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[1997] 1 C.F. 260

IMM-2008-95

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (requérant)

c.

Josef Nemsila (intimé)

et

Le Congrès juif canadien, Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies, la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, la Coalition des Synagogues concernant le droit relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité y compris ceux de l’Holocauste et Kenneth M. Narvey (intervenants)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nemsila (1re inst.)

Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 31 janvier et 1er février; Ottawa, 23 août 1996.

Citoyenneté et ImmigrationExclusion et renvoiPersonnes non admissiblesL’intimé est résident du Canada depuis 1950 mais il n’est pas citoyen canadienDes rapports préparés sous le régime de l’art. 27 de la Loi sur l’immigration indiquent que l’intimé, déclaré coupable en Tchécoslovaquie en tant que collaborateur des forces allemandes et responsable de l’exécution de civils pendant la Seconde Guerre mondiale, est entré au Canada en ayant donné de fausses indications sur des faits importantsL’intimé a-t-il été « admis légalement » au Canada au sens de l’art. 2(e) de la Loi sur l’immigration?Un immigrant qui a obtenu la permission d’entrer au Canada par des moyens frauduleux ou trompeurs ne peut être considéré comme ayant été admis « légalement » — Toutes les exigences de la loi en vigueur au moment de l’entrée de l’immigrant au Canada doivent être respectéesL’expression « est entrée » figurant à l’art. 19(1)e)(viii) n’est pas synonyme des termes « admission » ou « réception » — La protection prévue par la loi contre le renvoi est limitée aux citoyens canadiens, aux personnes domiciliées « admises légalement » — L’arbitre a commis une erreur de droit en affirmant que l’intimé ne pouvait faire l’objet d’une mesure d’expulsion.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 2 « débarquer », « débarqué » ou « débarquant ».

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1)e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), (2)g) (mod., idem), (3) (mod., idem), 123.

Loi sur l’immigration, S.C. 1952, ch. 42, art. 2 « domicile canadien », 3, 4, 19.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

The King v. Jawala Singh (1938), 53 B.C.R. 179; [1938] 4 D.L.R. 381; 3 W.W.R. 241; 71 C.C.C. 96 (C.A.); Michelidakis vs Rejimbald (1917), 23 R. de Jur. 375 (C.S. Qué.); Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267; 15 Imm. L.R. (2d) 40 (C.F. 1re inst.); Luitjens c. Canada (Secrétaire d’État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149; 142 N.R. 173 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1992] 2 R.C.S. viii.

DOCTRINE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Markham, Ont. : Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre ayant conclu que l’intimé, qui serait entré au Canada en donnant de fausses indications sur des faits importants, a obtenu le droit d’établissement au Canada, a acquis un domicile canadien conformément aux dispositions de la Loi sur l’immigration et ne pouvait en conséquence faire l’objet d’une mesure d’expulsion. Demande accueillie.

AVOCATS :

C.A. Amerasinghe, c.r., Donald A. MacIntosh et Bonnie J. Boucher pour le requérant.

Barbara L. Jackman et Ronald P. Poulton pour l’intimé.

Ed M. Morgan pour le Congrès juif canadien, intervenant.

John B. Laskin pour Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies, intervenant.

David Matas pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, intervenante.

A COMPARU :

Kenneth M. Narvey pour son propre compte et pour le compte de la Coalition des Synagogues.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Jackman & Associates, Toronto, pour l’intimé.

Davies, Ward & Beck, Toronto, pour le Congrès juif canadien, intervenant.

Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto, pour Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies, intervenant.

David Matas, Winnipeg, pour la Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, intervenante.

Intervenant pour son propre compte et pour le compte de la Coalition des Synagogues : Kenneth M. Narvey, Toronto.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge en chef adjoint Jerome : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 juillet 1995 par un arbitre de l’immigration, J. E. McNamara.

