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A-404-74
La Reine (Appelante) (Défenderesse) c.
Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au Canada (Intimé) (Demandeur)
Cour d'appel, les juges Pratte, Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 18 et 19 décembre 1975.
Expropriation—Église presbytérienne chinoise à Mon- tréal—Division de première instance adjugeant $412,000— Réduction à $329,515—Intérêts courant depuis la date de l'offre même quand les lieux sont occupés—Loi sur l'expro- priation, S.R.C. 1970, (1" supp.) c. 16, art. 23(1), 24(4), 33(3) et (5) et 36(2).
L'intimé accepta une offre d'indemnité d'expropriation de $187,000 pour son église située dans le quartier chinois de Montréal. Plus tard, l'intimé réclama $597,957; la Division de première instance fixa le montant à $412,000 mais refusa d'accorder les intérêts à l'intimé tant qu'il occupait les lieux. L'appelante prétend (1) que le juge de première instance a eu tort d'adopter la valeur de $15 le pied carré plutôt que celle de $8 le pied carré, valeur du terrain en cause à ce moment-là. L'intimé rétorque (2) que le seul terrain susceptible de rempla- cer le terrain exproprié pourra seulement être loué et veut qu'on lui accorde une somme qui, placée à 5%, permettrait de payer le loyer sans entamer le capital. L'intimé conteste aussi (3) l'évaluation du coût de construction d'un bâtiment semblable telle qu'établie par le juge de première instance.
Arrêt: l'indemnité est fixée à $329,515. (1) Ce n'est pas la valeur marchande de la propriété expropriée qu'il faut établir mais plutôt le coût du bien qui la remplacera. La seule preuve soumise à l'égard de ce coût est la valeur de $15. (2) Si le droit immobilier susceptible de remplacer raisonnablement le droit exproprié est un droit résultant d'un bail emphytéotique l'arti- cle 24(4)b)(i) donne droit seulement au coût du bail, ce qui ne veut pas dire la somme nécessaire pour payer le loyer sans entamer le capital. (3) L'intimé a raison de prétendre qu'on n'aurait pas déduire 15% titre de dépréciation; la Cour n'a pas à évaluer l'immeuble exproprié mais plutôt le coût de la construction de l'immeuble de remplacement. La dépréciation n'entre pas en ligne de compte. En ce qui concerne la majora- tion de 30% pour tenir compte de l'augmentation du coût de la construction, l'indemnité doit être fixée en fonction de la date de possession et, sur ce point, la Cour ne possède aucun pouvoir discrétionnaire. Au lieu d'une indemnité additionnelle de 15% en remboursement des frais etc., le premier juge aurait accorder seulement les $5,000 réclamés pour frais de déména- gement. La déduction de $25,000 en raison de l'amélioration de sa situation est justifiée.
Dans les cas l'intérêt est payable en vertu de l'article 33(3) et l'article 33(5) n'est pas applicable, la Cour ne jouit d'aucun pouvoir discrétionnaire. L'intimé a droit aux intérêts depuis la date de l'offre faite par la Couronne en vertu de l'article 14.
Distinction faite avec l'arrêt: La Reine c. Les Sœurs de la Charité [1952] R.C.É. 113.
APPEL. AVOCATS:
