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L'Institut professionnel du service public du Canada (Demandeur)
c.
Le procureur général du Canada (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Bastin—Ottawa, le 15 décembre 1972.
Examen judiciaire—Fonction publique—Les avocats de la Commission canadienne des transports sont-ils des «person- nes préposées à des fonctions confidentielles»—Examen d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique—Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 2, 25.
EXAMEN judiciaire.
J. C. Hanson, c.r., pour le demandeur.
I. G. Whitehall pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée à cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, pour l'examen et l'annulation d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique en date du 10 août 1971, telle que confirmée par le nouvel examen que ladite Commission a fait de sa décision le 13 juin 1972.
Pour saisir la portée de la décision qui fait l'objet de cette demande, il faut examiner cer- taines dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (ci-après appelée «la loi»).
La Partie II de la loi prévoit la réglementation des négociations collectives et la négociation des conventions collectives dans la Fonction publique du Canada. A cette fin, elle stipule que la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (instituée conformément à l'article 11 de la loi) accrédite des organisations d'employés en qualité d'agents négociateurs pour les employés appartenant à une unité de négociation qu'elle a jugé habile à négocier col- lectivement. Pour les fins de la loi, «emplôÿé» est défini à l'article 2 comme étant une per- sonne employée dans la Fonction publique et n'appartenant pas à certaines catégories exclues. L'une de ces catégories exclues est «h) une personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles» et on trouve une défi-
nition plus précise des catégories exclues à l'ar- ticle 2 que voici:
«personne préposée à la gestion ou à des fonctions confi- dentielles» désigne toute personne qui
a) occupe un poste de confiance auprès du gouverneur général, un ministre de la Couronne, un juge de la Cour suprême ou de la Cour de l'Échiquier du Canada, le sous-chef d'un ministère ou d'un département ou le fonc- tionnaire administratif en chef de tout autre élément de la Fonction publique; ou
b) est employée en qualité de conseiller juridique au ministère de la Justice,
et comprend toute autre personne employée dans la Fonc- tion publique qui, relativement à une demande d'accrédita- tion d'un agent négociateur d'une unité de négociation, est désignée par la Commission, ou qui, chaque fois qu'un agent négociateur d'une unité de négociation a été accrédité par la Commission, est désignée de la manière prescrite par l'em- ployeur, ou par la Commission lorsque l'agent négociateur s'y oppose, pour être une personne
c) qui a des fonctions et des responsabilités de direction en ce qui a trait à l'établissement et à l'application des programmes du gouvernement,
d) dont les fonctions comprennent celles d'un administra- teur du personnel ou qui, par ses fonctions, est directe- ment impliquée dans le mécanisme de la négociation collective pour le compte de l'employeur,
e) qui est tenue, en raison de ses fonctions et de ses responsabilités, de s'occuper officiellement, pour le compte de l'employeur, d'un grief présenté selon la procé- dure applicable aux griefs, établie en vertu de la présente loi,
fl qui occupe un poste de confiance auprès de l'une des personnes décrites aux alinéas b), c), d) ou e), ou
g) qui n'est pas autrement décrite aux alinéas c), d), e) ou
f) mais qui, de l'avis de la Commission, ne devrait pas faire partie d'une unité de négociation en raison de ses fonctions et de ses responsabilités envers l'em- ployeur; .. .
Un examen de cette définition permet de remarquer qu'outre les personnes décrites aux alinéas a) et b), l'expression «personne prépo- sée à la gestion ou à des fonctions confidentiel- les» comprend, dans le cas la Commission a accrédité une unité de négociation, «toute autre personne employée dans la Fonction publique ... qui ... est désignée de la manière prescrite par l'employeur, ou par la Commission lorsque l'agent négociateur s'y oppose, pour être une personne» qui relève des alinéas c), d), e), f) ou g), et que l'alinéa J fait entrer dans cette caté- gorie une personne qui occupe «un poste de confiance auprès de l'une des personnes» décri- tes aux alinéas b), c), d) ou e).
