A-899-97
Spire Freezers Limited (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié: Spire Freezers Ltd.c. Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Strayer, Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 4 mars; Ottawa, 25 mai 1999.
Impôt sur le revenu — Sociétés de personnes — La contribuable et un groupe de personnes physiques ont acheté une participation dans une société de personnes californienne qui possédait un immeuble d'habitation et des appartements en copropriété — L'immeuble en copropriété a généré des pertes fiscales, car les coûts de construction dépassaient de beaucoup la juste valeur marchande de l'immeuble — La société de personnes continuait à exister indépendamment du retrait d'un associé original ou de l'admission d'associés canadiens — La contribuable a réclamé la déduction d'une perte de 10 millions de dollars US pour la vente de l'immeuble et d'une perte en capital de 367 000 $US pour la vente d'actions — Le mobile principal de la contribuable était d'acquérir les pertes autres qu'en capital de l'immeuble en copropriété — La conclusion quant à l'existence d'une société de personnes est une question mixte de droit et de fait — La volonté des parties au moment de la signature du contrat est une question de fait — Seules les activités exercées dans un but lucratif, y compris celles dont l'objectif accessoire est de réaliser un profit, peuvent donner lieu à la constitution d'une société de personnes — Il ne peut y avoir de société de personnes si les intéressés n'ont pas l'intention d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice — Examen de la jurisprudence sur les sociétés de personnes — La contribuable avait l'intention d'exploiter une entreprise en vue de réaliser une perte, et non un profit — Absence d'élément de preuve permettant de conclure à l'existence d'une intention, accessoire ou non, de réaliser un bénéfice — Une opération motivée exclusivement par l'obtention de pertes fiscales ne peut avoir été conçue en vue de réaliser un bénéfice.
Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a statué qu'un groupe de contribuables, dont l'appelante faisait partie, avait acheté une participation dans une société de personnes californienne uniquement dans le but d'acquérir des pertes fiscales, et non pour tirer un profit, que les contribuables en question n'étaient pas des associés sur le plan fiscal parce qu'ils n'exploitaient pas une entreprise en vue de tirer un profit et qu'ils ne pouvaient déduire les pertes de la société de personnes. Celle-ci avait été constituée pour mettre sur pied un grand ensemble résidentiel de luxe composé d'appartements en copropriété, le projet de HCP, sur l'île Santa Catalina, au large des côtes de la Californie. À la fin de 1980, il restait deux associés, deux compagnies américaines: BCE Development Inc. (BDI) et sa filiale, Peninsula Cove Corporation. Chacun des associés détenait une participation de 50 pour 100 dans l'immeuble en copropriété. Pour obtenir des autorités compétentes les permis requis, la société de personnes devait construire un immeuble d'habitation connu sous le nom d'appartements Tremont, un ensemble d'habitations à louer subventionné par l'État et qui appartenait à une compagnie appelée TSAC. À la fin de 1986, les coûts de construction de l'immeuble en copropriété de HCP dépassaient la juste valeur marchande de l'immeuble d'environ dix millions de dollars US, ce qui risquait d'occasionner des pertes considérables à HCP. Plusieurs entreprises canadiennes, dont l'appelante était la plus importante, ont été informées par un vendeur d'abris fiscaux de la possibilité de se porter acquéreur des pertes fiscales du projet HCP au prix de 20 cents le dollar. Après que les parties en furent arrivées à une entente, une série d'opérations ont eu lieu en novembre 1987. BDI et Peninsula ont modifié leur contrat de société de personnes pour permettre à celle-ci de poursuivre ses activités indépendamment du retrait d'un associé ou de l'admission d'un nouveau. Peninsula a ensuite vendu à la contribuable la participation de 50 pour 100 qu'elle détenait dans la société de personnes. À son tour, BDI a disposé de sa participation de 50 pour 100 en vendant une participation de 25 pour 100 à la contribuable et la participation restante de 25 pour 100 à une autre compagnie canadienne. Le prix d'achat total s'élevait à 34,5 millions de dollars US. La société de personnes a immédiatement vendu l'immeuble de HCP à BDI pour la somme de 33,3 millions de dollars US. BDI et Peninsula se sont ensuite retirées de la société de personnes. Les associés canadiens ont versé une somme d'environ 1,2 million de dollars US pour acquérir les pertes de la société de personnes. Les pertes subies lors de la vente de l'immeuble de HCP s'élevaient à environ 10,4 millions de dollars US. La société de personnes a réclamé une perte de 10 millions de dollars US pour la vente de l'immeuble de HCP, et une perte en capital de 367 000 $US pour la vente des actions de TSAC. Revenu Canada a refusé la déduction de ces pertes. En appel, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a statué que, même si l'opération en question n'était pas un "trompe-l'œil", les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue d'en tirer un profit et qu'il n'y avait aucune expectative raisonnable de profit. La question en litige était de savoir si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant que l'appelante, qui avait tenté de créer une société de personnes pour se prévaloir de certaines pertes fiscales, n'avait pas réussi à constituer une telle société parce que les conditions à remplir pour répondre à la définition de la société de personnes n'étaient pas réunies suivant les faits objectifs.
Arrêt (le juge Robertson, J.C.A., dissident): l'appel doit être rejeté.
Le juge Linden, J.C.A.: Il est parfaitement légitime de se servir d'une société de personnes comme moyen de réaliser des épargnes fiscales, mais il est nécessaire de créer une société de personnes pour ce faire. On peut s'associer dans le but d'éviter l'impôt, mais on ne peut s'associer sans se conformer aux exigences du droit des sociétés. En droit, on ne peut "acheter" ou "vendre" une société de personnes; la société de personnes constitue une relation qui subsiste tant que deux ou plusieurs personnes exploitent une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Bien que la question de savoir si une société de personnes a effectivement été créée soit une question mixte de droit et de fait, la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat (de société de personnes ou autre) est une question de fait. L'existence d'une société de personnes dépend toujours des conclusions de fait nécessaires suivant lesquelles l'existence des éléments constitutifs de la société de personnes a été démontrée. Seules les activités exercées dans un but lucratif, y compris celles dont l'objectif accessoire est de réaliser un profit, peuvent donner lieu à la constitution d'une société de personnes. L'arrêt qui fait autorité en matière d'imposition des sociétés de personnes est Continental Bank Leasing Corp. c. Canada , dans lequel la Cour suprême du Canada a reconnu un certain nombre de critères permettant de conclure à l'existence d'une société de personnes. Parmi ces indices, mentionnons les suivants: apport des parties à l'entreprise commune sous forme de numéraire, biens, travail, connaissances, habiletés ou autres éléments, droit de propriété conjointe dans l'objet de l'entreprise, partage des profits et des pertes, droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise, production de déclarations de revenus à titre de société en nom collectif et comptes bancaires conjoints. La Cour a souligné que, même si l'évasion fiscale est le facteur prédominant ayant motivé la constitution de la société de personnes, cet état de fait n'exclut pas pour autant un éventuel but accessoire de réaliser un bénéfice qui est suffisant pour satisfaire à l'obligation imposée aux parties d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. La Cour a conclu que, vu l'ensemble des faits de l'espèce et compte tenu des critères applicables, une entreprise était exploitée en commun et une société de personnes avait été valablement constituée.
L'intention de réaliser un bénéfice se situe au cœur même de la société de personnes. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu, en fait, que les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il a conclu à juste titre, en droit, que s'il n'existait pas d'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice, il ne pouvait y avoir de société de personnes. Par conséquent, si l'appelante avait l'intention d'exploiter une entreprise, c'était en vue de réaliser une perte, et non un profit. Cette intention ne satisfait pas à la norme prescrite par le droit canadien ou californien. Le dossier ne renferme aucun élément de preuve convaincant qui permettrait de conclure à l'existence d'une intention, accessoire ou non, de réaliser un bénéfice. Pour qu'il y ait un "but lucratif", il faut qu'il y ait une intention de réaliser un bénéfice. De leur propre aveu, les contribuables ont planifié et provoqué une perte de dix millions de dollars sans la moindre intention de jamais récupérer cette perte ou de réaliser quelque bénéfice que ce soit. La prétendue association des Canadiens et des Américains n'a duré que quelques minutes, au cours desquelles une perte de dix millions de dollars a été réalisée. Ce fait ne saurait constituer une preuve objective démontrant que les parties ont exploité une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. En droit, l'intention des Canadiens de créer un rapport de droit équivalant à une société de personnes était nécessaire mais insuffisante. La société de personnes est le fruit d'un accord et exige donc une intention réciproque de la part de tous les intéressés de créer une relation qui équivaut à une société de personnes. Les Américains ne se sont jamais associés aux Canadiens et BDI ne s'est jamais départie du projet HCP. Aucun des critères indiquant l'existence d'une société de personnes qui sont énumérés par la Cour supême dans l'arrêt Continental Bank n'est présent. Rien ne permet de contester la conclusion du juge de l'impôt suivant laquelle aucune entreprise n'était exploitée en commun. Une opération motivée exclusivement par l'obtention de pertes fiscales ne saurait logiquement avoir été conçue en vue de réaliser un bénéfice.
Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): L'intention ne saurait dépendre exclusivement de l'intention subjective des parties; elle doit également reposer sur des éléments de preuve objectifs. Le droit fiscal s'intéresse davantage à la conduite effective des contribuables qu'à leur témoignage. Le fait que la société de personnes exerçait ses activités d'une manière compatible avec les ententes écrites constitue une preuve plus convaincante de l'intention des parties que leur témoignage. Une société de personnes peut être valablement formée même si le mobile prédominant du contribuable est l'évasion fiscale, à condition qu'il y ait une intention accessoire ou secondaire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. Il ressort de la preuve documentaire que la société de personnes a acquis un bien productif de revenu qui est devenu rentable dans un laps de temps relativement court. À lui seul, ce fait suffit à démontrer l'intention secondaire des contribuables de créer une société de personnes valide. Cette intention secondaire existait au 30 novembre 1987, date à laquelle les "opérations en série" ont été exécutées.
Une société de personnes est constituée lorsque les parties: 1) exploitent une entreprise 2) en commun 3) en vue de réaliser un bénéfice. Contrairement à l'affaire Continental Bank, dans laquelle la société avait duré trois jours, la présente société de personnes a duré plus d'une dizaine d'années. Ce fait permet de conclure qu'une entreprise était exploitée en commun. Les contribuables se sont présentés comme des associés et se sont comportés d'une manière compatible avec le contrat de société. Il y avait partage des profits et exploitation en commun d'une entreprise. Le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en statuant que, comme leur unique motif était de se prévaloir des pertes fiscales, les contribuables n'avaient pas droit à leur quote-part respective de ces pertes. Il est vrai que le mobile principal des contribuables était d'acquérir une perte autre qu'en capital substantielle, mais il est également évident que leur intention secondaire était d'acquérir et de conserver un bien productif de revenu qui leur permettait de continuer à exploiter une entreprise en commun. La doctrine de l'expectative raisonnable de profit ne justifiait pas l'argument du ministre suivant lequel les contribuables n'avaient aucune expectative raisonnable de profit lorsqu'ils se sont associés, parce que cette doctrine ne s'applique pas aux cas comme celui-ci. Elle vise uniquement à déterminer s'il existe une entreprise. Les pertes dont les contribuables réclamaient la déduction tombent carrément sous le coup de l'article 96 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposition n'est nullement ambiguë et, par conséquent, aucune interprétation n'était nécessaire.
lois et règlements |
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 67, 96(8) (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 44), (9) (édicté idem), 245. |
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 88 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 52; 1979, ch. 5, art. 29; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 48), 97(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49). |
Loi sur les banques, L.R.C. (1985), ch. B-1, art. 174(2). |
Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1980, ch. 370, art. 34. |
Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5, art. 2. |
jurisprudence |
décisions appliquées: |
Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; 98 DTC 6505; 222 N.R. 58 (quant aux conditions juridiques de formation d'une société de personnes); R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 137 D.L.R. (4th) 289; [1996] 9 W.W.R. 1; 80 B.C.A.C. 81; 23 B.C.L.R. (3d) 1; 109 C.C.C. (3d) 1; [1996] 4 C.N.L.R. 177; 50 C.R. (4th) 1; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81. |
distinction faite d'avec: |
Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; 98 DTC 6505; 222 N.R. 58 (quant aux différences factuelles des opérations en litige). |
décisions examinées: |
Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, [1926] R.C.S. 328; [1926] 2 D.L.R. 340; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241. |
décisions citées: |
Canada c. Continental Bank Leasing Corp., [1996] 3 C.F. 713; (1996), 25 B.L.R. (2d) 149; [1997] 1 C.T.C. 13; 96 DTC 6355; 199 N.R. 9 (C.A.); Munroe v. Clarke and Lamplighter Beverage Room & Grill Limited (1977), 23 N.S.R. (2d) 652 (C.S.); Hayes v. British Columbia Television Broadcasting Systems Ltd., [1991] B.C.J. no 1048 (C.S.) (QL), conf. à [1993] 2 W.W.R. 749 (C.A.); demande d'autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1993] 2 R.C.S. viii.; Sedgwick, Joseph v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.É. 337; Balick v. Sussman, [1985] O.J. no 1109 (H.C.) (QL); Roy v. Senator Hotels Ltd., [1982] O.J. no 911 (H.C.) (QL); Barnes v. Consolidated Motor Co. Ltd. et al. (1942), 57 B.C.R. 270; [1942] 1 D.L.R. 736; [1942] 2 W.W.R. 43 (C.S.); Gallo v. Silverberg, [1976] O.J. no 1251 (H.C.) (QL); Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1981), 32 O.R. (2d) 197; 121 D.L.R. (3d) 373 (H.C.); Jolley v. F.C. of T. (1989), 89 ATC 4197 (Cour féd. Australie); Alvi et al. v. Lal (1990), 13 R.P.R. (2d) 302 (H.C. Ont.); Smith & Hogan Ltd., In re Estate of, [1932] R.C.S. 661; Wildenburg Holdings Ltd. v. M.N.R. (1998), 98 DTC 6462 (Div. gén. Ont.); R.P.M. Tech Inc. v. Harvey & Co. (1993), 111 Nfld. & P.E.I.R. 12; 105 D.L.R. (4th) 746 (C.S.T.-N.); Milos Equipment Ltd. v. Insurance Corp. of Ireland (1988), 34 C.C.L.I. 102; [1989] I.L.R. 9249 (C.S.C.-B.); infirmé pour d'autres motifs (1990), 47 B.C.L.R. (2d) 296 (C.A.); Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201; (1999), 168 D.L.R. (4th) 513; 117 B.C.A.C. 103; 50 M.P.L.R. (2d) 1; 40 M.V.R. (3d) 1; 234 N.R. 201; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2; (1984), 37 R.F.L. (2d) 225; 52 N.R. 288; Marigold Holdings Ltd. and Riverview Place Apartment Ltd. v. Norem Construction Ltd., Pendergast (Barry) Architect Ltd. and Sovereign General Insurance Co. et al. (1988), 89 A.R. 81; [1988] 5 W.W.R. 710; 60 Alta. L.R. (2d) 289; 31 C.L.R. 51 (B.R.); Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 320; (1995), 95 DTC 5575; 185 N.R. 231 (C.A.F.); Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336; (1997), 148 D.L.R. (4th) 1; 97 DTC 5363; 213 N.R. 81; Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 F.C. 780; (1996), 96 DTC 6562; 206 N.R. 12 (C.A.); Backman, P.D. c. La Reine (1997), 97 DTC 1468 (C.C.I.); Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; (1977), 77 D.L.R. (3d) 112; [1977] CTC 310; 77 DTC 5213; 15 N.R. 476; Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3; (1994), 94 DTC 6624; 173 N.R. 213 (C.A.F.); Canada c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513; (1997), 154 D.L.R. (4th) 261; [1998] 1 C.T.C. 23; 97 DTC 5499; 220 N.R. 329 (C.A.); Mirza c. R., [1998] 4 C.T.C. 2272; (1998), 98 DTC 1771 (C.C.I.); Morden Rigg and Company and R. B. Eskrigge and Company v. Monks (1922), 8 T.C. 450 (K.B.). |
doctrine |
Canada Tax Service. Scarborough, Ont.: Carswell, aux p. 96-136 à 96-139. |
Canadian Tax Reporter, Vol. 3. Toronto: CCH Canadian Ltd., "12,107. |
Jones, J. F. Avery. "Nothing Either Good or Bad, But Thinking Makes It So"The Mental Element in Anti-Avoidance Legislation"I", [1983] Brit. Tax Rev . 9. |
Lindley, Lord Nathaniel. A Treatise on the Law of Partnership, 11th ed. by H. Salt and H. E. Francis. London: Sweet & Maxwell, 1950. |
Lindley & Banks on Partnership, 16th ed. by R. C. I'Anson Banks. London: Sweet & Maxwell, 1990. |
Lindley & Banks on Partnership, 17th ed. by R. C. I'Anson Banks. London: Sweet & Maxwell, 1995. |
APPEL d'une décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt ([1998] 2 C.T.C. 2764; (1997), 98 DTC 1287) a statué qu'un groupe de contribuables, dont l'appelante faisait partie, avait acheté une participation dans une société de personnes californienne uniquement dans le but d'acquérir des pertes fiscales, et non pour tirer un profit, que les contribuables en question n'étaient pas des associés sur le plan fiscal parce qu'ils n'exploitaient pas une entreprise en vue de tirer un profit et qu'ils ne pouvaient déduire les pertes de la société de personnes. Appel rejeté.
ont comparu: |
Warren J.A. Mitchell, c.r., pour l'appelante. |
Susan Van Der Hout et Marilyn Vardy pour l'intimée. |
avocats inscrits au dossier: |
Thorsteinssons, Vancouver, pour l'appelante. |
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée. |
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Linden, J.C.A.:
I. Genèse de l'instance
[1]La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le juge de la Cour de l'impôt [[1998] 2 C.T.C. 2764] a commis une erreur en concluant que l'appelante, qui avait tenté de créer une société de personnes pour se prévaloir de certaines pertes fiscales, n'avait pas réussi à constituer une telle société parce que les conditions à remplir pour répondre à la définition de la société de personnes n'étaient pas réunies suivant les faits objectifs.