J. C. Ruelland et Y. J. Brisson pour l'appelante.
L. G. McDougall, c.r., et J. W. Hemens, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
McDougall, Hemens, Harris, Thomas, Mason, Schweitzer et Montcalm, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement prononcés orale- ment en français par
LE JUGE PRATTE: Au mois d'octobre 1972, l'appelante expropriait une église appartenant à l'intimé dans le quartier Chinois à Montréal. Peu de temps après, l'appelante offrait à l'intimé de lui payer une indemnité de $187,000. L'intimé accepta ce montant sans préjudice à son droit de réclamer d'avantage. Prétendant que l'appelante aurait lui payer une indemnité de $597,957, l'intimé l'a poursuivie pour lui réclamer la diffé- rence entre ce montant et celui qui lui avait été payé. La Division de première instance a fait droit en partie à la réclamation de l'intimé, elle a fixé à $412,000 l'indemnité due à la suite de l'expropria- tion et, en conséquence, a ordonné à l'appelante de payer la somme de $225,000; elle a, de plus, condamné l'appelante aux frais mais a refusé d'ac- corder à l'intimé l'intérêt sur le montant du juge- ment et, ce, aussi longtemps que l'intimé continue- rait à occuper l'immeuble exproprié. De ce jugement il y a, à la fois, appel et contre appel.
Il est constant que l'indemnité d'expropriation doit, en l'espèce, être déterminée d'après les dispo sitions de l'article 24(4) de la Loi sur l'expropria- tion (S.R.C. 1970 (l er Supp.) c. 16). Cette disposi tion se lit en partie comme suit:
24. (4) Nonobstant le paragraphe (3), lorsque, sur un ter rain visé par un avis de confirmation, était construit un bâti- ment ou une autre structure spécialement conçus pour servir aux fins d'un établissement scolaire, hospitalier ou municipal ou d'une institution religieuse ou charitable ou à des fins analogues, dont l'utilisation à ces fins par le titulaire est devenu pratiquement impossible à la suite de l'expropriation, la valeur
du droit exproprié est, si ce droit exproprié était utilisé à ces fins et—n'eût été l'expropriation—aurait continué de l'être et si, à la date de la prise de possession, il n'y avait pas, en général, de demande ou de marché à ces fins pour ce droit exproprié, le plus élevé des deux montants suivants:
a) la valeur marchande du droit exproprié, déterminée comme l'indique le paragraphe (2), ou
b) l'ensemble
(i) du coût d'un droit réel immobilier susceptible de rem- placer raisonnablement à ces fins le droit exproprié, et
(ii) des frais, des dépenses et des pertes attribuables ou connexes au déménagement et à l'installation dans d'autres lieux, mais s'il n'est pas possible de les évaluer ou de les déterminer en pratique, on peut les remplacer par un pourcentage n'excédant pas quinze pour cent des frais déterminés comme l'indique le sous-alinéa (i),
moins le montant de l'amélioration de la situation du titulaire qui a été obtenue ou qu'on peut raisonnablement prévoir du fait de sa réinstallation dans d'autres lieux;
Le premier juge a considéré que ce texte législa- tif n'était qu'une codification de solutions anté- rieurement établie par la jurisprudence, plus parti- culièrement par la décision de monsieur le Président Thorson dans La Reine c. La Commu- nauté des Soeurs de la Charité de la Providence ([1952] R.C.É. 113). Le premier juge s'est exprimé comme suit à ce sujet:
Dans un certain nombre d'arrêts antérieurs à l'adoption de ladite loi, on a fait l'examen des principes applicables à la réinstallation d'institutions comme les écoles, les hôpitaux, les institutions religieuses, et je suis d'avis que l'article 24(4)b) constitue en quelque sorte une codification de ces arrêts et leur donne force de loi. J'ai à l'esprit la cause type La Reine c. La Communauté des Sœurs de la Charité de la Providence [1952] R.C.É. 113, dans laquelle le président Thorson déclarait à la page 117:
[TRADUCTION] Si je comprends bien, il s'agit d'un cas d'ap- plication du principe de la réinstallation. Cela signifie que la défenderesse doit recevoir une somme qui lui permette de remplacer la propriété expropriée par une propriété d'égale valeur. Voir l'ouvrage de Cripps On Compensation, 8' édi- tion, page 180; London School Board c. South Eastern Railway Co. ((1887) 3 T.L.R. 710); Metropolitan Railway Company et Metropolitan District Railway Company c. Burrow ((1884) The Times, le 22 nov.), dont le texte du jugement figure à l'appendice de l'ouvrage de Cripps (pré- cité) aux pages 906 916. La somme à verser devrait par conséquent être suffisante pour couvrir la valeur de réalisa- tion du terrain, la valeur de remplacement de l'hôpital, c'est-à-dire son coût de reconstruction moins sa dépréciation, la valeur des autres améliorations apportées aux dépendances et aux annexes, toutes ces valeurs étant calculées au jour de l'expropriation, les frais de déménagement dans un nouvel hôpital et un montant équivalent à l'augmentation du coût de construction d'un nouvel hôpital après la date de l'expropria- tion, ce dernier poste faisant partie de la réclamation de la défenderesse qui, présume-t-on, construira un nouvel hôpital. Par conséquent, la défenderesse doit recevoir la juste valeur
marchande du terrain, savoir, sa valeur de réalisation au jour de l'expropriation, indépendamment du fait qu'elle n'ait peut-être pas à acheter un nouvel emplacement, de même qu'une somme qui lui permette de construire un hôpital de même valeur sur un nouvel emplacement et d'y emménager.
