qui, (en vertu des dispositions portant exclusion d’un texte antérieur de la Loi sur les Indiens), avaient été dépouillées de ce droit parce qu’elles avaient épousé des non-Indiens. Si M. Moore a raison de conclure que, après qu’une femme s’est mariée et respecte la patrilocalité, [traduction] « elle demeure néanmoins membre de la bande à laquelle appartient son père et au sein de laquelle elle est née », il me faut alors conclure que le reste de son rapport est superfétatoire, étant donné que, à elle seule, cette admission règle, pour l’essentiel, cette question particulière. Dans la déclaration, les demandeurs affirment que sont compris parmi les « droits ancestraux » les « lois coutumières » des peuples autochtones. Il est possible de présumer que ces lois coutumières incluent l’hypothétique « loi traditionnelle » régissant les droits des femmes et l’appartenance à la bande. En conséquence, les femmes—dont le droit d’être membre de leur bande d’origine (en vertu de la « loi traditionnelle » a été éteint par les dispositions de la Loi sur les Indiens se sont vues rétablir dans leurs droits par les modifications apportées à cette loi en 1985. Dans ces circonstances, la seule question qui demeure est celle de savoir si le droit qu’invoquent les demandeurs (en vertu de la « loi traditionnelle ») de décider qui sont les membres des bandes a, du point de vue « ancestral », préséance sur le droit des femmes de rester membres de leurs bandes d’origine (en vertu de cette même « loi traditionnelle »).

M. Moore n’a pas cité d’éléments de preuve documentaire au soutien de l’affirmation selon laquelle les femmes restaient « membres » de leurs groupes d’origine. Néanmoins, à la lumière de la preuve que j’ai moi-même pu trouver, je suis convaincu que cette affirmation peut être considérée comme plausible. Je ne peux affirmer avec certitude que cela a été le cas dans tous les mariages au cours de la période préhistorique. Cependant, ce que je suis en mesure d’affirmer avec confiance, c’est que durant les deux siècles qui ont précédé la signature des traités numérotés, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que des femmes autochtones ayant marié des Européens à la façon du pays ont été chassées des groupes au sein desquels elles étaient nées. En tant qu’« intermédiaires féminins », elles étaient « membres » à la fois de la société de leurs époux et de celle de leurs groupes d’origine. C’est la Loi sur les Indiens et non la « tradition » qui les empêchaient de s’affilier avec ce dernier groupe.

Pour ce qui est des mariages entre Indiens et non-Indiens, il est impossible de se référer aux « traditions » préhistoriques (c’est-à-dire à la période antérieure au contact avec les Européens). En effet, par définition, ces unions se limitent aux périodes protohistorique et historique. En conséquence, cette pratique plus particulière, qui était le fruit d’une mesure d’adaptation au potentiel économique qu’offrait l’établissement de rapports entre deux groupes qui disposaient chacun d’excédents de biens à échanger qui intéressaient l’autre, devint une « tradition » commune des autochtones et des nouveaux venus. Bien que cette tradition ait servi à forger des liens entre les Indiens et les Européens, l’Acte d’émancipation de 1869 visait à faire des Indiens des Européens.

6.7 RÉSUMÉ

À mon avis, les conclusions de M. Moore, qui sont résumées aux pages 32 et 33 de son rapport, ne trouvent appui ni dans la documentation qu’il fournit ni dans la littérature anthropologique et historique que j’ai été en mesure de trouver. Il n’a pas fait la lumière sur la culture des société autochtones [traduction] « à l’époque où celles-ci sont entrées pour la première fois en contact avec les colons européens », il n’a pas établi que les groupes demandeurs possédaient des « lois traditionnelles » témoignant de l’existence d’un régime patrilinéaire—patrilocal et, enfin, il n’a pas démontré que ce régime « a continué » d’être appliqué par la Bande Ermineskin au cours de la période de 1879 à 1950…

Contrairement à la rigidité et à la persistance du corpus de « lois » dont M. Moore suppose l’existence, la preuve ethnologique et historique témoigne davantage de la souplesse de l’organisation sociale autochtone. Cette souplesse a permis aux sociétés amérindiennes qui pratiquaient une économie de prédation de s’adapter à l’évolution des conditions, au cours d’une période qui a duré au moins 11 500 ans. Je prétends que ce qui pourrait être qualifié de « traditionnel » ou d’« ancestral », ce n’est pas « la coutume » qui a existé à une époque donnée des périodes préhistorique, protohistorique ou historique, mais plutôt ce riche héritage d’adaptations fructueuses aux défis qui se présentaient.

La variation de la taille et de la composition des groupes qui pratiquaient une économie de prédation, ainsi que l’absence de restrictions abstraites applicables à la notion de « membre » ont fait en sorte que les ancêtres des bandes demanderesses ont été en mesure de faire face aux bouleversements créés par les contacts avec les Européens au cours des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Les réalités pratiques de l’obligation d’assurer quotidiennement sa survie avaient pour effet d’écarter l’application de tout régime idéal de liens de parenté et de pratiques matrimoniales formelles, régimes et pratiques qui, après tout, existent rarement ailleurs que dans l’imagination des anthropologues. Si de tels régimes idéaux et les « lois » correspondantes ont existé à quelque moment que ce soit (existence dont la preuve se fait toujours attendre), alors, dans un sens, tout « droit ancestral » de les mettre en œuvre a, à de nombreuses occasions et ce bien avant les années 1870, été éliminé par des nécessités d’ordre pratique.

