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A-124-74
In re la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et in re Philip L. Cooper (Requérant)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Urie—Ottawa, les 5 et 6 novembre 1974.
Examen judiciaire—Fonction publique—Renvoi d'un employé conformément à la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 31—Aucun recours à la procédure des griefs prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 23, 90, 91 et 99—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le sous-ministre du ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources a recommandé, en vertu de l'article 31(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le renvoi de la Fonction publique du requérant jugé incapable de remplir ses fonctions. Le comité établi en vertu de l'article 31(3) de la Loi a confirmé la recommandation et le requérant a été congédié. Le sous-ministre a rejeté le grief présenté par le requérant en vertu de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, car il ne remplissait pas les conditions prévues à cet article. Le requérant a alors renvoyé le grief à l'arbitrage conformé- ment à l'article 91(1) de la Loi. En attendant l'arbitrage, la Commission de la Fonction publique, conformément à l'arti- cle 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, a renvoyé à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique la question de la compétence de l'arbitre. La Commission décida que l'employé s'estimant lésé ne pouvait, aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, recourir à l'arbitrage tant qu'était maintenue la décision du comité d'appel rendue conformément à l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Le requérant présenta en vertu de l'arti- cle 28 une demande d'annulation de la décision du comité.
Arrêt: la demande est rejetée; selon l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, si une loi du Parlement prévoit une procédure administrative de réparation, un employé s'estimant lésé ne peut recourir à la procédure applicable aux griefs établie par les articles 90 et, 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Une fois que le comité d'appel, en conformité de l'article 31(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que, a confirmé la recommandation du sous-ministre de renvoyer le requérant, aux termes de l'article 31(1), cette recommandation ne peut plus faire l'objet d'un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Un grief présenté contre le renvoi d'un employé par la Commission ne peut pas, en l'espèce, être soumis à l'arbitrage en vertu de l'article 91(1) puisqu'il ne s'agit pas d'un grief concernant une question visée à ce paragraphe.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Le requérant comparaissant en personne. Harvey Newman pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le requérant comparaissant en personne.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande, présentée en vertu de l'article 28, visant l'exa- men et l'annulation d'une décision de la Com mission des relations de travail dans la Fonction publique répondant à une question relative à la compétence d'un arbitre pour connaître d'un grief que le requérant avait renvoyé à l'arbitrage.
Le requérant était un employé du ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources lorsque, le 30 avril 1971, on lui signifia que le sous- ministre avait recommandé à la Commission de la Fonction publique, en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, son renvoi aux motifs qu'il était incapable de remplir les fonctions de son poste.'
' L'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique se lit comme suit:
31. (1) Lorsque, de l'avis du sous-chef, un employé est incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, ou qu'il est incapable de remplir ces fonctions, et qu'il devrait
a) être nommé à un poste avec un traitement maximum inférieur, ou
b) être renvoyé,
le sous-chef peut recommander à la Commission que
l'employé soit ainsi nommé ou renvoyé, selon le cas.
(2) Le sous-chef doit donner à un employé un avis écrit de toute recommandation visant la nomination de l'em- ployé à un poste avec un traitement maximum inférieur ou son renvoi.
(3) Dans tel délai subséquent à la réception de l'avis mentionné au paragraphe (2) que prescrit la Commission, l'employé peut en appeler de la recommandation du sous- chef à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'employé et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
a) avertir le sous-chef en cause qu'il ne sera pas donné suite à sa recommandation, ou
b) nommer l'employé à un poste avec un traitement
maximum inférieur ou le renvoyer,
selon ce qu'a décidé le comité.
Le requérant, comme c'était son droit en vertu de l'article 31(3), a interjeté appel de la recommandation du sous-ministre à un comité établi par la Commission de la Fonction publi- que. L'audition de l'appel a eu lieu en juin 1971 et, par une décision en date du 10 juin 1971, le comité a confirmé la recommandation visant son renvoi et rejeté son appel. Par lettre en date du 30 juin 1971, la Commission de la Fonction publique lui a signifié que, par suite de la déci- sion du comité d'appel, la Commission avait, conformément à l'article 31(3), autorisé son renvoi de la Fonction publique.
Peu de temps après, le requérant a déposé un grief pour s'opposer à son renvoi en alléguant qu'en fait, il s'agissait d'un congédiement disci- plinaire. Le requérant faisait valoir qu'en l'es- pèce, il était fondé à se prévaloir de l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, dont voici un extrait:
90. (1) Lorsqu'un employé s'estime lésé
b) par suite d'un événement ou d'une question qui vise ses conditions d'emploi, .. .
relativement à laquelle ou auquel aucune procédure adminis trative de réparation n'est prévue en vertu d'une loi du Parlement, il a le droit, sous réserve du paragraphe (2), de présenter ce grief à chacun des paliers, y compris le dernier palier, que prévoit la procédure applicable aux griefs établie par la présente loi. 2
Le sous-ministre a rejeté le grief du requérant aux motifs qu'il ne répondait pas aux conditions
(4) S'il n'est interjeté aucun appel d'une recommanda- tion du sous-chef, la Commission peut prendre, relative- ment à cette recommandation, la mesure qu'elle estime opportune.