En l'espèce, un agent négociateur a été accré- dité pour une unité de négociation. L'employeur a alors proposé que deux avocats, Me Cuddihy et Me Norton, employés par la Commission canadienne des transports, soient désignés comme étant des personnes relevant de l'alinéa j) de la définition de «personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles» (ou de l'article 2u)(vi) de la loi, dans sa rédaction antérieure aux Statuts révisés de 1970); l'agent négociateur s'y est opposé et la Commission, après une enquête appropriée et après avoir entendu les parties, a rendu une décision le 10 août 1971 par laquelle elle désignait les deux avocats comme étant des personnes préposées à la gestion ou à des fonctions confidentielles selon la définition de cette expression dans la loi.
L'employeur a désigné les avocats en ques tion parce qu'ils occupaient un poste «de con- fiance auprès» du directeur général du Conten- tieux, Commission canadienne des transports, lui-même désigné auparavant comme étant une personne préposée à la gestion ou à des fonc- tions confidentielles en vertu des alinéas c) et e) de la définition.
Voici l'extrait pertinent de la décision de la Commission:
5. Il est difficile ou impossible de définir exactement l'expression «confidentiel». Il semble encore moins aisé de définir avec précision les rapports qui sont décrits dans l'expression «poste de confiance auprès d'une personne». De tels rapports peuvent exister dans une foule de circons- tances et peuvent varier selon ces circonstances. La défini- tion que donne le dictionnaire du mot «confidentiel» nous aide très peu. Le dictionnaire Oxford abrégé définit «confi- dentiel» de la façon suivante:
1. Qui se dit, se fait en confidence 1773.
2. Qui dénote l'intimité 1759.
3. Qui jouit de la confiance d'un autre; connaissance d'un secret 1805.
Le mot «confiance» est défini ainsi:
Attitude mentale qui consiste à compter sur (ou s'en remettre à) une personne; espérance ferme, assurance, foi.
S'il fallait appliquer toutes ces définitions à la lettre, il faudrait désigner un nombre de fonctionnaires si grand que la négociation collective prévue par la Loi n'aurait plus aucune signification comme instrument pour réglementer les relations entre l'employeur et les membres de la Fonction publique.
6. Il ne nous reste donc qu'à faire des déclarations de principe très générales sans prétendre pour autant épuiser la question. Il nous semble que le Parlement a vouloir que le sous-alinéa (vi) visât au moins les circonstances suivantes:
(i) Lorsque les fonctions d'un poste occupé par une personne décrite au sous-alinéa (ii) à (y) de l'article 2 u) sont tellement lourdes que cette dernière est forcée de déléguer à un autre une partie importante des fonctions à l'origine de sa désignation ou du genre qui atteste qu'elle est une personne décrite au sous-alinéa (ii) à (y) de l'article 2 u), et lorsque les fonctions ainsi déléguées exigent de la compétence, du discernement et de la confiance;
(ii) lorsque les services rendus par une personne qui occupe un poste confidentiel allégué sont de telle nature que la personne désignée ou décrite au sous-alinéa (ii) (y) de l'article 2 u) aurait normalement à s'en remettre dans une large mesure à la personne «qui occupe le poste de confiance» pour les accomplir, eu égard à la technolo- gie moderne et l'organisation du bureau.
Ce deuxième genre de personnes occupant un poste de confiance que je viens de décrire comprendrait, entre autres, une personne qui fait fonction de secrétaire indis pensable auprès d'une personne désignée ou décrite au sous-alinéa (ii) à (y) de l'article 2 u), cette fonction étant reliée à celles qui ont été à l'origine de sa désignation ou de sa description. La définition peut sembler incomplète, mais c'est une difficulté inhérente à la question difficile que nous devons sans cesse trancher au moment de déterminer quel- les sont les personnes qui occupent des postes «de confiance».
7. Eu égard aux éléments de preuve contenus dans le rapport de l'examinateur, nous décidons que MM. Cuddihy et Norton occupent des postes de confiance, au sens que nous venons de définir, auprès de Me Fortier qui est une personne désignée comme préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles aux termes du sous-alinéa (iii) de l'article 2 u) de la Loi. Ces personnes sont donc désignées personnes préposées à la gestion ou à des fonctions confi- dentielles aux termes de l'article 2 u) de la Loi.
A ce stade, il convient aussi de mentionner que, sous le titre «Droits et interdictions de base», l'article 8 de la loi prévoit qu'«il est interdit à toute personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles, agissant ou non pour le compte de l'employeur, de partici- per à la formation ou l'administration d'une association d'employés ou à la représentation des employés par une telle association, ou de s'y immiscer».
