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[1996] 2 C.F. 954

T-2847-94

Capitaine Hoshang Haddi* Sarafi (demandeur)

c.

Le navire « Iran Afzal » et Islamic Republic of Iran Shipping Lines (Iran Shipping Lines) (défendeurs)

*note de l’arrêtiste : Lisez Haddadi.

Répertorié : Sarafi c. Iran Afzal (L’) (1re inst.)

Section de première instance, juge Noël—Montréal, 26 mars; Ottawa, 4 avril 1996.

Droit maritime Pas d’immunité des États étrangers relativement à un navire appartenant à un gouvernement étranger en cas d’action in rem ou in personam lorsque le navire sert à une activité commerciale (Loi sur l’immunité des États, art. 7)Réclamation relevant de la Loi sur la Cour fédérale, art. 22(2)o)Mandat de saisie du navire non annulé parce qu’il visait un navire-jumeauInstance suspendue au Canada, l’Iran (pays approprié) ayant les liens les plus étroits avec l’actionAucune preuve à l’appui de la prétention que les tribunaux iraniens ne permettront pas au demandeur de faire valoir son action.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Même si la demande du demandeur tient davantage d’une action pour renvoi injustifié, elle est visée à l’art. 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale (compétence sur une demande formulée par un officier d’un navire relativement à des salaires ou avantages découlant de son engagement)Compétence sur des actions acquises dans le cadre d’un programme d’achat d’actions d’une compagnie d’expédition appartenant à un organisme d’État, puisque la preuve donne une base factuelle permettant de soutenir que la demande relativement aux actions découle de l’engagement et n’a pas été invoquée en qualité d’actionnaire.

Conflit des lois Tribunal non appropriéSuspension d’une action in rem et in personam en Section de première instance intentée par un capitaine de navire pour salaires, prestations, valeurs d’actions parce que : le demandeur est un citoyen iranien; la défenderesse est un organisme d’État iranien; le contrat de travail est régi par les lois de l’Iran; la perte des actions est due à un programme iranien de nationalisation; il n’y a aucune preuve que le demandeur n’obtiendra pas justice devant les tribunaux iraniens.

Le demandeur a intenté une action in rem contre le navire Iran Afzal et in personam contre la défenderesse Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL) pour salaires et avantages impayés. Le demandeur ayant obtenu la saisie du navire, la défenderesse IRISL a versé un cautionnement pour obtenir sa mainlevée. Le navire était la propriété de IRISL, un organisme du gouvernement de l’Iran. Le demandeur n’a jamais travaillé sur l’Iran Afzal même, mais sur des navires-jumeaux appartenant à IRISL. Il s’agit d’une demande de la défenderesse IRISL en vue d’obtenir une ordonnance visant à rejeter l’action au motif que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande, du fait que les défendeurs bénéficient de l’immunité des États étrangers; ou, à titre subsidiaire, une ordonnance visant à annuler la saisie du navire et une ordonnance visant à imposer une suspension d’instance au motif que la Cour fédérale du Canada n’est pas un tribunal approprié pour connaître de l’action.

Jugement : l’instance doit être suspendue.

L’argument de compétence fondé sur l’immunité d’un État étranger ne peut être accueilli. L’article 7 de la Loi sur l’immunité des États exclut l’immunité des États étrangers dans la mesure où les actions réelles contre un navire détenu ou exploité par un État sont visées si, au moment où la demande est soulevée, le navire servait, comme c’est le cas en l’espèce, à une activité commerciale — c’est la nature de l’activité qu’il menait et non l’objectif dans la perspective de l’État qui doit entrer en considération pour évaluer si le navire participait à une activité commerciale. Une exception identique s’étend aux actions personnelles visant à faire valoir un droit se rattachant à un navire possédé ou exploité par l’État.

Une simple lecture de l’article 7 de la Loi sur l’immunité des États montre qu’il importe peu que le navire en cause soit ou non directement lié aux événements qui ont donné lieu à l’action. Même si la demande du demandeur tient davantage d’une action pour renvoi injustifié, l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale est rédigé en termes suffisamment larges pour l’inclure : Demetries Karamanlis c. Le Norsland. Dans la mesure où elle porte sur les actions détenues par le demandeur dans IRISL, la demande est néanmoins visée par l’alinéa 22(2)o) puisque des éléments de preuve permettent au demandeur de soutenir que sa demande, relativement aux actions, découle de son engagement et qu’il ne l’a pas intentée en sa qualité d’actionnaire.

Une ordonnance visant à annuler la saisie du navire ainsi que le cautionnement versé ne peut pas être accordée. Bien que la demande visant à obtenir la délivrance du mandat ait comporté des inexactitudes, elles ne sont pas suffisantes pour en justifier l’annulation. Il a été dit clairement à l’époque que l’action et le mandat de saisie visaient l’Iran Afzal à titre de navire-jumeau. Il est aussi évident qu’il était raisonnablement permis de croire, à l’époque en cause, que l’Iran Afzal et les navires sur lesquels le demandeur avait servi étaient véritablement détenus par la défenderesse au nom de l’État de l’Iran.

L’instance devrait cependant être suspendue au motif que cette Cour n’est pas un tribunal compétent pour la juger. Une décision sur la question du tribunal compétent relève du simple pouvoir discrétionnaire. Il ne fait pas de doute que le ressort qui a les liens les plus étroits avec l’action, ou le « ressort logique », est l’Iran. Le demandeur est un citoyen iranien, l’entité qui est poursuivie est un organisme de l’État de l’Iran, le contrat de travail est régi par les lois de l’Iran, le programme de nationalisation qui a conduit à la perte des actions du demandeur était mis en œuvre en vertu du droit iranien. Compte tenu de cela, le demandeur devait établir l’existence de circonstances particulières qui pourraient contraindre la présente Cour à se déclarer compétente, bien qu’elle ne soit pas le « ressort logique » pour régler la cause. Rien n’appuie la prétention principale du demandeur que les tribunaux iraniens ne lui permettraient pas de faire valoir son action, ce qui représenterait pour lui un déni de justice considérable. De plus, que le procès ait lieu au Canada ou en Iran, l’affaire devra être jugée en fonction du droit iranien.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22, 43(7), (8) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12), 50(1).

Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, art. 2 « activité commerciale », « État étranger », « organisme d’un État étranger », 3(1), 5, 7(1),(2).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 401, 1002(2) (mod. par DORS/79-57, art. 17), (2.1) (édictée par DORS/92-726, art. 11), 1003(2)f) (édictée, idem, art. 12).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Demetries Karamanlis c. Le Norsland, [1971] C.F. 487 (1re inst.); Antares Shipping Corporation c. Le navire « Capricorn » et autres, [1977] 2 R.C.S. 422; Yasuda Fire & Marine Insurance Co. Ltd. c. Le navire Nosira Lin, [1984] 1 C.F. 895 (1984), 52 N.R. 303 (C.A.); Burrard-Yarrows Corp. c. Le Hoegh Merchant, [1982] 1 C.F. 248(1re inst.); Eleftheria, The, [1969] 1 Lloyd’s Rep. 237; Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897; (1993), 102 D.L.R. (4th) 96; [1993] 3 W.W.R. 441; 23 B.C.A.C. 1; 77 B.C.L.R. (2d) 62; 14 C.P.C. (3d) 1; 150 N.R. 321; 39 W.A.C. 1; Spiliada Maritime Corpn. v. Cansulex Ltd., [1987] A.C. 460 (H.L.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199 (1989), 99 N.R. 42 (C.A.).

DEMANDE sollicitant une ordonnance, fondée sur l’immunité des États étrangers, visant à rejeter l’action du demandeur pour salaires et avantages impayés; ou une ordonnance visant à annuler la saisie du navire Iran Afzal ainsi que le cautionnement versé pour en obtenir la mainlevée; ou une ordonnance visant à imposer une suspension d’instance. L’instance doit être suspendue, la Cour fédérale du Canada n’étant pas le tribunal approprié.

AVOCATS :

Andrea J. Sterling pour le demandeur.

Nick J. Spillane pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Gottlieb & Pearson, Montréal, pour le demandeur.

McMaster Meighen, Montréal, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël : Il s’agit d’une demande de la défenderesse, Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL), en vue d’obtenir :

i) une ordonnance visant à rejeter l’action du demandeur pour obtenir les salaires et prestations impayés au motif que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande du demandeur, du fait que les défendeurs, IRISL et le navire Iran Afzal, bénéficient de l’immunité des États étrangers; ou, à titre subsidiaire,

ii) une ordonnance visant à annuler la saisie du navire Iran Afzal, ainsi que du cautionnement maritime donné en vue de permettre la mainlevée de saisie sur l’Iran Afzal au motif que la demande du demandeur ne donne pas lieu à un droit de saisie sur l’Iran Afzal,

iii) une ordonnance visant à imposer une suspension d’instance au motif que la Cour n’est pas un tribunal approprié pour connaître de la présente action.

1.         Les faits

La présente demande est faite dans le cadre de l’action in rem du demandeur contre le navire défendeur Iran Afzal et in personam contre la défenderesse IRISL pour des salaires, prestations, pensions et valeurs des actions et dividendes investis dans la société défenderesse et qui n’ont pas été payés. Le 30 novembre 1994, le demandeur, le capitaine Hoshang Haddadi Sarafi (capitaine Haddadi ou le demandeur) a déposé une déclaration dans laquelle il a fait les allégations suivantes :

Le demandeur est un capitaine au long cours qui a 22 ans d’expérience de navigation. Pendant cette période, il a servi la défenderesse en tant qu’officier et capitaine au long cours sur des navires de marine marchande de la défenderesse. Le navire défendeur Iran Afzal, qui appartient à la défenderesse IRISL, employait le demandeur à titre de capitaine du navire.

Du fait de son emploi chez la défenderesse, le demandeur avait droit au paiement de différents salaires et prestations. La défenderesse n’a pas versé les montants suivants au demandeur :

Salaires :

Épargnes, prestations sociales et de retraite :

Créance reconnue :

Frais d’hôtel et de transport :

Frais d’hospitalisation :

Valeur des parts :

Dividendes :

Total

$ US

$ US

$ US

$ US

$ US

$ US

$ US

$ US

($ CAN

   14 000

  125 099,14

     25 826,22

     12 818,20

       9 765

     16 289

1 225 173

1 428 970,56[1]

1 933 825,86)

Le demandeur réclame, par conséquent, 1 933 825 86 $ CAN avec intérêts, en plus d’un privilège maritime à l’encontre du navire de la défenderesse et du droit de détenir le navire à titre de garantie de sa créance.

L’avocat du demandeur a immédiatement obtenu un mandat de saisie pour l’Iran Afzal, l’un des navires de la défenderesse qui se trouvait dans le port de Vancouver le 30 novembre 1994. La défenderesse, IRISL, a déposé une comparution conditionnelle en vertu de la Règle 401 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] conformément à l’ordonnance du juge Denault en date du 6 décembre 1994. Le 7 décembre 1994, l’avocat de la défenderesse a interrogé le capitaine Haddadi sur l’affidavit portant demande de mandat déposé par le demandeur[2]. Ce dernier a consenti à la mainlevée de l’Iran Afzal le 19 décembre 1994 lorsque la défenderesse a versé un cautionnement maritime sous la forme d’une garantie bancaire[3].

