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[1996] 2 C.F. 593

A-415-95

Sa Majesté la Reine (requérante)

c.

Bronislawa Cymerman (intimée)

Répertorié : Canada c. Cymerman (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Hugessen et Robertson, J.C.A.—Edmonton, 22 février; Ottawa, 28 mars 1996.

Assurance-chômage La prestataire avait un emploi assurable durant la période de répartition de l’indemnité de départ provenant d’un emploi antérieurElle a gagné aucune rémunération durant le second emploiLa prestataire ne peut pas choisir l’emploi à l’égard duquel elle demande les prestations, attendu que l’art. 13(2) de la Loi mentionne expressément les 20 dernières semaines d’emploi assurable.

Ayant perdu son premier emploi en juin 1991, la prestataire a reçu une indemnité de départ qui a retardé jusqu’en septembre 1992 toute période de prestations qu’elle aurait pu revendiquer. Durant la période de répartition, elle a trouvé un emploi assurable d’agente immobilière de novembre 1991 à juin 1992, soit 32 semaines au total. Elle n’a gagné aucune commission durant cette période, donc aucune rémunération assurable. La Commission d’assurance-chômage a conclu que le taux de ses prestations était nul parce qu’elle n’avait rien gagné durant ses 20 dernières semaines d’emploi assurable. Cette décision a été confirmée par le conseil arbitral mais infirmée par le juge-arbitre.

Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire contre la décision du juge-arbitre.

Arrêt (le juge Robertson, J.C.A., dissident) : la demande doit être accueillie.

Le juge Hugessen, J.C.A. : Le litige est centré sur l’interprétation correcte du paragraphe 13(2) de la Loi sur l’assurance-chômage, aux termes duquel les semaines de référence d’un prestataire sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa période de référence. La « période de référence » est définie à l’article 7, lequel ne présente qu’une importance marginale dans la solution du litige. La période de référence entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’examiner si le prestataire peut réclamer des prestations. Par contre, les « semaines de référence » ne servent qu’au calcul du montant des prestations : elles n’ont pas nécessairement un rapport avec les semaines d’emploi assurable que doit accumuler le prestataire pour avoir droit aux prestations.

Comme le texte du paragraphe 13(2) ne souffre d’aucune ambiguïté, il ne servirait à rien d’évoquer en l’espèce les différentes théories d’interprétation des lois. Les « vingt dernières semaines d’emploi de sa période de référence » ne peuvent signifier autre chose que les vingt semaines d’emploi assurable qui viennent en dernier lieu dans la période de référence, savoir, en l’espèce, les vingt dernières semaines d’emploi chez l’agence immobilière. Le fait que la prestataire n’ait gagné aucune rémunération est regrettable, mais n’a absolument aucun effet sur la solution du litige.

Ce paragraphe ne pourrait s’interpréter comme portant sur les « vingt dernières semaines d’emploi assurable visé par la demande de prestations ». Les prestataires ne font pas leur demande à l’égard d’un emploi en particulier, mais à la suite d’une perte d’emploi et de l’arrêt de rémunération correspondant. Un prestataire ne peut choisir l’emploi ou les emplois à l’égard desquels il veut faire une demande de prestations. Rien dans l’article 13 ne justifie pareille possibilité, laquelle ne saurait être déduite d’une interprétation soi-disant téléologique de l’article 7 qui ne fait que définir la période de référence et sa prolongation possible. Si on peut penser qu’en l’espèce, l’effet de la loi est impitoyable pour la prestataire—du fait qu’elle n’a gagné aucune rémunération au cours de ses vingt dernières semaines d’emploi, il se trouve que le paragraphe 13(2) aurait pour effet de l’avantager dans d’autres circonstances. Quand bien même l’article 7 serait applicable, le taux de ses prestations serait toujours fonction de ses vingt dernières semaines d’emploi assurable.

La répartition de l’indemnité de départ a pour effet de retarder la période de prestations mais ne prolonge pas l’emploi antérieur qui, par définition, a été perdu. Le calcul des prestations auxquelles aurait droit la prestataire ne saurait se fonder sur son emploi chez le premier employeur.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident) : Il faut rejeter la demande. Cette Loi appelle une interprétation en contexte. À la lumière de cette méthode, l’erreur initiale de la Commission tient à son défaut de prendre en compte l’existence des paragraphes 7(3) et (6) de la Loi, et d’examiner en premier lieu si l’intimée avait le droit de recevoir des prestations en vertu du premier emploi, avant de s’atteler à la tâche de calculer le taux de prestations applicable.

Deux questions fondamentales se posent lorsqu’il s’agit d’instruire une demande de prestations d’assurance- chômage : le prestataire a-t-il droit aux prestations et, dans l’affirmative, quel est le taux des prestations hebdomadaires? Il faut encore examiner deux questions connexes : que se passe-t-il quand le prestataire trouve un emploi assurable durant la période de répartition et le taux des prestations se calcule-t-il au regard du premier emploi ou du second?

La prestataire remplit les deux conditions préalables pour recevoir les prestations : elle justifie du nombre requis de semaines d’emploi assurable au cours de la période de référence (20) et a subi un arrêt de la rémunération. La période de référence de 52 semaines est prolongée lorsqu’il y a répartition de l’indemnité de départ.

Le paragraphe 7(3) de la Loi sur l’assurance-chômage a pour objet de placer le prestataire dans l’état où il se serait trouvé n’eût été l’indemnité de départ et la continuation réputée de la rémunération. Autrement dit, une demande de prestations faite à l’expiration de la période de répartition doit être réputée déposée le lendemain de la date où le prestataire perd son emploi, tout comme s’il n’avait jamais touché une indemnité de départ.

La prestataire peut justifier de vingt semaines d’emploi assurable chez son premier employeur durant cette période. Il faut examiner si le taux de prestations doit se calculer au regard des « vingt dernières semaines d’emploi assurable » chez le premier employeur, ou des « vingt dernières semaines d’emploi assurable » chez n’importe quel employeur.

Il y a manifestement confusion entre règles d’interprétation selon le sens courant, le sens évident et le sens littéral, et méthodes d’interprétation contextuelle, pragmatique et téléologique. En l’espèce, si on interprète le paragraphe 13(2) à part, sans en examiner l’effet dans le contexte de la Loi, son sens est évident et sans équivoque, et il faut rejeter la demande de prestations. Cependant, la solution « simple » est illogique en l’espèce lorsqu’on prend en considération le contexte général.

Une interprétation contextuelle du paragraphe 13(2) fait ressortir l’ambiguïté de cette disposition placée en contexte, en particulier à la lumière de l’article 7. L’ambiguïté réside dans la question de savoir si les vingt dernières semaines d’emploi assurable de la période de référence se rapportent au premier emploi en vertu duquel la prestataire fait sa demande, ou au second emploi qui ne fait pas l’objet de cette demande. En cas d’indemnité de départ, l’article 13 doit s’interpréter à la lumière du but et des effets de l’article 7. Dans le cas où le prestataire occupe un second emploi à temps plein ou à temps partiel avec une rémunération inférieure, il doit être autorisé à faire une demande en vertu du premier emploi qui est plus lucratif. L’article 7 ayant pour objet de placer le prestataire dans l’état où il se serait trouvé n’eût été la répartition de l’indemnité de départ, il a le droit de faire une demande de prestations se rapportant au premier emploi. Conclure autrement reviendrait à ignorer cet objectif, à mettre au rebut les paragraphes 7(3) et (6), et à récrire la Loi. L’inclusion explicite dans l’article 7 de dispositions qui définissent l’effet d’un second emploi sur la période de référence du prestataire traduit la volonté du législateur de faire en sorte que le second emploi n’ait aucun autre effet sur la demande. La période de prestations, la période de référence et la période de répartition sont toutes définies au regard du premier emploi. Ce serait absurde de calculer le taux des prestations en fonction du second emploi alors que la demande, ainsi que tout élément y afférent, se rapporte au premier.

