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A-293-74
Leesona Corporation (Demanderesse) (Intimée) c.
Consolidated Textiles Mills Ltd. (Défenderesse) (Appelante)
et
Consolidated Textiles Limited (Défenderesse par suite de l'amendement) (Appelante)
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Ryan— Ottawa, les 28 février et 14 mars 1975.
Procédure—Déclaration—Demanderesse-Intimée n'action- nant pas la bonne compagnie—Division de première instance accordant permission d'amender—L'amendement opère-t-il la substitution d'une partie?—Est-ce que l'action est prescrite en vertu du Code civil du Québec—Code civil du Québec, art. 2261 et 2267—Articles 424 et 425 des Règles de la Cour fédérale—Loi sur la Cour fédérale, art. 46.
Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance accordant à l'intimée la permission d'amender sa déclaration pour corriger le nom de la défenderesse. La deman- deresse a intenté une action en contrefaçon de brevets. Dans l'intention d'actionner la compagnie chargée de l'exploitation, elle a nommé la compagnie de gestion, Consolidated Textiles Mills Ltd., croyant nommer la première, Consolidated Textiles Ltd. Une deuxième action a été intentée, nommant la partie correctement; par la suite, la demanderesse a présentée une requête demandant la permission de corriger le nom dans la première action.
Arrêt: le jugement est annulé et la requête en amendement rejetée.
La Cour: personne n'a contesté le fait qu'une partie des dommages-intérêts réclamés était prescrite en vertu de l'article 2261 du Code civil du Québec. Lorsqu'une action est prescrite en vertu de l'article 2261, «la créance est absolument éteinte, et nulle action ne peut être reçue» (article 2267). La Cour ne peut, en vertu des Règles de la Cour fédérale, faire renaître une dette qui, en vertu du droit positif applicable, est absolument éteinte.
Le juge Ryan: si l'on appliquait les articles en question des Règles de la Cour fédérale, faisant renaître la dette éteinte, cette application excéderait le pouvoir de réglementation délé- gué par l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt discuté: Mitchell c. Harris Engineering Co. Ltd. [1967] 2 Q.B. 703 (C.A.).
APPEL. AVOCATS:
G. A. Macklin pour la demanderesse-intimée. P. O'Brien pour la demanderesse-appelante et pour la défenderesse par suite de l'amendement-appelante.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la demanderesse-intimée.
Stikeman, Elliot, Tamaki, Mercier et Robb, Montréal, pour la défenderesse-appelante et pour la défenderesse par suite de l'amendement-appelante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance accordant à l'intimée permission d'amender sa déclaration [TRADUCTION] «pour corriger le nom de la défenderesse, c'est-à-dire remplacer Con solidated Textiles Mills Ltd. par Consolidated Textiles Limited».
Consolidated Textiles Limited et Consolidated Textiles Mills Ltd. sont deux compagnies distinc- tes. Les opérations commerciales de la première consistent en la fabrication, l'importation et la vente de fils textiles; c'est une filiale de la Con solidated Textiles Mills Ltd. qui n'est qu'une com- pagnie de gestion. Les administrateurs et les diri- geants sont les mêmes pour les deux compagnies et leur siège social est situé à la même adresse à Montréal.
Le 31 août 1972, les avocats de la Leesona Corporation ont envoyé à la Consolidated Textiles Limited une lettre qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Nous sommes les avocats de la Leesona Cor poration. Comme vous le savez peut-être déjà, la Leesona Corporation détient les brevets canadiens nm 552,104 et 552,- 105 qui ont trait à un procédé et à un appareil de fabrication de fils nylon et polyester de fausse torsion frisés ou texturés; en cette qualité, elle a accordé des licences non-exciusives, en vertu desdits brevets, à plusieurs compagnies canadiennes qui fabri- quent des fils texturés qu'on utilise dans la fabrication d'articles chaussants pour hommes et pour femmes et d'articles textiles tricotés et tissés.
Notie cliente a appris qu'il se pourrait que votre compagnie fabrique au Canada du fil texturé en utilisant des machines de fausse torsion du genre de celles que protège le brevet canadien no 552,105 et un procédé que protège le brevet canadien
552,104, pour lesquels la Leesona Corporation n'a pas pour l'instant concédé de licence.
