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A-445-97

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Consolidated Canadian Contractors Inc. (défenderesse)

Répertorié: Canada (Procureur général)c. Consolidated Canadian Contractors Inc. (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 3 juin; Ottawa, 29 septembre 1998.

Douanes et accise Loi sur la taxe d'accise La contribuable qui est une entreprise de construction utilisait des fournituresdétaxées— — Ces fournitures n'étaient pas exemptées de la TPS puisqu'elles étaient partie intégrante du projet de construction tout entier et que la contribuable ne les avait pas acquises en qualité de représentante des commissions scolaires intéresséesLa C.C.I. s'est prononcée en faveur du ministre mais a infirmé la pénalité de 6 p. 100 par ce motif que la contribuable avait fait raisonnablement diligence pour essayer de calculer le montant exact de TPSIl échet d'examiner si le moyen de défense de ladiligence raisonnablepeut être invoqué par quelqu'un frappé d'une pénalité automatique pour défaut de verser le montant correct de TPS conformément à l'art. 280 de la Loi sur la taxe d'acciseL'art. 280 prévoit une pénalité administrativeDistinction entre infraction caractérisée par l'intention coupable, infraction de responsabilité stricte et infraction de responsabilité absolueLes pénalités administratives impliquent responsabilité absolue ou responsabilité stricteL'iniquité flagrante n'est pas un motif suffisant pour dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable de l'art. 280Le moyen de défense implicite de la diligence raisonnable n'est incompatible ni avec le régime instauré par l'art. 280 ni avec les fins qui le sous-tendent.

Interprétation des lois La contribuable était assujettie au complément de taxe, aux intérêts courus et à une pénalité de 6 p. 100 sur le moins-payé de TPS, conformément à l'art. 280(1) de la Loi sur la taxe d'acciseIl échet d'examiner si le contribuable qui a fait diligence conformément à la norme peut tirer argument du moyen implicite de la diligence raisonnableLes principes traditionnels d'interprétation s'appliquent pour décider si ce moyen peut être invoquéLa méthodologiemoderned'interprétation des lois consiste en une analyse contextuelle et téléologique du texteFacteurs à considérer pour examiner si l'art. 280 porte responsabilité stricteL'art. 280 ne porte pas responsabilité absolueL'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable n'est pas incompatible avec le régime fiscalLa présomption de responsabilité stricte n'a pas été réfutée.

Juges et tribunaux Limites du pouvoir discrétionnaire du juge dans l'interprétation des lois et dans la définition des grandes orientations socialesPénalité automatique pour défaut de verser le montant correct de TPSIl échet d'examiner si le juge peut dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable du texte de loiUne interprétation qui aboutit à un résultat absurde ou à une injustice flagrante sape la confiance du public en la justice et son respect pour elleLarègle d'oravait pour objet de tempérer la règle d'interprétation littéraleImpossible de dégager de la jurisprudence une définition homogène d'absurdité à l'époque de l'école du réalisme juridique au CanadaLarègle d'orétait un moyen utilisé par les juges pour parvenir à un résultat vouluIl échet d'examiner si le concept d'absurdité s'étend aux conséquences jugées indésirables parce qu'elles vont à l'encontre des valeurs que la justice tient pour importantes (tel le principe posant qu'il ne saurait y avoir sanction sans faute)Appréhension que l'interprétation des lois ne devienne loi prétorienneInfluence des valeurs judiciaires sur l'interprétation de la loi fiscalePar le passé, la justice a répugné à donner effet aux lois imposant la responsabilité absolue en l'absence de toute fauteLe principe posant qu'il ne peut y avoir de punition sans faute donne lieu à la présomption réfutable que le législateur entendait imposer la responsabilité stricte, et non la responsabilité absolue, par l'art. 280 de la Loi sur la taxe d'acciseLa Cour est cependant tenue de considérer le contexte législatif de cette disposition ainsi que son butLe juge est fondé à extrapoler le texte de loi pour éviter l'iniquité ou l'injustice flagrante, si le redressement accordé est compatible avec l'économie du texte et ne fait pas obstacle au but de ce dernierCes restrictions devraient parer à l'argument que la Cour déborde de son rôle constitutionnel.

Recours en contrôle judiciaire contre une décision de la Cour canadienne de l'impôt sur la question de savoir si le moyen de défense de la "diligence raisonnable" peut être invoqué par quelqu'un frappé d'une pénalité automatique pour défaut de verser le montant correct de TPS, ainsi qu'il y est tenu par la Loi sur la taxe d'accise , et si ce moyen de défense peut être validement considéré comme implicite alors qu'il n'est pas expressément prévu dans ce texte. La défenderesse est une entreprise de construction qui avait utilisé, dans la construction de deux écoles, un certain nombre de fournitures "détaxées", c'est-à-dire des fournitures qui seraient exemptes de TPS si elles étaient achetées à part. Comme elle n'aurait pas calculé le montant correct de TPS exigible, elle s'est retrouvée assujettie au complément de taxe, aux intérêts courus et à une pénalité de 6 p. 100 sur le moins-payé conformément à l'article 280 de la Loi. Sur la question de savoir si les fournitures en question étaient exemptées de la TPS, le juge de la Cour de l'impôt s'est prononcé en faveur du ministre puisqu'elles étaient indubitablement partie intégrante du projet de construction tout entier et que la défenderesse ne les avait pas acquises en qualité de représentante des commissions scolaires intéressées. Cependant, il a infirmé la pénalité de 6 p. 100 après avoir conclu que la défenderesse avait fait raisonnablement diligence pour essayer de calculer le montant exact de TPS à verser au receveur général. Le ministre reconnaît que la défenderesse a fait diligence conformément à la norme, mais conteste la "compétence" qu'assume la Cour de l'impôt pour exonérer des inscrits de la pénalité prévue à l'article 280 en y voyant une disposition portant implicitement moyen de défense de la diligence raisonnable. Le juge de la Cour de l'impôt et le ministre invoquent l'une et l'autre la décision de la Cour suprême du Canada dans R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie , où il était question de ce moyen de défense dans le contexte d'une "infraction en matière réglementaire". Il se pose quatre questions en l'espèce, savoir: 1) si le moyen de défense de la diligence raisonnable est limité aux infractions de responsabilité stricte; 2) s'il faut étendre le concept de responsabilité stricte aux pénalités administratives; 3) si l'iniquité manifeste est un motif suffisant pour conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable; 4) si l'article 280 de la Loi porte responsabilité stricte ou responsabilité absolue.

Arrêt: le demandeur doit être débouté de son recours.

1) L'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise ne prévoit pas une infraction en matière réglementaire, mais une pénalité administrative. Dans Sault Ste-Marie, la Cour suprême du Canada était appelée à se prononcer sur la question fondamentale de savoir si le concept d'infraction de responsabilité stricte devait être adopté en droit canadien. Pour répondre à cette question, elle a pris acte de trois catégories d'infractions. La première comprend les infractions criminelles "dans le vrai sens du mot", à l'égard desquelles la poursuite doit prouver l'intention coupable. La deuxième consiste en infractions de responsabilité stricte, telles les infractions contre le bien-être public ou en matière réglementaire, à l'égard desquelles il n'est pas nécessaire d'établir l'intention coupable, mais l'accusé peut se disculper par la preuve de la diligence raisonnable. La troisième catégorie est celle des infractions de responsabilité absolue, à l'égard desquelles l'accusé n'est pas recevable à prouver qu'il "n'a commis aucune faute". La véritable valeur jurisprudentielle de la décision Sault Ste-Marie tient à ce qu'elle reconnaît l'existence des infractions de responsabilité stricte, susceptibles de réfutation par le moyen de défense de la diligence raisonnable, sans limiter celui-ci aux infractions contre le bien-être public ou en matière réglementaire. Il est donc loisible à cette Cour de décider si, sur le plan des principes, ce moyen de défense peut être opposé aux pénalités administratives.

2) La jurisprudence Sault Ste-Marie pose que la diligence raisonnable représente un moyen de défense valide dans le contexte des infractions contre le bien-être public, mais ne dit pas si les pénalités administratives impliquent responsabilité absolue ou responsabilité stricte. Il n'y a aucune règle de common law qui exclut ce moyen de défense face aux pénalités administratives, et rien ne permet de dire que toutes les sanctions administratives impliquent responsabilité absolue. Rien ne prouve que la responsabilité absolue tende à forcer l'observation d'une norme plus élevée de diligence, ou que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable conduise à l'inefficacité dans l'application de la réglementation. Les pénalités administratives peuvent impliquer soit responsabilité stricte soit responsabilité absolue. Pour décider si le moyen de défense de la diligence raisonnable est recevable dans un cas donné, on ne saurait éviter l'application des principes d'interprétation traditionnels.