Il est fondamental pour le développement de la jurisprudence en la matière d’appliquer la méthode d’interprétation contextuelle de la loi. Ce qu’il faut examiner, ce sont le but et l’objet de la disposition en jeu, les dispositions connexes, et leur effet conjugué dans le contexte de la Loi. En l’espèce, ce qui nous occupe, ce n’est pas seulement le taux des prestations, mais l’effet de la répartition de l’indemnité de départ sur une demande spécifique.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 6(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 5), (2) (mod., idem), 7(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 14, art. 1), (3) (mod., idem), (6) (édicté, idem), (7) (édicté, idem), 9(1), 13, 14 (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 10), 17 (mod., idem, art. 11), 24 (mod., idem, art. 17).

Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 37 (mod. par DORS/82-778, art. 1; 90-756, art. 8; 92-164, art. 10), 57(2) (mod. par DORS/86-58, art. 1; 89-160, art. 2; 90-756, art. 17), 58(9) (mod. par DORS/89-550, art. 1).

Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations), C.R.C., ch. 1575, art. 3.1(1)b) (mod. par DORS/88-584, art. 1).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Procureur général) c. Fortin (1989), 67 D.L.R. (4th) 564; 30 C.C.E.L. 117; 90 CLLC 14,004; 109 N.R. 385 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Sears, [1995] 1 C.F. 393 (1994), 118 D.L.R. (4th) 690; 6 C.C.E.L. (2d) 1; 94 CLLC 14,040; 174 N.R. 67 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

ECG Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415 (1987), 13 C.E.R. 281; [1987] 1 C.T.C. 205; 87 DTC 5133; 9 F.T.R. 1 (1re inst.); Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513; (1988), 48 D.L.R. (4th) 193; 88 CLLC 14,011; 84 N.R. 86; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329 (1986), 11 C.C.E.L. 129; 66 N.R. 1 (C.A.); Bourne (Inspector of Taxes) v. Norwich Crematorium, Ltd., [1967] 2 All E.R. 576 (Ch. D.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Procureur général) c. Rose (1993), 164 N.R. 204 (C.A.F.); Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; (1992), 89 D.L.R. (4th) 218; 3 Admin. L.R. (2d) 242; 133 N.R. 345; Petts c. Le juge-arbitre (Assurance-chômage), [1974] 2 C.F. 225 (1974), 53 D.L.R. (3d) 126; 6 N.R. 346 (C.A.).

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1991.

Fulcher, J. E. « The Income Tax Act : The Rules of Interpretation and Tax Avoidance. Purpose vs. Plain Meaning : Which, When and Why? » (1995), 74 Rev. du Bar. can. 563.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision du juge-arbitre qui a accueilli l’appel formé par la prestataire contre la décision par laquelle le conseil arbitral avait rejeté son appel contre une décision de la Commission d’assurance-chômage. Demande accueillie.

AVOCATS :

Ted Fulcher pour la requérante.

A COMPARU :

Bronislawa Cymerman pour son propre compte.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. : Il y a en l’espèce demande de contrôle judiciaire contre la décision par laquelle le juge-arbitre a accueilli l’appel interjeté par l’intimée (désignée ci-après la prestataire) de la décision du conseil arbitral qui avait rejeté son appel contre une décision de la Commission. Les faits de la cause sont complexes, mais il suffit de résumer les faits essentiels qui sont à l’origine du litige comme suit :

1) La prestataire a perdu son emploi à l’Université d’Alberta en juin 1991;

2) De ce fait, elle a touché à peu près 49 000 $ à titre d’indemnité de départ et autres prestations;

3) La répartition de ces indemnité de départ et autres prestations a retardé de quelque 15 mois, jusqu’en septembre 1992, toute période de prestations que la prestataire aurait pu revendiquer;

4) Durant la période de répartition, la prestataire a trouvé un emploi assurable de vendeuse à commission chez Royal LePage, de mi-novembre 1991 à mi-juin 1992, soit 32 semaines au total;

5) Bien que l’emploi de la prestataire chez Royal LePage fût assurable, elle n’a en fait gagné aucune commission, donc aucune rémunération assurable;

6) La Commission a conclu que le taux de ses prestations était nul parce qu’elle n’avait rien gagné durant ses 20 dernières semaines d’emploi assurable chez Royal LePage.

7) Cette conclusion a été confirmée par le conseil arbitral, mais infirmée par le juge-arbitre.

Le litige soumis à la Cour est centré sur l’interprétation correcte de l’article 13 de la Loi sur l’assurance-chômage[1], en particulier de son paragraphe (2). Voici ce que prévoyait l’article 13, tel qu’il était en vigueur à l’époque :

13. (1) Le taux des prestations hebdomadaires qui peuvent être versées à un prestataire pour une semaine de chômage qui tombe dans sa période de prestations est une somme égale à soixante pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne au cours de ses semaines de référence.

(2) Les semaines de référence d’un prestataire de la première catégorie sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa période de référence.

(3) Les semaines de référence d’un prestataire de la deuxième catégorie sont les semaines d’emploi assurable de sa période de référence.

L’article 13 est la disposition de la Loi relative au taux des prestations hebdomadaires et au mode de calcul de ce taux. Comme on peut le voir, pour un prestataire de la première catégorie comme l’intimée en l’espèce, le calcul déterminant est celui de la rémunération hebdomadaire assurable moyenne reçue au cours de ses « semaines de référence », lesquelles sont définies comme les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa « période de référence ».

Cette période de référence est définie à l’article 7, dont les paragraphes 7(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 14, art. 1], (3) [mod., idem], (6) [édicté, idem] et (7) [édicté, idem] nous intéressent en particulier en l’espèce :

7. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), la période de référence d’un assuré est la plus courte des périodes suivantes :

a) la période de cinquante-deux semaines qui précède le début d’une période de prestations prévue au paragraphe 9(1);

b) la période qui débute en même temps que la période de prestations précédente et se termine à la fin de la semaine précédant le début d’une période de prestations prévue au paragraphe 9(1).

(3) Lorsqu’une personne prouve de la manière que la Commission peut ordonner qu’au cours d’une période de référence visée à l’alinéa (1)a) elle ne pouvait, pendant une ou plusieurs semaines, établir un arrêt de rémunération à cause de la répartition, aux termes des règlements d’application de l’article 44, de la rémunération qu’elle avait touchée en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur, cette période de référence sera, pour l’application du présent article, prolongée d’un nombre équivalent de semaines.

(6) Pour l’application du paragraphe (3) et de l’alinéa (4)b), toute semaine au cours de laquelle une personne dont il est question dans ces dispositions a exercé un emploi assurable n’entre pas en ligne de compte.

(7) Il ne sera accordé à une personne, en application des paragraphes (2) à (4), aucune prolongation qui porterait la durée de sa période de référence à plus de cent quatre semaines.

Par application des dispositions ci-dessus, la période de référence de la prestataire est la période de 52 semaines qui précédait le début de sa période de prestations en septembre 1992 (paragraphe (1)), prolongée du nombre de semaines de répartition de son indemnité de départ, c’est-à-dire de la période allant de juin 1991 à septembre 1992 (paragraphe (3)) et diminuée du nombre de semaines d’emploi assurable pendant la même période, c’est-à-dire de ses 32 semaines d’emploi chez Royal LePage (paragraphe (6)). Sa période de référence ne pouvait en aucun cas dépasser un total de 104 semaines (paragraphe (7)).

S’il est indéniable que l’article 7 éclaire l’article 13, il ne présente qu’une importance marginale dans la solution du litige soumis à la Cour. L’article 7 porte sur la période de référence, l’article 13 sur les semaines de référence. Les deux ne reviennent pas au même. La période de référence entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’examiner si le prestataire peut réclamer des prestations : il faut qu’il justifie du nombre requis (qui n’est pas nécessairement le même que le nombre de semaines de référence) de semaines d’emploi assurable durant la période de référence. Par contre, les semaines de référence ne servent qu’au calcul du montant des prestations : elles n’ont pas nécessairement un rapport avec les semaines d’emploi assurable que doit accumuler le prestataire pour avoir droit aux prestations.

