Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

David Creaghan, Exécuteur testamentaire de la succession de Thomas Cyril Creaghan (Pétition- naire)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance, le juge Pratte— Montréal, le 17 avril; Ottawa, le 28 avril 1972.
Pratique et procédure—Requête aux fins de faire rejeter une pétition de droit—La pétition fait-elle état d'une cause raisonnable d'action—La pétition constitue-t-elle un emploi abusif des procédures de la Cour—Règle de la Cour fédérale 419.
L'exécuteur testamentaire de la succession de C a demandé, par voie de pétition de droit, que la somme obtenue par le ministère du Revenu national d'une compa- gnie d'assurance par suite d'une cotisation à l'impôt sur les biens transmis par décès, établie à l'égard de la succession, soit remise à la succession. La pétition allègue que l'avis de cotisation a été expédié au notaire plutôt qu'à l'exécuteur testamentaire, à l'encontre des dispositions de l'article 12 de la Loi sur les biens transmis par décès. Le pétitionnaire avait demandé que toutes les «communications» soient expédiées au notaire.
Arrêt: la requête demandant le rejet de la pétition de droit doit être rejetée. La pétition ne peut pas être rejetée pour le motif qu'elle ne fait état d'aucune cause raisonnable d'ac- tion parce qu'il est possible de soutenir que l'avis de cotisa- tion n'a pas été expédié d'une manière conforme à la Loi. Elle ne peut pas, non plus, être rejetée pour le motif qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour pour la seule raison que le pétition- naire a demandé que les «communications» soient envoyées au notaire, puisqu'il est possible de soutenir que le mot «communications» ne comprend pas un avis de cotisation étant donné les termes précis de la Loi.
REQUÊTE de l'intimée.
Peter O'Brien pour le pétitionnaire.
A. Garon et G. J. Rip pour l'intimée.
LE JUGE PRATTE—L'intimée demande que soit rendue une ordonnance rejetant la pétition de droit du pétitionnaire aux motifs qu'elle
a) ne fait état d'aucune cause d'action raison- nable contre Sa Majesté;
b) est vexatoire et constitue un emploi abusif des procédures de la Cour.
La pétition de droit aurait certainement pu être rédigée plus clairement. Elle se lit comme suit:
[TRADUCTION] ... L'humble pétition de DAVID CREAG- HAN, exécuteur testamentaire de la succession de Thomas Cyril Creaghan, allègue que:
1. Par une cotisation datée du 14 novembre 1968, le ministère du Revenu national a établi une cotisation de $14,096.60 à l'égard de la succession de Thomas Cyril Creaghan.
2. Cette cotisation a été expédiée au notaire de la succes sion. Le 3 décembre 1968, ce dernier a fait suivre la cotisation dans une lettre adressée à la compagnie à laquelle M. Creaghan avait déjà participé.
3. M. Creaghan n'a reçu la cotisation qu'après l'expira- tion du délai d'opposition. Il a porté la chose à la connais- sance du Ministère verbalement. En outre, il a indiqué qu'il avait des motifs d'opposition valables. Le Ministère a accepté de prendre connaissance de l'opposition et il l'a examinée avec les comptables de M. Creaghan au cours de l'été de 1969. Les fonctionnaires du Ministère ont ensuite fait savoir qu'il ne considéraient pas que l'opposition était valide et ont déclaré à M. Creaghan leur intention de main- tenir la cotisation.
4. Au moyen d'un avis de saisie-arrêt, prétendant être présenté en conformité d'une ou de plusieurs lois, la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès non comprise, la somme de $14,663.23 a été réclamée de La Prudentielle, Compagnie d'Assurance Limitée, par suite de quoi une somme de $3,777.00 a été versée au ministère du Revenu national.
5. Le défendeur avait une opposition valable à faire valoir contre la cotisation, savoir, que le montant sur lequel portait la cotisation ne représentait aucune valeur réelle, ne constituant qu'une renonciation pro forma à la réclamation d'une dette qui n'aurait de toute façon jamais été payée.
6. Les événements ultérieurs ont confirmé qu'il en allait réellement ainsi.
Votre pétitionnaire demande donc humblement «que la somme obtenue par le ministère du Revenu national de La Prudentielle, Compagnie d'Assurance Limitée, en vertu de la saisie-arrêt et par suite de la prétendue cotisation, soit remise au pétitionnaire» et que l'avis de cotisation du 14 novembre 1968 soit déclaré nul quant au pétitionnaire, à toutes fins que de droit, le tout avec dépens.
