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     IMM-4185-98

Oscar Francisco Anaya Espinoza, Maryel Anaya Serrano, Oscar Salvador Anaya Serrano, Luis Francisco Anaya Serrano (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Espinozac. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum" Toronto, 11 mars; Ottawa, 22 mars 1999.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Réfugiés au sens de la Convention Contrôle judiciaire d'une décision de la SSR selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la ConventionLe demandeur est citoyen du SalvadorIl a épousé une citoyenne du Mexique, où il vivait depuis 1981Trois enfants (les demandeurs mineurs) sont nés au MexiqueLa Commission a jugé que les enfants ont la double nationalitéElle a conclu que le demandeur et les enfants ne craignaient pas d'être persécutés au SalvadorL'art. 69(4) de la Loi sur l'immigration prévoit que la section du statut commet d'office une autre personne pour représenter les demandeurs qui n'ont pas dix-huit ans ou ne sont pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause1) Il impose l'obligation d'évaluer si la personne à commettre d'office comprend la nature de la procédure, notamment dans le cas d'un représentant commis d'office pour des enfants étant donné que l'issue de leur revendication peut dépendre de cette désignation d'officeLes demandeurs mineurs ont été privés d'une audition équitable parce que le fait de ne pas savoir ce que signifiait l'expressionreprésentant commis d'officeles empêchait de présenter une revendication pleine et entièreCette obligation existe même si les revendicateurs du statut de réfugié sont représentés par un avocat2) Étant donné la preuve documentaire sur laquelle s'est fondée la Commission, elle pouvait conclure que le demandeur et les enfants étaient des ressortissants du Salvador3) Il n'y avait pas lieu pour la Commission d'examiner la crainte prétendue de persécution d'une personne relativement à un autre pays où la Commission a déjà conclu que le demandeur n'a pas une crainte fondée de persécution dans un pays où le fait de retourner le demandeur ne crée pas de risque raisonnable de persécution.

Citoyenneté et Immigration Pratique en matière d'immigration L'obligation légale de la SSR de commettre d'office un représentant lorsque le revendicateur, qu'il ait ou non moins de dix-huit ans, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause, impose l'obligation d'évaluer si la personne à commettre d'office comprend la nature de la procédureIl en est notamment ainsi dans le cas où l'issue de la revendication d'un enfant peut dépendre de cette désignation d'officeComme cette obligation incombe à la SSR, il ne suffit pas que les revendicateurs soient représentés par un avocat.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Oscar Francisco Anaya Espinoza (le demandeur) est un citoyen du Salvador qui a épousé une citoyenne mexicaine en 1981. Ils ont trois enfants (les demandeurs mineurs) qui sont nés au Mexique. Lorsqu'ils sont arrivés au Canada en 1997, ils ont tous revendiqué le statut de réfugié en disant craindre d'être persécutés au Mexique. Le demandeur a également dit craindre d'être persécuté au Salvador. Après avoir examiné la Constitution de la République du Salvador, dont l'article 90 déclare: [traduction] "Sont Salvadoriens de naissance [. . .] (2e) Les enfants d'un père salvadorien ou d'une mère salvadorienne, nés à l'étranger", la SSR a conclu que les enfants étaient admissibles à la citoyenneté au Salvador. Par conséquent, elle a jugé qu'ils avaient une double nationalité au Mexique et au Salvador. En se fondant sur le fait que les enfants étaient des ressortissants du Salvador, la SSR a conclu que le demandeur n'avait produit aucun élément de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle lui-même et les demandeurs mineurs craignaient avec raison d'être persécutés au Salvador. Elle a conclu que l'épouse du demandeur craignait avec raison d'être persécutée au Mexique et a jugé que celle-ci était une réfugiée au sens de la Convention.

Le paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration prévoit que la section du statut commet d'office un représentant dans le cas où l'intéressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause. Le demandeur a soutenu que: 1) l'omission par la Commission de s'assurer qu'il comprenait les conséquences juridiques découlant du fait d'être le représentant commis d'office des enfants avant une telle désignation d'office portait atteinte aux principes de justice naturelle; 2) la Commission a commis une erreur en n'examinant pas si des obstacles pouvaient empêcher les enfants d'obtenir la citoyenneté; et 3) la Commission avait l'obligation d'examiner la revendication des demandeurs en ce qui concerne chacun de ces pays.

Les questions étaient de savoir si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a commis une erreur de droit: 1) en n'informant pas le demandeur principal de ce que signifiait et visait le fait d'être commis d'office représentant des demandeurs mineurs pour leur audience; 2) en décidant que les demandeurs mineurs étaient citoyens du Salvador et pouvaient retourner dans ce pays, sans examiner s'ils devraient effectuer des démarches pour obtenir la citoyenneté et si cette citoyenneté leur serait, en fait, accordée; et 3) en omettant de juger si le demandeur principal et les demandeurs mineurs craignaient avec raison d'être persécutés au Mexique.

Jugement: la demande doit être accueillie seulement en ce qui concerne les demandeurs mineurs.

