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T-3224-74
Fly by Nite Music Co. Limited, Paul Hoffert Limited et Two Saggitarians Limited, faisant affaire sous le nom et la raison sociale de Meadia- trix Publishing Company, GRT of Canada Lim ited, Skip and Paul Productions Limited et H.P. & Bell Management Limited (Demanderesses)
c.
Record Wherehouse Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney— Toronto, le 18 février; Ottawa, le 14 mars 1975.
Droit d'auteur—Violation—La défenderesse importe des États-Unis des albums pour les revendre au Canada—Les demanderesses sont-elles titulaires du droit d'auteur sur ces albums?—Y a-t-il eu violation du droit d'auteur?—Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, art. 2, 3, 4, 17 et 45.
Les disques sont visés dans la définition du mot «oeuvre», donnée à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur. Les violations, énumérées à l'article 17(4) de la Loi, s'appliquent à la distribution illégale au Canada de disques qui, quoique fabriqués et achetés légalement hors du Canada, ont été rayés des catalogues et écoulés à des prix de dumping sur le marché canadien. En outre, en ce qui concerne les violations prévues par la Loi, le droit d'auteur existe non seulement à l'égard des matrices, mais aussi à l'égard des disques. En vertu de l'article 4(3) de la Loi, le droit d'auteur existe à l'égard «d'organes à l'aide desquels des sons peuvent être reproduits mécanique- ment».
Arrêt approuvé: Albert c. Hoffnung & Company Limited (1921) 22 S.R.N.S.W. 75.
ACTION. AVOCATS:
B. H. Solomon pour les demanderesses. R. G. Slaght pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Bernard H. Solomon & Associés, Toronto, pour les demanderesses.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Cette action en violation de droit d'auteur découle du fait que la défende- resse a importé au Canada pour les y revendre un certain nombre d'albums de disques. Ces albums, intitulés: «Can you Feel It», exécutés par un groupe musical connu sous le nom de «Light-
house», consistait en un disque unique de douze pouces, 33 1 / 3 tours comprenant dix morceaux dif- férents. Ralph Cole avait composé les paroles et la musique de quatre de ces morceaux; Skip Prokop en avait composé cinq et Dale Hillary un. Cole, Prokop et Hillary avaient cédé tous leurs droits sur ces compositions musicales, pour tous pays, à la Meadiatrix Music et à la C.A.M.—U.S.A., Inc. contre redevances convenues.
La Meadiatrix Music est un autre nom de la Meadiatrix Publishing Company (ci-après dési- gnée «Meadiatrix»). La C.A.M.—U.S.A., Inc. est une autre société dont le seul objet est de poursui- vre aux États-Unis d'Amérique les activités de la Meadiatrix. Pour limiter la confusion qui, d'après moi, existe dans les faits et sacrifiant quelque peu la précision, je vais ci-après me référer simplement à la Meadiatrix quoique, strictement parlant, les opérations effectuées au Canada étaient traitées par la Meadiatrix elle-même, alors que celles effectuées aux États-Unis l'étaient par la C.A.M.—U.S.A., Inc., son prête-nom.
La Meadiatrix est la propriété des demanderes- ses Fly by Nite Music Co. Limited, Paul Hoffert Limited (ci-après appelées respectivement «Fly by Nite» et «Hoffert») et Two Saggitarians Limited; elle est le titulaire enregistré, au Canada et aux États-Unis, des droits d'auteur sur les paroles et la musique de tous les morceaux enregistrés dans l'album.
La Meadiatrix avait cédé à la défenderesse GRT of Canada Limited le droit de reproduction mécanique au Canada des oeuvres musicales fai- sant l'objet du droit d'auteur. La Meadiatrix avait cédé à la Polydor Incorporated (ci-après appelée «Polydor») le droit de reproduction mécanique de ces oeuvres [TRADUCTION] «aux Etats-Unis et dans ses territoires et possessions». Il ne pouvait s'agir de droits exclusifs en raison des dispositions prévoyant des licences obligatoires dans les lois du Canada et des États-Unis concernant le droit d'au- teur. Cependant, l'exécution par le groupe Light house des oeuvres protégées par le droit d'auteur était susceptible de contrats d'exclusivité.
