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A-237-76
Latchman Hardayal (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 4 mai 1976; Ottawa, le 20 mai 1976.
Examen judiciaire—Immigration—Le requérant sollicite l'examen de l'annulation d'un permis du Ministre, alléguant qu'on n'a pas accordé d'audience ni donné aucun motif— L'intimé demande l'annulation de la requête, soutenant que la décision est purement de nature administrative—Loi sur l'im- migration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 5, 7 et 8.
Le requérant a demandé l'examen et l'annulation d'une décision d'un fonctionnaire à l'immigration annulant le permis du Ministre qui l'autorisait à demeurer au Canada et à y exercer un emploi. Il prétend qu'on ne lui a pas accordé d'audience ni communiqué les motifs de l'annulation. Comme la lettre jointe à l'avis mentionnait qu'il ne vivait plus avec son épouse, qui l'avait parrainé, il y a lieu de croire que le permis avait été accordé par suite de la demande de parrainage et qu'il avait été annulé du fait que les parties se sont séparées.
Arrêt: la majorité de la Cour accueille la demande et l'affaire est renvoyée au Ministre pour qu'il rende une décision après avoir donné au requérant la possibilité de présenter des observa tions. L'article 8 de la Loi sur l'immigration donne au Ministre un large pouvoir discrétionnaire pour accorder, proroger ou annuler un permis; ce pouvoir est purement administratif. L'article établit un code applicable aux personnes entrant ou demeurant au Canada en vertu d'un permis. On ne précise pas dans quelles circonstances le permis sera accordé; l'article n'impose aucune procédure ni aucune restriction pas plus qu'il n'accorde de droit d'appel. Rien ne laisse entendre qu'il faille tenir une audience quelconque. Cependant, on a avancé que pour annuler un permis accordant expressément certains droits dont découlent d'autres avantages, il convient de tenir une audience parce que la justice exige que le titulaire du permis ne soit pas privé de ces droits et avantages sans avoir eu la possibilité de présenter des observations. Le principe applicable à l'égard de l'article 8 semble être le suivant: si son permis est révoqué avant l'expiration du délai, le requérant devrait avoir la possibilité de se faire entendre, car il est en droit de s'attendre à pouvoir rester pendant le délai qui lui a été accordé. La décision était soumise à un processus quasi judiciaire et susceptible d'examen. Bien que l'arrêt Howarth semble trancher la ques tion de façon décisive, il faut souligner qu'un détenu à liberté conditionnelle reste un détenu, alors qu'un étranger détenteur d'un permis du Ministre acquiert un nouveau statut en vertu de l'article 7(2) de la Loi pendant la période de validité de son permis. Ce statut comporte des avantages considérables, notamment la protection contre l'expulsion, que le détenteur du permis peut s'attendre raisonnablement à conserver pendant la période de validité de son permis. En l'espèce, le requérant pouvait légitimement espérer demeurer au Canada pendant un an et y exercer un emploi. Il en découle d'autres expectatives et
l'annulation qui l'en priverait sans lui permettre de se faire entendre semble être une mesure injuste. Le défaut d'accorder une audience au requérant constitue un déni d'un principe de justice naturelle.
Le juge suppléant MacKay (dissident): La décision était purement de nature administrative. Les articles 5 et 7 de la Loi sur l'immigration énumèrent des catégories de personnes qui peuvent ou ne peuvent pas entrer et demeurer au Canada, et il y a un droit d'appel. L'article 8 vise une catégorie particulière et distincte. La Loi ne prévoit ni la tenue d'une audience ni d'appel quelconque en ce qui concerne une ordonnance ministé- rielle refusant d'accorder un permis ou en annulant un. La Loi reste muette (sous réserve des articles 8(1)a) et b)) au sûlet de catégories de personnes pouvant obtenir un permis ministériel et sur les fins justifiant la délivrance d'un tel permis. En outre, la Loi n'apporte aucune limitation ou restriction au pouvoir du Ministre d'annuler un permis ni ne mentionne d'audience ou d'appel. Le Parlement n'a pas envisagé la tenue d'une audience avant que soit rendue une ordonnance annulant un permis du Ministre. Et si cette conclusion est erronée, en raison de la procédure suivie en l'espèce, le requérant n'a pas été privé de la possibilité de contester la validité de l'ordonnance d'annulation ni de la possibilité de s'opposer à une ordonnance d'expulsion.