Cet énoncé revêt une importance particulière parce qu'il recon- naît que la valeur de réalisation du terrain et la valeur de remplacement constituée des coûts de reconstruction du bâti- ment moins la dépréciation seront calculés au jour de l'expro- priation, mais que les frais de déménagement dans un nouveau bâtiment et les coûts accrus de construction seront évalués après la date de l'expropriation au moment de la construction du nouveau bâtiment et du déménagement.
L'importance de cet arrêt se manifeste également par ses conclusions sur la question de la dépréciation. Le savant prési- dent déclarait à la page 127:
[TRADUCTION] Il est maintenant établi qu'il est faux de présumer qu'un bien peut être conservé en si bon état qu'il puisse demeurer indéfiniment à l'état neuf. La dépréciation d'un bien commence dés l'instant on l'utilise pour la première fois et elle se poursuit en dépit de son entretien. Deschamps, comme il fallait s'y attendre d'une personne de son rang, a reconnu franchement le caractère inévitable de la dépréciation. Par contre, il ne s'ensuit pas que le montant de la dépréciation peut être simplement établi par des tables de dépréciation. Bien que les tables reconnues soient d'un grand secours, puisqu'elles se fondent sur l'expérience, on ne doit pas les utiliser à titre exclusif. Il faut toujours procéder à un examen minutieux du bien et considérer son état structural et fonctionnel de façon à pouvoir tenir compte non seulement du temps déjà écoulé de sa durée prévue par les tables mais également de la période pendant laquelle on pourra encore l'utiliser, compte tenu de son état actuel.
Après avoir rappelé ces règles jurisprudentielles antérieures à la loi actuelle sur l'expropriation, le juge a procédé à l'évaluation de l'indemnité due à l'intimé en se conformant aux règles déjà formu- lées par le Président Thorson. Ce faisant, il faut le dire, il calculait l'indemnité suivant les principes mêmes que suggérait l'intimé. Pour en arriver à l'indemnité relative à l'expropriation du terrain, le juge, se fondant sur l'admission des parties que le terrain valait $8 le pied carré, a d'abord fixé à $27,480 la valeur du terrain; tenant compte ensuite du fait que pour acheter un nouveau ter rain pour y construire une église, l'intimé devait, vu les règlements municipaux, acheter un terrain plus grand que celui qu'il avait autrefois, terrain ayant une valeur marchande de $15, le juge en est venu à la conclusion que, pour se ré-établir, l'in- timé devait payer, pour un nouveau terrain, la somme de $121,635.
