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[1997] 1 C.F. 518

T-2424-93

Apotex Inc. (requérante)

c.

Le procureur général du Canada, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (intimés)

et

Eli Lilly Canada Inc., Association canadienne de l’industrie du médicament et Association canadienne de fabricants de produits pharmaceutiques (intervenantes)

Répertorié : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay —Toronto, 30 avril; Ottawa, 22 novembre 1996.

Brevets Demande visant à faire déclarer ultra vires le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)L’art. 55.2(4) de la Loi sur les brevets permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour empêcher la contrefaçon de brevetsLe Règlement n’excède pas les pouvoirs du gouverneur en conseilLa Loi a pour but d’abolir le régime des licences obligatoires, exception faite de celles qui ont été accordées avant le 20 décembre 1991Il est contraire à l’objet de la loi d’octroyer une licence en réponse à une demande qui était pendante au moment de l’abolition du régime de licences obligatoiresLe nouveau régime a expressément prioritéLa loi modificatrice et le Règlement sont applicables aux demandes pendantes d’ADC.

Droit administratif Contrôle judiciaire Jugements déclaratoires Demande visant à faire déclarer invalide le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)L’art. 55.2(4) de la Loi sur les brevets permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour empêcher la contrefaçon de brevetsLe gouverneur en conseil n’a pas à démontrer la nécessité d’un règlement, ni qu’il a examiné cette questionLa prise d’un règlement établit qu’il était jugé nécessaireLe fait que le Règlement ne s’applique qu’à des producteurs déterminés (génériques) d’une industrie particulière (pharmaceutique) alors que la Loi sur les brevets vise les brevets en général n’est pas discriminatoireLa présumée discrimination n’a rien à voir avec les droits de la personne ou la Charte, elle découle des choix légitimes que le gouverneur en conseil juge nécessaire de faireRien ne permet de conclure que le Règlement vise à empêcher l’octroi d’un ADC à la requéranteLa théorie de l’expectative raisonnable ne s’applique pas à des fonctions législativesLes fonctions du gouverneur en conseil visées à l’art. 55.2(4) sont d’ordre législatifIl n’est pas assujetti à l’obligation d’agir équitablementL’engagement exprès du ministre de consulter l’Association avant de rédiger le règlement n’a pas été pris au nom du gouverneur en conseil.

Interprétation des lois La Loi sur les brevets a été modifiée pour abolir le régime de licences obligatoires à l’égard des produits pharmaceutiques, exception faite des licences octroyées avant le 29 décembre 1991La demande d’ADC de la requérante était pendante lorsqu’a été pris le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) abolissant le régime d’obtention des ADCL’art. 12 de la Loi d’interprétation dispose que tout texte de loi est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objetIl serait contraire à l’objet de la Loi sur les brevets d’octroyer un ADCL’art. 44c) de la Loi d’interprétation prévoit qu’en cas d’abrogation et de remplacement, les procédures engagées sous le régime du texte antérieur se poursuivent conformément au nouveau texteLa loi modificatrice et le Règlement sont applicables aux demandes pendantes d’ADC.

Pratique Suspension d’instance Requête visant la suspension de la demande d’ordonnance enjoignant au ministre de délivrer un ADC pour le médicament Norfloxacin et de la demande visant à faire déclarer ultra vires le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)L’ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’ADC, rendue dans le cadre de procédures fondées sur l’art. 6 du Règlement, a été maintenue en appelIl a été plaidé que le dédoublement de procédures constituait un abus procéduralLa décision de la CAF détermine l’issue de la première demandeIl n’est pas dans l’intérêt de la justice de rejeter ou de suspendre la demande de jugement déclaratoire vu que : (i) la possibilité de plaider l’invalidité n’était pas établie; (ii) les intervenantes ont un intérêt quant à la question de la validité du Règlement, car elles ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à se préparer; (iii) préparer l’intervention dans une instance fondée sur l’art. 6 du Règlement peut être difficile en raison des délais applicables en matière d’ordonnance d’interdiction; (iv) il est important de trancher la question de la validité du Règlement.

La requérante demande une ordonnance enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de lui délivrer un avis de conformité (ADC) à l’égard du produit pharmaceutique appelé Norfloxacin et un jugement déclaratoire portant que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est ultra vires du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets.

Le 15 février 1993, le projet de loi C-91 est entré en vigueur. Il modifiait la Loi sur les brevets et abolissait les licences obligatoires qui permettaient aux fabricants de médicaments génériques comme Apotex de vendre la version générique d’un médicament d’origine breveté avant l’expiration du brevet, exception faite des licences octroyées avant le 20 décembre 1991. En février 1993 également, le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales a écrit à l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP) pour l’assurer qu’elle serait consultée avant la prise de règlements sous le régime du paragraphe 55.2(4) de la loi modificatrice. Le paragraphe 55.2(4) permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour empêcher la contrefaçon. Le paragraphe 55.2 est entré en vigueur le 12 mars 1993, en même temps que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pris sous le régime du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4), bien que l’ACFPP n’ait pas été consultée. Selon le nouveau règlement, le titulaire d’un ADC (délivré sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues si le produit satisfait aux critères d’innocuité et d’efficacité) peut déposer une liste de brevets à l’égard de chaque médicament pour lequel il détient un ADC (première personne). Toute seconde personne qui soumet une présentation de drogue nouvelle (PDN) comparant son médicament à un produit pharmaceutique déjà approuvé doit se conformer au paragraphe 5(1) du Règlement. Cette disposition s’applique expressément aux demandes d’ADC présentées avant l’entrée en vigueur du Règlement. Les premières personnes peuvent demander à la Cour de rendre une ordonnance d’interdiction en vertu de l’article 6 à l’égard de tout avis d’allégation déposé par une seconde personne sous le régime de l’article 5.

Merck & Co. Inc. était titulaire d’une licence exclusive à l’égard du Norfloxacin, un médicament sur ordonnance, et Merck Frosst Canada Inc. détenait une sous-licence et était l’unique titulaire d’un ADC permettant la vente de ce médicament au Canada. Merck a déposé une liste de brevets, le 6 avril 1993, dans laquelle apparaissait le Norfloxacin. Dans un avis d’allégation déposé en vertu de l’article 5, Apotex a déclaré que la version générique du Norfloxacin ne porterait pas atteinte à la licence ou au brevet de Merck. Merck a alors demandé à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC à Apotex. Par la suite, Apotex a déposé l’avis de requête introduisant la présente instance et visant l’obtention d’une ordonnance de mandamus et d’un jugement déclaratoire. C’est la demande de Merck qui a été entendue la première, et le juge Simpson a prononcé une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC à Apotex. L’appel interjeté contre cette décision a été rejeté peu après l’audition de la présente demande. Merck sollicite le rejet ou la suspension de la demande parce qu’elle fait double emploi avec sa demande d’ordonnance d’interdiction relativement à la question de savoir si un ADC devrait être délivré, laquelle a déjà été entendue, et qu’il en résulte un abus de procédure.

Les questions sont les suivantes : (1) La demande doit-elle être suspendue? (2) Le Règlement est-il ultra vires? (3) Le Règlement s’applique-t-il aux demandes d’ADC qui étaient pendantes avant son entrée en vigueur? (4) Le Règlement est-il invalide parce que (i) la nécessité n’en a pas été démontrée, (ii) il a été édicté pour un motif accessoire non avoué, (iii) il est discriminatoire du fait qu’il ne porte que sur les brevets pharmaceutiques malgré la diversité des objets brevetables? (5) La non-consultation de l’ACFPP constitue-t-elle un manquement aux règles d’équité?

Jugement : la demande doit être rejetée.

(1) Il convient de rejeter la requête préliminaire visant le rejet ou la suspension de la procédure. La décision de la Cour d’appel, qui a eu pour effet de confirmer l’ordonnance du juge Simpson prohibant la délivrance d’un ADC à Apotex détermine l’issue de la présente instance quant à la première ordonnance demandée par Apotex. Il n’est pas dans l’intérêt de la justice, toutefois, de rejeter ou de suspendre la demande de jugement déclaratoire pour les raisons suivantes : (1) il se peut que la possibilité de plaider l’invalidité du Règlement ne soit pas apparue clairement auparavant; (2) des interventions ont été autorisées dans la présente instance, et les intervenantes aussi ont un intérêt à l’égard de la question de la validité du Règlement et, comme les parties, elles ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à se préparer pour l’audience; (3) obtenir l’autorisation d’intervenir dans une affaire relevant de l’article 6 du Règlement et préparer l’intervention n’est pas une tâche facile en raison, particulièrement, des délais applicables en matière d’ordonnance d’interdiction; (4) il est important de trancher la question de la validité du Règlement.

(2), (3) La prise du Règlement n’excédait pas les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4). L’objet principal du texte de loi est de mettre fin au régime des licences obligatoires; seules les licences octroyées avant le 20 décembre 1991 demeurent valides après le 4 février 1993. L’article 12 de la Loi sur l’interprétation dispose que tout texte de loi est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. L’octroi à Apotex d’une licence à l’égard du Norfloxacin ou de tout autre produit visé par une demande d’ADC pendante au moment de l’abolition du régime des licences obligatoires irait à l’encontre de l’objet de la Loi. Il faut plutôt se tourner vers l’alinéa 44c) de la Loi d’interprétation, lequel prévoit qu’en cas d’abrogation et de remplacement, les procédures engagées sous le régime du texte antérieur se poursuivent conformément au nouveau texte, dans la mesure de leur compatibilité avec celui-ci. La nouvelle loi prévoyait expressément que le nouveau régime prévalait sur toute disposition législative ou réglementaire divergente (voir le paragraphe 55.2(5)). Par conséquent, la loi modificatrice et le Règlement s’appliquent à une demande d’ADC pendante.