Les demanderesses Skip and Paul Productions Limited et H.P. & Bell Management Limited (ci-après appelées respectivement «Skip and Paul» et «H.P. & Bell») appartiennent entièrement à la
Fly by Nite et à la Hoffert. La Skip and Paul avait passé des contrats de service avec les musiciens du groupe Lighthouse, lui conférant le droit exclusif de produire des disques des morceaux exécutés par le groupe Lighthouse. Elle avait cédé ce droit à la H.P. & Bell [TRADUCTION] «pour tous pays excepté le Canada». La Skip and Paul avait accordé à la demanderesse GRT of Canada Limi ted (ci-après appelée «GRT») le droit exclusif de fabriquer et de commercialiser les disques qu'elle produisait. La H.P. & Bell avait accordé à la Polydor le droit exclusif de fabriquer et de com- mercialiser les disques qu'elle produisait.
Ainsi la GRT avait, au Canada, le droit exclusif notamment de fabriquer, réaliser, vendre, diffuser les oeuvres protégées par le droit d'auteur et exécu- tées par Lighthouse; de faire des annonces et de la publicité, de passer des contrats de licence à leur sujet; d'en faire tout autre usage ou d'en disposer. La Polydor avait le même droit exclusif pour [TRADUCTION] «tous pays excepté le Canada». En vertu de son contrat, la Polydor avait l'entière liberté de retirer certaines oeuvres des nouvelles listes de disques qu'elle offrait sur le marché et n'avait aucune redevance à payer pour ces oeuvres.
En 1973, le groupe Lighthouse exécuta des oeuvres protégées par le droit d'auteur; la Skip and Paul et la H.P. & Bell en firent des disques mères ou matrices pour la production de disques et remi- rent un nombre convenu d'exemplaires de ces matrices à la GRT et à la Polydor qui se mirent à fabriquer des disques pour la vente. La GRT et la Polydor respectivement devaient commercialiser au Canada et ailleurs les disques ainsi fabriqués, dont l'album intitulé «Can You Feel It.»
Les disques de l'album fabriqués au Canada par la GRT et aux États-Unis par la Polydor sont identiques, ayant été produits à partir de matrices similaires. Les pochettes dans lesquelles les albums étaient présentés au public étaient identiques en tout point sauf un espace d'environ un pouce carré au coin inférieur droit des deux faces de la pochette. Dans ce rectangle de la pochette cana- dienne figurait le sténogramme de la GRT au-des- sus des chiffres 9230-1039; sur la pochette améri- caine, les lettres et les chiffres PO 5056 figuraient au-dessus du sténogramme de la Polydor.
L'album a été très bien accueilli sur le marché canadien; il paraît cependant que la Polydor peu après discontinua la fabrication de l'album. Dans son catalogue de l'été 1974, la Scorpio Music Distributors, une entreprise américaine spécialisée dans la vente en gros de disques de fin de série, offrait, au cours d'une liquidation en entrepôt de microsillons stéréo, l'album au prix de $1 (E.-U.) l'unité. Depuis la date de parution de l'album, pendant tout l'été de 1974 et jusqu'à la date de l'audition de cette action, la GRT avait maintenu ses prix de $3.67 aux concessionnaires et de $4.20 aux détaillants. Au Canada le prix de vente au détail suggéré était de $7.29 et l'est encore, mais la plupart des magasins l'ont toujours vendu à $5.99.
La défenderesse est un concessionnaire en gros de disques et de bandes magnétiques. A partir de son siège de Toronto, elle vend ces produits à travers le Canada en faisant principalement sa publicité par catalogue. Elle a aussi un point de vente au détail à Toronto. Le 10 juillet 1974 ou à une date voisine, la défenderesse a acheté un cer tain nombre de disques de la Scorpio Music Distri butors, comprenant 2,175 albums «Can You Feel It» au prix de $1 (É.-U.) l'unité. Elle les a importés au Canada en payant des droits de douane de 20 pour cent et la taxe fédérale de vente de 12 pour cent. Elle les a alors immédiatement exposés et mis en vente à $1.99 l'unité à son point de vente au détail et, par son catalogue et par d'autres moyens, elle les a offerts aux grossistes.
La défenderesse a vendu 110 albums en gros au prix de $1.55 l'unité et 159 au détail au prix de $1.99 l'unité. Depuis l'introduction de cette ins tance, elle a vendu les 1,906 albums restant à un acheteur en Belgique pour 50 cents l'unité. La facture est datée du 16 janvier 1975. Il est admis que la défenderesse n'a réalisé aucun profit sur ces transactions.
