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A-19-72
Oryx Realty Corporation (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Thurlow et Pratte —Montréal, les 4 et 5 juin 1974.
Impôt sur le revenu—Profit tiré de la revente de terrain— Position différente en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, art. 139(5) et (5a)—Application de l'art. 12(3).
Le contribuable a acheté, pour la somme de $174,000 (payable par versements), un terrain d'une compagnie avec laquelle il était réputé «ne pas traiter à distance» au sens de l'article 139(5) et (5a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En 1960, le contribuable cessa d'être une compagnie «réputée» ne pas traiter à distance avec la compagnie qui lui avait vendu le terrain. Tout de suite après, le même jour, le contribuable vendit le terrain pour la somme de $373,000 et calcula son revenu tiré de cette transaction pour l'année d'imposition 1960 au montant de $373,000 moins $174,000. Le Ministre a adopté la position selon laquelle le profit du contribuable, calculé en conformité de l'article 12(3) de la Loi, était de $373,000 moins $18,500, montant de l'acompte versé par l'appelante à la fin de 1961 sur le prix d'achat total du terrain. La Commission d'appel de l'impôt (maintenant la Commission de révision de l'impôt) et la Division de pre- mière instance ont confirmé la cotisation établie par le Ministre. Le contribuable a interjeté appel.
Arrêt: L'appel doit être accueilli et la cotisation de l'appe- lante, établie sous le régime de la Partie I de la Loi de l impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1960, doit être déférée au Ministre intimé pour qu'il établisse une nouvelle cotisation, au motif que l'article 12(3) de la Loi n'est pas applicable.
Le juge en chef Jackett (avec l'opinion concurrente du juge Thurlow): On doit interpréter la disposition prévue à l'article 12(3) aux fins de la cotisation du «revenu du contribuable pour une année d'imposition» à l'égard d'« une somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée», dans le cas d'un revenu d'entreprise, comme se rapportant au calcul du «revenu» ou «profit» tiré, durant une année, du profit brut pour ladite année; cette disposition ne s'applique donc pas aux circonstances de l'espèce.
La Cour: L'autre disposition prévue au paragraphe, selon laquelle le prix d'achat du terrain payable par l'appelante était «payable à une personne avec laquelle [elle] ne traitait pas à distance» est également inapplicable. Ce n'était donc qu'à compter du moment de la vente qu'il était possible de décrire le coût du terrain comme »une somme autrement déductible, déboursée ou dépensée», mais à partir de ce moment, ce coût ne pouvait être considéré comme «payable par le contribuable à une personne avec laquelle il ne traitait pas à distance» parce que, antérieurement à la date de la vente, le contribuable avait rompu tout lien avec le bénéfi- ciaire et n'était donc plus «réputé» ne pas traiter à distance avec cette compagnie.
Arrêt appliqué: M.R.N. c. Irwin [1964] R.C.S. 662; Arrêt examiné: M.R.N. c. Anaconda American Brass Ltd. [1956] A.C. 85.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
P. Vineberg, c.r., pour l'appelante.
A. Garon, c.r., et T. Halpin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Phillips et Vineberg, Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Par les présentes, appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance [[1972] C.F. 33] qui reje- tait, avec dépens, un appel d'une décision de la Commission d'appel de l'impôt par laquelle cette dernière rejetait un appel interjeté par l'appelante de ses cotisations établies en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1960.
L'unique question soulevée dans cet appel est celle de savoir si l'intimé a commis une erreur en utilisant l'article 12(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (tel qu'il s'appliquait à l'année d'imposition 1960) aux fins du calcul du béné- fice tiré par l'appelante d'une vente de terrain faite en 1960; ledit profit fut, sans opposition, inclus à bon droit dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1960.
L'appelante a acheté le terrain en question d'une compagnie avec laquelle elle était réputée
«ne pas traiter à distance»' pour le montant de $174,000, dont $1,000 furent payés comptant; elle a convenu d'acquitter le solde, sans intérêt, en neuf versements annuels de $17,500 plus un dernier versement de $15,500.
Le 21 juillet 1960, suite à la vente d'une partie des actions de l'appelante, cette dernière cessa d'être une compagnie «réputée» ne pas traiter à distance avec la compagnie qui lui avait vendu le terrain.
Ultérieurement, le 21 juillet 1960, l'appelante vendit le terrain pour le montant de $373,000.
Il faut déterminer si le bénéfice découlant de cette vente, qui doit être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1960 aux fins de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, correspond, comme le prétend l'appelante, au prix de vente de $373,000 moins $174,000 (le prix d'achat payé par l'appelante), soit $199,000, ce qui représente le bénéfice tiré de la vente établi en conformité des principes ordinaires des affaires ou du commerce, ou si ce bénéfice correspond, comme le prétend l'intimé, au prix de vente de $373,000 moins $18,500 (le montant de l'acompte versé par l'appelante à la fin de 1961 sur le prix d'achat total du terrain), soit $353,500, ce qui représente le bénéfice calculé compte tenu de la façon dont l'intimé envisage l'effet, dans les circonstances, de l'arti- cle 12(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, tel qu'il s'appliquait à l'année d'imposition 1960.