Il ne servirait à rien d’évoquer en l’espèce les différentes théories d’interprétation des lois. À ce que je vois, la Commission ne préconise ni une interprétation restrictive ou littérale du paragraphe 13(2) ni son interprétation abstraction faite des autres dispositions. Ce serait là une vaine tentative. Il est de droit constant que les termes d’une loi se lisent en contexte, compte tenu des fins poursuivies par le législateur et de sa volonté, telles qu’elles s’expriment dans le texte de loi. Ce n’est qu’en cas d’ambiguïté que le juge doit chercher au-delà du sens courant et de l’interprétation normale des termes employés par le législateur.

À mon avis et sauf le respect que je dois à ceux qui cherchent à contourner ce qui leur paraît un résultat impitoyable, le texte du paragraphe 13(2) ne souffre d’aucune ambiguïté. Il y est question des « vingt dernières semaines d’emploi assurable » [soulignement ajouté]. La notion d’emploi assurable fait elle-même l’objet d’une définition. Un emploi peut être assurable peu importe qu’il y ait eu ou non dans les faits rémunération ou versement de cotisations. Pris dans son sens grammatical ordinaire, le paragraphe 13(2) dans sa version anglaise ne peut viser que les vingt semaines d’emploi assurable qui viennent en dernier lieu dans la période de référence. Le texte français est tout aussi dénué d’ambiguïté : « les vingt dernières semaines d’emploi de sa période de référence » ne peuvent signifier autre chose que les semaines d’emploi assurable qui clôturent la période de référence.

L’argument que le paragraphe 13(2) est ambigu du fait qu’il pourrait s’interpréter comme portant sur les « vingt dernières semaines d’emploi assurable visé par la demande de prestations » ne s’appuie sur aucune disposition de la Loi. Les prestataires ne font pas leur demande à l’égard d’un emploi en particulier, mais à la suite d’une perte d’emploi et de l’arrêt de rémunération correspondant. Un prestataire ne peut choisir l’emploi ou les emplois à l’égard desquels il veut faire une demande de prestations. Telle n’est pas et n’a jamais été la loi. Il suffit de songer au cas d’emplois successifs multiples (qui n’est pas inusité dans les secteurs d’activité comme la construction) pour imaginer les difficultés qui s’ensuivent s’il en est autrement. Rien dans l’article 13 ne justifie pareille possibilité, laquelle ne saurait être déduite d’une interprétation soi-disant téléologique de l’article 7 qui, est-il besoin de le rappeler, ne fait que définir la période de référence et sa prolongation possible. Que cette période soit prolongée du nombre de semaines sur lesquelles est répartie l’indemnité de départ et diminuée du nombre de semaines pendant lesquelles le prestataire occupe un emploi assurable, le tout n’excédant pas 104 semaines, ne permet pas de dire que le législateur entendait supprimer l’effet de la répartition ou donner aux prestataires le droit de demander des prestations en fonction d’un emploi antérieur plus avantageux.

Les difficultés confrontant la prestataire en l’espèce tiennent à ce que son emploi chez Royal LePage a été jugé assurable bien que dans les faits, elle n’en eût tiré aucune rémunération. Elle aurait pu contester cette décision, mais ne l’a pas fait. Je tiens cependant à faire remarquer que le propre du travail à commission est que la rémunération peut varier considérablement et il n’est pas rare qu’à certaines périodes, le travailleur gagne très peu ou même rien du tout. La prestataire eût-elle gagné des commissions substantielles dans son emploi d’agente immobilière de façon à donner lieu à un taux de prestations supérieur à celui qui s’attachait à son emploi antérieur, elle aurait reçu des prestations à ce taux supérieur, non pas parce qu’elle aurait fait de son second emploi la base de calcul de ses prestations, mais bien parce que telle est la prescription du paragraphe 13(2) : c’est à titre d’agente immobilière qu’elle accumule ses vingt dernières semaines d’emploi assurable au cours de sa période de référence, et c’est cela qui détermine le taux des prestations. Donc, si on peut penser qu’en l’espèce, l’effet de la loi est impitoyable pour la prestataire, il se trouve que le paragraphe 13(2) aurait pour effet de l’avantager dans d’autres circonstances. Il ne faut pas que les cas d’espèce où le justiciable n’est pas favorisé engagent aux mauvais jugements.

À supposer que le paragraphe 13(2) comporte une certaine ambiguïté, et je ne le pense pas, il ne servirait à rien, pour résoudre cette ambiguïté, d’essayer de savoir quel est le but de certaines dispositions détaillées de l’article 7 puisque celui-ci porte sur un sujet complètement différent. La prolongation de sa période de référence rend la prestataire admissible alors qu’elle ne l’aurait pas été; n’empêche que le taux de ses prestations est fonction de ses vingt dernières semaines d’emploi assurable.

Ce qui m’amène à la décision attaquée du juge-arbitre. L’essentiel de cette décision, qui a pour effet de baser le calcul des prestations de la prestataire sur son emploi à l’Université d’Alberta, se trouve dans le passage suivant :

[traduction] La répartition de l’indemnité de départ s’est poursuivie bien après la date de la cessation de son emploi chez Royal LePage. Je conclus que tout au long de la période de répartition, la Commission la traite, à cause de cette répartition, en employée de l’université. Il s’ensuit qu’elle est devenue admissible aux prestations en septembre 1992 lorsque la répartition prit fin. Cet emploi est devenu l’emploi perdu … [Dossier de la demande, à la p. 61.]

Sauf le respect que je lui dois, ce raisonnement ne tient pas. La répartition de l’indemnité de départ a pour effet de retarder la période de prestations mais ne prolonge pas l’emploi antérieur qui, par définition, a été perdu. Les décisions Canada (Procureur général) c. Fortin[2] et Canada (Procureur général) c. Sears[3] ont été citées à l’appui de la décision du juge-arbitre.

À mon avis, la décision Fortin, à laquelle j’ai pris part, ne peut être citée comme règle jurisprudentielle pour aucune autre conclusion que le jugement rendu dans ce cas d’espèce. Les deux juges de la majorité, le juge Marceau, J.C.A. et moi-même, avions des vues diamétralement opposées et, bien que nous fûmes parvenus à la même conclusion, il n’y avait aucun point commun entre nos raisonnements respectifs. Mes propres conclusions, qui eussent confirmé la décision du juge-arbitre en l’espèce, étaient, comme il ressort du recueil de jurisprudence, fondées sur le texte en vigueur du Règlement [Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576], lequel, au moment où nous étions saisis de l’affaire, avait déjà été modifié. Le juge Pratte, J.C.A. qui donnait des motifs dissidents, était expressément en désaccord avec chacun de nous deux. Bref, les motifs de jugement respectivement prononcés par chacun des deux juges de la majorité ne recueillaient pas l’assentiment des deux autres membres du collège, donc de la majorité de la Cour. Le fait que cette décision ne fait pas jurisprudence a été reconnu par une autre formation de la Cour dans Canada (Procureur général) c. Rose[4].

Dans Sears, à la page 404, les motifs prononcés par le juge Marceau, J.C.A. dans Fortin ont été interprétés et adoptés en ces termes :

Tout au long de l’appel et de la procédure en contrôle judiciaire, l’intimé en l’espèce a fait valoir deux arguments principaux à l’appui de sa position. Le premier tient à l’acceptation du raisonnement du juge Marceau, J.C.A., dans l’affaire Fortin. Je peux tirer deux règles ou principes d’application générale de ces motifs : (1) deux emplois occupés simultanément par un prestataire doivent être traités séparément; et (2) seul l’emploi perdu par le prestataire doit être pris en compte pour le calcul des prestations. Seule cette dernière règle est pertinente en l’espèce.