L’interrogatoire du demandeur sur l’affidavit portant demande de mandat a permis de connaître des faits supplémentaires et d’avoir des éclaircissements importants pour trancher cette demande, savoir :

Le capitaine Haddadi est un citoyen iranien. Il vient au Canada à l’occasion pour rendre visite à sa mère ou lorsqu’il doit monter à bord de son bateau au Canada. Au moment de l’interrogatoire, le demandeur vivait avec sa mère à Pierrefonds (Québec) depuis deux mois, et il avait vécu les six mois précédents en Iran[4].

Le capitaine Haddadi a déclaré qu’il avait commencé à travailler en 1968 comme employé de l’Arya National Shipping Line, qui est ensuite devenue l’IRISL. Le demandeur a reconnu qu’il n’avait jamais servi physiquement sur l’Iran Afzal mais il a déclaré avoir servi sur d’autres navires de l’IRISL qui étaient des navires-jumeaux de l’Iran Afzal. La demande de salaire du demandeur porte sur la période (y compris la période de congé) pendant laquelle il a servi sous contrat sur les bateaux Iran Baseer et Iran Basheer en 1992. Ces navires sont la propriété de Khazar ou de la Caspian Shipping Company, affiliée à l’époque avec IRISL[5]. Avant ce contrat, le dernier commandement du demandeur était en août 1986.

L’affidavit de Mahmoud Bassiri Abyaneh (avocat employé par IRISL) déposé par la défenderesse à l’appui de la demande soulève les faits suivants en ce qui concerne l’emploi du demandeur dans la compagnie défenderesse ainsi que l’organisation de la société et le cadre de constitution de l’IRISL :

L’IRISL a été constituée vers 1980 dans le cadre du programme de nationalisation des industries de l’État instauré par le gouvernement de la République islamique d’Iran après les transformations politiques qui se sont produites en Iran en 1979[6]. Son prédécesseur, la société Arya National Shipping Lines (Arya) était lourdement endettée envers les banques iraniennes qui possédaient 51 % de ses actions. Après la nationalisation des banques et celle de l’Arya, les actions de l’IRISL sont devenues et sont demeurées la propriété du gouvernement de la République islamique d’Iran[7]. L’effet de la nationalisation en droit iranien a été de constituer une nouvelle compagnie (l’IRISL) à laquelle ont été transférés les éléments d’actif de l’Arya, sans qu’elle ait aucune des dettes de l’ancienne société. Les employés actionnaires de l’Arya ont reçu un certain paiement d’après un barème énoncé dans le procès-verbal d’une réunion générale ordinaire de l’IRISL tenue le 8 mars 1987[8]. Cependant, seuls les employés de la société à l’époque pouvaient bénéficier de ce paiement.

Le capitaine Haddadi était un employé permanent de l’Arya du 18 décembre 1971 jusqu’au 16 octobre 1986, date à laquelle il a été renvoyé pour absence injustifiée. Le 28 mai 1992, le demandeur a été réengagé à contrat pour servir sur les navires de l’IRISL. Le demandeur n’a jamais servi sur l’Iran Afzal, qui a seulement été construit en 1983 après la nationalisation de l’Arya et la création de l’IRISL[9]. L’Iran Afzal est un vraquier qui opère normalement dans le transport de cargaisons appartenant aux autres sociétés d’État iraniennes et qui, au moment de sa saisie, attendait un chargement de grain pour une société d’État iranienne.

L’affidavit de Bassiri énonce que l’Administrative Justice Tribunal Act de l’Iran accorde une compétence exclusive en matière de conflit de travail aux tribunaux iraniens et que le contrat de travail du demandeur est régi par le droit iranien[10]. De plus, l’affidavit de Bassiri montre que, pendant la période de 1971 à 1986, l’emploi du demandeur était régi avant la Révolution par le droit du travail de l’Iran et, par la suite, par une loi spéciale qui s’appliquait à l’emploi du personnel naviguant de l’IRISL.

2.   Dispositions législatives pertinentes

Loi sur la Cour fédérale[11]

22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas—opposant notamment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), la Section de première instance a compétence dans les cas suivants :

o) une demande formulée par un capitaine, un officier ou un autre membre de l’équipage d’un navire relativement au salaire, à l’argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement;

(3) Il est entendu que la compétence conférée à la Cour par le présent article s’étend :

a) à tous les navires, canadiens ou non, quel que soit le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires;

43.

(7) Il ne peut être intenté au Canada d’action réelle portant, selon le cas, sur :

c) un navire possédé ou exploité par un État souverain étranger—ou sa cargaison—et accomplissant exclusivement une mission non commerciale au moment où a été formulée la demande ou intentée l’action les concernant.

(8) La compétence de la Cour peut, aux termes de l’article 22, être exercée en matière réelle à l’égard de tout navire qui, au moment où l’action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l’action.

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

Loi sur l’immunité des États[12]

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« activité commerciale » Toute poursuite normale d’une activité ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature.

« État étranger » Sont assimilés à un État étranger :

« organisme d’un État étranger » Toute entité juridique distincte qui constitue un organe de l’État étranger.

b) le gouvernement et les ministères de cet État ou de ses subdivisions politiques, ainsi que les organismes de cet État;

3. (1) Sauf exceptions prévues dans la présente loi, l’État étranger bénéficie de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada.

5. L’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur ses activités commerciales.

7. (1) L’État étranger ne bénéficie pas, pour tout navire dont il est le propriétaire ou l’exploitant et qui était utilisé ou destiné à être utilisé dans le cadre d’une activité commerciale au moment de la naissance du droit d’action ou de l’introduction de l’instance, de l’immunité de juridiction dans les actions suivantes :

a) actions réelles contre le navire;

b) actions personnelles visant à faire valoir un droit se rattachant au navire.