Arrêt approuvé: Schmidt c. Secretary of State [1969] 2 Ch. 149. Distinction faite avec les arrêts: Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453 et Ex parte McCaud [1965] 1 C.C.C. 168.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
J. V. Toolsie pour le requérant.
K. Braid pour l'intimé.
PROCUREURS:
J. V. Toolsie, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cette demande, présentée en vertu de l'article 28, vise à l'examen et à l'annula- tion d'une décision de E. Timmins, fonctionnaire supérieur de l'immigration du Centre d'immigra- tion du Canada à Kitchener, annulant le permis qu'il avait accordé à titre de représentant de l'in- timé, conformément à l'article 8 de la Loi sur
l'immigration. Ce permis autorisait le requérant pendant sa période de validité, c'est-à-dire jus- qu'au 10 juin 1976, à demeurer au Canada et à y exercer un emploi.
La lettre informant le requérant de l'annulation de son permis porte la date du 25 mars 1976 et se lit comme suit:
[TRADUCTION]
Immeuble fédéral-2e étage (téléphone 744-4161)
Manpower Main-d'oeuvre
and Immigration et Immigration
Your file Votre référence
Our file Notre référence
3458-33491
15 est, rue Duke Kitchener (Ontario) N2H 1A2
Le 25 mars 1976.
M. Latchman Hardayal, 57, rue Main,
Appartement 8,
Cambridge (G) (Ontario).
Monsieur,
Attendu que conformément au paragraphe (1) de l'article 8 de la Loi sur l'immigration, un permis a été délivré le 11 juin 1975 vous autorisant à demeurer au Canada jusqu'au 10 juin 1976.
Soyez avisé que conformément au paragraphe (3) de l'article 8 de ladite loi, j'annule ledit permis par les présentes, étant autorisé à le faire par le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration en vertu des articles 2 et 67 de la Loi.
Fait à Kitchener, Province de l'Ontario, le 25 mars 1976.
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués.
«E. Timmins»
E. Timmins
Fonctionnaire supérieur de l'immigration
Centre d'immigration du Canada.
Soulignons que l'avis reste muet sur le motif de cette mesure et n'offre pas au requérant la possibi- lité de présenter des observations à son sujet avant que l'annulation du permis ne prenne effet. Toute- fois, la lettre jointe à l'avis disait notamment:
[TRADUCTION] Une demande présentée par votre épouse, Mme Patsey Elizabeth Hardayal, née Quigley, a été acceptée le 2 juin 1975. Puisque vous ne vivez plus maritalement avec votre répondante, nous avons mis fin à l'étude de la demande. Vous trouverez ci-jointe une lettre annulant officiellement le permis que le Ministre vous a accordé. Puisque vous ne réunissez plus les qualités nécessaires pour demeurer au Canada, vous devez quitter le pays immédiatement.
Il y a lieu de croire que le permis du Ministre avait initialement été accordé parce que l'épouse du requérant avait demandé à le parrainer et que
son annulation résulte du fait que les parties ne vivent plus ensemble.
L'intimé a demandé l'annulation de la demande présentée en vertu de l'article 28 au motif que cette cour n'a pas la compétence pour connaître d'une telle demande. Nous traiterons en premier lieu de cette requête.
L'article 8 de la Loi sur l'immigration prévoit que:
8. (1) Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre 1967, ou
b) d'une personne au sujet de laquelle a été interjeté, en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, un appel qui a été rejeté.
(2) Un permis doit porter qu'il est en vigueur pour une période déterminée d'au plus douze mois.
(3) Le Ministre peut toujours, par écrit, proroger la validité d'un permis ou l'annuler.
(4) Le Ministre peut, lors de l'annulation ou l'expiration d'un permis, rendre une ordonnance d'expulsion concernant la
personne en cause. 1 ,
(5) Le Ministre doit soumettre au Parlement, dans les trente jours de l'ouverture de la première session parlementaire de chaque année, un rapport indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails perti- nents. S.R., c. 325, art. 8; 1966-67, c. 90, art. 26.