Le peu de succès de l'offre auprès des grossistes peut s'expliquer par le fait que ce n'était pas la première fois que des albums du groupe Light house étaient offerts au Canada à des prix de dumping, pour utiliser la terminologie des deman- deresses. En avril 1974 la Skip & Paul avait adressé la lettre suivante à quelque 300 détaillants et grossistes au Canada:
[TRADUCTION]
OBJET: IMPORTATION DES ÉTATS-UNIS D'ALBUMS DU GROUPE LIGHTHOUSE EN DUMPING OU DE FIN DE SÉRIE.
Récemment un grand nombre d'albums du groupe Lighthouse a été vendu à des prix de dumping aux États-Unis et importé au Canada. Nous sommes titulaires du droit d'auteur pour le Canada de ces compositions et toute personne, entreprise ou compagnie qui a offert en vente, vendu, diffusé ou importé. au Canada ces albums a violé notre droit d'auteur au Canada. Une telle violation, faite en connaissance de cause, constitue une infraction fédérale assimilable au trafic de produits de contre- bande ou contrefaits.
Jusqu'à présent les albums illicites en question comprennent «One Fine Morning», «Thoughts of Movin' On», «Lighthouse Live» et «Sunny Days», tous portant l'étiquette Evolution. Naturellement les albums portant les mêmes titres, sous l'éti- quette GRT sont réguliers.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, le groupe Ligh thouse ne peut survivre que dans la mesure nous percevons nos redevances sur les disques. Nous ne percevons aucune redevance sur les produits américains dont la fabrication est discontinuée ou qui sont écoulés en dumping. En outre la vente de ces albums gêne considérablement celle des albums cana- diens réguliers portant l'étiquette GRT. En conséquence la poursuite de la vente au Canada des produits américains écou- lés en dumping fait peser une menace sérieuse sur l'avenir du groupe Lighthouse.
Nous avons grandement apprécié l'excellent soutien que les disquaires étalagistes et les détaillants canadiens ont donné à nos albums GRT. Nous savons aussi que la majorité des disquaires a refusé de participer au commerce de ces produits illicites. Nous tenons à vous remercier de ce soutien. Cepen- dant, au cas des personnes physiques ou des entreprises canadiennes continueraient à vendre les produits du groupe Lighthouse sous l'étiquette Evolution, nous sommes disposés à intenter des poursuites judiciaires.
Nous espérons que vous continuerez à nous aider,' Sincèrement,
(signature) (signature)
Paul Hoff ert Bruce Bell
Au même moment, les disquaires et la grande presse étaient au courant du problème. Un article paru dans le numéro de juillet 1974 de Billboard, en parlait, de même que les numéros du RPM parus au cours du printemps et l'été 1974. Bill board est un journal spécialisé, publié aux États- Unis et largement diffusé au Canada. RPM est un journal spécialisé, publié au Canada. La défende- resse était au courant du problème et de la position de la Skip and Paul avant d'acheter les albums à la Scorpio.
' Antérieurement aux événements qui ont donné lieu à cette action, les demanderesses avaient résilié des contrats avec une autre compagnie américaine qui produisait des disques sous l'étiquette Evolution, et avaient passé l'accord avec la Polydor.
Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite le renvoi de l'affaire au registraire ou sous-registraire de la Cour pour l'évaluation des dommages. Avant l'audience, les avocats des parties ont convenu que les preuves à produire viseraient à établir la res- ponsabilité et les bases sur lesquelles les domma- ges-intérêts pourraient être accordés et non leur quantum. Il apparut en cours d'audience que, en raison de la complexité des accords passés entre les demanderesses et les divers mécanismes par les- quels elles reçoivent les redevances, l'évaluation des dommages-intérêts par toute autre personne que le juge de première instance se révélerait difficile. J'ai donc fait part de mon intention de m'occuper personnellement de cette question. Je n'ai donc pas l'intention, à ce stade, de traiter des preuves présentées à l'audience, visant principale- ment les dommages-intérêts.
Le véritable point litigieux en l'espèce porte sur la question de savoir si les demanderesses ou cer- taines d'entre elles sont titulaires d'un droit d'au- teur sur les 2,175 albums importés au Canada et si, partant, il y a eu violation de ce droit d'auteur.