(4)(i) Les mots « as the Governor in Council considers necessary » confèrent au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel les tribunaux appliquent le principe de retenue judiciaire. L’exercice de ce pouvoir ne serait compromis que par la preuve, absente en l’espèce, que le gouverneur en conseil ne considérait pas le Règlement nécessaire. Le gouverneur en conseil n’a pas à démontrer la nécessité d’un règlement; il n’a même pas à prouver qu’il a examiné cette question. La simple prise d’un règlement établit que le gouverneur en conseil l’a jugé nécessaire, pour ce qui est, à tout le moins, de l’examen de la Cour. Ces mots n’énoncent d’aucune façon un critère objectif de nécessité qui doit être satisfait, voire examiné. En l’absence de toute preuve de l’inutilité du Règlement, il faut tenir pour acquis que le gouverneur en conseil l’a considéré nécessaire au moment où il l’a pris.

(ii) Rien ne permet d’inférer que le Règlement avait pour objet d’empêcher Apotex d’obtenir un ADC. La modification de la Loi avait pour but d’éliminer la possibilité pour les fabricants de produits génériques d’obtenir une licence obligatoire pendant qu’un brevet était en vigueur. En ce sens, le Règlement, qui poursuit cet objectif en liant l’obtention d’un ADC par un fabricant de produits génériques à l’écoulement d’un délai suivant l’expiration du brevet d’un médicament déjà sous licence, sert l’objectif général de la préservation de la position commerciale des fabricants de médicaments d’origine lorsque celle-ci est liée à la vente de leurs médicaments brevetés. Ce résultat est inévitable, et le Parlement le visait implicitement lorsqu’il a abandonné le système des licences obligatoires dans la mesure où des brevets en vigueur protègent des médicaments à l’égard desquels des ADC ont été accordés.

(iii) L’action de légiférer ou de réglementer comporte nécessairement des choix, notamment en ce qui concerne les industries ou les activités qui seront touchées et les mesures qui leur seront appliquées. On ne saurait conclure à l’invalidité du Règlement du fait que le pouvoir particulier ou exprès de faire des choix, lesquels choix ont été incorporés dans le Règlement, n’est pas mentionné. La discrimination dont se plaint Apotex n’a rien à voir avec les droits de la personne ou la Charte, elle découle simplement des choix légitimes que le gouverneur en conseil, aux termes du paragraphe 55.2(4), a jugé nécessaire de faire.

(5) La théorie de l’expectative légitime est inapplicable aux fonctions ou décisions d’ordre purement législatif. Comme le paragraphe 55.2(4) investit le gouverneur en conseil du pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires concernant les objets en cause en l’espèce sans lui imposer de restrictions sous forme de critères objectifs, l’action du gouverneur en conseil est clairement législative et, par conséquent, le gouverneur en conseil n’est pas assujetti à l’obligation d’agir équitablement. Bien que le ministre ait été le principal responsable de l’élaboration de la réglementation, l’engagement qu’il a expressément souscrit ne peut, à mon avis, être perçu en soi comme un engagement pris par le gouverneur en conseil, l’organisme officiellement autorisé à réglementer. Aucune autre source reconnue de l’obligation d’agir équitablement ne permet à la Cour d’intervenir s’il n’y a pas eu consultation au sujet de la teneur d’un règlement avant son adoption, même lorsque la consultation préalable a été promise mais n’a pas été faite.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 4, 12.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12, 44c).

Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50(1)b).

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 4, 5, 6, 7.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 65 C.P.R. (3d) 483; 106 F.T.R. 294 (C.F. 1re inst.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 455; 197 N.R. 294 (C.A.F.); Reference as to the Validity of the Regulations in Relation to Chemicals, [1943] R.C.S. 1; [1943] 1 D.L.R. 248; (1943), 79 C.C.C. 1; Renvoi relatif au régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 29 Admin. L.R. (2d) 1; 59 C.P.R. (3d) 82; 176 N.R. 1.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1990] 2 C.F. 351 (1990), 31 F.T.R. 31 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Yat Tung Investment Co. Ltd. v. Dao Heng Bank Ltd., [1975] A.C. 581 (P.C.); Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100; Grandview (ville de) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621; (1975), 61 D.L.R. (3d) 455; [1976] 1 W.W.R. 388; 7 N.R. 299; Fenerty v. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R. 435; 53 N.S.R. 457 (C.S.); Fidelitas Shipping Co., Ltd. v. V/O Exportchleb, [1965] 2 All E.R. 4 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302; 169 N.R. 342 (C.A.F.); conf. (1994), 53 C.P.R. (3d) 368; 75 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.); David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (1994), 58 C.P.R. (3d) 209; 176 N.R. 48 (C.A.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada, [1989] 2 C.F. 158 (1988), 18 C.E.R. 214; 92 N.R. 308; 2 T.C.T. 4158 (C.A.).

DEMANDE d’ordonnance enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à la requérante un avis de conformité à l’égard de son médicament Norfloxacin et demande de jugement déclaratoire portant que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est ultra vires des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Demande rejetée.

AVOCATS :

H. B. Radomski pour la requérante.

Graham R. Garton pour les intimés procureur général du Canada et ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

W. Ian Binnie, c.r., pour l’intimée Merck & Co. Inc. et W. H. Richardson pour l’intimée Merck Frosst Canada Inc.

Anthony G. Creber pour l’intervenante Eli Lilly Canada Inc.

Emma A. C. Grell pour l’intervenante Association canadienne de l’industrie du médicament.

Timothy H. Gilbert et Ronald G. Slaght pour l’intervenante Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques.

PROCUREURS :

Goodman Phillips & Vineberg, Toronto, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés procureur général du Canada et ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’intimée Merck & Co. Inc.

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’intimée Merck Frosst Canada Inc.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’intervenante Eli Lilly Canada Inc.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’intervenante Association canadienne de l’industrie du médicament.

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto, pour l’intervenante Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : La requérante, Apotex Inc. (Apotex), par sa demande de contrôle judiciaire, cherche à obtenir une ordonnance enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de lui délivrer un avis de conformité (ADC) à l’égard du produit pharmaceutique appelé Norfloxacin, lequel avis l’autoriserait à vendre ce produit au Canada. La requérante demande également à la Cour de rendre un jugement déclaratoire portant que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), est ultra vires du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée par l’article 4 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2 (la Loi).

Apotex est une société de fabrication de produits pharmaceutiques constituée sous le régime de la loi ontarienne. Elle fabrique et vend principalement des médicaments génériques, c’est-à-dire des médicaments équivalant à des produits déjà vendus au Canada en vertu d’un ADC délivré par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) à l’égard de médicaments sur ordonnance, et contenant les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux actifs que ces médicaments, lesquels sont habituellement distribués par les titulaires des droits de brevet visant les produits. Ces produits pourront être désignés sous le nom de « médicaments d’origine » dans les présents motifs.

Au cours de l’audience, l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (ACFPP), qui avait obtenu l’autorisation d’intervenir à des conditions restreignant les questions à l’égard desquelles elle pouvait soumettre des documents et arguments, a appuyé la requérante. L’ACFPP est une association qui, depuis sa formation en 1967, représente les sociétés canadiennes et quelques sociétés étrangères de produits pharmaceutiques et de produits de laboratoire qui fabriquent et vendent des médicaments génériques.

Les sociétés intimées, Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (Merck), des sociétés américaines et canadiennes liées, fabriquent elles aussi des produits pharmaceutiques. Elles vendent principalement des médicaments innovateurs ou d’origine, c’est-à-dire des médicaments à l’égard desquels l’une ou l’autre société a demandé au ministre intimé, et obtenu, une approbation. Cette approbation leur permet de commercialiser des médicaments sur ordonnance protégés par des brevets dont elles sont titulaires. Dans les présents motifs, les sociétés intimées et les sociétés de même type sont quelquefois appelées sociétés innovatrices.

Les intimés ont reçu l’appui des intervenantes Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly) et l’Association canadienne de l’industrie du médicament (ACIM), dont l’intervention a été autorisée à la condition de ne pas faire double emploi avec la présentation de la preuve et de l’argumentation des intimés. Eli Lilly est une société pharmaceutique qui, comme l’intimée Merck, fabrique et vend des médicaments d’origine. L’ACIM est une association constituée principalement de sociétés fabriquant des médicaments d’origine, les sociétés dites innovatrices.

Historique

Avant l’entrée en vigueur de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets et du Règlement pris sous son régime en 1993, la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, prévoyait un système de licence obligatoire en vertu duquel les fabricants de médicaments génériques pouvaient obtenir du commissaire aux brevets une licence obligatoire leur permettant de vendre la version générique d’un médicament d’origine breveté. Ce régime permettait de fabriquer ou d’importer et d’utiliser un médicament générique avant l’expiration du brevet protégeant le médicament d’origine similaire, moyennant l’observation des conditions énoncées dans la licence, notamment le paiement de redevances au titulaire du brevet. Le régime, qui s’appliquait initialement aux brevets protégeant des processus de fabrication de médicaments sur ordonnance, a été modifié en 1987 [Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33].

Comme le système actuel, il assujettissait la vente de médicaments sur ordonnance au Canada à l’obtention d’un avis de conformité, délivré sur vérification de l’innocuité et de l’efficacité du médicament, conformément à la Loi sur les aliments et drogues [L.R.C. (1985), ch. F-27] et à ses règlements d’application. Les facteurs pris en considération pour l’octroi d’un brevet ou d’une licence obligatoire n’avaient aucun lien avec ceux qui s’appliquaient à la délivrance d’un ADC, et l’examen était effectué de façon indépendante par des autorités différentes, savoir le commissaire aux brevets dans le premier cas et le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social dans le second.

Tous les fabricants de médicaments qui veulent vendre leurs produits au Canada doivent soumettre une présentation de drogue nouvelle (PDN), conformément au Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, modifié, afin d’obtenir un ADC. Jusqu’en 1993, le ministre devait, sur réception d’une PDN, effectuer une évaluation et, s’il l’estimait satisfaisante sur le plan de l’innocuité et de l’efficacité, il était tenu de délivrer un ADC. L’existence d’un ADC autorisant la vente d’un médicament similaire par une société pharmaceutique innovatrice n’empêchait pas la délivrance d’un ADC à un fabricant de médicaments génériques à l’égard du même médicament sur ordonnance de base, si l’efficacité et l’innocuité du produit générique étaient établies.