Passant ensuite à l'indemnité relative à l'expro- priation de l'édifice, le juge en a d'abord calculé la valeur de remplacement en date du 5 octobre
1972. Cette valeur, il l'a établie à $215,880 mais, comme il ne s'agissait pas d'un édifice neuf, il a déduit 15 pour cent de cette somme à titre de dépréciation pour en arriver au chiffre de $183,- 498 représentant la valeur de remplacement dépré- ciée du bâtiment exproprié. Puis, tenant compte du fait que l'église n'était pas encore reconstruite au moment du procès et de ce que les coûts de construction avaient augmenté depuis le jour de l'expropriation, le juge a accordé à l'intimé une indemnité additionnelle de $64,764 représentant 30 pour cent de la valeur de remplacement non dépréciée de l'édifice. Le total des indemnités rela tives à l'édifice et au terrain ainsi calculées s'éta- blissent à $369,897. Le juge, s'autorisant de l'ali- néa (ii) du sous-paragraphe b) de l'article 24(4), a ensuite ajouté une indemnité de 15 pour cent de ce montant pour tenir lieu des «frais de dépenses et des pertes attribuables ou connexes au déménage- ment et à l'installation dans d'autres lieux». A ces sommes le juge a ajouté des frais légaux convenus de $10,000 et des frais d'expertise de $2,000. Enfin, à l'indemnité globale ainsi obtenue, le juge a déduit la somme de $25,000 pour tenir compte de l'amélioration de la situation de l'intimé résul- tant de «sa réinstallation dans d'autres lieux». Le juge en est ainsi arrivé à fixer à $412,000 l'indem- nité à laquelle l'intimé avait droit à la suite de l'expropriation de son église.
Avant de considérer les arguments soulevés au soutien de l'appel et du contre appel, il faut faire remarquer que s'il n'est pas douteux que certaines des dispositions de la Loi sur l'expropriation qui est actuellement en vigueur aient été inspirées par la jurisprudence antérieure, lorsqu'une expropria tion a lieu sous l'empire de la loi d'aujourd'hui, l'indemnité d'expropriation doit être évaluée non pas en se référant aux règles établies par la juris prudence ancienne mais en appliquant les disposi tions de la loi nouvelle. Or, il suffit de lire attenti- vement l'article 24(4) pour se rendre compte que les règles qu'il contient diffèrent à plusieurs égards des règles d'évaluation établies par le Président Thorson dans les causes que le premier juge a citées. Au sujet de cette disposition de la loi nou- velle, on peut faire les observations suivantes:
1. Alors que, semble-t-il, le principe du «re- instatement» établi par la jurisprudence ne s'ap- pliquait qu'à l'évaluation des édifices, non à celle des terrains qui ont toujours une valeur
marchande, les règles édictées par l'article 24(4) s'appliquent clairement à l'évaluation de l'in- demnité fixée à la suite de l'expropriation d'un terrain construit.
2. Lorsque, comme dans le cas actuel, il y a lieu d'appliquer l'alinéa b) de l'article 24(4), la détermination de la valeur de remplacement de l'édifice exproprié n'entre pas directement en ligne de compte. Ce qu'il faut déterminer, ce n'est pas la valeur du bien exproprié mais plutôt le «coût d'un droit réel immobilier susceptible de remplacer raisonnablement ... le droit expro- prié». Cela, il faut le souligner, parce qu'on ne peut, à mon avis, dans la détermination du coût du bien qui remplacera le bien exproprié, tenir compte de la dépréciation affectant l'immeuble exproprié.