[2]L'appelante est une personne morale. Un groupe de personnes physiques qui étaient associées à l'appelante ont également essayé de devenir membres de la société en question et, tout comme l'appelante, ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation de la part du ministre. Il a par conséquent été convenu que la décision qui sera rendue dans le présent appel s'appliquera aux dossiers suivants: Gouveia c. Canada; O'Neill c. Canada; Butcher c. Canada; Dobrei c. Canada; et Miloslavic c. Canada1.
II. Les faits
[3]L'opération à l'examen en l'espèce avait été conçue et présentée aux appelants comme un achat de pertes fiscales par un vendeur d'abris fiscaux appelé CMF Enterprises Limited. La proposition était intitulée [traduction] "Perte d'entreprise de 7,1 millions de dollars"2. On y offrait en vente une perte commerciale de sept millions de dollars au prix d'environ 20 cents le dollar. La première communication documentée qui a eu lieu entre le vendeur et l'appelante remonte au printemps 1987, mais les faits pertinents à la présente affaire commencent neuf ans plus tôt, en 1978. Cette année-là, une société de personnes a été constituée pour mettre sur pied un grand ensemble résidentiel de luxe composé d'appartements en copropriété situé sur l'île Santa Catalina, au large des côtes de la Californie (HCP ou le projet HCP). Quelques modifications ont été apportées à la société, mais à la fin de 1980, il restait deux associés, en l'occurrence deux compagnies américaines: BCE Development Inc. (BDI) et sa filiale, Peninsula Cove Corporation. BDI est elle-même une filiale de Bell Canada Enterprises (BCE), une compagnie canadienne bien connue. Chacun des associés détenait une participation de 50 pour 100 dans l'immeuble en copropriété.
[4]Pour obtenir des autorités compétentes les permis requis, la société de personnes devait construire un immeuble d'habitation connu sous le nom d'appartements Tremont (Tremont) à Avalon, sur l'île Catalina. Il s'agissait d'un ensemble d'habitations à louer subventionné par l'État et destiné aux personnes à faible ou moyen revenu. Tremont appartenait à une compagnie appelée TSAC, qui était elle-même possédée en propriété exclusive par la société de personnes.
[5]À la fin de 1986, les coûts de construction de l'immeuble en copropriété de HCP dont la société de personnes était le promoteur et le constructeur dépassaient la juste valeur marchande de l'immeuble d'environ dix millions de dollars US, ce qui risquait d'occasionner des pertes considérables à HCP. Plusieurs entreprises canadiennes, dont l'appelante était la plus importante, ont été informées par le vendeur d'abris fiscaux de la possibilité de se porter acquéreur des pertes fiscales de l'immeuble de HCP au prix de 20 cents le dollar. Au terme de négociations complexes, les parties en sont arrivées à une entente. Ainsi, le 30 novembre 1987, les opérations en série suivantes ont eu lieu (dans l'ordre qui suit):
1. BDI et Peninsula ont modifié leur contrat de société de personnes de manière à ce que celle-ci poursuive ses activités indépendamment du retrait de l'un de ses associés.
2. TSAC a vendu les appartements Tremont à la société de personnes pour une somme d'environ 2,9 millions de dollars US. La société a emprunté cette somme à BDI.
3. La société de personnes a vendu ses actions de TSAC à BDI, qui a été payée par réduction du prêt qu'elle avait consenti à TSAC.
4. La société de personnes a vendu à l'appelante une participation de 50 pour 100 dans l'immeuble de HCP et BDI a vendu à l'appelante une participation de 25 pour 100 dans l'immeuble de HCP. Pendant un bref instant, les associés de jure étaient BDI et les associés canadiens. La participation restante de 25 pour 100 a ensuite été vendue au groupe Spire, qui était constitué de personnes physiques canadiennes autres que l'appelante. Le prix d'achat total s'élevait à 34 530 253 $US.
5. La société de personnes a immédiatement vendu l'immeuble de HCP à BDI pour la somme de 33,3 millions de dollars US. La vente de l'immeuble de HCP à ce prix a donné lieu à une perte d'exploitation d'environ 10,4 millions de dollars US. BDI et Peninsula se sont ensuite retirées de la société et ce retrait a été enregistré auprès des autorités de l'État de Californie.
6. La société de personnes a changé son nom pour celui de "Tremont Street Partnership".
[6]Les associés canadiens ont versé une somme d'environ 1,2 million de dollars US pour acquérir les pertes de la société de personnes. Les pertes subies lors de la vente de l'immeuble de HCP s'élevaient à environ 10,4 millions de dollars US. Au cours de l'exercice financier clos le 31 décembre 1987, la société de personnes a réclamé une perte de 10 millions de dollars US pour la vente de l'immeuble de HCP, et une perte en capital de 367 000 $US pour la vente des actions de TSAC. Revenu Canada a refusé la déduction de ces pertes. L'appelante a interjeté appel.
[7]À la suite de l'opération susmentionnée, la Tremont Street Partnership n'a déclaré aucun profit entre 1989 et 1993, mais a déclaré de modestes revenus d'exploitation totalisant environ 167 000 $CAN pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Les Canadiens ont, depuis 1989, retiré environ 756 000 $CAN de la société de personnes.
[8]Il convient de noter que, du point de vue du fisc américain, qui repose sur le principe que le fond l'emporte sur la forme, BDI s'est d'abord attribuée l'immeuble de HCP à elle-même et à Peninsula et, par la suite, à elle-même exclusivement, conservant ainsi l'immeuble de HCP et les pertes y afférentes. Voici en quels termes le juge de la Cour de l'impôt a résumé les témoignages entendus sur cette question:
M. Wagner [le directeur, Impôt de BDI] a déclaré que BDI avait toujours été le propriétaire effectif du condominium, sauf au moment où celui-ci appartenait aux Canadiens. À son avis, l'opération était une attribution de bien à un associé parce que BDI n'avait jamais cessé d'être propriétaire effectif du condominium de HCP, et ce, bien que les opérations aient eu lieu le 30 novembre 19873.
[9]Il convient de noter que BDI a déclaré l'opération au fisc américain non pas en tant qu'opération effectuée par une société de personnes, mais en tant que vente des appartements Tremont en contrepartie d'une somme en espèces4. Il convient également de remarquer que la déclaration que l'appelante a faite au fisc américain coïncide avec la façon dont BDI a considéré l'opération.
III. La décision de la Cour canadienne de l'impôt
[10]Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a exposé en long et en large les faits et les prétentions et moyens invoqués par les parties, à la suite de quoi il a exposé les règles du droit des sociétés de personnes applicables en citant de larges extraits de l'arrêt rendu par notre Cour dans l'affaire Canada c. Continental Bank Leasing Corp.5. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu avec fermeté qu'en l'espèce, les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue d'en tirer un profit. Pour ce motif, il a statué qu'aucune société de personnes à laquelle l'appelante aurait participé n'avait été créée en l'espèce:
Dans les présents appels [. . .] aucun des appelants n'avait une intention autre que celle d'obtenir une perte fiscale. Ils ont songé après coup à conserver les appartements Tremont, après qu'on leur eut dit qu'il fallait le faire. Le montant de la perte initiale que les appelants prévoyaient subir par rapport aux bénéfices prévus ou réels tirés des appartements Tremont ne peut pas, à mon avis, nous permettre de conclure que la relation qui existait entre les appelants visait à leur permettre d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit [. . .] Tout bénéfice tiré des appartements Tremont par rapport à la perte initiale exige un effort d'imagination incroyable lorsqu'il s'agit de conclure que les opérations visaient à permettre aux appelants de réaliser un bénéfice. Ici encore, la relation qui existait entre les appelants ne visait pas à leur permettre d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice; les appelants ne se sont pas associés en vue d'exploiter une entreprise dont il tirerait des bénéfices6. [Renvois omis.]
[11]Le juge a par conséquent rejeté l'appel.
IV. Prétentions et moyens de l'appelante
[12]Pour l'appelante, la principale question en litige dans le présent appel est celle de savoir si elle est devenue une associée de l'entreprise en question le 30 novembre 1987. L'appelante cite la documentation et le témoignage d'expert du professeur Richard Buxbaum selon lequel elle est effectivement devenue une associée. L'appelante affirme également que le critère classique de la société de personnes a été satisfait en l'espèce en raison de la rentabilité prévue et effective des appartements de la rue Tremont. Suivant l'appelante, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en faisant en sorte que l'opinion qu'il avait des mobiles des parties influence son analyse juridique. Comme tous les documents en question étaient juridiquement obligatoires, la Cour n'a pas à examiner l'intention qui a motivé les parties sur le plan fiscal.
V. Prétentions et moyens de l'intimée
[13]L'intimée relève de nombreux passages où le juge de la Cour de l'impôt conclut qu'il n'existait entre les présumés associés aucune relation consistant à exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. L'intimée souligne le fait que l'appelante a reconnu à plusieurs reprises qu'en l'espèce, son intention était d'acquérir une perte fiscale le 30 novembre 1987. Elle soutient, pour cette raison, que l'appelante et BDI n'ont jamais été de véritables associées au même moment, mais qu'on a fait en sorte qu'elles semblaient être des associées pour un bref moment avant que la dernière participation de 25 pour 100 du projet HCP ne soit vendue à l'appelante.
[14]L'intimée fait remarquer que l'expert en droit fiscal américain de l'appelante, le professeur Buxbaum a, en émettant son opinion, présumé que les parties avaient l'intention de devenir des associés en droit. L'intimée affirme que la question de savoir s'il existait ou non une société de personnes est une question de fait à laquelle le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt a répondu.
[15]L'intimée fait valoir que le mobile fiscal de cette opération est pertinent en l'espèce, étant donné que la question de savoir si une société de personnes a été créée est une question d'intention. En réponse à l'argument de l'appelante suivant lequel l'arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [[1998] 2 R.C.S. 298] de la Cour suprême du Canada tranche le sort du présent appel, l'intimée soutient que, dans cet arrêt, la Cour a affirmé que, pour qu'on puisse conclure à l'existence d'une société de personnes, il faut tenir compte de l'intention véritable des parties en ce qui concerne la société en question, et que, suivant les faits de cette affaire, la preuve permettait seulement de penser qu'on continuerait à exploiter une entreprise rentable. L'intimée affirme que les faits sont différents en l'espèce, étant donné que l'appelante a volontiers reconnu que, dans le cas qui nous occupe, elle n'avait pas conclu cette opération dans le but de se joindre aux compagnies américaines pour exploiter une entreprise active en commun avec autrui en vue de réaliser un bénéfice. M. Gouveia, qui est un des principaux architectes de cette opération, a témoigné au procès qu'il avait été mis au courant de l'existence du projet Tremont alors qu'il se trouvait en Californie, mais que l'existence de ce projet n'avait "rien à voir avec" l'objectif consistant à obtenir des pertes fiscales7 .
[16]L'intimée mentionne également le fait que l'expert comptable de l'appelante a parlé à six reprises avec des fonctionnaires de Revenu Canada et qu'il ne leur a jamais dit que l'opération avait pour but d'acquérir des pertes. Ce n'est qu'au procès que l'appelante a finalement admis que son intérêt principal ou son intention première était d'acquérir les pertes autres qu'en capital provenant du projet HCP.
VI. Analyse
[17]Une des méthodes d'évasion fiscale qui est couramment employée consiste pour un contribuable à s'associer avec une personne qui a perdu de l'argent afin de se prévaloir de cette perte en la défalquant des profits que ce contribuable a tirés au cours de l'année d'imposition8. Il s'agit là d'un mécanisme de planification fiscale légitime dont l'usage est tellement répandu que certaines personnes se livrent à des entreprises et activités professionnelles lucratives consistant à acheter et à vendre de telles pertes fiscales. Il est parfaitement légitime de se servir d'une société de personnes comme moyen de réaliser des épargnes fiscales, mais il est nécessaire de créer une société de personnes pour ce faire. On ne peut participer aux pertes d'une société de personnes que si l'on en est un des associés. En d'autres termes, on peut s'associer dans le but d'éviter l'impôt, mais on ne peut s'associer sans se conformer aux exigences du droit des sociétés. Il faut qu'une société ait effectivement été créée entre l'entité rentable et l'entité non rentable. Il ne peut y avoir de société purement théorique. On ne peut affirmer dans un écrit qu'une société de personnes a été créée alors que les faits objectifs ne justifient pas une telle conclusion. C'est aussi un principe élémentaire de droit qu'on ne peut nier dans un écrit l'existence d'une société de personnes lorsque les faits objectifs démontrent qu'une société de personnes a bel et bien été constituée9. Les écrits sont très importants, mais ils ne disent pas tout. Pour être reconnue en droit, une société de personnes doit donc avoir une existence réelle.
[18]La société de personnes est définie de la même façon dans toutes les juridictions de common law: une société de personnes est la relation qui unit deux ou plusieurs personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. L'existence d'une société de personnes dépend d'un accord, c'est-à-dire de la volonté réciproque des parties de constituer une société de personnes. En droit, on ne peut "acheter" ou "vendre" une société de personnes; la société de personnes constitue une relation qui subsiste tant que deux ou plusieurs personnes exploitent une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Ainsi, un jeune avocat associé peut payer de l'argent pour "acheter des parts" dans une société de personnes, mais en droit il n'est un associé que s'il fait partie d'un groupe de personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice10 . Dans l'arrêt Robert Porter & Sons Ltd. v. Armstrong, la Cour suprême a écrit:
[traduction] Il va sans dire que l'existence d'une société de personnes ne dépend pas du fait qu'il y ait propriété en commun ou propriété conjointe. La société de personnes tire son existence d'un contrat, qui est attestée soit par une déclaration expresse, soit par une conduite y équivalant11.
[19]Comme la Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas ce qu'est une société de personnes, ce sont les règles de droit de la juridiction compétente qui doivent être invoquées pour justifier toute affirmation quant à l'existence d'une société de personnes. En l'espèce, il ressort du témoignage d'expert qu'a donné le professeur Buxbaum, un éminent et respecté professeur de droit de l'université de Californie à Berkeley, que les éléments constitutifs fondamentaux de la société de personnes sont les mêmes en Californie qu'au Canada.
[20]Malgré le fait qu'il a été affirmé que "l'existence d'une société de personnes est une question de fait", toute conclusion quant à l'existence d'une société de personnes est une question mixte de fait et de droit12 . La plupart des composants ou éléments constitutifs de la société de personnes, tels que l'intention de réaliser un bénéfice, sont des questions de fait. La conclusion définitive quant à la création d'une société de personnes nécessite toutefois du tribunal qu'il examine ces faits à la lumière d'un critère juridique et il s'agit donc plus que d'une simple conclusion de fait. L'existence d'une société de personnes dépend donc toujours des conclusions de fait nécessaires suivant lesquelles l'existence des éléments constitutifs de la société de personnes a été démontrée. Bien que ni l'une ni l'autre ne soit dépourvue d'importance, ni l'affirmation ni la dénégation de l'existence d'une société de personnes ne saurait trancher la question de façon concluante dans chaque cas13.
[21]Il est de jurisprudence constante que seules les activités exercées dans un but lucratif, y compris celles dont l'objectif accessoire est de réaliser un profit, peuvent donner lieu à la constitution d'une société de personnes14. Dans l'ouvrage Lindley & Banks on Partnership qui fait autorité, on résume la situation dans les termes suivants:
[traduction] [. . .] lorsqu'une société de personnes a été constituée dans un but premier autre qu'un but lucratif, comme par exemple pour éviter l'impôt, mais qu'il y a aussi un élément véritable, bien qu'accessoire, de profit, il est quand même possible d'en inférer que l'entreprise est exploitée "en vue de réaliser un bénéfice". Toutefois, si l'on peut démontrer que l'unique raison pour laquelle la société a été constituée était d'accorder à l'un des associés un "avantage", par exemple la déduction d'une perte fiscale, alors que les parties n'avaient jamais prévu tirer un profit [. . .] de l'exploitation de l'entreprise, on ne saurait logiquement prétendre que la société a été constituée en vue de réaliser un bénéfice15. [Non souligné dans l'original.]
