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A-647-75
In re le Conseil de la Radio-Télévision canadienne et in re la London Cable TV Limited
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Heald —Ottawa, les 7, 8 et 9 avril 1976.
Examen judiciaire et appel—Radiodiffusion—Décision du CRTC permettant à une compagnie de télévision par câble de modifier sa licence—Les requérantes, intervenantes à l'audi- tion publique, font valoir qu'elles n'étaient pas autorisées à examiner certains documents ou à contre-interroger les témoins à l'audition—Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 19 et 26.
Le CRTC a approuvé une modification à la licence de la London Cable TV Limited afin de l'autoriser notamment à demander $6 par mois en échange de son «service de base». Les requérantes, intervenantes à l'audition publique sur la modifi cation proposée, ont fait valoir que le Conseil ne les a pas autorisées à examiner certains documents, avant ou pendant l'audition, et leur a refusé l'autorisation de contre-interroger des témoins à cette audition.
Arrêt: la décision est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen après que l'on aura satisfait aux exigences de l'article 19 de la Loi sur la radiodiffusion. Le refus d'autoriser le contre-interrogatoire n'a pas privé les requérantes de l'exer- cice des droits que leur accorde la Loi à titre de membres du «public». Le refus de communiquer certains «documents du personnel» n'était pas non plus irrégulier. Quant au refus de communiquer les états financiers et les prévisions soumis au Conseil, à sa demande, il n'est pas nécessaire de déterminer si ce refus de communiquer ces documents constituait une viola tion des règles de justice naturelle ou des règles de procédure du Conseil. En effet, la tenue d'une audition publique consti- tuait, en vertu de l'article 19(2), une condition essentielle à la validité de la modification. Ce que la Loi envisage, c'est une véritable audition qui a pour but d'aider le Conseil à arriver à une conclusion qui tienne compte de l'intérêt public de même que des intérêts du titulaire de la licence. Les requérantes, en qualité de membres du public, n'ont pas eu la possibilité de connaître la portée de la demande. En refusant non seulement d'inclure les états financiers et les prévisions dans son avis d'audition mais aussi de les communiquer à la demande du public, le Conseil a négligé de prendre une mesure qui consti- tuait une condition essentielle à la tenue de l'audition publique prévue à l'article 19. Cette audition étant elle-même une condi tion essentielle à la validité de l'ordonnance en litige, cette dernière doit être annulée.
Arrêts examinés: Le procureur général du Manitoba c. L'Office national de l'énergie [1974] 2 C.F. 502; In re Capital Cities Communications Inc. [1975] C.F. 18 et M.R.N. c. Wrights' Canadian Ropes, Limited [1947] A.C. 109.
EXAMEN judiciaire et appel. AVOCATS:
A. J. Roman pour la requérante.
C. C. Johnston pour l'intimé.
R. J. Wright, c.r., pour l'intervenante.
PROCUREURS:
Andrew J. Roman, Ottawa, pour la requérante.
C. C. Johnston, chef du contentieux, CRTC, pour l'intimé.
Lang, Michener, Cranston, Farquharson & Wright, Toronto, pour l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN ChEF JACKETT: Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion et d'une demande présentée en vertu de l'article 28, deux procédures réunies en une seule conformément à la Règle 1314 et qui se rapportent à une décision du Conseil de la Radio- Télévision canadienne' (75-513) datée du 28 octo- bre 1975, dans laquelle une demande produite par la London Cable TV Limited 2 en vue de modifier entre autres sa licence de télévision par câble afin de l'autoriser à demander $6 par mois en échange de son [TRADUCTION] «service de base» a été approuvée 3 par le Conseil.
Les requérantes étaient intervenantes au cours d'une «audition publique» tenue à titre de condition essentielle à l'octroi de cette modification, comme l'exige l'article 19(2) de la Loi sur la radiodiffu- sion 4 . Elles ont contesté la décision du Conseil parce que
Maintenant remplacé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Voir le Bill C-5 de la session 1975-1976, proclamé le ler avril 1976.