Notre cliente est d'avis que l'usage sans licence de ces machines et de ce procédé constitue une contrefaçon des brevets mentionnés ci-dessus.
Dans le but d'éviter un procès, nous sommes prêts à rencon- trer un représentant de votre compagnie pour examiner la
possibilité d'un règlement amiable relativement à l'indemnisa- tion de notre cliente pour dommages passés et pour l'usage de ses inventions à l'avenir.
Si une telle réunion vous intéresse, veuillez communiquer avec les soussignés dans les dix prochains jours.
Sans réponse de votre part, nous présumerons qu'un règle- ment amiable ne vous intéresse pas et nous demanderons d'autres directives à notre cliente.
Même si vous n'utilisez pas les machines en question, veuillez quand même communiquer avec nous dans les dix jours.
A la suite de cette lettre, les avocats de la Leesona ont eu des réunions et des échanges oraux et écrits avec les dirigeants de la Consolidated Textiles Limited. Apparemment, les deux parties espéraient parvenir à un règlement amiable. Ces négociations ont duré une année. Pendant cette période, les seules lettres que les avocats de la Leesona aient reçues de la Consolidated Textiles Limited étaient trois lettres qu'avait écrites Speirs, un vice-président de cette compagnie. Cependant, ce dernier avait écrit ces lettres sur du papier à en-tête de la Consolidated Textiles Mills Ltd. et, dans chaque cas, la signature de Speirs suivait le nom dactylographié de cette compagnie. Il semble qu'après avoir reçu ces lettres, les avocats de la Leesona ont présumé que le prétendu contrefac- teur des brevets de leur cliente était la Consolidat ed Textiles Mills Ltd. et non la Consolidated Textiles Limited. Par conséquent, lorsque, le 29 août 1973, ils ont jugé que la protection des droits de leur cliente exigeait qu'ils entreprennent des poursuites, ils ont intenté une action contre la Consolidated Textiles Mills Ltd., réclamant divers redressements, y compris des dommages-intérêts.
Les avocats de la Leesona n'ont réalisé qu'ils n'avaient pas actionné la bonne compagnie que le 19 avril 1974, au moment de la production des conclusions de la défense selon lesquelles la Con solidated Textiles Mills Ltd. ne serait qu'une com- pagnie de gestion. En juin 1974, la Leesona a intenté une deuxième action, cette fois-ci contre la Consolidated Textiles Limited et, en septembre, a présenté une requête demandant la permission de corriger le nom de la défenderesse dans la pre- mière action. Il semble que la deuxième action ait été intentée uniquement dans le but de protéger les droits de la Leesona au cas ladite permission ne lui serait pas accordée.
Le présent appel est interjeté de la décision de la Division de première instance qui a accordé à la Leesona la permission d'amender sa déclaration dans la première action.
A l'audition de l'appel, personne n'a sérieuse- ment contesté le fait qu'au moment la Division de première instance avait rendu l'ordonnance en cause, une partie des dommages-intérêts que récla- mait la Leesona était prescrite en vertu de l'article 2261 du Code civil de la province de Québec. Cependant, l'avocat de la Leesona a affirmé que cette cour avait néanmoins, en vertu de la règle 424, le pouvoir de permettre la correction du nom de la défenderesse. Je ne peux accepter cette prétention.
Lorsqu'une action est prescrite en vertu de l'arti- cle 2261 du Code civil, «la créance est absolument éteinte, et nulle action ne peut être reçue» (art. 2267). Les règles ne peuvent donner à la Cour le pouvoir de faire renaître une dette qui, en vertu du droit positif applicable, est absolument éteinte.
Pour ces motifs, j'annulerais le jugement de la Division de première instance et rejetterais la requête en amendement de la demanderesse.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord avec mon collègue le juge Pratte selon lequel le jugement de la Division de première instance doit être annulé et la requête en amendement de la demanderesse rejetée. Les faits importants sont exposés dans les motifs de son jugement.
