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Jay-Kay Publications Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Cour d'appel; le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Sweet—Toronto, le 30 octobre 1972.
Impôt sur le revenu—Annonces publicitaires dans une publication non canadienne—Cette dépense est-elle déducti- ble—L'encouragement des sciences est-il l'objet principal de la publication—Loi de l'impôt sur le revenu de 1972, article 19.
La compagnie appelante, qui appartient à deux personnes très liées au milieu de la publicité, publie au Canada en vertu d'un accord de licence avec un éditeur américain l'édition canadienne d'une publication américaine intitulée «Medical Aspects of Human Sexuality», qui contient des articles scientifiques sur ce sujet. L'édition canadienne est distribuée gratuitement à quelque 22,000 médecins. Par l'accord de licence, la compagnie s'est engagée à créer grâce à l'édition canadienne des revenus publicitaires qui doivent passer de $56,000 en 1971 à $650,000 en 1975. La publicité est la seule source de revenus de la publication au Canada.
Arrêt: La décision du juge en chef adjoint Noël est infirmée. L'objet principal de la publication est d'encoura- ger, de favoriser ou de développer les sciences au sens de l'article 19(4). Il faut juger de la nature d'une publication à partir de critères objectifs, en examinant le contenu et le public auquel elle s'adresse, afin de déterminer son rôle auprès de ses lecteurs. Le but de l'éditeur de la publication, soit la création de revenus publicitaires, n'est pas pertinent.
APPEL d'une décision du juge en chef adjoint Noël, ante p. 1025.
D. G. H. Bowman pour l'appelante.
J. A. Scollin, c.r. et M. J. Bonner pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—A une exception près, nous faisons nôtres les motifs du jugement du juge en chef adjoint.
Nous ne pouvons toutefois accepter sa con clusion sur les faits de l'espèce, suivant laquelle, bien que les articles publiés dans la publication de l'appelante soient de nature scientifique, «l'objet principal» de cette publica tion n'est pas «d'encourager, de favoriser ou de développer ... les sciences ...».
Pour l'application de l'article 19(4), nous esti- mons qu'il faut normalement juger de la nature d'une telle publication à partir de critères objec- tifs, en procédant à un examen de la publication ou des éléments de preuve portant sur son
contenu ou sur le genre de public auquel elle s'adresse, afin de déterminer le rôle de cette publication auprès de ses lecteurs.
En appliquant ce critère, nous estimons que, s'il est établi que le contenu de la publication est de nature scientifique et que cette publica tion s'adresse à un public spécialisé dans le domaine dont elle traite, il s'ensuit, en l'absence de preuve du contraire, que l'objet de la publi cation est «d'encourager, de favoriser ou de développer ... les sciences ...». De plus, le seul fait qu'une telle publication, destinée à un tel public, comporte une proportion raisonnable de textes publicitaires, ne modifie pas la nature de la publication. D'ailleurs la loi elle-même envisage cette possibilité.
En l'espèce, il est constant que la partie non publicitaire de la publication est de nature scientifique, se rapporte à la médecine et s'a- dresse à la profession médicale. Nous estimons que son contenu publicitaire ne présente aucun aspect inusité, ni sous le rapport de la quantité ni des sujets, ni sous aucun autre rapport, au point de transformer la nature de la publication telle qu'elle ressort des textes non publicitaires. De plus, rien n'indique que la revue ait un objet autre que celui que révèle son examen objectif.
Nous estimons donc que l'appel doit être accueilli et que la réponse donnée par le savant juge de première instance doit être remplacée par une réponse affirmative, sous réserve toute- fois d'en restreindre la portée aux dix livraisons soumises à la Cour.
LE JUGE THURLOW a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET —L'accord entre les parties daté du 5 janvier 1972 contient la question qu'il nous faut trancher, à savoir:
La Cour fédérale du Canada devra trancher, conformément au paragraphe (3) de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970, chapitre 1 et au paragraphe (1) de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la question suivante:
L'édition canadienne de la revue «Medical Aspects of Human Sexuality» est-elle une publication dont l'objet principal est d'encourager, de favoriser ou de développer les sciences au sens du paragraphe (4) des articles 19 et I2A de la Loi de l'impôt sur le revenu?