3) La question de savoir s'il est possible de dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable du texte par ce seul motif que son absence même s'oppose à notre conception de la justice fondamentale, est une question primordiale parce qu'elle met en jeu les limites du pouvoir discrétionnaire du juge dans l'interprétation des lois et son rôle dans la définition des grandes orientations sociales. Une interprétation qui aboutit à un résultat absurde ou à une injustice flagrante sape la confiance du public en la justice et son respect pour elle; c'est pourquoi la règle d'interprétation littérale a été tempérée au fil du temps par la "règle d'or", qui pose qu'il ne faut pas s'en tenir au sens grammatical et ordinaire des mots si leur signification marque une "contradiction" ou "incompatibilité" avec le reste du texte, ou encore produit une "absurdité". Par application de la règle d'or d'interprétation aux faits de la cause, il s'agit de savoir si le déni du moyen de défense de la diligence raisonnable peut être qualifié d'"absurdité", c'est-à-dire si l'iniquité flagrante qui résulte de l'application d'une pénalité lors même que l'inscrit a pris toutes les mesures raisonnables pour ne pas l'encourir, est un motif suffisant pour dégager ce moyen de défense de la Loi sur la taxe d'accise . Un auteur a fait observer qu'à l'apogée de l'école du réalisme juridique au Canada, il était impossible de dégager de la jurisprudence une définition homogène d'absurdité. Et que la règle d'or n'était qu'un simple moyen utilisé par les juges pour parvenir à un résultat voulu. Plus récemment, un autre auteur pense que le concept d'absurdité s'est étendu aux conséquences jugées indésirables parce qu'elles vont à l'encontre des valeurs que la justice tient pour importantes. L'appréhension sous-jacente est que la ligne de démarcation entre interprétation et décision politique ne disparaisse et que l'interprétation des lois ne devienne loi prétorienne. La loi fiscale est une illustration de l'influence qu'exercent les valeurs judiciaires sur le processus d'interprétation. L'observation faite par lord Tomlin dans Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), savoir que le contribuable a le droit d'arranger ses affaires de façon à réduire au minimum l'impôt qu'il a à payer, a eu une influence durable sur les règles en matière d'évasion fiscale. La valeur judiciaire en cause est le droit général de l'individu de ne pas être puni s'il n'a pas commis de faute, lequel droit est dans le droit fil du principe de common law qu'il ne saurait y avoir sanction en l'absence de toute faute. L'iniquité flagrante n'est pas un motif suffisant pour dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise. La Cour a cependant pour responsabilité de considérer le contexte législatif de cette disposition ainsi que son but. D'accorder l'exonération pour cause d'iniquité uniquement reviendrait à écarter l'approche prescrite par Sault Ste-Marie et à poser que toutes les pénalités administratives peuvent être combattues par le moyen de défense de la diligence raisonnable, pourvu que le juge puisse identifier l'"injustice" ressentie.

4) La méthodologie "moderne" d'interprétation des lois, qu'a adoptée la Cour suprême du Canada, consiste en une analyse contextuelle et téléologique du texte. Le principe posant qu'il ne peut y avoir de punition sans faute donne lieu à la présomption réfutable que le législateur entendait imposer la responsabilité stricte, et non la responsabilité absolue. Tout en rejetant l'idée que l'iniquité ou l'injustice flagrante est un motif suffisant pour conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable, le juge est fondé à extrapoler le texte de loi pour éviter le même résultat, s'il peut être prouvé que le redressement accordé est compatible avec l'économie du texte et ne fait pas obstacle au but de ce dernier. Ces restrictions devraient parer à tout argument potentiel que la Cour déborde de son rôle constitutionnel. Quatre facteurs entrent en ligne de compte pour examiner si l'article 280 porte responsabilité stricte. La formulation du texte de loi est le premier facteur à considérer pour juger si l'infraction doit être classée comme infraction nécessitant la preuve de l'intention coupable, infraction de responsabilité stricte ou infraction de responsabilité absolue. Les infractions caractérisées par l'intention coupable sont normalement qualifiées par les termes "intentionnellement" ou "sciemment", comme dans le contexte criminel. L'article 280 n'emploie pas le langage précis et explicite qu'on trouve normalement dans une disposition portant responsabilité absolue. Le deuxième facteur est la gravité de la peine et ses effets sur les inscrits. Dans l'examen de ce facteur, il faut s'attacher aux conséquences qui en découlent pour l'inscrit, et non à l'importance qu'elle représente pour le ministre pour ce qui est de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise . Les sommes en jeu sont substantielles pour les milliers de petites entreprises qui font fonction de mandataires de la Couronne pour percevoir et remettre cette taxe. On ne peut donc dire que la pénalité prévue à l'article 280 n'ait guère d'effets sur les inscrits. Le troisième facteur est l'objet de la législation, le but de l'article 280. L'argument que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable entraînera l'effondrement de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise n'est pas fondé. Ni la pénalité ni l'existence de ce moyen de défense ne doit avoir d'effet sur ceux qui sont déjà "consciencieux". Par contre, il est douteux que certains inscrits décident sciemment de ne pas se soucier des obligations qu'ils tiennent de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'ils savent qu'ils ont à leur disposition le moyen de défense de la diligence raisonnable. Il n'y a aucun motif convaincant pour conclure que l'existence implicite de ce moyen fait échec à la fonction incitative de l'article 280. Le dernier facteur est le cadre réglementaire. L'idée maîtresse de l'argumentation du ministre est que le moyen de défense de la diligence raisonnable est incompatible avec l'économie générale de la Loi sur la taxe d'accise. L'issue de l'affaire en instance dépend de la question de savoir si la reconnaissance de l'existence implicite de ce moyen de défense est compatible avec le pouvoir que le ministre tient de l'article 281.1 de renoncer aux pénalités prévues par la Loi. En dégageant de la loi l'existence de ce moyen de défense, la Cour de l'impôt n'écarte pas la pénalité de 6 p. 100. Elle ne fait que donner aux inscrits la possibilité de se disculper en démontrant qu'ils ont fait raisonnablement diligence pour calculer le montant de TPS à verser. Faute par eux d'avoir observé la norme de diligence, ils seront toujours tenus à la pénalité. Il y a donc une différence de nature entre la reconnaissance de l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable et le pouvoir que le ministre tient de la loi de renoncer à la pénalité. Si le ministre choisit de circonscrire l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de reconnaître l'existence de ce moyen de défense dans le contexte de l'article 280, il est loisible à la Cour d'en dégager l'existence implicite. Ainsi donc, le pouvoir que le ministre tient de l'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise pour renoncer à la pénalité ne présente ni contradiction ni incompatibilité avec le moyen de défense implicite de la diligence raisonnable. L'article 280 de la Loi ne porte pas responsabilité absolue. Le moyen de défense implicite de la diligence raisonnable n'est pas incompatible avec le régime fiscal en question; il ne fait pas échec aux fins qui sous-tendent ce dernier. La présomption de responsabilité stricte n'a pas été réfutée.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 19.

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 163(2) (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VII, art. 17; ch. 8, art. 26; 1995, ch. 3, art. 48; 1996, ch. 21, art. 43).

Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-13, art. 124 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 11), 280 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 126; 1994, ch. 9, art. 21; 1997, ch. 10, art. 235), 281.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 27, art. 127), 285 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12), 298(1) (édicté, idem; L.C. 1993, ch. 27, art. 131; 1997, ch. 10, art. 79, 238), 323 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1992, ch. 27, art. 90; 1997, ch. 10, art. 239), 327 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12), 329 (édicté, idem).

Ontario Water Resources Commission Act (The), R.S.O. 1970, ch. 332, art. 32(1).

jurisprudence

décision suivie:

R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; (1978), 85 D.L.R. (3d) 161; 40 C.C.C. (2d) 353; 7 C.E.L.R. 53; 3 C.R. (3d) 30; 21 N.R. 295.

décisions appliquées:

Pillar Oilfield Projects Ltd. c. La Reine (1993), 2 GTC 1005 (C.C.I.); Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413; 57 D.L.R. 648; [1921] 1 W.W.R. 1154; Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.).

décisions examinées:

R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44; (1995), 12 B.C.L.R. (3d) 201; 100 C.C.C. (3d) 353; 41 C.R. (4th) 201; 13 M.V.R. (3d) 145; 186 N.R. 81; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266.

décisions citées:

Locator of Missing Heirs Inc. c. La Reine (1997), 5 GTC 7167; 212 N.R. 391 (C.A.F.); P-G Canada c. 770373 Ontario Limited (1997), 5 GTC 7030 (C.A.F.); Locator of Missing Heirs Inc. c. Canada, [1995] A.C.I. no 1304 (QL); R. v. Sault Ste. Marie (City of) (1976), 13 O.R. (2d) 113 (C.A.); R. v. Nickel City Transport (Sudbury) Ltd. (1993), 47 M.V.R. (2d) 20 (C.A. Ont.); Abley v. Dale (1851), 11 C.B. 378; 138 E.R. 519 (C.P.); Grey v. Pearson (1857), 6 H.L.C. 61; 10 E.R. 1216 (H.L.); Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201; 144 D.L.R. (3d) 21; 116 A.P.R. 201; 7 C.R.R. 46 (C.A.); Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 176 N.R. 1; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; [1994] 2 C.T.C. 25; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; (1995), 127 D.L.R. (4th) 193; [1995] 2 C.T.C. 369; 95 DTC 5551; 186 N.R. 243; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336; (1997), 148 D.L.R. (4th) 1; 97 DTC 5363; 213 N.R. 81; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; (1998), 159 D.L.R. (4th) 457; 98 DTC 6334; 225 N.R. 241; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770; (1998), 159 D.L.R. (4th) 1; 98 DTC 6297; 225 N.R. 190; River Wear Commissioners v. Adamson (1877), 2 App. Cas. 743 (H.L.); Great Western Ry. Co. v. Mostyn (Owners of SS.), [1928] A.C. 57 (H.L.); Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1133; (1989), 59 D.L.R. (4th) 218; [1989] 4 W.W.R. 137; 36 B.C.L.R. (2d) 185; 96 N.R. 1; 2 T.C.T. 4170; Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279; (1996), 97 DTC 5051; 206 N.R. 386 (C.A.); Metro Exteriors Ltd. c. Canada, [1995] A.C.I. no 1302 (QL); R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941; (1989), 78 Nfld. & P.E.I.R. 315; 51 C.C.C. (3d) 1; 72 C.R. (3d) 1; 17 M.V.R. (2d) 161; 101 N.R. 161.

doctrine

Bulletin d'information technique B-074. Lignes directrices visant la réduction des pénalités et des intérêts dans les cas d'opération sans effet fiscal—. 28 novembre 1994.

Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Mémoire sur la TPS 500-3-2-1. Annulation ou renonciation-Pénalités et intérêts. 14 mars 1994.

Sherman, David M. Canada GST Service. Scarborough, Ont.: Carswell, 1998.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

Willis, John "Statute Interpretation in a Nutshell" (1938), 16 Can. Bar Rev. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire contre la décision ((1997), 5 GTC 1074) par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a jugé que la défenderesse avait fait raisonnablement diligence pour essayer de calculer le montant exact de TPS à verser au receveur général et a infirmé de ce fait la pénalité de 6 p. 100 prévue au paragraphe 280(1) de la Loi sur la taxe d'accise. Demande rejetée.

ont comparu:

Harry Erlichman et Kevin G. Dias pour le demandeur.

Nick Chitilian pour la défenderesse.

avocat inscrit au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: La présente demande de contrôle judiciaire pose la question des limites du pouvoir discrétionnaire des tribunaux judiciaires en matière d'interprétation des lois et de leur rôle dans la définition des grandes orientations. Plus spécifiquement, la Cour est appelée à décider si le moyen de défense de la "diligence raisonnable" peut être invoqué par quelqu'un frappé d'une pénalité automatique pour défaut de verser le montant correct de la taxe sur les produits et services (TPS), ainsi qu'il y est tenu par la Loi sur la taxe d'accise [L.R.C. (1985), ch. E-15]. Étant donné que cette loi ne prévoit pas expressément pareil moyen de défense, il échet d'examiner si celui-ci peut être validement considéré comme implicite.

Les faits de la cause et la loi applicable

Au cœur du débat figure la décision Pillar Oilfield Projects Ltd. c. La Reine (1993), 2 GTC 1005 (C.C.I.), décision fort influente dans laquelle le juge Bowman a conclu qu'il serait contraire aux principes de "justice fondamentale" et d'"équité" de dénier le droit de faire valoir la diligence raisonnable pour se défendre contre la pénalité prévue à l'article 280 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 126; 1994, ch. 9, art. 21; 1997, ch. 10, art. 235] de la Loi sur la taxe d'accise . À l'appui de cette conclusion, il a cité la jurisprudence R. sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, de la Cour suprême. Il a aussi exprimé en ces termes sa frustration face à l'absence du moyen de défense de la diligence raisonnable (à la page 1009):

Il est non seulement exceptionnel, mais révoltant qu'une personne puisse être pénalisée administrativement par un fonctionnaire sans avoir l'occasion de se disculper en établissant la diligence raisonnable. Ce n'est pas moins révoltant parce que la pénalité est imposée mécaniquement et systématiquement par des agents du fisc anonymes, et est donc apte à être classée sous la rubrique "administrative", terme essentiellement vide de sens, plutôt que sous la rubrique "pénale". Une peine est une peine. L'emploi de modificatifs lénifiants n'atténue ni sa nature ni son effet.

La Cour a été saisie à deux reprises de la question de la validité du moyen de défense de la diligence raisonnable, dans Locator of Missing Heirs Inc. c. La Reine (1997), 5 GTC 7167 (C.A.F.), et P-G Canada c. 770373 Ontario Limited (1997), 5 GTC 7030 (C.A.F.). Dans l'une et l'autre causes, elle n'a pas jugé nécessaire de se prononcer sur cette question, laquelle constitue justement le point litigieux en l'espèce.

Il ressort d'une recension de la volumineuse jurisprudence de la Cour de l'impôt en la matière que le précédent Pillar Oilfield a été largement suivi. Quatorze juges de cette juridiction ont conclu au droit d'invoquer la diligence raisonnable, trois seulement sont contre. Trois autres n'ont pas pris position, ayant conclu qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer là-dessus dans la cause dont ils étaient respectivement saisis; voir D. M. Sherman, Canada GST Service (Scarborough, Ont.: Carswell, 1998), aux pages 280-105 à 280-108.

On peut, en comparant l'approche adoptée pour l'application de la Loi sur la taxe d'accise et celle qu'impose la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], voir pourquoi un si grand nombre de juges de la Cour de l'impôt penchent pour la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable. La personne (ou l'inscrit) qui ne perçoit et ne verse pas le montant correct de TPS est tenu de payer la différence avec intérêts courus de la date où cette somme est due. À cet égard, la Loi sur la taxe d'accise ne se démarque pas du régime instauré par la Loi de l'impôt sur le revenu et, dans les deux cas, l'inscrit ou le contribuable doit s'exécuter sans aucune voie de recours. Le receveur général reçoit la somme qui aurait dû être versée. Pour ce qui est du moins-payé cependant, les deux Lois sont différentes sur un point majeur. La Loi sur la taxe d'accise impose une charge supplémentaire à l'inscrit. En sus des intérêts, l'article 280 de cette Loi prévoit une pénalité de 6 p. 100 sur le montant du moins-payé de TPS. Par contraste, la Loi de l'impôt sur le revenu n'impose pas automatiquement une pénalité en cas de mauvais calcul et de versement insuffisant de l'impôt. Ce n'est que dans le cas où le contribuable omet sciemment de déclarer quelque chose ou fait preuve de faute lourde qu'il est astreint à la pénalité prévue au paragraphe 163(2) [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VII, art. 17; ch. 8, art. 26; 1995, ch. 3, art. 48; 1996, ch. 21, art. 43], laquelle est fixée à 50 p. 100 du moins-payé sans pour autant descendre au-dessous de 100 $.

Comme noté supra, la Loi sur la taxe d'accise ne prévoit pas expressément le moyen de défense de la diligence raisonnable contre la pénalité prévue à l'article 280. Il s'ensuit que même si l'inscrit se prévaut d'une consultation juridique sur la question de savoir si certaines marchandises sont exemptées de la TPS, il encourt quand même la pénalité de 6 p. 100 dans la mesure où la cotisation établie par le ministre est valide. Il va sans dire que l'application d'une pénalité, ne serait-ce que de 6 p. 100, peut avoir d'importantes conséquences financières pour ceux qui sont tenus de percevoir et de remettre la TPS. Une brève recension de la jurisprudence révèle que cette pénalité va de 400 $ à 95 000 $. La pénalité typique varie de 5 000 $ à 20 000 $. En particulier, les petites entreprises qui ne jouissent pas des services d'expert propres à assurer la stricte observation de la Loi sur la taxe d'accise sont exposées à des risques financiers considérables. Comme la période de vérification générale des cotisations TPS est de quatre ans, il est possible qu'un important moins-payé s'accumule avant d'être découvert par un vérificateur. Ce problème s'aggrave encore du fait que les intérêts et la pénalité se composent quotidiennement; voir les articles 124 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 11] et 298(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 131; 1997, ch. 10, art. 79, 238] de la Loi sur la taxe d'accise.

En bref, une pénalité automatique est imposée de façon mécanique chaque fois que le montant de TPS constaté par le ministre est supérieur à celui calculé par l'inscrit. C'est dans ce contexte que la majorité des juges de la Cour de l'impôt sont en faveur du moyen de défense de la diligence raisonnable, dégagé dans Pillar Oilfield. Le ministre attaque maintenant cette décision ainsi que le jugement de première instance en l'espèce. Il a choisi de renoncer à tous les motifs pris dans son avis de requête, sauf celui touchant la validité du moyen de défense de la diligence raisonnable. Je vais maintenant évoquer brièvement les faits de la cause.

La défenderesse est une entreprise de construction. Dans le cadre de la construction de deux écoles, elle utilisait un certain nombre de fournitures "détaxées", c'est-à-dire des fournitures qui seraient exemptes de TPS si elles étaient achetées à part. Par exemple, elle a acheté, pour la construction d'une école, un ascenseur qui est un article détaxé. Le ministre a conclu que, puisque cet article et d'autres faisaient partie intégrante des écoles construites, elle aurait dû calculer la TPS sur le prix total du contrat. De même, les cautionnements et primes d'assurance assumés dans la construction de ces écoles étaient des services, donc des dépenses taxables. Enfin, le ministre a soutenu en vain devant le juge Bowman que la défenderesse aurait dû inclure la TVP frappant les fournitures dans la valeur de ces dernières aux fins de calcul de la TPS. Comme la défenderesse n'aurait pas calculé le montant correct de TPS exigible, elle s'est retrouvée assujettie, par cotisation établie sous le régime de la Loi sur la taxe d'accise , au complément de taxe, aux intérêts courus et à une pénalité de 6 p. 100 sur le moins-payé conformément à l'article 280, dont voici les dispositions applicables:

280. (1) Sous réserve du présent article et de l'article 281, la personne qui ne verse pas un montant au receveur général au moment prévu par la présente partie est passible de la pénalité et des intérêts suivants, calculés sur ce montant pour la période commençant le lendemain du jour où le montant devait être versé et se terminant le jour du versement:

a) une pénalité de 6 % par année;

b) des intérêts au taux réglementaire.