1) Le paragraphe 69(4), qui exige que la section du statut de réfugié commette d'office un représentant lorsqu'une personne, qu'elle ait ou non moins de dix-huit ans, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause, impose à la Commission l'obligation d'évaluer si la personne à commettre d'office comprend la nature de la procédure. Il en est notamment ainsi dans le cas d'un représentant commis d'office pour des enfants étant donné que l'issue de leur revendication peut dépendre de cette désignation d'office. Le rôle d'un parent qui agit à titre de représentant commis d'office de ses enfants n'est pas celui d'un représentant légal. La Commission aurait dû savoir que les faits de cette affaire donnaient naissance à la possibilité que la revendication de l'un des parents soit rejetée, ce qui influerait sur l'issue de la revendication des enfants. Ces derniers, en vertu de leur représentant commis d'office, auraient dû être informés que leur revendication pouvait être visée par l'issue de la revendication de leur représentant commis d'office. Le fait de ne pas savoir ce que signifiait l'expression "représentant commis d'office" empêchait les enfants, en vertu de leur représentant commis d'office, de présenter une revendication pleine et entière. Donc, les demandeurs mineurs ont été privés d'une audition équitable. Même lorsque les personnes concernées sont représentées par un avocat, il incombe à la Commission, avant de commettre d'office un représentant, de s'assurer que celui-ci comprend ce qu'est un représentant ainsi que les conséquences qui découlent d'une telle désignation d'office.

2) Étant donné la preuve documentaire sur laquelle s'est fondée la Commission, elle pouvait conclure que le demandeur et les enfants étaient des ressortissants du Salvador.

3) L'obligation faite à la Commission d'examiner tous les pays où le demandeur craint d'être persécuté vise à s'assurer que les revendicateurs ne bénéficient pas de droits accordés par un pays étranger pendant que la protection du pays d'origine est encore disponible, afin de ne pas attribuer d'avantages supplémentaires. La Commission a conclu que le demandeur et les enfants ne craignaient pas avec raison d'être persécutés au Salvador. Ainsi, il n'y avait pas lieu pour la Commission d'évaluer si l'État salvadorien pouvait les protéger ou s'il existait une crainte raisonnable de persécution au Mexique ou si l'État mexicain pouvait les protéger. Il n'y a pas lieu pour la Commission d'examiner la crainte prétendue de persécution d'une personne relativement à un autre pays lorsque la Commission a déjà conclu, en se fondant sur la preuve portée à sa connaissance, que le demandeur n'a pas une crainte fondée de persécution dans un pays où le fait de retourner le demandeur ne crée pas de risque raisonnable de persécution. Une telle évaluation serait futile. Donc, la Commission n'a pas commis d'erreur en n'examinant pas la revendication du demandeur et des enfants en ce qui concerne le Mexique.

    lois et règlements

        Constitution de la République du Salvador, art. 90.

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69(4) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

        Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, r. 11.

    jurisprudence

        décision appliquée:

        Dawlatly et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 149 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.).

        distinction faite avec:

        Ganji et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 135 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.).

        décisions examinées:

        Kamtapersaud c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 70 F.T.R. 61 (C.F. 1re inst.); Zdanov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 81 F.T.R. 246 (C.F. 1re inst.); De Rojas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 117 ( 1re inst.) (QL); Quinteros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 102 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321.

        décision citée:

        Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Demande accueillie seulement en ce qui concerne les demandeurs mineurs.

    ont comparu:

    Adelso Mancia Carpio pour les demandeurs.

    Cheryl D. Mitchell pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier:

    Mancia & Mancia, Toronto, pour les demandeurs.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum:

INTRODUCTION

[1]Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a, le 4 juillet 1998, jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs sollicitent une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission et une ordonnance renvoyant l'affaire pour nouvel examen.

LES FAITS

[2]Le demandeur Oscar Francisco Anaya Espinoza (ci-après le demandeur) est un citoyen du Salvador qui a épousé une citoyenne mexicaine au Mexique en 1981. Ils ont trois enfants désignés ci-après comme étant les "demandeurs mineurs". Le demandeur est arrivé au Canada le 12 mars 1997, et son épouse et ses enfants sont arrivés le 5 avril 1997. Ils ont tous revendiqué le statut de réfugié après leur arrivée.

[3]Le demandeur a attesté par voie d'affidavit au début de l'audience qu'il craignait d'être persécuté au Salvador et au Mexique et que son épouse et ses enfants craignaient d'être persécutés au Mexique seulement. Dans sa décision, cependant, la Commission déclare que les demandeurs mineurs ont allégué craindre d'être persécutés tant au Salvador qu'au Mexique.

[4]Le demandeur s'est marié au Mexique et y résidait depuis 1981. Ils ont tous dit craindre d'être persécutés au Mexique en raison d'opinions politiques présumées. Le demandeur, qui est originaire du Salvador, a dit craindre également d'être persécuté au Salvador en raison de son appartenance à un certain groupe social, à savoir les Salvadoriens qui reviennent de l'étranger.

La décision de la section du statut de réfugié

[5]L'audience fut tenue par un tribunal composé d'un seul commissaire, et ce, du consentement des demandeurs. La Commission a conclu que le demandeur et ses enfants ne craignaient pas avec raison d'être persécutés au Salvador et a jugé qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Elle a conclu que l'épouse du demandeur craignait avec raison d'être persécutée au Mexique et a jugé que celle-ci était une réfugiée au sens de la Convention.

[6]La Commission a conclu que les enfants étaient nés au Mexique et possédaient des passeports mexicains, mais elle a conclu également que les enfants étaient admissibles à la citoyenneté au Salvador. Par conséquent, elle a jugé qu'ils avaient plus d'un pays de nationalité: le Mexique et le Salvador.

[7]En se fondant sur le fait que les enfants étaient des ressortissants du Salvador, la Commission a conclu que le demandeur n'avait produit aucun élément de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle lui-même et les enfants craignaient avec raison d'être persécutés au Salvador. Les allégations du demandeur selon lesquelles les Salvadoriens revenant de l'étranger en subissaient des conséquences n'étaient pas confirmées. La Commission a noté que le demandeur ne pouvait pas déclarer qui lui ferait du mal ou en ferait à sa famille s'ils retournaient chez eux. Leurs revendications ont donc été rejetées.