La Loi sur les brevets prévoyait, par ailleurs, avant l’adoption de la loi modificatrice de 1993, qu’en matière de produits médicinaux, seules les revendications de brevet visant des processus ou des produits obtenus par un processus, pouvaient être enregistrées. Un demandeur pouvait donc obtenir un brevet protégeant le processus employé pour fabriquer un médicament ou protégeant le produit lorsque celui-ci était fabriqué par processus précis, mais il lui était impossible de faire protéger le produit lui-même par brevet.

Le 14 janvier 1992, le gouvernement a annoncé son intention de présenter un projet de loi abolissant le système de licence obligatoire. Le projet de loi C-91, concrétisant cette intention, a été déposé en première lecture devant la Chambre des communes le 23 juin 1992. Après le dépôt de ce projet de loi, le directeur général de la Direction des médicaments (Santé nationale et Bien-être social Canada) alors en fonction a consulté l’ACFPP au mois de juillet 1992 au sujet de la possibilité de lier la délivrance d’un ADC aux droits de brevet, laquelle possibilité n’était pas prévue par le projet de loi. L’ACFPP a répondu à cette lettre le 4 août 1992 et s’est vigoureusement opposée à l’établissement d’un tel régime.

L’examen en deuxième lecture du projet de loi a commencé le 16 novembre 1992, et des audiences publiques ont été entreprises devant un comité de la Chambre des communes le 23 novembre suivant. Le 26 novembre, l’ACIM a présenté des observations devant ce comité. Elle préconisait la mise en place d’un régime liant la délivrance d’ADC aux droits de brevets, dont les modalités devraient être décrites par règlement. L’ACFPP a elle aussi comparu devant le comité et, le 1er décembre 1992, a présenté des observations dans lesquelles, entre autres, elle s’opposait à un tel régime.

Le 2 décembre 1992, des représentants de l’ACFPP ont rencontré, à la suite d’une demande de l’association, des fonctionnaires du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales, et ont été informés qu’un amendement au projet de loi C-91 était proposé et qu’il visait à ajouter une disposition autorisant le gouverneur en conseil à prendre des règlements pour prévenir la contrefaçon de brevets en liant l’octroi des ADC aux droits de brevets. L’ACFPP a exprimé son opposition à l’amendement dans des lettres envoyées le 3 décembre 1992, sous la signature de son président, M. Kay, au ministre de la Consommation et des Affaires commerciales et au ministre de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie. Au mois de décembre 1992, une version du paragraphe 55.2(4) a été ajoutée au projet de loi afin de permettre la prise du type de règlement auquel l’ACFPP s’opposait.

Le 10 décembre 1992, la Chambre des communes a approuvé le projet de loi C-91, y compris l’amendement ajoutant le paragraphe 55.2(4). L’article 12 du projet de loi abolissait toutes les licences obligatoires exception faite des licences octroyées avant le 20 décembre 1991. Le 20 janvier 1993, l’ACFPP a présenté des observations au comité du Sénat examinant le projet de loi. Plus tard en janvier 1993, des représentants de l’ACFPP ont rencontré des fonctionnaires de Santé nationale et Bien-être social Canada. Au cours de cette réunion, un sous-ministre aurait dit que le gouvernement avait l’intention de consulter les intervenants avant de prendre quelque règlement que ce soit.

Dans une lettre datée du 5 février 1993, le nouveau ministre de la Consommation et des Affaires commerciales, qui était chargé de la présentation du projet de loi et de l’élaboration des règlements d’application, M. Vincent, a informé le président de l’ACFPP, M. Kay, que le dépôt du projet de loi C-91 visait à harmoniser les lois canadiennes en matière de brevets protégeant des médicaments avec les lois des principaux partenaires commerciaux du Canada et avec l’Accord de libre-échange nord-américain. Dans cette lettre, le ministre écrivait également :

[traduction] Je conviens qu’en règle générale les recours judiciaires suffisent à réprimer les contrefaçons de brevet. Toutefois, en permettant aux sociétés génériques concurrentes de se servir des brevets des sociétés innovatrices pour obtenir une approbation réglementaire, le gouvernement abolit un droit de brevet que les titulaires de brevet auraient autrement pu invoquer pour empêcher ce type d’action de la part de concurrents. L’amendement dont vous faites mention doit être interprété dans ce contexte. Il vise à permettre au gouvernement de limiter tout préjudice découlant de sa décision d’autoriser un type d’action qui, autrement, constituerait une contrefaçon de brevet.

Le paragraphe 55.2(1) fait en sorte qu’un concurrent générique puisse commercialiser ses produits immédiatement après l’expiration des brevets pertinents. Le gouvernement n’a pas l’intention d’écarter un concurrent générique du marché à moins que la vente de produits génériques ne contrefasse un brevet valide. Tout règlement pris en application du paragraphe 55.2(4) nouvellement ajouté sera rédigé conformément à cette intention. Soyez assuré que vous serez consulté avant la prise d’un tel règlement.

Le projet de loi C-91, maintenant connu sous le titre de Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, est entré en vigueur le 15 février 1993, à l’exception de l’article 55.2. L’article 3 du texte de Loi abrogeait les dispositions autorisant l’octroi des licences obligatoires à l’égard des médicaments sur ordonnance, et l’article 12 mettait fin aux licences obligatoires, exception faite de celles qui avaient été accordées avant le 20 décembre 1991. Le 12 mars 1993, l’article 55.2 est entré en vigueur. Les dispositions pertinentes de cet article prévoient ce qui suit :

55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

(2) Il n’y a pas contrefaçon de brevet si l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée, au sens du paragraphe (1), a lieu dans la période prévue par règlement et qu’elle a pour but la production et l’emmagasinage d’articles déterminés destinés à être vendus après la date d’expiration du brevet.

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

[Les alinéas a) à e) décrivent les objets pouvant être visés par les règlements.]

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

Les paragraphes (1) et (2) formulent des exceptions permettant à un fabricant de produits génériques de se livrer à certaines activités sans porter atteinte à un brevet. Aux termes du paragraphe (1), une société peut mettre au point la version générique d’un médicament d’origine et présenter des observations en vue de l’obtention d’une approbation réglementaire à son égard sans contrefaire le brevet. Auparavant, le processus d’approbation réglementaire afférent à la délivrance de l’ADC pouvait prendre, selon certaines affirmations, jusqu’à quatre ans, et même plus. La seconde exception, énoncée au paragraphe (2) et appelée « l’exception visant le stockage », autorise un fabricant à stocker, avant l’expiration du brevet, un produit utilisant une invention brevetée par un tiers, afin de pouvoir introduire le produit sur le marché immédiatement après l’expiration du brevet.

Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pris en vertu des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4), est entré en vigueur à la même date que l’article 55.2, savoir le 12 mars 1993. Cependant, la prise de ce règlement n’a été précédée d’aucune consultation auprès de l’ACFPP, contrairement à l’assurance donnée par le ministre.

Le Règlement a modifié le régime applicable à l’obtention des ADC, en la liant à la protection des brevets. Les nouvelles dispositions prévoient que le titulaire d’un ADC peut déposer une liste de brevets à l’égard de chaque médicament pour lequel il détient un ADC. Le titulaire, désigné dans le règlement sous l’appellation « première personne », est habituellement une société fabriquant ou vendant des médicaments d’origine, ou société innovatrice. Aux termes du Règlement, toute « seconde personne », c’est-à-dire toute personne qui soumet une PDN comparant son médicament à un produit pharmaceutique déjà approuvé (donc un fabricant de produits génériques qui demande un ADC à l’égard d’un médicament figurant dans la liste de brevets d’une autre personne) doit se conformer au paragraphe 5(1) du Règlement, lequel est ainsi conçu :

5. (1) Lorsqu’une personne dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité à l’égard d’une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu’elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l’égard de chaque brevet énuméré dans la liste :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)b) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

La seconde personne qui fait l’allégation visée à l’alinéa 5(1)b) doit en signifier une copie à la première personne. L’article 6 du Règlement énonce que, par la suite, la première personne peut, dans les quarante-cinq jours de la signification, demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’ADC avant l’expiration du brevet. Aux termes des paragraphes 7(1) et (2), le ministre ne peut délivrer d’ADC avant la date qui suit de trente mois la réception de la preuve du dépôt de la demande d’ordonnance d’interdiction prévue au paragraphe 6(1) ou avant que le tribunal ait conclu au bien-fondé de l’allégation de la seconde personne.

Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui était joint au Règlement lors du dépôt de celui-ci devant la Chambre des communes, faisait la description suivante du Règlement :

En vertu du règlement, il est interdit au ministre de la Santé et du Bien-être social (SBSC) d’approuver la mise en marché (avis de conformité) d’un médicament qui s’inspire d’un médicament connexe déjà approuvé tant que les brevets relatifs au produit original et à son utilisation soient [sic] encore en vigueur.

Autres mesures envisagées

À l’heure actuelle, les titulaires d’un brevet ont le droit d’entamer des poursuites en contrefaçon dans le but d’obtenir un redressement interlocutoire ou des dommages-intérêts si aucune injonction n’est accordée et qu’on découvre par la suite qu’il y avait contrefaçon. En règle générale, les recours judiciaires suffisent pour régler les cas de contrefaçon. Toutefois, avec l’adoption du projet de loi C-91, le gouvernement fait une exception dans ce domaine en permettant aux fabricants de médicaments génériques d’entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l’approbation réglementaire d’un produit. Par conséquent, le titulaire d’un brevet perd un droit dont il aurait pu se prévaloir pour empêcher ses concurrents de faire approuver leurs produits.

Le présent règlement est nécessaire si on veut éviter que cette nouvelle exception en matière de contrefaçon soit mal utilisée par les fabricants de produits génériques désireux de vendre leurs produits au Canada pendant que le brevet original est encore valide. En vertu du règlement, ces fabricants peuvent toutefois entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l’approbation réglementaire et ainsi commercialiser leurs produits dès que les brevets pertinents arrivent à expiration.

Consultations

Les principaux intervenants ont été consultés au sujet du principe sous-tendant ce règlement avant l’adoption du projet de loi C-91.

Toutefois, comme il est important de mettre le règlement en vigueur rapidement pour appliquer la nouvelle loi, aucune consultation n’a eu lieu concernant le texte du règlement avant son entrée en vigueur. Aucun avis préalable n’a été émis dans les Projets de réglementation fédérale. Comme il s’agit d’un nouveau règlement, le gouvernement consultera sur sa mise en œuvre et fera, au besoin, les améliorations pertinentes.