L'intimé estime que toute décision prise par le Ministre ou son représentant en vertu de l'article 8 est de nature purement administrative et n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Par conséquent, une telle déci- sion ne peut faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
D'autre part, si je ne me trompe, l'avocat de l'appelant fait valoir que même si incontestable- ment une telle décision est de nature administra tive, l'annulation d'un permis dont l'octroi a con- féré au bénéficiaire certains droits, ne peut être décidée que selon un processus quasi judiciaire. Seule cette façon d'agir peut assurer, en toute justice, que le requérant ne se verra pas privé des droits qu'il a acquis, si limités soient-ils, sans avis et sans possibilité de se faire entendre (bien que ce
' Le requérant a concédé que le Ministre a régulièrement désigné le fonctionnaire supérieur pour agir à sa place.
ne soit pas nécessairement par voie d'audition orale).
En réponse à ces allégations, il faut tout d'abord observer que rien dans le libellé de l'article 8 n'impose expressément au Ministre un devoir de ce genre. Cet article donne clairement au Ministre un pouvoir discrétionnaire étendu lorsqu'il s'agit d'ac- corder, de proroger la validité ou d'annuler un permis autorisant une personne à entrer au Canada ou à y demeurer. La rédaction de l'article indique tout aussi clairement que ce pouvoir est de nature administrative. Je crois important de souli- gner que l'article en question semble en lui-même établir un code applicable aux personnes entrant ou demeurant au Canada en vertu d'un permis, ce code étant distinct des autres dispositions de la Loi relatives à l'«entrée» 2 dans des circonstances nor- males ou ordinaires. Le permis accordé aux termes de l'article 8 résulte de l'exercice du pouvoir dis- crétionnaire conféré au Ministre et n'est apparem- ment octroyé que dans des circonstances spéciales ou extraordinaires, que l'article ne précise pas. L'article en question n'impose aucune formalité à observer ni aucune condition limitant l'exercice du pouvoir discrétionnaire (sauf en ce qui concerne la durée du permis), pas plus qu'il n'accorde de droit d'appel laissant supposer qu'une personne visée par la décision ministérielle a le droit de se faire entendre. (Bien sûr, aucune disposition expresse n'interdit une telle audience.) En fait, rien dans cet article ne laisse entendre, expressément ou implici- tement, qu'il faille tenir une «audience», orale ou autre, avant d'exercer ce pouvoir discrétionnaire.
Cependant, la question n'en est pas réglée pour autant; en effet, il se peut que, lorsqu'on envisage d'annuler un permis accordant expressément au titulaire certains droits dont découlent naturelle- ment d'autres avantages, comme c'est ici le cas, la loi implique la tenue d'une telle «audience» parce que la justice exige que le titulaire du permis ne soit pas privé de ces droits et avantages sans avoir la possibilité de présenter des observations. Lord Denning, maître des rôles, a formulé ainsi la ques tion dans l'arrêt Schmidt c. Secretary of State, Home Affairs 3 :
2 Article 2. «entrée» signifie l'admission légale d'un non- immigrant au Canada, à une fin spéciale ou temporaire et pour un temps limité;
3 [1969] 2 Ch. 149, la p. 170.
[TRADUCTION] Bien sûr, je conviens que lorsqu'un fonction- naire a le pouvoir de priver une personne de sa liberté ou de ses biens, le principe général veut que ce pouvoir ne soit pas exercé sans que l'intéressé ait eu la possibilité de se faire entendre et de présenter des observations à sa décharge .... Les plaidoiries dans l'affaire Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40 montrent qu'un organisme administratif peut, dans un cas approprié, être tenu d'accorder à une personne dont les droits sont atteints par sa décision, la possibilité de présenter des observations. Tout dépend si cette personne a certains droits ou intérêts en cause ou, j'ajouterai, quelques espérances légitimes, dont il serait injuste de la priver sans entendre ce qu'elle a à dire.