Enfin, on doit aussi mentionner que, par une lettre datée du 7 septembre 1971, le demandeur s'est adressé à la Commission pour qu'elle rée- xamine sa décision du 10 août 1971 en vertu de l'article 25 de la loi qui est rédigé ainsi:
25. La Commission peut examiner de nouveau, annuler ou modifier toute décision ou ordonnance qu'elle a rendue, ou procéder à une nouvelle audition de toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. Toutefois les droits acquis en raison d'une décision ou d'une ordonnance ainsi examinée de nouveau, annulée ou modifiée ne peuvent faire l'objet d'une modification ou abolition qui prendrait effet avant la date de ce nouvel examen, de cette annulation ou de cette modification.
Voici la lettre demandant cet examen:
[TRADUCTION] Conformément à l'article 25 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, je demande par la présente que la Commission sur les relations de travail dans la Fonction publique réexamine sa décision du 10 août 1971 (dossier 172-2-56) par laquelle elle décidait que Me M.J. Cuddihy et Me N.C. Norton sont des person- nes occupant des postes de confiance auprès de Me J.M. Fortier au sens de l'article 2u) (vi) de la loi.
Voici ce que déclarait la Commission au paragraphe 7 de sa décision:
Eu égard aux éléments de preuve contenues dans le rapport de l'examinateur, nous décidons que MM. Cud- dihy et Norton occupent des postes de confiance, au sens que nous venons de définir, auprès de Me Fortier qui est une personne désignée comme préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles aux termes du sous-alinéa
(iii) de l'article 2u) de la loi.
Un examen approfondi du rapport de l'examinateur et de son rapport complémentaire n'a pas permis à l'Institut d'éta- blir la preuve qui ferait relever Me Cuddihy et Me Norton de l'article 2u) (vi) de la loi tel qu'interprété par la Commis sion au paragraphe 6 de sa décision. Dans le rapport de l'examinateur et son rapport complémentaire, les seules mentions des relations entre Me Cuddihy et Me Fortier se trouvent aux paragraphes 8, 10 et 11 de ce dernier et, de l'avis de l'Institut, ces mentions ne précisent en aucune façon que
(i) les fonctions de Me Fortier sont si lourdes qu'il est tenu de déléguer à Me Cuddihy une partie importante de ses fonctions et responsabilités de direction en ce qui a trait à l'établissement et à l'application des programmes du gouvernement;
ou
(ii) que les services rendus par Me Cuddihy sont d'une nature telle qu'étant donné les techniques modernes d'ad- ministration, Me Fortier s'appuierait normalement dans une grande mesure sur Me Cuddihy pour exécuter les tâches qui ont menées à sa propre exclusion.
Pour les raisons susmentionnées, l'Institut demande que la Commission réexamine sa décision relative à Me Cuddihy et Me Norton, étant donné qu'il soutient que ces employés ne doivent pas être exclus de l'unité de négociation du groupe du droit.
Le 13 juin 1972, la Commission a rendu la décision suivante:
La Commission s'est penchée attentivement sur une demande de l'agent négociateur portant révision d'une déci-
Sion que la Commission a rendue le 10 août en cette affaire et sur les représentations que ce même agent négociateur a faites à l'appui de ladite demande. La Commission confirme par la présente sa décision du 10 août 1971.
Le seul moyen à l'encontre de la décision du 10 août 1971 que le demandeur invoque dans son exposé à la Cour, est qu'elle était fondée [TRADUCTION] «sur une conclusion de faits erronée, rendue de façon absurde ou arbitraire, sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance» étant donné que les documents en possession de la Commission ne contenaient pas de preuves permettant d'appliquer l'alinéa f) de la définition de «personne préposée à la
gestion ou à des fonctions confidentielles» aux deux avocats en question, vu l'interprétation que la Commission en donne dans sa décision.
