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Universal Timber Products Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Sweet —Vancouver, les 21 et 22 juin et les 7, 8 et 9 août 1973.
Impôt sur le revenu—Vente d'un permis de coupe de bois—Le profit est-il un gain de capital ou un revenu d'entreprise?
La demanderesse, une compagnie forestière, sur le point de se retirer des affaires après plusieurs années d'activité, transféra à un autre exploitant ses droits afférents à un permis de coupe de bois en Colombie-Britannique, pour la somme de $100,000. Le transfert d'un permis de coupe de bois ne donne aucun droit au cessionnaire, mais le met seulement en meilleure position pour obtenir lui-même un permis.
Arrêt: La transaction n'était pas une opération portant sur un bien en capital, mais une initiative de caractère commer cial; le profit est donc imposable.
Arrêt suivi: Metropolitan Taxi Ltd. c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 32; [1968] R.C.S. 496; arrêt analysé: Re Tabor Creek Sawmills Ltd. c. Le ministre des Finances [1973] 3 W.W.R. 14.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
C. C. Sturrock pour la demanderesse. L. P. Chambers pour la défenderesse. PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little et O'Keefe pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET —La Couronne a accordé à la demanderesse, à la Jackson Broth ers Logging Company Limited (ci-après appelée la Jackson) et à la Phillips and Lee Logging Limited (ci-après appelée la Phillips and Lee) le permis de coupe et de vente de bois A 00044, daté du 2 octobre 1967, qui, sous réserve de certaines restrictions y mentionnées, autorisait ses détenteurs à effectuer des coupes et à débarder certaines quantités de bois sur les terres de la Couronne, dans la zone publique de rendement soutenu de Quadra, située dans la
région de Chapman Creek (Colombie-Britanni- que). Ce permis sera ci-après appelé le permis.
En 1967, la demanderesse vendit à la Jackson ses droits conférés par le permis pour le prix de $100,000.00. Ce prix représentait la somme totale payée en contrepartie de la cession des droits de la demanderesse et de ceux de la Phillips and Lee. Apparemment, les parties à ce litige ont convenu de traiter de cette affaire comme si c'était la demanderesse seule qui avait droit à la somme totale de $100,000.00 et l'avait reçue, et c'est ainsi que nous l'envisagerons.
La demanderesse n'a pas inclus lesdits $100,- 000.00 dans sa déclaration sur le revenu pour l'année d'imposition 1967. En établissant la cotisation de la demanderesse, la défenderesse l'a incluse en totalité.
La demanderesse réclame que cette somme de $100,000.00 soit déclarée non imposable. La déclaration se lit comme suit:
[TRADUCTION] La demanderesse requiert donc:
a) que le profit provenant de la vente de son contingente- ment soit déclaré gain de capital, donc non imposable, conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu;
b) une ordonnance annulant ledit avis de cotisation;
c) tout autre redressement que l'honorable Cour jugera équitable;
d) les dépens.
Dans la déclaration, la demanderesse désigne ce qui a été vendu à la Jackson comme son «contingentement».
Voici un résumé des «faits» allégués par la demanderesse dans sa déclaration, ainsi que la thèse qu'elle soutient:
En 1932 la compagnie demanderesse est entrée dans les affaires comme exploitation forestière et, depuis cette époque, ne s'est jamais livrée au commerce ou au négoce de droits de coupe de bois ou de contingente- ments. Ayant décidé de cesser ses opérations forestières, la demanderesse a vendu son con- tingentement dans la région de Chapman Creek. Comme le ministère des Forêts de la Colombie-Britannique ne reconnaît pas la ces sion du contingentement seul, l'unique moyen pour la demanderesse de transférer le contin-
gentement de Chapman Creek était d'acquérir le permis, puis de le céder. En 1967, la demanderesse a vendu le contingentement de Chapman Creek à la Jackson pour la somme de $100,000. Pour les raisons indiquées ci-dessus, la vente du contingentement se fit par le biais de la vente à la Jackson des droits que la demanderesse détenait en vertu du permis. La demanderesse avait acquis ce con- tingentement à titre de bien incorporel et le profit réalisé sur sa vente représentait donc un gain de capital non imposable.