[22]L'arrêt canadien qui fait autorité en matière d'imposition des sociétés de personnes est désormais l'arrêt Continental Bank16 de la Cour suprême. Dans cet arrêt, qui n'a rien de révolutionnaire mais dans lequel la Cour s'est contentée de confirmer la jurisprudence antérieure sur la question, le juge Bastarache a écrit, pour le compte d'une Cour unanime sur ce point, que la société en nom collectif (ou société de personnes) est traditionnellement définie comme un regroupement de personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice:
À l'article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, le terme société en nom collectif est défini comme étant "la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice". Ce libellé, commun à la plupart des lois sur les sociétés en nom collectif dans les ressorts de common law, comporte trois éléments essentiels: (1) une entreprise, (2) exploitée en commun (3) en vue de réaliser un bénéfice. Je vais examiner chacun de ces éléments à tour de rôle.
L'existence d'une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l'intention véritable des parties. Comme il est indiqué dans Lindley & Banks on Partnership (17e éd. 1995), à la p. 73: [traduction] "pour déterminer l'existence d'une société en nom collectif [. . .] il faut tenir compte du contrat et de l'intention véritables des parties ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire".
La Loi sur les sociétés en nom collectif ne précise pas les critères qui permettent de déterminer si une telle société existe. Cependant, comme la plupart des décisions des tribunaux en matière de sociétés en nom collectif résultent de litiges dans lesquels une des parties prétend qu'une telle société n'existe pas, un certain nombre de critères indiquant l'existence d'une société en nom collectif ont été reconnus par les tribunaux. Parmi ces indices, mentionnons les suivants: apport des parties à l'entreprise commune sous forme de numéraire, biens, travail, connaissances, habiletés ou autres éléments; droit de propriété conjointe dans l'objet de l'entreprise; partage des profits et des pertes; droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise; production de déclarations de revenus à titre de société en nom collectif et comptes bancaires conjoints [. . .]
Dans les cas comme celui qui nous occupe, où les parties ont conclu un accord écrit formel régissant leurs rapports et se présentent comme des associés, les tribunaux doivent se demander si l'accord renferme le genre de dispositions figurant habituellement dans les contrats de société, si on a appliqué le contrat et si, dans les faits, il a régi les affaires des parties (Mahon c. Ministre du Revenu national, 91 D.T.C. 878 (C.C.I.)). À la lecture des accords conclus par les parties, j'arrive à la conclusion que ces dernières ont créé une société en nom collectif valide au sens de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Je conclus également que les parties ont appliqué les accords et que ceux-ci ont régi leurs affaires. [Mots non soulignés dans l'original; renvois omis.]
[23]Ayant conclu que les documents en question remplissaient les conditions juridiques nécessaires pour constituer une société de personnes valide, le juge Bastarache s'est également demandé, comme il était tenu de le faire, si, suivant les faits objectifs de l'affaire, les divers indices permettaient de conclure qu'une entreprise était effectivement exploitée en commun par les associés. Il résume les règles de droit applicables de la façon suivante, au paragraphe 29 [page 320]:
Pour qu'une société en nom collectif existe, il doit être établi qu'au moins deux personnes exploitent l'entreprise. Il est également essentiel que l'entreprise soit exploitée en commun (Lindley & Banks on Partnership, op. cit., aux pp. 9 et 10).
[24]Après ce résumé, il a conclu, aux paragraphes 31 à 34 [pages 321 et 322], que, suivant les faits de l'espèce et les indices pertinents, une entreprise était effectivement exploitée en commun:
En l'espèce, il est vrai que, entre le 24 et le 27 décembre 1986, aucune réunion n'a eu lieu, aucune opération nouvelle n'a été conclue par les parties et aucune décision n'a été prise. Cependant, il ne s'ensuit pas que la Société n'a exploité aucune entreprise. Avant de devenir membre de la Société, Leasing exploitait une entreprise qui a été transférée, avec ses éléments d'actif, à la Société le 24 décembre 1986. Les contrats liant Leasing et ses clients n'ont pas été résiliés et ils ont continué de s'appliquer pendant la période du 24 au 27 décembre.
Une lettre datée du 24 décembre 1986 et provenant d'Air Canada, un des clients de la Banque, est un élément de preuve que l'entreprise exploitée précédemment par Leasing a été exploitée par la Société. Dans cette lettre, Air Canada reconnaît que [traduction] "[Leasing] entend vendre et céder sa participation dans les contrats d'achat, l'aéronef et les baux à une société en nom collectif de l'Ontario [. . .]". Air Canada a consenti [traduction ] "à la vente et à la cession des contrats d'achat, de l'aéronef et des baux" par la Banque à Leasing, ainsi qu'"à la vente et à la cession des contrats d'achat, de l'aéronef et des baux par [Leasing] à la Société".
Le fait qu'aucune nouvelle activité commerciale n'ait été entreprise pendant la période où Leasing et la Banque ont participé à la Société n'annule pas les effets de l'entreprise déjà existante, dont l'exploitation s'est poursuivie pendant cet intervalle. L'existence d'une société en nom collectif valide ne dépend pas de l'exploitation de nouvelles activités commerciales. Il est courant qu'une société en nom collectif soit formée par deux parties qui conviennent d'exploiter l'entreprise de l'une d'entre elles, tandis que l'autre fait un apport de capital.
De plus, je suis convaincu que l'entreprise qui était exploitée a été exploitée en commun par les associés. Aux termes du contrat de société, les associés avaient convenu de [traduction] "déléguer à l'associé directeur général tous les pouvoirs nécessaires pour gérer les affaires de la Société et exploiter son entreprise, pour la représenter et pour conclure des opérations la liant" (art. 4.01). Le fait que la gestion de la Société ait été confiée à l'associé directeur général n'oblige pas à conclure que l'entreprise n'était pas exploitée en commun. Pas plus que le fait que Central négociait de son seul chef des opérations se rapportant au portefeuille de baux avant le 29 décembre 1986. L'intimée soutient que l'exclusion de Leasing et de la Banque de ces activités réfute toute prétention selon laquelle les entités liées à Central et les entités liées à Continental exploitaient véritablement une entreprise en commun au cours de cette période. Comme on le souligne dans Lindley & Banks on Partnership , op. cit., à la p. 9, une ou plusieurs parties peuvent, dans les faits, diriger l'entreprise pour leur propre compte et celui des autres parties sans compromette la nature juridique de l'arrangement.
[25]Ayant conclu que les documents étaient juridiquement valables et que les associés exploitaient une entreprise en commun, le juge Bastarache a évalué les faits pour déterminer s'il existait une entreprise exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il a répondu par l'affirmative à cette question, aux paragraphes 39 à 41 [pages 323 et 324]:
La Cour d'appel a conclu que les parties avaient eu l'intention de vendre des éléments d'actif en recourant à un mécanisme qu'elles ont choisi d'appeler une société en nom collectif. Leur intention n'englobait pas la réalisation d'un bénéfice et, dans les faits, "l'idée de partager les bénéfices est venue après coup lorsque que les parties ont initialement élaboré l'accord" (p. 731). Cette affirmation de la Cour d'appel ne tient pas compte du fait que le contrat de société prévoyait la répartition des bénéfices tirés de l'entreprise de crédit-bail exploitée par la Société et que celle-ci a continué l'entreprise exploitée dans un but lucratif par Leasing. Il n'y a aucune preuve qu'on attendait autre chose que la poursuite de la réalisation de bénéfices pendant la durée prévue de la participation de Leasing à la Société. De plus, la Cour d'appel s'est beaucoup appuyée sur le fait que Leasing n'avait pas légalement droit à une quote-part des bénéfices réalisés pendant le premier exercice, étant donné que sa participation dans la Société avait déjà été transférée à la Banque au moment de la clôture de l'exercice le 27 décembre 1986. Cet élément n'est toutefois pas pertinent pour trancher la question en litige.
Pour déterminer si l'entreprise était exploitée en vue de réaliser un bénéfice, il est nécessaire d'examiner les stipulations du contrat de société régissant le partage des bénéfices.
[traduction] 5.06 Répartition du bénéfice net ou de la perte nette. Le bénéfice net ou la perte nette pour chacun des exercices de la Société est réparti entre les comptes des associés, proportionnellement au compte-capital moyen de chacun d'eux pour la période visée. |
5.09 Répartition du bénéfice ou de la perte aux fins de l'impôt. Le bénéfice ou la perte de la Société pour l'ensemble d'un exercice aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu est réparti entre les personnes qui sont des associés le dernier jour de l'exercice de la Société, suivant la proportion prévue à l'art. 5.06. Le bénéfice ou la perte de la Société est réparti entre ces associés au moment et selon les proportions prévues par le présent article. |
Ces stipulations prévoient clairement la répartition des bénéfices en fonction de la participation de l'associé dans la Société. Cette dernière a accumulé un bénéfice au cours de la période où Leasing en faisait partie, et ce bénéfice a été distribué.
[26]En résumé, donc, le juge Bastarache a déclaré qu'il faut examiner les circonstances factuelles de l'espèce pour décider si une société de personnes a été valablement constituée. Il faut d'abord examiner les documents en question pour s'assurer qu'ils sont juridiquement exécutoires et qu'ils ont pour effet de créer une société de personnes. Deuxièmement, il faut analyser les faits objectifs de l'affaire pour déterminer si: a) une entreprise b) est exploitée en commun c) en vue de réaliser un bénéfice. Il y a lieu de tenir compte de facteurs comme ceux que le juge Bastarache a exposés au paragraphe 24 [page 318] précité de ses motifs. Les présumés associés doivent appliquer l'accord qu'ils ont conclu et être régis par lui. Troisièmement, pour déterminer si une entreprise est exploitée en commun, il faut accorder une importance particulière tant au contrat de société qu'aux événements qui se sont effectivement produits. Quatrièmement, lorsqu'on se demande si une entreprise est exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice, le contrat de société et l'intention des associés sont importants. Finalement, citant Lindley & Banks on Partnership, précité, le juge Bastarache répète que, même si l'évasion fiscal est le facteur prédominant ayant motivé la constitution de la société de personnes, cet état de fait n'exclut pas pour autant un éventuel but accessoire de réaliser un bénéfice qui est suffisant pour satisfaire à l'obligation imposée aux parties d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Toutefois, si le seul objectif de l'opération est l'évasion fiscale, nul ne peut prétendre qu'une société de personnes a effectivement été constituée.
[27]Dans l'arrêt Continental Bank17, la Cour suprême a statué qu'il y avait à la fois un contrat de société qui prévoyait expressément la distribution des bénéfices et un partage effectif des profits. Le juge Bastarache a fait remarquer que le contrat de société prévoyait le partage des bénéfices entre les associés et qu'il n'y avait aucun élément de preuve factuel contraire. Il a affirmé qu'il n'y avait "aucune preuve qu'on attendait autre chose que la poursuite de la réalisation de bénéfices"18. Par contraste, en l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a conclu dans les termes les plus nets qu'en devenant de présumés associés, les parties n'avaient absolument pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. "Dans les présents appels", a-t-il conclu, "aucun des appelants n'avait une intention autre que celle d'obtenir une perte fiscale"19. Bref, pour citer Lindley & Banks on Partnership, c'était [traduction] "l'unique raison de la création de la société".
[28]Une société de personnes est le fruit de la rencontre de la volonté de deux ou de plusieurs personnes juridiques. Bien que la question de savoir si une société de personnes a effectivement été créée soit une question mixte de droit et de fait, la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat (de société de personnes ou autre) est une question de fait20. Suivant les auteurs de l'ouvrage Lindley & Banks on Parternership, l'intention de réaliser un bénéfice se situe [traduction] "au cœur même" de la société de personnes21 . Cela ne veut pas dire que les parties doivent avoir l'intention d'être des "associés" comme tels, mais les faits doivent permettre de conclure que les parties ont exploité une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a au contraire conclu qu'il n'y avait pas d'entreprise exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice. La Cour suprême a répété à plusieurs reprises que, sauf en cas d'erreur manifeste ou dominante, il n'est pas sage de la part des tribunaux d'appel d'infirmer des conclusions de fait. Ainsi, dans l'arrêt R. c. Van der Peet , la Cour suprême du Canada a déclaré, sous la plume du juge en chef Lamer:
Selon un principe juridique bien établi, lorsqu'une cour d'appel examine la décision du juge du procès, elle doit faire montre d'une retenue considérable à l'égard des conclusions de fait du juge, en particulier lorsque ces conclusions de fait sont fondées sur son appréciation des témoignages et de la crédibilité des témoins. Dans l'arrêt Stein c. Le navire —Kathy K—, [1976] 2 R.C.S. 802, le juge Ritchie, au nom de la Cour, a conclu, à la p. 808, que, en l'absence d'"erreur manifeste et dominante" ayant faussé l'appréciation des faits par le juge du procès, une cour d'appel ne doit pas substituer ses propres conclusions sur les faits à celles tirées par ce dernier:
On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu'elles ne doivent pas être modifiées à moins qu'il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d'appel ait l'obligation de réexaminer la preuve afin de s'assurer qu'aucune erreur de ce genre n'a été commise, j'estime qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès. |
Ce principe a également été suivi dans des arrêts plus récents de notre Cour: Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, aux pp. 8 et 9; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, à la p. 794; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 426. Dans l'arrêt récent Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, le juge La Forest a, au par. 32, fait l'observation suivante, à laquelle je souscris, au sujet de la retenue dont doivent faire montre les cours d'appel à l'égard des conclusions de fait:
Une intervention illimitée des cours d'appel ferait augmenter considérablement le nombre et la durée des appels en général. D'importantes ressources sont mises à la disposition des tribunaux de première instance pour qu'ils puissent évaluer les faits. Il faut préserver l'autonomie et l'intégrité du procès en faisant preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait des tribunaux de première instance; [. . .] Cela explique pourquoi la règle s'applique non seulement lorsque la crédibilité des témoins est en cause, quoiqu'elle puisse alors s'appliquer plus strictement, mais également à toutes les conclusions de fait tirées par le juge de première instance [. . .] |
Je souligne également qu'il a été décidé que le principe de la retenue par les cours d'appel s'applique aussi aux conclusions de fait du juge de première instance qui sont fondées sur son appréciation de la crédibilité des témoignages d'experts: N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada22. [Renvois omis.]
[29]En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a entendu et apprécié la preuve présentée par les parties et a tiré une conclusion de fait décisive en déclarant que, lors de la signature du contrat de société, les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il est vrai que, dans l'affaire Continental Bank, notre Cour et la Cour suprême ont toutes les deux réaffirmé qu'une intention secondaire ou accessoire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice était suffisante"même si cette intention était formulée après coup dans le but de se prévaloir d'un avantage fiscal. En l'espèce, toutefois, le juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'il n'existait aucune intention secondaire ou accessoire de ce genre.
[30]Le juge de la Cour de l'impôt connaissait le principe juridique suivant lequel il est suffisant qu'il y ait une intention secondaire ou accessoire pour créer une société de personnes et il a cité ce principe dans son jugement. Il a, aux pages 2785 à 2788 de son jugement, reproduit le paragraphe précité de Lindley23. Malgré tout, le juge de la Cour de l'impôt a conclu, en fait, que les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il a conclu à juste titre, en droit, que, s'il n'existait pas d'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice, il ne pouvait y avoir de société de personnes24.
[31]Vu cette conclusion de fait cruciale suivant laquelle la seule intention des parties était d'obtenir une perte fiscale, force est de conclure que, si l'appelante avait l'intention d'exploiter une entreprise, c'était en vue de réaliser une perte, et non un profit. Or, cette intention ne satisfait pas à la norme prescrite par le droit canadien (ou par le droit californien).
[32]On a fait valoir en l'espèce que le juge de la Cour de l'impôt n'avait pas eu l'avantage de prendre connaissance de l'arrêt Continental Bank, précité, qui a introduit un nouveau principe juridique dans la doctrine des sociétés de personnes, en l'occurrence le fait qu'une intention secondaire ou accessoire d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice est suffisante pour conclure à l'existence d'une société de personnes. Ce principe n'a rien de nouveau: il avait été posé avant que la Cour suprême ne rende son jugement dans l'affaire Continental Bank. Au risque de me répéter, qu'on me permette de m'expliquer.