2 Actuellement fusionnée avec d'autres compagnies pour constituer la Canadian Cablesystems (Ontario) Limited.
3 Le pouvoir qu'a le Conseil d'attribuer des licences de télévi- sion par câble a été reconnu par la Cour suite à une demande présentée par Capital Cities Communications Inc. [1975] C.F. 18. On n'a soulevé aucune question en l'espèce quant à la compétence du Conseil d'insérer dans une licence de cette nature une condition relative aux frais de service, et la Cour n'a donc pas à trancher ce point pour les fins de la présente procédure.
4 Voici le libellé de l'article 19(1) et (2):
19. (1) Le Conseil doit tenir une audition publique
a) à propos de l'attribution d'une licence de radiodiffusion autre qu'une licence d'exploitation temporaire d'un réseau; ou
a) celui-ci ne les a pas autorisées à examiner certains documents soit avant soit pendant l'au- dition, et
b) qu'il leur a refusé l'autorisation de contre- interroger les témoins au cours de l'audition.
A mon avis, le refus du Conseil d'autoriser le contre-interrogatoire n'a pas, en l'espèce, privé les requérantes de l'exercice des droits que leur accorde la Loi à titre de membres du «public». La même remarque s'applique au sujet du refus de communiquer certains documents désignés sous le nom de [TRADUCTION] «documents du personnel».
Reste à étudier les conséquences sur la validité de l'ordonnance contestée du refus de communi- quer aux requérantes les états financiers vérifiés de la titulaire de la licence et les projections portant sur les revenus escomptés au tarif préexistant ($5 par mois) et au tarif projeté ($6 par mois); le Conseil avait demandé que ces documents lui soient présentés à l'appui de la demande de la titulaire de la licence avant l'ouverture de l'«audi- tion, publique».
On a contesté l'octroi de la modification au motif que le refus de communiquer les documents susmentionnés constituait une violation de la règle fondamentale de justice naturelle selon laquelle, de prime abord, une autorité créée par la loi ne doit rendre aucune décision ou ordonnance contre une personne sans lui accorder au préalable la possibi- lité de se défendre. Les requérantes, à titre d'abon- nées ou de représentantes des abonnés au système de câble ici en cause, ont essayé de se placer dans le champ d'application de cette règle. Je ne juge pas nécessaire d'émettre une opinion sur la ques-
b) lorsque le Conseil ou le comité de direction sont saisis de l'examen de l'annulation ou de la suspension d'une licence de radiodiffusion.
(2) Le Conseil doit tenir une audition publique si le comité de direction est convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une telle audition, au sujet
a) de la modification d'une licence de radiodiffusion;
b) de l'attribution d'une licence d'exploitation temporaire d'un réseau; ou
c) de la plainte d'une personne relativement à toute ques tion relevant des pouvoirs du Conseil.
Chaque demande visée par l'article 19(1) doit obligatoirement faire l'objet d'une audience publique; de plus, j'estime qu'il faut également en tenir une dans chaque cas relevant de l'article 19(2) si le comité de direction juge qu'ail serait dans l'intérêt public de tenir une telle audition.»
tion de savoir si les requérantes peuvent se préva- loir de cette règle puisque j'en suis venu à une conclusion qui leur est favorable en me fondant sur un autre motif que je vais bientôt énoncer. Pour la même raison, je n'estime pas nécessaire de me prononcer sur la question de savoir si le refus de communiquer ces documents constituait une viola tion des propres règles de procédure du Conseil donnant aux requérantes le droit d'obtenir une ordonnance d'invalidation.