Sur la question de savoir si les fournitures en question étaient exemptées de la TPS, le juge Bowman s'est prononcé en faveur du ministre [Consolidated Canadian Contractors c. La Reine (1997), 5 GTC 1074 (C.C.I.)] puisqu'elles étaient indubitablement partie intégrante du projet de construction tout entier et que la défenderesse ne les avait pas acquises en qualité de représentante des commissions scolaires intéressées. Si celle-ci avait agi en cette qualité et les leur avait transférées telles quelles, ces fournitures auraient été exemptées. Cependant, le juge Bowman a infirmé la pénalité de 6 p. 100 après avoir conclu que la défenderesse avait fait raisonnablement diligence pour essayer de calculer le montant exact de TPS à verser au receveur général. Voici la conclusion qu'il a tirée à ce propos à la page 1076 des motifs de sa décision:

[. . .] je n'ai vu dernièrement aucun cas où le contribuable a fait davantage preuve de diligence raisonnable. En l'espèce, la contribuable a fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elle pour que la TPS soit perçue et payée comme il se devait. Elle s'est fondée sur les bulletins publiés et sur les confirmations données de vive voix par des fonctionnaires du ministère du Revenu national.

Réitérant la conclusion qu'il avait tirée dans Pillar Oilfield et Locator of Missing Heirs Inc. c. Canada [[1995] A.C.I. no 1304 (QL)], le juge Bowman a exprimé son aversion pour l'idée de pénaliser des inscrits innocents qui se sont montrés irréprochables.

Les points litigieux

Le ministre reconnaît que la défenderesse a fait diligence conformément à la norme. Ce qu'il conteste, c'est la "compétence" qu'assume la Cour de l'impôt pour exonérer des inscrits de la pénalité prévue à l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise , en y voyant une disposition portant implicitement moyen de défense de la diligence raisonnable. Il cite à cet effet la décision de la Cour suprême dans Sault Ste-Marie, où il était question de ce moyen de défense dans le contexte d'une "infraction en matière réglementaire". Ce qui est en jeu en l'espèce, c'est une "pénalité administrative". Attendu que le juge Bowman et le ministre invoquent l'un et l'autre cette jurisprudence, il y a lieu d'examiner en détail le raisonnement qu'y a tenu la Cour suprême.

a) La jurisprudence Sault Ste-Marie limite-t-elle le moyen de défense de la diligence raisonnable aux infractions de responsabilité stricte?

Un des principaux arguments du ministre est que la jurisprudence Sault Ste-Marie n'autorise le juge à conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable qu'en cas d'infraction contre le bien-être public ou en matière réglementaire, reconnue infraction de responsabilité stricte. À son avis, la Cour de l'impôt n'a pas compétence pour la dégager de la loi en cas de pénalité administrative. En d'autres termes, la décision Pillar Oilfield a été mal jugée. À l'évidence, l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise ne prévoit pas une infraction en matière réglementaire, mais une pénalité administrative. À mon avis cependant, la jurisprudence Sault Ste-Marie ne fonde pas la thèse du ministre. Pour bien saisir ce que la Cour suprême était appelée à décider dans cette affaire, il est nécessaire de rappeler les règles de droit qui existaient jusque là.

Vers le milieu du XIXe siècle, les cours d'Angleterre avaient commencé à voir dans l'obligation en common law de prouver l'intention coupable dans les poursuites pénales, un obstacle pour l'administration efficace de la justice dans le cas de certaines contraventions de police. Par suite, elles ont dégagé le concept d'infraction contre le bien-être public, caractérisé par une présomption irréfragable de responsabilité, ce qui dispensait la Couronne de l'obligation de prouver l'intention coupable chez l'accusé. À l'égard de cette catégorie inédite d'infractions, il lui suffisait de prouver que l'accusé avait commis l'acte interdit. L'innovation était bien intentionnée, mais la règle de droit est passée d'un extrême à l'autre. La Couronne était dispensée de la charge de la preuve, mais l'accusé n'avait aucun moyen de défense pour se disculper.

Subséquemment, un mouvement s'est amorcé vers un compromis dans certains pays de common law, en particulier en Australie: les tribunaux ont commencé à consacrer l'existence d'infractions de responsabilité stricte, dans lesquelles la personne poursuivie pour une infraction contre le bien-être public pouvait faire valoir la diligence raisonnable en défense (à noter que ce concept se rend par deux formules interchangeables en anglais, "reasonable care" et "due diligence", dans Sault Ste-Marie ). Cette troisième catégorie d'infractions a injecté un élément de souplesse dans les règles de droit, aux dépens de la certitude. De nos jours, le défi juridique réside dans la distinction entre infraction caractérisée par l'intention coupable, infraction de responsabilité stricte et infraction de responsabilité absolue. Il se trouve cependant que dans Sault Ste-Marie, la Cour suprême était appelée à se prononcer sur une question plus fondamentale, savoir si le concept d'infraction de responsabilité stricte devait être adopté en droit canadien.

Les faits de la cause Sault Ste-Marie sont simples. La ville de Sault Ste-Marie était poursuivie et condamnée pour pollution, en application du paragraphe 32(1) de la Loi dite The Ontario Water Resources Commission Act, R.S.O. 1970, ch. 332. Lorsque l'affaire fut parvenue devant la Cour d'appel de l'Ontario [(1976), 13 O.R. (2d) 113], l'un des deux points litigieux portait sur la question de savoir si la Couronne était tenue de prouver l'intention coupable de la municipalité. La Cour d'appel a répondu par l'affirmative à cette question. La Cour suprême a infirmé cette décision, concluant (en page 1325) que la pollution était une infraction contre le bien-être public, à l'égard de laquelle la Couronne était dispensée de l'obligation de prouver l'intention coupable. Le principe qui sous-tendait cette conclusion était que dans la plupart des affaires d'infraction en matière réglementaire, il était pratiquement impossible pour la Couronne de s'acquitter de pareille charge de la preuve. Mais, dans le même temps, la Cour suprême n'entendait pas voir dans toute infraction en matière réglementaire une infraction de responsabilité absolue.

Le juge Dickson (tel était alors son titre) s'est attaché à trois arguments de politique générale proposés par la Couronne à l'appui de la règle prescrivant la présomption irréfragable de responsabilité pour toutes les infractions contre le bien-être public ou en matière réglementaire. Le premier est que pareille règle favorise une norme d'exécution plus élevée du moment que les gens savent que l'ignorance ou l'erreur ne sera pas une excuse. Ils sont donc encouragés à prendre des mesures de précaution au-delà de ce qu'ils auraient fait normalement. Le deuxième argument de principe concerne l'efficacité administrative. La Couronne soutient que l'obligation faite à la poursuite de prouver l'intention coupable pour chaque infraction en matière réglementaire ferait échec à l'application efficace des règlements. La présomption irréfragable de responsabilité, dit-elle, est la méthode la plus efficace de faire respecter la réglementation. Le troisième argument est centré sur l'idée que les infractions contre le bien-être public, de par leur nature même, ne sont pas infamantes comme les vrais crimes. Les bénéfices sociaux de la réglementation l'emportent sur le résultat malencontreux qu'est la punition de gens qui n'ont commis aucun crime.

La Cour suprême a rejeté ces trois arguments de politique générale. En premier lieu, dit-elle, rien ne prouve que la règle des infractions de responsabilité absolue favorise l'observation d'une norme plus élevée de diligence. Si une personne prend déjà toutes les mesures de précaution raisonnables, pourquoi devrait-elle être obligée de prendre d'autres mesures encore, sachant qu'elles ne serviraient pas de moyen de défense en cas de violation de la réglementation? L'argument d'efficacité administrative n'était pas plus convaincant aux yeux de la Cour suprême. À son avis, puisque la preuve de la diligence raisonnable est admissible au stade de l'application de la peine, il n'y a pas de raison de ne pas l'examiner lorsqu'il s'agit de savoir s'il y a eu infraction au règlement en premier lieu. La Cour suprême a également rejeté l'argument que les infractions contre le bien-être public ne sont pas infamantes, puisque les personnes poursuivies doivent payer les honoraires d'avocat, perdent de leur temps, s'exposent à un procès au criminel et à la crainte d'une condamnation.

Les motifs prononcés par le juge Dickson dans Sault Ste-Marie touchent encore à trois autres questions ayant un rapport avec l'affaire en instance. La première est l'idée générale qu'il n'y a pas de punition sans faute, notion qui est toujours un principe fondamental de la common law. En deuxième lieu, il souligne que les concepts d'intention coupable, de responsabilité absolue et de responsabilité stricte sont des créations du droit prétorien. Enfin, on peut à juste titre classer les infractions contre le bien-être public comme infractions de responsabilité absolue lorsque la réglementation en question vise à promouvoir la santé ou la sécurité publique.