LES FAITS

L’intimé est né le 14 mars 1913, en Tchécoslovaquie. Il a émigré au Canada le 25 juillet 1950 et réside ici depuis, bien qu’il ne soit pas devenu citoyen canadien. Les 5 et 6 avril 1995, deux rapports ont été préparés sous le régime des alinéas 27(2)g) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] et 27(1)e) [mod., idem] de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], dans lesquels on allègue que M. Nemsila est entré au Canada en donnant une fausse indication sur un fait important. Ces deux rapports reposent sur des allégations selon lesquelles l’intimé :

[traduction] — a obtenu le droit d’établissement (landing)* le 25 juillet 1950, à Halifax;

— faisait partie des Gardes Hlinka de 1939 à 1945 et a été commandant de compagnie d’une unité en état d’alerte des Gardes Hlinka (POHG), organisation qui a collaboré avec les forces d’occupation allemande en Slovaquie dans les années 1944-1945;

—— est l’un des auteurs et est responsable de l’arrestation, de la détention, de l’interrogatoire et de l’exécution de civils au cours de l’automne et de l’hiver 1944-1945, dans la région de Banska Bystrica, en Slovaquie, et dans les environs des villages de Krupina et Krmenicka, en Slovaquie;

— a été déclaré coupable le 4 décembre 1947, en Tchécoslovaquie d’avoir contribué à persécuter des personnes qui ont participé à l’insurrection (slovaque nationale, en 1944) et qui se sont battues dans la résistance, ainsi que d’avoir aidé, de façon générale, les autorités et les forces d’occupation (allemandes), crime pour lequel il a été condamné à deux ans d’emprisonnement et à trois ans dans un camp de travail spécial;

— a purgé ces deux ans d’emprisonnement pour ce crime, mais s’est évadé du camp de travail spécial en 1949 et s’est enfui en Autriche;

— au moment de sa demande d’immigration au Canada, a donné de fausses indications lors de ses rencontres avec les agents d’immigration et les contrôleurs des visas concernant ses activités professionnelles et son service militaire au cours de la Deuxième Guerre mondiale, sa qualité de membre des Gardes Hlinka et de l’unité en état d’alerte des Gardes Hlinka, ses activités en cette qualité et sa déclaration de culpabilité en Tchécoslovaquie. Ces renseignements étaient importants relativement à son admission au Canada;

— est entré au Canada le 25 juillet 1950, à Halifax, en ne divulguant pas avec exactitude et correctement les renseignements concernant sa résidence, ses activités professionnelles, son service militaire et sa qualité de membre des Gardes Hlinka et de l’unité en état d’alerte des Gardes Hlinka, et le fait qu’il avait été déclaré coupable en Tchécoslovaquie, et en faisant obstacle aux demandes de renseignements supplémentaires concernant ses antécédents qui, si elles avaient reçu une réponse, auraient conduit au refus de sa demande de visa d’immigrant.

Selon ces rapports, si l’intimé n’avait pas donné de fausses indications en arrivant au Canada, on ne lui aurait pas permis d’entrer au pays. Une enquête a été instituée sous le régime du paragraphe 27(3) [mod., idem] de la Loi afin de vérifier les allégations énoncées dans les rapports. Les audiences ont débuté le 24 avril 1995 et ont été ajournées pour donner à l’intimé la possibilité de retenir les services d’un avocat. L’enquête a repris le 31 mai 1995. L’avocat de l’intimé a soulevé une question préliminaire concernant la notion de domicile canadien. M. Nemsila soutenait que, même si toutes les allégations énoncées dans les rapports préparés sous le régime de l’article 27 étaient établies à l’enquête, il était de toute façon protégé contre une mesure de renvoi par l’article 123 de la Loi sur l’immigration parce qu’il avait acquis le domicile canadien avant le 10 avril 1978. Voici le libellé de cette disposition :

123. Toute personne ayant acquis le domicile canadien en vertu de la Loi sur l’immigration, chapitre I-2 des Statuts révisés du Canada de 1970, et ne l’ayant pas perdu avant le 10 avril 1978 ne peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion fondée sur des activités antérieures à cette date et qui ne constituaient pas un motif d’expulsion aux termes de cette loi.

L’arbitre a décidé qu’il était préférable de trancher la question de droit touchant le domicile avant l’audition de la preuve sur le bien-fondé des allégations faites contre M. Nemsila. La question de droit a été formulée comme suit :

[traduction] M. Nemsila est-il protégé contre une mesure d’expulsion par l’article 123 de la Loi, même si les allégations de fait contenues dans le rapport préparé sous le régime du paragraphe 27(2) sont bien fondées?

