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T-2600-75
Sudden Valley, Inc. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy— Vancouver, le 30 mars; Ottawa, le 22 avril 1976.
Impôt sur le revenu—Non-résidents—Demanderesse ven- dant des terrains aux E.-U—S'efforçant d'inciter les Cana- diens à visiter l'emplacement aux E.-U.—Offres faites et acceptées et dépôts versés uniquement aux E.-U—La deman- deresse a été imposée en tant que compagnie située à l'étranger et recevant des revenus de résidents canadiens consistant en intérêts payables sur le solde du prix d'achat de terrains américains vendus à des résidents canadiens—Exploitait-elle une entreprise au Canada?—Peut-on raisonnablement attri- buer les intérêts au commerce de vente de terrains?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 2(2)b) mod. 1970-71-72, c. 63, art. 2(3)b), 253b).
La demanderesse vendait des terrains aux États-Unis et, pour essayer d'intéresser les Canadiens à l'ensemble résidentiel, elle exerçait à Vancouver ses activités, qui se limitaient à concevoir et à employer divers moyens pour inciter les Canadiens à visiter l'emplacement américain. La demanderesse ne possédait pas de permis pour vendre des immeubles au Canada et aucune offre ni aucune vente n'y a été réalisée. Après l'achat d'un lot par un Canadien, les paiements devaient être faits en devises américai- nes, et personne au Canada n'était autorisé à accepter un paiement quelconque pour le compte de la demanderesse, sauf dans l'intention de le lui faire parvenir aux É.-U. La demande- resse qui n'avait fait aucun bénéfice au cours des années en cause, a prétendu qu'elle était imposable comme une compa- gnie exploitant effectivement une entreprise au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté. La demanderesse n'exploitait pas une entreprise au Canada. Il ne suffit pas d'obtenir des com- mandes dans une circonscription juridique pour y exercer un commerce, si les ventes sont faites par la suite à l'extérieur de ladite circonscription. En l'absence de toute autre preuve éta- blissant qu'un commerce est exercé dans une circonscription donnée, l'endroit l'on passe les contrats constitue un élément concluant. La Loi sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique est inapplicable puis- qu'elle s'appliquerait seulement si la demanderesse exploitait une entreprise au Canada, ou si elle recevait des profits prove- nant d'entreprises industrielles ou commerciales au Canada. Alors que l'article 253b) de la Loi de l'impôt sur le revenu modifie dans une certaine mesure la common law, on ne peut pas dire, pour déterminer si la demanderesse «sollicitait des commandes» au Canada, que cette expression signifie «une simple invitation à faire du commerce». Le fait de solliciter des commandes implique la recherche de clients et ce, dans les limites de la circonscription juridique; on doit donner au verbe «offrir» mentionné dans cet article le sens qu'il a ordinairement dans le droit des obligations contractuelles et plus particulière- ment si l'on considère qu'en common law, cette question est fondée entièrement sur l'existence d'un contrat qui engage les parties, et que l'article 253b) avait pour but de modifier la
common , law antérieure de façon à ce qu'il ne soit pas néces- saire de passer le contrat dans les limites de la circonscription juridique. Aucune offre n'a été obtenue, aucun effort n'a été fait pour en obtenir, et rien n'a été mis en vente au Canada par un mandataire ou autrement. Les activités de la demanderesse au Canada n'ont produit aucun revenu canadien et les paie- ments en question sont assurément beaucoup trop étrangers aux opérations canadiennes.
Arrêts appliqués: Grainger and Son c. Gough (1890-98) 3 T.C. 462; Geigy (Canada) Ltd. c. Commissioner, Social Services Tax [1969] C.T.C. 79. Arrêt discuté: Partridge c. Crittenden [1968] 2 All E.R. 421.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
W. J. A. Mitchell pour la demanderesse. W Hohmann pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe et Davidson, Vancouver, pour la demanderesse. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: La demanderesse, compagnie américaine, a été imposée pour les années 1969 à 1972 inclusivement en vertu de la Partie III de la Loi de l'impôt sur le revenu' (ci-après appelée la «loi antérieure») et, ultérieurement, en vertu de la Partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu 2 (ci-après appelée la «nouvelle loi»), en tant que compagnie située à l'étranger et recevant des reve- nus de résidents canadiens. En vertu des disposi tions susmentionnées, 15% du revenu a été déduit à la source sur les sommes qui lui furent payées par les résidents canadiens. Le revenu en question consistait en intérêts payables sur le solde du prix d'achat de terrains achetés à la compagnie deman- deresse par des résidents canadiens, ou en intérêts payables sur le solde du prix d'achat original res- tant encore à verser sur des terrains revendus à des résidents canadiens par les premiers acquéreurs.