Manifestement, c’était l’adoption par la Cour du second des deux principes évoqués qui était au cœur de sa décision Sears. À la toute fin des motifs de décision, nous avons conclu en ces termes, à la page 406 :

… je n’ai d’autre choix que de conclure, comme le juge Marceau, J.C.A., qu’il est simplement illogique, à première vue, que les prestations d’assurance-chômage soient établies d’après un emploi qui n’a jamais été perdu.

À l’évidence, l’affaire en instance est bien différente de la cause Sears comme de la cause Fortin en ce que, en l’espèce, la prestataire n’occupait pas ses deux emplois simultanément et a bien perdu le second emploi ainsi que le premier. Ni l’un ni l’autre des « deux principes d’application générale » dégagés dans Sears n’a un rapport avec l’affaire en instance. Nous ne sommes donc pas appelés à dire si la décision Sears est judicieuse, car elle porte manifestement sur des faits différents et n’a pas application en l’espèce. À mon avis cependant, la décision rendue dans Sears ne s’applique qu’au cas d’espèce et aux motifs qui la sous-tendent. Il ne faut pas l’étendre au cas où le prestataire a perdu des emplois successifs. Il n’y a tout simplement rien dans la loi qui le permette.

En l’espèce, la prestataire a occupé chez Royal LePage un emploi assurable pendant plus de vingt semaines au cours de sa période de référence. Il s’agissait là de son dernier emploi assurable au cours de cette période. Elle l’a perdu avant l’ouverture de sa période de prestations. Ses prestations ne peuvent se calculer qu’en fonction de sa rémunération assurable des vingt dernières semaines de cet emploi. Puisque cette rémunération était nulle, les prestations sont également nulles.

Par ces motifs, je me prononce pour l’accueil de l’appel, l’annulation de la décision du juge-arbitre et le renvoi de l’affaire à un juge-arbitre à désigner par le juge-arbitre en chef pour nouvelle décision par ce motif qu’il faut rejeter l’appel formé par la prestataire contre la décision du conseil arbitral.

Le juge en chef Isaac : Je souscris aux motifs ci-dessus.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : (dissident)

I—INTRODUCTION

La présente demande de contrôle judiciaire introduite par le procureur général du Canada pour le compte de la Commission de l’assurance-chômage (désignée ci-après la Commission) tend à faire annuler la décision en date du 16 janvier 1995, par laquelle le juge-arbitre a jugé que l’intimée (ci-après la prestataire) avait droit aux prestations d’assurance-chômage basées sur la rémunération assurable que lui payait l’Université d’Alberta. Les faits, guère détaillés, qui sous-tendent cette décision remontent à la décision initiale de la Commission qui a rejeté la demande de prestations de la prestataire par ce motif qu’elle avait reçu de cette institution une indemnité de départ au moment de sa mise à pied et que de ce fait, elle n’avait pas droit aux prestations d’assurance-chômage. Sous le régime de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1 (ci-après la Loi), le fait de toucher cette indemnité a pour effet de retarder le droit du ou de la prestataire aux prestations jusqu’au moment où l’indemnité de départ est réputée épuisée. Entre-temps, la prestataire a trouvé un emploi assurable à temps partiel d’agente immobilière à commission chez Royal LePage, emploi qu’elle a quitté peu de temps avant de faire une nouvelle demande de prestations. Durant son travail à l’agence immobilière, elle n’a reçu aucune rémunération.

Alors que la prestataire fondait sa demande de prestations sur son emploi à l’Université d’Alberta (le premier emploi), la Commission a calculé le taux de ses prestations en fonction de son emploi chez Royal LePage (le second emploi). La décision de la Commission reposait sur le paragraphe 13(2) de la Loi, selon lequel le taux des prestations se calcule au regard des vingt dernières semaines d’emploi assurable au cours de la période de référence du prestataire. Étant donné que les vingt dernières semaines d’emploi assurable de la prestataire étaient celles qu’elle passait chez Royal LePage et qu’elle n’en tirait aucune rémunération assurable, la Commission a conclu que ses prestations étaient nulles. La prestataire a fait appel devant le conseil arbitral et en a été déboutée. Son appel subséquent devant le juge-arbitre a été accueilli, en grande partie par application du raisonnement tenu par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Sears, [1995] 1 C.F. 393(C.A.).

La Commission propose deux principaux arguments. Elle soutient en premier lieu que nous ne devons pas chercher au-delà de la règle d’interprétation des lois « selon le sens évident du texte » afin de parvenir au résultat juridique correct, donc juste. Elle nous engage avant tout à rejeter la méthode d’interprétation « téléologique » en tant que moyen de parvenir à un résultat équitable. En second lieu, pour ce qui est de la valeur jurisprudentielle de l’arrêt Sears, elle fait valoir que l’affaire en instance est différente de cette cause à deux égards.

Je pense que le juge-arbitre a vu juste et qu’il faut rejeter cette demande. En ce qui concerne le premier argument de la Commission, j’estime qu’elle préconise en fait l’application de la règle d’interprétation littérale, à l’exclusion des autres méthodes. Voilà une solution trop simple pour un problème très complexe, tout aussi complexe que la Loi elle- même. Cette loi appelle une interprétation en contexte. À la lumière de cette méthode, je pense que l’erreur initiale de la Commission tient à son défaut de prendre en compte l’existence des paragraphes 7(3) et 7(6) de la Loi, et d’examiner en premier lieu si l’intimée avait le droit de recevoir des prestations en vertu du premier emploi, avant de s’atteler à la tâche de calculer le taux de prestations applicable. Comme nous le verrons infra, la Loi prévoit expressément la possibilité d’occuper un emploi assurable pendant que le prestataire n’a pas droit aux prestations parce qu’il touche l’indemnité de départ. La question de savoir si le taux de prestations doit se calculer en fonction de la rémunération tirée par le prestataire de son premier ou de son second emploi ne se pose qu’une fois que la question de l’admissibilité aura été résolue. Ce n’est que par la suite qu’on peut s’attacher à l’interprétation correcte du paragraphe 13(2) de la Loi.

Mon analyse commence par les faits de la cause et les décisions des instances inférieures. J’analyserai les faits de façon détaillée afin de montrer que la Commission a traité la prestataire comme si elle n’avait pas le droit de demander des prestations découlant de son premier emploi. Au contraire, la Commission a instruit sa demande comme si elle portait uniquement sur le second emploi.

II—LES FAITS DE LA CAUSE ET LES DÉCICIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES

Après 14 ans de travail comme technicienne dentaire à la Faculté de dentisterie de l’Université d’Alberta, la prestataire a perdu son emploi le 28 juin 1991. Sa demande de prestations a été cependant rejetée à juste titre puisqu’elle recevait une indemnité de départ de 48 892 $. L’alinéa 6(2)b) [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 5] de la Loi subordonne le droit aux prestations à un arrêt de la rémunération. Sous le régime de la Loi et des règlements pris pour son application, le fait de recevoir une indemnité de départ a pour effet de retarder la date à laquelle la prestataire peut faire valoir l’arrêt de rémunération. Afin de déterminer la date d’admissibilité, il faut diviser le montant de l’indemnité de départ par la rémunération hebdomadaire normale du prestataire (v. l’article 37 [mod. par DORS/82-778, art. 1 : 90-756, art. 8; 92-164, art. 10] et les paragraphes 57(2) [mod. par DORS/86-58, art. 1; 89-160, art. 2; 90-756, art. 17] et 58(9) [mod. par DORS/89-550, art. 1] du Règlement). Le quotient représente la durée de la « période de référence », soit, en l’espèce, la période allant du 30 juin 1991 au 26 septembre 1992 inclusivement (Dossier de la demande, à la page 39).