3. Suivant l'article 23, le montant de l'indem- nité à la suite d'une expropriation doit être fixé en ayant égard à «la valeur du droit expro- prié à la date de sa prise de possession». Les règles contenues à l'article 24 s'appliquent, sui- vant les termes mêmes du paragraphe 24(1), «à la détermination de la valeur d'un droit expro- prié». Si on lit ensemble les articles 23(1) et 24, il faut donc conclure que les règles contenues dans ce dernier article doivent être appliquées pour déterminer la valeur d'un droit exproprié à la date de la prise de possession. C'est, en consé- quence, à cette date, à mon avis, qu'il faut se reporter pour fixer le coût du «droit réel immo- bilier susceptible de remplacer raisonnable- ment ... le droit exproprié». Lorsque, comme en l'espèce, il n'existe pas d'immeuble construit qui puisse remplacer adéquatement l'immeuble exproprié de sorte que la personne expropriée doit acquérir un terrain et y ériger une construc tion, il me semble que le coût auquel réfère l'article 24(4)b)(1) est le coût du terrain au moment de la prise de possession et le coût de la construction, au même moment. Comme, cepen- dant, une construction n'est pas érigée en un jour, le coût de la construction ne doit pas être déterminé comme si, au moment de la prise de possession, la construction avait été érigée mira- culeusement en un instant de raison. En pareil cas, à mon avis, le coût de la construction doit être établi au prix que l'exproprié aurait payer si, le jour de la prise de possession, il avait conclu un contrat pour la construction de l'édi- fice en question.
4. L'article 24(4)b)(ii) édicte que l'indemnité d'expropriation doit comprendre les frais, dépen- ses et pertes attribuables ou connexes au démé- nagement et à l'installation dans d'autres lieux et l'article ajoute
mais s'il n'est pas possible de les évaluer ou de les détermi- ner en pratique, on peut les remplacer par un pourcentage n'excédant pas quinze pour cent des frais déterminés comme l'indique le sous-alinéa (i).
On peut observer au sujet de cette disposition que c'est seulement dans le cas «il n'est pas possible de les évaluer ou de les déterminer en pratique» que le montant des frais peut être remplacé par le pourcentage de 15 pour cent mentionné. A mon sens, l'impossibilité à laquelle réfère cette disposition n'est pas celle qui résulte du simple défaut de la partie expropriée de réclamer et de prouver qu'elle a encouru ou encourra des frais de cette sorte.
5. Pour établir l'indemnité payable aux termes de l'article 24(4)b), il faut déduire des sommes mentionnées aux alinéas (i) et (ii)
le montant de l'amélioration de la situation du titulaire qui a été obtenue ou qu'on peut raisonnablement prévoir du fait de sa réinstallation dans d'autres lieux.
«L'amélioration de la situation» de la partie expropriée dont parle cette disposition, c'est celle qui résulte du fait «de sa réinstallation dans d'autres lieux». Il pourra s'agir, par exemple, de l'amélioration résultant du fait que les lieux l'exproprié s'est réinstallé sont, pour lui, plus commodes que ceux qui ont été expropriés. La disposition ne réfère pas cependant, à mon avis, à l'amélioration de la situation de la partie expropriée pouvant résulter du seul fait que les lieux elle s'est réinstallée sont plus coûteux que les anciens; cette amélioration, en effet, ne résulterait pas, à proprement parler, de la réins- tallation de l'exproprié dans d'autres lieux, mais plutôt du fait qu'on lui accorde une indemnité suffisante pour lui permettre de se déménager dans une propriété coûtant plus cher que celle qu'il avait auparavant.
Ceci étant dit, j'en viens aux arguments que les parties ont fait valoir à l'encontre du jugement de première instance.
L'avocat de l'appelante a d'abord soutenu que le premier juge avait eu tort de calculer le montant
auquel l'intimé avait droit, pour lui permettre d'ac-
quérir un terrain, en se référant au prix unitaire de $15 le pied carré. Il aurait dû, plutôt, calculer ce
montant en se référant à la valeur de $8 le pied carré qui était, suivant l'admission des parties la valeur du terrain exproprié au moment de l'expro- priation. La réponse à cet argument, à mon sens, est qu'il ne s'agit pas ici de déterminer la valeur marchande du terrain exproprié mais bien plutôt le coût du terrain susceptible de le remplacer. La seule preuve que l'on trouve au dossier du coût d'un pareil terrain en 1972, on la trouve dans le témoignage d'un employé de la ville de Montréal qui a affirmé que, deux ans plus tôt (avant son témoignage), il avait évalué à $15 le pied carré un terrain situé dans le quartier Chinois de Montréal il serait possible que l'intimé reconstruise son église. A mon avis, le juge n'a donc pas eu tort de retenir ce prix de $15 le pied carré.