Aux paragraphes 3 et 4 de son exposé, le demandeur a aussi attaqué la décision de la Commission du 13 juin 1972 confirmant sa décision antérieure. En excluant les arrêts et textes de doctrine cités, ces paragraphes sont rédigés ainsi:
[TRADUCTION] 3. a) On doit considérer la décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publi- que du 13 juin 1972, confirmant sa décision antérieure du 10 août 1971 la suite d'un nouvel examen, comme étant la reprise, le renouvellement ou la réitération de sa décision antérieure. En conséquence, l'examen que le demandeur demande à cette Cour peut mettre en question la décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique du 10 août 1971 ainsi que celle du 13 juin 1972.
b) En rendant sa décision du 13 juin 1972, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique aurait faire un examen complet et approfondi de sa décision du 10 août 1971; il s'agissait, ou il aurait s'agir, en consé- quence d'un nouvel examen de tous les documents et de la preuve qu'elle avait retenus en 1971 ainsi que de toute représentation, documentation ou preuve qu'elle a examinée ou considérée en rendant sa décision du 13 juin 1972.
4. En refusant de s'ouvrir aux représentations présentées par le demandeur et en ne faisant pas un examen complet de la décision de 1971, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique a commis un déni de justice naturelle.
En ce qui concerne la décision du 10 août 1971, il me semble, après un examen du dossier et des exposés, qu'on trouve une justification suffisante à la décision de la Commission dans les parties suivantes du rapport de l'examina- teur sur lequel elle se fonde:
[TRADUCTION] Le témoin travaille sous la direction du direc- teur général du Contentieux. Il exerce les fonctions de conseiller juridique auprès de la Commission et des divers
comités, tels que le Comité des transports par chemins de fer, le Comité des transports aériens et le Comité des transports par eau.
Le témoin a des contacts quotidiens avec le directeur géné- ral du Contentieux et il déclare qu'il a de nombreux échan- ges de vues avec son directeur.
Selon le témoin, quant il doit travailler en temps que conseiller d'un comité, il donne directement son avis au comité, même s'il discute à l'occasion certaines questions juridiques avec son directeur avant de ce faire. Il en est de même lorsqu'il doit traiter avec le président, le vice-prési- dent et le secrétaire de la Commission canadienne des Transports.
On doit supposer que la Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique a une certaine connaissance de l'organisation du gou- vernement et des tâches d'un avocat qui donne des conseils juridiques. Étant donné ses attribu tions, elle doit se maintenir extrêmement au fait de ces questions et il serait inutile et sans inté- rêt de refaire entièrement le tour de ces ques tions dans le dossier de chaque affaire qui lui est présentée. Quand un secteur des services gouvernementaux a un conseiller juridique, il va de soi que ses fonctions sont confidentielles. Quand il existe un contentieux, le directeur est tenu d'en assurer le fonctionnement et, pour ce faire, il doit avoir recours à des avocats qui lui offrent leurs services et suivent ses instructions tout en gardant un caractère confidentiel! à ces fonctions. Si un tel avocat n'occupe pas un poste confidentiel auprès du directeur de son service ou, pour utiliser les termes de la loi, s'il n'occupe pas «un poste de confiance» auprès du directeur, j'ai beaucoup de mal à concevoir, en me fondant sur ma propre expérience, qu'il y ait des personnes dans la Fonction publique qui occupent «un poste de confiance» auprès d'une autre personne dans la Fonction publique.
En ce qui concerne l'attaque de la décision en réponse à la requête d'examen de la décision primitive, je ne vois pas de quoi on se plaint. Personne n'a demandé la possibilité de présen- ter de nouveaux éléments de preuve ou de nouveaux arguments. La lettre demandant à la Commission de revoir la question exposait tout à fait clairement quel nouvel examen on désirait obtenir. Après avoir attentivement examiné la demande «ainsi que les représentations ... à l'appui de ladite demande», la Commission a confirmé sa décision. La Commission a fait
exactement ce qu'on lui demandait et je ne vois ici aucun motif de plainte. Ce faisant, je ne veux pas qu'on me fasse dire que la Commis sion est tenue de procéder à une «nouvelle audition» de toute demande ou à un «nouvel examen» d'une décision ou ordonnance qu'elle vient juste de rendre si ce n'est dans la mesure la personne qui le demande a démontré qu'il y a des raisons valables de le faire.
A mon avis, il faut rejeter la demande.
*
LE JUGE THURLOW et LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN ont souscrit à l'avis.
I C'est sans aucun doute la raison pour laquelle les con- seillers juridiques au ministère de la Justice sont exclus en tant que catégorie.
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