Les parties ont présenté des observations par écrit. Lorsque l’enquête a repris, le 18 juillet 1995, elles ont présenté leur plaidoirie orale. L’arbitre a conclu que l’intimé avait obtenu le droit d’établissement au Canada, qu’il avait acquis le domicile canadien en vertu de la Loi sur l’immigration [S.C. 1952, ch. 42], et qu’il ne pouvait donc pas faire l’objet d’une mesure d’expulsion. À la page 11 de sa décision, il a affirmé :

[traduction] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration demande une ordonnance d’expulsion contre Josef Nemsila en vertu de l’alinéa 27(2)g) de la Loi. Il allègue que celui-ci n’a jamais obtenu le « droit d’établissement » au Canada parce qu’il aurait donné de fausses indications sur des faits importants au moment de son arrivée au Canada. Je conclus que, sans égard au fait qu’il ait pu donner une fausse indication sur un fait important, dans l’état actuel du droit, M. Nemsila ne peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion pour cette raison. Il a été admis légalement au Canada et il a acquis le domicile canadien cinq ans après avoir été reçu; il est un résident permanent. Le législateur a prévu expressément en 1978 qu’une personne qui a acquis le domicile peut demeurer protégée contre une mesure d’expulsion fondée sur des activités antérieures à cette date qui ne constituaient pas un motif d’expulsion à l’époque.

Le ministre demande maintenant l’annulation de cette décision au motif que l’arbitre a commis une erreur de droit en interprétant les dispositions législatives pertinentes.

La définition des équivalents aux termes anglais « land », « landed » ou « landing » dans la Loi de l’immigration [S.R.C. 1927, ch. 93] en 1950 était libellée comme suit au moment où M. Nemsila est arrivé au Canada :

2.

e)   « débarquer », « débarqué » ou « débarquant », appliquée à des voyageurs ou passagers ou à des immigrants, signifie leur admission légale au Canada par un fonctionnaire, sous le régime de la présente loi, autrement que pour subir l’examen, ou un traitement, ou pour autre fin temporaire prévue par la présente loi;

En 1955, au moment où M. Nemsila aurait eu la qualité requise pour acquérir le domicile canadien, les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration en 1952 se lisaient ainsi :

2.

c)   « domicile canadien » signifie un domicile canadien acquis et détenu conformément à l’article 4;

4. (1) Pour l’application de la présente loi, une personne acquiert le domicile canadien en ayant son lieu de domicile au Canada pendant au moins cinq ans, après avoir été reçue dans ce pays.

L’arbitre a conclu que l’intimé avait été « admis légalement » au Canada et qu’il avait obtenu le droit d’établissement en 1950 étant donné qu’il avait obtenu un visa, qu’il s’était présenté à l’interrogatoire au point d’entrée et qu’un tampon le désignant comme un immigrant ayant le droit d’établissement avait été apposé vis-à-vis son nom sur le manifeste. De l’avis de l’arbitre, le fait que M. Nemsila puisse avoir donné de fausses indications lors de ses rencontres avec les agents d’immigration et les contrôleurs des visas, et qu’il n’ait pas divulgué intégralement des renseignements qui auraient entraîné le rejet de sa demande d’un visa d’immigrant, ne portait pas atteinte à la légalité de son admission au Canada. Pourvu qu’un visa d’immigrant ait été délivré à M. Nemsila, les moyens utilisés pour l’obtenir, même frauduleux, n’étaient pas pertinents si M. Nemsila se trouvait au Canada depuis au moins cinq ans.

ANALYSE

La première question à trancher est celle du sens qui doit être donné à l’expression « admission légale ». Je ne suis pas d’accord pour dire qu’un immigrant qui a obtenu la permission d’entrer au Canada par des moyens frauduleux ou trompeurs peut être considéré comme ayant été admis « légalement ». En apposant le qualificatif « légale » au terme « admission », le législateur avait nettement l’intention de donner à l’expression « admission légale » une signification plus large que l’apposition sur un manifeste ou sur un passeport, par l’inspecteur d’un point d’entrée, d’un tampon désignant une personne comme un « immigrant ayant le droit d’établissement ». L’admission n’est légale que si toutes les exigences de la Loi en vigueur au moment de l’entrée de l’immigrant au Canada ont été respectées.

