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     A-19-94

McEwen Brothers Limited (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: McEwen Brothers Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Robertson et Sexton, J.C.A."Winnipeg, 4 mai; Ottawa, 28 mai 1999.

Impôt sur le revenu Sociétés de personnesAppel de nouvelles cotisations par lesquelles le MRN a ajouté certains bénéfices au revenu de la contribuableSoumission pour un projet de route présentée par la contribuable à Hydro-Manitoba au nom d'une société de personnes non divulguée (société de construction de la route)Les profits du contrat de construction de la route devaient être divisés entre les associés au prorata de leur participation respective dans la société de personnesSeuls la contribuable et un associé ont fourni un apport à la société de personnesSoumission pour la construction d'une digue (contrat de construction de la digue) présentée par la contribuable au nom d'une deuxième société de personnes non divulguéeLes sociétés de personnes étaient-elles valides ou constituaient-elles un trompe-l'œil?Pour qu'il y ait trompe-l'œil, la contribuable doit tenter d'induire le MRN en erreur ou y parvenirLa preuve n'était pas suffisante pour étayer une conclusion detrompe-l'œil— — Plusieurs associés nommément désignés n'ont joué aucun rôle dans les sociétés de personnesLes éléments clés des deux contrats de société concernant les apports de capital et la liquidité des associés individuels n'ont pas été respectésLes contrats de société étaient juridiquement sans effet parce que les associés n'ont pas exploité une entrepriseen commun.

Il s'agissait d'un appel du rejet, par la Section de première instance, de l'appel interjeté par la contribuable de nouvelles cotisations dans lesquelles certains bénéfices, censément gagnés par les sociétés de personnes, ont été inclus dans le revenu de la contribuable. La contribuable est une société constituée au Manitoba qui exploitait une entreprise d'aménagement paysager, dotée d'une structure de capital actions assez complexe selon laquelle la plupart des actions appartenaient à des employés clés qui les avaient transférées à une société de gestion personnelle. Elle a formé une société de personnes (la société de construction de la route) avec Bruce Bros. Ltd. lorsque celle-ci a été invitée par Hydro-Manitoba à présenter une soumission pour un "Projet de route". Un contrat de société a été signé; en vertu de ce contrat, Bruce Bros., partie de première part, obtenait une participation de 50 p. 100 dans la société de construction de la route. La partie de deuxième part était composée de six autres associés, dont quatre étaient des sociétés de gestion personnelle et les deux autres des personnes physiques. Ni Melvin McEwen, le président de la contribuable, ni sa société de gestion personnelle ne faisaient partie des associés nommément désignés engagés dans cette opération. Les profits du contrat de construction de la route devaient être divisés entre Bruce Bros., les sociétés de gestion et les deux associés individuels au prorata de leur participation respective dans la société de personnes. Seuls la contribuable et Bruce Bros. ont fourni un apport de capital, de 195 000 $ et 76 000 $ respectivement, à la société de construction de la route. Les bénéfices se sont élevés à 525 000 $ et Bruce Bros. a déclaré la moitié de cette somme dans son revenu, les six autres associés déclarant l'autre moitié. Le ministère des Travaux publics a fait un appel d'offres relativement à la construction d'une digue (le contrat de construction de la digue). La contribuable a présenté une soumission au nom d'une deuxième société de personnes (la société de construction de la digue), semblable à la société de construction de la route. Le ministre a établi des nouvelles cotisations à l'égard de la contribuable en incluant dans son revenu la moitié des bénéfices générés par les contrats de construction de la route et de la digue. La question à trancher en appel était de savoir si le juge de première instance avait commis une erreur en statuant que les opérations relatives aux deux sociétés de personnes constituaient un trompe-l'œil et, subsidiairement, que ces opérations étaient sans effet pour ce qui est de la formation de sociétés de personnes valides regroupant Bruce Bros. et les six autres associés nommément désignés dans les contrats de société.

Arrêt: l'appel est rejeté.

Une opération sans objet commercial véritable autre que l'obtention d'un avantage fiscal ne constitue pas en soi un trompe-l'œil. Pour que la théorie du trompe-l'œil s'applique, il doit y avoir tromperie de la part du contribuable, qui dit une chose au ministre, tout en faisant autre chose afin de se soustraire à ses obligations fiscales. Le fait que la contribuable a induit en erreur à la fois Hydro-Manitoba et le ministère des Travaux publics en ne leur divulguant pas qu'elle leur présentait une soumission au nom d'une société de personnes ne permettait pas de conclure à l'existence d'un trompe-l'œil. Il est possible que des sociétés dont l'existence n'a pas été divulguée soient de véritables sociétés de personnes. La seule preuve pertinente quant à l'existence d'un trompe-l'œil est celle qui établit que le contribuable a tenté d'induire le ministre en erreur ou qu'il y est parvenu. La preuve produite en l'espèce ne suffisait pas à étayer une conclusion de "trompe-l'œil". Aucune explication n'a été fournie relativement à la raison pour laquelle ni Melvin McEwen ni sa société de gestion personnelle n'étaient un associé des deux sociétés de personnes. Plusieurs des associés nommément désignés n'ont joué aucun rôle dans les sociétés de personnes. Aucune explication n'a non plus été fournie relativement au fait que la société de gestion personnelle de Mme McEwen est devenue un associé, si ce n'est à des fins manifestes de fractionnement du revenu. L'explication fournie quant à la raison pour laquelle la contribuable n'était pas un associé de la société de construction de la digue n'était pas convaincante. Le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion sur la crédibilité parce qu'il croyait qu'il y a trompe-l'œil en l'absence d'objet commercial véritable. Il faut toutefois conclure à l'existence d'une tromperie pour statuer que le contribuable n'est pas crédible.