[8]Dans ses observations orales, l'avocat du demandeur a peu parlé ou même pas du tout du fait que la Commission avait commis une erreur en concluant que le demandeur et ses enfants ne risqueraient pas d'être persécutés au Salvador.

LES ARGUMENTS

Les arguments de demandeur

[9]Le demandeur présente trois arguments. Premièrement, il est allégué que la Commission a manqué aux principes de justice naturelle en ne s'assurant pas que le demandeur et son épouse comprenaient qu'ils pouvaient choisir lequel d'entre eux serait le représentant commis d'office des demandeurs mineurs et quelles conséquences juridiques pouvaient découler d'une telle désignation d'office. Sans connaître ces faits, le demandeur a consenti à être le représentant commis d'office des enfants, de telle sorte que ces derniers, qui déclaraient seulement craindre d'être persécutés au Mexique comme leur mère dont la revendication a été accueillie, ont été considérés comme n'étant pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils ne craignaient pas avec raison d'être persécutés au Salvador.

[10]Deuxièmement, l'avocat du demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs mineurs étaient des ressortissants du Salvador. Le tribunal a fondé sa conclusion sur des extraits de la Constitution salvadorienne, qui indique que les enfants avaient droit à la citoyenneté salvadorienne. La Commission n'a pas enquêté ou ne disposait d'aucun élément de preuve indiquant que les enfants pouvaient de fait obtenir la citoyenneté salvadorienne. Il est allégué que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas si des obstacles ou des mesures pouvaient empêcher les enfants d'obtenir la citoyenneté. La Commission a tiré une conclusion déraisonnable, et non étayée par la preuve, selon laquelle le pays de nationalité des enfants était le Salvador.

[11]Troisièmement, le demandeur soutient que la Commission n'a pas effectué d'analyse pour déterminer si lui-même et ses enfants craignaient avec raison d'être persécutés au Mexique, qui était l'un de leurs pays de nationalité. Compte tenu de la crainte que le demandeur ressentait d'être persécuté dans plus d'un pays de nationalité, la Commission avait l'obligation d'examiner leur revendication en ce qui concerne chacun de ces pays.

Les arguments du défendeur

[12]Le ministre défendeur soutient que la Commission n'a manqué à aucun principe de justice naturelle. Premièrement, le demandeur avait déjà signé les formulaires de renseignements personnels des enfants et s'était engagé à être leur représentant avant le début de l'audience. Deuxièmement, lorsque la Commission a demandé au demandeur s'il désirait être le représentant commis d'office de ses enfants, il aurait pu facilement s'informer de ce que voulait dire l'expression "représentant commis d'office". Troisièmement, comme le demandeur a accepté d'agir à titre de représentant commis d'office et qu'il n'a pas indiqué qu'il n'en comprenait pas le sens, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en permettant au demandeur d'assumer ce rôle, compte tenu notamment du fait que le demandeur était représenté par un avocat à l'audience.

[13]Le ministre soutient que la Commission avait le pouvoir de dégager des conclusions de fait, d'apprécier la preuve et de tirer des inférences raisonnables fondées sur la preuve documentaire. Dans le cas présent, la Commission pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs mineurs sont des ressortissants du Salvador compte tenu du fait que la [traduction] Constitution de la République du Salvador prévoit que les enfants sont Salvadoriens de naissance.

[14]Il est également allégué que la Commission n'a pas commis d'erreur en ne tenant pas compte que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés au Mexique. La Commission a examiné leur crainte subjective d'être persécutés au Salvador et s'est demandé si cette crainte subjective était liée objectivement à la définition. Vu que la crainte subjective n'était pas fondée sur la définition de réfugié au sens de la Convention, il n'y avait pas de risque raisonnable que les demandeurs soient persécutés s'ils retournaient au Salvador. Comme il n'existait pas de crainte raisonnable de persécution au Salvador, il n'y avait pas lieu d'évaluer la crainte que le demandeur pouvait ressentir d'être persécuté au Mexique.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]Les demandeurs soulèvent les questions suivantes:

a) La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit en n'informant pas le demandeur principal de ce que signifiait et visait le fait d'être commis d'office représentant des demandeurs mineurs pour leur audience?

b) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que les demandeurs mineurs étaient citoyens du Salvador et pouvaient retourner dans ce pays, sans examiner s'ils devraient effectuer des démarches pour obtenir la citoyenneté et si cette citoyenneté leur serait, en fait, accordée?

c) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de juger si le demandeur principal et les demandeurs mineurs craignaient avec raison d'être persécutés au Mexique?

ANALYSE

Le représentant commis d'office des demandeurs mineurs

[16]La désignation d'office de représentants pour des enfants mineurs aux audiences de la SSR se fait conformément au paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)], qui est libellé ainsi:

69. [. . .]

(4) La section du statut commet d'office un représentant dans le cas où l'intéressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas, selon elle, en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause. [C'est moi qui souligne.]

[17]De plus, les Règles de la section du statut de réfugié [DORS/93-45] prévoient ce qui suit en ce qui concerne les représentants commis d'office:

11. Dans le cas où le conseil de l'intéressé croit que ce dernier est âgé de moins de dix-huit ans ou n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause, il en avise par écrit sans délai la section du statut afin qu'elle décide si elle doit commettre d'office un représentant conformément au paragraphe 69(4) de la Loi.