Une des réactions les plus caractéristiques à la présence des Européens fut le phénomène des mariages transculturels. Ce lien social important a permis aux autochtones et aux nouveaux venus de raffermir les liens entre leurs groupes respectifs. Tout au long de la protohistoire et pendant une bonne partie de la période historique, ces mariages unissaient des femmes autochtones à des Européens. Les femmes autochtones qui mariaient des non-Indiens conservaient la « qualité de membre » au sein de leur groupe d’origine—fait qu’a admis M. Moore et qui constitue peut-être le seul point important sur lequel nos recherches concordent. Les dispositions législatives qui avaient pour effet de dépouiller ces femmes de leur droit d’être membre des bandes ont été rédigées à une époque où la société euro-canadienne, qui se caractérisait par des valeurs patriarcales, faisaient peu d’efforts pour découvrir et comprendre les traditions autochtones, étaient pressées de « civiliser » les Indiens et étaient résolues à transformer ceux-ci pour les traiter non plus comme une race mais comme une catégorie juridique. À mon avis, l’abrogation de ces dispositions par les modifications apportées en 1985 à la Loi sur les Indiens visait à corriger un malentendu historique en ce qui concerne les pratiques autochtones, plutôt qu’une atteinte à des « traditions » ou « coutumes ».

La Cour fait siens les passages précités du rapport de M. von Gernet (pièce 122). Comme nous l’avons indiqué précédemment, le rapport est solidement étayé de renvois à des notes en fin de texte appuyant toutes les citations qui s’y trouvent et pratiquement toutes les affirmations qui y sont faites.

La Cour statue que, durant les temps ancestraux et ce jusqu’à la signature des traités, aucun des prédécesseurs des demandeurs ne possédait de coutume ayant pour objet de leur permettre de décider qui étaient leurs membres ou qui étaient les partisans de leurs chefs. C’était tout le contraire. En effet, l’importance du chef dépendait du nombre d’individus ou de familles qui choisissaient de le suivre. Même les gens nés de partisans d’un chef donné étaient libres de quitter le campement de ce dernier et d’aller en joindre un autre. On ne leur posait aucune question. Leur départ faisait le malheur d’un chef et le bonheur d’un autre. Si cette liberté de quitter un groupe pour en joindre un autre était une coutume ancestrale, elle était diamétralement à l’opposé du principe de la « détermination » de l’effectif de la bande.

À vrai dire, c’était là la position des demandeurs au cours de l’interrogatoire préalable de Wayne Roan (TIP, vol. II, 17 janvier 1989), qui figure à la pièce 133(2), page 224, question 891 et s., jusqu’à la fin de la page 225. Sur ce point, M. Roan et M. von Gernet étaient d’accord. Il n’existait aucun droit de « veto » relativement à l’adhésion. Même les personnes qui ne se comportaient pas convenablement n’étaient pas expulsées. Voici la réponse qu’a donnée Sophie Makinaw, dans sa version de l’histoire orale, en interrogatoire principal, lorsqu’on lui a demandé quel était le traitement réservé aux personnes qui ne respectaient pas les coutumes et les traditions du camp :

[traduction] Je n’ai jamais entendu parler de cas où soit on a dit aux gens de quitter le camp, soit on les en a expulsés parce qu’ils ne se conformaient pas aux exigences ou aux règles du camp, car le mécanisme qui existait [en vertu duquel on conseillait les intéressés et on se moquait d’eux en public, on les tournait en ridicule] faisait en sorte que, éventuellement, les fautifs rentraient dans le droit chemin. [TD6, à la page 597.]

À la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris de l’opinion formulée par M. von Gernet, la Cour juge qu’il n’existait aucun [traduction] « droit ancestral », (et certainement aucun droit issu de traité) « [autorisant] les membres desdites bandes [ou des camps ou des groupes de partisans d’un chef], à décider, en vertu de leurs lois coutumières respectives, de l’appartenance aux effectifs des bandes [camps ou groupes de partisans] et de mettre leur veto à l’admission de toute personne en tant que membre des bandes [camps ou groupes de partisans d’un chef] ». La Cour statue qu’il n’existait ni droit ni loi coutumière de cette nature, contrairement à ce qu’ont plaidé les demandeurs dans les précisions fournies en application de l’ordonnance du juge Strayer datée du 31 octobre 1986. Ces précisions sont l’expression d’un révisionnisme fictif.

« Le statut d’Indien et les conditions selon lesquelles un Indien est considéré comme membre d’une bande particulière étaient définis en 1981, et ils le sont encore, par le Parlement et non par le Conseil de la bande. » Le juge Mahoney a formulé ces propos dans l’affaire Bay c. Registraire des Indiens (1976), 9 CNLC 36 (C.F. 1re inst.). C’était là l’état du droit en 1976, et la situation n’a pas changé, même si le Parlement, par la loi, délègue aux conseils de bande le pouvoir de définir, au moyen de critères d’appartenance, qui sont ses membres en prenant un règlement administratif établissant les règles d’appartenance.

