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T-2644-75
La Reine (Demanderesse)
c.
G. Grant Amyot (Défendeur)
Division de première instance, le juge Mahoney— Ottawa, le 3 mars et le 6 mai 1976.
Impôt sur le revenu—Déductions—Est-ce à titre de bourse d'études, de bourse de recherches, de bourse d'entretien ou à titre de subvention de recherches que le Conseil des Arts du Canada a versé des sommes au défendeur?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 56(1)n) et o)—Loi sur le Conseil des Arts du Canada, S.R.C. 1970, c. C-2, art. 8(1)b).
Le Conseil des Arts du Canada a versé $4,500 au défendeur afin de lui permettre de poursuivre un programme de recher- ches et d'études sanctionné par un doctorat de l'université de Reading (Angleterre). Le règlement de l'Université prévoit que le doctorat peut être obtenu à la suite de l'acceptation d'une thèse. En 1972, le défendeur a obtenu l'autorisation de s'absen- ter et il a passé toute l'année en Italie à préparer sa thèse sur le Parti communiste italien. Il soutient que la somme de $4,500 a été versée à titre de subvention de recherches et il a réclamé, en vertu de l'article 56(1)o) de la Loi de l'impôt sur le revenu, une déduction de $1,327.80 l'égard du montant dépensé pour ses repas et son logement, non à Rome, il vivait, mais ailleurs en Italie. La demanderesse interjette appel de la décision de la Commission de révision de l'impôt et allègue que la somme a été versée à titre de «bourse d'études, de bourse de recherches [ou de bourse d'entretien]» et qu'en vertu de l'alinéa 56(1)n), tout montant en sus de $500 doit être inclus dans le revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. En 1972 le défendeur s'est exclu- sivement consacré à la recherche. Pour que les sommes perçues relèvent de l'article 56(1)o), il faut que l'octroi des subsides vise à permettre au défendeur de poursuivre sa recherche. La question fondamentale porte sur le but des paiements et non sur les moyens pris, par nécessité ou par choix, pour atteindre ce but. Si l'objectif était la recherche elle-même, qui dans la plupart des cas, n'est pas faite de façon désintéressée mais en vue d'élaborer de nouvelles idées, alors la subvention a été effectuée dans ce but. Il en serait ainsi même si l'avancement universitaire du défendeur était un but poursuivi mais secon- daire ou une conséquence normale mais accessoire. Par contre, si l'on visait à lui permettre de progresser dans sa carrière universitaire et que la recherche n'était qu'un moyen, si essen- tiel soit-il, d'y parvenir, les subsides constituent une bourse d'entretien, etc. ... en vertu de l'article 56(1)n). En l'espèce, la subvention visait à aider le défendeur à obtenir son doctorat et non à lui permettre d'accroître les connaissances sur le Parti communiste italien. Vu son niveau universitaire en 1972, la subvention représentait une «bourse de recherches» et les mon- tants perçus relèvent de l'article 56(1)n) de la Loi.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
O. A. Pyrcz pour la demanderesse.
D. G. Cunningham pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Cunningham & Little, Kingston, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: En l'espèce, il s'agit de savoir si c'est à titre de bourse d'études, de bourse de recherches, de bourse d'entretien ou à titre de subvention de recherches que le Conseil des Arts du Canada a versé la somme de $4,500 au défen- deur en 1972. Sous réserve de toute autre déduc- tion, tout montant en sus de $500 doit être inclus dans le revenu imposable s'il s'agit de la première hypothèse. Toutefois, sous la deuxième hypothèse, les dépenses engagées aux fins de la recherche sont déductibles. Le montant des dépenses ainsi enga gées, soit $1,327.80, n'est pas contesté.
La Loi de l'impôt sur le revenu' prévoit ce qui suit:
56. (1) Sans restreindre 'la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,
(n) la fraction, si fraction il y a,
(i) du total de toutes les sommes reçues dans l'année par le contribuable et dont chacune est une somme qu'il a reçue à titre ou au titre de bourse d'études, de bourse de recherches (fellowship) ou de prix couronnant des travaux effectués dans le domaine d'activité (autre que l'enseigne- ment) habituel du contribuable,
qui est en sus de
(ii) $500; et
(o) la fraction, si fraction il y a, de toute subvention reçue au cours de l'année par le contribuable pour la poursuite de recherches ou de tous travaux similaires, qui est en sus du total des dépenses qu'il a engagées pendant l'année dans le but de poursuivre ces travaux, à l'exception
(i) des frais personnels ou de subsistance du contribuable, sauf ses frais de déplacement (y compris le montant entier dépensé pour ses repas et son logement) engagés par lui pendant qu'il vivait hors de chez lui occupé à poursuivre ces travaux,
(ii) des dépenses qui lui ont été remboursées, ou
(iii) des dépenses déductibles, comme il est prévu par ailleurs, lors du calcul de son revenu de l'année.
