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Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne (Appelant)
c.
Teleprompter Cable Communications Corp. (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Cameron— Ottawa, le 24 novembre 1972.
Radiodiffusion—Tribunaux—Compétence—Parties—Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne n'a pas la person- nalité juridique mais est un «office, commission ou autre tribunal fédéral»—Peut-il être poursuivi en son nom pro- pre—Un tribunal peut-il accorder un jugement déclaratoire lorsqu'il est possible d'obtenir un redressement devant un autre tribunal—Procureur général appelé comme co-défen- deur—Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 5(1).
La Teleprompter Cable Communications Corp. exploite un réseau de télévision par câble en circuit fermé à Sault Ste-Marie (Ontario). Elle reçoit des signaux par câbles de Sault Ste-Marie (Michigan) et émet aussi à partir de ses studios; elle distribue par câble à ses abonnés ces deux types d'émissions. En juillet 1972, le CRTC a exigé qu'elle cesse son exploitation au motif qu'elle exploite une entre- prise de radiodiffusion sans détenir une licence comme l'exige la Loi sur la radiodiffusion.
Arrêt (confirmant la décision du juge Pratte): la requête du CRTC visant à obtenir la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action ou au motif que l'appelant n'est pas une personne juridique est rejetée. La Cour a compétence pour accorder le redressement demandé.
Bien que l'article 5(1) de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, qui constitue le CRTC, ne lui accorde pas la personnalité juridique, les autres dispositions de la loi prouvent à l'évidence que ses membres forment un «office, commission ou autre tribunal fédéral» au sens de la défini- tion de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et qu'ils relèvent donc de la compétence de la Division de première instance en vertu de l'article 18. Il est en outre particulière- ment opportun d'utiliser la désignation officielle des mem- bres du Conseil pour les assigner à comparaître dans une affaire concernant les pouvoirs que leur confère la loi.
La Cour ne perd pas son pouvoir d'accorder un jugement déclaratoire lorsque la loi qui régit cette question particu- lière prévoit une procédure spéciale devant une autre Cour devant laquelle cette question pourrait se présenter. Arrêt suivi: Ealing London Borough Council c. Race Relations Bd. [1972] 2 W.L.R. 71.
En vertu de la Règle 1716(2), la Cour a le pouvoir d'ordonner de sa propre initiative que le procureur général du Canada soit appelé à titre de défendeur et elle était bien fondée à le faire en l'espèce.
APPEL de la décision du juge Pratte non publiée.
Douglas Carruthers, c.r., et Barry Collins pour l'appelant.
Gordon Henderson, c.r., pour l'intimée.
LE JUGE THURLOW (oralement)—Le présent appel porte sur une ordonnance de la Division de première instance (le juge Pratte), en date du 11 septembre 1972, qui statuait que le procu- reur général devait être appelé dans les,15 jours à la cause comme co-défendeur dans cette action et rejetait sans frais la requête de l'appe- lant visant à obtenir la radiation de la déclara- tion, au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou au motif que l'appelant n'est pas une personne juridique pouvant être poursuivie en justice. L'ordonnance en question relate l'opinion du savant juge de première ins tance auquel a été soumise la requête, opinion selon laquelle:
a) le défendeur est une entité juridique visée par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale;
b) le procureur général du Canada doit être appelé à la cause comme co-défendeur;
c) la Cour est compétente pour rendre l'ordonnance déclarative demandée;
d) la Cour doit trancher les autres questions qu'a soule- vées le défendeur après procès.
Dans la mesure l'appel porte sur le fait que le procureur général du Canada doit être partie à l'instance, la Règle 1716(2) me semble justi- fier amplement cette ordonnance et la décision de la Cour de rendre cette ordonnance de sa propre initiative. Je pense aussi que, dans cette affaire, il était opportun d'ordonner que le pro- cureur général du Canada soit appelé à titre de défendeur.
En ce qui concerne l'argument portant sur le statut de personne juridique de l'appelant, l'arti- cle 5(1) de la Loi sur la radiodiffusion, loi aux termes de laquelle l'appelant a été constitué, prévoit que:
5. (1) Est institué un Conseil appelé le Conseil de la Radio-Télévision canadienne et composé de cinq membres à plein temps et de dix membres à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil.