Pour établir l'existence d'une société de personnes valide, il faut démontrer les éléments suivants: (1) une entreprise a été exploitée; (2) en commun par deux ou plusieurs personnes; (3) en vue de réaliser un bénéfice. En l'espèce, la première et la troisième conditions ont été remplies, mais non la deuxième. Dans un arrêt récent, Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, la Cour suprême du Canada a énoncé différents facteurs qui doivent être pris en compte pour décider si une société de personnes valide a été établie. Plusieurs de ces facteurs étaient pertinents en l'espèce. Pour décider si une entreprise a été exploitée en commun, il faut déterminer qui a fait un apport à l'entreprise sous forme de capital, biens, travail, connaissances, habiletés et autres éléments. Ces facteurs se répartissent en deux catégories selon qu'ils concernent le contrôle et la gestion des deux sociétés de personnes ou l'apport de capital. La gestion et le contrôle effectifs des deux projets étaient exercés par Melvin McEwen et deux employés clés de la contribuable. Il n'est pas nécessaire que chaque associé fasse un apport à la société de personnes sous forme de temps, de travail et d'habiletés, la notion d'"associé commanditaire" étant bien acceptée en droit. Une entreprise peut donc être gérée par une ou plusieurs personnes pour leur compte et celui d'autres personnes. Toutefois, les autres associés doivent faire un apport quelconque à l'entreprise. Seules la contribuable et Bruce Bros. ont fourni le capital requis par les deux entreprises. Le capital est passé directement de la contribuable aux sociétés de personnes qui ont payé des intérêts sur le capital de la contribuable qu'elles ont utilisé. En conséquence, l'un des éléments clés des deux contrats de société n'a pas été respecté. Les stipulations des contrats de société concernant les apports de capital et la liquidité des associés individuels n'ont pas été respectées. Les contrats de société étaient juridiquement sans effet parce que les associés nommément désignés n'ont pas exploité une entreprise "en commun".

    lois et règlements

        Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 473.

    jurisprudence

        décision suivie:

        Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; (1998), 163 D.L.R. (4th) 385; 98 DTC 6505; 222 N.R. 58.

        décision appliquée:

        Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241.

        décisions mentionnées:

        Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.); La Reine c. Paxton, J.D. (1996), 97 DTC 5012 (C.A.F.).

    doctrine

        Lindley & Banks on Partnership, 17th ed. by R. C. l'Anson Banks. London: Sweet & Maxwell, 1995.

APPEL du rejet, par la Section de première instance ([1994] 1 C.T.C. 317; (1993), 94 DTC 6133, 72 F.T.R. 58), de l'appel interjeté par la contribuable de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu selon lesquelles les opérations relatives à deux sociétés de personnes constituaient un trompe-l'œil et étaient sans effet quant à la formation de sociétés de personnes valides. Appel rejeté, non pas en raison de l'existence d'un "trompe-l'œil", mais parce que les associés n'ont pas exploité une entreprise "en commun".

    ont comparu:

    Joel A. Weinstein et Robert C. Lee pour l'appelante.

    Naomi R. Goldstein pour l'intimée.

    avocats inscrits au dossier:

    Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg, pour l'appelante.

    Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Robertson, J.C.A.: Il s'agit d'un appel du rejet, par la Section de première instance [[1994] 1 C.T.C. 317], de l'appel interjeté par la contribuable appelante de nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1976 et 1977. Les questions soulevées devant nous concernent la théorie du trompe-l'œil et les principes élaborés par la Cour suprême dans l'arrêt Continental Bank Leasing Corp. c. Canada1 relativement à la formation d'une société de personnes valide. En bout de ligne, l'issue de l'appel dépend de l'appréciation des faits essentiels en regard du cadre juridique applicable.

LES FAITS

[2]McEwen Brothers Ltd. (la contribuable) a été constituée au Manitoba en 1963 dans le but d'exploiter une entreprise d'aménagement paysager. À toutes les époques pertinentes, Melvin McEwen était le président et l'actionnaire majoritaire de la contribuable. Au fil du temps, la contribuable s'est dotée d'une structure de capital actions assez complexe, de sorte qu'en avril 1976, la plupart de ses actions appartenaient à des employés clés qui avaient soit transféré leurs actions à une société de gestion personnelle, soit entrepris des mesures à cette fin. La seule personne à avoir placé des actions de la contribuable dans une société de gestion sans être une employée de la contribuable était l'épouse de Melvin McEwen. Chaque société de gestion était tenue par contrat de fournir des services de gestion à la contribuable en vertu d'un accord entre elle et ses actionnaires. En conséquence, les actionnaires n'étaient plus des employés de la contribuable. Comme on pouvait s'y attendre, les sociétés de gestion n'avaient ni employés, ni marge de crédit auprès d'un établissement financier, ni quelque élément d'actif que ce soit hormis le contrat de gestion.