Il existe de la jurisprudence à l’appui de ce raisonnement. Dans l’arrêt The King v. Jawala Singh (1938), 53 B.C.R. 179 (C.A.), la Cour a déclaré, à la page 185 :

[traduction] L’avocat de l’intimé a insisté dans ses observations sur le fait qu’au moment où il a été interrogé par le Comité d’enquête en 1937, l’intimé était un citoyen canadien parce qu’il avait acquis ce statut depuis qu’il était entré à nouveau au Canada en 1935. À mon avis, cette prétention ne peut être retenue. L’entrée au Canada de l’intimé en 1935 était illégale et, en conséquence, l’intimé ne peut être tenu pour avoir « débarqué » au Canada au sens de la Loi sur l’immigration … Le domicile canadien peut être acquis, aux fins de la Loi sur l’immigration, uniquement par une personne qui a son domicile au Canada depuis au moins cinq ans après y avoir « débarqué », c’est-à-dire après son « admission légale » au Canada. En l’espèce, l’intimé ne répond à aucune des deux conditions préalables à l’acquisition du domicile canadien …

Dans l’affaire Michelidakis vs Rejimbald (1917), 23 R. de Jur. 375, la Cour supérieure du Québec a statué, à la page 377 :

Aux termes de la loi d’immigration, un domicile ne peut être acquis en ce pays que par celui qui y vient d’une manière légale, Degridakis n’est entré au Canada que sous de fausses représentations ou furtivement, il n’a donc pu acquérir ici un domicile légal dans le sens des lois d’immigration.

Dans la décision Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens (1991), 46 F.T.R. 267 (C.F. 1re inst.); confirmée en appel par la Cour d’appel fédérale, [(1992), 9 C.R.R. (2d) 149]; autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée [1992] 2 R.C.S. viii, la Cour a conclu que M. Luitjens avait donné de fausses indications sur un fait important et qu’il avait sciemment tu des renseignements qui auraient pu établir son inadmissibilité. Pour cette raison, la Cour a statué qu’il n’avait pas été admis légalement au Canada. Cette décision est explicitement contraire à la prétention de l’intimé en l’espèce selon laquelle l’expression « admission légale » s’entend uniquement du respect de la loi sur la plan de la procédure ou des exigences en matière de visa applicables à l’entrée au Canada.

L’arbitre a décidé en l’espèce que ce jugement ne s’appliquait pas parce que, dans l’affaire Luitjens, la question du droit d’établissement n’avait pas été débattue et l’article 123 de la Loi sur l’immigration n’avait pas été invoqué, ni examiné. Selon moi, il a commis une erreur à cet égard. La décision Luitjens confirme que l’expression « admission légale » comporte non seulement un élément procédural, mais également un élément de droit substantiel. Si la Cour avait retenu l’interprétation que l’intimé entend donner à l’expression « admission légale », la citoyenneté de M. Luitjens n’aurait pas pu être révoquée car il détenait lui aussi un visa portant un tampon le désignant comme un « immigrant ayant le droit d’établissement ». Cette interprétation a toutefois été rejetée, et la Cour a conclu qu’un immigrant qui était membre d’une catégorie interdite au moment de son entrée au Canada ne pouvait pas obtenir son « admission légale » en donnant des indications frauduleuses.

En conséquence, si son entrée au Canada en 1950 était fondée sur des déclarations trompeuses et de fausses indications, comme on l’allègue dans les rapports préparés sous le régime de l’article 27, M. Nemsila a été admis illégalement au pays. S’il n’a pas été admis légalement au Canada, il ne peut donc pas y avoir « débarqué », au sens de l’alinéa 2e) de la Loi de l’immigration en 1950. Si son admission au Canada n’était pas légale, il n’a jamais acquis le domicile canadien.