C'est la loi qui a entièrement créé le droit d'auteur. La Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, prévoit que:
45. Personne ne peut revendiquer un droit d'auteur ou un droit similaire quelconque sur une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, autrement qu'en vertu et en conformité de la présente loi ou de tout autre statut en vigueur à l'époque; mais le présent article ne doit nullement être interprété comme abrogeant un droit ou une juridiction quelconque permettant d'interdire un abus de confiance.
En l'espèce, il n'est pas question d'abus de con- fiance et on n'a fait état d'aucun texte législatif autre que la Loi sur le droit d'auteur, qui, dans les circonstances actuelles, donnerait une action aux demanderesses contre la défenderesse.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d'auteur, susceptibles de créer un droit d'au- teur sur l'album et définissant ce droit d'auteur et sa violation:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'ceuvre n'est pas publiée, de publier l'oeuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra- duction de l'oeuvre;
b) s'il s'agit d'une oeuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramati- que, ou d'une œuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publi- que ou autrement;
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'eeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publique- ment l'ouvrage par cinématographie, si l'auteur a donné un caractère original à son ouvrage. Si ce caractère original fait défaut, la production cinématographique jouit de la protec tion accordée aux œuvres photographiques;
J) s'il s'agit d'une ouvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie;
le droit d'auteur comprend aussi le droit exclusif d'autoriser les actes mentionnés ci-dessus.
4. (1) Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artisti- que....
(3) Sous réserve du paragraphe (4), le droit d'auteur existe pendant le temps ci-après mentionné, à l'égard des empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l'aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement, comme si ces organes constituaient des œuvres musicales, littéraires ou dramatiques.
(4) Nonobstant le paragraphe 3(1) aux fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne, relativement à une empreinte, un rouleau perforé ou autre organe à l'aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement, le droit exclusif de reproduire un tel organe ou toute partie substantielle de celui-ci sous quelque forme matérielle que ce soit.
17. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur sur une ouvre, quiconque, sans le consentement du titulaire de ce droit, exécute un acte qu'en vertu de la présente loi seul ledit titulaire a la faculté d'exécuter.
(4) Est également considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur, quiconque
a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;
b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
c) expose commercialement en public; ou
d) importe pour la vente ou la location au Canada;
une ouvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada.
Je ne vois pas, d'après les preuves, que la demanderesse H.P. & Bell possède sur l'album des
droits découlant de la Loi sur le droit d'auteur. Ses droits, en ce qui concerne le fond de l'affaire, existent à l'étranger et elle doit demander ailleurs les réparations auxquelles elle peut prétendre. Cependant je ne vois pas que sa présence en tant que demanderesse affecte, d'une manière quelcon- que, la position de la défenderesse. L'action de la H.P. & Bell est donc rejetée sans frais.
En ce qui concerne les autres demanderesses, l'article 4(3) de la Loi déclare carrément qu'il existe un droit d'auteur sur l'album. D'après les preuves, chacune d'elles, d'une façon ou d'une autre, est titulaire d'une partie de ce droit d'auteur.
Bien que ces demanderesses aient effectivement un droit d'auteur sur les albums, le seul droit exclusif que la Loi leur reconnaisse, en vertu de l'article 4(4), est le droit de reproduire l'album. Ce n'est pas ce que la défenderesse a fait ou essayé de faire et, ainsi, il n'y a pas eu violation du droit d'auteur telle que l'envisage l'article 17(1).
La défenderesse soutient en outre que les albums ne constituent pas des «oeuvres» et qu'il n'y a donc pas eu violation du droit d'auteur telle que l'envisage l'article 17(4). Le mot «oeuvre» n'est pas à proprement parler défini dans la Loi qui prévoit seulement:
2. Dans la présente loi
«oeuvre» comprend le titre de l'o: uvre lorsque ce titre est original et distinctif;
Je reconnais, avec la défenderesse, qu'un disque phonographique, qui n'est rien d'autre qu'un organe permettant la reproduction mécanique de sons, ne répond pas très bien à la définition du mot «oeuvre» dans le langage courant. Néanmoins, sa signification doit être déterminée d'après le con- texte de la loi. Je conclus que le mot «oeuvre» employé dans la Loi sur le droit d'auteur englobe toute chose au sujet de laquelle la Loi déclare qu'il y aura droit d'auteur, que cette chose soit une production artistique ou un produit de manufac ture ou de technologie. S'il en était autrement, il en résulterait que la Loi déclarerait qu'il existe un droit d'auteur sur une chose donnée mais qu'il ne serait pas susceptible de violation quelles que soient les circonstances, en raison d l'emploi du mot «oeuvre» dans les articles 17 et 19.