(5) La Commission peut renvoyer un employé en con- formité d'une recommandation formulée aux termes du présent article; l'employé cesse dès lors d'être un employé.
z Voir l'article 99(1) en vertu duquel
99. (1) La Commission peut établir des règlements rela- tifs à la procédure à suivre pour la présentation des griefs et, notamment, en ce qui concerne
a) le mode et les formules de présentation d'un grief;
b) le nombre maximum de paliers administratifs de l'employeur au niveau desquels des griefs peuvent être présentés;
énoncées à l'article 90(1). Le requérant renvoya alors le grief à l'arbitrage conformément à l'arti- cle 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique qui se lit comme suit:
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusi- vement, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le concerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
L'arbitre allait procéder à l'audition dudit grief lorsque l'employeur, conformément à l'ar- ticle 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, a renvoyé à la Commis sion des relations de travail dans la Fonction publique la question de la compétence de l'arbi- tre pour connaître de ce grief. 3 L'employeur prétendait que l'arbitre n'était pas compétent pour statuer sur le grief présenté par le requé- rant relativement à son prétendu congédiement pour faute disciplinaire, puisque la Commission de la Fonction publique, conformément à l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, avait mis fin à son emploi.
La façon dont la Commission a tranché cette question de compétence ressort des extraits tirés de sa «décision motivée» que voici:
3 L'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique se lit comme suit:
23. Lorsqu'une question de droit ou de compétence se pose à propos d'une affaire qui a été renvoyée au tribunal d'arbitrage ou à un arbitre, en conformité de la présente loi, le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ou l'une des parties peut renvoyer la question à la Commis sion, pour audition ou décision conformément aux règle- ments établis par la Commission à ce sujet. Toutefois le renvoi d'une question de ce genre à la Commission n'aura pas pour effet de suspendre les procédures relatives à cette matière à moins que le tribunal d'arbitrage ou l'arbi- tre, selon le cas, ne décide que la nature de la question justifie une suspension des procédures ou que la Commis sion n'en ordonne la suspension.
24. Comme nous l'avons vu, le sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources, prétendument en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, a recommandé à la Commission de la Fonction publique de renvoyer l'employé s'estimant lésé de la fonction publique pour incapacité à remplir les fonctions de son poste. L'em- ployé s'estimant lésé a dûment reçu avis écrit de la recom- mandation. Dans le délai prescrit par la Commission, l'em- ployé s'estimant lésé s'est prévalu du droit d'en appeler à l'encontre de la recommandation que prévoit l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, La Commis sion a établi un comité d'appel qui a examiné l'appel inter- jeté et, à l'audience tenue à cette fin, l'employé s'estimant lésé semble avoir eu pleinement l'occasion de présenter sa preuve et ses observations. Dans sa décision, le comité d'appel a fait droit à la recommandation du sous-ministre et se fondant sur la décision du comité d'appel, la Commission a renvoyé l'employé s'estimant lésé.
25. L'employé s'estimant lésé soutient maintenant que son «renvoi» constitue en réalité une mesure disciplinaire et qu'il a le droit de recourir à la procédure d'arbitrage prévue à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. D'après lui, la réparation demandée n'a pas trait à la recommandation du sous-ministre ni à la mesure prise subséquemment par la Commission, mais plutôt à l'alléguée mesure disciplinaire prise par l'employeur. En d'autres termes, l'employé s'estimant lésé soutient qu'il n'a pas été renvoyé pour incapacité à remplir les fonctions de son poste, mais qu'il a été congédié par suite d'une mesure disciplinaire. Il soutient qu'il n'existe aucun recours en vertu d'une loi quelconque du Parlement contre une mesure disciplinaire autre que la procédure relative aux griefs et à l'arbitrage établie aux termes des articles 90 et 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
26. Néanmoins, il reste que l'employé a eu recours à la procédure d'appel prévue par l'article 31(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Le comité d'appel établi en vertu dudit article a rendu à son égard une décision défavorable. Il cherche maintenant à obtenir des résultats différents en recourant à la procédure applicable aux griefs et autre prévue par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Si la Commission permettait à l'employé s'estimant lésé de suivre cette voie, elle lui permettrait en réalité de chercher réparation devant deux tribunaux dis- tincts et indépendants, d'aucun n'ayant à l'égard de l'autre une compétence supérieure ou d'appel. On peut concevoir que les deux tribunaux rendent des décisions contradictoi- res, possibilité manifestement très peu souhaitable qui entraînerait, et nécessiterait peut-être même, l'intervention de la cour d'appel fédérale pour obtenir une révision de la question.