Dans la défense il est précisé que la défende- resse, en établissant la cotisation de la demande- resse pour l'année d'imposition 1967, a notam- ment présumé que:
a) avant mars 1966, la demanderesse s'occu- pait d'exploitation forestière comprenant, notamment, les coupes de bois pour son compte, l'abattage sur contrat et le commerce du bois ramassé sur les plages;
b) en mars 1966, ou vers cette époque, la demanderesse décida de mettre fin aux opéra- tions forestières effectuées pour son propre compte dès que le bois défini par les contrats de vente serait épuisé;
c) en juin 1967, ou avant ce mois-là, à l'épo- que la demanderesse a cessé, ou allait cesser, ses opérations de coupe de bois pour son propre compte, elle a acquis une partie des droits conférés par le permis;
d) la demanderesse a acquis une partie des droits conférés par le permis dans le but de les négocier ou d'en tirer profit;
e) la demanderesse a vendu ses droits affé- rents au permis à la Jackson, immédiatement après leur acquisition, et en tira un profit de $100,000;
f) ledit profit était un revenu provenant d'une entreprise, au sens des articles 3, 4 et 139(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.0 1952, c. 148 et modifications.
Les thèses des parties se clarifient si l'on examine un peu l'historique de l'exploitation forestière en Colombie-Britannique, les usages de cette industrie et l'attitude de ceux dont c'est l'activité.
La demanderesse a cité comme témoin Fran- cis F. Lloyd, ingénieur forestier de la Colombie- Britannique. Il a expliqué que le gouvernement de Colombie-Britannique a divisé la province en secteurs d'exploitation forestière et que la zone se situe le secteur couvert par le permis a une superficie d'environ 20,000 milles carrés.
Avant que ces zones ne soient délimitées, il y avait des exploitants forestiers dans ces régions. Selon le témoin, le gouvernement a pris des mesures pour assurer indéfiniment à ces exploi- tants établis leur approvisionnement en bois. Lloyd définit ces «exploitants établis» comme étant ceux qui gèrent une exploitation forestière depuis plusieurs années dans une zone donnée.
Apparemment pour essayer d'assurer des réserves perpétuelles de bois à couper, le Ser vice des forêts a fixé pour chacune de ces zones une coupe annuelle autorisée, dans l'espoir que, si ces coupes annuelles autorisées étaient res- pectées, le reboisement annuel, naturel ou par plantation serait tel que, sous réserve de besoins urgents, cette coupe annuelle autorisée le serait indéfiniment. Cette coupe annuelle autorisée est alors répartie entre les exploitants ou les déten- teurs de permis spécifiquement désignés. La part de la coupe annuelle autorisée pour l'en- semble de la zone, allouée à un exploitant, est connue sous le nom de «contingentement» de l'exploitant.
Quand une part était allouée à un exploitant, par l'intermédiaire d'un permis, ce dernier se trouvant dans une situation privilégiée avec des avantages précis et importants sur ceux qui ne possèdaient pas de permis dans la zone publique de rendement soutenu pour laquelle il avait reçu le permis.
La législation qui nous intéresse est le Forest Act, R.S.B.C. 1960, c. 153 et modifications.
Voici des extraits de cette loi:
[TRADUCTION] 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte ne soit à l'effet contraire,
«Ministre» signifie le ministre des Terres et Forêts;
16. Le bois appartenant à la Couronne et dont cette dernière peut disposer, ne pourra être aliéné que par le Ministre, en conformité de la présente loi et des règlements.
17. (1) Le Ministre, ou tout agent du Service des forêts dûment autorisé par le Ministre, peut, à l'occasion, à la demande de tout requérant, ou autrement, annoncer et mettre en adjudication, de la façon prescrite par les règle- ments, un permis de coupe et de débardage du bois apparte- nant à la Couronne et dont cette dernière peut disposer.
(la) Lorsque la récolte prévue pour l'année suivante, à l'intérieur d'un secteur administré par le Service des forêts dans le but d'y assurer indéfiniment des coupes de bois, est égale à la récolte annuelle autorisée, un requérant, confor- mément au paragraphe (1) ci-dessus, peut demander par écrit que la vente de bois pour laquelle il a présenté une demande soit faite par soumission sous pli cacheté; si la soumission dudit requérant ne contient pas l'offre la plus élevée parmi les offres reçues par le Ministre, il peut immé- diatement, ou dans tout délai fixé par le Ministre, présenter une nouvelle soumission contenant une offre au moins égale à l'offre la plus élevée; si le requérant soumet cette nouvelle offre, il deviendra l'adjudicataire.