L'avocat de l'intimé a prétendu, de son côté, que la somme accordée par le premier juge relative- ment au terrain était insuffisante. Il a fait état que le seul terrain susceptible de remplacer le terrain exproprié—le terrain que le premier juge a évalué à $15 le pied carré—n'était pas à vendre. Ce terrain, suivant la preuve, l'intimé pourra seule- ment le louer de la cité de Montréal par bail emphytéotique d'une durée de soixante-trois ans. Les revenus de la somme accordée par le premier juge relativement au terrain, si elle était fixée à 8 pour cent, permettrait à l'intimé de payer le loyer exigé par la ville sans entamer le capital. Cela, l'intimé trouve que ce n'est pas suffisant: il vou- drait qu'on lui accorde une somme qui, placée à 5 pour cent, produirait un revenu égal au loyer exigé par la ville. Cette prétention ne peut, à mon avis, être retenue. Si le droit immobilier susceptible de remplacer raisonnablement le droit exproprié est un droit résultant d'un bail emphytéotique, l'ex- proprié n'aurait droit, suivant l'article 24(4)b)(1) qu'au coût de ce droit, c'est-à-dire qu'au coût du bail emphytéotique. Or, bien que rien dans la preuve ne permette de dire comment on peut éta- blir le coût d'un bail emphytéotique, il me semble qu'on peut affirmer, sans crainte d'erreur, que ce coût n'est pas égal à la somme nécessaire pour produire un revenu suffisant, sans entamer le prin cipal, pour payer le loyer en vertu du bail.
Le premier juge a évalué à $215,880 le coût de construction, au mois d'octobre 1972, date de la prise de possession, d'un bâtiment semblable à celui qui était érigé sur l'immeuble exproprié. (La preuve, il faut le dire, ne lui permettait pas d'esti- mer le coût du bâtiment, peut-être différent mais offrant les mêmes commodités, que l'on se propo- serait de construire sur le nouveau site). L'intimé considère ce montant comme insuffisant. Il aurait préféré que le chiffre proposé par ses experts soit retenu. Il suffit de dire à ce sujet que le premier juge en est arrivé à ce chiffre après une minutieuse revue de toute la preuve qui révèle qu'il a tenu compte de tous les éléments portés à sa connais- sance. Dans ces conditions, il me paraît impossible, dans une matière comme celle-ci, de dire que, sur ce point, le premier juge s'est trompé.
Le premier juge a ensuite réduit de 15 pour cent le chiffre de $215,880 déjà mentionné pour tenir compte de la dépréciation du bâtiment exproprié. L'intimé a soutenu, avec raison à mon sens, que cette déduction n'aurait pas être faite. Le juge n'avait pas à évaluer le bâtiment exproprié mais le coût de construction du bâtiment qui le remplace- rait et, dans l'établissement de ce coût, la déprécia- tion n'entre pas en ligne de compte.
Pour en arriver à l'indemnité relative au coût de remplacement du bâtiment, le premier juge, enfin, a augmenté de 30 pour cent le montant de $215,- 880 représentant le coût estimé de construction d'un bâtiment semblable à celui qui avait été exproprié. Cela, il l'a fait, semble-t-il, pour tenir compte de l'augmentation du coût de la construc tion depuis la date de l'expropriation étant donné que, au moment du procès, la reconstruction n'avait pas encore eu lieu. L'avocat de l'intimé a prétendu, sans beaucoup d'instance à vrai dire, que le juge de première instance avait, en pareilles circonstances, la discrétion d'augmenter le mon- tant de l'indemnité qui, suivant la loi, était due. Sur ce point, je crois que l'avocat de l'appelante a raison. L'indemnité d'expropriation doit être fixée eu égard à la date de prise de possession et, sur ce point, la Cour ne possède aucune discrétion.