L'examen des autres dispositions de la Partie II de cette loi prouve à l'évidence, d'après moi, que les membres du conseil ainsi constitué for- ment un organisme ou sont des personnes «ayant une compétence ou des pouvoirs», que vise la définition d'un «office, commission ou
autre tribunal fédéral», contenue à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, et que la compé- tence que l'article 18 de cette loi confère à la Division de première instance de cette Cour englobe cet organisme ou ces personnes. Le reste de ce qu'implique la prétention de l'appe- lant au sujet du statut du défendeur ne relève que du domaine des règles de la Cour concer- nant l'exercice de cette compétence. D'après moi, l'appelant n'est pas une personne morale ni une autre entité dotée d'une personnalité juridi- que reconnue comme distincte de celle de ses membres et l'intimée, en mettant sa procédure en état, aurait pu mettre en cause comme défen- deurs les membres du conseil en leur nom per sonnel ou aurait pu les mettre conjointement en cause au nom de leur office, c'est-à-dire en désignant les défendeurs comme étant «les membres du Conseil de la Radio-Télévision canadienne». Au lieu de choisir l'une de ces possibilités, l'intimée a désigné le conseil par son nom officiel, ce qui me semble être une référence concise à ce qui constitue le conseil, c'est-à-dire ses membres. Hors les cas que pré- voient les Règles 1708 à 1713, je ne connais aucune règle de cette Cour qui permette de désigner un groupe de défendeurs par le nom de ce groupe, mais d'autre part, je ne connais aucune règle de la Cour qui interdise une telle façon de procéder et il me semble que le fait de désigner le groupe par son nom officiel est particulièrement pratique et opportun dans un cas comme celui-ci le but principal de l'ac- tion est d'obtenir que l'étendue des pouvoirs que confère la loi à ce groupe de personnes soit déterminée. J'estime donc que l'argument de l'appelant est de pure procédure, mal fondé et doit être rejeté. De plus, si cet argument était bien fondé, il s'ensuivrait qu'il n'y a pas d'appe- lant devant cette Cour et que le présent appel lui-même est entaché de nullité.
Avant d'examiner le deuxième moyen d'ap- pel, il convient de rechercher si une cour supé- rieure perd nécessairement son pouvoir d'accor- der un jugement déclaratoire lorsque la loi qui régit cette question particulière prévoit une pro- cédure spéciale devant une autre cour devant laquelle cette question pourrait se présenter. La Chambre des lords a examiné cette question dans l'arrêt Ealing London Borough Council c. Race Relations Board [1972] 2 W.L.R. 71.
Dans cet arrêt, il a été jugé que le simple fait qu'une loi contenait des dispositions régissant la procédure de mise à exécution d'une autre loi ne privait pas la cour supérieure du pouvoir d'accorder un jugement déclaratoire. Voir le vicomte Dilhorne, à la page 79. Voir aussi Lord Donovan, aux pages 75 et 76.
J'examine maintenant la prétention suivant laquelle il n'existe aucune cause raisonnable d'action. Le principal redressement que recher- che l'intimée est le suivant:
a) Une déclaration indiquant qu'elle n'est pas une entre- prise de radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffu- sion et qu'elle n'est pas tenue d'obtenir une licence du Conseil pour continuer à exercer ses activités actuelles à Sault Ste-Marie (Ontario).
b) Une injonction visant à empêcher le Conseil de pour- suivre la demanderesse en vertu de la Loi sur la radiodif- fusion à raison de l'exploitation de son entreprise sans une licence du Conseil.
et la justification de cette demande de redresse- ment est énoncée comme suit aux paragraphes 6 à 12 de la déclaration:
[TRADUCTION] 6. La demanderesse exploite un réseau de télévision par câble en circuit fermé à Sault Ste-Marie (Ontario). Dans le réseau de la demanderesse, les signaux sont reçus de Sault Ste-Marie (Michigan) par câble et sont diffusés par câble aux abonnés de la demanderesse. Cer- tains programmes proviennent des studios de la demande- resse situés 143, rue Gore, à Sault Ste-Marie (Ontario) et ces programmes sont aussi diffusés par câble aux abonnés de la demanderesse.
7. La, demanderesse ne possède ni n'utilise aucun maté riel de transmission, d'émission ou de réception de signes, signaux, écrits, images, son ou renseignement d'une nature quelconque au moyen d'ondes électromagnétiques de fré- quences inférieures à 3,000 gigacycles par secondes trans- mises dans l'espace sans guide artificiel.
8. La demanderesse ne se consacre à aucune transmis sion, émission ou réception de signes, signaux, écrits, images, son ou renseignement d'une nature quelconque, au moyen d'ondes électromagnétiques de fréquences inférieu- res à 3,000 gigacycles par secondes, transmises dans l'es- pace sans guide artificiel.
9. En raison des faits énoncés aux paragraphes 7 et 8 de la présente, la demanderesse ne se consacre pas à des radiocommunications au sens de la Loi sur la radiodiffu- sion. La demanderesse ne s'occupant pas de radiocommuni- cations, elle n'est pas une entreprise de radiodiffusion au sens de la Loi sur la radiodiffusion.