[33]L'extrait précité de Lindley & Banks on Partnership sur l'intention accessoire avait été publié avant le prononcé du jugement de la Cour de l'impôt dans la présente affaire. D'ailleurs, le juge de la Cour de l'impôt cite cet extrait à la page 2787 de ses motifs. Qui plus est, dans le jugement Hayes v. British Columbia Television Broadcasting Systems Ltd.25, qui a été rendu plus de quatre ans avant la décision de la Cour de l'impôt dans la présente affaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique écrivait ce qui suit, sous la plume du juge Braidwood:
[traduction] Lorsque le principal mobile de la constitution d'une société de personnes n'est pas la réalisation d'un bénéfice (mais plutôt l'évasion fiscale, par exemple), mais qu'il existe par ailleurs un élément réel, bien qu'accessoire, de profit, on peut alors légitimement en conclure que l'entreprise est exploitée "en vue de réaliser un bénéfice". Il y a toutefois lieu de craindre que si un associé est devenu membre de la société uniquement en vue de se prévaloir d'une perte fiscale (une déduction pour amortissement) et qu'il était prévu depuis le début que, tant qu'il demeurerait un associé, il n'y aurait pas de véritable profit (sous forme de bénéfices d'exploitation), cette personne ne pourrait légitimement être considérée comme un associé.
Il faut partir du principe que la principale règle à observer pour déterminer l'existence d'une société de personnes consiste à établir quel est le véritable contrat intervenu entre les parties ou quelle est leur véritable intention tels qu'il se dégagent de l'ensemble des faits de l'espèce [. . .] [Non souligné dans l'original.]
La Cour suprême n'a donc rien apporté de nouveau au droit lorsqu'elle a déclaré qu'une intention accessoire de réaliser un bénéfice suffit pour conclure, sur le plan des faits, qu'il existe une intention d'exploiter une entreprise dans un but lucratif.
[34]En tout état de cause, le dossier ne renferme aucun élément de preuve convaincant qui permettrait de conclure à l'existence d'une intention, accessoire ou non, de réaliser un bénéfice et ce, pour quatre raisons. Premièrement, pour qu'il y ait un "but lucratif", il faut qu'il y ait une intention de réaliser un bénéfice . Dans le cas qui nous occupe, les parties canadiennes affirment que, pendant un bref instant, elles ont fait partie d'une société de personnes qui détenaient une participation dans une entreprise qui avait essuyé une perte d'exploitation de dix millions de dollars. Elles soutiennent qu'à ce moment précis, cette perte d'exploitation de dix millions de dollars s'est cristallisée en une perte effective pour la société de personnes. Elles reconnaissent volontiers que c'était bien le but qu'elles visaient avant de conclure cette opération. Ainsi, de leur propre aveu, elles ont planifié et provoqué une perte de dix millions de dollars sans avoir l'intention de jamais récupérer cette perte ou de réaliser quelque bénéfice que ce soit. Ces faits ne sauraient constituer une preuve d'une intention"véritable, accessoire ou autre"de réaliser un bénéfice.
[35]Deuxièmement, bien qu'il soit vrai que le contrat conclu entre les Canadiens et les Américains semble avoir eu pour effet de céder à la société de personnes les "bénéfices à venir" provenant du projet HCP, les parties ont bien pris soin de préciser, dans ce contrat, leur intention ultime d'effectuer une série d'opérations qui se traduiraient par la remise du projet Tremont aux Canadiens et du projet HCP aux Américains. À la différence de l'affaire Continental Bank , dans laquelle les documents prévoyaient le partage des bénéfices à venir, en l'espèce, les documents prévoient expressément que l'intention ultime des parties n'était pas d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice26.
[36]Troisièmement, les différences factuelles importantes qui existent entre l'opération dont il était question dans l'affaire Continental Bank et l'opération qui nous occupe en l'espèce me convainquent qu'il n'existait aucune intention de réaliser un bénéfice en l'espèce. Dans la première affaire, les intéressés étaient demeurés des associés pendant trois jours ouvrables consécutifs au cours desquels des profits avaient été réalisés et avaient été partagés conformément au contrat de société. En l'espèce, la prétendue association des Canadiens et des Américains n'a duré que quelques minutes, au cours desquelles une perte de dix millions de dollars a été réalisée. Je ne vois pas comment on pourrait prétendre que ce fait constitue une preuve objective démontrant que les parties ont exploité une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.
[37]Quatrièmement, l'appelante soutient que les parties avaient l'intention d'exploiter l'entreprise en question en vue de réaliser un bénéfice, comme en témoignent l'achat et la gestion subséquente du projet Tremont. Le juge de la Cour de l'impôt a répondu à cet argument en faisant remarquer que la poursuite d'un but lucratif doit jusqu'à un certain point se traduire par une intention de réaliser un bénéfice:
Le montant de la perte initiale que les appelants prévoyaient subir par rapport aux bénéfices prévus ou réels tirés des appartements Tremont ne peut pas, à mon avis, nous permettre de conclure que la relation qui existait entre les appelants visait à leur permettre d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit [. . .] Tout bénéfice tiré des appartements Tremont par rapport à la perte initiale exige un effort d'imagination incroyable lorsqu'il s'agit de conclure que les opérations visaient à permettre aux appelants de réaliser un bénéfice27.
[38]La société de personnes aurait continué à exister pendant une dizaine d'années et les appartements Tremont auraient finalement permis de réaliser de modestes bénéfices. Les Canadiens invoquent les faits suivants pour expliquer cette situation: en novembre 1987, ils ont créé une société de personnes avec les Américains et cette société a essuyé d'importantes pertes peu de temps après. Les associés américains ont alors quitté la société, laissant une perte considérable et un petit immeuble à appartements, qui a généré des produits modestes mais réels au fil des ans. En réalité toutefois, les associés canadiens et américains ont été, théoriquement, copropriétaires du projet HCP pendant seulement un bref instant. Pour que l'appelante obtienne gain de cause, il faut qu'au cours de ce bref moment pendant lequel les Canadiens seraient devenus membres de la société de personnes, tous les associés aient eu l'intention de réaliser un bénéfice. Or, cette volonté commune n'existait pas en l'espèce.
[39]L'intention de réaliser un bénéfice est un aspect essentiel du contrat de société, bien qu'il ne soit pas nécessaire que des profits soient effectivement réalisés pour qu'on puisse conclure à l'existence d'une société de personnes. De la même façon, lorsque cette intention nécessaire de réaliser un bénéfice n'est pas présente, on ne saurait légitimement qualifier de société de personnes la relation qui en résulte et ce, peu importe que des bénéfices aient été ou non réalisés.
[40]Il y a une autre raison d'affirmer qu'aucune société de personnes n'a été créée en l'espèce. On ne peut s'associer avec quelqu'un qui n'est pas associé avec soi. En droit, l'intention des Canadiens de créer un rapport de droit équivalant à une société de personnes est nécessaire mais insuffisante. Ainsi que nous l'avons déjà souligné, la société de personnes est le fruit d'un accord et exige donc une intention réciproque de la part de tous les intéressés de créer une relation qui équivaut à une société de personnes28. Même si les Canadiens avaient l'intention de s'associer, ce qui est nié par les conclusions de fait, aucune société de personnes ne peut exister si les Américains n'avaient pas la même intention. En l'espèce, l'intention des Américains ressort à l'évidence de leur déclaration de revenus: ils considéraient l'opération comme une vente des appartements Tremont. En ce qui les concerne, ils ne se sont jamais associés aux Canadiens et BDI ne s'est jamais départie du projet HCP. De leur point de vue, ils ont vendu le projet Tremont aux Canadiens29. BDI a déclaré à l'Internal Revenue Service des États-Unis (IRS):
[traduction] Suivant BCE Developments Inc., malgré le fait qu'elle était structurée comme une vente d'une participation dans la société et de l'immeuble en copropriété de Hamilton Cove, l'opération conclue avec Spire Freezers Limited constituait en réalité, pour ce qui est des appartements en copropriété de Hamilton Cove, non pas une vente, mais une attribution de l'immeuble en copropriété de Hamilton Cove à BCE Development Inc.
[41]BDI a en outre déclaré ce qui suit à l'IRS:
[traduction] Quoique complexe du point de vue de l'impôt sur le revenu américain de BCE Development, cette série d'opérations s'est soldée par la vente aux Canadiens de l'immeuble d'habitation destiné à des personnes à faible revenu pour la somme de 1,2 million de dollars. Le changement de titre concernant l'immeuble en copropriété de Hamilton Cove visait simplement à créer la structure désirée.
[42]Bien que le traitement fiscal de cette opération conclue à l'étranger n'ait aucune incidence sur le présent appel, la façon dont les parties ont déclaré ces opérations au fisc américain constitue un solide élément de preuve quant à la façon dont elles percevaient l'opération et quant à leur véritable intention au moment où les ententes ont été conclues. Il serait évidemment illégal pour les Américains de faire une déclaration inexacte à l'IRS au sujet de cette opération.
[43]En outre, rien ne permet de penser que ces personnes exploitaient une entreprise en commun dans le cas qui nous occupe. En l'espèce, aucun des critères indiquant l'existence d'une société de personnes que le juge Bastarache a énumérés dans l'arrêt Continental Bank30 n'est présent. Il n'y a ni apport des parties à une entreprise commune, ni partage des profits et des pertes par les parties31, ni droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise, ni production de déclarations de revenus à titre de société de personnes (ainsi que nous l'avons déjà signalé, les Américains ont déclaré à l'IRS que l'opération constituait une vente du projet Tremont aux Canadiens). Il est vrai que le projet HCP a fait l'objet d'une propriété conjointe qui a donné lieu aux pertes réclamées, mais cette propriété conjointe n'était censée être"et n'a été"que temporaire. Il est par conséquent difficile de voir comment les parties auraient pu agir conformément aux actes constitutifs de la société de personnes ou être régies par eux. En l'espèce, les parties étaient régies uniquement par une entente préalable qui était loin de renfermer cet élément essentiel permettant de conclure à la création d'une société de personnes. Rien ne permet donc de contester la conclusion du juge de l'impôt suivant laquelle aucune entreprise n'était exploitée en commun, vu l'ensemble des faits.
[44]L'appelante demande à la Cour d'annuler une conclusion de fait tirée par le juge de première instance et de conclure plutôt que les Canadiens et les Américains avaient l'intention d'exploiter une entreprise en commun, les appartements Tremont, en vue de réaliser un bénéfice. Comment cela est-il possible si les Américains eux-mêmes croyaient vendre les appartements Tremont et si c'est ce qu'ils ont déclaré au fisc américain? BDI s'est dit d'avis que, même pendant le bref instant au cours duquel l'appelante et BDI ont été copropriétaires de HCP, les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. L'appelante nous demande donc de conclure à l'existence d'une telle intention alors que l'arbitre des faits a estimé que cette intention n'existait pas, et de conclure à la réciprocité alors que les présumés associés n'en ont déclaré aucune. La Cour ne peut accéder à une telle requête.
[45]Dans l'affaire Continental Bank, il était évident que les deux parties considéraient l'opération relative à la société de personnes de la même façon. Même si l'on devait juger, contrairement à la conclusion de fait tirée par le juge de la Cour de l'impôt, que les Canadiens voulaient devenir membres de la société, il n'y a aucun élément de preuve qui permettrait de conclure que les Américains voulaient conclure une entente qui ressemblerait à une société de personnes. Même le contrat de société, qui, pour un instant, a conféré aux Canadiens une participation dans le projet HCP, y compris un [traduction] "droit aux profits à venir", précisait bien que le projet HCP ne serait pas exploité ou administré par des Canadiens. Dans ce contrat, l'opération est décrite dans les termes les plus nets:
[traduction] Ainsi qu'il a été convenu dans la lettre d'entente du 2 juin 1987 (la lettre d'entente) entre BDI, Peninsula Cove, le cessionnaire et Spire Investors Group Limited [. . .] la présente cession s'inscrit dans le cadre d'une série d'opérations visant à transférer les appartements Tremont à la société et l'immeuble en copropriété de HCP à BDI [. . .] Les parties désirent que seulement les appartements et tout bien y afférent demeurent des biens de la société et que soient transférés à BDI l'immeuble en copropriété et tout bien y afférent ainsi que tout bien n'ayant aucun rapport avec les appartements qui, selon ce qu'on pourrait découvrir par la suite, appartenait à la société à la date de la présente cession32. [Non soulignés dans l'original.]
[46]Bien que cela ne soit pas essentiel à mes conclusions, l'opinion de l'appelante revient à prétendre que la forme juridique des actes constitutifs de la société de personnes suffit à elle seule à créer une société de personnes en droit. Cet argument va à l'encontre de la jurisprudence de pratiquement tous les États et toutes les provinces de common law. C'est aux tribunaux qu'il revient de décider s'il existe ou non une société de personnes suivant les faits de l'espèce. L'interprétation de l'arrêt Continental Bank que préconise l'appelante contredirait les décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu à l'existence d'une société de personnes malgré une documentation insuffisante tout autant qu'elle contredirait les décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu qu'il n'existait aucune société malgré l'existence de quelques documents. Dans l'arrêt Continental Bank, la Cour suprême n'a jamais voulu supprimer de l'analyse des sociétés de personnes toute allusion au contexte factuel. Elle n'a pas dit que l'intention exprimée dans un écrit est toujours en soi suffisante pour créer une société de personnes. Le juge Bastarache a commencé son analyse en confirmant à nouveau que "[l]'existence d'une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l'intention véritable des parties [. . .] ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire"33. Le juge Bastarache a cité le passage précité de Lindley & Banks on Partnership dans lequel il est expressément déclaré que si l'opération était motivée exclusivement par l'obtention de pertes fiscales, nul saurait logiquement prétendre qu'une société de personnes a été créée en vue de réaliser un bénéfice.
[47]Malgré le fait qu'il n'a pas eu l'avantage de prendre connaissance des motifs prononcés par le juge Bastarache dans l'arrêt Continental Bank, le juge de la Cour de l'impôt savait bien qu'une société de personnes doit exister non seulement en théorie, mais aussi en pratique. Il était conscient du fait que la planification fiscale pouvait légitimement être le principal facteur qui motivait les associés. Il a entendu les témoignages et a conclu, d'après l'ensemble des faits portés à sa connaissance, que les parties n'avaient pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse là d'une conclusion de fait abusive ou arbitraire. Ainsi que Mme Van Der Hout l'a affirmé avec tant d'énergie, aucun entrepreneur ou profane raisonnablement informé ne conclurait, à la lumière de ces faits, qu'une société de personnes a été créée en l'espèce. Seul un avocat fiscaliste tatillon pourrait prétendre le contraire.
[48]Il est vrai que l'expert de la contribuable, le professeur Richard Buxbaum, a écrit dans son rapport qu'une société de personnes avait été constituée entre les Américains et les Canadiens. Cette conclusion reposait toutefois sur la présomption que les parties avaient l'intention de s'associer. Dans la lettre qu'il a écrite au professeur Buxbaum pour obtenir son opinion, l'avocat de l'appelante a écrit que l'objet de la société initialement envisagée était de construire l'immeuble en copropriété de HCP. L'avocat ne disait rien au sujet de l'intention des Canadiens34. Dans l'avis qu'il a donné, le professeur reconnaît les hypothèses qu'il a retenues au sujet de l'intention:
[traduction] L'avocat m'a également fait savoir que toutes les personnes nommées au paragraphe suivant [. . .] avaient l'intention de devenir membres de cette société de personnes35.
Le professeur Buxbaum a confirmé ce fait lors du contre-interrogatoire que Sa Majesté lui a fait subir:
[traduction]
Q. Si j'ai bien compris, Monsieur, pour former votre opinion, vous avez considéré ce fait [l'intention de constituer une société de personnes] comme un fait acquis? |
R. C'est exact. |
Q. Je vous fais toutefois observer, Monsieur, que vous n'aviez aucun moyen de connaître l'intention des appelants. |
R. C'est exact. |
Q. Pourtant, vous deviez de toute évidence tenir compte de l'intention des appelants pour former votre opinion. |
R. Eh bien, c'est un des faits mentionnés ici. |
Q. C'est [. . .] |
R. On m'a surtout demandé de tenir compte du fait objectif qu'ils s'étaient effectivement associés. |
Q. Mais vous [. . .] |
R. L'intention est pertinente. S'ils n'avaient pas voulu s'associer, il aurait alors fallu examiner le document de plus près pour décider si, en droit, on pouvait conclure qu'ils étaient néanmoins devenus des associés. |
Q. Monsieur, pour former votre opinion, vous avez présumé que les appelants avaient l'intention de s'associer [. . .] |
R. C'est bien ça. |
Q. [. . .] dans le cadre d'une société de personnes? Vous avez considéré ce fait comme un fait acquis? |
R. Oui, c'est bien ce que j'ai fait36. |
[49]Des faits aussi cruciaux ne peuvent être présumés. Ils doivent reposer sur la preuve, laquelle, suivant l'expert et l'arbitre des faits, n'était pas suffisante pour établir l'intention requise.
[50]L'intimée a également fait valoir dans sa plaidoirie écrite que: a) l'immeuble en copropriété de HCP ne constituait pas une source de revenus de laquelle on pouvait déduire des pertes; b) il n'y a pas eu de véritable perte en l'espèce; c) le paragraphe 245(1) de la LIR s'applique au cas qui nous occupe; d) la somme réclamée constituait une déduction déraisonnable au sens de l'article 67 de la LIR; e) l'opération était un trompe-l'œil. Comme la conclusion tirée au sujet de la principale question en litige suffit pour trancher le présent litige, je suis d'avis de ne pas traiter de ces questions dans les présents motifs.