[3]En 1976, la société Bruce Bros. Ltd. a été invitée par Hydro-Manitoba à présenter une soumission pour un [traduction] "Projet de route". Bruce Bros. exerçait ses activités dans le domaine de la construction lourde et notamment de la construction de routes. La contribuable n'avait aucune expérience dans ce domaine. Adrien Bruce, un directeur de Bruce Bros., a communiqué avec Melvin McEwen relativement à l'invitation d'Hydro-Manitoba et, avec Russell Graham, ils ont préparé une soumission qui a été présentée en mars 1976.

[4]Selon l'énoncé conjoint partiel des faits, il était entendu que la soumission pour le contrat de construction de la route était présentée au nom d'une société de personnes (la société de construction de la route). Cette entente n'était pas constatée par écrit, et Hydro-Manitoba n'était pas au courant de l'existence de ce contrat de société au moment où la soumission a été présentée. Elle n'aurait d'ailleurs pas pu en avoir connaissance, car la soumission a été présentée en mars 1976 et la société en nom collectif n'a été formée que le 14 avril 1976. En fait, aucune preuve n'indique qu'Hydro-Manitoba ait appris l'existence de la société de personnes à quelque moment que ce soit.

[5]La première ébauche du contrat de société de construction de la route a été préparée par Melvin McEwen et Adrien Bruce. La version finale du contrat a été préparée par les avocats de Bruce Bros.

[6]Après l'acceptation de la soumission de Bruce Bros. par Hydro-Manitoba, un contrat de société a été signé, le 14 avril 1976; selon ce contrat, Bruce Bros., partie de première part, obtenait une participation de 50 p. 100 dans la société de construction de la route. La partie de seconde part était composée de six autres associés. Trois de ces associés étaient des sociétés de gestion contrôlées par d'anciens employés clés de la contribuable. Un quatrième était la société de gestion contrôlée par l'épouse de Melvin McEwen. Les deux autres associés, Adrien Allard et Ronald Graham, étaient des employés et actionnaires de la contribuable. Ces deux personnes devaient apparemment transférer leurs actions de la contribuable à une société de gestion. La société de gestion de l'épouse de Melvin McEwen détenait une participation de 25 p. 100 dans la société de personnes. Chacun des cinq autres associés détenait une participation de 5 p. 100 dans la société de construction de la route.

[7]Soulignons que, pour des raisons inexpliquées, ni Melvin McEwen, ni sa société de gestion personnelle ne faisaient partie des associés nommément désignés engagés dans cette opération. L'énoncé conjoint partiel des faits mentionne simplement que Melvin McEwen s'est [traduction] "très peu" engagé dans la société de construction de la route parce qu'il devait consacrer presque tout son temps aux activités de la contribuable.

[8]Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer pourquoi la contribuable ne voulait pas devenir l'un des associés de la société de construction de la route. Premièrement, elle aurait dû divulguer sa participation à une société de cautionnement qui aurait exigé que la contribuable n'exécute plus de contrats obtenus par voie de soumission parce qu'elle avait presque atteint les limites de ses garanties de bonne exécution. Deuxièmement, la société de cautionnement aurait pu s'inquiéter de la participation de la contribuable à des activités auxquelles la société de cautionnement ne connaissait rien. (Hydro-Manitoba n'a finalement pas exigé de garantie de bonne exécution.) Troisièmement, la contribuable aurait perdu des contrats octroyés par des sociétés pour lesquelles elle avait déjà fait de la sous-traitance parce que celles-ci étaient également soumissionnaires relativement au contrat de construction de la route. C'est apparemment pour cette raison que la contribuable a effacé le nom "McEwen Bros." sur le matériel qu'elle a loué à la société de construction de la route.

[9]La contribuable a participé au contrat de société de construction de la route en qualité de "cocontractante" garantissant toutes les obligations des parties de seconde part, savoir les six associés.

[10]Les profits du contrat de construction de la route devaient être divisés entre Bruce Bros., les sociétés de gestion et les deux associés individuels au prorata de leur participation respective dans la société de personnes. La clause 4 du contrat de société de construction de la route, qui renvoie on ne sait pourquoi aux [traduction] "deux parties", prévoit que chaque chèque ou autre effet bancaire "porte" la signature d'Adrien Bruce ou Marcel Bruce (président de Bruce Bros.) et celle de Melvin McEwen ou Russell Graham. Comme nous l'avons déjà mentionné, ni Melvin McEwen ni sa société de gestion ne faisaient partie des associés de la société de construction de la route. La clause 8 du contrat de société stipule que les parties [traduction ] "fournissent des capitaux" à la société de personnes, au prorata de leur participation respective dans la société de personnes, et [traduction ] "ont des fonds suffisants au besoin pour avancer au crédit de la société de personnes". Néanmoins, seule la contribuable et Bruce Bros. ont fourni un apport de capital, de 195 000 $ et 76 000 $ respectivement, à la société de construction de la route.

[11]Selon l'énoncé conjoint partiel des faits, le fonds de roulement dont la société de construction de la route avait besoin a été emprunté à la contribuable et à Bruce Bros. et la société de personnes leur a versé des intérêts. Au paragraphe 49 de ce document, on reconnaît que les six associés restants n'ont pas contribué directement au financement de la société de construction de la route; on mentionne plutôt que la contribuable a prêté de l'argent à la société de personnes en leur nom parce que cette façon de procéder était [traduction] "plus pratique". Les contrats de prêt n'ont pas été attestés par des documents et les six associés n'ont pas versé à la contribuable d'intérêts prélevés sur leur part respective des bénéfices.