Dans cet arrêt, le lord juge Denning traitait du refus du ministre de l'Intérieur de proroger les permis de deux étrangers pour leur permettre de poursuivre leurs études au Roya,ume-Uni après l'expiration de ces permis. Il ajoutait à la page 171:
[TRADUCTION] Il [l'étranger] n'a le droit d'entrer dans ce pays que s'il y est autorisé; et s'il est autorisé à y demeurer pour une période limitée, il ne peut dépasser ce délai d'une seule journée. Si son permis est révoqué avant l'expiration du délai, j'estime qu'il devrait avoir la possibilité de présenter des observations, car il est en droit de s'attendre à pouvoir rester pendant le délai qui lui a été accordé. Excepté ce cas particulier, un étranger n'a aucunement le droit qu'on lui permette de rester—ni, ajoute- rai-je, peut-il légitimement l'espérer. On peut le refouler sans lui donner de raison et sans lui accorder d'audience. A l'expira- tion de son permis, il doit partir.
Il est certain, vu les faits en cause dans l'affaire dont il était saisi, que lord Denning n'a mentionné que de façon incidente le droit de présenter des observations dans le cas de la révocation d'un permis; toutefois, il me semble qu'il a exprimé ainsi le principe qui s'impose en matière d'applica- tion de l'article 8. Je conclus donc que la décision d'annuler un permis d'entrée tombe dans la caté- gorie des décisions administratives soumises à un processus quasi judiciaire et qu'elle est susceptible d'examen par cette cour en vertu de l'article 28. Par conséquent, il faut rejeter la requête visant à annuler la demande du requérant.
Bien qu'il n'en ait pas été fait mention au cours des débats sur l'appel, je n'oublie pas, en concluant de la sorte, la décision rendue dans l'affaire Howarth c. La commission nationale des libéra- tions conditionnelles 4 qui, à première vue, semble trancher la question de façon décisive. Cependant, j'estime que les questions relatives à l'octroi de la libération conditionnelle et à sa révocation sont
4 [1976] 1 R.C.S. 453.
d'une catégorie différente des décisions rendues en matière d'immigration. Dans l'affaire Howarth, l'on s'est appuyé sur l'arrêt Ex parte McCaud 5 , la décision se fondait sur le concept selon lequel la libération conditionnelle est une peine purgée en liberté conditionnelle au lieu de l'être dans une institution pénitentiaire. L'arrêt McCaud a statué qu'une décision relative au lieu et aux conditions de l'exécution d'une peine est purement adminis trative. Un détenu à liberté conditionnelle reste un détenu. Voici ce que disait le juge Pigeon, à la page 473 de l'arrêt Howarth, à propos de l'arrêt McCaud:
A mon sens, il n'est pas démontré qu'il y ait lieu de reconsi- dérer l'arrêt. Je ne vois rien dans la Loi sur la Cour fédérale qui puisse être considéré comme emportant modification du droit à cet égard. Le par. (1) de l'art. 28 se rapporte clairement au droit tel qu'il existait lorsqu'on l'a édicté. Au sujet des devoirs de la Commission des libérations conditionnelles sta- tuant sur une libération conditionnelle, il venait d'être fixé définitivement par un jugement récent de cette Cour. On ne doit pas présumer que le Parlement a légiféré sans en tenir compte. Dans l'arrêt North British Railway v. Budhill Coal and Sandstone Company ([1910] A.C. 116), lord Loreburn a dit la p. 127): [TRADUCTION] «Lorsque, dans une loi du Parlement, on trouve un mot que les tribunaux ont déjà inter- prété, il y a lieu de présumer qu'il y est pris dans ce sens-là».
D'un autre côté, un étranger détenteur d'un permis du Ministre, acquiert un nouveau statut en vertu du paragraphe (2) de l'article 7 de la Loi sur l'immigration, savoir, celui de non-immigrant pen dant la période de validité de son permis. Ce statut comporte des avantages considérables, notamment la protection contre la possibilité d'une expulsion tant que le permis est en vigueur, avantages que le détenteur du permis peut s'attendre raisonnable- ment à conserver pendant la période de validité de son permis.
Pour ce qui est du fond de la demande, il me semble, pour reprendre l'expression de lord Den- ning, que le requérant en l'espèce pouvait légitime- ment espérer demeurer au Canada pendant une année et accepter un emploi. Il en découle donc qu'il pouvait, par exemple, se loger et acquérir des articles de ménage et autres commodités de la vie pendant sa période de résidence au Canada. J'es- time injuste une mesure qui le priverait de toutes ces expectatives sans lui permettre de présenter des observations sur l'annulation projetée (qui peut
5 [1965] 1 C.C.C. 168. Voir aussi l'arrêt Mitchell c. La Reine (1976) 24 C.C.C. (2') 241 (C.S.C.).
