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Le ministre du Revenu national (Appelant) c.
Bessemer Trust Company et Ogden Phipps, en qualité de fiduciaire (fiducie de 1957) (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Sheppard et Bastin—Vancouver, le 20 décembre 1972.
Impôt sur le revenu—Art. XIII A 2 de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Améri- que—L'entrée en vigueur de la Convention a rendu imposa- ble le montant récupéré au titre de l'allocation du coût en capital—Résident des États-Unis qui choisit de payer l'im- pôt sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu—Le montant récupéré au titre de l'allocation du coût en capital est imposable—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 110(1) et 110(5), tel que modifié en 1955.
Les fiduciaires américains de biens locatifs situés au Canada ont choisi de payer l'impôt sur les loyers tirés de ces biens pour les années 1965 et 1969 sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, comme le permet l'article 110(1). La propriété a été vendue en 1969 après que certaines sommes eurent été perçues à titre de loyers, et la fiducie a été cotisée à l'impôt sur le revenu pour ladite année sur le montant récupéré au titre de l'allocation du coût en capital sous le régime de l'article 110(5), promulgué en 1955. La fiducie a fait valoir que la cotisation violait les dispositions de l'article XIII A 2 de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique (entré en vigueur en 1951), lequel porte que:
Les loyers de biens immeubles, retirés de sources situées au Canada par un particulier ou une société résidant aux États-Unis d'Amérique, seront soumis par le Canada, aux fins de l'impôt, à un traitement non moins favorable que celui accordé aux termes de l'article 99 de La Loi de l'impôt sur le revenu [l'article 106 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148], telle qu'elle sera appliquée à la date le présent Article entrera en vigueur.
En vertu de l'article 3 de la Convention de 1943 relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, 1943-44, c. 21, toute disposition de la Convention qui est incompatible avec une disposition d'une autre loi prévaut contre celle-ci.
Arrêt: La décision du juge Collier est infirmée. Il est vrai que la Convention susdite soustrayait les fiduciaires améri- cains à l'application de l'article 110(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, si bien que ceux-ci n'étaient pas obligés de choisir de payer l'impôt sous le régime de la Partie I. Mais ils avaient le droit de le faire en vertu de l'article 110(1) et, ayant choisi cette méthode, ils devenaient assujettis à l'obli- gation de payer l'impôt sur le montant récupéré au titre de l'allocation du coût en capital en vertu de l'article 20.
APPEL d'un jugement du juge Collier ([1972] C.F. 1176).
M. R. V. Storrow pour l'appelant.
P. N. Thorsteinsson pour l'intimée.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)— Appel est interjeté d'une décision de la Division de première instance accueillant un appel inter- jeté par l'intimée de la cotisation établie à son égard sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement à l'année d'imposition 1969.
L'intimée est devenue imposable en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1969 car elle a choisi de produire une déclaration de revenu sous le régime de ladite partie pour l'année en question, plus précisément en vertu de l'article 110 de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pour comprendre les questions soulevées par le présent appel, il convient d'examiner l'évolu- tion des dispositions de la loi relatives à ces questions.
En l'espèce, le litige porte sur le cas d'un contribuable résidant aux États-Unis qui n'est assujetti à la Loi de l'impôt sur le revenu que du fait qu'il a reçu, en qualité de non-résident, des montants payés à titre de loyer de biens immeu- bles ou réels sis au Canada.
Ignorons pour l'instant la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, pour nous en tenir à la Loi de l'impôt sur le revenu. Avant 1955, un non-rési- dent avait la faculté de choisir entre deux modes d'assujettissement à l'impôt sur le revenu. S'il n'exerçait pas cette faculté, il devait, en vertu de l'article 106(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, acquitter un impôt de 15 pour cent du montant brut des loyers. L'autre option était de payer l'impôt sur le revenu ordi- naire sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu comme si
a) il était résident du Canada,
b) son intérêt dans des biens immeubles ou réels au Canada constituait sa seule source de revenu, et
c) il n'avait droit à aucune déduction sur son revenu aux fins de déterminer son revenu imposable,
comme le stipulait l'article 110 de la Loi de l'impôt sur le revenu des Statuts révisés de 1952
qui, aux fins des présentes, a la même portée que l'article 99 de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948. Si un non-résident optait pour ce der- nier mode, au lieu de payer un impôt de 15 pour cent du montant brut des loyers touchés au cours de l'année, il payait, sur le gain net tiré des biens immeubles ou réels, un impôt calculé aux taux progressifs des particuliers, si le con- tribuable était un particulier, et aux taux d'im- position des corporations, si le contribuable en était une. De toute évidence, chaque contribua- ble devait donc déterminer au moyen de calculs laquelle des deux solutions lui était la plus favo rable pour une année donnée.