[12]Selon la clause 17 du contrat de société, l'équipe de gestion sur le chantier était composée de Marcel Bruce et de Russell Graham. M. Graham détenait une participation de 5 p. 100 dans la société de construction de la route. Dans la clause 15, les parties ont convenu que la gestion hors chantier serait assurée par Adrien Bruce et Melvin McEwen.

[13]La clause 9 prévoit que [traduction] "les parties conviennent que tout le matériel qui pourra être obtenu des parties respectives sera loué aux parties". Elle stipule ensuite que le matériel qui ne pourra être obtenu ni de Bruce Bros. ni de la contribuable sera loué à des fournisseurs de matériel. La clause 10 constate que le matériel décrit dans l'annexe "A" au contrat a été loué à la société de construction de la route par Bruce Bros. et la contribuable. Bruce Bros. a reçu un remboursement de 240 000 $ pour le matériel loué par la contribuable (de ce montant, la contribuable a reçu la somme de 132 000 $). Hydro-Manitoba a versé 1,2 million de dollars au total à la société de construction de la route pour la location de matériel.

[14]La clause 16 du contrat de société stipule que des registres comptables [traduction] "sont" tenus à l'établissement, que la clause 1 situe au siège social de Bruce Bros. (partie de première part). Les associés ont convenu d'ouvrir un compte de banque à Churchill (Manitoba), où les travaux ont été exécutés. Chaque chèque tiré par la société de construction de la route devait porter la signature de Marcel ou Adrien Bruce et celle de Melvin McEwen ou Russell Graham. Le personnel requis pour réaliser le projet provenait en majeure partie de Churchill, comme l'exigeait le contrat de soumission. Un seul employé de la contribuable a été embauché par la société de construction de la route.

[15]Hydro-Manitoba a payé le contrat de construction de la route au moyen de chèques payables à Bruce Bros., qui ont été déposés dans le compte de banque de la société de construction de la route. Les bénéfices de la société de construction de la route se sont élevés à 525 000 $ et Bruce Bros. a déclaré la moitié de cette somme dans son revenu. Les six autres associés ont déclaré l'autre moitié.

[16]En 1976, le ministère fédéral des Travaux publics a fait un appel d'offres relativement à la construction d'une digue (le contrat de construction de la digue). Cette fois, une soumission a été présentée par la contribuable, même si elle n'avait aucune expérience dans ce domaine. La soumission de la contribuable a toutefois été acceptée par le ministère le 9 août 1976. Selon l'énoncé conjoint partiel des faits, la soumission a été présentée par la contribuable au nom d'une deuxième société de personnes qui avait été formée (la société de construction de la digue). C'est la contribuable qui a présenté la soumission parce qu'elle était la seule qui était en mesure d'obtenir une garantie de bonne exécution comme l'exigeait le contrat. Bien que la contribuable n'ait pas été en mesure d'obtenir une telle garantie pour le contrat de construction de la route, elle pouvait en obtenir une pour le contrat de construction de la digue parce qu'elle avait réussi à réduire ses engagements après l'obtention du contrat de construction de la route, de sorte qu'elle pouvait satisfaire à l'obligation de fournir une garantie de bonne exécution.

[17]Le 19 août 1976, Adrien Bruce a écrit aux avocats de Bruce Bros. pour leur demander de rédiger un contrat de société semblable à celui conclu [traduction] "entre Bruce Bros. Ltd. et McEwen Ltd.", sous réserve de quelques changements. L'un de ces changements est digne de mention. Le 30 juillet 1976, deux des associés individuels de la société de construction de la route, Ronald Graham et Adrien Allard, avaient transféré leurs actions de la contribuable à leur société de gestion respective. Par conséquent, les avocats ont reçu pour instructions de substituer le nom des sociétés de gestion à celui des associés individuels dans le contrat de société de construction de la digue.

[18]Comme nous l'avons mentionné, Adrien Bruce a attendu au 19 août 1976 pour demander à ses avocats de rédiger le deuxième contrat de société. Pour des raisons inexpliquées, le contrat de société de construction de la digue est daté du 20 juillet 1976. Soulignons que personne ne semble avoir exprimé de réserves sur la pratique inacceptable qui consistait à antidater les documents. Par souci d'équité envers les avocats de la contribuable, je tiens à préciser que leur cabinet n'a pas rédigé les contrats de société. En l'espèce, la seule raison pour laquelle il me semble que le contrat de société de construction de la digue a été antidaté est que la société aurait été formée avant la date à laquelle la contribuable a présenté sa soumission au ministère fédéral des Travaux publics. Selon moi, toutefois, même si les sociétés de personnes avaient été formées après l'acceptation des soumissions, cet élément n'aurait aucune incidence sur la validité du mécanisme de planification fiscale utilisé. Sur ce point, il faut se rappeler que le contrat de société de construction de la route n'a été signé qu'après l'acceptation de la soumission relative au contrat de construction de la route: voir aussi plus loin, le paragraphe 28.