L'article 12(3) se lit comme suit:
12. (3) Dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, il n'est opéré aucune déduction à l'égard d'une somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée et payable par le contribuable à une personne avec laquelle il ne traitait pas à distance, si le montant n'en a pas été versé avant le jour survenant un an après la fin de
' Voir l'article 139(5) et (5a) dont voici des extraits:
(5) Pour l'application de la présente loi,
a) des personnes liées doivent être réputées ne pas traiter
l'une avec l'autre à distance; et
(5a) Aux fins du paragraphe (5), du paragraphe (5c) et du présent paragraphe, des «personnes liées», ou des personnes liées entre elles, sont
c) deux corporations
(i) si elles sont contrôlées par la même personne ou le
même groupe de personnes,
l'année d'imposition; mais, si un montant qui n'était pas déductible dans le calcul du revenu d'une année d'imposition en vertu du présent paragraphe a été payé subséquemment, il peut être déduit dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition il a été payé.
L'appelante prétend que l'article 12(3) ne s'applique pas aux circonstances présentes pour deux raisons différentes, savoir:
a) elle affirme que le prix qu'elle a payé pour acheter le terrain n'était pas «une somme autrement déductible déboursée ou dépen- sée», au sens de ces termes à l'article 12(3), et
b) elle affirme que le prix qu'elle a payé pour acheter le terrain n'était de toutes façons pas «payable ... à une personne avec laquelle [elle] ne traitait pas à distance», au sens de ces termes à l'article 12(3).
Il est très difficile, à mon avis, de déterminer si le prix qu'un commerçant a payé pour acheter un bien en vue de le revendre dans le cadre de son entreprise constitue une «somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée» aux fins de l'article 12(3).
Aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, le «revenu» tiré d'une entreprise pour une année d'imposition est le «bénéfice» réalisé pendant ladite année. Le bénéfice doit être déterminé suivant les principes ordinaires des affaires et du commerce (on doit cependant tenir compte de toutes les dispositions spéciales contenues dans la législation fiscale). Dans •le cas d'un commerçant, mis à part les revenus et les frais particuliers, le profit tiré de l'entreprise est le profit brut provenant des opérations commer- ciales moins les dépenses ordinaires d'exploita- tion, telles que les salaires, les loyers, les répa- rations, la publicité, etc., et moins les déductions spéciales prévues par la législation, telles que les créances douteuses, l'intérêt, les allocations du coût en capital, etc.
Ce qui nous intéresse en l'espèce est le «profit brut». [TRADUCTION] «D'après la Loi, il
est clair ... qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, dans le cas d'une entreprise consistant à acqué- rir des biens et les revendre, le profit brut est composé de l'excédent du prix de vente sur le coût ...» (Voir l'arrêt M.R.N. c. Irwin 2 , le juge Abbott prononçant le jugement de la Cour, aux pages 664-65). On peut obtenir le profit brut d'exploitation pour une année d'imposition en additionnant les bénéfices tirés de différentes opérations, effectuées durant l'année ou en additionnant les montants des ventes de l'année et en en déduisant le coût total des différentes marchandises vendues. L'une ou l'autre de ces méthodes convient à une entreprise qui effectue relativement peu d'opérations. Dans l'entreprise commerciale ordinaire, cependant, l'usage, qui est devenu un principe de droit, veut qu'on calcule le profit d'une année en déduisant du «produit» total des ventes le «coût des ventes», calculé en ajoutant la valeur 3 attribuée aux stocks au début de l'année au coût des acquisi tions faites durant cette même année et en en déduisant la valeur 3 attribuée aux stocks à la fin de l'année.
En considérant comment s'applique l'article 12(3), il ne fait aucun doute qu'il faut calculer le «profit brut» avant de pouvoir déterminer le revenu et qu'au moins en ce qui concerne la seconde méthode de calcul du «profit brut» susmentionnée, le prix d'achat du bien en ques tion est «déductible» lors de son calcul. Par contre, si le calcul du «revenu» pour une année d'imposition est fondé uniquement sur le «profit brut», le «coût» du bien acheté n'est alors pas un montant «déductible» lors du calcul du revenu. Si, en outre, l'on songe à appliquer l'article 12(3) à un commerçant dont les opéra- tions sont tellement nombreuses ou d'une nature telle qu'elles imposent l'utilisation de la formule produits des ventes moins le coût des ventes, on ne peut alors déduire, du moins à ce titre, le
2 [1964] R.C.S. 662.