En 1989, bien avant l’adoption de la Loi et du Règlement, Apotex avait soumis une PDN en vue de l’obtention d’un ADC relativement à l’Apo-Enalapril, sa version générique du médicament d’origine de l’intimée Merck appelé Vasotec, pour lequel cette dernière détenait un brevet et un ADC. En 1992, Vasotec était le médicament générant le chiffre de vente annuel le plus élevé au Canada. Le 22 décembre 1992, Apotex a intenté une poursuite visant à obliger le ministre à délivrer un ADC à l’égard de l’Apo-Enalapril. Elle soutenait que sa PDN satisfaisait aux exigences réglementaires alors applicables à la délivrance d’un ADC. Au cours de l’instance, elle a déposé une requête en jugement présentable le 9 mars 1993. À cette date, l’avocat du ministre a demandé l’ajournement de l’audition de cette requête. Le juge Pinard a fait droit à cette demande et a reporté l’audience au 16 mars 1993. Dans l’intervalle, savoir le 12 mars 1993, l’article 55.2 de la Loi et le Règlement sont toutefois entrés en vigueur et ont établi, relativement à l’obtention d’un ADC, un régime différant substantiellement de celui qui s’appliquait lorsque Apotex avait soumis sa demande.

Après le 12 mars 1993, le ministre a émis l’opinion voulant que la demande d’ADC présentée par Apotex et sur laquelle aucune décision n’avait encore été rendue était dorénavant régie par le nouveau Règlement. Le juge Dubé a fini par repousser cette opinion et a ordonné, au mois de juillet 1993 [Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 49 C.P.R. (3d) 161 (C.F. 1re inst.)], la délivrance d’un ADC à Apotex relativement à l’Apo-Enalapril. Selon lui, le personnel du ministre avait recommandé à celui-ci, avant l’entrée en vigueur du Règlement le 12 mars 1993, l’acceptation de la demande d’ADC. Par la suite, Merck et Apotex se sont affrontées dans diverses instances portant sur l’Apo-Enalapril, mais d’autres questions étaient en jeu. On a prétendu que ces instances et le choix du moment de l’introduction du Règlement visé en l’espèce étaient intimement liés en raison de la revendication soumise par Apotex. De l’avis de M. Sherman, le président d’Apotex à cette époque, la façon dont le Règlement a été introduit et la date de son introduction indiquent qu’il a été déposé de mauvaise foi, dans le but d’empêcher Apotex de pénétrer le marché lucratif de la vente de l’Enalapril et de prolonger le monopole de Merck.

Les questions en cause

La présente demande soulève trois questions principales. Apotex soutient que le gouverneur en conseil a excédé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 55.2(4) de la Loi en prenant le Règlement et que, même si la Cour devait rejeter cet argument, le Règlement, correctement interprété, ne s’applique pas aux demandes d’ADC qui étaient pendantes avant que le Règlement n’entre en vigueur.

Apotex conteste en outre la validité du Règlement pour d’autres motifs, notamment parce que la nécessité n’en a pas été démontrée, parce qu’il a été édicté pour un motif accessoire non avoué, parce qu’il est discriminatoire, du fait qu’il ne porte que sur les brevets pharmaceutiques malgré la diversité des objets brevetables, et, finalement, parce qu’il aura un effet paralysant sur l’industrie pharmaceutique générique. À l’audience, la requérante a laissé tomber ce dernier argument, qui figurait dans ses observations écrites.

La troisième question principale a été soulevée par l’ACFPP, avec l’approbation de la Cour, telle qu’elle ressort de l’ordonnance autorisant l’intervention de l’association à l’instance. L’ACFPP affirme que le processus ayant mené à l’élaboration et au dépôt du Règlement ne respecte pas les normes essentielles d’équité car, malgré l’assurance que le ministre avait donnée par écrit qu’il consulterait l’association au sujet du Règlement, celui-ci a été pris sans consultation préalable.

Avant d’aborder l’examen de ces points, il me faut résoudre une question préliminaire que Merck a soulevée au début de l’audience, dans une requête visant le rejet ou la suspension de la demande d’Apotex. Merck prétend que dans les circonstances, cette demande constitue un abus de procédure.

La requête préliminaire visant à rejeter ou à suspendre la demande

Merck a déposé sa requête deux jours seulement avant le début de l’audition de la présente demande, dont la durée prévue, depuis plusieurs mois, était de quatre jours. La société a demandé à la Cour de rejeter ou, en application de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, de suspendre l’examen de la demande. Elle fait valoir que l’une ou l’autre mesure est justifiée étant donné que cette demande constitue un abus de procédure.

Je décrirai brièvement la genèse de cette prétention. Merck & Co. Inc. est titulaire d’une licence exclusive à l’égard du Norfloxacin, un médicament sur ordonnance, et Merck Frosst Canada Inc. détient une sous-licence visant ce médicament, à l’égard duquel elle est l’unique titulaire d’un ADC en permettant la vente au Canada. Merck a déposé une liste de brevets, le 6 avril 1993, dans laquelle apparaissait le Norfloxacin, conformément à l’article 4 du Règlement.

Dans un avis d’allégation daté du 19 avril 1993, Apotex a déclaré que la version générique du Norfloxacin ne porterait pas atteinte à la licence ou au brevet de Merck, parce qu’elle avait l’intention d’acheter le médicament en vrac d’une société détenant une licence obligatoire valide autorisant la fabrication et la vente du Norfloxacin et que cela ne constituait pas une contrefaçon. Merck s’est alors adressée à la Cour, en application de l’article 6 du Règlement, pour obtenir le prononcé d’une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC, dans le dossier T-1306-93.

Par la suite, Apotex a déposé, au mois d’octobre 1993, l’avis de requête introduisant la présente instance et visant l’obtention du redressement déjà décrit, savoir une ordonnance de mandamus et un jugement déclaratoire portant que le Règlement est invalide.

C’est la demande de Merck qui a été entendue la première, par ma collègue le juge Simpson, laquelle, dans une ordonnance rendue le 20 décembre 1995, a interdit au ministre de délivrer un ADC à Apotex à l’égard du Norfloxacin. Lorsque la présente demande a été entendue, Apotex avait porté cette décision en appel et, peu après l’audience, la Cour d’appel a rejeté le pourvoi non pas quant au fond, mais pour le motif préliminaire, soulevé de sa propre initiative, qu’elle s’estimait liée par des décisions antérieures de la Cour d’appel établissant que l’entente en application de laquelle Apotex se procurerait le médicament constituait une sous-licence et qu’elle était donc contraire à la licence obligatoire octroyée à une autre personne, dont Apotex se prévalait. Cette conclusion privait de tout fondement la déclaration d’Apotex selon laquelle elle ne contreferait aucun brevet, déclaration que le juge Simpson avait estimée non justifiée pour d’autres motifs. (Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 65 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.), le juge Simpson et (1996), 67 C.P.R. (3d) 455 (C.A.F.).)

La décision de la Cour d’appel, qui a eu pour effet de confirmer l’ordonnance de Mme le juge Simpson prohibant la délivrance d’un ADC à Apotex relativement au Norfloxacin, détermine l’issue de la présente instance à tout le moins quant à la première ordonnance demandée par Apotex. Elle confirme l’opinion que j’ai exprimée à l’audience, relativement à la question préliminaire, selon laquelle la Cour refusera de prononcer une ordonnance contredisant directement les termes de l’ordonnance visant déjà le ministre, laquelle, depuis l’audience, a été confirmée par la Cour d’appel.

Cette décision fait également qu’il est inutile de répéter ou de commenter les observations formulées à l’audience et liées aux circonstances des deux instances dont la Cour était alors saisie, la présente demande et l’appel, lesquelles intéressaient les mêmes parties et portaient toutes deux sur la délivrance d’un ADC relativement au même médicament.

Toutefois, d’autres questions se sont posées en rapport avec la requête préliminaire. Je les ai analysées brièvement lorsque j’ai conclu, à l’audience, au rejet de la requête. Voici un bref résumé de ces questions et des motifs fondant le rejet.

Merck, appuyée par Eli Lilly, a soutenu que la présente instance entre Apotex et elle, qui visait originalement un résultat opposé à celui que Merck poursuivait dans la demande d’ordonnance d’interdiction dont elle avait déjà saisi la Cour relativement à la délivrance d’un ADC, constituait un dédoublement et donc un abus de procédure. À la date du dépôt de la présente demande, Apotex ne mentionnait pas qu’elle visait le Norfloxacin, et la Cour lui a ordonné, au mois de juin 1994 de clarifier cette question.

En dépit de la duplication procédurale, je n’étais pas disposé, à ce stade, à rejeter ou à suspendre la demande d’Apotex. J’ai cependant déclaré que je n’ordonnerais rien qui irait directement à l’encontre de l’ordonnance rendue par Mme le juge Simpson relativement à la demande soumise par Merck, ordonnance qui a par la suite été maintenue, dans les faits, par la Cour d’appel. Par conséquent, je ne puis envisager l’octroi du premier redressement demandé par Apotex. Cette dernière, toutefois, sollicite également un jugement déclaratoire portant que le Règlement est invalide, et d’autres parties sont intervenues à l’instance, à la suite d’ordonnances rendues par la Cour il y a quelques mois, et ont, de toute évidence, préparé à fond leur dossier et leur argumentation en ce qui concerne la demande de jugement déclaratoire.

L’avocat du procureur général soutient, avec l’appui de Merck, d’Eli Lilly et de l’ACIM, que la demande de jugement déclaratoire est en réalité un moyen accessoire par lequel Apotex cherche à atteindre son objectif principal : l’obtention d’une ordonnance visant l’octroi d’un ADC à l’égard du Norfloxacin, ainsi que le démontre le libellé employé dans la demande pour décrire le jugement déclaratoire sollicité, savoir une ordonnance :

[traduction] b) déclarant que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est ultra vires du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et déclarant que le ministre intimé n’est en conséquence aucunement entravé par le Règlement en question en ce qui concerne la délivrance de l’avis de conformité demandé en a).

