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A-215-74
Halocarbon (Ontario) Limited (Appelante) c.
Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft, vormals Meister Lucius & Bruning (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Heald et Urie—Toronto, les 27, 28 et 29 avril 1976.
Brevets—Contrefaçon---L'action contre la compagnie cana- dienne important et utilisant de l'isohalothane est accueillie— L'action contre les compagnies canadienne et américaine, rela- tivement à la production d'halothane par la compagnie cana- dienne est rejetée—L'exigence relative à l'..esprit inventif» n'est pas satisfaite—L'appel est accueilli.
L'intimée, une compagnie allemande, détentrice d'un brevet canadien, a intenté une action en contrefaçon de deux procédés de fabrication contre une compagnie canadienne (l'appelante) et une compagnie américaine. La Division de première instance [[1974] 2 C.F. 266] a donné gain de cause à l'intimée contre l'appelante dans l'action en contrefaçon de la revendication 10 (isohalothane). L'appelante a été jugée responsable parce qu'elle a importé au Canada et y a utilisé un produit fabriqué ailleurs, mais selon un procédé constituant une contrefaçon des brevets de l'intimée. Cependant, en ce qui concerne la compa- gnie américaine (Halocarbon Products Corporation), l'intimée n'a pas su démontrer que cette compagnie était à l'origine, directement ou par ses ordres, de l'acte dommageable en ques tion. En ce qui concerne la revendication 2 (halothane), l'action a été rejetée au motif que l'invention décrite dans cette revendi- cation, compte tenu des publications antérieures, manquait d'esprit inventif. L'appelante a interjeté appel du jugement prononcé à son encontre pour contrefaçon de la revendication 10 (isohalothane) et l'intimée a introduit un appel incident portant sur la partie du jugement aux termes de laquelle étaient rejetées une action intentée contre l'appelante pour contrefaçon de la revendication 2 (halothane) et une action en contrefaçon des deux revendications, intentée contre Halocarbon Products Corporation (la deuxième défenderesse en première instance).
Arrêt: l'appel est accueilli et l'appel incident est rejeté; il n'est pas nécessaire de nous prononcer sur la rectitude du raisonnement suivi par le juge de première instance, sauf à l'égard de la conclusion formulée sous le titre «Caractère manifeste ou défaut d'invention» relativement au brevet portant sur l'isohalothane. L'«esprit inventif» constitue l'un des attributs essentiels de la «brevetabilité». La seule question litigieuse en l'espèce consiste à déterminer si la réaction en «phase liquide» de ce procédé de fabrication d'isohalothane (revendication 10) était le fruit d'un «esprit inventif». Il est bien établi qu'en 1954, on a découvert qu'il était possible de faire réagir le même «monomère» avec le même bromure pour obtenir le même produit; on ne précisait cependant aucune des deux phases— «liquide» ou «gazeuse». Cette révélation décrit avec une telle précision le «procédé» de fabrication que le fait de découvrir que la réaction peut se produire en «phase liquide» ne révèle aucun «esprit inventif». La revendication en l'espèce ne satisfait pas à
l'exigence relative à l'«esprit inventif» puisque l'«état de la technique» révélait l'existence d'un procédé de fabrication et que le prétendu inventeur n'a que vérifié si ce procédé pouvait être expérimenté avec succès.
Arrêt appliqué: Le commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft [1964] R.C.S. 49.
APPEL. AVOCATS:
D. F. Sim, c.r., et R. T. Hughes pour
l'appelante.
D. M. Rogers, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'appelante.
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel interjeté par l'appelante (l'une des deux défende- resses devant la Division de première instance) d'un jugement prononcé à son encontre pour con- trefaçon de la revendication 10 d'un brevet (le brevet canadien 692,039) et d'un appel incident portant sur la partie du jugement aux termes de laquelle étaient rejetées une action intentée contre l'appelante pour contrefaçon de la revendication 2 d'un autre brevet (le brevet canadien 652,239) et une action en contrefaçon des deux revendications, intentée contre une deuxième défenderesse.
Après avoir entendu les avocats des deux parties au sujet de l'invalidité de la revendication 10 du brevet 692,039 en raison d'antériorité ou de défaut d'«esprit inventif», nous avons décidé d'accueillir l'appel.
Suite à l'audition des avocats de l'intimée sur la question de savoir s'il y avait lieu de modifier le jugement par l'appel incident, nous avons conclu, sans demander à l'avocat de l'appelante de plaider sur ce point, de rejeter l'appel incident. Nous n'étions pas convaincus que le savant juge de première instance avait commis une erreur en jugeant la revendication 2 du brevet 652,239 inva- lide pour défaut d'«esprit inventif».
[1974] 2 C.F. 266.
Nous sommes en outre d'opinion, sous réserve des plaidoiries des avocats à ce sujet, d'adjuger les dépens taxés en faveur de l'appelante en cette cour et en Division de première instance.
Il n'est pas nécessaire de nous prononcer sur la rectitude du raisonnement suivi par le savant juge de première instance dans ses conclusions, à l'ex- ception de celle formulée sous le titre «Caractère manifeste ou défaut d'invention» relativement au brevet 692,039.
Dans l'arrêt Le commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruningz, la Cour suprême du Canada a, en dernière analyse, décidé que l'«esprit inventif» constitue l'un des attributs essentiels de la «brevetabilité» en vertu de la Loi canadienne sur les brevets. Voir l'exposé du juge Judson (qui a rédigé le jugement de la Cour) aux pages 52 et 53.