S'il choisissait la seconde, en calculant le «revenu» tiré des biens immeubles ou réels de la façon stipulée par la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, le contribuable bénéficiait notamment d'une déduction à l'égard du coût en capital de ces biens, allouée par les règlements établis sous le régime de l'article 11(1)a) de la loi et qu'on appelle couramment «allocation du coût en capital».
Les dispositions portant sur l'allocation du coût en capital, telles qu'initialement adoptées en 1948, et visant les résidents du Canada et les personnes exploitant une entreprise au Canada, comportaient deux éléments. En premier lieu, l'article 11(1)a) permettait à ces contribuables, pour chaque année ils étaient propriétaires de biens acquis aux fins d'en tirer un revenu, de réclamer une allocation à l'égard du coût en capital relativement à ces biens, celle-ci devant être établie par règlement. En second lieu, si, au moment le contribuable disposait des biens, le produit de l'aliénation excédait la partie du coût en capital non encore déduite en vertu de l'article 11(1)a), l'excédent (ou le montant du coût en capital déduit, si ce montant était infé- rieur à celui de cet excédent) devait être inclus dans le calcul du revenu de l'année de l'aliéna- tion. Voir l'article 20(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Ce second élément de l'allocation du coût en capital est couramment appelé «récupération»; ce terme exprime assez précisément, à toutes fins pratiques, de quoi il s'agit. Si, d'une part, on conçoit l'allocation établie en vertu de l'arti- cle 11(1)a) comme un moyen de déduire le coût en capital des biens qui ont constitué une
source de revenu lors du calcul du revenu dont ces biens étaient la source, et si, d'autre part, lesdits biens font l'objet d'une aliénation à un prix supérieur à la fraction non déduite du coût en capital, il s'ensuit que la somme déduite est supérieure à la valeur des biens consommés en vue de gagner ce revenu. On «récupère» donc la différence.
Revenons-en maintenant au cas d'un non- résident bénéficiaire de loyers tirés de biens immeubles ou réels au Canada avant 1955. La première partie des dispositions relatives à l'al- location du coût en capital lui est manifeste- ment applicable, pour une année à l'égard de laquelle il a choisi de payer l'impôt sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il pouvait déduire un montant à titre d'allocation du coût en capital sous le régime de l'article 11(1)a) pour ladite année, car c'était une des déductions permises dans le calcul du «revenu» pour l'année, revenu sur lequel il avait choisi de payer l'impôt. Toutefois, à l'époque, aucune disposition de la loi ne l'obligeait à payer l'impôt en vertu de la Partie I pour une année au cours de laquelle il disposait des biens à l'égard desquels il avait auparavant déduit un montant à titre d'allocation du coût en capital et il n'était donc pas tenu de payer l'impôt résul- tant des dispositions portant sur la récupération. (Comme nous le verrons plus tard, la question qui se pose en l'espèce est de savoir si cet impôt est exigible au cas où, pour l'année de l'aliéna- tion, le non-résident choisit de payer l'impôt sous le régime de la Partie I, relativement aux loyers perçus au cours de ladite année.)
J'en viens maintenant aux dispositions perti- nentes de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et lès États-Unis d'Amérique. Tel était l'état du droit canadien en matière d'impôt sur le revenu lorsqu'on a introduit la disposition suivante dans ladite Convention:
2. Les loyers de biens immeubles, retirés de sources situées au Canada par un particulier ou une société résidant aux États-Unis d'Amérique, seront soumis par le Canada, aux fins de l'impôt, à un traitement non moins favorable que celui accordé aux termes de l'article 99 de la Loi de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle sera appliquée à la date le présent Article entrera en vigueur.
(Comme nous l'avons déjà mentionné, le texte de l'article 99 était fondamentalement le même que celui de l'article 110 de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1952, avant les modifications intro- duites en 1955.)
Il est admis de part et d'autre que si la dispo sition précitée de la convention fiscale est incompatible avec une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui s'appliquerait autre- ment dans un cas donné, ladite disposition prévaudra.
En 1955, on a ajouté certains paragraphes à l'article 110 de la Loi de l'impôt sur le ;•evenu. Aux fins des présentes, il suffit de renvoyer au paragraphe (5), qui est rédigé en partie de la façon suivante:
(5) Lorsqu'une personne non résidante a produit une déclaration de revenu sous le régime de la Partie I pour une année d'imposition ainsi que le permet le présent article et qu'elle a, dans le calcul de son revenu aux termes de la Partie I pour la même année déduit un montant en vertu de l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 11 l'égard de biens immeubles ou réels au Canada ... cette personne doit .. . produire une déclaration de revenu sous le régime de la Partie I... pour toute année d'imposition subséquente durant laquelle ces biens immeubles ou réels ... font l'objet d'une disposition, au sens de l'article 20, par cette personne. Ladite personne ... devient dès lors assujettie ... à payer l'impôt en vertu de la Partie I pour cette année d'imposition subséquente...