Durant la période sur laquelle l’indemnité de départ était répartie, la prestataire a trouvé un emploi à temps partiel comme vendeuse à commission à l’agence immobilière Royal LePage. Elle y a travaillé un ou deux jours par semaine du 14 novembre 1991 au 16 juin 1992 (Dossier de la demande, aux pages 28 et 29), assistant à des réunions et répondant au téléphone pour un total de quelque 10 heures par semaine. Durant cette période, elle n’a gagné aucune commission et, partant, n’a versé aucune cotisation.

Elle a fait une nouvelle demande le 15 juin 1992, dans l’espoir de recevoir des prestations se rapportant à son premier emploi. Sur la demande de prestations cependant, la mention de son emploi à l’Université d’Alberta a été rayée et remplacée par la mention de son emploi chez Royal LePage (Dossier de la demande, à la page 14). Par lettre en date du 20 juillet 1992, la Commission l’a informée que sa demande n’était pas fondée puisqu’il n’y avait pas eu arrêt de rémunération (Dossier de la demande, à la page 20). Devant le conseil arbitral, la Commission a reconnu que cette lettre était entachée d’erreur et qu’il y avait eu arrêt de rémunération au moment où la prestataire a quitté son second emploi (Dossier de la demande, aux pages 39 et 40).

Il ressort du Dossier de la demande (à la page 35) que le 18 juin 1992, la prestataire s’est fondée sur le paragraphe 7(3) de la Loi pour demander, eu égard à l’indemnité de départ, une prolongation de la période de référence découlant de son premier emploi. En fait, la prolongation a été accordée pour la période allant du 10 novembre 1991 au 13 juin 1992, ce qui correspond aux semaines pendant lesquelles la prestataire occupait son second emploi. Il y a lieu de noter qu’aucune explication n’a été donnée pour la prolongation jusqu’à concurrence de cette période. La Commission ne semble pas se rendre compte que l’emploi assurable occupé par la prestataire durant la période de répartition a pour effet de réduire la prolongation, non pas de l’allonger (nous y reviendrons infra). Quoi qu’il en soit, la prolongation a été accordée le 20 novembre 1992, près de trois semaines après que la prestataire eut été informée qu’elle n’avait pas droit aux prestations et deux jours après qu’elle eut interjeté appel devant le conseil arbitral (Dossier de la demande, aux pages 29 et 32).

Le 15 septembre 1992, la prestataire fait sa dernière demande de prestations basée sur son premier emploi. À cette fin, elle a poursuivi deux moyens. En premier lieu, elle a essayé de convaincre la Commission qu’il fallait antidater sa demande au 28 juin 1991, c’est-à-dire à la date où elle a perdu son emploi à l’Université d’Alberta. Cette demande a été rejetée, à juste titre à mon sens, car à cette date, elle n’a souffert d’aucun arrêt de rémunération. Cependant, la Commission a, de son propre chef, antidaté la demande à la semaine du 14 juin 1992, où la prestataire a souffert d’un arrêt de la rémunération au regard de son second emploi. En conséquence, la Commission a conclu que sa période de prestations courait de la semaine du 14 juin 1992. En second lieu, la prestataire a demandé à la Commission de décider si son second emploi était un « emploi assurable ». La Commission avait conclu précédemment qu’elle avait accumulé 29 semaines d’emploi assurable chez cet employeur (Dossier de la demande, aux pages 28 et 29). L’affaire a été renvoyée au ministre du Revenu national, qui a conclu que la prestataire avait accumulé 32 semaines d’emploi assurable (Dossier de la demande, à la page 29). La prestataire n’a pas formé appel contre cette conclusion devant la Cour canadienne de l’impôt.

Enfin, par lettre en date du 2 novembre 1992, la Commission l’a informée qu’elle n’avait pas droit aux prestations (Dossier de la demande, à la page 29). Citant les articles 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 11] et 24 [mod., idem, art. 17] de la Loi, elle fait savoir que la prestataire avait certes une demande fondée sur les 32 semaines d’emploi assurable chez Royal LePage, mais que sa rémunération assurable était nulle. La prestataire a interjeté appel de cette décision au conseil arbitral.

Devant le conseil arbitral, la Commission a formulé la question litigieuse en ces termes : [traduction] « savoir si la prestataire a souffert d’un arrêt de la rémunération au sens de l’article 6 de la Loi sur l’assurance-chômage et, dans l’affirmative, à quel moment s’est produit cet arrêt de la rémunération » (Dossier de la demande, à la page 37). En ce qui concerne les motifs pris dans la lettre du 2 novembre 1992 qui informait la prestataire du rejet de sa demande, la Commission note qu’elle avait cité « des articles non applicables de la Loi » (Dossier d’appel, à la page 40). Dans ses conclusions écrites soumises au conseil arbitral, la Commission n’a pas mentionné l’article 7 de la Loi.

Dans ses motifs de décision, le conseil arbitral donne un résumé des faits de la cause et conclut que la Commission n’avait pas commis une erreur par son calcul du taux des prestations. Par suite, la prestataire a fait appel de cette décision devant le juge-arbitre.

Se fondant au premier chef sur le raisonnement tenu par cette Cour dans Sears, le juge-arbitre a fait droit à l’appel et ordonné à la Commission d’établir pour la prestataire une période de prestations commençant à la fin de la période de répartition, et de calculer ses prestations en fonction de son premier emploi assurable. En tirant cette conclusion, il juge que pendant la période de répartition, la prestataire doit être considérée par la Commission comme une employée de l’université.

III—LES POINTS LITIGIEUX

Il faut reconnaître en tout premier lieu que le distingué juge-arbitre a commis une erreur lorsqu’il a conclu que tout au long de la période de répartition, il faut considérer la prestataire comme une employée de l’université. L’indemnité de départ n’est pas une rémunération hebdomadaire avec versement correspondant de cotisations d’assurance-chômage. Elle est au contraire réputée reçue durant la période de paie au cours de laquelle elle a été reçue; voir l’alinéa 3.1(1)b) du Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations), C.R.C., ch. 1575, modifié par DORS/88-584, art. 1, et l’arrêt Fortin susmentionné, motifs prononcés par le juge Hugessen, J.C.A., aux pages 571 à 575, évoqués dans Sears, à la page 400 et s. La répartition de l’indemnité de départ sur une période en fonction de la rémunération hebdomadaire normale du prestataire a pour seul objet de retarder l’ouverture de son droit aux prestations.

La Commission conteste aussi la conclusion du juge-arbitre que la période de prestations s’ouvrait à la fin de la période de répartition (savoir le 26 septembre 1992), en soutenant que la date correcte devait être au contraire la semaine suivant la perte par la prestataire de son second emploi, la semaine du 14 juin 1992. Si on présumait comme l’a fait la Commission, que la demande de prestations se rapportait au second emploi, son argument serait valide. Il se trouve cependant que la demande se rapporte au premier emploi, et que la Commission était tenue de l’instruire conformément aux dispositions de la Loi. J’examinerai cette question un peu plus loin.

À titre d’argument subsidiaire, la Commission soutient pour la première fois que, peu importe que la demande soit fondée sur le premier ou sur le second emploi, le résultat est le même. Dans le calcul du taux des prestations, il convient de prendre en compte les 20 dernières semaines d’emploi, lesquelles ont été accumulées en l’espèce durant le second emploi. Le paragraphe 13(2) est sans équivoque et souffre une seule interprétation. Plus spécifiquement, la Commission soutient que nous ne devons pas chercher au-delà de la règle d’interprétation des lois « selon leur sens évident » pour trouver le résultat correct; que nous devons rejeter ce qu’elle appelle la méthode d’interprétation téléologique comme moyen de parvenir à un résultat équitable. Enfin, pour ce qui est de l’autorité ou de la valeur jurisprudentielle de Sears, la Commission soutient que cette cause est différente de l’affaire en instance à plusieurs égards. La prestataire, qui n’était pas assistée d’un avocat, n’a pu réfuter les arguments de la Commission. Elle n’a pu qu’affirmer sa foi dans la correction de la décision attaquée.