A l'appui de sa requête, l'intimée a produit des affidavits établissant les faits suivants:
1. Le 23 juin 1967, le pétitionnaire, agis- sant en qualité d'exécuteur testamentaire de la succession de feu Thomas Cyril Creaghan, a produit une déclaration d'impôt sur les biens transmis par décès, conformément à la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès;
2. Dans la partie supérieure de la formule de déclaration remplie et produite par le péti- tionnaire, il y a un espace avec les indications suivantes: «Nom et adresse de la personne à
qui les communications doivent être adres- sées». Le pétitionnaire a inscrit dans cet espace le nom et l'adresse du notaire de la succession: [TRADUCTION] «Harvey A. Corn, notaire, 620 ouest boul. Dorchester, Montréal 2 (Québec)»;
3. Le 14 novembre 1968, un avis de cotisa- tion relatif à la succession de Thomas Cyril Creaghan a été expédié à M. Corn à l'adresse précitée;
4. Le ministère du Revenu national n'a reçu ni avis d'opposition ni avis d'appel relati- vement à ladite cotisation.
A l'audience, l'avocat de l'intimée a plaidé que la demande doit être accueillie pour les motifs suivants:
a) La pétition de droit ne justifie en rien la demande du pétitionnaire portant que la somme qui aurait été reçue par la Couronne de La Prudentielle, Compagnie d'Assurance Limitée, doit lui être remise. L'avocat a plaidé que si la Couronne avait reçu cette somme sans y avoir droit, c'est à La Pruden- tielle, Compagnie d'Assurance Limitée, qu'il lui faudrait la remettre et non au pétitionnaire;
b) En ce qui concerne la demande du péti- tionnaire portant que l'avis de cotisation du 14 novembre 1968 doit être déclaré nul, l'a- vocat a soutenu que la pétition de droit ne constitue qu'une tentative du pétitionnaire de contester la validité de la cotisation autre- ment qu'en la manière et dans les délais prévus par la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Il a cité la décision de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Subsidia ries Holding Co. c. La Reine [1956] C.T.C. 240, aux pp. 248 et 252 aux fins de démon- trer qu'une pareille tentative est vouée à l'échec.
L'avocat du pétitionnaire n'a pas répondu au premier argument de l'avocat de la Couronne, relatif à la somme payée par La Prudentielle, Compagnie d'Assurance Limitée. Toutefois, il s'est vivement opposé au deuxième argument. Il a nié que la pétition soit une tentative du péti- tionnaire en vue d'obtenir l'annulation ou la modification de la cotisation du ministre du Revenu national. Se référant à la dernière
phrase de la pétition, il a souligné que le péti- tionnaire demandait simplement que l'avis de cotisation du 14 novembre 1968 soit déclaré nul, et non la cotisation elle-même. L'avocat a plaidé en outre que, d'après les faits allégués dans la pétition et ceux mis en preuve, il serait raisonnable de conclure qu'un avis de cotisation n'a jamais été expédié au pétitionnaire, ainsi que le requiert la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. L'article 12(2) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, S.C. 1958, c. 29 (maintenant S.R.C. 1970, c. E-9, art. 12(2)), se lit comme suit:
12. (2) Après l'examen d'une déclaration et une fois effectuée la cotisation requise par le paragraphe (1), le Ministre doit envoyer un avis de cotisation à chacun des exécuteurs testamentaires de la succession du de cujus ... . D'autre part, il est constant que l'avis de cotisa- tion du 14 novembre 1968 n'a pas été expédié à l'exécuteur testamentaire de la succession de feu Thomas Cyril Creaghan, ainsi que le requiert 'le paragraphe précité de l'article 12, mais au notaire de la succession. L'avocat en a conclu qu'il est raisonnable de soutenir qu'en pareilles circonstances, le pétitionnaire est fondé à obtenir un jugement portant que l'avis de cotisation n'a pas été expédié comme l'exige l'article 12 de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Il est peut-être utile de souligner que le pétitionnaire a intérêt à obtenir un tel jugement, étant donné un autre article de la même Loi S.C. 1958, c. 29, art. 22 (mainte- nant S.R.C. 1970, c. E-9, art. 24) qui édicte que le délai dans lequel opposition peut être faite à une cotisation commence à courir à compter de la date à laquelle l'avis de cotisation est expédié par la poste, «par le Ministre, en conformité de l'article 12».