Compte tenu de ce qui précède, il n’existait pas dans le passé et il n’existe pas aujourd’hui de droit ancestral autorisant une bande à décider de l’appartenance à son effectif, droit qui donnerait ouverture à l’application du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par ailleurs, si un tel droit existait, il serait évidemment assujetti au paragraphe 35(4) et serait, de ce fait, inopérant dans la mesure où il ne garantirait pas (ce qui était effectivement le cas, s’il avait existé) également aux personnes des deux sexes les mêmes droits en ce qui concerne l’appartenance à la bande et l’état matrimonial.

La « coutume » était entièrement une attitude de laisser-faire pour ce qui était de l’appartenance aux camps ou aux groupes de partisans d’un chef, et ce pour tous les prédécesseurs des demandeurs. Les peuples autochtones n’ont fait valoir ni loi coutumière, ni règle, ni droit de veto positifs. Au contraire, ce qui ressort de l’examen, c’est l’existence d’un vide plutôt que d’un pouvoir de décision sur l’appartenance à la bande : en effet, les intéressés avaient plutôt la liberté de joindre un camp ou le groupe de partisans d’un chef donné, et personne n’était jamais expulsé. La liberté de joindre un camp était assortie de la liberté concomitante de quitter celui-ci. De toute évidence, les demandeurs ne sont pas en mesure d’établir l’existence d’un droit—ancestral ou issu de traité—donnant ouverture à l’application du paragraphe 35(1). Peut-être que la coutume même que constitue l’absence complète de loi coutumière à cet égard pourrait, elle, donner ouverture à l’application de ce paragraphe. Qu’il y ait eu coutume ou absence de coutume, règle ou absence de règle, la situation n’existait plus en 1982, ni même après la conclusion des traités. Les traités, de par leurs exigences, ont nécessairement éliminé de façon claire et nette cet « état de fait ». En effet, cet « état de fait », qu’il s’agisse soit de l’existence de règles coutumières, soit de l’absence—situation qui aurait elle-même constitué une coutume—de toute règle ou encore de tout « pouvoir décisionnel » qui aurait été exercé concrètement, a été complètement annihilé par les traités, voire par une version antérieure à ceux-ci de la Loi sur les Indiens. Qu’il ait été fondé sur des règles ou sur l’absence de règles, aucun droit ancestral—qui aurait permis aux bandes soit de faire de la discrimination à l’endroit des femmes autochtones, soit de décider de façon générale qui étaient leurs membres—n’a survécu et ne jouit de la protection prévue par le paragraphe 35(1).

L’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, décision unanime de la Cour suprême du Canada, renferme de nombreux principes guidant les tribunaux qui sont appelés à statuer sur les affaires où l’on invoque l’existence de droits ancestraux. Cet arrêt portait sur un droit ancestral de pêche qui n’avait manifestement pas été éteint, il est par conséquent très différent, tant en fait qu’en droit, de la présente affaire, sauf pour ce qui est des principes généraux qui y ont été énoncés.

Dans Sparrow, la Cour suprême s’est référée à l’affaire Baker Lake (Hamlet) c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1980] 1 C.F. 518(1re inst.), décision du juge Mahoney. La Cour suprême a écrit ce qui suit, à la page 1098 :

Dans le contexte des droits ancestraux, on pourrait faire valoir qu’avant 1982 un droit ancestral était automatiquement éteint dans la mesure où il était incompatible avec une loi. Comme le juge Mahoney l’a affirmé dans l’arrêt Baker Lake, précité, aux pp. 568 et 569 :

Une fois qu’une loi a été régulièrement adoptée, il faut lui donner effet; s’il est nécessaire pour lui donner effet d’altérer voire d’abroger entièrement un droit de common law alors c’est l’effet que les tribunaux doivent lui donner. Cela est tout aussi vrai d’un titre aborigène que de tout autre droit de common law.

Au cours de l’argumentation, les avocats des demandeurs ont insisté sur les principes énoncés dans l’arrêt Sparrow, où la Cour suprême a fait observer, à la page 1099 que, dans l’arrêt Calder et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, le juge Hall avait affirmé (à la page 404) :

… qu’il incombe à l’intimé [c’est-à-dire le gouvernement] d’établir que le Souverain voulait éteindre le titre indien, et que cette intention doit être « claire et expresse ». (Nous soulignons.) Le critère de l’extinction qui doit être adoptée, à notre avis, est que l’intention du Souverain d’éteindre un droit ancestral doit être claire et expresse.

La Loi sur les pêcheries ou ses règlements d’application détaillés ne font état d’aucune intention claire et expresse de mettre fin au droit ancestral des Indiens de pêcher.

Amen. Cependant, on pourrait fort bien se demander comment faire pour appliquer ce principe en l’occurrence.