[18]Le demandeur soutient qu'il ne comprenait pas ce que signifiait être le représentant commis d'office des enfants ni les conséquences juridiques pouvant en découler et que la Commission aurait dû s'assurer qu'il comprenait ce qui se passait, avant de le commettre d'office. Ainsi, il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

[19]Il n'est pas contesté que le demandeur n'a pas obtenu d'explications de la Commission ou, je crois, de l'avocat qui le représentait à l'époque au sujet de ce que signifiait être le représentant commis d'office de ses trois enfants mineurs et au sujet des conséquences qui pouvaient en découler.

[20]Il est bien établi que la portée de la justice naturelle et de l'équité variera selon les circonstances de chaque affaire: Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735. L'un des éléments de la justice naturelle exige que les personnes dont les droits peuvent être visés soient entendues avant qu'une action ou une décision soit prise ou prononcée contre elles.

[21]Voici deux affaires dans lesquelles a été étudiée la question du "représentant commis d'office": Quinteros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 102 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.) et Ganji et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 135 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.).

[22]Dans l'affaire Quinteros, précitée, la Cour fédérale a examiné si l'arbitre a commis une erreur en n'évaluant pas si la requérante mineure pouvait apprécier la nature de la procédure avant de désigner sa mère d'office comme sa représentante. Le juge McGillis a déclaré [aux pages 316 et 317]:

Dans l'arrêt Kamtapersaud c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 70 F.T.R. 61 (1re inst.), le juge Rouleau a examiné les art. 29(4), 30(1) et 33(2) [Voir note 2: (33(2) Avant de faire l'objet de la mesure, les membres de la famille doivent avoir eu la possibilité de se faire entendre au cours d'une enquête).] de la Loi, et il est arrivé à la conclusion qui suit:

    À mon avis, ces dispositions imposent ensemble à l'arbitre une obligation particulière à l'égard des mineurs de moins de dix-huit ans qui font l'objet d'une enquête ou qui risquent d'être inclus dans la mesure prise à l'issue de l'enquête.

    Tout d'abord, la loi ne permet pas à l'arbitre de simplement présumer que tous les mineurs sont incapables de comprendre la nature de la procédure. Au contraire, l'arbitre est tenu, aux termes de l'art. 29(4), d'enquêter sur cette question même pour apprécier s'ils en sont capables. Il est manifeste que l'âge du mineur est un facteur important dans cette appréciation. Il n'y a pas de doute que des enfants en très bas âge sont incapables de comprendre la nature de la procédure.

    Cependant, si la personne mineure est assez âgée pour comprendre la nature de la procédure et pour présenter des observations constructives concernant ses propres intérêts, il ne suffit pas, à mon avis, pour respecter son droit prévu de l'art. 30(1) d'être représentée par un avocat et son droit prévu à l'art. 33(2) de présenter des observations au cours d'une enquête, de désigner son père, sa mère, son tuteur ou curateur pour la représenter. Même si cette désignation peut, dans certains cas, satisfaire à ces exigences légales, l'obligation d'équité qui incombe à l'arbitre appliquant les dispositions pertinentes de la Loi exige qu'il mène toute enquête nécessaire pour s'assurer que ces exigences sont respectées.

Ceci étant dit avec tous les égards possibles, je suis arrivée à une conclusion différente quant à l'interprétation à donner à l'art. 29(4) de la Loi. À mon sens, ce paragraphe crée deux catégories distinctes de personnes qui peuvent être représentées par un parent ou un tuteur à l'occasion d'une enquête: toute personne âgée de moins de 18 ans et toute personne qui, de l'avis de l'arbitre qui préside l'enquête, est incapable de comprendre la nature de la procédure. Il n'y a rien dans le libellé de l'art. 29(4) de la Loi qui oblige l'arbitre à décider si une personne âgée de moins de 18 ans est incapable de comprendre la nature de la procédure. Je suis donc convaincue que l'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit en omettant de juger si la requérante n'était pas apte à saisir la nature de la procédure avant de nommer sa mère comme sa représentante à l'enquête sur le minimum de fondement.

[23]Dans l'affaire Ganji, précitée, le juge Gibson a examiné, entre autres, si la SSR a manqué aux principes de justice naturelle en ne consultant pas le représentant commis d'office de la requérante avant d'ordonner à cette jeune fille de 15 ans de témoigner. Le juge Gibson a cité, en l'approuvant, la décision Kamtapersaud [Kamtapersaud c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 70 F.T.R. 61 (C.F. 1re inst.)], et a dit [aux pages 287 et 288]:

Dans l'affaire Kamtapersaud c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, M. le juge Rouleau paraît avoir défini le rôle d'un représentant désigné comme étant celui de protéger les intérêts de la personne qu'il représente, en l'occurrence, de Sara et de Sohel. Les directives que le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a publiées en matière de revendications du statut de réfugié par des mineurs après la tenue de l'audition dans la présente affaire mais avant la date de la décision, vont plus loin d'une manière qui me paraît être très sensée. La requérante principale a tenté d'assumer ses responsabilités. L'avocat ne lui a offert aucun soutien.

Dans l'arrêt Sivaguru c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [voir note 3], M. le juge Stone s'est exprimé dans les termes suivants:

    En toute déférence, selon mon interprétation de la Loi, un membre de la Commission ne peut pas se mettre en quête d'éléments de preuve comme il a été le cas en l'espèce. Assurément, ce moyen de procéder allait nécessairement corrompre la fonction de la Commission, chargée d'agir à titre de tribunal impartial et ce, même si [le membre de la Commission en question] semblait mû par une préoccupation légitime [. . .].

Dans l'affaire Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [voir note 4], M. le juge Nadon a écrit ceci:

    Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution. Le requérant doit donc se présenter à une audience muni de tous les éléments de preuve qu'il est en mesure d'offrir et qu'il juge nécessaires aux fins d'établir sa revendication.