1 S.C. 1970-71-72, c. 63.
Dans les milieux universitaires nord-américains, il est établi que les expressions «bourse d'entretien», «bourse d'études» et «bourse de recherches» se dis- tinguent par le niveau universitaire des bénéficiai- res admissibles. En général les bourses d'entretien sont accordées au niveau de la licence, les bourses d'études au niveau de la maîtrise et les bourses de recherches au niveau du doctorat.
Comme convenu, la transcription des procédures de la Commission de révision de l'impôt et les pièces produites à l'audience ont été reçues en preuve. Une autre pièce—un livre intitulé I cornu- nisti a Torino 1919-1972—a été admise en preuve et marquée pièce 9. Cet ouvrage est entièrement rédigé en italien et, même sans connaître cette langue, on constate de fréquentes références à l'ouvrage du défendeur, comme le prouvent la table des matières et l'index. Pour terminer, on a mis en preuve le fait reconnu suivant:
[TRADUCTION] Les programmes de doctorat diffèrent d'une université à l'autre. Beaucoup imposent un certain nombre de cours à suivre ainsi qu'une thèse à rédiger.
A la suite des plaidoiries et de l'audition, il était bien évident que la preuve souffrait de lacunes assez graves et j'ai réouvert l'audition conformé- ment à la Règle 496.
Les sommes contestées provenaient de renouvel- lements pour des périodes de douze mois d'une aide financière accordée précédemment; les renou- vellements prenaient effet à compter du l er avril des années 1971 et 1972. La preuve présentée à la Commission de révision de l'impôt et acceptée aux fins de ce procès comprenait les demandes de renouvellement du défendeur et des extraits de brochures du Conseil des Arts du Canada décri- vant les programmes de 1971-1972 et de 1972- 1973. La demande initiale et les conditions prévues par le Conseil des Arts du Canada pour l'octroi d'une aide financière n'avaient pas été versées au dossier.
Outre les preuves présentées à la Commission de révision de l'impôt, le fait reconnu relatif à la diversité des programmes de doctorat, la pièce 9 et les documents suivants sont maintenant au dossier:
1. Une copie de la demande initiale du défen- deur au Conseil des Arts du Canada pour une bourse de recherche.
2. Une copie de la lettre du Conseil des Arts du Canada au défendeur l'informant de l'octroi de la bourse.
3. Un document daté d'août 1968 intitulé [TRA- DUCTION] Note de service aux: candidats à une bourse de recherches en vue d'un doctorat, décrivant, comme l'admettent les avocats, les conditions de l'octroi de la bourse.
4. Deux autres documents intitulés [TRADUC- TION] Note de service aux: candidats à une bourse de recherches en vue d'un doctorat datés d'août 1970 et de juin 1971 décrivant claire- ment, comme l'admettent les avocats, les condi tions de renouvellement de la bourse de recher- ches du défendeur pour des périodes de douze mois, commençant respectivement le 1e 1 avril 1971 et le ler avril 1972.
Le montant total de $4,500 perçu par le défendeur en 1972, est constitué de $1,350 pour le renouvel- lement du l er avril 1971 et de $3,150 pour celui du 1 e1 avril 1972.
Le pouvoir du Conseil des Arts du Canada d'effectuer le paiement en question est défini à l'article 8 de la Loi sur le Conseil des Arts du Canada 2 :
8. (1) Le Conseil vise à développer et favoriser l'étude et la jouissance des arts, des humanités et des sciences sociales, de même que la production d'oeuvres s'y rattachant. Notamment, sans restreindre la portée de ce qui précède, le Conseil peut, pour faciliter la réalisation de ses fins,
(b) pourvoir, par l'entremise de groupements compétents ou d'autre façon, à des subventions, bourses d'études ou prêts à des personnes au Canada pour des études ou recherches dans le domaine des arts, des humanités ou des sciences sociales, en ce pays ou ailleurs, ainsi qu'à des personnes en d'autres pays pour des études ou recherches dans ces domaines au Canada;
Il est clair que le Conseil des Arts du Canada a le pouvoir d'accorder une subvention de recherches. L'expression «bourse de recherches» ne révèle pas, en soi, la nature des sommes perçues aux fins de l'impôt sur le revenu. Ceci dit, il s'agit d'une bourse de recherches, selon la terminologie du Conseil, qui a été demandée, puis accordée et enfin renouvelée.