Dans le présent cas, les faits sont simples. L'intimée résidait aux États-Unis et des biens sis au Canada lui ont rapporté des loyers jus- qu'au cours de l'année 1969. En 1965, elle a choisi de payer l'impôt sous le régime de la Partie I à cet égard. En 1969, après avoir touché un certain nombre de versements à titre de loyer de ces biens, elle les a vendus et elle a, par la suite, produit une déclaration de revenu sous le régime de la Partie I pour l'année d'im- position 1969. La seule question est de savoir s'il y a lieu d'appliquer l'article 20 et d'ajouter ainsi, aux fins du calcul de l'impôt, le montant de la «récupération» au «revenu» de l'intimée pour l'année 1969.
Précisons d'abord qu'il est admis de part et d'autre que si l'article 110(5), tel que promulgué en 1955, est applicable, l'article 20 s'applique. Je souscris à la conclusion du savant juge de première instance selon laquelle l'article 110(5) ne s'applique pas en l'espèce parce que la dispo-
sition de la convention fiscale susmentionnée en interdit l'application.
Il me semble qu'au moment de l'entrée en vigueur de la Convention, l'état du droit sur la question était le suivant: un non-résident pou- vait choisir, à l'égard d'une année il avait reçu une somme à titre de loyer de biens immeubles ou réels au Canada, de produire une déclaration sous le régime de la Partie I, auquel cas il était assujetti à l'impôt sous le régime de la Partie I comme si les biens immeubles ou réels au Canada étaient sa seule source de revenu; il n'était pas tenu de produire une telle déclaration à l'égard de l'année il disposait desdits biens, production qui l'aurait alors assu- jetti à la «récupération». Cependant, après 1955, si un non-résident choisissait de payer l'impôt sous le régime de la Partie I à l'égard d'une année au cours de laquelle on lui versait une telle somme à titre de loyer, il était alors tenu, aux termes du nouvel article 110(5), de produire une déclaration à l'égard de l'année de l'aliénation et de payer l'impôt résultant de la disposition sur la «récupération» figurant à l'ar- ticle 20(1). A mon avis, l'application de l'article 110, y compris celle de son paragraphe (5), constitue «aux fins de l'impôt, ... un traite- ment» de «loyers de biens immeubles, retirés de sources situées au Canada» moins favorable que celui accordé par l'ancien article 99 et la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en exclut l'applica- tion dans le cas de personnes résidant aux États-Unis.
Il reste à décider si, en l'espèce, l'appelant était fondé à invoquer la disposition sur la récu- pération pour cotiser l'intimée. Sur cette ques tion, je ne suis malheureusement pas d'accord avec le savant juge de première instance.
Selon moi, l'intimée n'était pas obligée de choisir de payer l'impôt sous le régime de la Partie I pour l'année 1969 sur les sommes reçues à titre de loyers provenant de biens immeubles ou réels au Canada au cours de l'année 1969, mais l'article 110(1) l'autorisait à le faire; ayant choisi cette méthode, elle deve- nait assujettie à l'impôt calculé conformément aux dispositions de la Partie I «comme si . . . son intérêt dans des biens immeubles ou réels
au Canada ... constituait sa seule source de revenu». Les seuls montants inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année au cours de laquelle sa seule source de revenu était des biens immeubles ou réels sont d'ordinaire les montants de loyer reçus à l'égard desdits biens pour l'année; toutefois, aux termes de l'article 20, lorsque ces biens sont des «biens susceptibles de dépréciation», comme c'est le cas en l'espèce, et qu'ils ont fait l'objet d'une aliénation au cours de l'année, le montant établi aux termes dudit article «doit être inclus dans le calcul de son revenu pour l'année». Je dois donc conclure que le contribuable ayant choisi de payer l'impôt pour l'année d'imposi- tion 1969 comme si ses biens immeubles ou réels au Canada constituaient sa seule source de revenu pour cette année, il est tenu, aux termes de l'article 20, d'inclure le montant de la «récu- pération» dans le calcul de son revenu pour l'année en question.
L'avocat de l'intimée a tenté de démontrer que cette conclusion ne cadrait pas avec le paragraphe (3) de l'article 110. Or, non seule- ment il ne m'apparaît pas que le paragraphe (3) de l'article 110 puisse avoir un tel effet, mais il est manifeste, en le lisant en corrélation avec le paragraphe (4) dudit article, qu'il y a une bonne raison pour l'inclure dans l'article même si, con- sidéré en soi, il n'est probablement pas nécessaire.
Je suis d'avis que l'appel doit être accueilli avec dépens devant cette Cour et en Division de première instance, que le jugement de cette dernière doit être infirmé et que la cotisation de l'intimée établie en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposi- tion 1969 doit être rétablie.
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LES JUGES SUPPLÉANTS SHEPPARD ET BASTIN ont souscrit à l'avis.
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