(3a) Lorsqu'une vente est effectuée conformément aux paragraphes (la) ou (2), chaque soumissionnaire, excepté celui qui a requis cette vente par adjudication, paiera au Ministre des droits d'enchères tels que fixés par le Ministre. Le Ministre peut rembourser tout ou partie desdits droits à la personne dont la soumission a été acceptée.
(7) Le Ministre peut, à sa discrétion, rejeter toute offre portant sur l'achat du permis.
146. (1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut établir tout règlement compatible avec l'esprit de la présente loi, qu'il considère nécessaire ou opportun pour l'exécution ou l'application des dispositions de la présente loi, y compris ce qui y est prévu implicitement, partiellement ou imparfaitement.
Voici des extraits du manuel apparemment destiné à l'information des personnes employées par le Service des forêts de la Colombie-Britan- nique:
[TRADUCTION] 19.3 ZONES PUBLIQUES DE RENDEMENT SOU- TENU ENTIÈREMENT RÉPARTIES.
19.31 Définition
Ainsi que le paragraphe (1)a) de l'article 17 du Forest Act l'énonce, une zone publique de rendement soutenu entièrement répartie est définie comme étant un secteur des terres de la Couronne administré par le Service des forêts dans le but d'y assurer indéfiniment des coupes de bois, et dans lequel la récolte prévue pour l'année suivante est égale au volume de la récolte annuelle autorisée.
Les demandes de vente de bois ne seront prises en considération que lorsqu'elles proviendront de titulaires de permis établis dans la zone pour laquelle ils ont pré- senté la demande. (Voir les articles 2.121, 2.143 et 2.25.)
19.32 Titulaires de permis établis
Dans une zone publique de rendement soutenu entière- ment répartie, il peut y avoir un ou plusieurs titulaires établis.
Un titulaire établi peut se définir comme une personne ou une compagnie qui détient ou a détenu des permis de coupe de bois de la Couronne, dans une zone publique de rendement soutenu donnée, et qui est devenu un requé- rant admissible en raison du permis ou des permis valides et en vigueur qu'il détient ou a détenus dans ladite zone et qui possède des qualifications jugées suffisantes par le Ministre pour être un requérant admissible.
Un requérant admissible a le privilège de pouvoir poser sa candidature pour le bois de la Couronne jusqu'à con currence de la coupe annuelle qui lui a été allouée par l'ingénieur forestier en chef. Cependant la coupe annuelle personnelle peut varier à la suite d'acquisitions ou de pertes de ventes de bois par enchères publiques, ou par transferts, ou par la réduction, pour d'autres raisons, de la coupe de bois autorisée annuellement.
D'après la preuve, ce manuel n'est pas un règlement établi par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais il décrit les usages du Service des forêts. Il y a lieu de croire que le Ministre l'approuve et, puisqu'il détient un large pouvoir discrétionnaire, il semble que l'industrie fores- tière doive considérer que ce manuel est effecti- vement important.
Si l'on examine les paragraphes (1), (la), (3a) et (7) de l'article 17 du Forest Act en corrélation avec les articles 19.31 et 19.32 du manuel, il apparaît alors qu'une personne ou une compa- gnie détenant ou ayant détenu un permis de coupe de bois de la Couronne, dans une zone publique de rendement soutenu, et étant «un titulaire établi» et «un requérant admissible», se trouve dans une situation avantageuse et privilé- giée par rapport aux autres.
La demanderesse était dans cette situation privilégiée depuis plusieurs années. Elle était titulaire d'un permis et, en conséquence, une part de la coupe annuelle autorisée (désignée dans la profession sous le nom de contingente- ment) lui avait été allouée.
Un «contingentement», si vague et aléatoire qu'il soit, possède une valeur marchande impor- tante dans l'industrie forestière.
