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Acadian Cable T. V. Ltd. (Demanderesse) c.
Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne, le procureur général du Canada et Robert W. Oxner (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Kerr— Saint-Jean (N.-B.), le 23 novembre; Ottawa, le 4 décembre 1972.
Procédure—Parties—Compétence—Objection quant à la compétence de la Cour—L'un des défendeurs doit-il être mis hors de cause—Règle 401 de la Cour fédérale.
La demanderesse exploite un réseau de télévision par câble ét diffuse des émissions qu'elle reçoit de Calais (Maine) à ses abonnés de St -Stephen (N.-B.). En octobre 1971, Oxner, employé du CRTC, a déposé sur l'ordre du CRTC une dénonciation accusant la demanderesse d'exploi- ter une entreprise de radiodiffusion en violation de l'article 29(3) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11. Le CRTC a aussi sectionné le câble de la demanderesse. La demanderesse poursuit le CRTC, Oxner et le procureur général du Canada; elle sollicite un jugement déclaratoire affirmant qu'elle n'est pas une entreprise de radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffusion et demande une injonction et des dommages-intérêts.
Arrêt: l'objection soulevée par Oxner quant à la compé- tence de la Cour est rejetée. L'action intentée contre Oxner ne devrait pas être rejetée avant le procès.
REQUÊTE.
T. L. McGloan pour la demanderesse.
John Turnbull pour les défendeurs.
LE JUGE KERR—Le défendeur Robert W. Oxner a déposé un acte de comparution condi- tionnelle dans cette instance le 10 octobre 1972, en vue de soulever une objection quant à la compétence de la Cour.
La Règle 401 autorise un défendeur à dépo- ser, avec la permission de la Cour, un acte de comparution conditionnelle en vue de soulever une objection quant à la compétence de la Cour; l'ordonnance accordant cette permission doit prévoir toute suspension d'instance néces- saire pour permettre de soulever cette objection et de statuer à son sujet.
Le 19 octobre 1972, le juge Heald a entendu une requête présentée au nom du défendeur demandant une ordonnance ratifiant le dépôt de l'acte de comparution conditionnelle en date du 10 octobre ainsi qu'une ordonnance suspendant l'instance engagée contre le défendeur pour per-
mettre de soulever cette objection et de statuer à son sujet et fixant un lieu et une date pour l'audition de cette objection. Une ordonnance a aussitôt été rendue permettant au défendeur de déposer un acte de comparution conditionnelle en vue de soulever une objection quant à la compétence de la Cour en vertu de la Règle 401c), suspendant l'instance engagée contre lui pour permettre à la Cour de trancher la question de sa compétence et ordonnant aussi que cette objection soit entendue le 23 novembre à Fre- dericton. Par une ordonnance postérieure, le lieu de l'audience a été transféré de Fredericton à Saint-Jean. On a décidé par la suite que le défendeur Oxner témoignerait en personne lors de l'audition de l'objection. Le défendeur n'a pas déposé un nouvel acte de comparution con- ditionnelle; aux fins de l'audition de la question de compétence, on a cependant considéré l'acte de comparution conditionnelle déposé le 10 octobre comme ayant été déposé avec la per mission de la Cour.
Il nous paraît utile, avant d'aborder la ques tion de compétence, d'indiquer sommairement la nature de l'instance et celle du redressement demandé par la demanderesse. La demande- resse affirme dans sa déclaration qu'elle exploite dans la ville de St -Stephen (N.-B.) un circuit fermé de distribution d'images télédiffu- sées, qui retransmet par câble des signaux pro- venant de Calais (Maine) à ses abonnés de St -Stephen et de Milltown (N.-B.); que l'activité de la compagnie ne concerne pas la radiocom- munication au sens de la Loi sur la radiodiffu- sion, S.R.C. 1970, c. B-11, et que la compagnie n'est pas une entreprise de radiodiffusion au sens de cette loi; que le Conseil de la Radio- Télévision canadienne, défendeur à l'instance, a entamé des poursuites contre la compagnie en faisant déposer le 25 octobre 1971 par le défen- deur Robert W. Oxner, employé du Conseil, une dénonciation sous serment accusant la deman- deresse d'exploiter une entreprise de radiodiffu- sion en violation de l'article 29(3) de la Loi sur la radiodiffusion; que la demanderesse, n'étant pas une entreprise de radiodiffusion au sens de la loi, n'a pas besoin d'une licence du Conseil pour exercer ses activités; que le Conseil s'est immiscé dans les activités de la demanderesse en sectionnant ou faisant sectionner le câble de la demanderesse, interrompant ainsi le fonction-
nement du système de distribution de la deman- deresse; et que ces agissements ont nui aux négociations en cours concernant l'acquisition par la demanderesse d'une entreprise de radio- diffusion à St -Stephen et à Milltown et empê- chent la demanderesse de mettre au point sa position dans ces négociations. La demande- resse sollicite notamment:
a) un jugement déclaratoire affirmant qu'elle n'est pas une entreprise de radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffusion et qu'elle n'est pas obligée de détenir une licence du Conseil pour continuer à exploiter son sys- tème de distribution à St -Stephen et à Milltown;
b) une injonction interdisant au Conseil et à ses fonctionnaires, préposés, agents et employés de poursuivre la demanderesse ou de conseiller, prêter assistance, ou ordonner à d'autres personnes de poursuivre la demande- resse pour exploitation de son entreprise sans une licence du Conseil;
c) des dommages et intérêts pour trouble de jouissance, dommages causés aux biens de la demanderesse et immixtion dans ses activités.