[19]Le contrat de société de construction de la digue est essentiellement identique à celui de la société de construction de la route. Ainsi, la clause 8 stipule que les parties [traduction] "fournissent des capitaux" à la société de personnes au prorata de leur participation respective dans la société et [traduction ] "ont des fonds suffisants au besoin pour avancer au crédit de la société de personnes". En fait, seules la contribuable et Bruce Bros. ont prêté chacune 5 000 $ à la deuxième société de personnes pour son fonds de roulement, alors que les "associés composant la partie de seconde part" n'ont fourni aucun apport. La clause 4 stipule que chaque chèque ou autre effet bancaire "porte" la signature d'Adrien Bruce ou Patrick Bruce et celle de Melvin McEwen ou Roy Hadaller. La société de gestion de M. Hadaller détenait des actions de la contribuable et était une associée aux termes des deux contrats de société.

[20]La clause 17 du contrat de société de construction de la digue stipule que l'équipe de gestion sur le chantier est composée de Patrick Bruce et de Roy Hadaller. Dans la clause 15, les parties conviennent que la gestion hors chantier sera assurée par Adrien Bruce et Melvin McEwen. Les parties ont également convenu dans la clause 9 de louer à la société de personnes [traduction] "tout le matériel qui pourra être obtenu"; toutefois, la clause 10 et l'annexe "A" révèlent que le matériel loué appartenait à Bruce Bros. et à la contribuable. Enfin, la clause 16 stipule que les registres comptables "sont" tenus à l'établissement, que la clause 1 situe au siège social de la contribuable.

[21]Le contrat de construction de la digue a généré des bénéfices de 42 000 $; Bruce Bros. a inclus la moitié de cette somme dans sa déclaration de revenu, l'autre moitié a été déclarée par les autres associés au prorata de leur participation respective. Comme dans le cas de la société de construction de la route, la société de gestion de l'épouse de Melvin McEwen détenait une participation de 25 p. 100 dans la société de construction de la digue.

[22]Je résumerai maintenant les décisions des tribunaux d'instance inférieure en commençant par celle de la Section de première instance2. Il faut souligner dès le départ que la Section de première instance n'avait pas l'avantage de pouvoir se guider sur l'arrêt prononcé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Continental Bank.

LES DÉCISIONS DES TRIBUNAUX D'INSTANCE INFÉRIEURE

[23]L'audition de l'appel interjeté par la contribuable à l'encontre de la décision du juge de la Cour de l'impôt a été tenue par le juge de première instance en vertu d'une ordonnance prononcée par consentement sous le régime de la Règle 473 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], c'est-à-dire qu'il a instruit l'affaire de nouveau. Le juge de première instance a examiné la preuve produite devant lui afin de déterminer si les deux sociétés avaient la "substance voulue" ou si elles "n'auraient servi qu'à masquer ce qui était, fondamentalement, un mécanisme fiscal visant à détourner des montants qui revenaient normalement à la [contribuable].3" Le juge a souligné l'absence d'apport aux deux sociétés de la part des six sociétés de gestion personnelle et s'est demandé comment elles pouvaient justifier que la moitié des bénéfices leur soient distribués. En s'appuyant sur la preuve, il a conclu que la contribuable n'était pas un simple créancier, mais un associé de Bruce Bros. dans les deux sociétés, et que les six sociétés de gestion personnelle étaient simplement des "sociétés de canalisation des bénéfices gagnés par leur propriétaire pour des travaux exécutés pour le compte de la demanderesse." Le juge de première instance partageait l'opinion du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle les ententes n'avaient aucun objet commercial véritable et constituaient un "trompe-l'œil" dans le sens classique. De plus, le juge de première instance était d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire que ces opérations étaient juridiquement "sans effet". Il a donc rejeté l'appel de la contribuable.

[24]En bref, le juge de la Cour de l'impôt a exprimé son accord avec le principe fiscal énoncé dans l'arrêt Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke of)4, mais il a conclu que la participation des six sociétés de gestion personnelle aux deux sociétés n'avait pas d'objet commercial véritable et constituait une "transaction insignifiante dont l'objet était de réduire de façon artificielle le revenu tiré par l'appelante des sociétés de personnes, au sens de l'article 137 de la Loi (maintenant l'article 245)". Le juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'en plus d'être "dénué[s] d'effet sur le plan juridique et exécuté[s] de façon incomplète" les contrats de société constituaient des "trompe-l'œil au sens de la définition classique"; il a donc rejeté l'appel interjeté par la contribuable à l'encontre des nouvelles cotisations du ministre.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]La contribuable soutient notamment que le juge de première instance a commis une erreur en statuant que les opérations relatives aux deux sociétés de personnes constituaient un trompe-l'œil et, subsidiairement, que ces opérations étaient sans effet pour ce qui est de la formation de sociétés de personnes valides regroupant Bruce Bros. et les six autres associés qui y sont nommément désignés. On peut résumer l'argumentation du ministre du Revenu national en disant que la seule société de personnes existante était composée de Bruce Bros. et de la contribuable. En conséquence, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard de la contribuable de façon à inclure dans son revenu la moitié des bénéfices générés par les contrats de construction de la route et de la digue. Je suis d'avis que c'est à bon droit que le ministre a agi ainsi. Pour parvenir à cette conclusion, je ne me suis pas appuyé sur la théorie du trompe-l'œil, mais sur les principes juridiques bien établis régissant les sociétés de personnes qui ont été appliqués récemment par la Cour suprême dans l'affaire Continental Bank.