27. À notre avis, le principe de ce qu'il conviendrait d'appe- ler du bon accord judiciaire, ou dans la présente affaire principe du bon accord entre les tribunaux, doit s'appliquer à la présente affaire. Un tribunal indépendant, siégeant dans le contexte de la fonction publique, doit entériner la décision d'un autre tribunal semblable, non parce que la loi l'y oblige, mais parce qu'il est approprié de le faire. Appliqué aux circonstances de la présente affaire, ce principe nous amène à décider que l'employé s'estimant lésé ne peut recourir à la
procédure d'arbitrage prévue par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique aussi longtemps qu'aura cours la décision rendue par le comité d'appel, établi aux termes de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Si, à ce point, il reste une voie ouverte à l'employé s'estimant lésé ce ne peut être que celle d'un appel interjeté auprès de la Cour d'appel fédérale, pour obtenir une révision de la décision rendue par le comité d'appel.
C'est précisément cette décision de la Com mission que vise cette demande présentée en vertu de l'article 28.
Au cours de l'audience, le requérant a com- paru en son nom propre, a attaqué la décision de la Commission sur plusieurs points qui, pour la plupart, reçurent une réponse de la Cour durant les débats. Toutefois, son attaque principale portait qu'il n'existait aucune recommandation bona fide justifiant son renvoi en vertu de l'arti- cle 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, qu'il avait fait l'objet d'un congédie- ment pour des motifs disciplinaires et que, dans ces circonstances, il était fondé, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, à renvoyer à l'arbitrage le grief relatif à son congédiement.
D'après la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, la compétence d'un arbitre se trouve limitée à la fois par l'article 90 et par l'article 91. Un grief ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage s'il se rapporte à une question qui n'a fait l'objet d'aucun grief en vertu de l'article 90, ou à une question qui ne relève pas de l'article 91.
Aux termes de l'article 90, on ne peut pas présenter un grief s'il se rapporte à une question à l'égard de laquelle «une procédure administra tive de réparation est prévue en vertu d'une loi du Parlement». Lorsqu'il existe une telle procé- dure, l'employé qui s'estime lésé ne peut recou- rir à la procédure applicable aux griefs établie par les articles 90 et 91 de la Loi sur les rela tions de travail dans la Fonction publique, mais doit soumettre sa plainte à l'organisme adminis- tratif qui détient, en vertu de la Loi applicable, le pouvoir de l'examiner. Un employé qui s'es- time insatisfait de la décision de cet organisme ne peut présenter un grief à cet égard en vertu des articles 90 et 91.
Aux termes de l'article 91(1), un grief ne peut donner lieu à renvoi à l'arbitrage à moins qu'il ne s'agisse d'un grief au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le con- cerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécunaire,
L'article 31(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique autorise un sous-chef à recommander à la Commission de la Fonction publique le renvoi d'un employé qu'il considère incompétent ou incapable. L'article 31(3) pré- voit un droit d'appel de cette recommandation devant un comité établi par la Commission et aussi que la décision de ce comité d'appel lie la Commission. Lorsqu'aux termes de l'article 31(1), un sous-chef fait une recommandation, quels que soient les véritables motifs qui ont pu le pousser à le faire, on ne peut présenter de grief à cet égard en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, puisque l'article 31(3) envisage un appel de cette recommandation devant un comité qui est le seul organisme compétent pour décider si la recommandation est justifiée. Ce comité est le tribunal auquel le Parlement a conféré le pou- voir de décider s'il s'agit d'une recommandation bona fide justifiant le renvoi de l'employé pour des motifs d'incompétence ou d'incapacité et si l'on devrait donner suite à cette recommanda- tion. Il s'ensuit qu'à partir du moment le comité, siégeant en vertu de l'article 31(3), a conclu qu'un employé doit être renvoyé confor- mément à la recommandation du sous-chef, on ne peut présenter de grief ni renvoyer celui-ci à l'arbitrage à cet égard. En outre, lorsque la Commission de la Fonction publique renvoie un employé à la suite d'une décision de ce genre, on ne peut présenter de grief ni renvoyer celui-ci à l'arbitrage à cet égard. La cessation des fonctions de l'employé dans un tel cas découle automatiquement de la décision du comité d'appel que la Commission est tenue de suivre aux termes de la Loi. Un grief, présenté contre le renvoi d'un employé par la Commis sion, ne peut, dans ces circonstances-là, être soumis à l'arbitrage puisqu'il ne s'agit pas d'un grief concernant une question visée à l'article 91(1).
Pour ces motifs, je suis d'avis que la Commis sion des relations de travail dans la Fonction publique était fondée à décider que le grief présenté par le requérant ne pouvait faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage. L'unique recours du requérant contre la décision du comité d'appel qui a confirmé la recommandation du sous- ministre était de présenter une demande à cette cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Je dois ajouter toutefois qu'il ne s'ensuit pas nécessairement que si une telle demande avait été présentée et accueillie, l'ap- pelant se serait alors trouvé habilité à renvoyer son grief à l'arbitrage.
Par conséquent, je rejette la demande.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT y a souscrit.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
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