2 S.R.C. 1970, c. C-2.
Voici les conditions d'admission en vigueur au moment de la demande initiale et exposées dans la note de service du mois d'août 1968:
[TRADUCTION] Admissibilité: Toute personne pouvant prouver qu'au moment de l'octroi de l'aide financière
1) elle est inscrite à un programme d'études sanctionné par un doctorat ou l'équivalent et
2) la durée des cours à suivre ne dépasse pas deux ans.
A la suite du renouvellement de la subvention, les conditions exigeaient que le candidat
[TRADUCTION] ait terminé une année d'études supérieures après obtention d'un B.A. avec mention ou son équivalent.
plutôt qu'au maximum deux années de scolarité. A mon sens, ce changement n'est pas pertinent car il semble s'appliquer aux demandes initiales et non au renouvellement des subventions accordées en vertu des conditions antérieures.
Le 4 décembre 1968, le défendeur a fait une demande de bourse de recherches en vue d'un doctorat, pour un montant de $3,500 pour une période de douze mois à compter du l er octobre 1969, date à laquelle il comptait avoir obtenu son B.A. de l'université d'Oxford (Angleterre). Il se proposait de suivre un programme de doctorat à Oxford et prévoyait qu'à partir du l er octobre 1969, il ferait trois années d'études sans toutefois suivre de cours. Son programme d'études et de recherches portait sur [TRADUCTION] d'Opposition de gauche au sein du Parti travailliste sous le gouvernement Attlee». Je donne tous ces détails parce que les renouvellements ont été accordés afin de lui permettre de poursuivre un programme d'études et de recherches sur le Parti communiste italien sanctionné par un doctorat de l'université de Reading (Angleterre). La preuve indique que, malgré ces changements de toute évidence impor- tants, les sommes perçues provenaient du renouvel- lement de l'aide financière initiale approuvée le 14 mars 1969 et ne résultaient pas d'une autre demande et d'une nouvelle bourse.
Le règlement de l'université de Reading prévoit que le doctorat peut être obtenu à la suite de l'acceptation d'une thèse. L'Université n'exige aucun cours ou examen ni même de simple pré- sence. Voici un extrait pertinent du règlement:
[TRADUCTION] (20) Le doctorat est accordé aux diplômés de l'Université ou d'autres universités et aux personnes approu- vées par le Sénat ayant
(a) fait une recherche approuvée par le Sénat pendant au moins trois années universitaires après avoir réussi les exa- mens nécessaires à l'obtention du B.A. ou de la maîtrise (sous réserve des clauses 21 et 22 de ce règlement)
(b) satisfait aux autres conditions prévues au règlement et
(c) présenté le résultat de leurs recherches dans une thèse acceptée par les Examinateurs désignés par l'Université qui peuvent, à leur discrétion, interroger les candidats au sujet de la thèse présentée ou de la recherche effectuée.
Le directeur de thèse, ou en son absence le chef du départe- ment çoncerné, est responsable de la recherche. Le directeur de thèse (ou le chef du département) peut déléguer le contrôle du travail de l'étudiant comme il lui convient à un autre professeur de l'Université nommé par le Conseil de la Faculté concernée.
Le candidat doit normalement passer les trois années univer- sitaires requises à l'Université, mais si le Sénat le permet, il peut s'en absenter pendant une certaine période ou même les trois années entières à condition que la recherche continue à être dirigée et suivie comme prévu ci-dessus et conformément au règlement.
Les clauses 21 et 22 ne s'appliquent pas.
Il appert qu'en 1972 le Sénat a permis au défen- deur de s'absenter. Il n'a pas mis les pieds en Angleterre et encore moins à Reading. Il vivait à Rome et a passé toute l'année en Italie, à l'excep- tion du mois d'août qu'il a pris en vacances au Canada. Les dépenses qu'il réclame ne représen- tent pas ses frais de subsistance à Rome mais plutôt le montant dépensé pour ses repas et son logement ailleurs en Italie.