Comme le fait remarquer le juge Abbott dans l'arrêt Irwin, cette «valeur» est normalement «le prix coûtant ou prix courant, suivant celui d'entre eux qui est le plus bas», ce qui permet au commerçant de déduire les pertes résultant de stocks non-vendus.
coût des marchandises vendues durant l'année' dans le calcul du «revenu du contribuable pour une année d'imposition». Il est probable, cepen- dant, que l'article 12(3) ait le même effet sur le calcul du revenu d'un contribuable pour une année, quelle que soit la méthode qu'on doive utiliser pour calculer le «profit brut». Avec bien des hésitations, je conclus qu'on doit interpréter l'article 12(3) dans le cas d'un revenu d'entre- prise, comme se rapportant au calcul du «revenu» ou «profit» tiré, durant une année, du «profit brut» pour ladite année; cet article ne s'applique donc pas aux circonstances de l'es- pèce. En concluant de la sorte, je suis conscient du fait que, dans des contextes différents, depuis plus d'un siècle, les arrêts qui font auto- rité en matière de profits d'entreprise, ont géné- ralement considéré le calcul du profit d'entre- prise comme incluant le calcul du profit brut. Cette conclusion opposée quant à l'interpréta- tion de l'article 12(3) m'est imposée par la nécessité de donner à ce paragraphe une signifi cation telle qu'il puisse s'appliquer de façon uniforme aux différents cas qui peuvent se pré- senter dans le cours normal des affaires.
J'envisage maintenant la question de savoir si, aux fins de l'application de l'article 12(3) aux circonstances de l'espèce, on peut affirmer que le prix d'achat du terrain payable par l'appelante était «payable ... à une personne avec laquelle [elle] ne traitait pas à distance».
A cet égard, on doit remarquer que l'article 12(3) énonce une règle qui, si elle trouve une application quelconque, s'applique «dans le calcul» du revenu de l'appelante pour son année d'imposition 1960 et, plus particulièrement, elle s'applique au calcul du profit brut que l'appe- lante tire d'une vente de terrain effectuée durant cette année. A mon avis, on doit déterminer si la «somme, autrement déductible déboursée ou dépensée» était payable par l'appelante à «une personne avec laquelle [elle] ne traitait pas à distance» au moment même de cette opération
4 Souvent, la nature de l'entreprise est telle qu'il est impossible, ou irréalisable, d'identifier les marchandises vendues durant l'année et il est impossible ou irréalisable d'en déterminer le coût. Comparer avec l'arrêt M.R.N. c. Anaconda American Brass Ltd. [1956] A.C. 85. Dans un tel cas, si un fournisseur important était une compagnie liée, il serait impossible d'appliquer l'article 12(3).
ou après celle-ci. Antérieurement à la vente, le coût du terrain n'était pas déductible parce qu'on ne pouvait le déduire d'aucun prix de vente. Ce n'est donc qu'à compter du moment de la vente qu'il était possible et concevable de décrire le coût du terrain comme «une somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée»; mais, à partir de ce moment, ce coût ne pouvait être considéré comme «payable par le contri- buable à une personne avec laquelle il ne traitait pas à distance» parce que, antérieurement à cette date, l'appelante avait rompu tout lien avec le bénéficiaire et n'était donc plus «répu- tée» ne pas traiter à distance avec cette compagnie.
Il s'ensuit, à mon avis, que l'article 12(3) ne s'applique pas au coût du terrain, objet de la vente qui a donné lieu au profit en question.
L'un ou l'autre des motifs susmentionnés suf- firait à justifier ma conclusion selon laquelle l'article 12(3) n'était pas applicable aux circon- stances de l'espèce.
Je suis, par conséquent, d'avis que, tant en première instance que devant cette cour, l'appel doit être accueilli avec dépens, que le jugement de première instance doit être cassé et que la cotisation de l'appelante établie sous le régime de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1960 doit être déférée à l'intimé pour qu'il établisse une nouvelle coti- sation aux motifs que l'article 12(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'applique pas au coût du terrain objet de la vente, cette dernière ayant donné lieu au profit objet de la cotisation.
M W #
LE JUGE THURLOW a souscrit à l'avis.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: Je ne désire pas me pronon- cer sur la question de savoir si le prix qu'un commerçant paie pour acheter un bien destiné à la revente dans l'exercice de son entreprise, constitue une somme déductible déboursée ou
dépensée au sens de l'article 12(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Cependant, je partage le point de vue exprimé par le juge en chef, à savoir que, vu les faits de l'espèce, l'article 12(3) n'empêche pas l'appe- lante de déduire le prix d'achat du terrain, lors du calcul du profit tiré de la vente dudit terrain. Ce prix d'achat, qui est présumé être un «débours ou dépense», n'est manifestement pas devenu «autrement déductible» avant que l'ap- pelante ne vende le terrain et, à ce moment-là, il n'était plus payable à une personne avec laquelle l'appelante ne traitait pas à distance.
Pour ces motifs, je tranche cet appel comme l'a fait le juge en chef.
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