(2) L’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions suivantes :

a) actions réelles contre une cargaison dont il est propriétaire et qui, au moment de la naissance du droit d’action ou de l’introduction de l’instance, était, ainsi que le navire qui la transportait, utilisée ou destinée à être utilisée dans le cadre d’une activité commerciale;

b) actions personnelles visant à faire valoir un droit se rattachant à cette cargaison, le navire qui la transportait étant, au moment de la naissance du droit d’action ou de l’introduction de l’instance, utilisé ou destiné à être utilisé dans le cadre d’une activité commerciale.

3.         Analyse et décision

Immunité de l’État

Le premier argument avancé est que le présent tribunal n’est pas compétent pour entendre l’action du demandeur du fait que la défenderesse IRISL et le navire Iran Afzal sont protégés par l’immunité des États étrangers. Pour que cet argument soit accueilli, la défenderesse IRISL doit être visée par la Loi sur l’immunité des États. À cet égard, la preuve a établi que l’IRISL est un organisme de l’État de l’Iran et qu’à ce titre, elle est visée par la définition de l’État étranger en vertu de la Loi sur l’immunité des États[13]. La preuve a aussi établi que l’IRISL est propriétaire de l’Iran Afzal. Toutefois, l’article 7 de la Loi crée une exception à l’immunité des États étrangers dans la mesure où les actions réelles contre un navire détenu ou exploité par un État sont visées si, au moment où la demande est soulevée ou au moment où l’action est introduite, le navire servait à une activité commerciale. Une exception identique s’étend aux actions personnelles visant à faire valoir un droit se rattachant à un navire possédé ou exploité par l’État.

La défenderesse soutient que l’article 7 de la Loi sur l’immunité des États ne s’applique pas en l’espèce. D’abord, la défenderesse soutient qu’à l’époque en cause, l’Iran Afzal ne se livrait pas à une activité commerciale mais plutôt à une entreprise régie par l’État. De façon précise, la défenderesse soutient qu’au moment de sa saisie, l’Iran Afzal attendait d’être chargé de grains pour une société d’État iranienne et que le grain était destiné à la consommation intérieure en Iran. Je ne vois pas de fondement à cet argument. L’Iran Afzal était à l’époque en cause un vraquier qui attendait un chargement de grains, et c’est la nature de l’activité qu’il menait et non l’objectif dans la perspective de l’État qui doit entrer en considération pour évaluer si le navire participait à une activité commerciale[14].

La défenderesse soutient en outre que l’article 7 est restreint dans son application aux cas où il existe un lien immédiat entre le navire et l’action intentée. En l’espèce, le seul lien est que l’Iran Afzal est un navire-jumeau de ceux sur lesquels le demandeur a servi. La défenderesse ajoute que lorsque la Loi sur l’immunité des États a été adoptée en 1982[15], il n’existait pas de droit d’action réelle contre un navire-jumeau[16]. Par conséquent, la défenderesse soutient qu’une action réelle contre un navire-jumeau ne pourrait pas avoir été visé par le législateur au moment où il a adopté l’article 7 de la Loi sur l’immunité des États.

Si l’on accepte ce qui précède, il reste que, à la simple lecture, l’article 7 de la Loi sur l’immunité des États a pour effet de créer une exception à l’immunité des États étrangers, que le navire en cause soit ou non directement lié aux événements qui ont donné lieu à l’action. Tout ce que l’article 7 exige est que l’action soit intentée contre un navire d’un État étranger et que le navire serve à une activité commerciale à l’époque en cause. Ces conditions s’étendent et s’appliquent à l’affaire en cause et comme, par ailleurs, le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la Cour une compétence qui peut être exercée en matière réelle « à l’égard de tout navire qui, au moment où l’action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l’action », l’application de l’article 7 de la Loi sur l’immunité des États ne peut être évitée.

La défenderesse soutient aussi que l’action du demandeur tient davantage d’une action pour renvoi injustifié que d’une demande de salaire et de prestations qui découlent de son emploi. Selon la défenderesse, la demande ne peut donc pas être exécutée par une action réelle du fait qu’elle n’est pas visée à l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale.

Je note à cet égard que l’alinéa 22(2)o) est formulé de façon générale. Il parle d’« une demande formulée par un capitaine, un officier ou un autre membre de l’équipage d’un navire relativement au salaire, à l’argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement ». Dans l’affaire Demetries Karamanlis c. Le Norsland[17], le juge Pratte (tel était alors son titre) a été saisi d’un argument identique. Il y a répondu comme suit à la page 493 :

Outre leurs salaires ordinaires, les demandeurs réclament aussi les « trois mois de salaire » additionnel auxquels ils ont droit en vertu des dispositions sus-mentionnées de leurs contrats de travail.

Il est clair que ces salaires additionnels sont en fait des dommages-intérêts liquidés. Il est également certain que les propriétaires ont rompu les contrats de travail. En conséquence, en vertu des stipulations de leurs contrats de travail, le capitaine et l’équipage ont droit à l’indemnité convenue. La seule question à trancher à cet égard est de savoir s’ils pouvaient faire valoir cette demande par une action in rem.

Je pense que cette Cour a le pouvoir d’accueillir une action in rem introduite par un marin en vue d’obtenir une indemnité de congédiement (The Great Eastern (1867) L.R. 1A. & E. 384; The Blessing (1873) 3 P.D. 35; The British Trade [1924] P. 104; Loi sur la Cour fédérale S.C. 1970, c. 1, art. 22 et 43). En conséquence, je conclus que cette partie de la réclamation des demandeurs doit être accueillie. Cependant, je souligne que je ne me prononce pas sur le point de savoir si le droit des demandeurs à ces dommages-intérêts liquidés est garanti par un privilège maritime; il s’agit là d’une toute autre question qu’il n’est pas nécessaire de trancher ici[18].