Pour récapituler, la Cour suprême reconnaît dans Sault Ste-Marie trois catégories d'infractions. La première comprend celles à l'égard desquelles la poursuite doit prouver l'intention coupable. Les infractions criminelles "dans le vrai sens du mot" tombent dans cette catégorie. La deuxième consiste en infractions de responsabilité stricte à l'égard desquelles il n'est pas nécessaire d'établir l'intention coupable, mais l'accusé peut se disculper par la preuve de la diligence raisonnable. Les infractions contre le bien-être public ou en matière réglementaire se rangent dans cette catégorie, à moins que le texte applicable ne parle d'actes commis "délibérément" ou "intentionnellement", auquel cas l'infraction peut être classée comme infraction caractérisée par l'intention coupable. La troisième catégorie est celle des infractions de responsabilité absolue, à l'égard desquelles l'accusé n'est pas recevable à prouver qu'il "n'a commis aucune faute". Le juge Dickson a défini en ces termes le cadre d'analyse qui permet de relever les infractions de cette catégorie (à la page 1326):

Les infractions de responsabilité absolue seront celles pour lesquelles le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l'accomplissement de l'acte prohibé. L'économie générale de la réglementation adoptée par le législateur, l'objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels pour déterminer si l'infraction tombe dans la troisième catégorie.

Dans Sault Ste-Marie, la Cour suprême a finalement conclu que la pollution en question tombait dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte. En page 1328, le juge Dickson a tenu le raisonnement suivant:

Vu que le par. 32(1) crée une infraction contre le bien-être public, sans indiquer clairement que la responsabilité est absolue et sans utiliser des mots comme "sciemment" ou "volontairement" qui exigent expressément la mens rea , l'application du critère que j'ai énoncé ci-dessus place indubitablement l'infraction dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte.

À mon avis, la véritable valeur jurisprudentielle de la décision Sault Ste-Marie tient à ce qu'elle reconnaît l'existence des infractions de responsabilité stricte, susceptibles de réfutation par le moyen de défense de la diligence raisonnable. Elle ne pose pas que ce moyen de défense est limité aux cas d'infraction contre le bien-être public ou en matière réglementaire. Cette question ne se posait pas devant la Cour suprême. Il est donc loisible à notre Cour de décider si, sur le plan des principes, le moyen de défense de la diligence raisonnable peut être opposé aux pénalités administratives.

b) Faut-il étendre le concept de responsabilité stricte aux pénalités administratives?

En l'espèce, le ministre soutient que les principes définis par l'arrêt Sault Ste-Marie ne s'appliquent qu'aux infractions en matière réglementaire et que, l'article 280 n'étant pas une disposition prévoyant une telle infraction, le moyen de défense de la diligence raisonnable n'est pas recevable. Je pense qu'il s'agit là d'une interprétation trop restrictive de ce précédent. Celui-ci pose que la diligence raisonnable représente un moyen de défense valide dans le contexte des infractions contre le bien-être public. Il ne porte pas sur la question de savoir si les pénalités administratives impliquent responsabilité absolue ou responsabilité stricte. Il n'y a à ma connaissance aucune règle de common law qui exclut le moyen de défense de la diligence raisonnable face aux pénalités administratives. Pour plus de clarté, précisons que rien ne permet de dire que toutes les sanctions administratives impliquent responsabilité absolue. J'incline à faire miens les motifs prononcés par le juge Dickson dans Sault Ste-Marie pour rejeter l'argument que la responsabilité stricte n'a rien à voir avec les infractions en matière réglementaire, et à appliquer ce raisonnement aux pénalités administratives.

Pour réitérer ces motifs, rien ne prouve que la responsabilité absolue tend à forcer l'observation d'une norme plus élevée de diligence. De même, je ne suis pas convaincu que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable conduise à l'inefficacité dans l'application de la réglementation. Dans les cas où la peine est bénigne, comme dans les cas où on ne sait pas trop quelle juridiction a compétence pour juger si la preuve de diligence raisonnable est faite, il y a lieu d'appliquer la responsabilité absolue conformément aux critères définis dans Sault Ste-Marie. (Par exemple, personne n'acceptera qu'il soit possible d'opposer la diligence raisonnable à la pénalité frappant le retard de paiement ou aux contraventions de stationnement.)

Je reconnais qu'il y a une grosse différence entre les infractions en matière réglementaire qui débouchent sur une possibilité d'incarcération et les pénalités administratives qui sont nécessairement limitées aux amendes. J'accepte aussi qu'une amende n'est pas infamante comme un verdict de culpabilité en justice. Ces deux facteurs ont contribué à la reconnaissance du concept d'infraction de stricte responsabilité dans Sault Ste-Marie. Cependant, je vois aussi que les infractions en matière réglementaire ne sont pas toutes sanctionnées par l'emprisonnement. De fait, l'absence de peine d'emprisonnement n'a pas dissuadé la Cour suprême de juger si une infraction emporte responsabilité stricte ou responsabilité absolue; voir R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44, où la peine prévue pour l'infraction de responsabilité absolue consistant à conduire une voiture sans permis était limitée à une amende de 300 à 2 000 $; voir aussi R. v. Nickel City Transport (Sudbury) Ltd. (1993), 47 M.V.R. (2d) 20 (C.A. Ont.).

En conclusion, je suis d'avis que les pénalités administratives peuvent impliquer soit responsabilité stricte soit responsabilité absolue. Et aussi que, pour décider si le moyen de défense de la diligence raisonnable est recevable dans un cas donné, on ne saurait éviter l'application des principes d'interprétation traditionnels. En conséquence, comme nous le verrons infra, le cadre d'analyse défini par le juge Dickson dans Sault Ste-Marie est conforme à la "méthodologie moderne" d'interprétation des lois, consistant en l'analyse contextuelle et téléologique du texte applicable.

c) L'iniquité manifeste est-elle un motif suffisant pour conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable?

De reconnaître que le moyen de défense de la diligence raisonnable peut être recevable face aux pénalités administratives suscite une autre question, savoir s'il est possible de dégager ce moyen du texte par ce seul motif que son absence même s'oppose à notre conception de la "justice fondamentale" ou de l'"équité". Ce point n'a pas été abordé dans Pillar Oilfield , mais on peut voir que telle était la présomption adoptée par le juge Bowman. Cette question est primordiale parce qu'elle met en jeu les limites du pouvoir discrétionnaire du juge dans l'interprétation des lois et son rôle dans la définition des grandes orientations sociales. Elle est tout aussi pertinente de nos jours qu'au temps où l'interprétation littérale des lois puis la règle d'or avaient cours. Je m'explique.

La règle d'interprétation "littérale" ou "selon le sens évident" pose que si les termes d'un texte sont ambigus, il est possible d'aller au-delà du contexte immédiat pour s'assurer de ce qu'ils signifient. Cependant, [traduction ] "si les termes précis sont clairs et dénués d'équivoque, [. . .] nous sommes tenus de les interpréter selon leur sens ordinaire, quand bien même pareille interprétation conduirait [. . .] à une absurdité ou à une injustice flagrante" (Abley v. Dale (1851), 138 E.R. 519 (C.P.), à la page 525).

Une interprétation qui aboutit à un résultat absurde ou à une injustice flagrante sape la confiance du public en la justice et son respect pour elle. Il n'est donc pas difficile de voir pourquoi la règle d'interprétation littérale a été subséquemment tempérée par la "règle d'or", qui pose qu'il ne faut pas s'en tenir au sens grammatical et ordinaire des mots si leur signification marque une "contradiction" ou "incompatibilité" avec le reste du texte, ou encore produit une "absurdité"; voir Grey v. Pearson (1857), 10 E.R. 1216 (H.L.), à la page 1234. En bref, il faut adopter une approche contextuelle pour juger si le "sens ordinaire" vaut contradiction ou incompatibilité avec le texte en question. Cependant, puisque le terme "absurdité" est lui-même ambigu, son emploi a toujours été source de controverse.

Par application de la règle d'or d'interprétation aux faits de l'espèce, il s'agit de savoir si le déni du moyen de défense de la diligence raisonnable peut être qualifié d'"absurdité". En d'autres termes, l'iniquité flagrante qui résulte de l'application d'une pénalité lors même que l'inscrit a pris toutes les mesures raisonnables pour ne pas l'encourir, est-elle un motif suffisant pour dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable de la Loi sur la taxe d'accise ? À l'apogée de l'école du réalisme juridique au Canada, le professeur Willis faisait observer qu'il était impossible de dégager de la jurisprudence un définition homogène d'absurdité: [traduction] "C'est indubitablement une question d'opinion personnelle, qui est indubitablement influencée par la prévention personnelle" (J. Willis, "Statute Interpretation In A Nutshell" (1938), 16 Can. Bar Rev. 1, à la page 13). À son avis, la règle d'or n'était qu'un simple moyen utilisé par les juges pour parvenir à un résultat voulu. Un demi-siècle après, le professeur Sullivan se demande si le concept d'absurdité s'étend aux [traduction] "conséquences jugées indésirables parce qu'elles vont à l'encontre des valeurs ou des principes que la justice tient pour importants". Cette question est évidemment pertinente en l'espèce vu le principe qu'il ne saurait y avoir punition sans faute; voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes , 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), aux pages 85 et 86.