[51]Je suis par conséquent d'avis de rejeter l'appel et d'adjuger les dépens à l'intimée.
Le juge Strayer, J.C.A.: Je suis du même avis.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A. (dissident):
GENÈSE DE L'INSTANCE
[52]La contribuable appelante a, de concert avec d'autres résidents canadiens, participé à une série d'opérations dans le but principal d'obtenir une perte autre qu'en capital non réalisée de dix millions de dollars US. Cette perte faisait suite à la vente d'un immeuble en copropriété qui appartenait à une société de personnes californienne. Cette vente avait eu lieu immédiatement après l'admission des contribuables au sein de la société. Comme prévu, la perte autre qu'en capital dépassait de beaucoup la somme de 1,2 million de dollars US investie par les contribuables canadiens, qui cherchent maintenant à importer au Canada cette perte subie à l'étranger en vue de réduire leur dette fiscale. Il a été convenu que l'issue du présent appel s'appliquerait aux appels interjetés par les autres associés canadiens.
[53]Le juge de la Cour de l'impôt a donné gain de cause au ministre du Revenu national sur deux points. En premier lieu, il a déclaré qu'aucune société de personnes n'avait valablement été constituée parce qu'il n'y avait pas d'intention d'"exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice". Suivant le juge de la Cour de l'impôt, "l'unique motif" qui motivait les contribuables était d'obtenir une perte fiscale. Le second motif avancé par le juge de la Cour de l'impôt se rapporte au premier. Il a statué que, comme la perte autre qu'en capital était beaucoup plus élevée que les profits à tirer de l'immeuble d'habitation dont la société de personnes est demeurée propriétaire après la vente de l'immeuble en copropriété, l'entreprise n'était pas exploitée "en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit". Le juge de la Cour de l'impôt a par ailleurs donné raison aux contribuables sur trois points. Il a statué que l'opération en question n'était pas un trompe-l'œil et qu'elle ne tombait pas sous le coup de deux des dispositions anti-évasion de la Loi de l'impôt sur le revenu , en l'occurrence les articles 67 et 245.
[54]Mon collègue, le juge Linden, est prêt à confirmer la décision de première instance au motif que la question qui nous est soumise, en l'occurrence celle de savoir si les parties avaient l'intention de réaliser un bénéfice, est simplement une question de fait, de sorte qu'il y a lieu de faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait tirées par l'arbitre des faits et que rien ne justifie en droit de modifier les conclusions que celui-ci a tirées. En toute déférence, je ne saurais souscrire aux motifs et au dispositif proposés par mon collègue. À mon avis, l'arrêt récent Continental Bank Leasing Corp. c. Canada37 de la Cour suprême du Canada tranche la question de savoir si une société de personnes a été valablement formée. Cette conclusion devient évidente lorsqu'on tient compte du fait que le juge de la Cour de l'impôt a appliqué l'arrêt rendu par notre Cour dans l'affaire Continental Bank, arrêt qui a par la suite été infirmé par la Cour suprême38. Je m'empresse d'ajouter que, dans l'arrêt Continental Bank, notre Cour s'est appuyée sur sa propre décision dans l'affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada39, qui a également été infirmée par la Cour suprême.
[55]Je présume que la conclusion de fait cruciale que le juge de la Cour de l'impôt a tirée et que mon collègue a mentionnée est celle que l'on trouve à la page 2787 des motifs du juge de la Cour de l'impôt, où il a fait remarquer qu'"aucun des appelants n'avait une intention autre que celle d'obtenir une perte fiscale". Pris isolément, ce passage se prête à plusieurs interprétations. S'il est interprété comme signifiant que l'intention subjective des contribuables révèle uniquement une intention de se procurer une perte fiscale, une telle interprétation va à l'encontre du cadre analytique prescrit par la Cour suprême dans l'arrêt Continental Bank pour décider si une société de personnes a été valablement formée. Selon la Cour suprême, l'intention ne saurait dépendre exclusivement de l'intention subjective des parties; elle doit également reposer sur des éléments de preuve objectifs.
[56]J'ai toujours pensé que le droit fiscal s'intéressait davantage à la conduite effective des contribuables qu'à leur témoignage. Les éléments de preuve clairs et objectifs quant à l'intention valent toujours mieux que les ruminations subjectives des témoins qui sont naturellement réticents à donner un témoignage qui risquerait de nuire à leurs intérêts. En outre, on ne peut passer sous silence l'influence que les conseillers juridiques et fiscaux exercent sur leurs clients lorsqu'on évalue l'intention des parties. En l'espèce, cette influence est évidente. Ainsi que je l'exposerai plus loin, j'estime que le fait que la société de personnes exerçait ses activités d'une manière compatible avec les ententes écrites constitue une preuve plus convaincante de l'intention des parties que leur témoignage. Il suffit d'ajouter que le fait que les contribuables n'ont concédé qu'au procès que l'opération était motivée par la perte fiscale ne constitue pas le genre de "supercherie" visée par la doctrine du trompe-l'œil. Il constitue toutefois une preuve convaincante que le ministre devrait consacrer plus de temps à évaluer ce que les parties ont fait que ce qu'elles étaient prêtes à reconnaître lors de l'enquête préalable ou au procès. L'absurdité de la thèse du ministre découle du fait qu'il semble croire que les seuls éléments de preuve pertinents lorsqu'il s'agit d'établir l'intention d'un contribuable sont ce qu'il pense. À l'avenir, il y aurait peut-être lieu, en droit fiscal, d'établir une distinction entre ce qui motive un contribuable à faire quelque chose et le but qui est visé, comme en témoignent les actes effectivement accomplis par un contribuable40 .
[57]À titre subsidiaire, si le juge de la Cour de l'impôt voulait simplement laisser entendre qu'aucune preuve objective ne permet en l'espèce de penser que les contribuables avaient l'intention d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice, le passage en question contredit le fait que la société de personnes a continué pendant au moins une dizaine d'années après la vente de l'immeuble en copropriété à être propriétaire d'un bien qui générait des bénéfices, en l'occurrence l'immeuble d'habitation.
[58]J'ouvre ici une parenthèse pour signaler que les contribuables n'ont jamais essayé d'établir l'existence d'une société de personnes valablement constituée en se fondant exclusivement sur des éléments de preuve documentaires, ainsi que le fait remarquer mon collègue au paragraphe 46 de ses motifs. Parmi les éléments de preuve sur lesquels les contribuables se fondent, signalons la question de savoir si les parties ont agi conformément aux actes constitutifs de la société ou si elles étaient régies par eux. Ainsi que je l'ai déjà signalé, la question qui nous est soumise ne doit pas être tranchée uniquement en fonction de ce que les parties ont pensé ou ont déclaré à la barre des témoins. Les éléments de preuve relatifs à l'intention sont toujours mesurés en fonction d'un autre critère, en l'occurrence la conduite effective des parties.
[59]L'extrait précité à la page 2787 peut aussi être interprété comme signifiant que le principal mobile des contribuables était de se prévaloir d'une perte fiscale. Cette interprétation s'accorde avec les pages 2784 et 2785 de ses motifs où le juge de la Cour de l'impôt déclare que "[l]es appelants se sont réunis en vue d'obtenir une perte fiscale; c'était l'unique motif de la relation qui existait entre eux". Il ressort à l'évidence de ce passage que, bien que d'autres considérations aient peut-être influencé la décision des contribuables d'adhérer à la société de personnes californienne, le mobile principal des contribuables était d'acquérir une perte fiscale. Suivant le juge de la Cour de l'impôt, il s'ensuivait qu'aucune société de personnes n'avait été valablement formée. Au moment de sa décision, cette interprétation du droit était entièrement appuyée par la décision de notre Cour dans l'arrêt Continental Bank , dont le juge de la Cour de l'impôt a cité de larges extraits aux pages 2785 à 2787 de ses motifs.
[60]Le juge de la Cour de l'impôt était toutefois aussi conscient du fait que, suivant Lindley & Banks on Partnership41, une société de personnes peut être valablement formée même si le mobile prédominant du contribuable est l'évasion fiscale, à condition qu'il y ait une intention accessoire ou secondaire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. Si l'on doit interpréter les motifs du juge de la Cour de l'impôt comme signifiant qu'il n'y avait pas de telle intention accessoire ou secondaire en l'espèce, cette conclusion est de toute évidence mal fondée, étant donné qu'il ressort de la preuve documentaire que la société de personnes a acquis un bien productif de revenu qui est devenu rentable dans un laps de temps relativement court. Certes, les auteurs de Lindley & Banks on Partnership précisent bien que, si le seul but visé par le contribuable en devenant membre d'une société de personnes est d'obtenir une perte fiscale et s'il prévoyait dès le départ ne tirer aucun profit de l'entreprise, l'intention secondaire exigée n'est pas présente.
[61]À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt était profondément conscient de l'importance des éléments de preuve objectifs pour appuyer une conclusion quant à l'existence d'une intention secondaire de réaliser un bénéfice. Il savait aussi que le mécanisme d'évasion fiscale avait été délibérément structuré de manière à s'assurer que la société de personnes continuerait à exister après la vente de l'immeuble en copropriété. À lui seul, ce fait suffit à démontrer l'intention secondaire des contribuables de créer une société de personnes valide et ce, même si la décision d'acquérir l'immeuble d'habitation n'était pas envisagée lorsque les contribuables ont été informés pour la première fois de l'existence de cet abri fiscal. La décision est venue "après coup" pour répondre aux exigences des règles de droit des sociétés de personnes et de la Loi de l'impôt sur le revenu , qui exigeaient qu'il y ait une entreprise exploitée activement en commun en vue de réaliser un bénéfice. Néanmoins, cette intention secondaire existait au 30 novembre 1987, date à laquelle les "opérations en série" ont été exécutées. Ces faits expliquent peut-être la raison pour laquelle le juge de la Cour de l'impôt a poursuivi en statuant qu'en raison de l'ampleur de la perte autre qu'en capital par rapport aux profits que l'immeuble d'habitation devait générer, l'entreprise n'était pas exploitée "en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit". Voilà une conclusion que je ne puis ignorer, car elle nie l'argument des contribuables suivant lequel il y avait une intention secondaire de réaliser un bénéfice grâce aux opérations en question.
[62]Finalement, aux paragraphes 38 à 45 de ses motifs, mon collègue se fonde sur le fait que la contribuable n'avait pas l'intention d'exploiter une entreprise en commun avec l'une des parties américaines à l'opération (BDI) pour conclure qu'aucune société de personnes n'a été créée. Je reviendrai sur cette question. En toute déférence, cet argument est mal fondé et repose, à mon humble avis, sur une interprétation fondamentalement erronée des faits.
[63]Étant donné que le présent appel soulève la question de l'applicabilité de la doctrine de l'expectative raisonnable de profit que la Cour suprême du Canada a établie dans l'arrêt Moldowan c. La Reine42, et en raison des vues divergentes exprimées par mon collègue et par moi-même sur la question, je m'estime forcé de relater les faits de la présente affaire et d'examiner l'arrêt Continental Bank.
LES FAITS ET LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE
[64]En 1978, une société de personnes a été constituée sous le régime des lois de la Californie en vue d'aménager et de construire un immeuble en copropriété de 423 appartements sur l'île Santa Catalina, en Californie. Pour obtenir des autorités gouvernementales les permis requis, la société de personnes a dû construire un immeuble d'habitation dont les loyers devaient être subventionnés par l'État. Les deux immeubles ont été construits et le titre de propriété de l'immeuble d'habitation était détenu par une personne morale qui appartenait en propriété exclusive à la société de personnes.
[65]À la fin de 1986, les coûts de construction de l'immeuble en copropriété dépassaient sa juste valeur marchande d'environ dix millions de dollars US. À l'époque, la société de personnes était formée de BDI et de Peninsula, qui étaient toutes les deux intéressées à vendre la participation de 50 pour 100 respective qu'elles détenaient dans la société de personnes si BDI pouvait conserver son titre de propriété sur l'immeuble. Cette condition n'avait aucune incidence sur Peninsula, étant donné qu'elle était une filiale possédée en propriété exclusive par BDI. La vente de l'immeuble en copropriété à BDI devait donner lieu à une perte autre qu'en capital et, à cette condition, la contribuable appelante a, de concert avec d'autres résidents canadiens, convenu d'acheter la société de personnes. Avant la signature des documents officiels, les parties ont été informées que, pour que l'opération survive à tout examen juridique minutieux, il serait nécessaire que la société de personnes exploite une entreprise après la vente de l'immeuble d'habitation. Il a donc été convenu que la société de personnes deviendrait directement propriétaire de l'immeuble d'habitation et continuerait à exercer ses activités à ce titre. Aux termes de cette entente, on garantissait aux contribuables une perte fiscale minimale de sept millions de dollars US en contrepartie d'un investissement maximal de 1,4 million de dollars US. L'entente stipulait également qu'une fois qu'ils seraient admis au sein de la société, les contribuables canadiens vendraient l'immeuble en copropriété à BDI et que le titre de propriété de cet immeuble serait alors transféré immédiatement à BDI.
[66]Le 30 novembre 1987, une série d'opérations ont été exécutées et ont produit les résultats suivants. BDI et Peninsula ont modifié leur contrat de société de personnes de manière à ce que celle-ci poursuive ses activités indépendamment du retrait ou de l'admission d'un associé. L'immeuble d'habitation a été vendu à la société de personnes pour une somme de 2,9 millions de dollars US payable comptant (696 000 $US) et moyennant la prise en charge des dettes existantes. La société de personnes a emprunté cette somme à BDI. Elle a ensuite vendu les actions de la compagnie à BDI au prix de 696 000 $US. Cette somme a été payée par réduction du prêt consenti par BDI à la société de personnes. À ce moment-là, la société comprenait deux associés, BDI et Peninsula, qui étaient propriétaires de l'immeuble en copropriété et de l'immeuble d'habitation.
[67]Peninsula a ensuite vendu à la contribuable la participation de 50 pour 100 qu'elle détenait dans la société de personnes. En réponse, BDI a vendu à la contribuable une participation de 25 pour 100 et l'autre participation de 25 pour 100 qu'elle détenait à une compagnie canadienne (Spire Investors Group Ltd.), qui agissait pour son propre compte et comme mandataire de plusieurs personnes.
[68]Le prix d'achat total des participations dans la société de personnes s'élevait à 34,5 millions de dollars US dont 1,2 million de dollars US a été payé par chèque certifié et le solde de 33,3 millions de dollars US par billets à ordre. La société de personnes a alors vendu l'immeuble en copropriété à BDI pour la somme garantie par les billets à ordre. La vente de l'immeuble en copropriété au cours de l'année d'imposition 1987 a donné lieu à une perte nette de dix millions de dollars US, plus 400 000 $US pour la vente des actions. Le ministre ne conteste pas les sommes en litige, que j'ai arrondies par souci de commodité.
[69]En plus de rembourser le prêt hypothécaire grevant l'immeuble d'habitation, la société de personnes a réalisé des bénéfices de 457 000 $US. Une marge brute d'autofinancement excédentaire de 756 000 $US a été retirée de la société entre 1989 et 1995 inclusivement. Le tableau suivant illustre les profits nets de la société, les sommes retirées par les associés et le revenu tiré par la société du point de vue du fisc canadien au cours des années en question:
Revenu
du point de
Sommes vue du fisc
Revenu net retirées canadien
Année ($US) ($US) ($CAN)
1989 33 224 $ 50 136 $ Néant
1990 38 506 $ 48 528 $ Néant
1991 73 483 $ 99 528 $ Néant
1992 66 345 $ 119 109 $ Néant
1993 114 165 $ 156 913 $ 72 023 $
1994 82 521 $ 151 520 $ 62 162 $
1995 49 192 $ 130 839 $ 32 954 $
[70]Le juge de la Cour de l'impôt a accepté que, lorsque BDI et Peninsula se sont associées, une société de personnes valablement constituée a été formée selon les lois de la Californie. Cette conclusion reposait sur la constatation que les deux associés initiaux "s'attendaient d'une façon raisonnable à tirer profit des investissements et exploitaient une entreprise en vue de réaliser un bénéfice". La juge de la Cour de l'impôt a ensuite dirigé son attention sur la validité de la société de personnes, à la lumière de l'admission des associés canadiens et du retrait de BDI et de Peninsula.
[71]Le juge de la Cour de l'impôt a reconnu que la création et la dissolution de la société de personnes devaient être déterminées en fonction du droit californien. Il a toutefois fait remarquer que le témoin expert de la contribuable s'était penché uniquement sur la question de savoir si la société de personnes avait été dissoute le 30 novembre 1987 par suite de l'admission des nouveaux associés. Acceptant le témoignage de l'expert suivant lequel la société de personnes était demeurée intacte, le juge de la Cour de l'impôt s'est posé la question de savoir si la présumée société de personnes satisfaisait aux autres exigences de la législation californienne. Il a statué que, comme aucune des parties n'avait présenté de preuve sur cette question, il fallait présumer que la législation sur les sociétés de la Californie était semblable à celle des provinces canadiennes. Il a par conséquent conclu que, pour qu'une société de personnes existe, il fallait qu'il y ait une relation entre des personnes "qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice"43.