Je me suis demandé s'il était vraiment décisif, aux fins de la présente cause, que l'expiration de la période de prescription en vertu des articles perti- nents du Code civil ait pour effet d'éteindre «la dette». Je me suis demandé si cet effet était, en soi, suffisant pour écarter certains arrêts anglais, tel que Mitchell c. Harris Engineering Company Ltd.', jugement fondé sur l'ordonnance 20, Règle
1 [1967] 2 Q.B. 703 (C.A.). Je ne veux pas dire par qu'il n'y aurait pas d'autres éléments de distinction.
5(2) et (3) des English Rules of the Supreme Court qui, pour ce qui nous concerne ici, sont les mêmes que les articles 424 et 425 des Règles de la Cour fédérale 2 . Dans l'affaire Mitchell, la disposi tion de prescription en question imposait un délai pour intenter l'action. A ce sujet, lord Denning disait: [TRADUCTION] «La Statute of Limitations ne confère aucun droit à la défenderesse. Il ne fait qu'imposer un délai au demandeur.» 3 Quant à l'affaire présente, un droit est en cause, il semble effectivement au moins possible de préten- dre, comme l'a fait l'avocat dans l'affaire Mitchell relativement à la règle anglaise, que la règle [TRA- DUCTION] «ne dépouille les vrais défendeurs d'au- cun droit parce qu'elle [je présume qu'il s'agit de l'ordonnance rendue en vertu de la règle] est rendue contre les vrais défendeurs et que même si, techniquement, la correction du nom substitue effectivement une personne juridique à une autre, la règle a pour but de permettre au tribunal de prendre connaissance du fond de la question lors- qu'il y a eu une véritable erreur». 4 On pourrait prétendre dans l'affaire présente que l'erreur pro- vient du fait que la demanderesse, qui avait l'inten- tion de poursuivre la compagnie chargée de l'ex- ploitation, a nommé la compagnie de gestion, croyant nommer la première. L'argument pren- drait la forme suivante: si la demande d'amende- ment était accueillie, au point de vue de la procé- dure, la compagnie chargée de l'exploitation serait substituée à la compagnie de gestion, mais en réalité la partie même qui devait être actionnée
2 Règle 424. Lorsque permission de faire un amendement mentionné aux Règles 425, 426 ou 427 est demandée à la Cour après l'expiration de tout délai de prescription applicable mais qui courait à la date du début de l'action, la Cour pourra néanmoins, accorder cette permission dans les circonstances mentionnées dans la règle applicable s'il semble juste de le faire.
Règle 425. Un amendement aux fins de corriger le nom d'une partie peut être permise en vertu de la Règle 424, même s'il est allégué que l'amendement aura pour effet de substituer une nouvelle partie à l'ancienne, pourvu que la Cour soit convaincue que l'erreur dont la correction est demandée était véritablement une erreur et n'était ni de nature à tromper si susceptible d'engendrer un doute raisonnable sur l'identité de la partie qui avait l'intention de poursuivre, ou, selon le cas, qu'on avait l'intention de poursuivre.
[1967] 2 Q.B. 703 (C.A.) à la page 718-B.
4 lbid., à la page 713-F.
serait correctement nommée. Dans cette optique, si l'on considère la question en dehors de la procé- dure, la période de prescription du Code civil a été interrompue en temps voulu parce que l'action même a été intentée en temps opportun.
Cependant, j'ai bien peur qu'il y ait une diffé- rence importante entre actionner une partie et avoir l'intention de le faire. L'amendement qu'on voudrait obtenir en l'espèce n'aurait pas seulement pour effet de corriger un nom; il y aurait aussi substitution d'une partie. Comme l'a dit le lord juge Russell dans l'affaire Mitchell: [TRADUC- TION] «l'amendement demandé vise la correction du nom de la défenderesse bien que, comme on le soutient avec raison, cela entraîne aussi la substi tution de la compagnie irlandaise à la compagnie Leeds» . 5 Dans la présente affaire, la personne qui remplacerait l'autre serait une personne dont la prétendue dette, imputable aux faits incriminés, était éteinte avant la substitution. Si l'on appli- quait dans cette affaire les règles en question, on ferait renaître une «dette» éteinte. A mon avis, cette application irait au-delà des limites du pou- voir de réglementation en matière de pratique et de procédure délégué par l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale.
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LE JUGE URIE: Je souscris aux présents motifs.
5 Ibid., à la page 721-D.
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