Lors de l'audition de l'objection quant à la compétence de la Cour à l'égard du défendeur Oxner, l'avocat de la demanderesse a signalé que le paragraphe 15b) de la déclaration était modifié, et qu'on y réclamait également une injonction visant à interdire toute immixtion dans les activités de la demanderesse à St -Ste- phen, Milltown et dans l'État du Maine.
Le Conseil défendeur à l'instance a déposé une défense, dans laquelle il affirme notamment que la demanderesse exploite en collaboration avec certaines autres compagnies une entreprise de ce qu'on appelle communément la télévision par câble à St -Stephen, à Milltown et à Calais (Maine), que cette affaire comprend une entre- prise de réception de radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffusion, que le Conseil n'a pas délivré de licence de radiodiffusion à la demanderesse et ne l'a pas exemptée de détenir une licence de radiodiffusion conformément à la Loi sur la radiodiffusion et que le Conseil reconnaît avoir entamé contre la demanderesse les poursuites mentionnées dans la déclaration. A l'audience, Oxner s'est fait représenter par
Me Turnbull, la demanderesse, par Me McGloan. Le procureur général du Canada ne s'est pas fait représenter, mais a déposé une défense.
Dans sa déposition, Oxner a déclaré qu'il est le surintendant pour la région de l'Atlantique, Bureau des demandes et des licences, Division de la politique des licences du Conseil et que, sous la direction de son chef de bureau, il étudie les possibilités des radiodiffuseurs et les désirs du public pour déterminer quelles régions ont besoin de services de radiodiffusion et susciter des initiatives dans ce domaine, coordonne les demandes d'audience publique présentées en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, présente des recommandations au Conseil concernant les diverses propositions et conseille les personnes qui déposent des demandes de licence sur la procédure à suivre pour leur demande. Il a affirmé qu'il ne participait pas à la prise des décisions, qu'il était tout à fait étranger au sec- tionnement du câble de la demanderesse, que c'est sur les ordres du chef du contentieux du Conseil qu'il avait déposé contre la demande- resse la dénonciation mentionnée dans la décla- ration, et qu'en octobre 1971 il avait déposé une dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition contre la demanderesse et avait utilisé ce mandat pour pénétrer sur la propriété de la demanderesse; qu'il avait déposé ces dénonciations à titre d'agent du Conseil; que, dans l'exercice de ses fonctions au Conseil, il était à l'emploi de la fonction publique du Canada et que la hiérarchie à laquelle il apparte- nait était constituée du Conseil, puis du direc- teur général de ce dernier, du chef du bureau des demandes et des licences et ensuite d'Oxner lui-même. Il a affirmé en outre que la plupart des rapports entre la demanderesse et le Conseil s'étaient effectués par son entremise.
Dans la déclaration, le nom du défendeur Oxner n'apparaît qu'au paragraphe 10, l'on affirme qu'il est un employé du Conseil, et au paragraphe 11, qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] 1 1 . Que le Conseil a entamé des poursuites contre la demanderesse et ses administrateurs en faisant déposer par Robert W. Oxner, le 25 octobre 1971, devant le juge Douglas C. Rice, juge de la Cour provinciale du Nou- veau-Brunswick pour le comté de Charlotte, une dénoncia- tion accusant la demanderesse ainsi que ses administrateurs
d'exploiter une entreprise de radiodiffusion en violation du paragraphe 3 de l'article 29 de la Loi sur la radiodiffusion.