Je ne peux accepter l’argument de la Commission que la solution du litige soit toute contenue dans le paragraphe 13(2) de la Loi. À mon avis, la Commission ne préconise pas l’interprétation des lois selon leur sens évident, mais « l’interprétation littérale ». Je me propose d’appliquer en l’espèce la « méthode d’interprétation contextuelle », qui a une solide assise jurisprudentielle. Deux questions fondamentales se posent lorsqu’il s’agit d’instruire une demande de prestations d’assurance-chômage. Le prestataire a-t-il droit aux prestations? Dans l’affirmative, quel est le taux des prestations hebdomadaires? En l’espèce, nous devons encore examiner deux questions connexes. En premier lieu, que se passe-t-il quand le prestataire trouve un emploi assurable durant la période de répartition? En second lieu, le taux des prestations se calcule-t-il au regard du premier emploi ou, comme le soutient la Commission, au regard du second? Il s’ensuit cependant que si la prestataire n’a pas droit aux prestations en vertu du premier emploi, elle ne peut demander les prestations qu’en vertu du second. Cela eût-il été le cas, la décision rendue par la Commission au sujet du taux des prestations serait inattaquable. Examinons en premier lieu la question du droit aux prestations en vertu du premier emploi de la prestataire.

1)         Droit aux prestations

Le droit aux prestations est subordonné à deux conditions préalables. En premier lieu, le prestataire doit prouver qu’il justifie du nombre requis de semaines d’emploi assurable au cours de la période de référence. En l’espèce, il s’agit de vingt semaines. En second lieu, il doit prouver qu’il y a eu arrêt de rémunération. Ces conditions préalables sont prévues à l’article 6 [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 5] de la Loi, comme suit :

6. (1) Les prestations d’assurance-chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour recevoir ces prestations.

(2) L’assuré autre qu’une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises pour recevoir les prestations en vertu de la présente loi si :

a) d’une part, il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre de semaines indiqué au tableau 1 de l’annexe en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable;

b) d’autre part, il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi.

Dans un cas typique, c’est-à-dire dans le cas où il y a arrêt de la rémunération au moment de la mise à pied, le prestataire doit prouver qu’il a accumulé vingt semaines d’emploi assurable au cours de sa période de référence. Celle-ci est définie au paragraphe 7(1) de la Loi comme étant la période de 52 semaines qui précède le début de la période de prestations, laquelle est, selon le paragraphe 9(1), la semaine au cours de laquelle la mise à pied s’est produite ou la demande est déposée, si celle-ci vient après. Voici ce que porte le paragraphe 7(1) :

7. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), la période de référence d’un assuré est la plus courte des périodes suivantes :

a) la période de cinquante-deux semaines qui précède le début d’une période de prestations prévue au paragraphe 9(1);

b) la période qui débute en même temps que la période de prestations précédente et se termine à la fin de la semaine précédant le début d’une période de prestations prévue au paragraphe 9(1).

Dans les cas où il n’y a pas arrêt de rémunération du fait que le prestataire reçoit une indemnité de départ, le paragraphe 7(3) de la Loi prolonge la période de référence de 52 semaines du nombre de semaines à l’égard desquelles l’intéressé ne peut faire valoir l’arrêt de la rémunération à cause de la répartition de l’indemnité de départ. Voici ce que prévoit ce paragraphe :

7. …

(3) Lorsqu’une personne prouve de la manière que la Commission peut ordonner qu’au cours d’une période de référence visée à l’alinéa (1)a) elle ne pouvait, pendant une ou plusieurs semaines, établir un arrêt de rémunération à cause de la répartition, aux termes des règlements d’application de l’article 44, de la rémunération qu’elle avait touchée en raison de la rupture de tout lien avec son ancien employeur, cette période de référence sera, pour l’application du présent article, prolongée d’un nombre équivalent de semaines.

La Commission conclut que la prestataire n’avait pas le droit de recevoir des prestations à partir de la semaine du 30 juin 1991 jusqu’à la fin de la semaine du 20 septembre 1992, ce qui fait une période de 65 semaines (Dossier de la demande, à la page 20). Elle a déterminé la période de répartition en divisant l’indemnité de départ reçue par la prestataire (48 892 $) par la rémunération hebdomadaire « normale » que celle-ci tirait de son premier emploi, ce qui fait en l’espèce 64,63 semaines. Par application du paragraphe 58(9) du Règlement, il s’ensuit une période de répartition de 65 semaines, ce qui correspond à la conclusion de la Commission, savoir que la prestataire n’avait pas droit aux prestations pour la période allant du 30 juin 1991 au 26 septembre 1992 (Dossier de la demande, à la page 39).

Je pense qu’il ressort à l’évidence que le paragraphe 7(3) de la Loi a pour objet de placer le prestataire dans l’état où il se serait trouvé n’eût été l’indemnité de départ et la continuation réputée de la rémunération. Autrement dit, une demande de prestations faite à l’expiration de la période de répartition doit être réputée déposée le lendemain de la date où le prestataire perd son emploi, tout comme si celui-ci n’a jamais touché une indemnité de départ. Faute par le législateur de prévoir la prolongation de la période de référence, quiconque dont la période de répartition dépasse les 52 semaines n’aurait pas droit aux prestations parce qu’il lui serait impossible de justifier de 20 semaines d’emploi assurable au cours de cette période fixe. Il faut présumer bien entendu que ce prestataire n’a pas trouvé un autre emploi assurable durant la période de répartition. Le législateur a cependant prévu pareille possibilité.

Le paragraphe 7(3) n’est pas la seule disposition relative à la prolongation de la période de référence d’un certain nombre de semaines. Le paragraphe 7(6) prévoit que la prolongation prévue au paragraphe 7(3) est réduite du nombre de semaines pendant lesquelles le prestataire occupe un emploi assurable au cours de la période de répartition. Voici ce que porte cette disposition :

7.

(6) Pour l’application du paragraphe (3) et de l’alinéa (4)b), toute semaine au cours de laquelle une personne dont il est question dans ces dispositions a exercé un emploi assurable n’entre pas en ligne de compte.

Si on applique le paragraphe 7(6) aux faits de la cause, la période de prolongation de 65 semaines doit être réduite des 32 semaines d’emploi assurable chez Royal LePage, ce qui donne à la prestataire une période de prolongation de 33 semaines. En conséquence, sa période de référence consiste en 52 semaines auxquelles s’ajoutent les 33 semaines permises par les dispositions ci-dessus, ce qui fait un total de 85 semaines. (Selon le paragraphe 7(7), la période de référence ne peut dépasser 104 semaines.)

La question qui se pose de toute évidence est de savoir si la prestataire peut justifier de 20 semaines d’emploi assurable à l’université durant cette période. Si on soustrait les 65 semaines de la période de référence prolongée au cours desquelles elle n’occupait pas un tel emploi assurable, on voit qu’elle remplit les conditions prévues à l’alinéa 6(2)a) de la Loi, encore que tout juste. Elle justifie de 20 semaines d’emploi assurable à l’université. Je conclus qu’au 26 septembre 1992, la prestataire avait droit aux prestations d’assurance-chômage en vertu de son premier emploi. J’en viens maintenant à la question plus difficile.

2)         Calcul du taux des prestations

Dans un cas courant, il suffit d’appliquer l’article 13 pour calculer le taux des prestations. Voici ce que prévoit cet article tel qu’il était en vigueur à l’époque considérée :

13. (1) Le taux des prestations hebdomadaires qui peuvent être versées à un prestataire pour une semaine de chômage qui tombe dans sa période de prestations est une somme égale à soixante pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne au cours de ses semaines de référence.

(2) Les semaines de référence d’un prestataire de la première catégorie sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa période de référence. [Non souligné dans l’original.]

En l’espèce cependant, par suite de la répartition de l’indemnité de départ et de l’emploi assurable occupé par la prestataire pendant la période de répartition, il faut examiner si le taux de prestations doit se calculer au regard des « vingt dernières semaines d’emploi assurable » chez le premier employeur, ou des « vingt dernières semaines d’emploi assurable » chez n’importe quel employeur.