[72]Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que la contribuable n'avait pas satisfait à cette exigence. On ne sait pas avec certitude s'il a jugé que le seul objectif poursuivi par le contribuable était d'obtenir une perte fiscale ou si cet objectif était prépondérant. Il importe toutefois de souligner que, pour tirer cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt a invoqué l'arrêt Continental Bank de notre Cour, en plus d'une de ses propres décisions44. Cette dernière décision portait sur un stratagème fiscal semblable à celui qui est à l'examen dans le présent appel. Le contribuable a également été débouté de son appel.
[73]Le juge de la Cour de l'impôt a poursuivi en concluant qu'en l'espèce, il n'y avait pas d'intention d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice et qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit. Ainsi que je l'ai déjà signalé, le juge de la Cour de l'impôt en est arrivé à cette conclusion après avoir comparé la perte prévue de dix millions de dollars US avec les profits que l'on prévoyait tirer de l'immeuble d'habitation. Voici ce qu'il a déclaré à la page 2787 de ses motifs:
Dans les présents appels également [tout comme dans l'affaire Continental Bank], aucun des appelants n'avait une intention autre que celle d'obtenir une perte fiscale. Ils ont songé après coup à conserver les appartements Tremont, après qu'on leur eut dit qu'il fallait le faire. Le montant de la perte initiale que les appelants prévoyaient subir par rapport aux bénéfices prévus ou réels tirés des appartements Tremont ne peut pas, à mon avis, nous permettre de conclure que la relation qui existait entre les appelants visait à leur permettre d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit. Tout bénéfice tiré des appartements Tremont par rapport à la perte initiale exige un effort d'imagination incroyable lorsqu'il s'agit de conclure que les opérations visaient à permettre aux appelants de réaliser un bénéfice. Ici encore, la relation qui existait entre les appelants ne visait pas à leur permettre d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice; les appelants ne se sont pas associés en vue d'exploiter une entreprise dont ils tireraient des bénéfices. [Non souligné dans l'original; renvois omis.]
[74]Le juge de la Cour de l'impôt a effectivement donné gain de cause à la contribuable appelante sur trois des questions en litige. En premier lieu, il a statué que l'opération en question n'était pas un "trompe-l'œil". En deuxième lieu, il a rejeté l'argument que la déduction de la perte fiscale pouvait être refusée en vertu de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu , qui limite le montant d'un débours ou d'une dépense au montant jugé raisonnable eu égard aux circonstances. Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que ni la perte autre qu'en capital découlant de la disposition d'un bien, ni la perte en capital résultant de la disposition d'actions ne constituait un débours ou une dépense au sens de l'article 67 de la Loi. En troisième lieu, le juge de la Cour de l'impôt a jugé mal fondé l'argument que l'article 245 de la Loi, qui interdit toute déduction se rapportant à un débours ou une dépense qui sert à réduire indûment ou artificiellement le revenu du contribuable, s'appliquait pour les mêmes raisons que celles qui avaient été exposées au sujet de l'article 67.
[75]Aux paragraphes 8, 9 et 40 à 42 de ses motifs, mon collègue attire l'attention sur la manière dont BDI a déclaré les opérations en question au fisc américain et sur le fait que BDI n'a jamais perdu le contrôle effectif de l'immeuble en copropriété. À mon avis, ces faits ne sont d'aucune utilité lorsqu'il s'agit de trancher le présent appel et ce, parce qu'ils ne font pas partie des motifs exposés par le juge de la Cour de l'impôt pour justifier sa décision. À la page 2776, le juge de la Cour de l'impôt fait en effet remarquer: "J'hésite toujours à retenir un témoignage lorsqu'il est question de la façon dont une opération est traitée dans un ressort étranger aux fins de l'impôt". Il ajoute: "La façon dont une opération est traitée dans un ressort étranger n'a rien à voir avec la façon dont elle devrait être traitée aux fins de l'impôt canadien".
[76]Je passe maintenant à l'examen de l'arrêt Continental Bank.
L'ARRÊT CONTINENTAL BANK
[77]Lorsque la Continental Bank (la Banque) a décidé de procéder à sa liquidation, elle a lancé un appel d'offres d'achat des actions ou des éléments d'actif de l'une des filiales qui lui appartenait en totalité et qui exploitait une entreprise de crédit-bail. On a trouvé un acheteur éventuel pour l'entreprise de la filiale, mais cet acheteur était préoccupé par la solvabilité de certains locataires. En conséquence, à la demande de l'acheteur, la Banque a conclu une entente aux termes de laquelle la filiale formait une société de personnes avec plusieurs des filiales de l'acheteur pour exploiter la même entreprise de crédit-bail. Les éléments d'actif de la filiale ont, à l'exception des baux suspects, été transférés à la société de personnes. Pour éviter une récupération de la déduction pour amortissement à laquelle une vente pure et simple des actifs aurait autrement donné lieu, la filiale a procédé à un roulement en vertu du paragraphe 97(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 58; 1985, ch. 45, art. 49)] en faisant le choix requis. La société de personnes a continué à exploiter l'entreprise de crédit-bail de la filiale. Trois jours plus tard, la filiale a transféré à la Banque la participation qu'elle détenait dans la société de personnes en vertu de l'article 88 [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 52; 1979, ch. 5, art. 29; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 48] de la Loi dans le cadre de sa liquidation. La Banque a ensuite vendu sa participation aux filiales de l'acquéreur.
[78]La filiale de la Banque a produit une déclaration de revenus sur le fondement de l'opération susmentionnée, en déclarant notamment un revenu de 130 726 $ relativement aux gains nets qu'elle avait réalisés au cours des trois jours durant lesquels elle avait détenu une participation dans la société de personnes. Le ministre a établi de nouveau l'impôt dû par la filiale en partant du principe que l'opération relative à la société de personnes était invalide, ayant donné lieu à une récupération de la déduction pour amortissement. Le ministre s'est par ailleurs fondé sur le fait que la stratégie de planification fiscale allait à l'encontre du paragraphe 174(2) de la Loi sur les banques [L.R.C. (1985), ch. B-1], qui prévoit qu'une banque ne peut participer directement ou indirectement à une société de personnes. L'article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l'Ontario [L.R.O. 1980, ch. 370] prévoit qu'une société de personnes est dissoute dans tous les cas où se produit un événement qui rend illégale l'exploitation de l'entreprise de la firme. La Cour de l'impôt a accueilli l'appel interjeté par la filiale de la nouvelle cotisation établie par le ministre, mais notre Cour a infirmé cette décision et a accueilli l'appel du ministre.
[79]Sous la plume du juge Linden, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'aucune société de personnes n'avait été valablement constituée. Il a statué que, même si la preuve ne démontrait pas que l'opération était un trompe-l'œil, une société de personnes n'avait pas été légalement constituée, étant donné que les parties n'avaient pas réussi à faire la preuve de leur intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Il a plutôt conclu que les parties avaient l'intention de réaliser une vente d'éléments d'actif par le truchement d'un mécanisme appelé "société de personnes". Aux paragraphes 21 et 22 [pages 728 et 729] de ses motifs, le juge Linden déclare:
L'avocat de la contribuable affirme toutefois qu'il existait une société de personnes et que les éléments de la définition de la société de personnes étaient réunis. Il y a, soutient l'avocat, un accord écrit, et cet accord renfermerait des modalités que l'on trouve habituellement dans un contrat de société de personnes. Il y a une entreprise qui est exploitée dans un but lucratif. Il y a également des éléments de preuve qui tendent à démontrer que les parties se sont présentées aux tiers comme étant des associés, et que des comptes bancaires et des livres et des registres distincts ont été tenus uniquement pour le compte de la "société".
Pourtant, malgré cette accumulation impressionnante de faits, je suis d'avis que nous ne sommes pas en présence d'une entreprise qui a été exploitée en commun en vue de réaliser un bénéfice. Le mécanisme ne comportait pas le ciment nécessaire pour en assurer la cohésion, à savoir l'intention. Les parties doivent non seulement respecter les exigences de forme prévues par la loi, mais aussi en respecter les exigences de fond par leur conduite, et leur intention d'en respecter les exigences de fond doit être démontrée par les faits. En d'autres termes, les événements qui sont survenus en l'espèce et qui ne constituent que de simples aspects accessoires de l'adoption d'une forme de société ne sauraient être considérés comme des éléments de preuve de fond qui tendraient à démontrer l'existence d'une intention de créer effectivement une société. En conséquence, même si une entreprise a été transférée à l'entité que les parties ont désignée sous le vocable de société de personnes, et même si les parties prétendent qu'elles ont exploité cette entreprise en commun"ce dont je doute", cette entreprise n'a pas été exploitée dans le but de tirer un profit. Les parties avaient plutôt l'intention de procéder à une vente d'éléments d'actif en recourant à un dispositif qu'elles ont choisi d'appeler une société de personnes même si, en réalité, il n'en s'agissait pas d'une.
[80]Le juge Linden a poursuivi en concluant que les considérations fiscales dominaient à un tel point l'intention des parties que force lui était de conclure que les parties n'avaient pas l'intention de créer une "véritable société de personnes". Il a ajouté que l'idée de partager les bénéfices était "venue après coup lorsque les parties ont initialement élaboré l'accord"45. Quant au fait que la société de personnes avait généré des profits pendant les trois jours de son existence et que ces profits avaient été déclarés à titre de revenus par la filiale, le juge Linden s'est dit d'avis que ces éléments de preuve ne démontraient pas à l'évidence qu'une société de personnes avait été créée.
[81]Bien que cet aspect ne soit pas pertinent dans le présent appel, le juge Linden a également conclu qu'il n'y avait pas de société de personnes parce qu'on avait contrevenu au paragraphe 174(2) de la Loi sur les banques et à l'article 34 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l'Ontario.
[82]La Cour suprême a accueilli l'appel (les juges L'Heureux-Dubé et Bastarache étant dissidents) en concluant qu'une société de personnes avait été valablement constituée et que l'opération ne contrevenait pas à la Loi sur les banques. Il vaut particulièrement la peine de souligner le fait que la Cour suprême a conclu à l'unanimité que l'opération avait eu pour effet de créer une société de personnes valablement constituée.
[83]Le juge Bastarache, qui s'exprimait au nom de l'ensemble des juges sur la question de la société de personnes, a commencé son analyse des conditions de validité d'une société de personnes en rappelant quelques grands principes, au paragraphe 25 [page 318] de ses motifs:
Dans les cas comme celui qui nous occupe, où les parties ont conclu un accord écrit formel régissant leurs rapports et se présentent comme des associés, les tribunaux doivent se demander si l'accord renferme le genre de dispositions figurant habituellement dans les contrats de société, si on a appliqué le contrat et si, dans les faits, il a régi les affaires des parties (Mahon c. Ministre du Revenu national, 91 D.T.C. 878 (C.C.I.)).
[84]Le juge Bastarache a ensuite exposé les conditions préalables classiques qui doivent être réunies pour qu'il y ait création d'une société de personnes valide: 1) il doit y avoir une entreprise; 2) cette entreprise doit être exploitée en commun; 3) en vue de réaliser un bénéfice.
[85]Il importe particulièrement de souligner, pour les fins du présent appel, que le juge Bastarache a statué que le seul fait que l'intention première des parties était de créer une société en nom collectif pour une fin fiscale n'empêche toutefois pas que la réalisation et le partage d'un bénéfice constituaient un but accessoire. Aux paragraphes 43 et 44 [pages 325 et 326], le juge Bastarache se rallie aux propos formulés par les auteurs de Lindley & Banks on Partnership, qui se disent d'avis que, même si une société de personnes est constituée dans un autre but dominant qu'un but lucratif (par exemple, pour éviter l'impôt), elle n'en constitue pas moins une société de personnes valide:
Le seul fait que l'intention première des parties était de créer une société en nom collectif pour une fin donnée n'empêche toutefois pas que la réalisation et le partage d'un bénéfice constituaient un but accessoire. Cela suffit pour respecter la définition de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif dans les circonstances de l'espèce. L'observation suivante est faite aux pp. 10 et 11 de Lindley & Banks on Partnership:
[traduction] [. . .] lorsqu'une société est constituée dans quelque autre but dominant [autre qu'un but lucratif], notamment pour éviter l'impôt, mais qu'il existe aussi un élément véritable, bien qu'accessoire, de profit, il est possible d'en conclure que l'entreprise est exploitée "dans le but de réaliser un bénéfice". Cependant, lorsqu'il peut être établi que l'unique raison pour laquelle une société est mise sur pied est de conférer à un associé l'"avantage", par exemple, d'une perte fiscale, alors que les parties n'envisagent nullement qu'un bénéfice [. . .] puisse être tiré de l'exploitation de l'entreprise en cause, la société ne peut véritablement être considérée comme ayant été créée "dans le but de réaliser un bénéfice". |
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où les parties ont convenu qu'un associé n'aurait pas droit à une quote-part des bénéfices ni d'un cas où aucun bénéfice n'était envisagé pendant la durée de la participation d'un associé. Durant la période où Leasing et la Banque ont été des associés au sein de l'entreprise, la Société a tiré un bénéfice de son entreprise de crédit-bail, et ce bénéfice a été réparti à la fin de l'exercice.
[86]Au paragraphe 45 [page 326] de ses motifs, le juge Bastarache souligne qu'il ne suffit pas d'examiner l'intention subjective des parties pour déterminer si elles avaient l'intention d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice:
L'intimée prétend que l'intention de constituer une société en nom collectif valide n'équivaut pas à l'intention d'exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Je suis d'accord. Toutefois, en l'espèce, les parties ont établi une société en nom collectif valide au sens de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Elles entendaient exploiter et elles ont effectivement exploité une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. Cette conclusion ne s'appuie pas simplement sur les déclarations subjectives des parties quant à leur intention. Elle est fondée sur l'élément de preuve objectif que constitue le contrat de société intervenu entre les parties46. [Non souligné dans l'original.]
[87]Quant au fait que l'opération en question était structurée en fonction de l'impôt, le juge Bastarache a rejeté la présomption de notre Cour suivant laquelle une telle opération est invalide. Au paragraphe 50 [page 328], il a en effet déclaré:
[. . .] la Cour d'appel a statué que, parce que l'objectif ultime de la mise sur pied de la société en nom collectif par la Banque était la vente de son entreprise de crédit-bail à Central, ni Leasing ni la Banque n'ont pu avoir l'intention requise pour former une société en nom collectif valide. Selon ce raisonnement, à moins que le seul motif qui sous-tende la formation d'une société en nom collectif ne soit l'exploitation d'une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice, une société en nom collectif valide ne peut être formée. Ce raisonnement suppose également qu'une opération visant l'obtention d'un avantage fiscal n'est pas une opération valide. Ce raisonnement ne saurait tenir. [Non souligné dans l'original.]
[88]Le juge Bastarache a statué que la réalisation et le partage d'un bénéfice constituaient un but réel, bien qu'accessoire, de la société. Il a estimé que cela suffisait pour répondre à la condition relative au "but lucratif" qui doit être respectée pour qu'il y ait une société de personnes47 . Le juge Bastarache a également fait remarquer qu'il était sans intérêt que la filiale de la Banque n'ait fait partie de la société que pendant trois jours. La seule exigence à remplir est qu'une entreprise ait été exploitée en commun pendant cette période en vue de réaliser un bénéfice. Finalement, le juge Bastarache reproche à notre Cour d'avoir présumé que, du simple fait qu'une opération est motivée par des considérations d'ordre fiscal, les parties n'ont pas l'intention requise pour créer une société de personnes valide. Aux paragraphes 52 et 53, [pages 329 et 330] le juge Bastarache écrit:
Après avoir conclu que l'opération n'était pas un trompe-l'œil, la Cour d'appel n'aurait pas dû arriver à la conclusion que les parties n'avaient pas l'intention requise pour former une société en nom collectif valide simplement parce que l'opération était motivée par l'avantage fiscal en découlant. La Cour d'appel a tenu pour acquis que la prédominance d'objectifs d'ordre fiscal ou l'absence d'un objet commercial concomitant autorise ou oblige le tribunal à faire abstraction de la forme juridique de l'opération que les parties entendaient réaliser.
En l'espèce, la réalité juridique et commerciale est que Leasing entendait créer et a effectivement créé avec Central une société en nom collectif au sens de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. La Cour d'appel a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'essence d'une opération opposable en droit.
C'est dans ce contexte qu'il faut évaluer la présente affaire.
ANALYSE
[89]Les conditions légales à remplir pour former une société de personnes que le juge Bastarache a exposées définissent le cadre analytique qu'il convient d'utiliser en l'espèce. Rappelons ces conditions. Ainsi, une société de personnes est constituée lorsque les parties: 1) exploitent une entreprise 2) en commun 3) en vue de réaliser un bénéfice.