Dans ses motifs, dans l’affaire R. v. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1993] 5 W.W.R. 542 (C.A.C.-B.), autre affaire concernant une déclaration de culpabilité en matière de pêche, motifs auxquels ont souscrit les juges Taggart et Macfarlane, qui constituaient la majorité de la formation ayant entendu cette affaire, le juge Wallace a fait des observations qui sont d’une utilité considérable en matière d’interprétation et d’application. Après avoir cité ses propres motifs dans l’affaire Delgamuukw v. British Columbia (1993), 104 D.L.R. (4th) 470 (C.A.C.-B.), à la page 571, et après avoir analysé l’arrêt Sparrow, aux pages 571 et 572, le juge d’appel Wallace a écrit ce qui suit, aux pages 557 et 558 :

[traduction] Ces passages traduisent les principes de la common law qui établissent les critères auxquels doivent satisfaire les activités en cause pour constituer des droits ancestraux. La question de savoir si, dans toutes les circonstances de l’espèce, une activité donnée respecte ces critères est une question de fait.

À la lumière de mes conclusions quant à la portée des droits de pêche ancestraux des demandeurs, il n’est pas nécessaire de décider si quelque règlement de pêche, particulièrement le règlement interdisant la vente de poissons pêchés par les Indiens à des fins de subsistance, a eu pour effet d’éteindre quelque aspect commercial des droits de pêche ancestraux en Colombie-Britannique. Néanmoins, avec égards, je ne suis pas d’accord avec les propos de mon collègue le juge Lambert voulant que cette question ait été décidée dans Sparrow. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a examiné l’argument selon lequel les règlements régissant la pêche avaient éteint les droits ancestraux dans tous les cas où ces règlements étaient incompatibles avec l’exercice de ces droits. La Cour a rejeté cet argument à la p. 1097 :

Selon l’avocat de l’intimée, ce sont ces restrictions progressives et la réglementation détaillée du droit de pêche qui ont eu pour effet d’éteindre tout droit de pêche ancestral …

En réalité, l’intimé confond dans son argumentation la réglementation et l’extinction. Que l’exercice du droit fasse l’objet d’une réglementation très minutieuse, cela ne signifie pas que ce droit est par le fait même éteint.

Évidemment, il ne découle pas de ce qui précède qu’une disposition législative, établie par un acte de l’exécutif et exprimée dans un instrument appelé « règlement », doit toujours être considérée comme ayant pour effet de « réglementer » l’exercice des droits visés et jamais pour effet de les éteindre. Le critère qu’a retenu la Cour en matière d’extinction dans l’arrêt Sparrow, à la p. 1099, est le suivant : « l’intention du Souverain d’éteindre un droit ancestral doit être claire et expresse ». La Cour n’a pas nié le fait qu’un règlement pouvait indiquer l’intention claire et expresse requise pour justifier l’extinction des droits visés; de fait, la Cour a spécifiquement mentionné les règlements d’application de la loi en question en affirmant que cette dernière ne faisait état d’aucune intention claire et expresse du Souverain d’éteindre le droit de pêche ancestral en cause.

En l’espèce, cette intention ressort de l’effet cumulatif de textes de loi remontant jusqu’à 1868, c’est-à-dire avant la conclusion des traités, dans lesquels le Parlement a démontré son intention claire et expresse d’éteindre tout droit ancestral ou toute coutume ancestrale et dans lesquels l’identité des Indiens est définie aussi loin en arrière que dans les articles 6, 15 et 17 des S.C. 1868, ch. 42 (31 Vict.), qui sont cités plus tôt dans le texte. L’intention claire et expresse du législateur était d’établir un apartheid, objectif qui serait tout à fait répugnant aujourd’hui, mais qui relevait clairement et expressément de la compétence législative du Parlement. C’était également là son intention dans l’article 6 des S.C. 1869, ch. 6 (32-33 Vict.) (qui modifiait l’article 15 susmentionné), disposition également citée plus tôt dans les présents motifs. Cette disposition a une fois de plus démontré l’intention claire et expresse du Parlement de subsumer la coutume indienne concernant l’adhésion à la bande et le droit de veto à cet égard (si une telle coutume a jamais existé). De fait, le Parlement a confié à son représentant, le Surintendant-Général, aux articles 3(10) et s. de la loi qui a suivi, l’Acte des Sauvages, 1876, le pouvoir de décider qui pouvait occuper une réserve (en l’occurrence les Sauvages au sens de l’Acte), le pouvoir de régir qui était membre de la réserve ainsi qu’un droit de veto à cet égard. Voilà quelle était la situation en 1876, avant que le premier des trois traités qui nous intéressent ait été signé.