Durant les débats, l’avocat de la requérante a évoqué la règle d’interprétation des lois selon leur sens évident et la règle d’interprétation téléologique, mais n’a rien dit de la méthode d’interprétation contextuelle. Il s’agit là d’une question qu’on ne doit pas et ne peut pas tourner. Il y a manifestement confusion entre règles d’interprétation selon le sens courant, le sens évident et le sens littéral, et méthodes d’interprétation contextuelle, pragmatique et téléologique; voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition (Toronto : Butterworths, 1994) (ci-après Sullivan) et P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e édition (Cowansville (Québec) : Les Éditions Yvon Blais, 1991).

La méthode téléologique est la méthode d’interprétation la plus controversée dont on dispose. Certains y voient simplement le moyen de permettre aux tribunaux d’ériger leurs préjugés en doctrine juridique et constitutionnelle. Son emploi est cependant particulièrement indiqué à l’heure actuelle dans les causes mettant en jeu la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] puisque les tribunaux ne peuvent guère s’appuyer sur le sens évident des mots qui y figurent. Comme on peut le voir, le législateur y a délibérément employé des termes généraux et leur interprétation doit se faire à la lumière du but qui sous-tend le droit ou la liberté en question, du but qui sous-tend les droits connexes prévus dans la Charte et du but de la Charte elle-même (voir Sullivan, à la page 43). La Commission voit probablement dans cette méthode le moyen de parvenir, en l’espèce, à un résultat équitable dans ce qu’on peut proprement qualifier de cas suscitant la plus grande sympathie. On pourrait raisonner par exemple que la Loi a pour objet d’assurer aux gens des prestations à la suite de la perte d’un emploi à l’égard duquel ils ont versé des cotisations d’assurance-chômage. En conséquence, la prestataire, ayant perdu son premier emploi à l’égard duquel elle avait versé des cotisations, devrait recevoir les prestations se rapportant à cet emploi. Manifestement, pareil raisonnement juridique est trop simpliste et inacceptable.

Si je comprends bien l’argumentation de l’avocat de la requérante, nous ne pouvons ignorer le sens évident de la Loi du seul fait que le résultat est impitoyable en l’espèce. J’en conviens. Il est toujours nécessaire de se garder d’adopter une interprétation qui atténue un résultat impitoyable en altérant le sens des termes ou le but de la disposition visée. Il ne faut pas produire un résultat illogique ou absurde pour en éviter un autre ou, plus simplement, on ne répare pas une injustice par une autre. Cependant, comme l’a noté M. Fulcher dans son article « The Income Tax Act : The Rules of Interpretation and Tax Avoidance. Purpose vs. Plain Meaning : Which, When and Why? » (1995), 74 Rev. du Bar. can. 563, à la page 584, l’interprétation des lois requiert [traduction] « l’empirisme et non le dogmatisme, l’ouverture d’esprit et non le sens littéral ».

On peut trouver dans l’ouvrage de Sullivan (aux pages 1 à 6) l’historique de la règle d’interprétation selon le sens évident. À l’origine, les notions d’interprétation selon le sens évident, d’interprétation selon le sens courant et d’interprétation littérale étaient essentiellement interchangeables. Le processus d’interprétation entendu dans ces règles consistait à déterminer le sens littéral des termes employés puis, si l’ambiguïté subsistait, à la résoudre par référence à divers éléments tels que la transgression que la disposition en question était destinée à combattre. Cette méthode à double volet est tombée en désuétude du fait qu’elle est formaliste, superficielle et restrictive. C’est la conclusion tirée par Sullivan à la page 4, où il cite le juge Rouleau de la Cour, qui s’est prononcé en ces termes dans ECG Canada Inc. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415(1re inst.), à la page 423 :

Il ne fait aucun doute que l’approche littérale constitue une méthode reconnue dans le domaine de l’interprétation des lois. Néanmoins, la Cour peut toujours examiner l’objet d’une loi non pas pour modifier ce qui a été dit par le législateur, mais afin de comprendre et de déterminer ce qu’il a dit. L’objet de la loi et les circonstances qui entourent son adoption constituent des considérations pertinentes dont il faut tenir compte non seulement lorsqu’il y a un doute, mais dans tous les cas.

La règle d’interprétation selon « le sens courant », telle que Sullivan la définit, pose simplement que le sens courant des mots, tels qu’ils s’entendent généralement, traduit le mieux le sens que le législateur entend exprimer. Le sens courant est celui qui se dégage d’emblée des mots dans leur contexte immédiat, c’est-à-dire dans le contexte de la disposition où ils figurent. Cette méthode pose que s’il n’y a aucune raison de le rejeter, le sens courant doit s’appliquer. Il faut cependant prendre en considération le but et l’économie de la loi, les conséquences du sens qu’on se propose d’attribuer au texte, et toute autre source qui pourrait éclairer la volonté du législateur. Cet examen peut amener le juge à modifier ou à rejeter le sens courant s’il y a une autre interprétation logique. S’il n’y a aucune raison de rejeter le sens courant ou s’il n’y a aucun autre sens logique, le juge doit appliquer le sens courant : Sullivan, aux pages 26 à 28, citant les motifs prononcés par le juge Cory dans Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385.

Cette conclusion se retrouve dans la jurisprudence de la Cour suprême et de notre Cour. Dans Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, qui est une affaire d’assurance-chômage, Mme le juge L’Heureux-Dubé, prononçant le jugement de la majorité, a adopté la méthode contextuelle pour conclure en ces termes, à la page 549 [citant Driedger, E. A. Construction of Statute, 2e éd., à la page 87] :

[traduction] De nos jours, un seul principe ou une seule méthode prévaut pour l’interprétation d’une loi : les mots doivent être interprétés selon le contexte et d’après leur acception logique courante en conformité avec l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Le juge MacGuigan de la Cour d’appel, examinant la question de l’interprétation correcte des lois fiscales dans la cause Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 a tiré à la page 352 cette conclusion bien souvent citée : « Le seul principe d’interprétation reconnu aujourd’hui consiste à examiner les termes dans leur contexte global en vue de découvrir l’objet et l’esprit des dispositions fiscales ». Dans Canada (Procureur général) c. Tucker, [1986] 2 C.F. 329(C.A.), affaire d’assurance- chômage jugée peu de temps après Lor-Wes, le juge MacGuigan, prononçant le jugement de la majorité, a adopté à la page 340 le raisonnement tenu dans Bourne (Inspector of Taxes) v. Norwich Crematorium, Ltd., [1967] 2 All E.R. 576 (Ch. D.), à la page 578 :

[traduction] Le sens des mots anglais est influencé par le contexte dans lequel ils baignent. Une phrase n’est pas qu’une série de mots qui doivent être considérés indépendamment de la phrase où ils se trouvent, définis un à un en s’en remettant au dictionnaire et à la jurisprudence, puis replacés dans la phrase en leur donnant le sens qu’on leur a assigné individuellement, de sorte qu’on donne à cette phrase ou à cette expression un sens qu’elle ne peut avoir à moins de dénaturer la langue anglaise.

De même on ne saurait en l’espèce détacher un article, l’interpréter hors contexte puis le remettre dans la Loi avec le sens qu’on lui aura assigné.

À la lumière de cette recension des règles d’interprétation téléologique et d’interprétation selon le sens évident (littéral) et le sens courant, celle que nous allons suivre se passe d’explications. En l’espèce, la soi-disant méthode d’interprétation « selon le sens évident » que préconise la Commission pour le paragraphe 13(2) revient dans les faits à appliquer la méthode d’interprétation littérale. Elle tient que ce paragraphe doit être interprété à part, sans qu’il soit nécessaire d’en examiner l’effet dans le contexte de la Loi. Je conviens que si on l’interprète de cette façon, son sens est évident et sans équivoque. Ce sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable qui comptent, peu importe qu’elles se rapportent au premier ou au second emploi. L’adoption de la méthode littérale simplifierait certainement l’interprétation de cette Loi. Cependant, le législateur n’a pas choisi la solution simple pour la rédaction de la Loi, qui est universellement considérée comme l’une des lois les plus complexes; voir Petts c. Le juge-arbitre (Assurance-chômage), [1974] 2 C.F. 225(C.A.), à la page 233, motifs prononcés par le juge en chef Jackett. Comme nous le verrons plus loin, la solution « simple » est illogique en l’espèce lorsqu’on prend en considération le contexte général.