être fondée sur un faux renseignement). Il s'ensuit que le défaut d'accorder au requérant la possibilité raisonnable de présenter des observations constitue un déni d'un principe de justice naturelle. En conséquence, il faut accueillir la demande présen- tée en vertu de l'article 28 et renvoyer la question au Ministre aux fins d'une décision après que le requérant ait eu la possibilité raisonnable de pré- senter des observations relatives à l'annulation pro- jetée de son permis.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à annuler l'annula- tion d'un permis du Ministre délivré au requérant conformément au paragraphe (1) de l'article 8 de la Loi sur l'immigration aux motifs que:
(1) on n'a pas accordé d'audience au requérant avant de rendre l'ordonnance d'annulation, et
(2) aucun motif ne justifiait l'ordonnance d'annu- lation. (Le permis a été délivré et l'ordonnance l'annulant a été rendue par un fonctionnaire du ministère dûment autorisé par le Ministre.)
L'intimé demande l'annulation de la requête en alléguant que l'annulation d'un permis par le Ministre est une décision administrative discré- tionnaire de nature politique, que le Ministre n'a pas à tenir d'audience avant de rendre une ordon- nance d'annulation d'un permis et que, cela étant, le requérant n'est pas fondé à obtenir redressement en vertu de l'article 28.
Selon moi, la question de savoir si le Ministre peut annuler un permis sans accorder d'audience dépend des dispositions de la loi l'autorisant à rendre une telle ordonnance.
La Loi sur l'immigration constitue un code complet régissant le droit de ceux qui ne sont pas citoyens canadiens d'entrer au Canada et d'y demeurer.
L'article 5 de la Loi énumère les catégories de personnes qui ne peuvent être admises au Canada et l'article 7 les catégories de non-immigrants qui peuvent entrer et demeurer au Canada.
La Loi prévoit que les personnes appartenant à ces deux catégories ont droit à une audience avant de se voir refuser l'entrée au Canada ou, si elles y sont déjà, avant d'être expulsées. Dans certains cas, elles peuvent en appeler à la Commission d'appel de l'immigration et dans tous les autres cas prévus dans ces articles, elles peuvent demander, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, l'examen de la validité d'une audience tenue par un enquêteur spécial par suite d'un rapport présenté conformément aux articles 18 et 22 de la Loi ou de la validité d'une ordonnance d'expulsion rendue après une telle audience.
L'article 8 de la Loi sur l'immigration vise une catégorie particulière, distincte des catégories décrites aux articles 5 et 7. En voici le libellé:
8. (1) Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre 1967, ou
b) d'une personne au sujet de laquelle a été interjeté, en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, un appel qui a été rejeté.
(2) Un permis doit porter qu'il est en vigueur pour une période déterminée d'au plus douze mois.
(3) Le Ministre peut toujours, par écrit, proroger la validité d'un permis ou l'annuler.
(4) Le Ministre peut, lors de l'annulation ou l'expiration d'un permis, rendre une ordonnance d'expulsion concernant la personne en cause.
(5) Le Ministre doit soumettre au Parlement, dans les trente jours de l'ouverture de la première session parlementaire de chaque année, un rapport indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails perti- nents. S.R., c. 325, art. 8; 1966-67, c. 90, art. 26.
La Loi ne prévoit ni la tenue d'une audience ni d'appel quelconque en ce qui concerne une ordon- nance ministérielle refusant d'accorder un permis ou en annulant un. En vertu de l'article 8, la seule obligation imposée au Ministre est celle dont fait état le paragraphe (5), à savoir l'obligation de soumettre chaque année au Parlement un rapport
indiquant tous les permis délivrés au cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails perti- nents. Ces détails comprendraient une ordonnance d'annulation.