Le début de l'article 3(1) précise clairement que, pour les fins de la Loi, une conférence est une œuvre. On peut pareillement noter qu'à l'article 18 de la Loi, le législateur a cru nécessaire d'intro- duire une disposition spéciale pour écarter la viola tion du droit d'auteur en matière de discours poli- tiques en public: un tel discours ne serait vraisemblablement pas qualifié d'«oeuvre» dans le langage courant.
La défenderesse soutient aussi que, les albums n'étant pas des matrices aux moyens desquelles on pouvait reproduire les disques, il n'y a pas eu violation telle que l'envisage l'article 17(4). Cet argument se fonde sur l'idée que les violations énumérées à l'article 17(4) ne visent que les moyens qui pourraient être utilisés pour porter atteinte au droit d'auteur, puisque le seul droit exclusif de titulaire d'un droit d'auteur sur un disque se résume au droit de le reproduire ou d'en reproduire une partie importante. Le simple libellé de la Loi amène à une conclusion contraire.
L'article 4(3) déclare que le droit d'auteur existe à l'égard d'«organes à l'aide desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement». Une interprétation raisonnable de cet article ne saurait limiter le droit d'auteur aux moyens par lesquels les organes peuvent être fabriqués. Le droit d'au- teur existe à l'égard des disques et pas seulement à l'égard des matrices. Ensuite l'article 4(4) précise en quoi consistent les droits exclusifs du titulaire de ce droit d'auteur et l'article 17(1) déclare que, si une autre personne exécute les actes que seul le titulaire a le droit exclusif d'exécuter, il y a viola tion du droit d'auteur. L'article 17(4) énumère les circonstances, outre celles prévues à l'article 17(1), dans lesquelles on est considéré avoir porté atteinte au droit d'auteur.
La défenderesse, agissant en connaissance de cause comme l'exige l'article, a porté atteinte au droit d'auteur des demanderesses de la manière prévue aux alinéas a), c) et d) de l'article 17(4).
Enfin, le fait que les albums aient été légalement fabriqués et achetés hors du Canada ne constitue pas une défense valable dans une action en viola tion de droit d'auteur fondée sur l'article 17(4). L'arrêt australien Albert c. S. Hoffnung & Com-
pany Limited 2 a traité de ce point précis, dans des
circonstances identiques. Dans cette affaire, on avait importé et vendu en Australie des disques fabriqués et achetés légalement en Angleterre. Le texte législatif applicable était le British Copyright
Acta de 1911, qui avait été adopté en Australie.' Je ne trouve aucune différence notable entre les
dispositions applicables de l'actuelle Loi cana- dienne et la Loi britannique alors en vigueur en Australie. Le savant juge déclarait à la page 80:
[TRADUCTION] La fabrication de ces disques en Australie constituerait, à mon avis, une violation du droit d'auteur sauf si la demanderesse en avait été avisée et si on lui avait payé des redevances. Je ne trouve aucune mention dans la Loi prévoyant que les disques légalement fabriqués dans une partie de l'Em- pire britannique peuvent être vendus dans le commerce ou importés pour la vente dans toutes les parties de l'Empire qui ont adopté la Loi sur le droit d'auteur. Quoique la compagnie défenderesse ait pu, d'une manière tout à fait légale, acheter ces disques en Angleterre ... il ne s'ensuit nullement qu'elle peut les faire venir en Australie; de même, il ne s'ensuivrait pas que, pouvant légalement acheter des disques fabriqués dans un pays étranger, elle pourrait les importer en Australie.
Les demanderesses, sauf la H.P. & Bell, ont droit au jugement déclaratoire et à l'injonction qu'elles ont réclamés dans leur déclaration. Elles peuvent demander la fixation de la date et du lieu pour le renvoi relatif aux dommages. Les deman- deresses ont droit à la récupération de leurs frais et une ordonnance sera rendue à ce sujet, après l'éva- luation des dommages. Les demanderesses peuvent présenter une requête pour que jugement soit rendu en conséquence.
2 (1922) 22 S.R.N.S.W. 75, décision du juge Harvey de la
Cour suprême des Nouvelles Galles du Sud.
3 1-2 Geo V, c. 46.
4 The Copyright Act, 1912; Australia, Commonwealth Acts,
Vol XI, 20, article 8.
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