Passons maintenant à l’interprétation qu’a donnée l’arbitre à l’alinéa 19(1)e) de la Loi sur l’immigration de 1952, interprétation essentielle à sa conclusion portant qu’il n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance de renvoi contre l’intimé. Voici le libellé de cette disposition :

19. (1) Lorsqu’il en a connaissance, le greffier ou secrétaire d’une municipalité au Canada, dans laquelle une personne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à l’immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant

e)   toute personne, autre qu’un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui

(i) pratique la prostitution ou l’homosexualité, ou y aide ou en partage les fruits,

(ii) a été déclarée coupable d’une infraction visée par le Code criminel;

(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une geôle, une maison de correction ou une prison, ou pensionnaire d’un asile ou hôpital d’aliénés,

(iv) était un membre d’une catégorie interdite lors de son admission au Canada,

(v) est, depuis son admission au Canada, devenue une personne qui, si elle demandait son admission au Canada, se la verrait refuser du fait qu’elle est membre d’une catégorie interdite autre que celles dont les alinéas a), b), c) et s) de l’article cinq donnent la description,

(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d’être un non-immigrant ou d’appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant,

(vii) est entrée au Canada à un endroit autre qu’un port d’entrée ou s’est soustraite à l’examen ou à l’enquête prévue par la présente loi ou s’est évadée d’une garde ou détention légitime visée par cette loi,

(viii) est entrée au Canada, ou y demeure, avec un passeport, un visa, un certificat médical ou autre document relatif à son admission qui est faux ou irrégulièrement délivré, ou par suite de quelque renseignement faux ou trompeur, par la force, clandestinement ou par des moyens frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou par quelque autre personne,

(ix) revient au Canada ou y demeure contrairement aux dispositions de la présente loi après qu’une ordonnance d’expulsion a été rendue contre elle ou autrement, ou

(x) est entrée au Canada comme membre d’un équipage et, sans l’approbation d’un fonctionnaire à l’immigration ou pendant une période plus longue que celle qu’a approuvée ce fonctionnaire, demeure au Canada après le départ du véhicule sur lequel elle est entrée au Canada.

(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe premier devient sujet à expulsion.

L’arbitre a interprété le sous-alinéa (viii) comme signifiant qu’un immigrant qui a acquis le domicile canadien au moyen d’une indication frauduleuse ne peut faire l’objet d’une ordonnance de renvoi. Il a ainsi retenu l’argument de l’intimé selon lequel l’article 19 met une personne ayant son domicile au Canada à l’abri d’une mesure d’expulsion, si elle est entrée au Canada par suite de quelque renseignement faux ou trompeur, ou par des moyens frauduleux ou irréguliers. Selon l’intimé, si le ministre a raison de soutenir que le domicile ne peut être acquis par une personne qui a obtenu le droit d’établissement après avoir fourni des renseignements faux ou trompeurs, cette disposition de l’article 19 n’a aucun objet et devient pratiquement vide de sens. L’intimé soutient que, si une personne ne peut acquérir le domicile parce que son admission n’était pas légale à l’origine, la protection accordée aux personnes ayant leur domicile contre une mesure de renvoi fondée sur de fausses indications liées à leur admission n’aurait jamais d’application. L’intimé fait valoir que l’objet du sous-alinéa 19(1)e)(viii) consiste clairement à protéger de l’expulsion les citoyens et les personnes qui ont le domicile canadien, qui auraient été admises au Canada après avoir fourni des renseignements faux ou trompeurs.

Il y aurait donc en apparence un conflit entre « l’admission légale » comme condition préalable à l’obtention du domicile canadien et la protection apparente contre l’expulsion accordée par le sous-alinéa 19(1)e)(viii) aux personnes qui ont été admises par suite d’un faux renseignement. Comme c’est souvent le cas, la Cour doit donner un sens aux deux dispositions en cause et résoudre ce conflit apparent.