Le juge de première instance a accordé à l'in- timé une indemnité de 15 pour cent en rembourse- ment des frais, dépenses et pertes mentionnés à l'alinéa (ii) de l'article 24(4)b). L'intimé, sous ce chef, n'avait réclamé qu'une somme de $5,000
pour frais de déménagement et je crois que l'avo- cat de l'appelante a raison de prétendre que la Cour de première instance aurait accorder seu- lement ce montant de $5,000. Cette prétention, d'ailleurs, n'a pas été sérieusement contestée par l'avocat de l'intimé.
Le premier juge a déduit une somme de $25,000 de l'indemnité payable à l'intimé pour tenir compte du fait que sa situation se trouverait amé- liorée du fait de sa réinstallation dans d'autres lieux. Sur ce point, le juge s'est exprimé comme suit:
Il faut toutefois tenir compte d'un autre élément. Ledit alinéa b) de l'article 24(4) comporte un paragraphe final:
moins le montant de l'amélioration de la situation du titulaire qui a été obtenue ou qu'on peut raisonnablement prévoir du fait de sa réinstallation dans d'autres lieux;
Bien que le demandeur dispose présentement d'un bâtiment tout à fait adéquat pour ses fins et qu'il eût été satisfait d'en garder la possession paisible, il emménagera néanmoins, si sa réinstallation se déroule comme prévu, dans un bâtiment de dimension et de conception semblables mais situé sur une plus grande propriété, disposant d'un certain espace de stationne- ment, plus moderne, pourvu de meilleurs systèmes de protection contre les incendies, de ventilation, et d'autres dispositifs de sécurité et commodités que j'évalue à $25,000, ce qui réduit à $400,000 le montant de l'indemnité.
L'avocat de l'intimé a prétendu que cette déduc- tion n'était pas justifiée. Suivant la preuve, a-t-il dit, la situation de l'intimé ne serait pas améliorée, mais empirée par sa réinstallation dans d'autres lieux. Qu'il suffise de dire, sur ce point, que, à mon avis, la preuve ne supporte pas cette affirmation. La déduction de $25,000 affectée par le premier juge était, à mon sens, justifiée.
Ainsi, à mon avis, l'intimé avait droit de recevoir la somme de $337,515, en vertu de l'alinéa (i) de l'article 24(4)b), cette somme représentant le coût estimé du terrain et du bâtiment. Elle aurait droit, en plus, à une indemnité de $5,000 pour frais de déménagement et à une somme de $12,000. C'est dire que, à mon sens, l'indemnité totale à laquelle avait droit l'intimé se chiffrait, non pas à $412,000 tel qu'estimé par le premier juge, mais à $329,515.
Reste maintenant la question des intérêts. Le premier juge, s'autorisant d'une jurisprudence antérieure à la loi actuelle, a refusé d'accorder les intérêts à l'intimé au motif que celui-ci occupait toujours les lieux expropriés. L'avocat de l'appe- lante a admis, à l'audience, que le premier juge
s'était trompé sur ce point. Dans un cas comme celui-ci, l'intérêt est payable en vertu de l'arti- cle 33(3) et l'article 33(5) n'a évidemment pas d'application, la Cour ne jouit, en la matière, d'aucune discrétion. C'est-à-dire que l'intimé a droit aux intérêts depuis la date de l'offre faite par la Couronne en vertu de l'article 14
(a) au taux de base sur la somme de $142,515, et
(b) au taux de 5 pour cent sur la somme de $329,515.
De plus, l'intimé a droit à ses frais, aussi bien en première instance qu'en appel, à être taxés suivant les dispositions de l'article 36(2) de la Loi sur l'expropriation. Si la détermination des frais prévus à cet article faisait difficulté, l'une ou l'autre des parties pourra présenter une requête à la Cour à ce sujet.
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LE JUGE LE DAIN a souscrit à l'avis.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE a souscrit à l'avis.
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