En abordant la question posée par le professeur Sullivan, on ne peut nier que l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'interprétation des lois par les tribunaux a toujours été une source de malaise. L'appréhension sous-jacente est que la ligne de démarcation entre interprétation et décision politique ne disparaisse et que l'interprétation des lois ne devienne loi prétorienne. Pareil état des choses va à l'encontre de notre conception de la souveraineté du Parlement, savoir que la législation validement adoptée prime les règles jurisprudentielles et le juge doit déférer aux choix politiques du législateur, tels qu'ils s'expriment dans la formulation du texte de loi; voir Sullivan, supra, à la page 25.

Je reconnais aussi que le processus d'interprétation est imprégné de valeurs judiciaires qu'il ne faut pas assimiler aux vues personnelles des juges pris individuellement, mais aux valeurs dont l'autorité judiciaire pense qu'elles sont partagées par le public. Les concepts de liberté individuelle et de propriété privée, par exemple, continuent à [traduction] "sous-tendre nos arrangements politiques fondamentaux, notre Constitution" et donnent lieu à de fortes présomptions simples de droits individuels; voir Re Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201 (C.A.), aux pages 210 et 211, motifs prononcés par le juge La Forest [tel était alors son titre]. Je tiens à souligner que ces présomptions qui sous-tendent l'interprétation des lois ne sont pas que des règles d'arbitrage suprême, à appliquer quand les règles conventionnelles sont jugées insuffisantes à la tâche. Au contraire, elles doivent rappeler aux rédacteurs qu'il faut employer le langage le plus clair possible s'ils poursuivent des fins qui s'opposent aux valeurs ou principes fondamentaux de common law. À moins que la formulation ne soit claire comme l'eau de roche, le juge ne s'acharnera pas à dégager du texte une volonté du législateur qui serait la négation de ces valeurs.

Par exemple, la présomption de non-rétroactivité des lois est bien établie et non controversée; voir Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271. La meilleure explication de la raison d'être de cette présomption a été donnée par le juge Duff dans Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413 [à la page 417], en ces termes: [traduction] "ce ne serait pas seulement un inconvénient général, mais encore une violation flagrante de la justice naturelle, que de priver les gens des droits acquis". (On ne peut s'empêcher de remarquer que le juge Bowman employait à peu près le même langage dans Pillar Oilfield .) Le professeur Sullivan note que cette présomption est "forte" et "difficile à réfuter" (supra , à la page 513). J'en conviens; voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), aux pages 794 à 798, confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100.

Pour dissiper tout doute quant à l'influence qu'exercent les valeurs judiciaires sur le processus d'interprétation, il suffit de considérer la loi fiscale. La maxime, souvent citée, qu'a formulée lord Tomlin dans Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.), à la page 19, a autant d'influence aujourd'hui qu'elle en avait au moment où elle vit le jour il y a quelque 60 ans. Elle dit essentiellement que le contribuable a le droit d'arranger ses affaires de façon à réduire au minimum l'impôt qu'il a à payer. N'eût été ce principe d'interprétation, les règles en matière d'évasion fiscale auraient pris, à mon avis, une direction radicalement différente. Dans d'autres contextes législatifs, il est généralement reconnu qu'on ne peut pas faire indirectement ce qui ne peut se faire directement. En ce qui concerne l'observation continuelle par la Cour suprême de la maxime de lord Tomlin, voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 540; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, aux pages 345 et 346; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770; à rapprocher de l'observation du professeur Willis, supra, aux pages 23 à 27.

En l'espèce, la valeur judiciaire en cause est le droit général de l'individu de ne pas être puni s'il n'a pas commis de faute, lequel droit est dans le droit fil du principe de common law qu'il ne saurait y avoir sanction en l'absence de toute faute. Je m'empresse de souligner que ce n'est pas la première fois que les tribunaux ont répugné à donner effet à un texte de loi portant apparemment responsabilité absolue en l'absence de faute; voir River Wear Commissioners v. Adamson (1877), 2 App. Cas. 743 (H.L.), à rapprocher de Great Western Ry. Co. v. Mostyn (Owners of SS.), [1928] A.C. 57 (H.L.).

C'est la même valeur qui engageait les juges de common law à exiger la preuve de l'intention coupable avant de conclure à la culpabilité. C'est elle qui a engagé la Cour suprême à reconnaître, dans Sault Ste-Marie, l'existence des infractions de responsabilité stricte tout en préservant le concept de common law de responsabilité absolue. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les tribunaux répugnent à accepter un rôle passif dans l'application des dispositions pénales qui imposent un fardeau excessivement onéreux aux gens alors que les avantages à tirer du texte sont négligeables. C'est la même conception qui a forcé les cours d'equity à accorder l'exonération à l'égard de dispositions portant pénalité et confiscation.

Pour en revenir à la question de savoir si l'iniquité flagrante est un motif suffisant pour dégager le moyen de défense de la diligence raisonnable de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise, je dois répondre par la négative. Le principe de common law qu'il ne saurait y avoir responsabilité sans faute peut s'accommoder du concept de responsabilité stricte en matière de pénalité administrative. Il peut aussi s'accommoder de la présomption simple que le législateur n'entendait pas imposer la responsabilité absolue dans les cas tombant sous le coup de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise. La Cour a cependant pour responsabilité de considérer le contexte législatif de cette disposition ainsi que son but. Après tout, il se peut que le législateur ait décidé d'imposer la responsabilité absolue par ce motif que les avantages l'emportaient sur l'iniquité faite aux inscrits. D'accorder l'exonération pour cause d'iniquité uniquement reviendrait, à mon avis, à écarter l'approche prescrite par Sault Ste-Marie. Cela reviendrait aussi à poser que toutes les pénalités administratives peuvent être combattues par le moyen de défense de la diligence raisonnable, pourvu que le juge puisse identifier l'"injustice" ressentie. Si la distinction faite dans Sault Ste-Marie entre infractions de responsabilité absolue et infractions de responsabilité stricte doit s'appliquer aux pénalités administratives, il faut y appliquer aussi son cadre d'analyse. Cela ne revient pas à dire que la tâche de distinguer entre dispositions portant responsabilité stricte et dispositions portant responsabilité absolue est exempte de toutes difficultés. L'avantage de l'application d'un cadre d'analyse tient à ce qu'elle permet de parer aux critiques d'arbitraire judiciaire.

d) Le cadre d'analyse

À mon avis, le cadre d'analyse formulé par le juge Dickson pour identifier les infractions de responsabilité absolue est surtout l'expression de ce qui est devenu la méthodologie "moderne" d'interprétation des lois. Cette approche consiste en une analyse contextuelle et téléologique du texte; elle a été officiellement adoptée par la Cour suprême dans Stubart Investments , supra, opinion du juge Estey, à la page 578 citant Driedger (2e), à la page 87 [Driedger, E.A. Construction of Statutes, 2e éd.]. Dans Sault Ste-Marie, le juge Dickson a fait observer que pour décider s'il y a infraction de responsabilité absolue, le juge doit prendre en considération (1) la précision des termes employés dans le texte, (2) la gravité de la peine, (3) l'objet de la législation, et (4) l'économie générale de la réglementation adoptée par le législateur. Je pense que les deux derniers facteurs requièrent une analyse contextuelle et téléologique des dispositions applicables du texte en question. À tout le moins, c'est de cette façon que les tribunaux ont généralement appliqué ces facteurs; voir Nickel City Transport, supra. Compte tenu des critères définis dans Sault Ste-Marie, je me propose d'examiner le principal point litigieux soulevé dans la présente demande de contrôle judiciaire, en appliquant le cadre d'analyse suivant.

Le principe posant qu'il ne peut y avoir de punition sans faute donne lieu à la présomption réfutable que le législateur "n'entendait pas" imposer la responsabilité absolue. Cette présomption est aussi un prolongement logique de l'idée que les peines constituent un moyen de dissuasion propre à faire en sorte que les gens observent une norme minimale de diligence quand ils remplissent les obligations qu'ils tiennent de la loi. Il s'agit d'encourager les gens à faire preuve de diligence raisonnable pour ne pas manquer à leurs obligations légales. S'il en est ainsi, la personne qui encourt la peine doit être en mesure de se défendre en soutenant qu'elle s'est conformée à la norme de diligence requise. Il semble par conséquent à la fois juste et logique de présumer que le législateur entendait imposer la responsabilité stricte et non la responsabilité absolue. Cette présomption sera cependant écartée si le langage employé par le rédacteur signifie sans équivoque que le législateur entend imposer la responsabilité absolue, ou si la peine n'a que des conséquences insignifiantes. À supposer que la présomption ne soit pas réfutée par ces motifs, il faut ensuite examiner si le moyen de défense de la diligence raisonnable est incompatible avec l'économie du texte ou s'il fait échec aux fins pour lesquelles la peine a été prévue.

De même que je rejette l'idée que l'iniquité ou l'injustice flagrante est un motif suffisant pour conclure à l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable, de même j'estime que le juge est fondé à extrapoler le texte de loi pour éviter le même résultat, s'il peut être prouvé que le redressement accordé est compatible avec l'économie du texte et ne fait pas obstacle au but de ce dernier. Ces restrictions devraient parer à tout argument potentiel que la Cour va à l'encontre de son propre rôle constitutionnel; voir Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1133, et Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279 (C.A.).