Après avoir consulté certains dictionnaires 3 , j'ai conclu que les définitions pertinentes des expres sions «bourse d'études» et «bourse de recherches» du Webster's Third New International Dictionary sont les plus fidèles au sens courant de ces expres sions dans le langage nord-américain moderne. C'est dans cet esprit qu'il me semble raisonnable d'écarter le sens particulier des expressions «bourse d'études» et «bourse de recherches» en Grande-Bre- tagne. Les paiements en question ont été effectués
3 Webster's Third New International Dictionary et Funk & Wagnall's New `Standard" Dictionary, publiés il y a quinze ans et The Shorter Oxford English Dictionary, publié en 1972.
par un établissement nord-américain au profit d'un chercheur nord-américain et ont été déclarés impo- sables par une loi adoptée par le Parlement du Canada. Bien que la recherche ait été faite en Europe, il n'en demeure pas moins que le défen- deur qui a demandé les subsides, le Conseil des Arts du Canada qui les a accordés et le Parlement qui les a rendus imposables, ont tous agi dans un contexte nord-américain.
Aucune des définitions de l'expression «bourse d'entretien» du dictionnaire n'est pertinente en l'es- pèce. La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit aucune de ces expressions. Le Webster's Third New International Dictionary les définit comme suit:
[TRADUCTION] bourse de recherches: somme d'argent offerte ou octroyée par une institution d'enseignement, un organisme public ou privé, une organisation ou une fondation pour des études ou des recherches avancées ou pour la création littéraire.
bourse d'études: somme d'argent ou son équivalent offerte (par une institution d'enseignement, un organisme public, une orga nisation privée ou une fondation) afin de permettre à un étudiant de poursuivre ses études dans une école, un collège ou une université.
De même que le Conseil des Arts du Canada peut accorder des subventions aux fins d'études ou de recherches, l'expression «bourse de recherches» dans le langage courant couvre entre autres les subventions pour études ou recherches. Il faut cependant établir un distinction aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il est évident que la recherche constitue un élément, une composante ou un aspect importants des études. En général, on attendra d'autant plus d'un chercheur du point de vue de la qualité et de la quantité de ses recherches qu'il aura atteint un niveau universitaire élevé. J'admets sans réserve aucune qu'en 1972 le défendeur s'est consacré exclusivement à la recherche.
La Loi nous oblige à trouver ailleurs le sens des expressions «bourse d'études» et «bourse de recher- ches» à l'alinéa 56(1)n) mais l'alinéa 56(1)o) est explicite car il précise «toute subvention reçue .. . par le contribuable pour la poursuite de recherches ou de tous travaux similaires». Le membre de phrase «ou de tous travaux similaires» pourrait s'interpréter différemment dans un autre contexte mais cela n'est pas pertinent. Comme je l'ai souli- gné, en 1972 le défendeur s'est exclusivement con- sacré à la recherche.
Pour que les sommes perçues relèvent de l'alinéa 56(1)o), il faut que l'octroi des subsides vise à permettre au défendeur de poursuivre sa recher- che. La question fondamentale porte donc sur le but des paiements reçus du Conseil des Arts du Canada et non sur les moyens pris, par nécessité ou par choix, pour atteindre ce but. Si l'objectif était la recherche en elle-même, qui dans la plu- part des cas n'est pas faite de façon désintéressée mais en vue d'élaborer de nouvelles idées, qu'elles aient été prévues ou non, la subvention a été effectuée dans ce but et entre dans le cadre de l'alinéa 56(1)o). Il en est ainsi même si l'avance- ment universitaire du défendeur constitue un but poursuivi mais secondaire ou une conséquence nor- male mais accessoire. Si par contre, la subvention visait à permettre au défendeur de progresser dans sa carrière universitaire et si la recherche n'est qu'un moyen, si essentiel soit-il, de réaliser ce but, elle constitue alors une bourse d'entretien, une bourse d'études ou une bourse de recherches et relève de l'alinéa 56(1)n).
Malgré la qualité incontestable de la recherche effectuée et le temps exclusivement consacré à la recherche en 1972, la subvention visait à aider le défendeur à obtenir son doctorat et non à lui permettre d'accroître les connaissances sur le Parti communiste italien. Vu le niveau universitaire du défendeur en 1972, la subvention représentait donc une bourse de recherches et les montants perçus relèvent bien de l'alinéa 56(1)n) de la Loi.
L'appel est accueilli. Le paragraphe 178(2) de la Loi s'applique aux frais engagés dans cette action. Comme convenu le défendeur a droit à ses dépens, débours compris, qui sont fixés à $1,500 et tiendront lieu de frais taxés.
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