Le paragraphe (1) de l'article 19 se lit ainsi:
Lors du calcul du revenu, il n'est accordé aucune déduction au titre d'un débours ou d'une dépense, déductible par ailleurs, faite ou engagée par un contribuable pour la publi cation, dans un journal ou un périodique non canadien publié après le 31 décembre 1965, d'annonces intéressant surtout le marché canadien.
Le périodique en question est visé par la clause (E) du paragraphe (5)a)(ii) de l'article 19 de la loi et doit, dès lors, être tenu pour «non canadien» au sens de l'article 19(1).
Cependant l'article 19(1) ne s'applique pas si, conformément au paragraphe (4)b) de l'article 19, la publication est une «publication dont l'objet principal est d'encourager, de favoriser ou de développer les beaux-arts, les lettres, les sciences ou la religion».
Le savant et distingué juge en chef adjoint a dit en donnant les motifs de son jugement:
... Si l'on tient compte du calibre des auteurs de ces articles, de même que du contenu de ces textes, il faut reconnaître que cette publication constitue un moyen de diffusion du savoir dans un domaine qui jusqu'à tout récem- ment n'avait jamais fait l'objet d'études rigoureuses par des médecins.
Toutefois le juge en chef adjoint a ajouté:
En l'espèce, l'un des buts principaux de la publication est de fournir un support publicitaire; ainsi, l'on doit malheu- reusement répondre aux questions soulevées par cette affaire en disant que l'objet principal de cette publication n'est pas d'encourager ou de favoriser les sciences.
La publicité, cela va de soi, est un aspect, bien souvent, un aspect important d'une publi cation et l'éditeur s'attend à en retirer des bénéfices.
Il ne fait aucun doute que pour la Hospital Publications Incorporated, la compagnie new- yorkaise qui a donné sous licence à l'appelante le droit d'utiliser le titre «Medical Aspects of Human Sexuality (Canadian Edition)», la publi- cité et les bénéfices qu'elle pouvait rapporter constituaient un attrait important. Il serait d'ail- leurs surprenant, je pense, que l'appelante n'ait pas, elle aussi, escompté des bénéfices.
Il me semble que dans le contexte de l'article 19(4)b), ce qui importe est l'objet principal de la publication en soi et non pas les intentions de l'éditeur. S'il en était autrement, on pourrait se demander pourquoi le Parlement a utilisé l'ex- pression «toute publication dont l'objet princi pal», rattachant ainsi, selon moi, «l'objet princi pal» à «toute publication».
J'estime que si le périodique est tel que l'ob- jet principal de son contenu—c'est-à-dire des textes qu'on y publie—est d'encourager, de favoriser ou de développer les beaux-arts, les lettres, les sciences ou la religion, il est visé par l'article 19(4)b), que l'éditeur s'attende ou non à retirer un bénéfice de sa publication et qu'il en retire effectivement ou non. S'il est établi que l'objet principal de la teneur de cette publica tion est d'encourager, de favoriser ou de déve- lopper les beaux-arts, les lettres, les sciences ou la religion, il n'y a pas lieu, à mon avis, de s'interroger sur le caractère désintéressé ou lucratif de cette entreprise. Pour appuyer cette opinion, s'il en était besoin, il suffirait de men- tionner le fait que la question des débours ou des dépenses d'un contribuable pour la publica tion d'annonces domine l'article 19 et justifie même sa présence dans la loi.
L'article 19 suppose la présence d'annonces publicitaires payantes. Et cela vaut aussi bien, à mon avis, pour le paragraphe (4)b); si ce n'était pas le cas, je pense qu'il aurait fallu le rédiger tout à fait différemment.
Dans ses motifs, le juge en chef adjoint est parvenu, à ce qu'il me semble, à la ferme con clusion que le contenu du périodique avait effectivement pour objet d'encourager, de favo- riser ou de développer les sciences et je suis d'accord avec lui sur ce point. D'autre part, je ne crois pas, pour les motifs que j'ai énoncés plus haut, que l'importance de l'aspect publici- taire de cette publication empêche dans les cir- constances de l'espèce, qu'on lui accorde le bénéfice du paragraphe (4)b) de l'article 19. Certes la conclusion que j'ai cru devoir adopter ne vaut que pour les livraisons qu'on a soumises à la Cour. Le contenu de ce périodique pourrait éventuellement changer de nature, ce qui entraî- nerait des conclusions différentes.
J'accueille donc cet appel et donne une réponse affirmative à la question posée, avec la même réserve que celle qu'ont exprimée le juge en chef et le juge Thurlow.
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