Il faut comprendre que l’article 19 de la Loi ne traite pas de l’acquisition ou de la perte du domicile et qu’il ne définit pas la qualité requise aux fins de l’acquisition du domicile canadien. Ces questions sont régies par les articles de la Loi qui énoncent expressément les règles concernant l’acquisition et la perte du domicile. La disposition introductive de l’alinéa 19(1)e) prévoit clairement que cette exception au renvoi ne s’applique que si une personne est un citoyen canadien ou a acquis le domicile canadien en conformité avec la Loi. Il s’agit donc de conditions préalables à l’application de l’exception au renvoi et, pour cette raison, il faut d’abord interpréter correctement les dispositions régissant le domicile et la citoyenneté avant d’appliquer le sous-alinéa 19(1)e)(viii). La protection prévue au sous-alinéa 19(1)e)(viii) ne peut donc s’appliquer à un immigrant comme M. Nemsila que s’il a satisfait aux exigences en matière de domicile énoncées à l’article 4 de la Loi sur l’immigration de 1952; or, pour les motifs énoncés plus haut, il ne peut s’être conformé à ces exigences si les allégations énoncées dans les rapports préparés sous le régime de l’article 27 sont bien fondées.

En outre, l’article 19 ne traite pas de l’admission au Canada par suite de quelque renseignement faux ou trompeur. Le sous-alinéa 19(1)e)(viii) s’applique à toute personne qui, n’étant pas un citoyen canadien et n’ayant pas un domicile canadien, est entrée au Canada par suite de quelque renseignement faux ou trompeur. L’expression « est entrée » n’est pas synonyme des termes « admission » ou « réception », auxquels les définitions édictées dans la Loi attribuent expressément un sens précis.

L’article 3 de la Loi sur l’immigration de 1952 renforce mon opinion portant que l’expression « est entrée au Canada » figurant au sous-alinéa 19(1)e)(viii) n’a pas le même sens que les termes « admission » ou « réception ». L’article 3 se lit ainsi :

3. (1) Un citoyen canadien a le droit d’entrer au Canada.

(2) Sous réserve du paragraphe trois, il est permis à une personne qui n’est pas citoyen canadien, mais a acquis un domicile canadien et ne l’a pas perdu, d’entrer au Canada.

Conformément à cette disposition, une personne qui a le statut de citoyen canadien et qui a acquis un domicile canadien a aussi le droit d’entrer au Canada. Si elle y entre par suite de renseignements faux ou trompeurs, l’article 19 la met à l’abri d’une ordonnance de renvoi. Cette disposition ne change toutefois rien au fait que la personne en cause doit d’abord avoir acquis la citoyenneté ou le domicile canadien en conformité avec les dispositions de la Loi, ce qui signifie que la personne qui a acquis le domicile canadien a nécessairement été admise au Canada « légalement ».

Ce régime législatif me porte à croire que l’expression « admission légale » doit être interprétée largement, alors que la protection contre l’expulsion accordée par l’article 19 aux personnes ayant leur domicile au Canada doit recevoir une interprétation plus étroite. Comme le déclare Ruth Sullivan, dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Markham, Ont. : Butterworths, 1994, aux pages 369 et 370 :

[traduction] Conformément à l’accent mis de nos jours sur l’analyse téléologique, les tribunaux modernes se soucient particulièrement d’interpréter les exceptions et les exemptions à la lumière de leur raison d’être et d’en écarter toute utilisation qui ferait échec à l’objet général de la Loi. Pour reprendre les termes utilisés par le juge La Forest dans Air Canada c. Colombie-Britannique (1989), 59 D.L.R. (4th) 161, à la page 197, une exception « ne devrait pas s’interpréter d’une façon plus large que ce qui est nécessaire pour assurer le respect des valeurs sur lesquelles elle repose. »

CONCLUSION

Pour ces motifs, j’ai conclu que l’arbitre avait commis une erreur de droit et que la décision contestée doit être annulée. L’affaire devrait être renvoyée à un arbitre différent pour qu’il la tranche et rende une décision en conformité avec la Loi sur l’immigration et les présents motifs.

Je reporte la délivrance de l’ordonnance au vendredi 30 août 1996, afin de donner aux avocats la possibilité de proposer des questions à certifier aux fins d’un appel devant la Cour d’appel fédérale.



* Note de la traductrice : la version française des lois de 1950 et 1952 utilise les équivalents « débarqué » et « reçu ».

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