La compagnie, qui n'avait fait aucun profit au cours des années en question, prétend qu'elle est imposable et devrait être imposée comme une com- pagnie ayant effectivement exploité une entreprise au Canada et, en conséquence, soumise à l'impôt
' S.R.C. 1952, c. 148.
2 S.C. 1970-71-72, c. 63.
conformément à l'alinéa b) du paragraphe (2) de l'article 2 de la loi antérieure et de l'alinéa b) du paragraphe (3) de l'article 2 de la nouvelle loi. Elle allègue que l'intérêt payable sur les soldes en souffrance constitue du revenu provenant d'une entreprise engagée dans la vente de terrains et qu'elle est imposable en vertu de la Partie I et non de la Partie III de la loi antérieure et de la Partie I et non de la Partie XIII de la nouvelle loi.
Les faits sont clairs et ils ne sont pas contestés. La demanderesse exploitait une entreprise de vente de terrains à Sudden Valley, dans l'état de Wash- ington, à environ 60 milles au sud de Vancouver (C.-B.). La compagnie avait acheté environ 2,000 acres de terrain à Sudden Valley et elle s'était occupée de les améliorer, de les subdiviser et de les vendre en lots dans le cadre d'un important projet d'ensemble résidentiel et récréatif. Au début, la plupart des lots furent vendus à des acheteurs de la région de Seattle. Cependant, au printemps de 1970, la fermeture imprévue d'une grande indus- trie de la région et le très haut niveau de chômage qui s'ensuivit provoquèrent l'affaissement du marché immobilier, au point de le paralyser pres- que entièrement. En conséquence, la compagnie s'intéressa au marché de Vancouver.
Elle loua des bureaux à Vancouver et engagea des téléphonistes dont les principales fonctions consistaient à se mettre en relation avec différentes personnes dans la région de Vancouver pour orga niser des réunions avec dîner et autres rencontres sociales. Ces réunions avaient pour but, principale- ment, d'inciter les canadiens vivant dans la région à visiter Sudden Valley pour se rendre compte et, si possible, s'intéresser aux nombreuses possibilités récréatives qu'offrait la région aux personnes dési- reuses d'y acheter des terrains.
Pour atteindre ce but, la demanderesse fit aussi constituer en corporation une compagnie cana- dienne; de plus, elle fit affaire par l'intermédiaire de compagnies affiliées et de filiales américaines et, en certains cas, de courtiers et autres agents dans l'immobilier à Vancouver.
La demanderesse ne possédait pas de permis pour vendre des immeubles au Canada et la preuve établit clairement qu'en fait, aucune vente n'y fut effectuée. Il n'existait non plus aucune preuve d'une offre d'achat obligatoire en droit ayant été
faite à un moment quelconque au Canada. Il est évident que les opérations dans la région de Van- couver se limitaient à concevoir et à employer diverses méthodes et moyens pour inciter les cana- diens à visiter le projet de Sudden Valley, dans l'état de Washington, ils seraient sollicités pour acheter des terrains. A cet endroit, des canadiens firent des offres qui furent acceptées et versèrent des dépôts. Aucun mandataire ou représentant au Canada n'était autorisé à accepter une offre ou à s'engager au nom de la demanderesse. La campa- gne de publicité au Canada, qui coûta environ un million de dollars, eut un succès considérable, car à peu près 70 à 75 pour cent des terrains initiale- ment vendus aux premiers acheteurs par la deman- deresse, allèrent à des résidents canadiens de la région de Vancouver.
La publicité n'offrait pas des terrains en vente, mais invitait seulement les canadiens à admirer les beautés de Sudden Valley, située à si peu de distance et si facile d'accès de Vancouver. On donnait aux personnes un laissez-passer qui leur permettait de visiter l'ensemble résidentiel de Sudden Valley.
Quant aux paiements effectués par les résidents canadiens après l'achat d'un lot, il fallait qu'ils soient faits en devises américaines, et personne au Canada n'était autorisé à accepter un paiement quelconque pour le compte de la demanderesse, sauf dans l'intention de le lui faire parvenir aux États-Unis.