Si la reconnaissance du moyen de défense implicite de la diligence raisonnable ne va pas à l'encontre des fins poursuivies par le législateur, le ministre n'est pas fondé à se plaindre. Par contre, si cette reconnaissance par le juge est contraire à l'économie de la Loi sur la taxe d'accise ou aux fins poursuivies par son article 280, les inscrits doivent accepter les conséquences financières de la non-observation de cette disposition. Cependant, c'est au ministre qu'il incombe de convaincre la Cour que la reconnaissance du moyen de défense implicite de la diligence raisonnable aboutira à des conséquences qui tendent justement à anéantir la présomption de responsabilité stricte.

e) L'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise porte-t-il responsabilité stricte ou responsabilité absolue?

Une fois accepté le principe général que les pénalités administratives souffrent le moyen de défense de la diligence raisonnable, il reste à examiner si l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise porte responsabilité stricte et non responsabilité absolue. Passons maintenant aux facteurs qui entrent en ligne de compte dans cet examen.

(i) Précision de la formulation

La formulation du texte de loi est le premier facteur à considérer pour juger si l'infraction doit être classée comme infraction nécessitant la preuve de l'intention coupable, infraction de responsabilité stricte ou infraction de responsabilité absolue. Les infractions caractérisées par l'intention coupable sont normalement qualifiées par les termes "intentionnellement" ou "sciemment", comme dans le contexte criminel. L'emploi de ces concepts dans le domaine des règlements a fait l'objet d'un pourvoi, Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. , [1985] 2 R.C.S. 486, aux pages 493 et 494, affaire dans laquelle la législature de la Colombie-Britannique avait modifié la Loi en question de façon à prévoir expressément que quiconque conduisait une voiture pendant que son permis de conduire était suspendu commettait une infraction de responsabilité absolue. De même, dans R. c. Pontes, supra, l'emploi du terme "automatique" dans le texte de loi en cause a engagé la majorité de la Cour suprême à conclure qu'il s'agissait d'une infraction de responsabilité absolue. En l'espèce, l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise n'emploie pas le langage précis et explicite qu'on trouve normalement dans une disposition portant responsabilité absolue.

(ii) La gravité de la peine"ses effets sur les inscrits (application du principe de minimis)

Dans l'examen de la gravité de la peine, il faut s'attacher aux conséquences qui en découlent pour l'inscrit, et non à l'importance qu'elle représente pour le ministre pour ce qui est de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise. Celui-ci reconnaît que la pénalité prévue à l'article 280 de la cette Loi n'est pas "insignifiante", mais insiste qu'elle n'est pas draconienne au point d'avoir un "véritable effet pénal". Comme noté dès le début, les sommes en jeu sont substantielles pour les milliers de petites entreprises qui font fonction de mandataires de la Couronne pour percevoir et remettre cette taxe relativement nouvelle. Sinon pourquoi cette question a-t-elle accaparé tant de temps et d'attention du ministre et de la Cour de l'impôt? À mon avis, on ne peut dire que la pénalité prévue à l'article 280 n'ait guère d'effets sur les inscrits. À ce stade-ci de l'analyse, la présomption de responsabilité stricte n'est toujours pas réfutée.

(iii) L'objet de la législation"le but de l'article 280

Dans Sault Ste-Marie, le juge Dickson note qu'on peut parler d'infraction de responsabilité absolue lorsque la législation en question vise à promouvoir l'intérêt public en matière de santé ou de sécurité. Si l'argument que la qualification d'infraction de responsabilité absolue engage à observer une norme plus élevée de diligence a été contesté dans d'autres contextes, il est bien plus convaincant quand il s'agit de santé et de sécurité publiques. Pareilles considérations ne s'attachent cependant pas à la Loi sur la taxe d'accise.

Le ministre soutient que la pénalité prévue à l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise vise à maintenir la discipline interne dans un régime de déclaration et d'autocotisation, dont l'efficacité dépend de l'honnêteté et de l'intégrité des inscrits. Plus spécifiquement, il soutient que cette disposition est un moyen puissant d'engager les inscrits à remettre la TPS exigible. Et enfin que sans la pénalité de 6 p. 100, [traduction] "le système s'effondrerait sous la charge administrative des mesures visant à assurer la remise à temps de la TPS".

Il y a deux raisons pour lesquelles je rejette l'argument que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable entraînera l'effondrement de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise. La première est qu'il n'y a aucune preuve à l'appui de pareille prédiction de catastrophe. La seconde est que, si l'argument du ministre est fondé, on ne voit pas pourquoi la Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoit pas une pénalité comme celle de l'article 280. Cette dernière Loi institue elle aussi un régime de déclaration et d'autocotisation pour l'impôt fédéral comme provincial. Personne n'a jamais dit que ce régime est en difficulté parce que les contribuables ne sont pas automatiquement pénalisés chaque fois qu'ils ne calculent et ne versent pas comme il faut l'impôt dû dans le délai imparti. (On se demande combien de Canadiens calculent mal leur impôt et versent moins que ce qu'ils doivent, chaque année.) Il ne faut pas oublier que les inscrits au régime de la Loi sur la taxe d'accise font aussi leur déclaration annuelle d'impôt en application de la Loi de l'impôt sur le revenu et que, s'agissant d'entreprises, ils ont pour responsabilité de verser périodiquement au receveur général les retenues à la source sur la rémunération de leurs employés. L'un et l'autre de ces régimes fiscaux dépendent de l'intégrité et de l'honnêteté des Canadiens. Il est fort possible que la TPS soit la taxe la plus controversée et la plus impopulaire qui ait jamais été instituée au Canada, mais il n'y a aucune raison de présumer que les entreprises observent moins les obligations qu'elles tiennent de la Loi sur la taxe d'accise que celles imposées par la Loi de l'impôt sur le revenu. À mon avis, le ministre n'a pas fait la preuve que la reconnaissance du moyen de défense de la diligence raisonnable gênerait l'application efficace de la Loi sur la taxe d'accise. J'en viens maintenant à son second argument, savoir que l'existence de pareil moyen de défense ferait échec à la fonction "incitative" de l'article 280.

Les avocats et les juges ne prétendent pas, pour la plupart, être psychologues; c'est pourquoi ils ne savent pas vraiment si les pénalités encouragent à une norme plus élevée de diligence chez le public. Le législateur a cependant le pouvoir de légiférer dans ce sens. Nous devons donc présumer que la pénalité dont s'agit engage à un niveau supérieur de diligence et la seule question qui se pose est de savoir si la reconnaissance du moyen de défense implicite de la diligence raisonnable anéantirait les effets que cette pénalité doit avoir sur le comportement des gens. Sur ce point encore, il n'y a aucune preuve qui permette de répondre dans un sens ou dans l'autre. On doit donc trouver la réponse dans la raison et le bon sens.

En théorie, ni la pénalité ni l'existence du moyen de défense de la diligence raisonnable n'est censée avoir d'effet sur ceux qui sont déjà "consciencieux". Ainsi que l'a fait observer le juge Dickson dans Sault Ste-Marie , si une personne prend déjà toutes les précautions raisonnables, on voit mal pourquoi une disposition pénale l'incitera à prendre d'autres mesures encore, sachant qu'elles ne constitueront pas un moyen de défense. Ce n'est qu'à l'égard de ceux qui ne se soucient guère de leurs obligations légales qu'on pourrait affirmer que les peines favorisent l'observation de la norme de diligence requise. Il s'agit donc de savoir si certains inscrits décident sciemment de ne pas se soucier des obligations qu'ils tiennent de la Loi sur la taxe d'accise parce qu'ils savent qu'ils ont à leur disposition le moyen de défense de la diligence raisonnable. J'en doute. Comme noté au début, la non-observation coûte davantage que le versement de la pénalité de 6 p. 100. Il y a aussi les intérêts courus sur le moins-payé, et le moins-payé lui-même, l'un et l'autre se composant quotidiennement. Il y a encore le coût de l'appel interjeté de la cotisation ministérielle devant la Cour de l'impôt. Même si l'inscrit n'est pas représenté par avocat, le coût en temps perdu et en tension nerveuse dans un long contentieux (trois ans en l'espèce) fait que seuls des sots trouveront du réconfort dans l'existence d'un moyen de défense implicite de la diligence raisonnable.

Le ministre a bien le droit d'insister que la pénalité a des effets bénéfiques sur le comportement, mais il ne peut pas présumer que l'inscrit moyen refusera d'exercer un minimum de bon sens lorsqu'il s'agit de mettre dans la balance le coût de l'observation et celui de la non-observation. Soit dit en passant, la majorité des inscrits n'ont pas réussi à faire valoir devant la Cour de l'impôt le moyen de défense de la diligence raisonnable, comme dans la cause Pillar Oilfield; voir Sherman, supra à la page 208-108. À mon avis, il n'y a aucun motif convaincant de conclure que l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable fait échec à la fonction incitative de l'article 280.