    Il s'ensuit que la section du statut de réfugié ne devrait pas intervenir lorsque le requérant tente d'établir le bien-fondé de ses arguments, sauf lorsqu'il est nécessaire de préciser certains faits essentiels pour bien les comprendre.

Je suis convaincu que, dans la présente affaire, la SSR a manqué aux principes qui sont énoncés dans les deux citations qui précèdent. En l'espèce, la SSR a pris en main la direction du dossier des requérants, elle a ordonné à Sara, qui n'était pas préparée, de témoigner, et elle a elle-même mené l'interrogatoire. Tout cela a été fait au désarroi évident de la requérante principale et sans lui donner la possibilité de témoigner en premier.

    [. . .]

La requérante principale, en qualité de représentante nouvellement désignée de ses enfants, avait le devoir d'agir dans leur intérêt. Elle avait droit au soutien de son avocat mais, en l'absence de ce soutien, elle a cherché à agir directement. Elle a essuyé des rebuffades. Il devait être évident pour les membres de la SSR que la manière de procéder qu'ils avaient adoptée avait complètement dépouillé les requérants de la direction de leur dossier, sans aucun préavis et sans aucun soutien de leur avocat. Je conclus que la SSR avait, dans les circonstances, l'obligation, conformément à son devoir d'agir équitablement, de faire en sorte que les requérants aient la possibilité de rencontrer leur avocat et de reprendre la direction de leur dossier. En l'absence d'une preuve que la SSR a tenté d'offrir cette possibilité, je conclus qu'elle a manqué à son devoir, envers les requérants, de tenir une audition équitable, et qu'elle a par conséquent commis une erreur susceptible de contrôle.

[24]En l'espèce, les circonstances sont manifestement très différentes. Le demandeur soutient simplement qu'il aurait dû être informé de ce que signifiait être commis d'office représentant des enfants. Cependant, j'estime que la Commission a commis une erreur en réglant une question qui entraînait des conséquences juridiques graves pour le demandeur qui n'était pas au courant des aspects procéduraux de la représentation de ses enfants dans le cadre d'une revendication du statut de réfugié.

[25]À mon avis, le paragraphe 69(4), qui exige que la section du statut de réfugié commette d'office un représentant lorsqu'une personne, qu'elle ait ou non moins de dix-huit ans, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause, impose à la Commission l'obligation d'évaluer si la personne à commettre d'office comprend la nature de la procédure. À mon avis, il en est notamment ainsi dans le cas d'un représentant commis d'office pour des enfants étant donné que l'issue de leur revendication peut dépendre de cette désignation d'office. De la même manière, le juge Rouleau a déclaré dans l'affaire Kamtapersaud, précitée, bien que ce soit relativement à une disposition différente, qu'un arbitre a une obligation envers des mineurs qui font l'objet d'une enquête ou sont visés par l'issue de celle-ci dans la mesure où ils peuvent être inclus dans l'ordonnance en résultant.

[26]Le rôle d'un parent qui agit à titre de représentant commis d'office de ses enfants n'est pas celui d'un représentant légal. La Commission savait ou aurait dû savoir que les faits particuliers de l'affaire auraient pu donner naissance à la possibilité que la revendication de l'un des parents soit rejetée, ce qui influerait sur l'issue de la revendication des enfants. Ces derniers, en vertu de leur représentant commis d'office, auraient dû être informés que leur revendication pouvait être visée par l'issue de la revendication de leur représentant commis d'office.

[27]À mon avis, le fait de ne pas savoir ce que signifiait l'expression "représentant commis d'office" empêchait les enfants, en vertu de leur représentant commis d'office, de présenter une revendication pleine et entière. Donc, j'en suis convaincu, les trois enfants, mais non pas le demandeur, Oscar Francisco Anaya Espinoza, ont été privés d'une audition équitable.

[28]L'avocate du ministre allègue que le demandeur avait accepté, avant l'audience, de représenter les enfants en signant leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP) et qu'il était représenté par un conseiller juridique lors de l'audience.

[29]Il ne suffit pas que les personnes puissent être représentées par un avocat. Le paragraphe 69(4) mentionne clairement que c'est la Commission qui doit commettre d'office un représentant pour les enfants, et elle aurait dû exposer la question à l'avocat du demandeur, dont on aurait pu s'attendre à ce qu'il soit au courant des questions juridiques qui pouvaient découler d'une telle désignation d'office et qui, à son tour, aurait informé ses clients pour qu'ils puissent bénéficier d'une audition équitable. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il incombe à la Commission, avant de commettre d'office un représentant, de s'assurer que celui-ci comprend ce qu'est un représentant ainsi que les conséquences qui découlent de la désignation d'office faite par la Commission.

La nationalité des demandeurs mineurs

[30]La Commission a conclu que le Salvador et le Mexique étaient tous deux les pays de nationalité du demandeur et des demandeurs mineurs. À l'appui de sa conclusion, la Commission a pris en considération la preuve documentaire qui indique que ceux qui sont nés au Mexique sont, indépendamment de la nationalité de leurs parents, de nationalité mexicaine. Les enfants sont bien nés au Mexique, et la Commission a reconnu ce pays comme l'une de leurs nationalités. La Commission a ensuite pris en considération le fait que la preuve documentaire indiquait également que les revendicateurs mineurs étaient aussi éligibles à la citoyenneté salvadorienne puisque leur père était un ressortissant du Salvador et que les Salvadoriens ont le droit de posséder deux nationalités ou plus. La Commission s'est fondée sur la Constitution de la République du Salvador, qui déclare [à l'article 90]: [traduction] "Sont Salvadoriens de naissance [. . .] (2e ) Les enfants d'un père salvadorien ou d'une mère salvadorienne, nés à l'étranger."