Ordinairement, le Service des forêts attribue, sous certaines conditions, au cessionnaire d'un permis la coupe annuelle autorisée allouée au cédant dudit permis.
C'est ce contingentement que la demande- resse qualifie de «bien incorporel». La deman-
deresse soutient aussi que la cession de ses droits afférents au permis fut le moyen par lequel elle a transmis à la Jackson ce qu'elle qualifie de bien incorporel.
J'ai la conviction, d'après la preuve, que, si la Jackson n'était pas entièrement motivée à s'as- socier à une demande de permis et à acquérir les droits de la demanderesse et ceux de la Phillips and Lee conférés par ce permis, parce qu'elle croyait que cette opération entraînerait l'ac- croissement de son propre droit de coupe annuelle actuellement autorisée, cette perspec tive a pris une part importante à sa décision de participer à la transaction. J'ai aussi la convic tion que, même si la Jackson avait payé une certaine somme pour la cession, sans ces pers pectives, elle n'aurait certainement pas payé $100,000.00.
Cependant je n'admets pas la thèse soutenue au nom de la demanderesse selon laquelle cette opération lui a fait réaliser un gain de capital non imposable.
Il est constant que le fait qu'une personne achète, à prix élevé, quelque chose appartenant à une autre personne n'implique pas que ce «quelque chose» est un capital.
A mon avis, la demanderesse a vendu à la Jackson ses droits afférents au permis, et rien de plus. A mon avis, elle n'a pas vendu, et elle ne pouvait le faire, sa situation privilégiée, qu'on l'appelle ainsi ou «contingentement» ou encore «coupe annuelle autorisée». Je conclus qu'il ne s'agissait pas d'un bien susceptible d'être vendu et que la demanderesse n'avait donc pas les moyens de le faire.
A mon avis, il se dégage des documents apportés en preuve de la transaction, dans leur forme définitive, qu'il s'agissait de la vente du permis et que ceux-ci n'ont pas entraîné la vente d'autre chose.
Il a été versé au dossier un projet de contrat, daté du 31 août 1966, entre la demanderesse et la Phillips and Lee, les vendeurs, et la Jackson, l'acheteur. Voici un extrait du préambule:
[TRADUCTION] Et attendu que les vendeurs ont ou auront le droit de faire une demande de 414 millions pi. cu. de bois de coupe dans la zone publique de rendement soutenu de Quadra, désigné ci-dessous sous le nom de droits de coupe
Et attendu que les vendeurs ont convenu de céder leurs droits relatifs aux droits de coupe
L'essence du contrat se trouve dans la clause suivante:
[TRADUCTION] Les vendeurs conviennent de transmettre et céder tous leurs droits relatifs aux droits de coupe ... .
On y mentionne donc le projet de cession du «contingentement» à proprement parler.
Ce projet n'a pas eu de suite.
Un document écrit, daté le juin 1967,
dans lequel la demanderesse et la Phillips and Lee sont appelées «les vendeurs» et la Jackson, «les acheteurs», fut aussi versé au dossier. Une des dispositions se lit comme suit:
[TRADUCTION] Attendu que les vendeurs ont ou auront le droit de faire une demande de 414 millions pi. cu. de bois de coupe dans la zone publique de rendement soutenu de Quadra (désigné ci-dessous sous le nom de «droits de coupe»).
En voici d'autres extraits:
[TRADUCTION] Les vendeurs conviennent avec les acheteurs, que, dès que possible après la signature de ce contrat, mais aux frais des acheteurs, ils présenteront une demande auprès de la Direction des forêts, conjointement avec les acheteurs, pour obtenir un ou plusieurs contrats de vente de bois ou autres droits de coupe afin de tirer avantage et de conserver les droits de coupe dont il est question plus haut....
En contrepartie de la vente, cession ou transfert des droits de coupe, de la façon susdite, les acheteurs conviennent par les présentes de verser aux vendeurs la somme totale de cent mille ($100,000.00) dollars ... .
Ce texte lui aussi révèle le projet de transfé- rer le «contingentement» à proprement parler.
Apparemment ce document fut signé au nom des vendeurs, mais non au nom de la Jackson.