Le seul autre acte de l'un ou l'autre défen- deur qu'invoque la déclaration est décrit au paragraphe 13 dans les termes suivants:
[TRADUCTION] 13. Que le 21 juillet 1972 ou vers cette date, le Conseil s'est immiscé dans les activités de la deman- deresse en sectionnant ou faisant sectionner le câble de la demanderesse en la ville de St -Stephen, interrompant ainsi le fonctionnement du système de distribution de la deman- deresse. Le câble a été réparé par la suite par la demanderesse.
On affirme au paragraphe 14 que «ces agisse- ments» ont nui aux négociations etc. de la façon exposée dans ce paragraphe; et on affirme au paragraphe 15 que la demanderesse réclame par conséquent le redressement demandé dans ce paragraphe.
Oxner est un fonctionnaire ou un employé nommé conformément à l'article 10 de la Loi sur la radiodiffusion, c'est-à-dire, aux termes de cet article, en conformité de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique; par ailleurs, le Con- seil figure à l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, sous l'intitulé:
Ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le conseil du Trésor, est l'employeur
Conseil de la radio-télévision canadienne
Dans l'action intentée contre le défendeur Oxner, la demanderesse me paraît chercher à obtenir un redressement contre cette personne en particulier, invoquant à cette fin, d'une part un acte accompli par le défendeur dans l'exer- cice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou de préposé de la Couronne à l'emploi du Con- seil, et d'autre part la compétence de la Cour pour entendre une action intentée contre le défendeur en particulier, en vertu de l'article 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, qui se lit ainsi:
17. (4) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche a obtenir un redressement contre une personne en raison d'un acte ou d'une omission de cette dernière dans l'exer- cice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
Comme nous l'avons signalé plus haut, le seul acte que la déclaration impute au défendeur Oxner est le dépôt de la dénonciation accusant la demanderesse d'exploiter une entreprise de radiodiffusion en violation de l'article 29(3) de la Loi sur la radiodiffusion. Cette dénonciation est à l'origine des poursuites pendantes devant le tribunal du Nouveau-Brunswick. En ce qui concerne le jugement déclaratoire et l'injonc- tion sollicités par la demanderesse, la Cour a compétence en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour émettre une injonction ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office, commission ou autre tribunal fédé- ral au sens défini par l'article 2 de cette loi; et si dans cette instance, la demanderesse a assigné en défense le Conseil et le procureur général du Canada, c'est probablement pour obtenir un redressement prévu par l'article 18.
La demanderesse ne soutient apparemment pas qu'Oxner a commis un quasi-délit ou ait causé un préjudice engageant sa responsabilité, mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'in- voquer ou de prouver l'existence d'un quasi- délit ou d'un préjudice pour être admis à rece- voir, en tout ou en partie, le redressement demandé dans cette instance, en particulier un redressement sous forme de jugement déclaratoire.
Il n'est pas impossible que dans cette instance la Cour accorde, à sa discrétion, un jugement déclaratoire tel que celui qu'on sollicite et que, si elle est convaincue que le Conseil n'a pas compétence à l'égard de l'entreprise de la demanderesse, elle interdise au Conseil et à ses fonctionnaires ou préposés d'exercer ou de tenter d'exercer à l'égard de la demanderesse une compétence que le Conseil ne possède pas'.
Bien qu'il me semble que la question essen- tielle du litige concerne la demanderesse et le Conseil plutôt que la demanderesse et Oxner, et que cette question aurait pu être soulevée et tranchée sans assigner Oxner, ce dernier a néanmoins joué un certain rôle dans la pour- suite contre la demanderesse en déposant la dénonciation dans l'exercice de ses fonctions; je ne suis donc pas disposé à conclure que dans cette instance la Cour n'a compétence pour accorder aucun des redressements demandés contre lui, et j'estime qu'il serait injuste de
rejeter dès maintenant l'action intentée contre lui pour le seul motif qu'on a objecté l'incompé- tence de la Cour.
L'objection soulevée par Oxner quant à la compétence de la Cour est donc rejetée. Les dépens de la demanderesse seront à la charge d'Oxner. Je suppose que ces dépens seront payés par son employeur, puisqu'Oxner a agi dans l'exercice de ses fonctions et conformé- ment aux ordres qu'il avait reçus.
I Voir les motifs du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt CRTC c. Teleprompter Cable Communications Co., [1972] C.F. 1265, qui a certains aspects communs avec cette affaire.
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