[31]Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant d'enquêter et d'évaluer si des obstacles ou des mesures pouvaient empêcher les enfants d'obtenir la citoyenneté salvadorienne.

[32]Des questions similaires ont été examinées dans les affaires Zdanov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 81 F.T.R. 246 (C.F. 1re inst.) et De Rojas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 117 (1re inst.) (QL).

[33]Dans l'affaire Zdanov, précitée, la Cour fédérale a confirmé la décision de la Commission selon laquelle le demandeur avait un droit de naissance en Russie et que la Russie était son pays de nationalité même s'il avait vécu toute sa vie en Estonie. Le juge Rouleau a dit [aux pages 249 et 250]:

La décision de la Commission reposait sur le fait qu'elle n'était pas convaincue que le requérant avait des motifs valables de craindre d'être persécuté en Russie, le pays dont il a la nationalité. L'avocat du requérant ne conteste pas le fait que, pour pouvoir posséder les qualités requises pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, le requérant doit établir le bien-fondé de sa revendication relativement à tous les pays dont il a la nationalité. Il prétend toutefois que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il a la nationalité russe. Il a souligné que, malgré le fait qu'il soit né en Russie, le requérant a passé toute sa vie en Estonie et qu'il n'a ni famille, ni amis, ni autres liens en Russie. Il soutient que la Loi sur la citoyenneté de la R.S.F.S.R. est une loi confuse et ambiguë qui n'a été adoptée que récemment et qu'on ne sait pas avec certitude comment elle sera appliquée. Il ajoute que le droit de revendiquer une seconde nationalité ne doit pas être assimilé à la double nationalité. Le requérant a lui-même témoigné sous serment qu'il était convaincu qu'il ne pourrait pas obtenir la citoyenneté russe, et son avocat a essayé d'expliquer les difficultés qu'il y avait à déchiffrer la loi russe sur la citoyenneté. On m'a cité l'article 89 du Guide du HCNUR, qui dispose:

    89. Par conséquent, lorsqu'un demandeur prétend craindre des persécutions dans le pays dont il a la nationalité, il convient d'établir qu'il possède effectivement la nationalité de ce pays. Il peut cependant y avoir des doutes sur le point de savoir si une personne a une nationalité. Elle peut ne pas être elle-même en mesure de le dire avec certitude ou prétendre à tort qu'elle a telle ou telle nationalité ou qu'elle est apatride. Lorsque la nationalité de l'intéressé ne peut être clairement établie, sa demande de reconnaissance du statut de réfugié doit être traitée de la même manière que dans le cas d'un apatride, c'est-à-dire qu'au lieu du pays dont il a la nationalité, c'est le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle qui doit être prise en considération.

En résumé, l'avocat prétend que la nationalité russe du requérant n'a pas été "clairement établie" et que, par conséquent, la Commission aurait dû évaluer sa revendication en tenant uniquement compte de l'Estonie, son pays de résidence habituelle.

Pour commencer, je ne suis pas convaincu que la Loi sur la Citoyenneté russe soit une loi confuse et ambiguë. L'alinéa 12(1)b) porte:

    [traduction]

    Article 12. Moyens et procédure d'acquisition de la citoyenneté de la RSFSR

        1. La citoyenneté de la RSFSR s'acquiert

            b) par droit de naissance;

L'article 13 dispose:

    [traduction]

        Article 13. Acceptation de la citoyenneté de la RSFSR

    1. Tous les citoyens de l'ex-U.R.S.S. qui sont domiciliés en RSFSR le jour de l'entrée en vigueur de la présente loi sont considérés être des citoyens de la RSFSR s'il ne soumettent pas une demande pour renoncer à leur citoyenneté de la RSFSR dans l'année qui suit cette date.

Je suis convaincu que la Commission a correctement interprété ces dispositions et qu'elle en est venue à la bonne conclusion, à savoir que le requérant est un ressortissant russe.

[34]De même, dans l'affaire De Rojas, précitée, le juge Gibson s'est demandé si la Commission avait commis une erreur en concluant que la requérante qui était née en Colombie, mais avait vécu presque toute sa vie au Venezuela, demeurait citoyenne de la Colombie et ne craignait pas avec raison d'être persécutée en Colombie. Le juge Gibson a cité, en l'approuvant, l'affaire Zdanov, précitée, et a déclaré [aux paragraphes 2 et 3]:

La requérante, citoyenne du Venezuela, est née en Colombie (comme sa mère). Depuis son arrivée au Venezuela, alors qu'elle était très jeune, jusqu'à la survenance des événements ayant donné lieu à sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention, la requérante a toujours été résidente de ce pays.

Le Tribunal a jugé que la requérante avait une crainte bien fondée d'être persécutée si elle était renvoyée au Venezuela. Le Tribunal a également jugé que la requérante avait perdu sa citoyenneté colombienne en devenant citoyenne du Venezuela, mais qu'elle avait le droit de recouvrer celle-ci [traduction] "[. . .] en satisfaisant à des exigences qui ne sont que de simples formalités". D'après la preuve présentée au Tribunal, je suis convaincu que celui-ci était raisonnablement fondé à tirer cette conclusion. Le Tribunal a conclu que la requérante ne courrait pas de risque grave d'être persécutée si elle était envoyée en Colombie.

[35]Compte tenu de la similitude entre les affaires étudiées ci-dessus et la présente affaire, je ne peux pas conclure que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur et les enfants étaient des ressortissants du Salvador. Étant donné la preuve documentaire sur laquelle s'est fondée la Commission, elle pouvait tirer une telle conclusion.