D’après ce précédent, je conclus que même si la demande du demandeur tient davantage d’une action pour renvoi injustifié, elle est cependant visée à l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale.

La défenderesse soutient finalement que l’action, dans la mesure où elle porte sur les actions détenues par le demandeur dans IRISL, n’est pas visée à l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale. À cet égard, je conviens avec la défenderesse que bien que le demandeur ait peut-être acquis les actions en cause dans le cadre de son emploi par le biais de ce qui semble être un programme d’achat d’actions, les droits qu’il a maintenant l’intention de faire valoir sur ces actions seraient invoqués en sa qualité d’actionnaire. À ce titre, ses revendications ne sont pas formulées relativement « au salaire, à l’argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement » au sens de l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, l’avocat du demandeur signale à juste titre que dans l’affidavit déposé par la défenderesse à l’appui de cette demande, un lien direct est établi entre l’engagement du demandeur et le traitement qui est donné aux actions qu’il possède[19]. De fait, cette preuve donne au demandeur une base factuelle lui permettant de soutenir que sa demande, relativement aux actions, découle de son engagement et qu’il ne l’a pas intentée en sa qualité d’actionnaire.

Je rejette donc la demande de la défenderesse dans la mesure où elle est fondée sur l’immunité des États étrangers.

Saisie de l’Iran Afzal

À titre subsidiaire, la défenderesse demande une ordonnance visant à annuler la saisie de l’Iran Afzal ainsi que le cautionnement versé pour obtenir sa mainlevée au motif que le demandeur n’avait pas le droit de saisir le navire à l’époque en cause. De façon précise, la défenderesse soutient que l’action engagée et la demande ayant donné lieu à la délivrance du mandat n’étaient pas conçues en fonction du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale et ne visaient pas la saisie du navire-jumeau. De fait, la défenderesse fait valoir que les paragraphes 1002(2) [mod. par DORS/79-57, art. 17] et (2.1) [édicté par DORS/92-726, art. 11] des Règles n’ont pas été respectées en ce que seulement l’Iran Afzal a été nommé à titre de défendeur dans la déclaration. De la même façon, l’alinéa 1003(2)f) [édicté, idem, art. 12] des Règles n’a pas été respecté en ce que l’affidavit portant demande de mandat ne révélait aucun motif raisonnable de croire que les navires sur lesquels avait servi le demandeur étaient des navires-jumeaux de l’Iran Afzal.

Ces objections, bien qu’elles soient valables, ne me permettent pas d’annuler le mandat à ce stade de l’instance. Le demandeur a fait l’objet d’un interrogatoire approfondi sur l’affidavit portant demande de mandat il y a environ deux ans. Il a été dit clairement à l’époque que l’action et le mandat de saisie visaient l’Iran Afzal à titre de navire-jumeau[20]. Il est aussi évident qu’il était raisonnablement permis de croire, à l’époque en cause, que l’Iran Afzal et les navires sur lesquels le demandeur avait servi étaient véritablement détenus par la défenderesse au nom de l’État de l’Iran. Bien que l’autorisation d’amender la déclaration de façon à corriger les défauts mis en évidence par la défenderesse serait requise si l’on devait permettre à cette action de se poursuivre, je n’en ai pas pour autant le droit d’annuler la saisie de l’Iran Afzal ou d’annuler le cautionnement versé pour obtenir la mainlevée à ce stade de l’action.

Suspension de l’instance

Enfin, la défenderesse soutient que la présente action devrait être suspendue au motif que cette Cour n’est pas un tribunal compétent pour la juger. D’après la défenderesse, les points en litige soulevés dans la présente action devraient être tranchés par les tribunaux iraniens.

Il est bien établi qu’une fois que la Cour juge qu’elle a compétence pour connaître d’une action, la décision de savoir si elle doit la trancher lorsqu’un autre tribunal est aussi compétent pour le faire relève du simple pouvoir discrétionnaire. L’arrêt Antares Shipping Corporation c. Le navire « Capricorn » et autres contient un énoncé général des facteurs que la Cour doit prendre en considération lorsqu’elle exerce ce pouvoir discrétionnaire :

Plusieurs décisions décrivent sous différents aspects les divers facteurs qui influent sur l’application de cette doctrine, et nous en mentionnerons quelques-uns ci-dessous; parmi eux, on peut citer les avantages réciproques pour toutes les parties intéressées, y compris le demandeur, l’inopportunité d’empiéter sur la juridiction d’un État étranger, l’inconvénient de juger une affaire dans un pays lorsque la cause d’action a pris naissance dans un autre, régi par des lois différentes, et ce qu’il en coûte pour réunir les témoins étrangers[21].

Dans l’affaire Yasuda Fire & Marine Insurance Co. Ltd. c. Le navire Nosira Lin, la Cour d’appel fédérale a établi que la considération essentielle était la suivante :

La véritable question à trancher lors d’une demande de ce genre est exposée à l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale : est-il dans l’intérêt de la justice de suspendre les procédures? On doit répondre à cette question en tenant compte des principes formulés par Lord Diplock dans MacShannon v Rockware Glass Ltd, [1978] 1 All E.R. 625 (H.L.), à la p. 630 :

[traduction] « Pour justifier une suspension, deux conditions doivent être remplies, l’une étant positive, l’autre négative : a) le défendeur doit persuader la Cour qu’il existe un autre tribunal dont il relève et où justice peut être faite entre les parties avec des inconvénients ou des frais beaucoup moindres, et b) la suspension ne doit pas priver le demandeur d’un avantage personnel ou juridique légitime dont il pourrait se prévaloir s’il invoquait la compétence de la cour anglaise »…[22]