Avant de dire de quelle façon je me propose de disposer de cette demande, je veux faire quelques remarques préliminaires:
(1) Lorsque la Cour est saisie d'une demande en radiation d'une déclaration en vertu de la Règle 419, elle ne peut pas, aux fins de déterminer si la déclaration révèle une cause raisonnable d'action, tenir compte de la preuve présentée à l'appui de la demande. Toutefois, la Cour doit tenir compte de cette preuve pour décider si l'action est futile ou vexatoire, ou si elle constitue autrement un
emploi abusif des procédures de la Cour (Règle 419(2)).
(2) Lorsqu'une demande en radiation d'une déclaration est faite en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour n'a pas à décider si les allégations contenues dans la déclaration, à supposer qu'elles soient fondées, font état d'une cause d'action, mais, plutôt, si elles font état d'une cause raisonnable d'action. Sur ce point, une demande faite en vertu de la Règle 419(1)a) se distingue d'une demande faite en vertu de l'article 165(4) du Code de procédure civile de la province de Québec, qui se lit comme suit:
165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:
4. Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais.
Lorsqu'une demande est faite en vertu dudit article du Code de procédure civile, la Cour doit décider si l'action est fondée en droit, en supposant que la preuve de toutes les alléga- tions contenues dans la demande a été faite. Par contre, lorsque cette Cour est saisie d'une demande en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour doit simplement décider si, en suppo- sant que tous les faits allégués dans la décla- ration soient vrais, la réclamation du deman- deur est soutenue.
(3) Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu'elle est vexatoire ou futile, ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l'avis du juge qui préside l'audience, l'action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d'avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l'affaire sera plaidée au fond. C'est uniquement dans ce cas qu'il y a lieu d'enlever au demandeur l'occasion de plaider.
Je vais maintenant disposer de la demande de l'intimée à la lumière de ces observations.
Dans la mesure le pétitionnaire demande [TRADUCTION] «que la somme obtenue par le ministère du Revenu national de La Pruden- tielle, Compagnie d'Assurance Limitée ... soit remise au pétitionnaire», je crois, pour les rai- sons invoquées par l'avocat de l'intimée, que la pétition de droit ne fait pas état d'une cause raisonnable d'action. Par conséquent, j'ordonne que la partie précitée de la demande ainsi que le paragraphe 4 de la pétition de droit soient radiés.
Toutefois, je suis d'avis que l'autre partie de la pétition fait état d'une cause raisonnable d'action. Le pétitionnaire y allègue que l'avis de cotisation a été envoyé au notaire de la succes sion plutôt qu'à lui-même, comme l'exige l'arti- cle 12 de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Si l'on présume que ce fait est véridi- que, il est certainement possible de soutenir que le pétitionnaire est fondé à obtenir un jugement déclarant que l'avis de cotisation du 14 novem- bre 1968 n'a pas été expédié ou mis à la poste d'une manière conforme aux dispositions de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Pour cette raison, il n'y a pas lieu de radier en entier la pétition de droit pour le motif qu'elle ne ferait pas état d'une cause raisonnable d'action.
Y aurait-il lieu de radier la pétition pour le motif qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, compte tenu de la preuve présentée par l'inti- mée à l'appui de sa requête? Les affidavits produits montrent que l'avis de cotisation a été expédié au notaire de la succession parce que le pétitionnaire lui-même avait indiqué, dans la déclaration d'impôt sur les biens transmis par décès, que toutes «communications» ultérieures devaient être adressées à son notaire. Se fon dant sur ce fait incontesté, l'avocat de l'intimée a plaidé que l'avis de cotisation a été expédié au mandataire du pétitionnaire et qu'il y a donc lieu de considérer qu'il a été expédié au péti- tionnaire lui-même. D'autre part, l'avocat du pétitionnaire a soutenu que l'indication conte- nue dans la déclaration d'impôt et portant que toutes «communications» devaient être expé- diées au notaire de la succession ne pouvait pas s'appliquer à l'avis de cotisation, ce dernier, d'après les termes mêmes de la Loi, devant être
expédié au pétitionnaire lui-même. Sur ce point, qu'il me suffise de dire que l'argument présenté au nom du pétitionnaire ne semble pas si dépourvu de fondement que je sois justifié de radier sa pétition de droit pour le motif qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de cette Cour.
Pour ces motifs, la demande de l'intimée n'est accueillie qu'en partie. L'intimée aura droit aux dépens de cette demande, qu'elle que soit l'is- sue du procès.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.