Selon moi, la mention, dans le libellé de la requête introductive d’instance, des conséquences pouvant découler d’un jugement déclarant le Règlement ultra vires n’interdit pas à la Cour d’examiner la demande de jugement déclaratoire relative à la validité du Règlement. En outre, n’est pas pertinent en l’espèce l’argument selon lequel le critère établi dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, quant à la qualité requise pour agir aux fins de la contestation de questions d’intérêt public, fait qu’Apotex n’aurait pas qualité pour demander un tel jugement déclaratoire. En effet, cet argument ne tient pas compte du fait qu’Apotex, en sa qualité de principale société de fabrication et de vente de médicaments génériques habituée à contester, devant cette Cour ou ailleurs, l’autorité réglementaire, a un intérêt capital dans la résolution de la question soulevée par la demande de jugement déclaratoire. L’ACFPP partage évidemment cet intérêt, et c’est ce qui explique qu’elle ait été autorisée à intervenir à l’égard d’un aspect de la question de l’invalidité du Règlement qui la concerne exclusivement. L’ACIM, de son côté, a obtenu le statut d’intervenante pour défendre la validité du Règlement, en raison de son intérêt et de celui de ses membres dans cette question. Le Règlement a, selon moi, des incidences directes sur les intérêts d’Apotex, de l’ACFPP et de l’ACIM, et chacune d’entre elles a un intérêt véritable dans la résolution de la question de sa validité.

On m’a fait valoir qu’il était plus efficace de saisir la Cour de cette question dans le cadre des instances relatives aux ordonnances prévues par le Règlement. Apotex objecte qu’il n’est pas certain que l’article 6 du Règlement autorise cette façon de procéder, car le seul recours expressément prévu est l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un ADC et les seuls arguments invocables par une société de produits pharmaceutiques génériques ayant sollicité un ADC sont ceux qui ont trait aux questions soulevées à l’égard de l’avis d’allégation prévu à l’article 5. Je ne suis pas convaincu qu’il est impossible à un fabricant de médicaments génériques de contester la validité du Règlement dans le cadre de la procédure prévue à l’article 6. Selon moi, la question fondamentale de la validité du texte de loi qu’on demande à un tribunal d’appliquer peut être soulevée dans toute instance, sur la base de motifs d’ordre constitutionnel ou administratif, que le texte de loi prévoie ou non ce type de contestation. Il s’agit, à ce qu’il me semble, de l’une des caractéristiques essentielles d’une société reposant, comme la nôtre, sur le principe de la primauté du droit.

J’estime, par conséquent, qu’Apotex aurait très bien pu soulever l’argument de l’invalidité du Règlement au cours de l’examen, par Mme le juge Simpson, de la demande d’ordonnance d’interdiction soumise par Merck. Elle ne l’a pas fait. Merck fait valoir qu’au cours de cette instance antérieure Apotex s’est appuyée sur le Règlement et qu’en en contestant maintenant la validité elle commet un abus de procédure. De fait, Merck soutient que, suivant le principe général de la chose jugée, la présente instance est un recours abusif.

L’avocat de Merck a plaidé que les parties doivent soumettre dans la même instance tous les moyens pertinents invoqués au soutien du redressement demandé. Dans l’arrêt Yat Tung Investment Co. Ltd. v. Dao Heng Bank Ltd., [1975] A.C. 581, le Conseil privé a affirmé (à la page 590) :

[traduction] … la doctrine [de la chose jugée] peut être invoquée, d’une façon plus générale, de sorte que soulever dans une instance subséquente des questions qui pouvaient et, par conséquent, qui auraient dû, être débattues dans une instance antérieure constitue un emploi abusif des procédures. Le passage classique cité à propos de cet aspect de la théorie de la chose jugée provient des motifs du vice chancelier Wigram dans l’arrêt Henderson c. Henderson (1843), 3 Hare 100, 115 :

« … si un point donné devient litigieux et qu’un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu’elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n’autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l’a pas été pour l’unique raison qu’elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d’exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l’époque, si elles avaient fait preuve de diligence. »

L’exclusion d’un « point litigieux », qui ne devrait être décidée qu’après un examen minutieux des circonstances, se limite aux seuls cas où le point aurait pu être soulevé plus tôt si la partie avait fait preuve de diligence raisonnable. De plus, la réserve des « circonstances spéciales » existe, en dépit du fait que la négligence, l’inadvertance ou l’accident ne puissent justifier l’omission, pour les cas où il s’impose, pour que justice soit rendue, de ne pas appliquer la règle …

Le juge Somervell a explicité, dans la décision Greenhalgh v. Mallard [1947] 2 All E.R. 255, 257, la phrase suivante du vice chancelier « tout point qui faisait objectivement partie du litige » :

« … la chose jugée, pour cette fin, ne s’applique pas qu’aux seules questions qu’un tribunal est expressément appelé à trancher, mais … elle vise les questions ou les faits qui relèvent si clairement de l’objet du litige et qui auraient si manifestement pu être soulevés que de permettre l’ouverture d’une autre instance à leur égard équivaudrait à un abus de procédure. »

La Cour suprême du Canada a suivi, dans l’arrêt Grandview (ville de) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621 (à la page 634), le principe énoncé dans l’arrêt Henderson [Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100]. Le juge Ritchie, qui signait les motifs des juges majoritaires, a également cité, aux pages 636 et 637, le passage suivant de la décision Fenerty v. The City of Halifax (1920), 50 D.L.R. 435 (C.S.N.É) (à la page 437) :

[traduction] La doctrine de la chose jugée se fonde sur le concept de l’ordre public de façon à pouvoir mettre fin à un litige et empêcher qu’un individu soit poursuivi une deuxième fois au regard d’une même affaire. Selon moi, la jurisprudence a établi la règle qu’un jugement entre les mêmes parties est final et concluant, non seulement à l’égard des questions examinées, mais également à l’égard des questions que les parties auraient pu soulever.

Le juge Ritchie a également cité la décision Fidelitas Shipping Co., Ltd. v. V/O Exportchleb, [1965] 2 All E.R. 4 (C.A.), (à la page 9), dans laquelle lord Denning affirmait :

[traduction] La règle veut alors que chaque partie doit faire preuve de diligence pour invoquer tous les points susceptibles de la favoriser. Si une partie, soit par négligence, inadvertance ou même accident, omet de soulever un point particulier (qui lui aurait permis, ou peut-être permis d’obtenir gain de cause), elle peut se voir refuser l’occasion de soulever à nouveau ce point-là, du moins dans la même action et dans toute action subséquente portant sur le même litige. Mais cette règle n’est pas, elle non plus, inflexible. Certaines circonstances spéciales permettent de s’en écarter.

Merck affirme qu’en soulevant maintenant cette question, qui aurait dû et aurait pu être soulevée devant Mme le juge Simpson et qui aurait pu être déterminante pour sa décision, Apotex commet un abus de procédure.

Bien qu’il ne fasse pas de doute pour moi qu’Apotex aurait pu invoquer l’invalidité du Règlement dans l’instance antérieure, je reconnais qu’il n’a pas été statué sur cette question et que, pour autant que je sache, le point n’a pas non plus été soulevé dans une autre instance fondée sur le Règlement. Apotex a présenté sa demande quelque sept mois après l’entrée en vigueur du Règlement, alors que les tribunaux avaient rendu peu de décisions à son sujet. La possibilité, pour les parties ayant déposé un avis d’allégation sous le régime du Règlement, de se défendre contre l’application du texte réglementaire en plaidant l’invalidité de celui-ci a pu ne pas apparaître aussi clairement aux intéressés. La jurisprudence qui s’est élaborée concernant le Règlement a établi que les instances fondées sur l’article 6 ne mènent pas à des décisions définitives sur tous les droits des parties. Elles ne visent pas à déterminer s’il y a eu contrefaçon du brevet en cause ou à statuer sur la validité de celui-ci (voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.) et David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588(C.A.)). Elles ont simplement pour objet de déterminer le bien-fondé de l’allégation selon laquelle il n’y aurait pas contrefaçon d’un brevet existant par une partie qui souhaite comparer son produit à un produit breveté visé par un ADC. Si le tribunal conclut que l’allégation n’est pas fondée, il doit interdire l’octroi d’un second ADC. Mais rien ne s’oppose à l’introduction d’autres instances, pour invalidité.

Apotex a plaidé en l’espèce qu’il était possible d’introduire une nouvelle instance afin de résoudre d’autres questions touchant les droits des parties, pour appuyer sa prétention voulant que la décision de Mme le juge Simpson d’interdire l’octroi d’un ADC à l’égard du Norfloxacin n’était pas une « décision finale », mais une décision s’apparentant à une injonction interlocutoire, rendue en attendant qu’il soit statué de façon définitive sur les droits des parties. Ainsi, il me fallait considérer la présente instance non comme une attaque indirecte de l’ordonnance de Mme le juge Simpson, mais comme un processus visant le Règlement d’une question, qui n’avait pas été soulevée jusque là, dont dépendaient les droits des parties, savoir la question de la validité du Règlement. Je conviens que dans la mesure où la présente requête vise le prononcé d’un jugement déclaratoire, elle n’attaque pas directement l’ordonnance de Mme le juge Simpson. Elle est présentée en l’espèce comme elle aurait pu l’être, selon moi, dans toute instance fondée sur le Règlement. En elle-même, la demande de jugement déclaratoire ne constitue pas plus une attaque indirecte contre l’ordonnance de Mme le juge Simpson que contre d’autres ordonnances d’interdiction rendues dans d’autres instances fondées sur le Règlement.

Je ne puis convenir, néanmoins, que cette ordonnance n’était pas un jugement définitif relativement à l’application du Règlement quant aux questions dont elle était saisie. Il s’agissait d’une ordonnance finale au sens où elle ne pouvait être modifiée qu’à l’issue d’un appel, et la Cour d’appel a refusé de la modifier. Ce n’était pas une ordonnance que la Cour pourrait modifier directement ou qu’elle pourrait altérer indirectement en rendant une ordonnance contraire dans des circonstances similaires.