Une des pièces versées au dossier est une photocopie de la «Demande d'achat du bois de la Couronne» dans [TRADUCTION] «la partie sud-est de X-77764, Chapman Creek, en confor- mité du plan ci-joint». Elle est datée du 4 jan- vier 1967. Elle fut établie par la demanderesse, la Jackson et la Phillips and Lee.
Est aussi jointe une photocopie d'un contrat
signé, daté le juillet 1967, dans lequel la demanderesse et la Phillips and Lee sont appe- lées les «vendeurs» et la Jackson les «ache- teurs». On y trouve les dispositions suivantes:
[TRADUCTION] Attendu qu'en janvier 1967 ou vers ce mois-là, les vendeurs et les acheteurs ont déposé une demande conjointe auprès de la Direction des forêts de la province de Colombie-Britannique pour l'obtention d'un contrat de vente de bois dans la région de Chapman Creek.
Et attendu qu'à ce jour, la Direction des forêts a informé les vendeurs et les acheteurs par lettre datée du 6 juillet 1967, que, par suite d'un changement de politique ministérielle, il n'est pas possible de donner suite à cette demande de contrat de vente de bois, et qu'en conséquence, les parties à ce contrat ont présenté une demande conjointe, auprès de la Direction des forêts, de permis de coupe qui couvrirait le même secteur dans la région de Chapman Creek.
Et attendu que les vendeurs désirent cesser leurs opérations forestières.
Les extraits suivants sont tirés du contrat:
[TRADUCTION] Dès que possible après l'octroi d'un permis de coupe (ci-après appelé le «permis») aux vendeurs et aux acheteurs conjointement, de la façon susdite, les parties conviennent que chaque vendeur respectivement cédera ses droits afférents au permis aux acheteurs sous réserve, toute- fois, du consentement de la Direction des forêts, ... .
En contrepartie de la vente, cession ou transfert de ce permis aux acheteurs de la façon susdite, les acheteurs conviennent par les présentes de payer aux vendeurs la somme totale de cent mille ($100,000.00) dollars ... .
Ce document signé, qui expose les conditions de l'opération, tout en traitant effectivement du permis lui-même, ne fait aucune référence à la coupe annuelle autorisée ni au contingentement. Il y a donc un changement significatif entre l'acte signé et les projets de contrat.
Selon mon interprétation, il est notoire que la Direction des forêts de Colombie-Britannique ne reconnaîtra pas la prétendue cession d'une position privilégiée d'un titulaire de permis ni la tentative de cession de contingentement. Quoi qu'il en soit, c'est ce que je conclus vu l'ensem- ble de la preuve.
La demanderesse prétend qu'en fait, elle a vendu son contingentement et que la cession de ses droits afférents au permis n'était que le moyen d'y parvenir. Son avocat a fait remar-
quer que le contingentement détenu auparavant par la Universal fut ajouté à la coupe annuelle autorisée de la Jackson. Cependant je conclus qu'on ne peut imputer ce résultat au transfert intervenu entre la demanderesse et la Jackson, mais à la décision prise par le Service des forêts.
Conformément à la pratique en vigueur au ministère, la demanderesse a demandé par écrit le transfert de son contingentement à la Jack- son. Elle informa l'ingénieur forestier du district du transfert de ses droits d'exploitation fores- tière à la Jackson. Dans le même document la demanderesse déclarait qu'elle se rendait abso- lument compte que si la demande de transfert était acceptée, elle ne serait plus considérée alors comme étant un requérant admissible rela- tivement aux demandes de ventes de bois ou de permis de coupe de bois dans la zone publique de rendement soutenu de Quadra.
A mon avis, ceci démontre clairement que c'est le Service des forêts qui a substitué la Jackson à la demanderesse comme exploitant établi et non la demanderesse.
La demande de transfert est bien différente du transfert lui-même. A mon sens, la demande- resse ne fit que la demande. L'attribution à la Jackson du contingentement de la demanderesse fut effectué par le Service des forêts.
A mon avis, la demanderesse n'avait ni le droit ni le pouvoir ni l'autorité pour transférer sa position privilégiée, son autorisation annuelle de coupe de bois ou son contingentement. Elle ne pouvait céder que le permis lui-même, sous réserve de l'approbation du Service des forêts et des conditions fixées par ce dernier.