La crainte d'être persécuté au Mexique

[36]Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas sa revendication et celle des enfants en ce qui concerne le Mexique. Le demandeur invoque l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, selon lequel, lorsqu'une personne demande le statut de réfugié relativement à plus d'un pays, la Commission a l'obligation de l'examiner relativement à chacun des pays.

[37]Cette déclaration doit être nuancée. Dans l'arrêt Ward, précité, la Cour suprême a jugé que la Commission a commis une erreur en n'étudiant pas la véritable question. Après avoir décidé que la vie de Ward pourrait être en danger s'il retournait en Irlande ou en Grande-Bretagne, ce qui n'était pas contesté, la Commission aurait dû examiner si l'Irlande et la Grande-Bretagne pouvaient protéger Ward contre ce danger.

[38]À mon avis, l'avocat du demandeur a interprété de façon erronée le sens de la remarque faite par la Cour suprême dans l'arrêt Ward, précité. Voici le passage pertinent [aux pages 752 et 753]:

Le droit de réclamer le statut de résident permanent n'est que l'une de plusieurs conséquences de la qualification d'un demandeur comme étant un réfugié au sens de la Convention. Le réfugié au sens de la Convention bénéficie également du droit de demeurer au Canada (par. 4(2.1)), du droit de ne pas être renvoyé dans le pays où il craint avec raison d'être persécuté (par. 53(1)) et du droit de travailler pendant qu'il est au Canada (par. 19(4)j) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172). Aucune de ces dispositions n'exige de garantir que le demandeur a épuisé les possibilités de protection dans chaque pays dont il a la nationalité. L'évaluation que l'on fait de la crainte du demandeur dans chaque pays dont il a la citoyenneté, au stade de la détermination du statut de "réfugié au sens de la Convention" et avant de lui conférer ces droits, est conforme aux principes qui sous-tendent la protection internationale des réfugiés. Autrement, le demandeur bénéficierait de droits conférés par un État étranger alors que l'État d'origine peut encore le protéger. La mention d'autres pays dont il a la nationalité, figurant à l'al. 46.04(1)c ), est probablement destinée à vérifier une seconde fois si le réfugié n'a pas accès à la protection nationale, en cas de changements de circonstances ou de nouvelles révélations, avant que le statut important de résident permanent ne soit accordé.

Comme je l'ai déjà laissé entendre, et comme l'a concédé l'avocat de l'appelant, la Commission a jugé à tort qu'elle ne pouvait pas conclure à la double citoyenneté en raison de l'insuffisance de la preuve sur ce point. La Commission fait cependant remarquer, à la p. 55, que si elle

    était arrivée à la conclusion que le demandeur était également un ressortissant du Royaume-Uni, elle aurait jugé que sa vie serait menacée par la INLA s'il était renvoyé au Royaume-Uni.

Toutefois, cette conclusion est insuffisante aux fins de la décision que doit rendre la Commission. Elle ne porte pas sur la véritable question litigieuse. Personne ne conteste que la vie de Ward sera en danger s'il retourne en Irlande ou en Grande-Bretagne; il s'agit plutôt de savoir si Ward peut être protégé contre ce danger. La Commission n'a jamais tiré de conclusion de fait au sujet de la véritable question litigieuse"la capacité des Britanniques de protéger Ward.

[39]L'obligation faite à la Commission d'examiner tous les pays où le demandeur craint d'être persécuté vise à s'assurer que les revendicateurs ne bénéficient pas de droits accordés par un pays étranger pendant que la protection du pays d'origine est encore disponible, afin de ne pas attribuer d'avantages supplémentaires.

[40]En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur et les enfants ne craignaient pas avec raison d'être persécutés au Salvador. Ainsi, il n'y avait pas lieu pour la Commission d'évaluer si l'État salvadorien pouvait les protéger ou s'il existait une crainte raisonnable de persécution au Mexique ou si l'État mexicain pouvait les protéger.

[41]Le ministre défendeur invoque la décision Dawlatly et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 149 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.), selon laquelle la Commission n'est pas tenue d'effectuer une analyse qui n'est pas nécessaire. Le ministre soutient également que, comme il n'y avait pas de crainte fondée de persécution au Salvador, il n'y avait pas lieu d'évaluer la situation au Mexique. Seule l'existence d'une crainte fondée de persécution au Salvador obligerait la Commission à évaluer les revendications relativement au Mexique.

[42]Dans la décision Dawlatly, précitée, Mme le juge Tremblay-Lamer déclare [aux pages 312 et 313]:

En ce qui concerne la prétention des demandeurs selon laquelle ils risquaient d'être persécutés en Grèce, leur avocat a soutenu que la Commission avait commis une erreur lorsqu'elle avait omis d'apprécier cette prétention en elle-même. L'avocat s'est fondé sur l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward [. . .], selon lequel il incombe à la Commission d'entendre et d'apprécier toutes les prétentions du revendicateur. En conséquence, il incombait à la Commission en l'espèce d'examiner la prétention des membres de la famille selon laquelle ils risquaient d'être persécutés au Soudan, particulièrement compte tenu du fait qu'elle avait conclu que la crainte du demandeur principal d'y être persécuté était fondée.

À l'audition, j'ai fait une remarque similaire, car j'estimais que les conséquences de la décision de la Commission étaient graves. En effet, la décision pourrait entraîner le démembrement de la famille, la demanderesse et ses enfants devant rentrer en Grèce et le demandeur devant rester au Canada.