Dans l’arrêt Burrard-Yarrows Corp. c. Le Hoegh Merchant, la Section de première instance de la présente Cour a adopté la déclaration plus élaborée du juge Brandon dans l’affaire Eleftheria, The, [1969] 1 Lloyd’s Rep. 237, à la page 242 :

[traduction] Les principes établis par la jurisprudence peuvent, à mon avis, être résumés de la manière suivante : (1) Lorsque les demandeurs intentent des poursuites en Angleterre, en rupture d’une entente selon laquelle les différends seraient renvoyés à un tribunal étranger, et lorsque les défendeurs demandent une suspension des procédures, le tribunal anglais, à supposer que la réclamation relève autrement de sa compétence, n’est pas tenu d’accorder une suspension des procédures, mais a le pouvoir discrétionnaire de le faire. (2) Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension des procédures devrait être exercé à moins qu’on ne démontre qu’il existe des motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs. (4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire en cause. (5) Notamment, mais sans préjudice du (4), les questions suivantes, s’il y a lieu, devraient être examinées : a) Dans quel pays peut-on trouver, ou se procurer facilement la preuve relative aux questions de fait, et quelles conséquences peut-on en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès devant les tribunaux anglais ou les tribunaux étrangers? b) Le droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c’est le cas, diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le litige devant un tribunal étranger ou prennent-ils seulement avantage des procédures? e) Les demandeurs subiraient-ils un préjudice s’ils devaient intenter une action devant un tribunal étranger (i) parce qu’ils seraient privés de garantie à l’égard de leur réclamation; (ii) parce qu’ils seraient incapables de faire appliquer tout jugement obtenu; (iii) parce qu’il y aurait une prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que, pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne seraient pas en mesure d’obtenir un jugement équitable[23].

Plus récemment[24], notre Cour suprême a réexaminé les principes qui régissent la doctrine du forum conveniens pour la première fois depuis qu’elle l’avait fait dans l’affaire Antares. Le juge Sopinka, après avoir noté que la reconnaissance du forum conveniens était devenue plus difficile dans un monde où les litiges, comme le commerce, deviennent de plus en plus internationaux, a déclaré ce qui suit :

Dans ce climat, les tribunaux ont dû se montrer plus tolérants à l’égard des systèmes étrangers. Il convient de se départir de l’esprit de clocher démontré par l’arrêt Bushby c. Munday (1821), 5 Madd. 297, 56 E.R. 908, à la p. 308 et à la p. 913 selon lequel [traduction] « [l]a cour doit, au nom des intérêts supérieurs de la justice, recourir à ses propres moyens qui sont les meilleurs, pour statuer sur le droit et sur les faits de l’espèce ».

Cela ne veut cependant dire qu’il faille encourager la « recherche d’un tribunal favorable ». Le choix du tribunal approprié doit encore reposer sur des facteurs conçus pour faire en sorte, si possible, que le procès soit instruit dans le ressort qui a les liens les plus étroits avec le litige et les parties, et que l’une de celles-ci ne jouisse d’un avantage juridique au détriment des autres devant un tribunal par ailleurs inapproprié[25].

En l’espèce, il ne fait pas de doute que le ressort qui a les liens les plus étroits avec l’action, ou le « ressort logique »[26], est l’Iran. Le demandeur est un citoyen iranien, l’entité qui est poursuivie est un organisme de l’État de l’Iran, le contrat de travail est régi par les lois de l’Iran, le programme de nationalisation qui a conduit à la perte des actions du demandeur était mis en œuvre en vertu du droit iranien. Le seul lien qui existe entre l’action du demandeur et le Canada est l’allégation selon laquelle il est domicilié au Canada et, bien entendu, le fait que le navire a été saisi au Canada où un cautionnement a par la suite été versé pour obtenir sa mainlevée.

D’après les termes du juge Sopinka dans l’affaire Amchem[27], lorsque le défendeur démontre « qu’il y a lieu d’accorder la suspension et qu’il est nettement plus approprié qu’un autre tribunal soit appelé à juger l’action, … la suspension sera accordée sauf si le demandeur établit qu’en raison de circonstances particulières, il ne peut obtenir justice que devant le tribunal »[28] au Canada. Et au sujet de l’appréciation de ces circonstances particulières, il a dit :

La simple perte d’un avantage juridique n’équivaut pas à une injustice si le tribunal est convaincu que, pour l’essentiel, le tribunal approprié peut rendre justice au demandeur[29].

Appliquant ce qui précède à l’espèce, la défenderesse a clairement démontré que l’Iran est le pays où ce litige a « le lien le plus réel et le plus important » et, par conséquent, qu’il s’agit du « ressort logique » où l’affaire doit être réglée[30]. La question qui se pose alors consiste à se demander si la défenderesse a établi les circonstances particulières qui pourraient contraindre la présente Cour à se déclarer compétente, bien qu’elle ne soit pas le « ressort logique » pour régler la cause. À cet égard, la seule allégation qui pourrait être prise en considération comme évoquant les circonstances particulières du genre de celles dont traite la Cour suprême dans l’arrêt Amchem se trouve dans l’affidavit déposé en réponse à la présente demande, dans lequel il est déclaré que le capitaine Haddadi est réticent à intenter une action en Iran parce que :

[traduction] Il craint que toute action qui implique la République islamique d’Iran soit impossible à faire valoir en Iran du fait que les tribunaux iraniens ne reconnaissent aucune compétence de poursuivre l’État[31].

Il en découle à première vue que les tribunaux iraniens ne permettront pas au demandeur de faire valoir son action, ce qui représente pour lui un déni de justice considérable. Toutefois, il ne fait rien valoir pour appuyer cette prétention. La défenderesse soutient pour sa part que :

[traduction] Les tribunaux d’Iran ont une compétence exclusive pour trancher les litiges entre les employés de l’État et les employeurs de l’État[32].