Survinrent ensuite les traités, qui eurent pour effet de protéger davantage les réserves et d’entraîner la cession de vastes territoires à des fins de colonisation et d’activités industrielles et commerciales, ainsi que le paiement à perpétuité de sommes y prévues, sommes qui, en plus des autres avantages connexes, se sont accrues considérablement depuis. Les passages importants des Traités nos 6, 7 et 8 ont également été cités précédemment dans les présents motifs. Il convient de rappeler que, afin de limiter les effectifs des nouvelles bandes, le gouvernement refusa de permettre aux sang-mêlés et aux Métis d’être parties aux traités, comme le révèlent abondamment les dossiers de Morris ainsi que les autres documents historiques pertinents. En d’autres mots, le Parlement et le gouvernement du Canada ont, à dessein, clairement et expressément pris à leur charge, par voie législative et par traité, l’entière responsabilité de décider de l’appartenance aux effectifs des bandes indiennes, y compris le pouvoir d’autoriser l’adhésion à une bande et celui de mettre leur veto aux demandes présentées à cette fin. Les choses n’auraient pu être faites plus clairement et plus expressément. Ces faits ainsi que les divers facteurs pertinents satisfont facilement les exigences prévues par les principes énoncés par les tribunaux dans les affaires Sparrow et Smokehouse.

Malgré tout ce qui précède, c’est-à-dire les textes de loi et la jurisprudence, l’avocat des demandeurs a, opiniâtrement, affirmé (TD79, page 31, ligne 6) que [traduction] « vous » (le Parlement, le gouvernement, la Couronne) « pouvez porter atteinte aux droits issus de traités mais non les éteindre ». Une telle mesure serait impensable, mais pas impossible, à tout le moins par voie d’accord, en tout cas avant avril 1982. Eh bien! Cet argument ne tient pas compte de l’extinction du supposé « droit » ancestral avant la conclusion des traités, par ces traités et en raison de ceux-ci, comme c’est le cas en l’espèce.

Vu l’extinction, il y a de cela très longtemps, du droit ancestral revendiqué, si un tel droit a jamais existé, la question de la justification ne se pose pas en l’espèce.

NOTORIÉTÉ

Toutefois, les demandeurs ont prétendu que la coutume ancestrale ou le supposé droit—par ailleurs inexistant ou à tout le moins entièrement éteint—des bandes de faire, à l’endroit de leurs propres membres du sexe féminin, de la discrimination fondée sur l’état matrimonial de celles-ci, a été maintenu par les premières définitions législatives des mots Sauvage ou Indien, particulièrement par l’élément suivant d’une de ces définitions :

Tout individu du sexe masculin et de sang sauvage, réputé appartenir à une bande particulière. [Soulignement ajouté.]

Peu importe l’intérêt qu’a pu avoir cette disposition dans le passé, les demandeurs n’en ont pas moins été incapables d’indiquer quelque disposition de la loi ou des traités pertinents qui, avant le 17 avril 1982 ou par la suite, pourvoyait à la survie, à la protection ou à l’application des « lois coutumières » ou droits ancestraux et issus de traités qu’ils allèguent en l’espèce, si ces droits ont jamais existé. Le témoignage de Sandra Ginnish et, de façon plus particulière, la cohérence dont elle a fait montre en contre-interrogatoire ont pour effet d’écarter cet argument fondé sur la « notoriété ». Aujourd’hui, suivant Mme Ginnish, les bandes acceptent les décisions du gouvernement en ce qui a trait à l’identité des personnes qui sont des Indiens et des bandes auxquelles ces personnes appartiennent. Au fil des ans, le Parlement a édicté un ensemble exhaustif de dispositions législatives régissant de façon exclusive l’appartenance aux bandes indiennes.

Ici encore, la capacité des demandeurs d’établir, selon la prépondérance des probabilités, leur prétention selon laquelle il existe [traduction] « [des] lois coutumières [les autorisant] à décider de l’appartenance aux effectifs des bandes et de mettre leur veto à l’admission de toute personne en tant que membre des bandes » invalide leurs arguments—qui ne sont d’ailleurs déjà pas tellement convaincants—sur la question de la notoriété. En pratique, la notoriété semble avoir été l’idée qu’ont eu de cette notion divers représentants gouvernementaux tels le Surintendant-Général et, plus récemment, le registraire des Indiens. Quoi qu’il en soit, cet argument, s’il a déjà eu quelque validité, est désormais lettre morte.

Si les bandes qui possèdent des codes d’appartenance s’imaginent que les dispositions relatives au « degré de sang indien » leur apporteront ce que, à leur avis, la notion de « notoriété » aurait dû leur apporter, ils s’exposent eux-mêmes ainsi que leurs membres à d’indicibles malheurs. Premièrement, il y a une vérité humaine dans le vieil adage suivant : [traduction] « Sage est l’enfant qui connaît son père. » Le procès a connu un bien triste épisode lorsque, au cours d’un après-midi, un des avocats des demandeurs a fait montre d’indélicatesse et tenté de rallier un témoin à sa cause en cherchant à établir que ce témoin était un enfant soi-disant illégitime. Comme si un être humain peut être considéré comme illégitime! Après tout, la personne qui est conçue ne sait pas qui sont ses auteurs. La notion de « degré de sang indien » est un concept éminemment fasciste et raciste, et ceux qui l’appliquent empruntent la voie qu’a suivi le Parti nazi sous la direction d’Adolf Hitler, individu dont bien peu de gens regrettent la mort. Par exemple, la mère qui a eu des enfants de pères différents, disons d’un Indien et d’un non-Indien, ne manquera pas d’être déchirée si elle est contrainte de s’exiler pour éviter que certains de ses enfants vivent loin de leurs frères et sœurs. La Cour a entendu des témoignages selon lesquels on appliquerait, chez les Sarcis (Tsuu T’ina), la pratique fondée sur le « degré de sang indien ». Il est à souhaiter que des gens qui se qualifient eux-mêmes de peuple généreux et accueillant, vivant en harmonie avec notre Mère la Terre et toutes les créatures qui l’habitent ne monteront pas quelques malheureux parmi eux contre leurs propres grand-parents.