En effet, dans le contrat signé réalisant l'opé- ration et en fixant les conditions, la demande- resse ne garantissait aucunement que la Jackson obtiendrait le contingentement. Bien que cette opération dépendît du consentement de la Direction des forêts à la cession par les ven- deurs des droits relatifs au permis, le contrat ne stipulait pas qu'elle dépendait de l'acquisition du contingentement par la Jackson. A cet égard, la Jackson était apparemment assujettie au bon vouloir du gouvernement.
On s'est référé à la décision du juge Catta- nach dans l'affaire Metropolitan Taxi Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 32. En appel de cette décision, le juge en chef du Canada Cartwright déclare notamment à la page 498 ([1968] R.C.S. 496):
[TRADUCTION] Ayant examiné les plaidoiries des avocats ainsi que la jurisprudence citée, je me rallie entièrement non seulement à la conclusion du savant juge de la Cour de L'Échiquier, mais aussi aux motifs de son jugement, et je me contenterai simplement de les adopter.
Une compagnie de taxis avait acquis les biens d'une autre compagnie de taxis moyennant la somme de $104,441.65; le contribuable attribua la somme de $93,550.00 aux 14 taxis munis de permis. Le Ministre en établissant la cotisation de l'appelante imputa la somme de $18,590.00 à l'achat des 14 taxis et la somme de $72,031.65 à titre de contrepartie non attribuable à des biens susceptibles de dépréciation. Il s'agissait de décider dans quelle mesure le contribuable avait droit à l'allocation du coût en capital.
La Commission des taxis avait limité à quatre cents le nombre de taxis en opération. Comme ce chiffre de quatre cents avait été atteint et comme il y avait une longue liste d'attente, pratiquement la seule façon d'être admis à exploiter un taxi, ou, si l'intéressé possédait déjà une compagnie de taxis, d'augmenter le nombre de ses taxis en circulation, était d'ache- ter les actions d'une compagnie de taxis ou de succéder aux droits d'un exploitant détenant déjà un permis, en lui achetant un ou plusieurs véhicules pour lesquels un permis avait été déli- vré. En raison des circonstances décrites dans son jugement, le savant juge de première ins tance déclara qu'il était tout à fait évident que les autorisations d'exploiter des taxis dans le grand Winnipeg avaient une valeur considéra- ble.
L'appel fut rejeté.
Dans l'affaire Metropolitan Taxi, il s'agissait de décider quel montant du paiement était impu- table à l'achat de biens susceptibles de déprécia- tion et non, comme ici, de déterminer si le profit réalisé était un gain de capital ou un revenu, ce qui établit une distinction entre les deux affai- res; pourtant, je pense qu'il faut voir une analo-
gie entre l'affaire qui nous occupe et les com- mentaires du juge Cattanach dans l'affaire Metropolitan Taxi, que voici:
[TRADUCTION] Ayant conclu que la Commission de taxis accorde les permis au propriétaire à titre personnel, mais pour un véhicule donné il appert que ces permis ne peuvent en eux-mêmes faire l'objet d'un transfert, pas plus que d'échanges ou de négoce. L'appelante n'a donc pas acheté les permis en question, mais, en acquérant quatorze taxis munis de permis, elle s'est placée en meilleure position pour présenter à la Commission des taxis des demandes de permis pour son propre compte. [P. 45.]
De même, il me semble qu'en achetant les droits de la demanderesse afférents au permis, la Jackson n'a pas acheté sa situation privilégiée de détenteur de permis établi. La Jackson s'est simplement placée en meilleure position pour demander aux autorités compétentes les mêmes avantages.
La décision de la Cour d'appel de la Colom- bie-Britannique dans l'affaire Tabor Creek Saw mills Ltd. c. Le ministre des Finances, dont il fut interjeté appel à la Cour suprême du Canada, fut aussi mentionnée. Lors de cet appel, le juge Martland prononçant le jugement de la Cour suprême du Canada ([1973] 3 W.W.R. 14) déclare:
[TRADUCTION] Nous souscrivons tous à l'avis exprimé en Cour d'appel par le juge en chef Davey, selon qui le prix augmenté par l'acheteur a payé pour les permis de coupe de bois en vue d'obtenir une position privilégiée aux fins d'une demande de concession additionnelle, faisait partie du profit net de l'appelante sur la vente d'un droit qu'elle avait de couper du bois sur pied et était imposable en vertu du Logging Tax Act, R.S.B.C. 1960, c. 225. L'appel est rejeté avec dépens.