La traduction anglaise certifiée conforme de la Administrative Justice Tribunal Act de l’Iran est annexée à l’affidavit à l’appui de cette déclaration[33]. À première vue, cette Loi confère effectivement aux tribunaux iraniens la compétence nécessaire pour entendre les poursuites intentées par les fonctionnaires à l’encontre de l’État. Aucune preuve ne m’a été soumise qui établisse que les tribunaux iraniens refuseraient d’exercer cette compétence, si ce n’est l’affirmation audacieuse que les tribunaux iraniens [traduction] « ne reconnaissent aucune compétence de poursuivre l’État ». Il en faut davantage pour mettre en doute l’intégrité du système judiciaire d’un État étranger. Rien ne m’a été soumis pour montrer que les tribunaux d’Iran refuseront d’exercer la compétence conférée par les lois de l’Iran.

Je m’empresse d’ajouter que l’affaire devra être jugée en fonction du droit iranien, que le procès ait lieu au Canada ou en Iran. La plainte du demandeur ne porte pas sur le droit iranien ou sur son effet sur lui, mais sur le système judiciaire iranien, le demandeur tenant pour acquis que les tribunaux iraniens n’entendront pas sa demande. Bien que le demandeur ait droit à son opinion, il n’a pas présenté de preuve qui me permette de conclure que justice ne sera pas faite en Iran.

Enfin, je reconnais que le demandeur a assuré l’exécution d’un jugement canadien dans l’éventualité où il en interviendrait un en sa faveur, et que ce facteur doit être pris en considération pour déterminer le forum conveniens. Effectivement, dans l’affaire Antares, le fait que l’exécution d’un jugement éventuel au Canada ait été garantie constituait un facteur déterminant dans la décision qu’a prise la Cour de se déclarer compétente. Toutefois, dans cette affaire-là, la situation des défendeurs était telle que la capacité qu’avait le demandeur de faire exécuter un jugement en sa faveur dépendait entièrement de l’existence d’une garantie, et le Canada était le seul ressort où un cautionnement qui garantissait un jugement éventuel avait été versé. Dans ce contexte, la Cour a conclu que le Canada était l’endroit le mieux choisi tant pour poursuivre l’action que pour servir les fins de la justice. En l’espèce, bien entendu, il ne se pose pas de question sur la capacité qu’a la défenderesse de payer, advenant que les tribunaux iraniens concluent en faveur du demandeur. Le fait qu’un cautionnement ait été versé au Canada n’est donc pas une considération essentielle pour établir le lieu où les fins de la justice seraient le mieux servies.

Pour ces motifs, je conclus que la présente instance devrait être suspendue de façon à être engagée et plaidée en Iran. La lettre de garantie irrévocable émise pour obtenir mainlevée du navire Iran Afzal sera maintenue pendant trente (30) jours à compter de la date du présent jugement pour permettre au demandeur de prendre des mesures conservatoires à l’égard de la garantie s’il décidait d’exercer son droit d’appel. Une ordonnance est rendue en conséquence.



[1] Le demandeur a depuis avisé l’avocat des défendeurs que les montants réclamés au titre des salaires et dividendes sont de 11 400 $ US et de 723 955 $ US respectivement : voir interrogatoire du capitaine Haddadi, le 7 décembre 1994, aux p. 13 et 14 (ci-après interrogatoire du capitaine Haddadi).

[2] L’affidavit portant demande de mandat avait en fait été rédigé sous serment par l’avocat du demandeur, mais les parties citées se sont entendues pour dire que les renseignements contenus dans l’affidavit correspondait aux connaissances, aux renseignements et aux croyances du capitaine Haddadi.

[3] La garantie bancaire est du montant de 420 000 $ CAN.

[4] Dans l’affidavit fait sous serment le 25 mars 1996 en réponse à la présente demande, l’avocat du demandeur déclare être informé par le capitaine Haddadi que celui-ci est actuellement domicilié au Canada; voir l’affidavit de Marc de Man, au par. 2a).

[5] D’après le capitaine Haddadi, toute correspondance par télex a été adressée de ces navires directement au siège social de l’IRISL à Téhéran; voir interrogatoire du capitaine Haddadi, précité, note 1, à la p. 25.

[6] Voir pièce B à l’affidavit de Mahmoud Bassiri Abyaneh, fait sous serment le 18 octobre 1995 (ci-après appelé l’affidavit de Bassiri).

[7] Voir p. 2 de la pièce A de l’affidavit de Bassiri : l’article 8 de l’acte d’association d’IRISL énonce qu’au moment de la nationalisation, la perte accumulée de la société excédait les droits des actionnaires et prévoyait qu’une vérification de l’actif de la société serait effectuée. Une fois cette vérification terminée, l’article 9 prévoyait que la nationalisation serait complète et que les actions appartiendraient au gouvernement de la République islamique d’Iran.

[8] Affidavit de Bassiri, annexe C.

[9] Voir à cet égard l’annexe F à l’affidavit de Bassiri : un relevé informatique du système de personnel de la flotte de l’Arya / IRISL montre que le demandeur a servi sur l’Iran Milad, l’Iran Meead, l’Iran Jenan, l’Iran Besat, l’Iran Shahdat, l’Iran Sedaghat, l’Iran Hojat, l’Iran Jahad, l’Iran Ekram, l’Iran Ershad, l’Iran Elham et l’Iran Sarbaz.

[10] Une traduction des dispositions pertinentes du chapitre 2 de l’Administrative Justice Tribunal Act de l’Iran fournie à l’annexe D de l’affidavit de Bassiri se lit comme suit :

[traduction] Art. 11—Capacité et limite de l’autorité du tribunal :

1— Instruction des plaintes, requêtes et objections de personnes morales ou entités juridiques de celle-ci.