ANALYSE

[26]Avant d'examiner les principes pertinents du droit des sociétés de personnes, je tiens à exprimer mon désaccord avec les juges des tribunaux d'instance inférieure en ce qui concerne la théorie du trompe-l'œil. Il est aujourd'hui bien reconnu qu'une opération sans objet commercial véritable autre que l'obtention d'un avantage fiscal ne constitue pas en soi un trompe-l'œil. Pour que la théorie du trompe-l'œil s'applique, il doit nécessairement y avoir tromperie de la part du contribuable. Dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine5, le juge Estey a écrit:

[. . .] l'opération elle-même et la forme dans laquelle les parties, leurs conseillers juridiques et comptables l'ont réalisée l'ont été de manière à créer une fausse impression pour les tiers, notamment les autorités fiscales.

Bref, pour qu'il y ait trompe-l'œil, le contribuable doit dire une chose au ministre, tout en faisant autre chose afin de se soustraire à ses obligations fiscales.

[27]En l'espèce, il semble que la contribuable ait induit en erreur à la fois Hydro-Manitoba et le ministère fédéral des Travaux publics en ne leur divulguant pas qu'elle leur présentait respectivement une soumission au nom d'une société de personnes. Je suis toutefois d'avis que cette déformation des faits ne permet pas de conclure à l'existence d'un trompe-l'œil. Il demeure possible que les sociétés dont l'existence n'a pas été divulguée soient de véritables sociétés de personnes. Le fait qu'un contrat ait pu être obtenu dans des circonstances qui en auraient entraîné l'annulation si la vérité avait été connue n'a pas pour effet d'invalider le contrat sous-jacent dont l'objet est de former une société de personnes. Une tromperie de cette nature n'est pas pertinente aux fins de l'impôt. Par exemple, il ne suffit pas qu'un contribuable soit un mystificateur de talent pour que le ministre du Revenu national soit victime d'un trompe-l'œil. (Dans une autre décision, j'ai déjà utilisé l'expression "frime inverse" pour désigner une situation dans laquelle un contribuable avait l'intention de tromper un tiers6 .) Quoi qu'il en soit, une société de personnes aurait pu être formée après la présentation des soumissions afin de réunir le capital nécessaire. La seule preuve pertinente quant à l'existence d'un trompe-l'œil est celle qui établit que le contribuable a tenté d'induire le ministre en erreur ou qu'il y est parvenu. La situation dans laquelle la preuve documentaire du contribuable dit une chose, alors que le contribuable en fait une autre, en est l'exemple typique.

[28]L'élément de preuve le plus probant à l'appui de la prétention que les contrats de société constituaient un trompe-l'œil se trouve dans une lettre adressée par Adrien Bruce aux avocats de Bruce Bros. le 19 août 1976. Dans cette lettre, M. Bruce donne pour instructions aux avocats de préparer, pour la société de construction de la digue, un contrat de société semblable à celui qui avait été rédigé pour la société de construction de la route [traduction] "entre Bruce Bros. et McEwen Bros. Ltd." La contribuable soutient que la demande de rédaction d'un contrat semblable pour la société de construction de la digue n'emporte pas la reconnaissance de sa [traduction ] "qualité "d'associé", mais plutôt de la qualité de cocontractant de l'appelante". Subsidiairement, la contribuable fait valoir que cette lettre ne vise que la société de construction de la digue; par conséquent, elle n'aurait aucune incidence quant à la qualité d'associé de la contribuable dans la société de construction de la route. Aucun de ces arguments ne me paraît convaincant. La lettre parle d'elle-même et elle traite des deux contrats de société, et non uniquement du deuxième. Néanmoins, je ne suis pas persuadé que cette preuve suffit à elle seule à étayer une conclusion de "trompe-l'œil".

[29]Il ressort clairement des motifs des juges d'instance inférieure qu'ils ont eu de la difficulté à accepter les raisons avancées par la contribuable pour expliquer pourquoi elle n'est pas devenue un associé de la société de construction de la route. Le fait qu'une garantie de bonne exécution n'ait finalement pas été exigée pour le contrat de construction de la route éclipse la prétention de la contribuable selon laquelle elle n'était pas en mesure d'obtenir une telle garantie. De plus, le fait que, quelques mois plus tard, elle ait pu fournir une garantie de bonne exécution pour le contrat de construction de la digue, alors que Bruce Bros. ne le pouvait pas, est suspect. On n'a fourni aucune explication relativement à l'incapacité de Bruce Bros. de fournir une telle garantie. La contribuable a aussi fait valoir que ses rapports avec ses clients, qui ont aussi présenté des soumissions pour le contrat de construction de la route, auraient été compromis si elle avait été associé dans la société de construction de la route. Or, elle n'a pas expliqué pourquoi ce facteur ne l'a pas dissuadée de présenter une soumission relativement au contrat de construction de la digue.

[30]Le fait que Melvin McEwen n'avait que très peu de temps à consacrer à l'entreprise de la société de construction de la route parce que la gestion des affaires de la contribuable l'accaparait n'était guère plus convaincant. Ce fait n'explique pas pourquoi ni Melvin McEwen, ni sa société de gestion personnelle n'étaient un associé des deux sociétés de personnes. Il est évident que plusieurs des associés nommément désignés n'ont joué absolument aucun rôle dans les sociétés de personnes. Aucune explication n'a non plus été fournie relativement au fait que la société de gestion personnelle de Mme McEwen est devenue un associé, si ce n'est à des fins manifestes de fractionnement du revenu.