Et voilà pour la notoriété.

ALINÉA 2d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

Dans leur déclaration modifiée, les demandeurs demandent subdisiairement :

[traduction] … une déclaration portant que le fait qu’on impose des membres supplémentaires aux bandes demanderesses conformément auxdits articles [8 à 14.3 de la Loi sur les Indiens, modifiés par l’article 4 du projet de loi C-31] et sans leur consentement porte atteinte au droit qui est garanti par l’alinéa 2d) de la … Charte … à ces bandes et à chacun de leurs membres de s’associer librement avec d’autres individus.

Voici le texte de l’alinéa 2d) de la Charte :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

d) liberté d’association.

L’avocat des demandeurs a très franchement indiqué à la Cour, au cours des plaidoiries, qu’il n’insisterait pas sur ce point et qu’il n’y consacrerait pas beaucoup de temps, [traduction] « car il ne s’agit vraiment que d’un argument subsidiaire ». Son argumentation n’a soulevé un certain intérêt qu’en raison du fait qu’il y a fait état du paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982, disposition qui, plus tôt dans les présents motifs, a été jugée comme ayant un effet déterminant, si les demandeurs parvenaient à donner ouverture à l’application du paragraphe 35(1). Voilà ce qu’a dit l’avocat :

[traduction] Cette question se soulève uniquement, … si vous jugez … soit que le droit ancestral était un droit individuel et non un droit collectif, ce qui irait tout à fait l’encontre de l’état du droit, soit que le paragraphe 35(4) a eu pour effet de transformer, à toute fin que ce soit, les droits ancestraux en droits individuels, ce n’est que dans un tel contexte que le présent argument s’appliquerait… Mais dans ce cas, il n’était question que de droits individuels et d’intérêts individuels opposés, ce qui, à mon avis, n’est le pas cas ici, mais si c’était le cas … vous pourriez devoir concilier toute décision à cet égard avec les dispositions de l’alinéa 2d), car nous affirmons que, dans les faits, cela voudrait dire que les réserves sont effectivement des associations consensuelles, et nous affirmons que la liberté qu’ont les individus de s’associer emporte nécessairement la liberté de ne pas le faire.

Si nous allons jusqu’au bout de la logique de cet argument … et il n’existe pas de jurisprudence portant précisément sur ce point et qui me permettrait de vous dire ah ah! cette question a déjà été examinée dans telle ou telle décision …

Quoi qu’il en soit … nous affirmons que cet argument prouve effectivement ce point, car à partir du moment où l’on accepte que le paragraphe 35(4) ou l’article 15 porte effectivement atteinte à la nature du droit ancestral en tant que droit collectif, on mine alors, on a miné ce droit … et il est alors question d’intérêts opposés, de nature purement individuelle. Dans un tel cas, pourquoi aurait-on rédigé la partie 2 qui concerne les droits ancestraux? … Si vous empruntez cette voie … je ne dis pas que vous devriez le faire, on peut se demander, eh bien! n’avons-nous pas le droit de ne pas nous associer avec des individus? Pourquoi quelqu’un devrait-il être en mesure de s’imposer à nous en tant qu’individu? Nous vous affirmons que cet argument ne se soulève pas vraiment … car il ne peut se soulever que si vous rendez une décision incompatible … J’affirme que vous ne pouvez pas le faire, que seule la Cour suprême le peut, car cela entraînerait une modification du droit et vous auriez à rendre une décision incompatible avec la nature même de ce qu’est un droit ancestral. [TD57, aux pages 166 à 168.]

Cela revenait presque à abandonner cette prétention sans le dire ouvertement.

Néanmoins, la Cour est impressionnée et convaincue par l’argumentation écrite étoffée qu’a présentée l’avocat de la défenderesse en ce qui concerne l’alinéa 2d) de la Charte. La Cour fait siennes les observations formulées par la défenderesse dans la partie P de son exposé des faits et du droit, aux pages 121 à 130. L’équité est une des pierres d’assise de la Charte et si les demandeurs l’invoquent, ils ne peuvent invoquer uniquement l’alinéa 2d). Ils doivent également reconnaître que le projet de loi C-31 est justifié, au regard de l’article premier, par les articles 15 et, plus particulièrement, par l’article 28, qui produit dans la Charte le même effet que le paragraphe 35(4) en dehors de celle-ci.

L’avocat de l’intervenant CNAC a lui aussi formulé certains arguments très solides en ce qui concerne l’alinéa 2d). On trouve, aux pages 16 à 24 de TD75, certains passages importants de l’argumentation orale de l’avocat du CNAC :

[traduction] … Le Conseil national des autochtones du Canada affirme que oui, la liberté d’association existe, mais pas une liberté d’association qui permettrait de priver les gens de sa propre race des avantages prévus par la loi, de la protection offerte par la Charte.