A—  Décisions et actions des organismes gouvernementaux à la fois des ministères, organismes, institutions, municipalités, institutions et fondations révolutionnaires et institutions affiliées.

B  Décisions et actes des fonctionnaires de ces organisations énoncés à la clause A en ce qui concerne les affaires de celle-ci.

C  Résolutions et autres ordonnances, règlements gouvernementaux et des municipalités à l’égard des objections au droit et à l’administration de la justice du peuple dans les cas où les décisions ou les actes ou les règlements sont attaqués parce qu’ils sont contre la loi ou reflètent l’incapacité de l’autorité pertinente ou un excès de pouvoir ou un abus des autorités ou une violation de l’application de la loi et des règlements ou une abstention d’exécuter les obligations qui peuvent conduire à un abus à l’encontre du droit du peuple.

2 Instruction des objections, plaintes de jugements et décisions finales des tribunaux administratifs, commissions d’enquête et comités comme les comités fiscaux, conseils d’atelier, commissions de règlement des conflits de travail, comités assujettis à l’article 100, droit des municipalités, comités assujettis à l’article 56, droit de la conservation et de l’exploitation des forêts et des ressources naturelles, exclusivement en ce qui concerne la violation de la loi et des règlements ou les objections faites à ceux-ci.

3 Instruction des plaintes des juges et du peuple sous réserve du droit de la fonction publique et des autres employés des organismes et institutions énoncés à la clause 1 et des employés des institutions qui sont visés par l’inclusion à cette loi, exigeant la mention de leur nom, à la fois militaire ou civil, en ce qui concerne l’abus des droits dans l’emploi.

Note 1  La détermination du montant des dommages et intérêts causés par les institutions et les personnes mentionnées aux clauses 1 et 2 de cet article à la suite de la vérification par le tribunal relève du Tribunal public.

Note 2  Les décisions et les jugements des tribunaux et autres autorités judiciaires, des administrations de la justice, militaires, juges, tribunaux disciplinaires de la justice administrative et armée ne peuvent faire l’objet de plaintes au Tribunal de justice administrative.

Note 3  Les dossiers en vue de l’instruction de plaintes au sujet de la présente clause, étudiés par les tribunaux publics ou à la Cour suprême de l’État, et jusqu’à la date de convocation du tribunal, aucune ordonnance n’ayant été émise, seront remis à la Cour de justice administrative.

[11] L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 22, 43(7), (8) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12), 50(1)].

[12] L.R.C. (1985), ch. S-18.

[13].2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« État étranger » Sont assimilés à un État étranger :

b)… les organismes de cet État.

[14] L’art. 2 de la Loi définit ainsi « activité commerciale » Toute poursuite normale d’une activité ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur nature. (Non souligné dans l’original

[15] La Loi est entrée en vigueur le 15 juillet 1982.

[16] L’art. 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit ce droit d’action est entré en vigueur en 1992.

[17] [1971] C.F. 487 (1re inst.).

[18] En ce qui concerne cette dernière distinction faite par le juge Pratte entre les actions in rem et les privilèges maritimes, il peut être fait référence à la déclaration suivante du juge Marceau J.C.A., dans l’affaire Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199(C.A.), à la p. 214 :

Comme on le sait très bien, le droit in rem accordé par le droit canadien aux fournisseurs d’approvisionnements nécessaires n’est pas du tout un privilège maritime, lequel est un avantage qui s’exerce sur le navire. Le privilège maritime confère à son titulaire un droit de préférence par le seul effet de la loi et lui permet de suivre le navire où qu’il soit et entre les mains de quelque personne qu’il passe.

En l’espèce, le demandeur invoque un privilège maritime tout en intentant une action in rem. Toutefois, comme la preuve montre que le demandeur n’a jamais servi sur l’Iran Afzal, il semble que le seul recours applicable soit l’action in rem à l’encontre de l’Iran Afzal en tant que navire-jumeau.

[19] Voir le par. 8 de l’affidavit de Bassari où il est dit que bien que les droits des actionnaires de l’IRISL soient déclarés « perdus », les « employés qui étaient anciennement des actionnaires de l’Arya ont reçu un certain paiement …, mais à condition qu’ils soient alors engagés, ce qui n’était pas le cas du capitaine Haddadi à ce moment-là ».

[20] Voir l’interrogatoire du capitaine Haddadi, précité note 1, à la p. 20.

[21] [1977] 2 R.C.S. 422, à la p. 448 (ci-après appelé Antares).

[22] [1984] 1 C.F. 895(C.A.), aux p. 900 et 901.

[23] [1982] 1 C.F. 248(1re inst.), à la p. 250.

[24] Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897 (ci-après Amchem).

[25] Ibid., à la p. 912.

[26] C’est-à-dire « celui avec lequel l’action a le lien le plus réel et le plus important »; voir Amchem, précité note 24, à la p. 916.

[27] Reformulation des règles établies par la Chambre des lords dans l’affaire Spiliada Maritime Corpn. c. Cansulex Ltd., [1987] A.C 460.

[28] Précité, note 24, aux p. 916 et 917.

[29] Ibid., à la p. 917.

[30] La charge de faire cette démonstration est particulièrement lourde lorsque, comme en l’espèce, il n’existe pas d’action étrangère parallèle en instance; voir l’arrêt Amchem, à la p. 921. Toutefois, il ne fait pas de doute en l’espèce que la défenderesse s’est acquittée de ce fardeau.

[31] Affidavit de Marc de Man, précité, note 4, au par. 2b).

[32] Affidavit de Bassari, par. 10.

[33] Affidavit de Bassari, précité, note 10.

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