Il est évident que l'affaire présente diffère de celle-ci, puisque la législation et la juridiction en cause ne sont pas les mêmes.
Néanmoins, cette affaire peut éclaircir les questions en litige en l'espèce, d'autant plus que cette affaire traite aussi d'un [TRADUCTION] «prétendu privilège de substitution de contin- gentement» et de «contrats de vente de bois». Les passages suivants sont extraits du jugement rendu par le juge Davey, juge en chef de la Colombie-Britannique, en Cour d'appel de la Colombie-Britannique ([1972] 3 W.W.R. 622 aux pages 623 et suivantes):
[TRADUCTION] A un certain moment au cours des plaidoi- ries, j'étais disposé à penser que ce qu'on appelle le privilège
de remplacement de contingentement était une qualité ou un attribut lié aux contrats de vente de bois, c.-à-d., le droit de couper du bois sur pied qui leur ajoutait de la valeur. Cependant un examen plus approfondi du Logging Tax Act, R.S.B.C. 1960, c. 225, et des règlements, ainsi que de la décision du juge Cattanach dans l'affaire Metropolitan Taxi Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1967] 2 R.C.É. 32, [1967] C.T.C. 88, 67 D.T.C. 5073, confirmée par la Cour suprême du Canada, [1968] R.C.S. 496, [1968] C.T.C. 163, 68 D.T.C. 5098, 68 D.L.R. (2e) 1, m'a convaincu de l'inexac- titude de cette analyse des liens entre les privilèges de remplacement de contingentement et les contrats de vente de bois. Je ne pense pas qu'un contingentement soit une qualité ou une caractéristique des contrats de vente de bois ou un droit s'y rapportant, transmissible avec eux. C'est à mon avis un droit personnel appartenant au contractant bénéficiaire ou à l'ancien contractant bénéficiaire du contrat de vente de -bois l'habilitant à présenter une demande d'aug- mentation de ses achats de bois dans la zone publique de rendement soutenu, en vertu du Forest Act, R.S.B.C. 1960, c. 153, art. 17(1) et (l a) (en. 1961 c. 20 art. 2(a)). Dans la mesure le droit de demander un surcroît de bois découle de la loi, le raisonnement de la première partie du jugement dans l'affaire Metropolitan Taxi s'applique a fortiori. En outre, les articles 19.31 et 19.32 des règlements démontrent que le droit de faire la demande n'est pas lié au contrat de vente de bois mais est un droit personnel, car ils précisent que les demandes en vertu de l'art. 17(1a) du Forest Act ne seront prises en considération que si elles proviennent d'un titulaire établi, et définissent le titulaire établi comme une personne ou une compagnie qui détient ou qui a détenu des permis de coupe de bois de la Couronne, dans une zone publique de rendement soutenu et possède des qualifications jugées suffisantes par le Ministre pour être un requérant admissible ... .
Ainsi, le droit de présenter une demande n'est pas lié à un contrat de vente de bois. De plus, le Ministre doit s'assurer des qualifications personnelles du requérant avant de lui permettre d'être admis à ce titre et, même si le Ministre a cette assurance, il n'est pas obligé de vendre. L'importance d'un contrat de vente de bois pour un futur requérant tient à ce que sa possession est une des deux conditions requises pour faire une demande d'augmentation de bois, s'il possède les qualifications personnelles nécessaires, et que sans aucun doute, elle augmente beaucoup ses chances d'aug- menter ses achats de bois dans cette zone, si le Ministre désire vendre, d'autant plus que la concurrence des anciens contractants bénéficiaires du contrat de vente de bois est éliminée du fait que le Ministre exige des cédants qu'ils abandonnent leurs droits de contingentement, avant que la cession ne soit approuvée. Cependant je ne vois pas en quoi l'usage suivi par le Ministre et qui n'est pas prévu par la loi ou le règlement, peut changer les caractéristiques essentiel- les du contingentement.