Pour ce qui a trait aux paiements des intérêts, si la demanderesse exploitait une entreprise engagée dans la vente d'immeubles au Canada, je suis alors d'avis que le paiement de ces intérêts, sur le solde du prix d'achat de tout terrain ainsi vendu, pour- rait être, de toute évidence, raisonnablement consi- déré comme du revenu provenant de l'exploitation d'une telle entreprise. Cette question peut en con- séquence être ramenée à l'alternative suivante: ou bien la demanderesse exploitait une entreprise engagée dans la vente d'immeubles au Canada, ou bien elle exploitait une entreprise au Canada à laquelle on peut raisonnablement imputer le paie- ment de tels intérêts.
Selon la common law, il apparaît très clairement que la demanderesse n'exploitait pas d'entreprise au Canada, car pour exercer un commerce dans
une circonscription juridique, il ne suffit pas d'y obtenir des commandes, si les ventes sont faites éventuellement à l'extérieur de ladite circonscrip- tion (voir Grainger and Son c. Gough (Surveyor of Taxes) 3 ). En l'absence de toute autre preuve selon laquelle une personne exerçait un commerce dans un endroit donné, l'endroit l'on passe les con- trats constitue un élément concluant (voir Geigy (Canada) Ltd. c. Commissioner, Social Services Tax 4 ) .
Les avocats des deux parties ont convenu qu'il n'y avait pas vraiment à tenir compte, en l'espèce, de la Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les É tats-Unis d'Amé- riques puisqu'elle est applicable seulement si la demanderesse exploitait une entreprise au Canada, ou si elle recevait des profits provenant d'entrepri- ses industrielles ou commerciales au Canada. L'alinéa b) de l'article 253 de la nouvelle loi modifie dans une certaine mesure la common law, et il s'agit de savoir si les faits, dans la présente cause, tombent sous le coup des dispositions de cet article, qui se lit comme suit:
253. Lorsque, dans une année d'imposition, une personne non résidante a
b) sollicité des commandes ou offert en vente quoi que ce soit au Canada par l'entremise d'un mandataire ou préposé, que le contrat ou l'opération ait être parachevée au Canada ou hors du Canada, ou en partie au Canada et en partie hors du Canada,
elle est réputée, aux fins de la présente loi, avoir exploité une entreprise au Canada pendant l'année.
[Le texte de cet article, tel qu'il existait en 1969 et en 1970, était identique au même article dans la nouvelle loi.]
En réfléchissant à la question de savoir si la demanderesse [TRADUCTION] «sollicitait des com- mandes» au Canada, je ne pense pas que cette expression puisse aussi signifier [TRADUCTION] «une simple invitation à quelqu'un à faire du com merce.» Le fait de solliciter des commandes impli- que la recherche de clients et ce, dans les limites de la circonscription juridique; à mon avis, on doit donner au verbe «offrir» le sens qu'il a ordinaire- ment dans le droit des obligations contractuelles, c'est-à-dire, celui d'une offre obligatoire laquelle,
(1890-98) 3 T.C. 462 à 465, 466 et 467.
4 [1969] C.T.C. 79 84.
' S.C. 1943-44, 7-8 Geo. VI, c. 21.
si elle est acceptée, constituerait un contrat entre l'offrant et la personne à qui l'offre est faite. Cela devient d'autant plus évident lorsqu'on considère qu'en common law cette question est fondée entiè- rement sur l'existence d'un contrat qui engage les parties et que cet article avait pour but de modifier la common law antérieure de façon à ce qu'il ne soit pas nécessaire de passer le contrat dans les limites de la circonscription juridique (voir Par tridge c. Crittenden 6 ). En consultant brièvement la preuve dans cette cause, preuve que j'ai résumée ci-dessus, il devient tout à fait clair qu'aucune offre n'a été obtenue et qu'aucun effort n'a été fait pour en obtenir au Canada; il est également clair que rien n'a été mis en vente au Canada, soit par un mandataire ou autrement. En conséquence, il faut conclure que la demanderesse n'exerçait pas le commerce de la vente d'immeubles au Canada, même en tenant compte du sens élargi que donne à ce terme l'alinéa b) de l'article 253.
Les seules activités qu'exerçait la demanderesse au Canada consistaient à inciter les canadiens à visiter Sudden Valley, dans l'espoir que certains se décident éventuellement à y acheter une propriété. Cette activité commerciale ne produisit aucun revenu canadien et le paiement des intérêts, en vertu des ententes provenant du commerce d'im- meubles de la demanderesse aux États-Unis, est assurément beaucoup trop éloignée des opérations canadiennes.
L'appel de la demanderesse doit donc être rejeté avec dépens.
6 [1968] 2 A11 E.R. 421 à 423 et 424.
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