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A-201-74
L'Association des consommateurs du Canada (Requérante)
c.
Le ministre des Postes (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants MacKay et Smith—Toronto, les 23 janvier et 21 février 1975.
Examen judiciaire—La requérante publie un magazine— Demande d'enregistrement comme courrier de deuxième classe et demande subséquente de nouvel examen rejetées—Le maga zine est-il exclu parce que «publié par une association d'en- traide mutuelle, une association commerciale, professionnelle ou autre ou un syndicat ouvrier, une coopérative de crédit ou de consommation ou une congrégation religieuse locale»— Sens de l'expression «ou autre»—Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14, art. 11(1)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
La requérante publie un magazine: Canadian Consumer en anglais et Le Consommateur canadien en français. La requé- rante a présenté aux Postes une demande d'enregistrement du magazine comme courrier de deuxième classe, précisant que son but principal était «la critique sociale». La demande ainsi qu'une requête aux fins de réexamen ont été rejetées. La requérante a, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, présenté une demande en vue d'annuler la décision de l'intimé et déclarer que le magazine a droit aux tarifs postaux de deuxième classe en vertu de l'article 11 de la Loi sur les postes.
Arrêt: La demande est accueillie, la décision annulée et l'affaire renvoyée à l'intimé. Savoir si le but principal du magazine est la critique sociale est une question de fait qui n'entre pas dans le cadre de la décision. Ce magazine relève clairement de l'article 11(1)a) de la Loi sur les postes en ce sens qu'il est publié pour diffuser dans le public (1) des nouvelles, (2) des commentaires sur les nouvelles ou des analyses de nouvelles et (3) d'autres sujets d'actualité intéres- sant le public en général. Le magazine n'est visé par aucune des exceptions prévues à l'article 11(1)i). Chacun des termes visés dans les exceptions prévues à l'article 11(1)i) est pris dans un sens restreint. Le législateur n'a pas pu vouloir, en ajoutant les mots «ou autre», englober dans les dispositions de l'alinéa tous les types d'associations concevables. Si l'expression «ou autre» devait être prise dans un sens large et non pas restreint aux associations similaires aux «associations d'entraide mutuelle, commerciale ou professionnelle», il n'y aurait pas lieu d'ajouter quatre nouveaux types d'associations après les mots «ou autre».
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
P. Gilchrist pour la requérante. G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour.
Il s'agit d'une demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, faite au nom de la requérante en vue d'obtenir une ordonnance annu- lant la décision de l'intimé en date du 22 juillet 1974 et déclarant que les magazines de la requé- rante The Canadian Consumer et Le Consomma- teur Canadien ont droit aux tarifs postaux de deuxième classe en vertu de l'article onze (11) de la Loi sur les postes.
Fondée en 1947, la requérante était constituée en association sans personnalité morale sous le nom de Canadian Association of Consumers; elle acquis la personnalité morale en vertu des lois du Canada sous son nom actuel le Zef mai 1962. Ses buts, selon ses statuts, sont les suivants:
a) unir les forces des consommateurs afin d'améliorer le niveau de vie des familles canadiennes;
b) étudier les problèmes que rencontrent les consommateurs et faire des recommandations pour leur solution;
c) faire connaître aux gouvernements, au commerce et à l'industrie le point de vue des consommateurs, et servir à cette fin de moyen de communication à ceux-ci;
d) se procurer et fournir aux consommateurs des renseigne- ments et des conseils sur les produits de consommation et les services et effectuer des recherches et des essais permettant d'atteindre au mieux les objectifs de l'Association.
Depuis 1963, la requérante publie un magazine, Canadian Consumer en anglais et Le Consomma- teur Canadien en français. Depuis 1970, le maga zine paraît six fois l'an.
Tout abonné au magazine, en anglais ou en français, devient automatiquement membre de l'Association. En janvier 1974, le prix de l'abonne- ment était de $5 l'an et, à cette date, l'Association avait environ 120,000 membres. Outre les 120,000 numéros destinés aux membres, plus de 13,000 numéros étaient confiés à des distributeurs pour être revendus au public dans les kiosques à jour- naux des principales villes canadiennes, ce qui est toujours le cas.