10. Le 24 juillet 1972, la demanderesse a reçu une lettre datée du 20 juillet 1972, sous la signature de Monique Coupai, secrétaire du Conseil de la Radio-Télévision cana- dienne. Cette lettre est ainsi rédigée:,
100, rue Metcalfe, OTTAWA (Ontario),
KIA 0N2.
RECOMMANDÉE le 20 juillet 1972.
Continental Cablevision Incorporated,
308 est, rue Queen,
SAULT STE-MARIE (Ontario).
Messieurs,
Votre compagnie exploite depuis le ler avril 1968 une
entreprise de radiodiffusion à Sault Ste-Marie (Ont.) sans
détenir une licence de radiodiffusion valide et non périmée
comme l'exige la Loi sur la radiodiffusion.
Nous estimons vous avoir accordé un délai suffisant pour vous conformer à cette loi.
Vous n'avez encore fait à ce jour aucune démarche à cet égard.
Nous sommes dans l'obligation d'exiger que vous cessiez cette exploitation illégale dans les 30 jours de la présente.
Veuillez agréer, Messieurs, nos sincères salutations.
Monique Coupai, Secrétaire.
11. La demanderesse n'est pas une entreprise de radio- diffusion aux termes de la Loi sur la radiodiffusion et n'est donc pas dans l'obligation d''avoir une licence du Conseil pour exercer ses activités.
12. La lettre en date du 20 juillet 1972 de Monique Coupai, constitue une menace du Conseil de poursuivre la demanderesse. Cette menace nuit aux négociations en vue de la vente de l'entreprise de la demanderesse à Sault Ste-Marie (Ontario) et empêche la demanderesse d'arrêter un plan de négociation pour l'avenir... .
Je doute quelque peu que ces allégations suf- fisent à démontrer que l'ensemble de cette exploitation, dont l'entreprise de l'intimée ne constitue qu'une partie, n'est pas une entreprise de radiodiffusion au sens de la loi. Je pense aussi qu'une situation comme celle-ci, l'on ne peut tenir compte que de faits passés et peut être aussi de faits présents, se prête mal à une déclaration dont le but réel n'est pas d'obtenir une déclaration de droits qui découlent d'événe- ments passés, ce qui pourrait s'obtenir aussi facilement en utilisant des poursuites sur décla- ration sommaire de culpabilité que l'on pourrait intenter en vertu de la loi, mais d'obtenir une décision pour l'avenir en ce qui concerne l'ap- plication de la Loi sur la radiodiffusion à une entreprise dont le caractère pourra varier. On peut aussi se demander si une Cour accorderait une injonction telle que celle qui est demandée en se fondant sur les faits allégués.
Mais j'estime que la question que soulève la requête de l'appelant n'est pas de savoir si, d'après les faits avancés, l'injonction réclamée doit être accordée, mais de savoir, si, à partir d'une interprétation raisonnable de ces faits, une demande de redressement sous forme d'une injonction ou d'une interdiction peut être accor- dée dans les limites de la demande. De même la question soumise à la Cour au sujet de la décla- ration demandée n'est pas non plus de savoir si, d'après ces faits, la déclaration demandée doit être accordée, mais si, d'après les faits avancés, une déclaration accordée, lors du procès, à la discrétion de la Cour serait valide.
Je partage l'opinion du juge de première ins tance suivant laquelle la Cour est compétente pour accorder une déclaration du genre de celle qui est demandée si, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle juge bon de le faire après l'audition au fond, et je pense aussi que la Cour est compétente pour accorder un redresse- ment sous la forme d'une injonction d'une interdiction contre l'appelant (ou les appelants) dans une situation appropriée.
En outre, d'après les faits avancés et compte tenu des peines que l'intimée pourrait encourir si elle exerce à tort ses activités sans licence, il n'est pas inconvenable, à mon avis, que la Cour accorde une déclaration du genre de celle qui est demandée, dans l'exercice du pouvoir dis- crétionnaire d'un magistrat, et décide en outre qu'il est juste et opportun d'empêcher l'appelant (ou les appelants) d'exercer ou de menacer d'exercer sur l'intimée des pouvoirs qu'il (ou ils) ne possède pas, si elle est convaincue que l'ap- pelant n'a aucune autorité sur l'entreprise de l'intimée.
J'estime, par conséquent, qu'il ne faut pas mettre un terme à cette instance pour le moment en radiant la déclaration et que le juge de première instance a exercé à bon droit le pouvoir discrétionnaire que lui donnent les règles en décidant de rejeter la requête.
L'appel est rejeté avec dépens.
* * *
Le juge en chef Jackett et le juge suppléant Cameron ont souscrit à l'avis.
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