(iv) Analyse contextuelle du régime de réglementation

L'idée maîtresse de l'argumentation du ministre est, à ce que je vois, que le moyen de défense de la diligence raisonnable est incompatible avec l'économie générale de la Loi sur la taxe d'accise. Plus spécifiquement, le paragraphe 281.1(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 27, art. 127] de cette Loi l'habilite déjà à annuler la pénalité imposée en application de l'article 280 ou à y renoncer. En outre, le paragraphe 280(6) l'autorise à annuler la pénalité et les intérêts courus à l'égard d'une période de déclaration si le total est inférieur à 25 $. Le paragraphe 280(7) prévoit qu'il peut renoncer à la pénalité et aux intérêts pour l'intervalle séparant la sommation de payer et la date de paiement. L'article 285 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] impose une amende aux inscrits qui font sciemment une fausse déclaration ou qui font preuve de faute lourde. L'article 323 [édicté, idem; L.C. 1992, ch. 27, art. 90; 1997, ch. 10, art. 239] prévoit la responsabilité des administrateurs de la personne morale inscrite en cas de défaut de versement. Les articles 327 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] et 329 [édicté, idem] prévoient les infractions punissables par voie de poursuite sommaire ou de mise en accusation, respectivement, en cas de manquement flagrant. C'est dans ce contexte que le ministre insiste qu'il n'y a aucune raison pour que les tribunaux dégagent de l'article 280 l'existence du moyen de défense de la diligence raisonnable. Cet argument n'est pas dénué de fondement.

À mon avis, l'argument du ministre est réellement double. En premier lieu, il fait valoir que les dispositions susmentionnées traduisent la volonté du législateur d'imposer la responsabilité absolue avec la disposition pénale de l'article 280. Il s'agit là d'une inférence raisonnable dont le ministre peut se servir pour s'acquitter de la charge qui lui incombe de réfuter la présomption de responsabilité stricte; voir Nassau Walnut Investments, supra, à la page 299. Elle n'est cependant pas déterminante. La raison en est que les articles 285, 323 et 327 se situent sur un autre plan en ce qu'ils font au ministre obligation de prouver que les agissements de l'inscrit tombent sous le coup de ces dispositions. Par contre, la reconnaissance de l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable à l'égard de l'article 280 fait passer à l'inscrit la charge de prouver qu'il a fait raisonnablement diligence pour verser le montant correct de TPS. Il ne résulte pas nécessairement de l'article 323 que du moment qu'une loi prévoit expressément un moyen de défense dans un cas, il n'en est pas question dans les autres cas; voir Nassau Walnut, supra.

Le second élément de l'argument du ministre touche à l'article 281.1 de la Loi, aux termes duquel le ministre peut renoncer à la pénalité prévue à l'article 280. À mon avis, l'issue de la présente affaire dépend de la question de savoir si la reconnaissance de l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable est compatible avec le pouvoir que le ministre tient de la loi de renoncer à cette pénalité. Si le ministre est investi de ce pouvoir, est-il encore loisible à la Cour de l'impôt d'accorder l'exonération en faisant droit au moyen de défense implicite de la diligence raisonnable?

Il y a lieu de noter qu'en dégageant de la loi l'existence de ce moyen de défense, la Cour de l'impôt n'écarte pas la pénalité de 6 p. 100. Elle ne fait que donner aux inscrits la possibilité de se disculper en démontrant qu'ils ont fait raisonnablement diligence pour calculer le montant de TPS à verser. Faute par eux d'avoir observé la norme de diligence, ils seront toujours tenus à la pénalité. De son côté, le ministre peut renoncer à la pénalité même si la diligence raisonnable n'est pas prouvée. Il y a donc une différence de nature entre la reconnaissance de l'existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable et le pouvoir que le ministre tient de la loi de renoncer à la pénalité.

S'il y a une incompatibilité entre le pouvoir du ministre de renoncer à la pénalité et le droit de l'inscrit d'invoquer la diligence raisonnable, elle réside dans le fait que le premier pourrait choisir pour politique de renoncer à la pénalité si le second pouvait prouver qu'il a fait raisonnablement diligence. En pareil cas, on pourrait soutenir que la Cour de l'impôt et le ministre ne peuvent pas avoir compétence concurrente sur l'élimination d'une pénalité appliquée en vertu de l'article 280. La question se pose de savoir si le ministre a adopté une telle politique. La réponse est non.

Il est manifeste que selon le ministre, la diligence raisonnable n'est pas un motif suffisant de renonciation à la pénalité prévue à l'article 280. C'est ce qui ressort des lignes directrices qu'il a instituées et aux termes desquelles l'exonération prévue à l'article 281.1 est strictement limitée aux manquements indépendants de la volonté des inscrits. Par exemple, il peut y avoir renonciation à la pénalité en cas de non-observation due à la force majeure, aux mauvaises informations officiellement données par écrit, aux retards et erreurs de traitement imputables au ministre; voir Mémoire sur la TPS 500-3-2-1, Annulation ou renonciation-Pénalités et intérêts (14 mars 1994); Bulletin d'information technique B-074, Lignes directrices visant la réduction des pénalités et des intérêts dans les cas d'opération sans effet fiscal— (28 novembre 1994); et Communiqué de presse de Revenu Canada, 28 novembre 1996. Bien entendu, ni le ministre ni notre Cour n'est tenu à ces lignes directrices administratives.

Il est manifeste que le ministre n'est pas disposé à renoncer à la pénalité prévue à l'article 280 sur preuve de diligence raisonnable de la part de l'inscrit. En fait, je ne connais qu'un cas où il a mentionné l'article 281.1, Metro Exteriors Ltd. c. Canada, [1995] A.C.J. no 1302 (QL). Il n'a pas présenté devant la Cour, peut-être avec raison, l'argument que la défenderesse aurait dû demander la renonciation prévue à l'article 281.1. Il n'est pas question de débattre en l'espèce si les circonstances dans lesquelles le ministre est disposé à renoncer à la pénalité constituent une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire. Cependant, s'il choisit de circonscrire l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de reconnaître l'existence du moyen de défense de la diligence raisonnable dans le contexte de l'article 280, il est loisible à la Cour d'en reconnaître l'existence implicite. Ainsi donc, au regard de la loi telle qu'elle s'interprète et s'applique actuellement, le pouvoir que le ministre tient de l'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise pour renoncer à la pénalité ne présente ni contradiction ni incompatibilité avec le moyen de défense implicite de la diligence raisonnable. Je ne peux accepter que le pouvoir discrétionnaire qu'a le ministre de renoncer à la pénalité soit un facteur puisque dans les faits, il n'est nullement question d'exonération pour cause de diligence raisonnable.

Pour vider la question en prévision du cas où le ministre porterait l'affaire devant une autre juridiction, je dois encore examiner un autre point. L'argumentation du ministre est centrée sur la nécessité de s'assurer que la TPS est versée dans les meilleurs délais; ce point n'a cependant pas été soulevé dans Pillar Oilfield ni dans les décisions ultérieures. La question s'est toujours centrée sur le défaut d'un inscrit de calculer et de verser le montant correct de TPS à cause de l'incertitude caractérisant l'application de la Loi sur la taxe d'accise à l'égard de certaines marchandises. Le problème ne tient pas à ce que l'inscrit n'effectue pas le versement dans le délai imparti, mais à ce qu'il verse une somme inférieure au montant exigible. À ce que je vois, il ne s'agit pas d'affaires où l'inscrit ne veut pas payer la pénalité de 6 p. 100 pour versement tardif du montant correct, mais où la diligence raisonnable est invoquée à titre de moyen de défense contre une faute causée par une erreur de droit dans le calcul du montant correct de TPS à verser au receveur général.

En droit pénal, nul n'est censé ignorer la loi, sauf peut-être plaidoyer d'"erreur provoquée par les autorités"; voir R. c. Pontes , supra. Ce principe de common law est maintenant codifié à l'article 19 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. La seule exception reconnue à la règle se trouve dans les cas où la conscience chez l'intéressé que ces agissements sont contraires à la loi fait partie intégrante de l'intention coupable; voir R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941. Dans les affaires d'infraction en matière réglementaire, comme Sault Ste-Marie, la diligence raisonnable est normalement invoquée pour excuser une erreur de fait; or, les règles de droit ne sont pas vraiment claires quant au lien entre la diligence raisonnable et l'erreur de droit; voir R. c. Pontes, supra.

Il serait présomptueux de ma part de donner l'impression que le ministre n'a pas conscience du problème de l'"erreur de droit". Ce moyen a été avancé en première instance dans l'affaire Locator of Missing Heirs Inc. , supra, et rejeté par le juge Bowman. Tout comme ce dernier, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les concepts de droit pénal dans les matières telle l'affaire en instance. Un plaidoyer de diligence raisonnable, qui serait accueilli dans le contexte des infractions en matière réglementaire, exonérerait de toute forme de sanction. Par contre, dans les affaires touchant l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise, les inscrits n'invoquent pas l'erreur de droit à titre de moyen de défense en cas de défaut de perception et de versement de la TPS. Personne n'a jamais contesté qu'ils soient toujours tenus au moins-payé et aux intérêt y afférents. En effet, la Loi prévoit qu'ils ont le droit de percevoir tout montant qui aurait dû être recouvré auprès de ceux qui sont tenus au paiement de la taxe. Ce qu'ils contestent, c'est la pénalité automatique de 6 p. 100.

(v) Conclusion

À la lumière du cadre d'analyse défini dans Sault Ste-Marie et après examen des arguments proposés par le ministre, je ne suis pas convaincu que l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise porte responsabilité absolue. À mon avis, le moyen de défense implicite de diligence raisonnable n'est pas incompatible avec le régime fiscal en question; il ne fait pas échec aux fins qui sous-tendent ce dernier. La présomption de responsabilité stricte n'a pas été réfutée.

Décision

Il faut débouter le demandeur de son recours en contrôle judiciaire. La défenderesse a droit à tous les frais et dépens raisonnables et légitimes de l'instance.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.

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