L'avocate du défendeur a soutenu que la Commission n'avait commis aucune erreur et qu'elle n'était pas tenue d'examiner la prétention des membres de la famille selon laquelle ils risquaient d'être persécutés au Soudan, étant donné qu'elle avait déjà conclu que la demanderesse et les enfants n'avaient aucune crainte d'être persécutés dans leur pays de citoyenneté. Après avoir réfléchi à la question, j'en suis venue à souscrire au point de vue du défendeur.

Selon le principe établi dans l'arrêt Ward, le demandeur d'asile doit établir qu'il craint avec raison d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la nationalité avant de pouvoir obtenir le statut de réfugié au Canada. Le raisonnement qui sous-tend ce principe est que si le demandeur d'asile peut se réclamer de la protection de son pays de nationalité, il n'a pas le droit de se réclamer de celle d'un autre État. Comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Ward:

    En examinant la revendication d'un réfugié qui bénéficie de la nationalité de plus d'un pays, la Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité. [. . .] [L]a protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure "auxiliaire" qui n'entre en jeu qu'en l'absence d'appui national. Lorsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur.

Il s'ensuit que lorsque la Commission a déterminé que le revendicateur ne serait pas persécuté dans l'un ou l'autre des pays dont il a la nationalité, elle n'est pas tenue d'examiner les autres prétentions de ce dernier. En conséquence, compte tenu de l'arrêt Ward, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en l'espèce.

Cependant, je fais remarquer que cet arrêt n'envisage pas la situation difficile qui se pose lorsque le revendicateur appartient également à la catégorie de la famille. Comme je l'ai déjà dit, les conséquences du refus d'accorder le statut de réfugié aux personnes à charge du demandeur principal semblent graves à première vue. Toutefois, selon la jurisprudence, la définition de réfugié au sens de la Convention ne fait intervenir aucune notion d'unité de la famille [voir note 4] (Le juge Nadon a dit, dans la décision Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190 (1re inst.), aux p. 199 et 201: "Le principe de l'unité de la famille veut que les personnes auxquelles est accordé le statut de réfugié ne soient pas séparées des membres les plus proches de leur famille, particulièrement lorsque des personnes à charge sont visées. Ce principe concerne donc l'union des membres d'une famille [. . .] La notion de l'unité de la famille est absente de la définition de réfugié au sens de la Convention à laquelle le Canada souscrit en tant que signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (adoptée à Genève le 28 juillet 1951), [1969] R.T. Can. 1969, no 6 [. . .] Il est bien évident que le principe de l'unité de la famille n'est pas mentionné dans la définition actuelle de réfugié au sens de la Convention. Afin d'appliquer ce principe en l'espèce, je devrais donc élargir cette définition, mais rien ne le justifierait".) Notre Cour ayant choisi d'interpréter la définition de façon restrictive. [C'est moi qui souligne.]

[43]Je conclus, comme Mme le juge Tremblay-Lamer, qu'il n'y a pas lieu pour la Commission d'examiner la crainte prétendue de persécution d'une personne relativement à un autre pays lorsque la Commission a déjà conclu, en se fondant sur la preuve portée à sa connaissance, que le demandeur n'a pas une crainte fondée de persécution dans un pays où le fait de retourner le demandeur ne crée pas de risque raisonnable de persécution. Une telle évaluation serait futile. Donc, la Commission n'a pas commis d'erreur en n'examinant pas la revendication du demandeur et des enfants en ce qui concerne le Mexique.

CONCLUSION

[44]J'accueille la demande de contrôle judiciaire en ce qui concerne les demandeurs Maryel Anaya Serrano, Oscar Salvador Anaya Serrano et Luis Francisco Anaya Serrano pour le motif que la Commission a commis une erreur en désignant le demandeur représentant d'office des enfants sans examiner si le demandeur ou les enfants comprenaient ce que signifiait sur le plan juridique une telle désignation quant à l'issue de la revendication du statut de réfugié des enfants.

[45]Le fait de ne pas savoir ce que signifiait l'expression "représentant commis d'office" empêchait les enfants, en vertu de leur représentant commis d'office, de réfuter pleinement la preuve présentée contre eux et de présenter leur revendication du mieux qu'ils pourraient. Ce qui les prive d'une audition équitable.

[46]Je rejette la demande de contrôle judiciaire dans la mesure où elle concerne le demandeur, Oscar Francisco Anaya Espinoza.

[47]En ce qui concerne les enfants, l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition devant un tribunal autrement constitué, lequel devra, conformément au paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration, commettre un représentant d'office, si besoin est, pour l'ensemble ou certains des enfants et s'assurer que le représentant commis d'office ainsi que les enfants, si possible, comprennent le sens du processus.

QUESTION À CERTIFIER

[48]Conformément au paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73], il peut être interjeté appel d'une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale relativement à une demande de contrôle judiciaire si le juge de la Section de première instance certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

[49]L'avocat des demandeurs demande que la question suivante soit certifiée:

La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est-elle tenue, avant de traiter une revendication du statut de réfugié, de s'assurer que, conformément au paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration, le représentant commis d'office et tout demandeur mineur intéressé, ou une personne qui, de l'avis de la Section, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, comprennent pleinement ce que signifie le fait d'être ou d'avoir un représentant commis d'office ainsi que les conséquences qui pourraient en découler?

[50]L'avocate du défendeur s'oppose à la certification pour le motif que la question ne soulève pas de question de portée générale.

[51]Le défendeur n'a pas déposé de question à des fins de certification.

[52]Puisque j'ai conclu que la Commission est effectivement tenue d'expliquer au représentant commis d'office ce que signifie être représentant commis d'office et les conséquences juridiques qui en découlent, je ne vois pas la nécessité de certifier la question susmentionnée.

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