Je ne suis pas disposé pour autant à appliquer le principe général de la chose jugée pour rejeter ou suspendre l’audition de la demande de jugement déclaratoire, comme les intimées, l’ACIM et Eli Lilly m’exhortent à le faire. Le rejet ou la suspension d’une instance relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et, dans un cas qui s’y prêtait, la Cour a rejeté une action par application générale de la théorie de la chose jugée aussi appelée issue estoppel. (Voir Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1990] 2 C.F. 351(1re inst.), le juge Joyal.) À mon avis, les circonstances de la présente espèce sont différentes et peuvent être considérées comme des circonstances particulières, aux termes de l’arrêt Yat Tung Investments, précité, où il s’impose, pour que justice soit rendue, de « ne pas appliquer la règle » de la chose jugée à l’égard d’une question qui aurait pu être soulevée dans une instance antérieure.

Voici sur quels facteurs je me fonde pour conclure qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de rejeter ou de suspendre sans l’entendre la présente demande de jugement déclaratoire. Premièrement, il se peut que la possibilité de plaider l’invalidité du Règlement ne soit pas apparue clairement auparavant. Bien qu’à mon avis, le doute n’ait pas été fondé, il est surprenant que ce point n’ait pas été débattu dans une autre instance relative au Règlement. Deuxièmement, des interventions ont été autorisées dans la présente instance, et les intervenantes aussi ont un intérêt à l’égard de la question de la validité du Règlement. Comme les parties, elles ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à se préparer pour l’audience, et il leur faudrait recommencer le travail, au moins partiellement, si la Cour n’examinait pas la question et s’en remettait au hasard d’une autre instance. Troisièmement, obtenir l’autorisation d’intervenir dans une affaire relevant de l’article 6 et préparer l’intervention n’est pas une tâche facile en raison, particulièrement, des délais applicables en matière d’ordonnance d’interdiction. Finalement, la question de la validité du Règlement soulevée en l’espèce intéresse plus que les seules personnes directement touchées par une décision relative à une demande particulière d’ADC. Il importe donc de la trancher, ce qui sera fait au cours de la présente audience, sous réserve d’un appel. Je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice de procéder à l’audience.

C’est pourquoi, la requête préliminaire présentée par Merck afin d’obtenir le rejet de la demande ou la suspension de l’instance a été rejetée à l’audience. La Cour a alors entendu l’argumentation concernant le fond de la demande de jugement déclaratoire portant que le Règlement est invalide, et voici les motifs de sa décision en cette matière.

Pouvoir légal de réglementation

Apotex soutient que la prise du Règlement excède les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de ses modifications. Les passages pertinents de l’article 55.2 ont déjà été cités dans les présents motifs, dans la section retraçant l’historique de l’adoption de la Loi modificatrice au début de 1993.

Apotex ne remet pas en question l’objectif général de la Loi modificatrice tel que l’a décrit le juge Robertson dans les motifs qu’il a rendus pour la Cour d’appel dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742(aux pages 754 et 755); appel rejeté, [1994] 3 R.C.S. 1100 : l’abolition des licences obligatoires afin de « protéger les droits des sociétés pharmaceutiques innovatrices de distribuer et de vendre des médicaments brevetés … un changement radical de la politique gouvernementale adoptée par le Parlement en 1923 ». J’estime en outre que, pour la protection de ces droits, la Loi visait également l’important objectif accessoire de permettre, sous le régime du paragraphe 55.2(4), la prise de règlements pour lier les droits de brevet existants et l’octroi de toute approbation gouvernementale requise, telle l’ADC, quant à l’utilisation de produits ou de processus protégés par ces brevets.

Apotex affirme qu’en édictant le paragraphe 55.2(4), le législateur n’avait pas l’intention de conférer au gouverneur général un pouvoir de réglementation général ou particulier. Le libellé du paragraphe 55.2 indiquerait manifestement, plutôt, que le Parlement voulait pourvoir à la régulation des brevets en général, sans la limiter aux brevets pharmaceutiques. Elle fait valoir en outre que l’exception de non-contrefaçon prévue au paragraphe 55.2(2) à l’égard du stockage d’articles visés par un brevet appartenant à un tiers, pendant la période restreinte des six mois précédant l’expiration du brevet — une période maintenant fixée en vertu du paragraphe 55.2(3) — ne peut s’interpréter seule, mais qu’elle s’applique à qui a utilisé l’invention d’un tiers dans le but de demander l’approbation réglementaire prévue au paragraphe 55.2(1). Je suis disposé à accepter cette interprétation, mais je ne puis souscrire à toutes les conclusions qu’Apotex tire de celle-ci et du paragraphe 55.2(4).

Selon Apotex, deux réserves limitent l’application du dernier de ces paragraphes : l’exercice du pouvoir de réglementation doit être nécessaire pour « empêcher la contrefaçon de brevet d’invention » et doit avoir trait à la contrefaçon « par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2) ». Ce paragraphe aurait pour but de n’autoriser la prise de règlements que pour prévenir toute contrefaçon de la part de ceux qui jouissent des exceptions prévues aux paragraphes (1) et (2). Vu de cette façon, le paragraphe 55.2(4) ne permet que les règlements visant à empêcher les contrefaçons par ceux qui se servent du brevet d’un tiers pour élaborer un produit breveté à des fins d’approbation réglementaire; en outre, ces personnes peuvent invoquer l’exception permettant le stockage du produit durant les six mois précédant l’expiration du brevet.

Apotex prétend que la description du Règlement qui figure dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant sa publication appuie cette interprétation. Est-il besoin de rappeler que ce résumé ne peut influer d’aucune façon sur l’interprétation de la Loi ou du Règlement?

On me fait valoir que depuis qu’elle a initialement soumis sa PDN pour obtenir un ADC, en 1989, même si celle-ci a pu être modifiée au cours des discussions qui se sont poursuivies avec le personnel de la Direction générale de la protection de la santé, Apotex n’a pas pu se prévaloir de l’exception pour élaborer son produit en vue de recevoir l’autorisation réglementaire. Pourtant le Règlement s’applique expressément aux demandes encore pendantes, comme celle qu’Apotex a présentée relativement au Norfloxacin. L’article 5 prévoit ce qui suit :

5. (1) Lorqu’une personne dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité à l’égard d’une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne … [Je souligne.]

Apotex prétend que cette disposition visant les demandes déjà soumises outrepasse le pouvoir prévu au paragraphe 55.2(4). Qui plus est, le Règlement ne fait aucune mention des paragraphes (1) et (2) de l’article 55.2 ou des exceptions qui y sont énoncées. Apotex affirme que dans aucune des neuf demandes qui étaient encore pendantes lorsque le Règlement est entré en vigueur elle n’a pu bénéficier de ces exceptions.

L’interprétation de l’article 55.2 et de son paragraphe (4) préconisée par Apotex n’emporte pas ma conviction. Il convient plutôt d’interpréter cette disposition particulière en fonction des objectifs poursuivis par la Loi modificatrice et dans le contexte de cette Loi. L’objet principal du texte de Loi, ainsi qu’il en a déjà été fait mention, est de mettre fin au régime des licences obligatoires. Aux termes de l’article 12, seules les licences octroyées avant le 20 décembre 1991, une date antérieure à l’adoption de la Loi modificatrice, demeurent valides après le 4 février 1993. L’interprétation recommandée par Apotex aurait comme conséquence inhabituelle, voire absurde, que les licences accordées avant le 20 décembre 1991 sous le régime de la loi antérieure seraient considérées comme valides tandis que les licences délivrées par la suite sous le régime supprimé par la Loi modificatrice ne le seraient pas, exception faite des nouvelles licences — probablement délivrées en vertu de la loi maintenant abrogée à Apotex et aux autres sociétés — à l’égard desquelles les demandes d’ADC n’avaient pas été réglées à la date de la Loi modificatrice. À mon avis, il aurait fallu qu’une conséquence aussi inhabituelle soit expressément prévue par le législateur, car elle va à l’encontre de l’objet principal de la Loi modificatrice.

Or, le législateur n’a rien prévu de la sorte, sans compter que les dispositions de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, s’appliquent en l’espèce. L’article 12 de cette Loi dispose que tout texte de loi est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. L’octroi à Apotex d’une licence à l’égard du Norfloxacin ou de tout autre produit à l’égard duquel une demande d’ADC était pendante au moment de l’abolition du régime des licences obligatoires irait certainement à l’encontre de l’objet de la Loi. Il faut plutôt se tourner vers l’alinéa 44c) de la Loi d’interprétation :

44. En cas d’abrogation et de remplacement, les règles suivantes s’appliquent :

c) les procédures engagées sous le régime du texte antérieur se poursuivent conformément au nouveau texte, dans la mesure de leur compatibilité avec celui-ci;

En l’espèce, la demande d’ADC présentée en application d’une loi prévoyant un régime de licences obligatoires était encore pendante au moment où une nouvelle loi a aboli ce régime et lui en a substitué un autre. Cette abolition ne touchait pas les licences accordées avant le 20 décembre 1991, et la nouvelle loi prévoyait expressément que le nouveau régime prévalait sur toute disposition législative ou réglementaire divergente (voir le paragraphe 55.2(5)). Par conséquent, la Loi modificatrice et le Règlement pris sous son empire s’appliquent à une PDN pendante soumise en vue de l’obtention d’un ADC, même si cette demande est aussi régie, quant à sa forme et à son contenu, par le Règlement sur les aliments et drogues.

De plus, Apotex prétend à tort qu’elle n’a pas bénéficié de l’exception prévue par le paragraphe 55.2(1) à l’égard de la PDN soumise initialement en 1989 en vue de l’obtention d’un ADC. Lorsque l’adoption de la Loi modificatrice a fait disparaître la possibilité d’obtenir une licence obligatoire, l’utilisation par Apotex du produit breveté Norfloxacin, même si elle avait principalement eu lieu quelques années auparavant, a continué de constituer un élément essentiel de sa demande d’ADC. Seule l’existence du paragraphe 55.2(1) a empêché que cette utilisation ne constitue une contrefaçon de brevet. Qu’elle l’ait revendiquée ou non, Apotex a bénéficié de cette exception qui protège contre une accusation de contrefaçon.