[31]Enfin, l'explication fournie quant à la raison pour laquelle la contribuable n'était pas un associé de la société de construction de la digue n'est pas convaincante. La contribuable insiste sur le fait qu'elle n'avait pas l'expérience nécessaire pour construire des digues. Si elle n'avait pas l'expérience voulue, pourquoi a-t-elle présenté une soumission relativement au contrat de construction de la digue et pourquoi le ministère fédéral des Travaux publics aurait-il octroyé le contrat à un soumissionnaire sans expérience? Ces questions sont d'autant plus pertinentes que les problèmes invoqués par la contribuable pour expliquer pourquoi elle n'est pas devenue un associé de la société de construction de la route ont apparemment été résolus avant la formation de la société de construction de la digue.

[32]Selon la thèse de la contribuable, la Cour commettrait une erreur en soulevant ces questions, car elle tirerait des conclusions de fait contraires aux dispositions de l'énoncé conjoint partiel des faits. On peut répondre, en toute justice, à cette prétention que, dans certaines circonstances, la question se pose de savoir quelle est la portée véritable des faits sur lesquels les parties se sont entendues. Par exemple, l'énoncé conjoint partiel des faits mentionne trois raisons pour lesquelles la contribuable n'a pas présenté de soumission pour le contrat de construction de la route. Toutefois, cet énoncé ne précise pas si ces raisons sont objectivement vraies. C'est une chose de reconnaître qu'un événement est survenu ou non; c'est une chose tout à fait différente de reconnaître la véracité ou la plausibilité des raisons qui ont motivé cette conduite.

[33]Dans les circonstances, je dois toutefois refuser de trancher l'affaire en m'appuyant sur la théorie du trompe-l'œil, comme on me le demande. Et ce, parce que les tribunaux d'instance inférieure n'ont tiré aucune conclusion sur la crédibilité. Cette omission est due à la croyance du juge de première instance qu'il y a trompe-l'œil en l'absence d'objet commercial véritable. Je suis toutefois d'avis qu'il faut conclure à l'existence d'une tromperie pour statuer que le contribuable (ou l'explication qu'il donne du pourquoi de certains événements) n'est pas crédible ou plausible. En conséquence, je dois m'en remettre à l'argument portant que les deux contrats de société étaient juridiquement sans effet pour ce qui est de former une société de personnes regroupant les "parties de seconde part" et Bruce Bros. Je commencerai mon analyse en énonçant les conditions juridiques essentielles à l'existence d'une société de personnes valide.

[34]Pour établir l'existence d'une société de personnes valide, il faut démontrer les éléments suivants: 1) une entreprise a été exploitée; 2) en commun par deux ou plusieurs personnes; 3) en vue de réaliser un bénéfice. En l'espèce, la première et la troisième conditions sont facilement remplies. Il ne fait aucun doute qu'une entreprise ou une entreprise commune a été exploitée dans le cadre des contrats de construction de la route et de la digue. Des comptes bancaires ont été ouverts au nom de chaque société de personnes, des employés ont été embauchés et des travaux ont été exécutés. Il est aussi évident que ces travaux ont été entrepris dans l'expectative d'un profit et que les bénéfices qu'ils ont générés ont été distribués aux associés en conformité avec les contrats de société. Il faut donc centrer notre attention sur la deuxième condition. Pour trancher l'appel, il faut identifier les personnes qui ont exploité une entreprise "en commun". Le ministre soutient que Bruce Bros. et la contribuable étaient les véritables associés, car seules ces entités ont exploité une entreprise en commun. La contribuable invoque les deux contrats de société et prétend que les parties qui y sont nommément désignées ont exploité une entreprise en commun.

[35]L'élément central de l'argumentation de la contribuable est qu'elle n'a pas participé aux deux sociétés de personnes. Elle affirme avoir tout au plus loué du matériel lourd pour lequel elle a reçu une contrepartie importante. De plus, elle dit avoir joué le rôle d'un banquier auprès des associés autres que Bruce Bros., ce qui lui a rapporté un revenu sous forme d'intérêts. Je ne partage pas son avis à cet égard.

[36]Dans l'arrêt Continental Bank prononcé récemment par la Cour suprême du Canada, le juge Bastarache, qui s'exprimait au nom de toute la Cour en ce qui concerne la notion de société de personnes, a énoncé différents facteurs qui doivent être pris en compte pour décider si une société de personnes valide a été établie. Plusieurs de ces facteurs sont pertinents en l'espèce. Au paragraphe 24, le juge Bastarache a mentionné les indices suivants parmi ceux indiquant l'existence d'une société de personnes: "apport des parties à l'entreprise commune sous forme de numéraire, biens, travail, connaissances, habiletés ou autres éléments; droit de propriété conjointe dans l'objet de l'entreprise; partage des profits et des pertes; droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise; production de déclarations de revenus à titre de société de personnes et comptes bancaires conjoints"7.

[37]En résumé, pour décider si une entreprise a été exploitée en commun, il faut déterminer qui a fait un apport à l'entreprise sous forme de capital, biens, travail, connaissances, habiletés et autres éléments. En l'espèce, les questions de savoir qui possède un "droit de contrôle et de gestion de l'entreprise" (par exemple qui est signataire des chèques tirés sur les comptes bancaires de l'entreprise) et entre qui sont partagés les profits et les pertes sont également pertinentes. Pour trancher l'appel, il convient de répartir ces facteurs en deux catégories selon qu'ils concernent le contrôle et la gestion des deux sociétés de personnes ou l'apport de capital. J'examinerai en premier lieu les facteurs touchant le contrôle et la gestion.