Après des discussions et des échanges de corres- pondance avec les fonctionnaires du ministère des Postes, la requérante a dûment présenté aux Postes canadiennes, en date du 11 septembre 1973, une demande d'enregistrement de son magazine comme courrier de deuxième classe, en précisant que le but principal de cette publication était de servir les intérêts de la critique sociale ou litté- raire. Cette demande a été rejetée par une lettre en date du 12 septembre 1973, rejet confirmé par une deuxième lettre en date du 2 octobre 1973. Le 10 avril 1974, la requérante a demandé par écrit un nouvel examen de la décision rejetant sa demande de tarifs postaux de deuxième classe. Par lettre en date du 22 juillet 1974, le directeur intérimaire du Service de développement et de classification du courrier a informé la requérante que la décision antérieure était maintenue. Sur ce, la requérante a déposé la présente demande le 25 juillet 1974.
Les dispositions législatives applicables à cette demande se trouvent dans certains alinéas du para- graphe (1) de l'article 11 de la Loi sur les postes, S.R.C. 1970, c. P-14. Ces alinéas se lisent comme suit:
11. (1) Un journal canadien ou un périodique canadien
a) qui est publié en vue de la diffusion dans le public d'articles appartenant à une ou plusieurs des catégories suivantes:
(i) nouvelles,
(ii) commentaires sur les nouvelles ou analyses des nouvel- les, et
(iii) autres sujets d'actualité intéressant le public en général,
b) qui est principalement consacré à la religion, aux sciences, à l'agriculture, à la sylviculture, à la pêche, à la critique sociale ou littéraire, à la littérature ou aux arts, ou qui est une publication académique ou une publication savante, ou
c) qui est principalement consacré au progrès de la santé publique et publié par un organisme sans but lucratif à structure nationale ou provinciale,
peut, s'il est
d) enregistré au ministère des Postes aux fins du présent article en conformité des règlements,
être transmis par la poste au Canada au tarif de port spécifié dans le présent article pour un tel journal ou périodique, sauf si,
i) excepté dans le cas d'une publication décrite à l'alinéa b) ou à l'alinéa c), il est publié par une association d'entraide mutuelle. une association commerciale, professionnelle ou autre ou un sydicat ouvrier, une coopérative de crédit ou de consommation ou une congrégation religieuse locale,
A notre avis, il ne sera pas nécessaire de décider si le but principal du magazine de la requérante est «la critique sociale» et nous doutons qu'on puisse considérer une telle question comme une question de droit plutôt que de fait. Les demandes de cette nature présentées à cette cour sont limitées aux questions de droit. Nous estimons que la question peut être résolue en examinant les termes et la signification des alinéas du paragraphe (1) de l'article 11 de la Loi sur les postes, cités ci-dessus, exception faite de la référence de l'alinéa b) à «la critique sociale».
Il ressort nettement d'une lecture attentive des tables des matières des éditions anglaises de ce magazine, nos 1, 2, 4 et 5 du volume 3, c'est-à-dire des parutions de janvier-février, avril, août et octo- bre 1973, et de l'édition française du 5 du même volume, c'est-à-dire la parution d'octobre 1973 (tous ces numéros constituent la pièce (A) annexée à l'affidavit de Maryon Brechin en date du 3 janvier 1974), que ce magazine est publié en vue de la diffusion dans le public d'articles apparte- nant à une ou plusieurs des catégories suivantes:
(i) nouvelles,
(ii) commentaires sur les nouvelles ou analyses des nouvelles,
(iii) autres sujets d'actualité intéressant le public en général.
La requérante et l'intimé sont d'accord sur ce point. Le magazine appartient donc à la catégorie des périodiques décrits à l'article 11(1)a) comme ayant droit, en se conformant à certaines condi tions, à ce que l'on appelle les tarifs postaux de deuxième classe.