Le procureur général, le ministre intimé et Merck réfutent l’interprétation du paragraphe 55.2(4) faite par Apotex. Selon eux, cette disposition n’énonce pas une condition ou une restriction, c’est-à-dire une limitation visant « l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2) ». Ces mots décrivent plutôt la catégorie générale de personnes à laquelle le Règlement peut s’appliquer. Ainsi, contrairement à l’interprétation proposée par Apotex, ils ne restreignent pas la prise de règlements en fonction de circonstances concernant un médicament particulier.

Le procureur général et le ministre font également valoir que la version française du paragraphe 55.2(4) étaye la position voulant que le libellé employé décrive une catégorie de personnes. Apotex réfute cet argument et prétend que les mots « au sens de », dans la version française, veulent dire « within the meaning of », appuyant ainsi l’interprétation qu’elle propose. À mon avis, la version française de l’introduction de la disposition, prise dans son ensemble, va dans le sens de la position soutenue par le procureur général et le ministre. La version française de la disposition est ainsi conçue :

55.2

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment;

Je conclus comme eux que le paragraphe 55.2(4) peut présider à la prise d’un règlement applicable à toutes les personnes demandant un ADC qui n’avaient pas de droit acquis à une licence au moment où la Loi modificatrice a été adoptée, que leur demande ait ou non été présentée. Bien que cette situation n’ait pas été en cause dans l’affaire Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), précitée, le juge Robertson a écrit, pour la Cour d’appel fédérale (aux pages 798 et 799) :

Certes, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, la disposition permettant de prendre des règlements, ne permet pas expressément ni implicitement que des règlements rétroactifs soient pris. Cela explique pourquoi le rédacteur législatif n’a pas formulé le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés de manière à englober toutes les PDN « en cours de traitement » en mentionnant expressément celles sur lesquelles le requérant avait obtenu un droit acquis. Selon moi, le rédacteur savait qu’un tel libellé outrepasserait les pouvoirs du gouverneur en conseil.

Par contre, le paragraphe 12(1) du projet de loi C-91 éteint expressément toutes les licences obligatoires accordées après le 20 décembre 1991. Tout comme le juge de première instance, je suis amené à conclure que le Parlement pourrait avoir fait la même chose pour les PDN « en cours de traitement ». Une interprétation fondée sur l’objet du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés ainsi qu’une appréciation de la règle ejusdem generis d’interprétation législative indiquent que ce paragraphe ne s’applique qu’aux PDN qui n’en étaient pas encore au stade où le pouvoir discrétionnaire du ministre avait été épuisé le 12 mars 1993.

Pour tous ces motifs, je ne suis pas convaincu que le paragraphe 55.2(4) soit assujetti à la restriction qu’Apotex voudrait voir imposer ou que le Règlement, dans son état actuel, excède les pouvoirs dont peut s’autoriser le gouverneur en conseil en vertu de cette disposition. De plus, le libellé du paragraphe 5(1) du Règlement établit clairement qu’il s’applique à l’égard de la demande d’ADC présentée par Apotex au moyen de la PDN, laquelle était encore pendante lorsque le Règlement est entré en vigueur le 12 mars 1993.

Autres arguments d’Apotex au sujet de la validité du Règlement

Apotex fait essentiellement appel à trois autres arguments pour plaider l’invalidité du Règlement. Elle soutient que la nécessité de la prise de ce Règlement n’a pas été examinée et encore moins établie, contrairement à ce que requiert le paragraphe 55.2(4), que le Règlement est discriminatoire car il ne porte que sur les brevets pharmaceutiques et qu’il a été pris pour des motifs inopportuns.

Les intimés allèguent que ces arguments soulèvent essentiellement des questions qui ne se prêtent pas au débat judiciaire parce qu’elles ne ressortissent pas à la responsabilité ou à l’autorité de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Ils soutiennent aussi qu’ils ont pour effet de contester la politique mise en œuvre par la loi, une question qui échappe à l’examen de la Cour parce que l’exercice de pouvoirs législatifs ne peut être remis en question que relativement à la compétence et aux pouvoirs du législateur concerné. Ce principe est bien établi et a été appliqué dans des arrêts comme Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735 (juge Estey, aux pages 758 et 759) et Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106 (juge Dickson, aux pages 111 et 112).

Aucun des arguments exposés par Apotex n’emporte ma conviction. Voici brièvement, à l’égard de chacun d’eux, pour quelles raisons.

L’argument voulant qu’il faille établir la nécessité du Règlement repose sur le paragraphe 55.2(4) dont le texte anglais pourvoit, comme nous l’avons vu, à la prise de « such regulations as the Governor in Council considers necessary ». Apotex soutient qu’aucune preuve de la nécessité du Règlement n’a été présentée et que, dans des lettres écrites avant la prise du Règlement, le ministre et d’autres personnes avaient reconnu que les redressements prévus par la common law en matière de contrefaçon étaient généralement efficaces. Pourtant le Règlement a pour effet de permettre l’assujettissement d’un fabricant de produits génériques sollicitant un ADC à une injonction interlocutoire d’une durée possible de trente mois qui reporte toute décision relative à une allégation de non-contrefaçon. Apotex ajoute qu’aucun élément de preuve établissant que le gouverneur en conseil avait examiné s’il était nécessaire de prendre le Règlement n’a été soumis.

Selon moi, cet argument découle d’une méprise quant au sens des mots « as the Governor in Council considers necessary ». Ces mots confèrent au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel les tribunaux, reconnaissant cette intention du législateur, appliquent le principe de retenue judiciaire. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne serait compromis que par la preuve, absente en l’espèce, que le gouverneur en conseil ne considérait pas le Règlement nécessaire. Le gouverneur en conseil n’a pas à démontrer la nécessité d’un règlement; il n’a même pas à prouver qu’il a examiné cette question. La simple prise d’un règlement établit que le gouverneur en conseil l’a jugé nécessaire, pour ce qui est, à tout le moins, de l’examen de la Cour. Le libellé utilisé renvoie à une question qui doit être déterminée par le gouverneur en conseil, dont les opinions en cette matière ne sont pas susceptibles d’examen, il n’énonce d’aucune façon un critère objectif de nécessité qui doit être satisfait, voire examiné.

Dans l’arrêt Reference as to the Validity of Regulations in relation to Chemicals, [1943] R.S.C. 1, à la page 12, le juge en chef Duff a affirmé :

[traduction] … lorsque le gouverneur en conseil prend un règlement dans l’exercice déclaré des fonctions que la loi lui confère, je ne puis souscrire à l’opinion selon laquelle il est loisible à tout tribunal d’examiner les facteurs qui ont pu l’amener à considérer que le règlement était nécessaire ou souhaitable pour les objets transcendants exposés.

Je signale qu’en l’espèce, le préambule du Règlement visé énonce expressément que le texte réglementaire qui suit, concernant les avis de conformité portant sur les médicaments brevetés, est pris « en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets ».

Par conséquent, lorsque Apotex prétend que ni la nécessité du Règlement ni la prise en considération de cette nécessité n’ont été démontrées, elle n’établit pas que le gouverneur en conseil n’a pas satisfait aux exigences du paragraphe 55.2(4) en prenant le Règlement. Dans les circonstances, il y a lieu de tenir pour acquis, en l’absence de toute preuve de l’inutilité du Règlement, que le gouverneur en conseil a considéré le Règlement nécessaire au moment où il l’a pris. Dans un tel cas, le seul examen auquel la Cour peut procéder est celui qui vise à déterminer si les dispositions du texte réglementaire concordent avec les objets de la loi habilitante. (Voir Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada, [1989] 2 C.F. 158 (C.A.), à la page 171, juge d’appel Pratte.)

L’argument d’Apotex quant au caractère discriminatoire de l’application du Règlement provient de ce que la disposition habilitante, le paragraphe 55.2(4), vise, selon elle, les brevets en général alors que le Règlement n’a trait qu’aux brevets pharmaceutiques. Il s’applique donc de façon discriminatoire à une industrie particulière, et même, il ne vise que les fabricants de produits génériques qui sollicitent un ADC en comparant leur produit à un produit breveté pour lequel un ADC a déjà été octroyé. Selon l’affirmation d’Apotex, le Règlement ne s’appliquerait pas à un fabricant de produits génériques qui a demandé un ADC en se fondant sur ses propres résultats d’épreuves cliniques, mais Apotex, bien sûr, n’est pas dans cette situation. De plus, je ne puis me rendre à l’argument que le gouverneur en conseil n’est pas autorisé, aux termes du paragraphe 55.2(4), à prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour prévenir les contrefaçons. L’action de légiférer ou de réglementer comporte nécessairement des choix, notamment en ce qui concerne les industries ou les activités qui seront touchées et les mesures qui leur seront appliquées. On ne saurait conclure à l’invalidité du Règlement du fait que le pouvoir particulier ou exprès de faire des choix, lesquels choix ont été incorporés dans le Règlement, n’est pas mentionné. La discrimination dont se plaint Apotex n’a rien à voir avec les droits de la personne ou la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], elle découle simplement des choix légitimes que le gouverneur en conseil, aux termes du paragraphe 55.2(4), a jugé nécessaire de faire.

Dans son dernier argument, Apotex soutient que le Règlement est invalide parce que son objet et la date à laquelle il a été pris ne sont pas compatibles avec le pouvoir conféré au gouverneur en conseil. Elle fait valoir que le Règlement [traduction] « semble avoir été pris dans le but particulier d’empêcher la délivrance d’un ADC à l’égard de l’Apo-Enalapril et dans le but plus général de préserver le monopole des fabricants de médicaments d’origine, alors qu’il n’était pas nécessaire de le faire en portant atteinte à la concurrence légitime ».