[38]En ce qui concerne la société de construction de la route, le fait que ce soient des représentants de Bruce Bros. et des employés clés de la contribuable, soit Melvin McEwen et Russell Graham, qui en ont eu le contrôle conjoint est révélateur. Il est admis que la société de gestion de M. Graham était un associé, mais un contrat prévoyait déjà la prestation de ses services à la contribuable, de sorte qu'il est difficile de soutenir de façon convaincante qu'il agissait pour le compte de la société de gestion. En ce qui concerne la gestion sur le chantier du contrat de construction de la route, c'est un représentant de Bruce Bros. et Russell Graham qui conservaient le contrôle, alors que Adrien Bruce et Melvin McEwen, le président de la contribuable, se partageaient le contrôle en ce qui a trait à la gestion hors chantier. Les signataires autorisés des chèques étaient Melvin McEwen et Russell Graham, ainsi que des représentants de Bruce Bros.

[39]En ce qui concerne la société de construction de la digue, le contrôle était exercé conjointement par des représentants de Bruce Bros. et des employés clés de la contribuable, savoir Melvin McEwen et Roy Hadaller. M. Hadaller agissait par l'entremise de sa société de gestion, qui était un associé dans l'entreprise. La gestion sur le chantier a été confiée à Roy Hadaller, et la gestion hors chantier à Melvin McEwen, ainsi qu'à des représentants de Bruce Bros. En conclusion, il est clair que la gestion et le contrôle effectifs des deux projets étaient exercés par Melvin McEwen et deux employés clés de la contribuable, soit Russell Graham et Roy Hadaller. Ces deux dernières personnes étaient liées par contrat à la contribuable par l'intermédiaire de leur société de gestion respective.

[40]Il est reconnu en droit qu'il n'est pas nécessaire que chaque associé fasse un apport à la société de personnes sous forme de temps, de travail et d'habiletés. La notion d'"associé commanditaire" est bien acceptée en droit8 ; une société de personnes peut donc être gérée par une ou plusieurs personnes pour leur compte et celui d'autres personnes. Toutefois, les autres associés doivent faire un apport sous une forme quelconque à l'entreprise. S'il ne s'agit pas de temps, de travail ni d'habiletés, il doit s'agir de capital. Les faits de l'espèce révèlent clairement que seules la contribuable et Bruce Bros. ont fourni le capital requis par les deux entreprises. Aucune preuve n'établit que les autres associés possédaient des ressources financières suffisantes ou y avaient accès pour faire l'apport de capital stipulé dans les deux contrats de société. La contribuable pouvait certainement consentir des prêts attestés par des documents aux autres associés, et ceux-ci pouvaient lui verser des intérêts prélevés sur les bénéfices qui leur ont été versés. Mais ils ne l'ont pas fait. Le capital est passé directement de la contribuable aux sociétés de personnes et ce sont les sociétés de personnes qui ont payé des intérêts sur le capital de la contribuable qu'elles ont utilisé. En conséquence, l'un des éléments clés des deux contrats de société n'a pas été respecté. Comme le précise l'arrêt Continental Bank, lorsque les parties ont conclu un accord écrit formel régissant leurs rapports, les tribunaux doivent se demander si les parties ont appliqué le contrat et si, dans les faits, il a régi les rapports des parties. En l'espèce, les stipulations des contrats de société concernant les apports de capital et la liquidité des associés individuels n'ont pas été respectées, et n'auraient pas pu l'être, compte tenu de la situation financière des sociétés de gestion.

[41]Il semble qu'aucun associé, hormis la contribuable et Bruce Bros. n'était en mesure de partager les pertes qui auraient pu découler de l'exécution des deux contrats de construction. Il est très improbable que Bruce Bros. aurait accepté de conclure un accord de partage des bénéfices avec des sociétés "fantômes" qui n'étaient pas en mesure de partager les pertes éventuelles, à moins que la contribuable ait implicitement pris leurs obligations en charge. Le fait que la contribuable ait été le soumissionnaire retenu pour le contrat de construction de la digue, sans toutefois être nommément désignée comme associé de la société de construction de la digue parle de lui-même.

[42]En conclusion, j'estime que les contrats de société étaient juridiquement sans effet parce que les associés nommément désignés n'ont pas exploité une entreprise "en commun". L'examen des indices typiques indiquant l'existence d'une société de personnes, c'est-à-dire l'apport à l'entreprise conjointe, sous forme de capital, biens, travail, connaissances, habiletés et autres éléments, révèle clairement qu'il n'existait en fait que deux associés véritables: la contribuable et Bruce Bros. Pour cette raison, l'appel doit être rejeté avec dépens.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 [1998] 2 R.C.S. 298.

2 Maintenant publiée dans [1994] 1 C.T.C. 317 (C.F. 1re inst.).

3 Id., à la p. 323.

4 [1936] A.C. 1 (H.L.), à la p. 19.

5 [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 572.

6 La Reine c. Paxton, J.D. (1996), 97 DTC 5012 (C.A.F.).

7 Continental Bank, précité, note 1, à la p. 318.

8 R. C. l'Anson Banks, éd., Lindley & Banks on Partnership, 17e éd. (London: Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 9.

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