La question de «la critique sociale» mise à part, on n'a pas prétendu, et nous ne pensons pas que l'on puisse le faire à bon droit, que la publication est principalement consacrée à l'un des sujets décrits à l'article 11b) ou c), quoique certains articles publiés ont un rapport avec un ou plusieurs de ceux-ci. Nous constatons qu'un certain nombre d'articles dans les numéros mentionnés plus haut traitent de questions que l'on peut décrire à bon droit comme relevant de l'expression «critique sociale». En outre, certains articles traitent de «la santé». Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin.
La seule difficulté que nous ayons rencontrée pour parvenir à la décision que ce magazine, tant en version française qu'anglaise, a droit aux tarifs postaux de deuxième classe plutôt qu'aux tarifs plus élevés de troisième classe que l'intimé consi- dère comme les tarifs à appliquer, provient de l'article 11(1)i), qui décrit les publications qui n'ont pas droit aux tarifs de deuxième classe.
L'alinéa i) édicte une règle qui retire le bénéfice du tarif de deuxième classe à toute publication décrite à l'alinéa a), si elle est publiée par une association d'entraide mutuelle, une association commerciale, professionnelle ou autre ou un syndi- cat ouvrier, une coopérative de crédit ou de con- sommation ou une organisation religieuse locale.
Si nous examinons la signification ordinaire- ment et généralement admise d'«association d'en- traide mutuelle», d'«association commerciale» et d'«association professionnelle», il nous semble. manifeste que chaque expression est prise dans un sens restreint. On n'a pas envisagé que ces expres sions soient prises dans une acception aussi large que celle à laquelle les mots pourraient probable- ment se prêter. Nous ne pensons pas non plus qu'il puisse en être ainsi. Il en est de même des expres sions «syndicat ouvrier», «coopérative de crédit», «coopérative de consommation», et «congrégation religieuse locale». Dans le sens ils sont couram- ment admis, ces mots ont aussi une signification restreinte.
L'avocat de la requérante considère que la règle d'interprétation communément appelée règle «ejusdem generis» est applicable, voire décisive en l'espèce. Cette règle sert à découvrir l'intention véritable du législateur et constitue souvent un guide sûr. En examinant tous les termes de cet alinéa qui décrivent des types précis d'associations, termes ayant tous des significations d'une portée très limitée, et particulièrement les expressions «entraide mutuelle, commerciale, professionnelle», nous ne pouvons pas envisager que le législateur avait l'intention, en ajoutant simplement les mots «ou autre» d'englober dans les dispositions de cet alinéa tous les genres d'associations d'êtres humains concevables. Si telle avait été son inten tion, il n'aurait pas été nécessaire d'énumérer plu- sieurs types précis d'associations. Une expression comme «toute espèce d'association quelle qu'elle
soit» aurait suffi. Ou, s'il avait jugé préférable de désigner quelques associations, il aurait suffi d'ajouter une expression telle qu'«ou toute autre association, similaire aux précédentes ou non» pour rendre l'intention claire.
Un examen plus poussé de l'ordre d'énumération des organisations vient corroborer cette opinion. D'abord il y a les mots: «une association d'entraide mutuelle, commerciale, professionnelle», suivis de: «ou autre», et ensuite «ou un syndicat ouvrier, une coopérative de crédit ou de consommation ou une congrégation religieuse locale». Ces quatre derniers types d'organisations sont des associations (au sens large) d'êtres humains. Indubitablement, si l'ex- pression «ou autre» devait être prise dans un sens large, et non pas restreint aux associations «simi- laires» aux «associations d'entraide mutuelle, com- merciale ou professionnelle» dans l'acception cou- rante de ces termes, il n'y aurait pas lieu d'ajouter quatre nouveaux types d'associations après les mots «ou autre».
A notre avis, l'alinéa i) n'enlève pas à la requé- rante son droit aux tarifs postaux de deuxième classe. La demande est accueillie, la décision de l'intimé, refusant d'enregistrer le magazine comme courrier de deuxième classe, annulée et l'affaire renvoyée à l'intimé pour qu'il y donne suite comme il convient.
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