Le Conseil national des autochtones du Canada est une organisation fondée plus ou moins sur la race. Je dis plus ou moins car le conseil accepte des gens qui ne sont pas des autochtones, mais il n’en demeure pas moins une organisation fondée sur la race. Mais pousser l’argument un peu plus loin et affirmer que la liberté d’association permet également de priver des gens des avantages prévus par la loi constitue, à mon avis, un pas de trop, et c’est là le point en ce qui concerne la liberté d’association.

… la discrimination est souvent un phénomène interculturel et le fait pour une minorité qui fait de la discrimination d’exercer, dans ses propres rangs, de la discrimination à l’endroit d’un petit groupe minoritaire n’en demeure pas moins de la discrimination. Même si cette discrimination est auto-réglementée. Et même si elle exercée sur le fondement de la liberté d’association.

Mais dès que l’on se transporte sur la place publique, de fait, dès qu’on intègre cela dans un ouvrage législatif du Parlement, alors là c’est une toute autre affaire. Dès que l’on touche aux avantages prévus par la loi, la situation change. La situation est différente. La liberté d’association n’emporte pas la liberté de priver quelqu’un des avantages prévus par la loi, particulièrement lorsqu’on est en présence d’un ouvrage législatif.

Voilà notre argumentation … en ce qui concerne la liberté d’association.

… jusqu’à maintenant, jusqu’au projet de loi C-31, la Loi sur les Indiens créait de la discrimination. Elle établissait un club privé, réservé aux hommes, ainsi qu’à leurs épouses blanches et à leurs épouses autochtones. Ce n’était même pas un établissement comme le Ritz, qui est ouvert à tout le monde (à tous ceux qui ont de l’argent). Il s’agissait d’un club privé, un club privé créé par la loi et qui était ouvert aux hommes seulement, aux hommes autochtones seulement, ainsi qu’à leurs épouses.

Le projet de loi C-31 est un compromis visant à régler un problème complexe. Ce n’est pas un compromis parfait. Personne ou presque n’est entièrement satisfait. Mais il constitue néanmoins … l’exercice valide par le législateur de sa compétence législative et de son pouvoir de discernement en la matière. De plus, il s’agit d’un compromis, il s’agit d’un compromis entre les droits individuels visés par le projet de loi C-31 et les droits collectifs des bandes indiennes. Et l’équilibre qu’il établit découle en partie … de l’article 10 de la Loi, qui accorde aux bandes le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs. Celles-ci peuvent donc intégrer dans leurs rangs qui elles désirent, conformément à leurs codes d’appartenance. Il s’agit là d’un élément de cette mise en équilibre.

Mary Two-Axe Early … possédait un document émanant du ministre, signé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord qui représentait, dans la lettre, le gouvernement du Canada et parlait au nom de celui-ci … Elle n’est pas encore membre de la bande. On ne l’inscrit pas sur les listes. Elle ne profite d’aucun avantage. Elle est chanceuse d’avoir une fille qui est mariée à quelqu’un de la bande.

L’autre aspect pertinent à cette question complexe est le fait que la Couronne a versé des sommes importantes en plus d’assurer le suivi grâce à des mesures d’appui et à une étude complémentaire. Les sommes fournies et les mesures visant à assurer le suivi ne font pas le bonheur de tous, mais, au moins, des efforts importants ont été déployés. Au moins des efforts importants l’ont été à cet égard. [TD75, aux pages 16 à 24.]

La Cour statue que, si le projet de loi C-31 a eu pour effet de porter atteinte à la liberté d’association garantie aux demandeurs par l’alinéa 2d), cette atteinte est tout à fait justifiée pour assurer le respect des principes d’égalité prévus à l’article 15 et par le fait que, en vertu de l’article 28 de la Charte, les droits et libertés mentionnés dans celle-ci sont garantis également aux personnes des deux sexes. Qui plus est, la Cour juge, pour les raisons énoncées ci-dessus par l’avocat, qu’il n’y a pas eu atteinte à la liberté susmentionnée.

RÉTROACTIVITÉ

Les avocats ont consacré des efforts démesurés à cette question. Il convient d’abord de reconnaître que le Parlement peut, s’il décide de le faire, édicter des lois rétroactives ou rétrospectives. Aborder ce sujet c’est s’aventurer dans un champ de mines sémantiques.

Le texte législatif contesté, le projet de loi C-31, s’applique aux gens qui se trouvent dans les situations difficiles que le texte vise à corriger et qui vivaient à la date à laquelle celui-ci est entré en vigueur. Le texte de loi ne peut rien à l’égard de ceux qui sont décédés avant cette date. Il ne compense personne pour l’exclusion passée et il n’est pas censé modifier rétroactivement le statut ou la situation de quiconque. Il vise à corriger la situation des personnes qui y sont mentionnées et qui étaient vivantes à la date de son entrée en vigueur. Le texte de loi a évidemment un effet prospectif. Il n’est rien de plus et rien de moins, et c’est ainsi qu’il doit être interprété.