Beaucoup de documents internes du gouvernement ont pu être consultés à la suite de demandes d’accès à l’information, et l’avocat d’Apotex a cité des documents du dossier qui indiquaient, notamment, que des représentants du gouvernement étaient en communication avec l’ACIM ainsi qu’avec l’ACFPP au cours de 1992 et 1993, après la présentation à la Chambre des communes du projet de loi visant à modifier la Loi sur les brevets, pendant l’examen du projet en comité et au moment de son adoption. Les documents cités établissent que vers la mi-décembre, il était probable qu’une disposition liant l’ADC aux droits de brevet existants serait ajoutée et, comme nous l’avons vu, le projet de loi a été amendé pour permettre la prise de règlements à cet effet. Même en tenant pour correctes les inférences que l’avocat d’Apotex a tirées de ces documents, il n’existe aucune preuve établissant que le Règlement avait pour objet d’empêcher Apotex d’obtenir un ADC à l’égard de l’Apo-Enalapril, et rien ne permet de l’inférer.

Par ailleurs, le dossier étaye la conclusion, qui a déjà été mentionnée plusieurs fois et qui, initialement était acceptée par tous les avocats, que le changement de régime, c’est-à-dire la modification de la Loi, avait pour but d’éliminer la possibilité pour les fabricants de produits génériques d’obtenir une licence obligatoire pendant qu’un brevet était en vigueur. En ce sens, le Règlement, qui poursuit cet objectif en liant l’obtention d’un ADC par un fabricant de produits génériques à l’écoulement d’un délai suivant l’expiration du brevet d’un médicament déjà sous licence, sert incontestablement l’objectif général de la préservation de la position commerciale des fabricants de médicaments d’origine lorsque celle-ci est liée à la vente de leurs médicaments brevetés. Ce résultat est inévitable et, de toute évidence, le Parlement le visait implicitement lorsqu’il a abandonné le système des licences obligatoires dans la mesure où des brevets en vigueur protègent des médicaments à l’égard desquels des ADC ont été accordés.

L’argument du motif non avoué ou de l’objet inopportun soumis par Apotex reflète, en réalité, l’insatisfaction de la requérante à l’égard de la politique approuvée par le Parlement dans la Loi modificatrice et par le gouverneur en conseil dans le Règlement. La Cour ne peut rien y puiser qui puisse l’autoriser à conclure à l’invalidité du Règlement. Dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, précité, le juge Dickson a écrit (à la page 112) :

L’avocat des appelantes reproche à la Cour d’appel fédérale d’avoir omis d’examiner et d’apprécier la preuve afin de déterminer si le gouverneur en conseil a été animé par des motifs irréguliers en prenant le décret attaqué. On nous invite à entreprendre cet examen, mais j’estime avec égards qu’il faut décliner cette invitation. Nous n’avons ni le droit ni l’obligation de mener une enquête sur les motifs qui ont pu inciter le cabinet fédéral à prendre le décret …

À mon avis, ni les motifs soumis par Apotex ni l’interprétation de la Loi et du Règlement qu’elle propose ne justifient de conclure à l’invalidité du Règlement.

Les attentes de l’ACFPP en matière de consultation

L’ACFPP a été autorisée, en qualité d’intervenante, à soulever une question particulière, savoir la question des incidences de l’attente qu’elle avait d’être consultée avant la promulgation de tout règlement d’application de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets. Comme nous l’avons vu, le ministre parrainant la réglementation en cette matière avait écrit à l’association, le 5 février 1993 :

[traduction] Soyez assuré que vous serez consulté avant la prise d’un tel règlement.

L’ACFPP donne à ces mots valeur d’engagement, de reconnaissance de l’obligation de la consulter. La promesse et l’obligation n’ont pas été remplies. Cinq semaines plus tard, le 12 mars, le Règlement est entré en vigueur sans que l’ACFPP n’ait été consultée sur sa teneur. Ainsi qu’il en est fait état dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, des consultations ont été tenues avant l’adoption de la Loi modificatrice relativement aux principes à mettre en œuvre dans le Règlement; le Résumé se poursuit ainsi :

Toutefois, comme il est important de mettre le règlement en vigueur rapidement pour appliquer la nouvelle loi, aucune consultation n’a eu lieu concernant le texte du règlement avant son entrée en vigueur. Aucun avis préalable n’a été émis dans les Projets de réglementation fédérale. Comme il s’agit d’un nouveau règlement, le gouvernement consultera sur sa mise en œuvre et fera, au besoin, les améliorations pertinentes.

Il appert donc qu’en l’espèce, le gouvernement n’a pas atteint ses propres objectifs généraux concernant la diffusion et la discussion des projets de règlement avant leur adoption. Toutefois, il n’est pas légalement tenu de suivre un tel processus.

L’assurance donnée par le ministre crée-t-elle une circonstance particulière justifiant la Cour, en cas de non-respect, de déclarer le Règlement invalide pour cause de manquement à l’équité? Pour ce qui est de l’équité en général, il convient de signaler que même s’il n’y a eu aucune communication entre l’ACFPP et ceux qui, au gouvernement, travaillaient au règlement alors sous étude, l’ACIM et les deux sociétés innovatrices intervenantes, Merck et Eli Lilly, n’ont pas cessé, pendant cette période, d’exhorter le gouvernement à prendre un règlement liant les ADC avec les droits de brevet existants, c’est-à-dire de donner effet au paragraphe 55.2(4) en prenant un règlement sous son empire. Cette attitude n’était pas nouvelle; elle allait dans le sens des positions qu’elles avaient prises tout au long du processus ayant mené à l’adoption de la Loi modificatrice. Il n’existe cependant aucune preuve que le gouvernement ait discuté avec l’ACIM ou avec tout autre groupe ou société de la teneur du Règlement avant son adoption le 12 mars 1993. De fait, les affidavits déposés par le gouvernement nient que de telles discussions aient été tenues.

L’ACFPP soutient que, dans les circonstances, l’engagement exprès pris par le ministre a donné naissance à une obligation particulière d’agir équitablement, indépendamment de toute conclusion de la Cour quant à l’existence d’une obligation, de la part du gouvernement, de tenir une consultation sur la teneur du Règlement avant de l’adopter. Il est bien établi en droit que l’obligation d’agir équitablement peut comporter l’obligation de consulter ou de donner l’occasion de présenter des observations, c’est-à-dire le droit d’être entendu avant que soit rendue une décision ayant des incidences sur des droits ou des intérêts. Dans certaines circonstances, cette obligation peut prendre la forme de la théorie de l’expectative légitime, laquelle s’applique lorsqu’un décideur a pris l’engagement de consulter et y a manqué. Un tribunal est alors fondé à annuler une décision prise sans que n’ait été offerte de possibilité de consultation. Par ailleurs, il est tout aussi bien établi en droit canadien que la théorie de l’expectative légitime est inapplicable aux fonctions ou décisions d’ordre purement législatif. (Voir Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 557 et 558.)

L’ACFPP affirme qu’une fonction d’ordre purement législatif est une fonction par laquelle le gouverneur en conseil rend [traduction] « une décision purement administrative en se fondant sur des motifs généraux d’intérêt public ». Elle soutient qu’en l’espèce, le gouvernement exerce un pouvoir qui touche le processus d’approbation applicable à un groupe, les requérants d’ADC, et que la décision n’est pas d’ordre purement législatif. Elle ajoute que le ministre n’a présenté aucun élément de preuve étayant la proposition voulant que la décision qu’exprime le Règlement était purement administrative et reposait sur des motifs généraux d’intérêt public.

Selon moi, cet argument ne tient pas compte du processus nécessaire d’appréciation de la nature de la décision en cause. Ce processus oblige à évaluer le fondement de la décision, légal ou autre. En l’espèce, il s’agit du paragraphe 55.2(4) de la Loi modificatrice. Cette disposition investit le gouverneur en conseil du pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires concernant les objets en cause en l’espèce sans lui imposer de restrictions sous forme de critères objectifs. L’action du gouverneur en conseil, sous le régime de ce paragraphe, est donc clairement législative. Je ne suis pas convaincu qu’en l’espèce le gouverneur en conseil soit assujetti à l’obligation d’agir équitablement à laquelle l’ACFPP voudrait le voir astreint lorsqu’il exerce la fonction de réglementation visée ici. Bien que le ministre ait été le principal responsable de l’élaboration de la réglementation, l’engagement qu’il a expressément souscrit ne peut, à mon avis, être perçu en soi comme un engagement pris par le gouverneur en conseil, l’organisme officiellement autorisé à réglementer.

La fonction exercée par le décideur, soit le gouverneur en conseil — qui n’a pris aucun engagement relativement à une consultation préalable, en dépit de l’assurance expresse donnée par le ministre — était une fonction législative. La théorie de l’expectative légitime ne s’applique donc pas. L’ACFPP a plaidé que la promesse du ministre a donné naissance à une obligation particulière d’agir équitablement, distincte de la théorie de l’expectative légitime. L’argument ne me convainc pas. À mon avis, seule cette théorie comme source reconnue d’une obligation d’agir équitablement permettrait à la Cour d’intervenir s’il n’y a pas eu consultation au sujet de la teneur d’un règlement avant son adoption, même lorsque la consultation préalable a été promise mais n’a pas été permise. Le principe reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt précité Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.) s’applique clairement aux présentes circonstances.

Conclusion

Je conclus au rejet de la demande présentée par Apotex en vue de l’obtention d’une ordonnance de mandamus prescrivant la délivrance de l’ADC qu’elle a sollicité à l’égard du Norfloxacin. Comme je l’ai exposé dans les présents motifs, la décision de Mme le juge Simpson à l’effet d’interdire au ministre de délivrer un ADC pendant l’existence des droits de brevet de Merck à l’endroit du médicament a, dans les faits, été maintenue par la Cour d’appel.

De plus, j’ai conclu, ainsi que j’en ai fait état dans les présents motifs, que la demande d’ADC soumise par Apotex est incontestablement visée par le Règlement, lequel relève du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4). On ne m’a pas convaincu que ce texte réglementaire excédait les limites du pouvoir octroyé par cette disposition de la Loi.

Je ne suis pas convaincu non plus que les autres motifs invoqués à l’égard de l’objectif poursuivi par le Règlement ou du processus ayant mené à sa promulgation peuvent fonder la Cour à conclure que celui-ci est ultra vires ou autrement illégal. Je ne puis retenir ni les arguments d’Apotex ni ceux de l’ACFPP.

Par conséquent, la requête présentée par Apotex et appuyée par l’ACFPP en vue de l’obtention d’une ordonnance déclarant le Règlement illégal ou ultra vires est rejetée.

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