[90]Il ne fait aucun doute que la société de personnes californienne (dont les contribuables sont devenus membres) a exploité une entreprise de promotion immobilière puis, par la suite, une entreprise de location d'immeubles. Contrairement à l'affaire Continental Bank, dans laquelle la société avait duré trois jours, la présente société de personnes a duré plus d'une dizaine d'années. Ces faits permettent de conclure qu'une entreprise était exploitée en commun. Le juge Linden n'est pas de cet avis et, aux paragraphes 38 à 45 [pages 738 à 742] de ses motifs, il affirme que toutes les parties doivent avoir l'intention réciproque de constituer une société de personnes et que cette condition n'est pas respectée en l'espèce, parce que l'associé américain, BDI, ne s'est jamais associé de façon permanente avec les contribuables canadiens.
[91]Sauf erreur, le moyen tiré de l'"intention réciproque" n'a jamais été invoqué devant le juge de la Cour de l'impôt. Il n'a pas non plus été débattu devant nous. Ce n'est qu'au paragraphe 32 du mémoire du ministre et au paragraphe 9 de son mémoire en réponse que ce moyen est mentionné. En tout état de cause, si j'ai bien compris, les contribuables canadiens ne se sont pas associés de façon durable avec BDI et Peninsula, étant donné que ces deux dernières personnes morales ont vendu leur participation respective dans la société de personnes aux contribuables canadiens. Dans ces conditions, il est difficile de concevoir pourquoi il serait nécessaire pour le juge de la Cour de l'impôt ou pour notre Cour de décider si les Américains avaient l'intention de s'associer avec les Canadiens. Les contribuables ont fait témoigner des experts au sujet de la question de savoir si la société de personnes serait dissoute en cas d'admission de nouveaux associés ou de retrait d'anciens associés. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que la société de personnes ne s'était pas dissoute en droit californien. Ainsi, ce sont les contribuables canadiens qui exploitent une entreprise en commun depuis une dizaine d'années.
[92]À mon sens, il ressort à l'évidence de la preuve et des conclusions tirées par le juge de la Cour de l'impôt que les contribuables se sont présentés comme des associés et se sont comportés d'une manière compatible avec le contrat de société. Ce document est typique des contrats de société qui sont conclus dans le domaine commercial. Il y a eu partage des profits et exploitation en commun d'une entreprise. Dans ces conditions, comment pourrait-on prétendre qu'il n'y avait aucune intention d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice? Cela nous ramène à la question de la valeur à attribuer aux éléments de preuve subjectifs et objectifs concernant l'intention pour décider si une société de personnes a été valablement constituée.
[93]À mon humble avis, en rétrospective, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en se fondant sur la décision rendue par notre Cour dans l'affaire Continental Bank pour statuer que, comme leur unique motif était de se prévaloir des pertes fiscales, les contribuables n'avaient pas droit à leur quote-part respective de ces pertes. Nul ne saurait sérieusement contester que le mobile ou l'intention principale des contribuables était d'acquérir une perte autre qu'en capital substantielle. Mais il est également évident que leur intention secondaire était d'acquérir et de conserver un bien productif de revenu qui leur permettrait de continuer à exploiter une entreprise en commun. Ainsi qu'il a déjà été signalé, pour évaluer l'intention du contribuable, il faut tenir compte de la ligne de conduite qu'il a adoptée en réponse aux conseils que lui ont donnés ses conseillers juridiques et fiscaux. En l'espèce, les parties ont fait ce qu'elles avaient dit qu'elles feraient.
[94]Ce qui m'amène à la conclusion du juge de la Cour de l'impôt suivant laquelle la société de personnes n'était pas exploitée "en vue de réaliser un bénéfice ou dans une attente raisonnable de profit". Comme je l'ai déjà fait remarquer, cette conclusion reposait sur l'hypothèse que les bénéfices qui pouvaient être tirés de l'immeuble d'habitation ne pouvaient jamais dépasser la perte autre qu'en capital subie lors de la disposition de l'immeuble en copropriété. Les motifs du juge de la Cour de l'impôt ne permettent pas de savoir avec certitude si le "facteur de rentabilité" est invoqué pour justifier la conclusion qu'aucune société de personnes n'a été valablement formée, étant donné qu'il n'y avait aucune intention secondaire d'exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice, ou encore si ce facteur est invoqué comme élément de preuve tendant à démontrer qu'il n'existait aucune source de revenu pouvant donner lieu à une perte parce que le critère de l'"expectative raisonnable de profit" posé dans l'arrêt Moldowan n'était pas respecté. Indépendamment de ce que le juge de la Cour de l'impôt voulait dire, il est évident que le ministre invoque maintenant le principe de l'expectative raisonnable pour affirmer que la Cour devrait confirmer la décision de première instance. Cela soulève ainsi une toute autre question. Y a-t-il une différence substantielle entre la théorie de l'expectative raisonnable de profit et l'obligation selon laquelle une entreprise doit être exploitée "en vue de réaliser un bénéfice" en droit des sociétés de personnes? Heureusement, je n'ai pas à répondre directement à cette question. Dans les motifs qui suivent, je conclus que ni la doctrine de l'expectative raisonnable de profit ni les principes du droit des sociétés de personnes ne permettent de refuser aux contribuables la réparation qu'ils sollicitent. Je commence par l'obligation du profit imposée par le droit des sociétés de personnes.
[95]Le fait qu'une société de personnes a réalisé une importante perte autre qu'en capital lors de la disposition d'un immeuble entraîne-t-il la dissolution de cette société du simple fait que les profits tirés d'autres biens productifs de revenu ne sauraient logiquement excéder le montant de la perte? En bref, le fait qu'une société de personnes se départit d'activités déficitaires tout en conservant des activités rentables signifie-t-il que cette société cesse d'exister en droit? À mon avis, la réponse est évidente: les associés continuent d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice en ce qui concerne les biens productifs de revenus indépendamment de l'ampleur de la perte et ce, même si un tiers devient membre de la société de personnes et qu'une perte autre qu'en capital survient par la suite. L'hypothèse suivante inspirée des faits de la présente affaire servira à illustrer ma thèse.
[96]On suppose qu'une société de personnes composée de deux associés possède deux actifs productifs de revenu: un immeuble en copropriété et un immeuble d'habitation. On suppose ensuite que la vente du premier immeuble donnerait lieu à une perte autre qu'en capital de 10 000 $, puisqu'il en coûte 30 000 $ pour construire l'immeuble en copropriété, mais que sa juste valeur marchande a fléchi à 20 000 $. L'immeuble d'habitation est hypothéqué au maximum et il est convenu qu'en cas d'excédent provenant des loyers (profit éventuel), cette somme sera déduite du capital du prêt hypothécaire. Un des associés décide de quitter la société et trouve un tiers qui est prêt à payer 10 000 $ pour acquérir sa participation de 50 pour 100. Un an plus tard, la société de personnes nouvellement constituée décide de se départir de l'immeuble en copropriété et subit une perte autre qu'en capital de 10 000 $ (5 000 $ par associé). Si j'ai bien compris le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt, le nouvel associé ne peut déduire cette perte, étant donné que cette somme ne saurait de façon réaliste être compensée par les profits tirés de l'immeuble d'habitation. De toute évidence, ce résultat juridique est inacceptable, même si l'on modifie le scénario pour prévoir que le nouvel associé devient membre de la société en contrepartie d'une somme symbolique"1 000 $ par exemple"et vend l'immeuble en copropriété le lendemain. Le prix payé pour devenir un associé (la suffisance de la contrepartie, pour ainsi dire) n'intéresse pas le ministre, qui ne saurait non plus dicter aux associés la période pendant laquelle ils doivent conserver l'immeuble. Autrement, il faudrait récrire complètement la Loi de l'impôt sur le revenu et le droit fiscal souffrirait d'une ambiguïté intolérable.
[97]Si l'on accepte que les contribuables canadiens avaient une intention secondaire ou accessoire d'exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice à la suite de la disposition de l'immeuble en copropriété, la seule question qui demeure est celle de savoir si la doctrine de l'expectative raisonnable de profit constitue un motif suffisant pour rejeter les appels. Le raisonnement suivi par le ministre pour invoquer cette doctrine comporte deux volets. En premier lieu, le ministre adopte la méthode de la "déduction" que le juge de la Cour de l'impôt a employée pour soustraire la perte découlant de la vente de l'immeuble en copropriété des bénéfices tirés de l'immeuble d'habitation pour établir que les contribuables n'avaient pas d'expectative raisonnable de profit. En résumé, l'"expectative raisonnable" des contribuables est mesurée en fonction du gain net ou de la perte nette résultant des deux avoirs productifs de revenu. En second lieu, le ministre soutient que l'immeuble en copropriété ne constituait pas une source de revenus pour les contribuables. En ce qui concerne ce bien, le ministre fait valoir que les contribuables n'avaient aucune expectative raisonnable de profit lorsqu'ils se sont associés. Ils s'attendaient seulement à recevoir une perte autre qu'en capital de dix millions de dollars US qui avait été prévue et planifiée d'avance. À mon humble avis, la doctrine de l'expectative raisonnable de profit ne justifie aucun des deux volets de cet argument pour la simple raison qu'elle ne s'applique pas aux cas comme celui-ci.
[98]Je n'ai pas l'intention de faire une dissertation sur l'arrêt Moldowan de la Cour suprême. Cet arrêt a toujours été controversé, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'un des rares cas où la Cour suprême était prête à adopter un principe anti-évasion de common law visant à limiter la capacité des contribuables de se livrer à des activités commerciales douteuses en vue de déduire des pertes inévitables d'autres sources de revenu, le plus souvent des revenus d'emploi. Contrairement au mythe qui a cours dans les milieux fiscaux, cet aspect de l'arrêt Moldowan ne constitue pas une simple opinion incidente. Mais ce qu'on oublie souvent, c'est que sept ans après le prononcé de l'arrêt Moldowan, la Cour suprême a statué, dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine48, qu'en l'absence d'ambiguïté dans le libellé de la loi, il n'est pas loisible aux tribunaux d'introduire des principes d'interprétation des lois dans les mécanismes anti-évasion déguisés. Suivant le juge Estey49:
[. . .] si le contenu de la Loi, lorsque la disposition en cause est interprétée dans son contexte, est clair et précis et que la Loi ne comporte pas d'interdiction qui vise le contribuable, celui-ci est libre de se prévaloir des dispositions avantageuses en cause.
[99]En l'espèce, les pertes dont les contribuables réclament la déduction tombent carrément sous le coup de l'article 96 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposition n'est nullement ambiguë et, par conséquent, aucune interprétation n'est nécessaire. Selon l'arrêt Stubart, c'est au ministre qu'il incombe de mettre un frein aux opérations inacceptables motivées par l'évasion fiscale en adoptant des dispositions anti-évasion expresses. Il en est ainsi sauf, évidemment, si la doctrine de l'expectative raisonnable de profit s'applique. J'admire la décision rendue par le juge en chef Dickson dans l'affaire Moldowan, mais je suis d'avis que le ministre n'a pas le droit d'invoquer cette doctrine comme moyen systématique de se soustraire à la nécessité de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu pour contrecarrer certains mécanismes de planification fiscale audacieux. Je constate, pour ce qui est de la présent affaire, que la Loi a effectivement été modifiée en 1994 pour supprimer cet abri fiscal précis50. Je constate aussi que cette modification n'est pas rétroactive.
[100]En règle générale, la doctrine de l'expectative raisonnable de profit est censée nier des avantages fiscaux lorsque la recherche d'un profit devient la poursuite d'un "rêve impossible"51 ou que l'entreprise est dominée par un élément personnel. Cet élément personnel se manifeste habituellement par une indifférence flagrante face à la rentabilité de ce qui pourrait autrement être considéré comme une entreprise commerciale véritable. L'exemple classique est celui de la personne qui se livre à l'agriculture comme passe-temps et qui gagne sa vie en ville comme avocat ou médecin et qui perd ensuite son argent dans son entreprise agricole52. En outre, il y a ceux qui cherchent à déduire de leur revenu d'emploi la moitié des intérêts accumulés sur le prêt hypothécaire grevant leur maison au motif qu'ils ont subi une perte locative relativement à un appartement situé au sous-sol qui, selon leurs calculs, a une valeur aussi importante que les autres pièces de la maison53.
[101]Il y a plusieurs facteurs énumérés dans la jurisprudence dont il faut tenir compte lorsqu'on se demande s'il existe une expectative raisonnable de profit. Mentionnons notamment l'élément personnel, les pertes et profits réalisés au cours des années précédentes, l'élaboration d'un plan d'affaires valable, les titres et qualités du contribuable, ainsi que sa formation et son expérience, et le temps consacré à l'entreprise. Pourtant, on n'a pas demandé à la Cour d'examiner ces facteurs en l'espèce. Dans un geste sans précédent, le ministre a plutôt choisi de soutenir que l'immeuble en copropriété ne constituait pas une source de revenu parce qu'il n'y avait aucune expectative raisonnable de profit au moment où les contribuables ont adhéré à la société de personnes en raison de la perte autre qu'en capital non réalisée. En d'autres termes, le ministre invite la Cour à adopter un principe de droit fiscal qui aurait pour effet d'interdire à quiconque adhère à une entreprise avec une importante perte autre qu'en capital non réalisée de traiter cette entreprise comme une source de revenu sauf s'il peut démontrer que les profits à venir excéderont cette perte. Je refuse d'adopter un tel principe. La doctrine de l'expectative raisonnable de profit vise uniquement à déterminer s'il existe une entreprise. Si les propriétaires de l'entreprise réussissent à satisfaire à cette exigence, la conclusion qu'il existe une entreprise ne devrait pas être modifiée du seul fait que l'entreprise passe entre les mains d'un nouveau propriétaire ou que les nouveaux associés décident de se départir d'un bien non rentable.
[102]Les dangers que comporterait l'adoption de la thèse du ministre sont évidents. Autant que je sache, la doctrine de l'expectative raisonnable de profit n'a jamais été invoquée à l'appui de la proposition que, si une source de revenu donne lieu à une perte qui ne peut être compensée par une autre source de revenu, il n'y a aucune source de revenu sur le plan fiscal. J'ouvre une parenthèse ici pour signaler que, si l'on devait retenir l'interprétation que le ministre donne de la loi, les profits générés par l'immeuble d'habitation seraient non imposables. Je doute fort que le ministre ait établi de nouveau l'impôt dû par les contribuables sur le fondement d'une telle proposition.
[103]Un thème récurrent de la thèse du ministre est que les contribuables ne se sont pas interrogés sur la question de la rentabilité avant de décider de s'engager dans l'opération en litige. Ils étaient plutôt préoccupés par les pertes fiscales considérables qu'ils prévoyaient obtenir par suite des opérations en question. Le ministre fait valoir, par exemple, que les contribuables n'ont obtenu aucune évaluation et aucun rapport en ce qui concerne l'immeuble d'habitation. Par ailleurs, aucun des témoins ne se rappelle avoir discuté avec les vendeurs américains d'estimations quant à la rentabilité éventuelle de l'immeuble d'habitation. La réponse à cet argument est simple: l'immeuble d'habitation s'est avéré rentable. La thèse du ministre aboutit au résultat absurde suivant: même si un profit a été réalisé, le fait que les contribuables n'avaient pas d'expectative raisonnable de profit au départ suffit pour conclure qu'aucune entreprise n'a été exploitée.
[104]Il est curieux de constater que le ministre considère que la perte autre qu'en capital en litige n'est qu'un calcul mathématique, et non une "véritable perte". De fait, la société de personnes californienne a consacré une somme qui excédait de dix millions de dollars US la juste valeur marchande de l'immeuble en copropriété, ce qui s'est traduit par une véritable perte non réalisée qu'elle était disposée à vendre aux contribuables canadiens. Je ne vois pas comment on peut considérer que cette perte n'est "pas réelle". Finalement, les moyens invoqués par le ministre au sujet de la doctrine du trompe-l'œil et des articles 67 et 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu sont mal fondés. À cet égard, je souscris au raisonnement suivi par le juge de la Cour de l'impôt.
DISPOSITIF
[105]Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens tant en appel que devant la Cour de l'impôt, d'annuler le jugement de première instance et de le remplacer par une ordonnance accueillant l'appel interjeté de la nouvelle cotisation établie par le ministre et de renvoyer l'affaire à ce dernier pour qu'il rende une nouvelle décision en partant du principe que les contribuables ont droit aux pertes de la société de personnes qu'ils réclament.
1 Ces affaires portent les numéros du greffe A-900-97 à A-904-97.
2 Télécopie de CMF Enterprises à Spire Investors en date du 28 mai 1987, dossier d'appel, à la p. 1324 (vol. 7, onglet 1).