La preuve non discutée démontre clairement que les futurs acheteurs paieront des sommes importantes bien supérieures à la valeur du bois sur pied pour acheter un contrat de vente de bois et acquérir ainsi une position privilégiée leur permettant de demander une augmentation de leur part de bois dans la zone.
Dans la même affaire, le juge d'appel Taggart déclare la page 6301:
[TRADUCTION] Il est primordial en l'espèce de se rendre compte clairement que le «privilège de remplacement de contingentement» n'existe pas indépendamment d'un permis de vente de bois qui autorise les coupes de bois dans la zone publique de rendement soutenu. Ce privilège ne peut être acheté ou vendu, en totalité ou en partie, indépendamment du permis de vente de bois détenu par le titulaire.
puis, plus loin la page 6301:
[TRADUCTION] La thèse soutenue au nom de l'appelante méconnaît, à mon avis, le fait que le privilège de remplace- ment de contingentement n'existe pas indépendamment du permis de vente de bois conférant les droits de coupe.
En conséquence [TRADUCTION] «cette protec tion qui prend la forme d'une probabilité, mais non d'une certitude et selon laquelle, lorsque le bois du secteur de la zone publique de rende- ment soutenu pour lequel un exploitant détient des permis de vente de bois accordés par la Couronne, est épuisé, cet exploitant sera en mesure de faire mettre en vente et d'acquérir, de nouveaux permis de vente de bois» (selon le juge d'appel Taggart) n'est pas une entité.
A mon sens, la conclusion dans l'affaire Tabor selon laquelle le «privilège de remplace ment de contingentement» n'existe pas indépen- damment du permis associée au fait que le Ser vice des forêts de Colombie-Britannique ne reconnaît pas la prétendue vente de «contingen- tement» et se réserve, comme il en a le droit, tout ce qui concerne l'attribution de la coupe annuelle autorisée après la vente du permis, implique que le prétendu «contingentement» n'est pas un bien négociable et qu'il ne peut donc faire l'objet ni d'une vente ni d'un achat. Le contingentement n'existe absolument pas hors du permis. En conséquence, seul le permis peut être vendu. Dans l'affaire présente, seuls les droits de la demanderesse et de la Phillips and Lee, en vertu de ce permis, furent vendus à la Jackson.
Le fait qu'il est prévisible et même probable que le Service des forêts placera l'acheteur du permis dans la même position privilégiée que le vendeur du permis, peut inciter ou incite l'ache- teur à acquérir cette licence à un prix plus élevé; mais cela ne change pas le fait que seul le permis a été vendu.
Dans cette affaire, les documents apportés en preuve confirment que seuls les droits de la demanderesse et de la Phillips and Lee afférents au permis ont été vendus.
En conséquence, le litige se réduit à la ques tion de savoir si la somme reçue par la deman- deresse à la suite de la vente de ses droits afférents au permis représentait un gain de capi tal et donc non imposable, ou alors un revenu imposable.
Il est manifeste que le but des permis de la Couronne est de fournir du bois d'oeuvre de la Couronne aux compagnies poursuivant une exploitation forestière. Il appert aussi à mon avis que ce n'est pas dans le but d'acquérir une part du bois de la Couronne pour continuer son exploitation forestière que, le 4 janvier 1967, la demanderesse s'est jointe à la demande d'achat de bois de la Couronne, puis a obtenu le permis.
J'estime que, lorsque la demanderesse s'est jointe à cette demande, elle avait déjà décidé de cesser ses activités forestières. Je conclus que la demanderesse a demandé et accepté le permis dans le seul but de céder immédiatement ses droits afférents au permis à la Jackson moyen- nant paiement et que la contrepartie monétaire de la cession des droits de la demanderesse et de ceux de la Phillips and Lee était de $100,000.00.
Le fait qu'il s'agisse peut-être d'une transac tion isolée n'est pas pertinent dans les circonstances.
Il s'agissait ici d'une initiative ou d'une affaire d'un caractère commercial.
Je conclus donc que les $100,000.00 que cette opération a rapporté à la demanderesse, n'étaient pas un gain de capital. J'en déduis que ce montant était en fait un revenu au sens des articles 3, 4 et 139(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, et, partant, imposable.
L'appel est rejeté avec dépens.
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