RÉPERCUSSIONS ET COÛTS

En ce qui concerne les répercussions du texte de loi, les demandeurs n’ont produit aucune preuve précise à cet égard, à l’exclusion des sombres mises en garde de nature générale et hypothétique formulées par certains de leurs témoins. Comme la Cour a jugé, dans un premier temps, que, en ce qui concerne les conclusions expresses des demandeurs, ceux-ci ne sont pas et n’ont jamais été titulaires de droits ancestraux ou issus de traités autorisant les bandes à décider de l’appartenance à leurs effectifs, droits qui auraient donné ouverture à l’application du paragraphe 35(1), la Cour n’a pas à se préoccuper de la question des répercussions, le Parlement est libre de légiférer en vertu du paragraphe 91.24, comme il l’a fait.

Pour ce qui est des ressources de chacun des demandeurs, il ressort des observations formulées par leurs avocats (TD78, pages 53 et 54), non seulement en ce qui concerne les répercussions de la présente action mais également des coûts de celle-ci, que les demandeurs ne sont pas sans ressources. La Bande de Sawridge semble certainement à l’aise.

DÉCISIONS ET DIRECTIVES

Vu l’énorme quantité de papier que les 79 jours de procès ont générée, il n’a pas été facile pour la Cour—sans faire encore plus de tort aux forêts canadiennes qui ont fourni le papier sur lequel sont rédigés les présents motifs—de choisir soigneusement la bonne direction au travers de la masse de documents qu’elle a dû relire et relire afin d’en arriver à ses conclusions. Les avocats des parties et des intervenants qui ont plaidé la majeure partie ou l’ensemble de la cause de leurs clients respectifs ont droit à des félicitations, même s’il faut inévitablement un gagnant et un perdant. La Cour a profité de manière tangible, même s’il n’en a pas été fait beaucoup mention dans les présents motifs, de l’apport des témoins des intervenants.

Tous ont convenu, au procès, que seules les pièces mentionnées spécifiquement à l’audience feraient partie du dossier en cas d’appel, et que les autres seraient simplement conservées dans les archives de la Cour.

Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour rend les décisions suivantes à l’égard des conclusions figurant dans la déclaration des demandeurs :

a) la Cour rejette la conclusion des demandeurs dans laquelle ceux-ci sollicitent un jugement déclaratoire portant, d’une part, que les articles 8 à 14.3 de la Loi sur les Indiens, modifiée par l’article 4 de la loi intitulée « Loi modifiant la Loi sur les Indiens », L.C. 1985, ch. 27, sont incompatible avec les dispositions de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, dans la mesure où ces articles dénient aux bandes indiennes le droit de décider qui sont leurs membres ou dans la mesure où elles portent atteintes à ce droit, et portant, d’autre part, que, de ce fait, ces articles sont inopérants;

b) la Cour rejette la conclusion subsidiaire des demandeurs dans laquelle ceux-ci sollicitent un jugement déclaratoire portant que le fait que l’application des articles en question a pour effet d’imposer aux bandes demanderesses, sans leur consentement, des membres supplémentaires constitue une atteinte aux droits que garantit à ces dernières ainsi qu’à chacun de leurs membres l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés de s’associer librement avec d’autres individus;

c) la Cour rejette la conclusion des demandeurs dans laquelle ceux-ci réclament leurs frais d’action;

d) les frais suivent le sort de l’affaire, de sorte que les demandeurs sont tenus, individuellement ou ensemble, de payer à la défenderesse et aux intervenants leurs frais d’action respectifs—taxés ou convenus—; par ailleurs, chaque demandeur n’est tenu envers les autres demandeurs que de sa part respective des frais en question.

La Cour ordonne aux procureurs de la défenderesse de préparer, conformément à l’alinéa 337(2)b) des Règles, un projet de jugement visant à donner effet aux motifs qui précèdent. Les procureurs de la défenderesse remettront d’abord ce projet de jugement aux procureurs des demandeurs et des intervenants afin de recueillir leurs commentaires. Cette mesure aura les effets salutaires suivants :

i) elle permettra d’obtenir le texte le plus approprié pour le jugement qui doit être prononcé;

ii) les parties et les intervenants auront ainsi la possibilité de faire des suggestions de dernière minute en ce qui a trait aux dépens.



[1] Afin de bien comprendre de quelle manière les modifications de 1985, (projet de loi C-31), qui ont reçu la sanction royale le 28 juin 1985, ont pu concrètement modifier la Loi sur les Indiens dans les L.R.C., il faut tenir compte des dispositions de l’article 16 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40. Par souci de précision et pour cette fois-ci seulement, soulignons que la bonne façon de citer les modifications de 1985 est la suivante : Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32.

[2] NdT : La version française des extraits qui précèdent est tirée des Documents de la Session (No 10) de 1878, ANNEXE SPÉCIALE C, p. XXXIX et Xl.

[3] NdT : idem, p. Xl et Xli.

[4] NdT : D’après le contexte et comme le terme anglais correspondant est « expend », on voulait sans doute dire « dépenserait ».

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