Il est bien établi en l'espèce que la revendication 10 du brevet 692,039 délivré en 1964 peut se décrire comme un «procédé» de fabrication d'isoha- lothane par la «réaction» d'une substance (appelée «monomère» pour plus de commodité) en «phase liquide», et dans des conditions favorables à la formation de radicaux, avec du bromure d'hydro- gène, suivie de l'isolation de l'isohalothane obtenu. La seule question litigieuse consiste à déterminer si la réaction en «phase liquide» de ce procédé était le fruit d'un «esprit inventif». Il est également établi qu'en 1954, R. N. Haszeldine et B. R. Steele ont révélé qu'il était possible de faire réagir le même «monomère» avec le même bromure, dans les mêmes conditions, pour obtenir le même produit. Il appert que cette réaction peut se produire indif- féremment en ce qu'il convient de désigner «phase gazeuse» et «phase liquide»; mais leur article ne précise aucune des deux phases—«liquide» ou «gazeuse» 3 . De prime abord, il me semble que les révélations de Haszeldine décrivent avec une telle précision le «procédé» de fabrication d'«isohalo- thane» qui consiste à faire réagir le «monomère» avec du bromure d'hydrogène que le fait de décou- vrir que la réaction peut se produire en «phase
2 [1964] R.C.S. 49.
Dans ces conditions, je ne suis pas disposé à différer d'opi- nion avec le savant juge de première instance quand il statue qu'on ne peut parler d'antériorité par rapport à la revendication 10à l'égard des révélations de Haszeldine.
liquide» 4 ne révèle aucun «esprit inventif». (On n'a pas avancé qu'une fois décidé d'expérimenter la réaction en «phase liquide», on avait éprouvé des difficultés dans l'exécution de cette réaction de telle nature que seul un «esprit inventif» pouvait les vaincre.)
Le juge de première instance semble s'être fondé sur l'hypothèse que l'exigence relative à l'«esprit inventif» est respectée sauf si l'«état de la techni que», à l'époque de l'invention alléguée, était telle qu'il aurait semblé évident à un chimiste compé- tent «qu'il pouvait réussir à produire de l'isohalo- thane en `phase liquide' (en supposant qu'il utilise le même monomère et du bromure d'hydrogène)». (Mis en italiques par mes soins.) 5 D'après moi, l'hypothèse du savant juge de première instance se révèle inexacte en tant que règle universelle. Je ne me hasarderais pas à définir l'exigence relative à l'«esprit inventif» mais, il me semble que la reven- dication en l'espèce ne satisfait pas à cette exi- gence puisque l'«état de la technique» révélait l'existence d'un procédé de fabrication que le pré- tendu inventeur n'a que vérifié si ce procédé pou- vait être expérimenté avec succès.
Je n'ai pas oublié les renvois détaillés aux témoi- gnages des experts mais, à mon avis, ces témoigna- ges visaient en grande partie à établir comment Haszeldine avait réellement effectué ses expérien- ces et ils ne nient aucunement le fait qu'une lec ture impartiale de l'article publié en 1954 indique d'une façon générale, le genre de réactions qui ont été expérimentées en dernier lieu et, plus spécifi-
é L'intimée prétend, si je l'ai bien comprise, que vu la nature particulière de la chimie, lorsque l'expérimentation d'une réac- tion chimique donne des résultats heureux, il faut présumer qu'elle est le fruit d'un esprit inventif pourvu que cette même réaction n'ait jamais réellement été expérimentée. Même si cette généralisation se révèle exacte (ce dont je doute), l'inti- mée ne m'a pas convaincu que ce raisonnement peut s'appliquer à l'expérimentation d'une ancienne réaction en «phase» jamais expérimentée auparavant.
A mon avis, il ne fait aucun doute que l'esprit inventif n'aurait pas existé si l'état de la technique avait révélé que l'on pouvait réussir à produire cette réaction. Cependant, à mon avis, l'«esprit inventif» relié à l'expérimentation de ce procédé n'aurait pas nécessairement existé si l'état de la technique n'enseignait pas que l'on pouvait réussir à produire cette réaction.
quement, qui constituent l'objet de la revendica- tion 10. 6
Pour tous ces motifs, je conclus que la revendi- cation 10 du brevet 692,039 est invalide en raison du défaut d'«esprit inventif».
L'appel est accueilli et l'appel incident est rejeté; le jugement de la Division de première instance est annulé et l'action de l'intimée intentée contre l'ap- pelante et sa codéfenderesse est rejetée; en outre, sous réserve de l'audition des arguments à ce sujet, l'intimée paiera à l'appelante les dépens de l'appel en cette cour et versera à l'appelante et à sa codéfenderesse les dépens de l'action intentée devant la Division de première instance.
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LE JUGE HEALD y a souscrit.
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LE JUGE URIE y a souscrit.
6 En toute justice pour le savant juge de première instance, précisons qu'une étude attentive des plaidoiries et des témoi- gnages pertinents présentés au cours de l'audience, facilitée par la transcription des procédures, document dont il ne disposait probablement pas, révèle à mon avis qu'ils ont porté sur ce que Haszeldine et son collègue avaient réellement accompli, de manière à détourner l'attention de la véritable question en litige (c. -a -d. ce que l'article de Haszeldine et l'état antérieur de la technique «enseignaient»).
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