A mon avis, la tenue d'une audition «publique» portant sur l'ordonnance modificatrice contestée constituait, en vertu de l'article 19(2), une condi tion essentielle à sa validité. Selon moi, en requé- rant une «audition publique», la Loi exigeait pour le moins une audition au cours de laquelle, sous réserve des règles de procédure du Conseil et de la compétence qui lui appartient de contrôler ses propres procédures, chaque personne pourrait «soulever devant» le Conseil tout point pertinent à l'objet de l'audition de façon à garantir, en autant que possible, que toute question qui pourrait à: bon droit être prise en considération soit présentée au Conseil ou à son comité de direction lorsque l'un ou l'autre statuerait sur la demande de modifica tions. J'estime qu'une audition publique exige que certaines dispositions soient prises en temps utile, c'est-à-dire que l'on fournisse au public la possibi- lité de connaître l'objet de l'audition et ses consé- quences à son égard tout en lui laissant le temps de décider s'il exercera - ou non son droit légal de représentation et la possibilité de s'y préparer, le cas échéant. En d'autres termes, ce que la Loi envisage, à mon avis, c'est une véritable audition
5 Comparer avec Le procureur général du Manitoba c. L'Of- fice national de l'énergie [1974] 2 C.F. 502, le juge Cattanach, aux pages 518 et 519.
Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s'il y avait d'autres raisons d'annuler l'ordonnance contestée. Par exemple, je n'émets aucune opinion sur la question de savoir si on envisageait une audition au cours de laquelle serait constitué un dossier sur lequel on devrait se fonder pour trancher l'affaire (en pareil cas, d'après le raisonnement suivi dans l'arrêt M.R.N. c. Wrights' Canadian Ropes, Limited [1947] A.C. 109, la présente procédure serait probablement accueillie; je ne formule aucune opinion sur la question de savoir si on avait en vue une audition au cours de laquelle chaque intervenant jouirait des droits qui découlent des règles de justice naturelle à l'égard des parties contre qui on a l'intention de rendre ou de refuser une ordonnance (en ce cas aussi, la présente procédure serait probablement accueillie.)
qui aurait pour but d'aider le Conseil ou son comité de direction à arriver à une conclusion qui tienne compte de l'intérêt public de même que de l'intérêt privé de la titulaire de la licence; la Loi ne prévoit pas la tenue d'une assemblée publique quiconque aurait simplement l'occasion de [TRA- DUCTION] «dire sa façon de penser».
En l'espèce, il me semble évident, après avoir étudié l'«affaire» et considéré le plaidoyer présenté en cette cour, que les requérantes, en qualité de membres du public, n'ont pas eu la possibilité de connaître la portée de la demande 6 . Le refus de leur fournir les états financiers et les projections en question—et l'omission de leur communiquer, par quelque autre moyen, les faits essentiels pertinents à l'augmentation de tarif projetée—a laissé le public, y compris les requérantes, dans la situation prévenu que la titulaire de la licence demandait la permission d'augmenter ses tarifs, il n'avait pas la possibilité de se former une opinion motivée sur le bien-fondé de cette augmentation dans les cir- constances ni l'occasion de se préparer à présenter sa position au cours de l'audition s'il concluait que cette augmentation n'était pas justifiée.
[ Le Conseil, en omettant d'inclure cette docu mentation de base dans son avis relatif à l'«audi- tion publique» prévue par la Loi et en refusant de la communiquer même à la demande des person- nes intéressées, a selon moi négligé de prendre une mesure qui, dans les circonstances de l'espèce, constituait une condition essentielle à la tenue de l'«audition publique» prévue à l'article 19; ' cette audition étant elle-même une condition essentielle à la validité de l'ordonnance contestée, je suis d'avis que cette dernière doit être annulée'. li
6 Le genre de documentation, s'il en est, nécessaire à la tenue d'une véritable «audition publique», voilà ce qui, de toute évidence, variera selon les circonstances.
Naturellement, si la titulaire de la licence n'a pas au préalable fourni cette documentation au Conseil, celui-ci ne peut pas l'avoir communiquée au public. Néanmoins, à ce qu'il me semble, une certaine documentation de base doit être présentée au Conseil avant que celui-ci ait, au premier abord, à considérer une affaire qui se rapporte à une augmentation de tarifs.
Je suis d'avis que la décision rendue par le Conseil de la Radio-Télévision canadienne (ou son comité de direction) le 28 octobre 1975 (75-513), décision qui permettait à London Cable TV Limi ted de modifier sa licence de télévision par câble, soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour nouvel examen après que l'on ait satisfait aux exigences de l'article 19 de la Loi sur la radiodiffusion.
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LE JUGE PRATTE y a souscrit.
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LE JUGE HEALD y a souscrit.
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