Contrairement aux dispositions de l'article 7, la Loi reste muette (sous réserve des alinéas a) et b) de l'article 8(1)) sur les catégories de personnes pouvant obtenir un permis ministériel et sur les fins justifiant la délivrance d'un tel permis. En outre, la Loi n'apporte aucune limitation ou res triction au pouvoir du Ministre d'annuler un permis ni ne mentionne d'audience ou d'appel à l'égard d'une ordonnance d'annulation, alors qu'elle spécifie les motifs pour lesquels des person- nes admises à entrer au Canada en vertu de l'arti- cle 7 peuvent être forcées de partir ou être expul- sées avant l'expiration de la période pendant laquelle elles avaient été autorisées à demeurer au pays et qu'en outre, comme je l'ai dit, elle prévoit la tenue d'une audience devant un enquêteur spé- cial, dont la décision peut être contestée sur demande présentée en vertu de l'article 28.
L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal ... .
Je suis d'avis que l'ordonnance rendue par le Ministre annulant le permis du requérant tombe sous l'exception à la compétence de la Cour en ce qu'elle est une décision ou une ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement sou- mise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
En l'instance, le Ministre n'a pas rendu une ordonnance d'expulsion conformément au paragra- phe (4) de l'article 8.
L'ordonnance d'annulation datée du 25 mars 1976 et une lettre datée du même jour ont été adressées au requérant. Voici le libellé de la lettre.
[TRADUCTION] Monsieur,
Les présentes font suite à votre demande d'admission au Canada à titre d'immigrant.
Une demande présentée par votre épouse, Mme Patsey Eliz- abeth Hardayal, née Quigley, a été acceptée le 2 juin 1975. Puisque vous ne vivez plus maritalement avec votre répondante, nous avons mis fin à l'étude de la demande. Vous trouverez ci-jointe une lettre annulant officiellement le permis que le Ministre vous a accordé. Puisque vous ne réunissez plus les qualités nécessaires pour demeurer au Canada, vous devez quitter le pays immédiatement.
Si, pour une raison quelconque, vous ne quittez pas le Canada, vous devez en faire immédiatement rapport à un fonctionnaire à l'immigration, conformément au paragraphe (3) de l'article 7 de la Loi sur l'immigration, qui se lit ainsi:
«Lorsqu'une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d'être un non-immigrant ou d'apparte- nir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l'un ou l'autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonctionnaire à l'immigration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l'examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.,,
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués
(signature)
E. Timmins,
Fonctionnaire supérieur,
Centre d'immigration du Canada.
Pièce jointe.
Cette lettre 'offrait deux possibilités au requé- rant: (1) se soumettre à l'ordonnance et quitter le pays de plein gré, ou (2) demeurer au Canada jusqu'à la tenue d'une enquête et au cours de celle-ci, contester la validité de l'ordonnance d'an- nulation et s'opposer à ce que soit rendue une ordonnance d'expulsion.
Le requérant n'a pas quitté le Canada et a fait l'objet, le 30 mars, d'un rapport en application de l'article 22 et, le 31 mars, d'une enquête par un enquêteur spécial afin de juger s'il fallait expulser le requérant par suite de l'ordonnance d'annula- tion. L'enquête a été partiellement instruite, puis ajournée et n'a pas été terminée, car entre temps la présente demande en vertu de l'article 28 avait été introduite.
Au cours de l'enquête, l'avocat du requérant a déclaré, comme il l'a fait à l'audience devant cette cour, qu'il ne niait pas la séparation survenue entre son client et son épouse; mais, il a fait valoir, outre son objection au fait qu'aucune audience n'avait été tenue avant l'ordonnance d'annulation, que la séparation de son client et de son épouse ne justi- fiait pas l'annulation de son permis.
Compte tenu des dispositions législatives que j'ai mentionnées, il me semble que le Parlement n'a pas envisagé la tenue d'une audience avant que soit rendue une ordonnance annulant un permis délivré en vertu de l'article 8 de la Loi.
Si ma conclusion est erronée, je suis d'avis qu'en raison de la procédure suivie en l'espèce, le requé- rant n'a pas été privé de la possibilité de contester la validité de l'ordonnance d'annulation ni de la possibilité de s'opposer à une ordonnance d'expulsion.
Pour ces motifs, j'accueillerais la requête de l'intimé et j'annulerais la demande présentée en vertu de l'article 28.
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