Une interprétation contextuelle du paragraphe 13(2) fait ressortir l’ambiguïté de cette disposition placée en contexte, en particulier à la lumière de l’article 7. Vu l’interaction entre ces deux dispositions, il y a deux interprétations plausibles du paragraphe 13(2). En effet, la Commission fait valoir l’interprétation suivante : les semaines de référence d’un prestataire de la première catégorie sont les vingt dernières semaines de n’importe quel emploi assurable de sa période de référence. De son côté, la prestataire interprète ce paragraphe de la manière suivante : les semaines de référence d’un prestataire de la première catégorie sont les vingt dernières semaines de l’emploi assurable de sa période de référence, à l’égard duquel il demande les prestations.

Ainsi donc, l’ambiguïté du paragraphe 13(2) réside dans la question de savoir si les vingt dernières semaines d’emploi assurable de la période de référence se rapportent au premier emploi en vertu duquel la prestataire fait sa demande, ou au second emploi qui ne fait pas l’objet de cette demande. À mon avis, ce ne peut être que le premier. Le défaut évident de l’argument de la Commission est qu’il passe tout à fait à côté de la question de savoir si la prestataire a le droit de faire une demande en vertu du premier emploi. L’article 13 est une disposition générale, alors que les paragraphes 7(3) et 7(6) de la Loi prévoient spécifiquement, comme noté supra, l’effet de l’indemnité de départ sur la demande de prestations et, partant, l’effet d’un emploi occupé durant la période de répartition imposée par le législateur. Il s’ensuit qu’en cas d’indemnité de départ, l’article 13 doit s’interpréter à la lumière du but et des effets de l’article 7. Il ressort des faits de la cause, tels qu’ils sont résumés supra, que la Commission a présumé que la seule demande qui pût se faire se rapportait au second emploi. En effet, elle soutient que dans tous les cas où le prestataire a accumulé vingt semaines d’emploi assurable au cours de la période de répartition, il n’est pas recevable à faire une demande en vertu de l’emploi antérieur. Il y a lieu de noter, et l’avocat de la Commission le reconnaît, que le prestataire n’est nullement tenu par la loi de chercher du travail pendant la période de répartition : l’article 14 [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 10] de la Loi ne s’applique qu’à ceux qui touchent les prestations d’assurance- chômage.

Il est vrai que dans les cas où le prestataire a accumulé vingt semaines d’emploi assurable pour lesquelles il a reçu une rémunération égale ou supérieure à celle du premier emploi, il préférera faire une demande basée sur le second emploi. Pareil choix serait possible dans l’interprétation préconisée par la Commission. Dans le cas contraire où le prestataire occupe un emploi à temps plein ou à temps partiel avec une rémunération inférieure, il préférera certainement faire une demande en vertu du premier emploi qui est plus lucratif. La question qui se pose est bien entendu de savoir si cela devrait être permis. À mon avis, la réponse, et le résultat voulu par le législateur, est clairement oui. Encore une fois, l’article 7 a pour objet de placer le prestataire dans l’état où il se serait trouvé n’eût été la répartition de l’indemnité de départ. Ce qui signifie qu’il a le droit de faire une demande de prestations se rapportant au premier emploi. Accepter l’interprétation faite par la Commission reviendrait à ignorer cet objectif. Si n’importe quel emploi assurable entre en ligne de compte pour l’application du paragraphe 13(2), qu’il s’agisse ou non de l’emploi à l’égard duquel la demande a été faite, cela signifierait que chaque fois qu’un prestataire a accumulé vingt semaines d’emploi assurable chez un second employeur tout en recevant l’indemnité de départ, les paragraphes 7(3) et 7(6) sont effectivement mis au rebut. On obvierait de cette façon à leur objet qui est de placer le prestataire dans l’état où il se serait trouvé n’eût été la répartition de l’indemnité de départ. La demande sera effectivement basée sur le second emploi, et non sur le premier. Cela reviendrait à récrire la Loi. En effet, la Commission nous engage à modifier l’article 7 par addition d’un autre paragraphe prévoyant que les paragraphes 7(3) et 7(6) ne s’appliquent pas dans les cas où le prestataire a accumulé vingt semaines d’emploi assurable durant la période de répartition. L’inclusion explicite dans l’article 7 de dispositions qui définissent l’effet d’un second emploi sur la période de référence du prestataire traduit la volonté du législateur de faire en sorte que le second emploi n’ait aucun autre effet sur la demande. Le législateur eût-il voulu prévoir que le second emploi sert à calculer le taux des prestations se rapportant au premier, il l’aurait dit.

Qui plus est, une fois qu’on a conclu que le prestataire a le droit de recevoir des prestations en vertu d’un emploi qui a été perdu et à l’égard duquel il avait versé les cotisations, pourquoi calculerait-on le taux des prestations applicables à cette demande en fonction du second emploi. La période de prestations, la période de référence et la période de répartition sont toutes définies au regard du premier emploi. Pourquoi donc faudrait-il calculer le taux des prestations en fonction du second emploi alors que la demande, ainsi que tout élément y afférent, se rapporte au premier? Ce serait absurde. La Commission n’a proposé aucune justification pour l’interprétation qu’elle préconise. Elle n’a pas démontré non plus que l’interprétation suivie dans les présents motifs va de quelque façon que ce soit à l’encontre de la volonté du législateur. Ainsi qu’il a été conclu dans Sears, à la page 405 :

L’objet de la Loi est de fournir une aide financière aux prestataires jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trouver un emploi comparable. Selon ma compréhension de la Loi, elle ne vise pas à décourager les prestataires de chercher un emploi à temps partiel [ou autre], ce qui s’est produit en l’espèce. Comme le juge Hugessen, J.C.A., l’a habilement souligné dans l’affaire Fortin, à la page 573, l’interprétation de la Commission « semble ne favoriser que l’oisiveté ».

Il est fondamental pour le développement de la jurisprudence en la matière d’appliquer la méthode d’interprétation contextuelle de la loi. Il n’est plus acceptable de se contenter de soutenir que la question est tranchée par le sens d’une disposition prise hors contexte. Lorsqu’il est question de « but », ce qu’il faut examiner, ce sont le but et l’objet de la disposition en jeu, les dispositions connexes, et leur effet conjugué dans le contexte de la Loi. En l’espèce, ce qui nous occupe, ce n’est pas seulement le taux des prestations, mais l’effet de la répartition de l’indemnité de départ sur une demande spécifique.

En conclusion, j’estime que l’interprétation faite par la Commission du paragraphe 13(2) n’est pas acceptable. Les vingt dernières semaines d’emploi assurable, que vise cette disposition, doivent être réputées se rapporter au premier emploi. C’est à l’égard de cet emploi que la prestataire a versé des cotisations et qu’elle demande des prestations. Il est illogique de calculer le taux des prestations visées par une demande en fonction de la rémunération assurable provenant d’un emploi qui n’a rien à voir avec cette demande.

Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de s’interroger sur l’applicabilité du raisonnement tenu dans Sears, ni de savoir si ce raisonnement s’étend à l’affaire en instance. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les motifs de distinction pris par la Commission.

IV—CONCLUSION

La demande doit être rejetée.



[1] L.R.C. (1985), ch. U-1.

[2] (1989), 67 D.L.R. (4th) 564 (C.A.F.).

[3] [1995] 1 C.F. 393(C.A.).

[4] (1993), 164 N.R. 204 (C.A.F.).

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