3 Spîre Freezers Ltd. c. R., [1998] 2 C.T.C. 2764 (C.C.I.), à la p. 2773.
4 Au procès, l'intimée a fait entendre un expert, Me Richard Harting, un avocat fiscaliste américain qui possède 20 ans d'expérience et qui a travaillé à l'Internal Revenue Service et en cabinet privé. Le juge de la Cour de l'impôt a résumé de la manière suivante le témoignage de Me Harting aux p. 2776 et 2777 de ses motifs:
J'hésite toujours à retenir un témoignage lorsqu'il est question de la façon dont une opération est traitée dans un ressort étranger aux fins de l'impôt. J'ai uniquement tenu compte du témoignage de M. Harting afin de savoir comment les opérations ont été ou auraient dû être déclarées aux fins de l'impôt américain [. . .] Quoi qu'il en soit, M. Harting a témoigné qu'à son avis, aux fins de l'impôt américain, BDI avait traité le condominium de HCP non comme si elle l'avait acquis, mais comme s'il lui avait été attribué [. . .] À son avis, les Canadiens ont acheté des parts dans une société qui n'avait qu'un actif, soit les appartements Tremont; le condominium avait déjà été attribué à BDI. Les Canadiens n'ont jamais assumé un risque à titre de propriétaires du condominium de HCP et ils ne pouvaient pas bénéficier des avantages liés à la propriété, ni de l'accroissement de la valeur du condominium; les Canadiens n'ont jamais eu de parts dans le condominium. M. Harting a dit dans son exposé écrit que si, après la vente des parts qu'ils avaient dans la société, les Canadiens avaient manqué à leur parole et n'avaient pas vendu le condominium de HCP, BDI a) disposerait d'un recours en vue de l'exécution en nature ou de l'obtention de dommages-intérêts, et b) aurait exigé le paiement des billets et demandé des intérêts moratoires en cas de défaut de paiement. |
Cette décision est maintenant publiée à [1998] 2 C.T.C. 2764.
5 L'arrêt de notre Cour est publié à [1996] 3 C.F. 713 (C.A.).
6 Motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2787. Dans ce paragraphe, le juge de la Cour de l'impôt réaffirme deux fois sa conclusion que la relation qui existait entre les appelants ne répond pas au critère imposé par la loi auquel il faut satisfaire pour qu'une société de personnes soit créée. Dans les présents motifs, il est toutefois réaffirmé à plusieurs reprises que, pour être autorisés à déduire les pertes fiscales, les Canadiens devaient être des associés en ce qui concerne l'immeuble de HCP, ce que le juge de la Cour de l'impôt a lui aussi reconnu (voir, p. ex., les motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2783).
7 Motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2769. Sur ce point, les parties divergent légèrement d'opinion quant aux faits. Ainsi qu'il a déjà été signalé, l'appelante cite le projet Tremont comme preuve que cette opération a été conclue en vue de réaliser un profit. Elle reconnaît toutefois volontiers que l'opération a été conçue et réalisée dans le but d'obtenir des pertes fiscales.
8 Voir la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 96 et suiv. Il y a lieu de signaler que les art. 96(8) et 96(9) de cette Loi, qui ont été édictés en 1994 [L.C. 1994, ch. 21, art. 44], interdiraient à l'appelante de se prévaloir des pertes fiscales subies dans le cadre d'opérations comme les présentes, qui mettent en cause des sociétés de personnes étrangères.
9 Voir R. C. I'Anson Banks, Lindley & Banks on Partnership (17e éd., Londres: Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 73 [traduction] "Chaque entente doit être interprétée comme un tout: le simple fait que les parties se qualifient d'associés n'est pas concluant [. . .] En revanche, les parties peuvent convenir de partager les pertes et les profits tout en déclarant en même temps qu'elles ne sont pas des associés. C'est alors au tribunal qu'il reviendra de déterminer leur véritable statut. Bien qu'elle n'ait aucun effet lorsque tous les critères permettant de conclure à l'existence d'une société de personnes sont réunis, la dénégation de l'existence d'une société de personnes peut avoir une incidence sur l'interprétation des autres dispositions et, de ce fait, avoir pour effet de réfuter les inférences qu'on pourrait autrement en tirer si elle n'avait pas été formulée". La version presque identique de cet extrait que l'on trouvait dans la 16e éd. de l'ouvrage Lindley & Banks on Partnership a été citée et approuvée dans les décisions suivantes: Munroe v. Clarke and Lamplighter Beverage Room & Grill Limited, (1977), 23 N.S.R. (2d) 652 (C.S.); Hayes v. British Columbia Television Broadcasting Systems Ltd., [1991] B.C.J. No. 1048 (C.S.) (QL); conf. par [1993] 2 W.W.R. 749 (C.A.); demande d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême refusée à [1993] 2 R.C.S. viii. La version presque identique du même extrait qui figurait dans la 11e éd. [A Treatise on the Law of Partnership] a été citée et approuvée dans le jugement Sedgwick, Joseph v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.É. 337. Voir également infra, note 12.
10 S'il n'en était pas ainsi, c'est-à-dire si l'on pouvait acheter, vendre ou céder la relation juridique que suppose la constitution d'une société de personnes, on pourrait se retrouver devant la situation absurde où une société composée de plusieurs personnes vendrait sa "participation" à une seule personne. On se retrouverait alors avec une société de personnes juridiquement valide qui ne serait composée que d'une seule personne.
11 [1926] R.C.S. 328, à la p. 329.
12 Dans le guide Canada Tax Service, que les praticiens utilisent couramment, on affirme que l'existence d'une société de personnes est une question de fait. Voir H. Stikeman (éd.), Canada Tax Service (édition à feuilles mobiles) (Scarborough, Carswell) (Canada Tax Service), à la p. 96-136, où l'on cite l'arrêt Morden Rigg and Company and R. B. Eskrigge and Company v. Monks (1922), 8 T.C. 450 (K.B.), à la p. 464. De plus, il existe plusieurs autres décisions dans lesquelles les tribunaux affirment que l'existence d'une société est une question de fait: voir, p. ex., le jugement Balick v. Sussman, [1985] O.J. no 1109 (H.C.) (QL), au par. 25 [traduction] "Pour ce qui est du fond de cette question, il n'est pas contesté que l'existence d'une société de personnes est une question de fait."; voir également le jugement Roy v. Senator Hotels Ltd. , [1982] O.J. no 911 (H.C.) (QL), au par. 6 [traduction] "Le tribunal doit examiner la relation qui existe entre les parties et leurs rapports passés pour décider si la personne morale en question est en réalité une société de personnes. Il s'agit d'une question de fait à laquelle le tribunal doit répondre en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce". On ne trouve cependant pas dans ces décisions de raisonnement convaincant permettant de penser que l'existence d'une société de personnes est uniquement une question de fait. Il ressort plutôt de la jurisprudence majoritaire que l'existence d'une société de personnes est une question mixte de droit et de fait: voir, p. ex., le jugement Barnes v. Consolidated Motor Co. Ltd. et al. (1942), 57 B.C.R. 270 (C.S.) (le juge Sydney Smith) [à la p. 273] [traduction] "J'ai examiné la jurisprudence, mais elle n'est pas d'un grand secours. La question de l'existence ou de l'inexistence d'une société de personnes est une question mixte de droit et de fait. Chaque cas est un cas d'espèce et les modalités de l'entente qui a été conclue doivent être examinées comme un tout"; voir également les décisions Gallo v. Silverberg , [1976] O.J. no 1251 (H.C.) (QL), le juge Haines, au par. 24, [traduction] "Je crois comprendre, à la lecture de la jurisprudence que les avocats m'ont citée, que la société de personnes tire son existence d'un contrat, exprès ou tacite. Son existence est une question mixte de droit et de fait à laquelle il faut répondre en fonction de la volonté effective des parties, telle qu'elle ressort de l'ensemble des faits de l'affaire et notamment de la conduite des parties"; Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1981), 32 O.R. (2d) 197 (H.C.), le juge DuPont; Jolley v. F.C. of T. (1989) ATC 4197 (Cour féd. Australie), les juges Burchett et Lee, au par. 5, [traduction] "La question de savoir s'il existe une société de personnes est une question mixte de droit et de fait (Keith Spicer Ltd. v. Mansell (1970), 1 W.L.R. 333). Si le tribunal a mal compris les règles de droit des sociétés de personnes, il s'agit manifestement d'une question de droit. (Lombardo v. F.C. of T. 79 ATC 4542 à la p. 4544 [. . .] le juge en chef Bowen à la p. 576.)"; et Alvi et al. v. Lal (1990), 13 R.P.R. (2d) 302 (H.C. Ont.), le juge Then [à la p. 307] [traduction] "La question de savoir si un contrat de société de personnes a été conclu par les parties est une question mixte de droit et de fait".
13 Voir Canadian Tax Reporter, Vol. 3 (éd. à feuilles mobiles) (Toronto, CCH), au par. 12,107 (recouvrement) [traduction] "Certaines généralités concernant les sociétés de personnes sont également acceptées. Ainsi, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un écrit pour établir l'existence d'une société de personnes et le fait qu'une entreprise soit qualifiée de société de personnes [. . .] dans un contrat écrit n'est pas concluant en ce qui concerne la nature de cette entente". Voir également Canada Tax Service , supra, aux p. 96-136 à 96-139 (recouvrement) [traduction] "Comme l'existence d'une société de personnes est une question de fait, il s'ensuit que ni une affirmation, ni une dénégation de son existence n'a un effet déterminant sur la conclusion à tirer".
14 Canada Tax Service, supra, à la p. 96-139 [traduction] "L'existence d'un but lucratif est une condition essentielle, mais insuffisante, qui doit être remplie pour qu'il y ait société de personnes."
15 Lindley & Banks on Partnership, 17e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1995, aux p. 10 et 11.
16 [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 22 à 25 [p. 317 et 318]. (Continental Bank ).
17 Voir Continental Bank, supra, note 16.
18 Ibid., au par. 39 [p. 324].
19 Motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2787.
20 Voir, p. ex., Smith & Hogan Ltd., In re Estate of, [1932] R.C.S. 661, à la p. 673 [traduction] "J'estime toutefois que la signature de contrats de vente conditionnels est tout aussi compatible avec une intention d'exiger la fourniture d'une sûreté pour les automobiles en garantie du remboursement des avances consenties"si l'on exclut toute interprétation erronée quant aux conséquences juridiques que comporterait la fourniture d'une sûreté sous cette forme" qu'elle l'est avec une intention des appelants d'acheter les automobiles. Tout dépend de la volonté des parties et il s'agit en l'occurrence d'une question de fait au sujet de laquelle deux tribunaux ont conclu dans le même sens". Voir également les décisions Wildenburg Holdings Ltd. v. M.N.R. (1998), 98 DTC 6462 (Div. gén. Ont.) [à la p. 6465] [traduction] "Il est de jurisprudence constante que la réponse à la question de savoir si un bien déterminé utilisé pour les activités d'une société de personnes constitue ou non un bien ne dépend pas des modalités du titre de propriété. Il s'agit plutôt d'une question de fait qui est tributaire de la volonté des parties."; R.P.M. Tech Inc. v. Harvey & Co. (1993), 111 Nfld. & P.E.I.R. 12 (C.S.T-N.), le juge Wells, au par. 50 [traduction] "Il s'agit selon moi d'une question de fait qui porte sur l'intention des parties. Le tribunal doit tout faire en son pouvoir pour établir cette intention."; Milos Equipment Ltd. v. Insurance Corp. of Ireland (1988), 34 C.C.L.I. 102 (C.S.C.-B.); infirmé pour d'autres motifs à (1990), 47 B.C.L.R. (2d) 296 (C.A.) [traduction] "Comme la volonté des parties est essentiellement une question de fait, la jurisprudence a peu d'utilité lorsqu'il s'agit de répondre à ces questions" [à la p. 108 (C.C.L.I.)].
21 Lindley & Banks on Partnership (17e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 10.
22 ;R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, au par. 81 [p. 564 à 566]. Je tiens à souligner que la Cour suprême a réitéré ce principe dans un de ses arrêts les plus récents, l'arrêt Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201, au par. 57 [p. 239]. Dans l'arrêt Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, la Cour suprême a considéré comme une question de fait l'existence d'une société de personnes et a confirmé la décision que le juge de première instance avait rendue en ce sens et qui avait été infirmée de façon erronée par la Cour d'appel.
23 Voir, p. ex., l'extrait précité de Lindley & Banks on Partnership, supra, note 15.
24 Motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2788.
25 [1991] B.C.J. no 1048 (C.S.) (QL) [aux p. 9 et 10] voir également le jugement Marigold Holdings Ltd. and Riverview Place Apartment Ltd. v. Norem Construction Ltd., Pendergast (Barry) Architect Ltd. and Sovereign General Insurance Co. et al. (1988), 89 A.R. 81 (B.R.), à la p. 115 [traduction] "La Loi sur les sociétés de personnes n'exige pas que les associés se partagent les bénéfices de l'entreprise. La définition soustrait essentiellement les associations à but non lucratif du champ d'application de la Loi. La Loi exige seulement la poursuite d'un but lucratif ."
26 Contrat de cession et de prise en charge de participations dans la société de personnes en date du 30 novembre 1987, dossier d'appel, à la p. 693 (vol. 3, onglet 27). L'extrait pertinent est reproduit infra, à la note 32.
27 Motifs de la Cour de l'impôt, à la p. 2787.
28 Bien que cette proposition découle logiquement du fait que la société de personnes doit être fondée sur une rencontre de volontés, les tribunaux des pays du Commonwealth l'ont énoncée en termes explicites (voir Jolley v. F.C. of T. (1989), 89 ATC 4197 (Cour féd. Australie)) les juges Burchett et Lee, à la p. 4,206 [traduction] "L'établissement d'un accord et d'une intention réciproques constitue un élément essentiel de la preuve de l'existence d'une société de personnes. Ce facteur ne doit cependant pas être pris isolément et doit être évalué avec toutes les circonstances pertinentes, y compris la conduite des parties."
29 Dossier d'appel, vol. I-B, à la p. 36.
30 Continental Bank, supra, au par. 24 [p. 318].
31 À la p. 2772 de ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt tient à citer le témoignage de M. Gouveia suivant lequel l'appelante ne s'était jamais attendue à obtenir les risques ou les avantages du projet HCP et que l'appelante et les Américains n'avaient été copropriétaires de ce projet que pendant un bref instant, après quoi l'appelante avait prévu le transférer à BDI. Voici ce qu'il a écrit:
L'avocate de l'intimée a demandé à M. Gouveia si l'on avait songé au fait qu'en tant que propriétaires, Spire Freezers Limited et les autres Canadiens courraient les risques et bénéficieraient des avantages associés au condominium de HCP. M. Gouveia a répondu par la négative. En vertu de l'entente conclue avec HCP, les appelants étaient tenus de transférer la propriété du condominium de HCP à BDI. M. Gouveia a concédé qu'il était prévu que BDI cesserait d'être propriétaire bénéficiaire du condominium pendant une brève période seulement. |
32 Contrat de cession et de prise en charge de participations dans la société de personnes en date du 30 novembre 1987, dossier d'appel, à la p. 693 (vol. 3, onglet 27).
33 Continental Bank, supra, au par. 23 [p. 317 et 318].
34 Lettre de consultation adressée au professeur Richard Buxbaum le 14 février 1997, dossier d'appel, à la p. 1141.
35 Opinion du professeur Richard Buxbaum en date du 18 février 1997, dossier d'appel, à la p. 1128.
36 Dossier d'appel, vol. I-A, aux p. 84 et 85.
37 [1998] 2 R.C.S. 298.
38 [1996] 3 C.F. 713 (C.A.); inf. par [1998] 2 R.C.S. 298.
39 [1995] 2 C.T.C. 320 (C.A.); inf. par [1997] 2 R.C.S. 336.
40 Voir J. F. Avery Jones, "Nothing Either Good or Bad, But Thinking Makes It So"The Mental Element in Anti-Avoidance Legislation"I", [1983] Brit. Tax Rev. 9 et Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780 (C.A.).
41 R.C. I'Anson Banks (éd.), Lindley & Banks on Partnerships, 17e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1995, aux p. 10 et 11.
42 [1978] 1 R.C.S. 480.
43 À l'instar de la plupart des lois sur les sociétés de personnes des provinces et États de common law, la Loi sur les sociétés en nom collectif [L.R.O. 1990, ch. P.5, art. 2] de l'Ontario définit la société en nom collectif comme "la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice".
44 Backman, P. D. c. La Reine (1997), 97 DTC 1468 (C.C.I.).
45 Continental Bank, supra, note 5, au par. 24 [p. 731] (le juge Linden, J.C.A.).
46 Continental Bank, supra, note 37, au par. 45 [p. 326] (le juge Bastarache).
47 Lindley & Banks on Partnership, supra, note 9.
48 ;Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.
49 Ibid., à la p. 580.
50 Voir l'art. 96(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.) ch. 1 [édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 44].
51 Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3 (C.A.F.).
52 Voir l'arrêt Canada c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513 (C.A.).
53 Mirza v. R., [1998] 4 C.T.C. 2272 (C.C.I.).