Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-108-76
Nadine Pirotte (Requérante) c.
La Commission d'assurance-chômage et le juge George A. Addy, juge-arbitre (Intimés)
et
Le sous-procureur général du Canada (Mis-en- cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 13 octobre et 9 novembre 1976.
Examen judiciaire—Appel d'une décision d'un juge-arbitre rendue en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage—L'appe- lante, ne sachant la procédure à suivre pour faire une demande, a suivi l'avis erroné de son employeur—S'agit-il d'un «motif justifiant son retard» au sens de l'art. 20(4) de la Loi et de l'art. 150 des Règlements—Loi sur la Cour fédérale, art. 28—Loi sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 20(1) et (4), 53, 54 et 55—Règlements sur l'assurance- chômage, art. 150.
La requérante ignorait la procédure à suivre pour réclamer des prestations d'assurance-chômage et a été mal informée par son employeur, ce qui a eu pour effet de retarder la présenta- tion de sa réclamation selon la manière prévue par la Loi et les Règlements. Le juge-arbitre a conclu qu'il ne pouvait y avoir un «motif justifiant [le] retard» sauf si l'ignorance ou l'erreur de la requérante avait pour cause une déclaration erronée de la Commission d'assurance-chômage. La requérante prétend que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en arrivant à cette conclusion.
Arrêt: la demande est rejetée. En vertu de la Loi, la présenta- tion d'une demande en la façon prévue à la Loi et aux Règle- ments est une condition essentielle pour avoir droit aux presta- tions. Ce que le Parlement entend par «motif justifiant [le] retard» doit être déterminé à la lumière des principes généraux du droit à moins qu'il y ait une intention manifeste de s'en écarter et un de ces principes veut que l'ignorance de la loi n'excuse pas le défaut de se conformer à une prescription législative. Le seul cas l'ignorance de la loi peut constituer un motif justifiant le retard est celui la Commission elle- même serait responsable de cette ignorance.
Arrêt appliqué: Mihm c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [ 1970] R.C.S. 348. Arrêt approuvé: Varty c. Rimbey (1954) 7 W.W.R. (N.S.) 256 (Alta. C.A.).
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
Roland Cousineau pour la requérante. Jean Marc Aubry pour les intimés.
PROCUREURS:
Cousineau & Beauchemin, Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE LE DAIN: Cette demande en vertu de l'article 28 est dirigée contre la décision d'un juge-arbitre agissant en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage'. Par cette décision, le juge-arbitre a rejeté l'appel que la requérante avait fait de la décision d'un conseil arbitral.
Devant le juge-arbitre, les parties ont convenu des faits suivants. La requérante savait qu'elle avait le droit de réclamer des prestations d'assu- rance-chômage, mais elle ne savait pas comment présenter sa réclamation. Elle s'enquit auprès d'une employée du ministère de l'Éducation de Québec elle avait travaillé. Cette employée l'informa qu'elle devait, d'abord, écrire à la Com mission d'assurance-chômage à Ottawa pour lui faire part de sa mise à pied et, ensuite, attendre qu'on lui réponde, ce qui pouvait prendre beaucoup de temps. En conséquence de son ignorance de la Loi et des règlements, en conséquence aussi des fausses informations qu'une représentante de son ancien employeur lui avait communiquées, la requérante tarda à présenter sa réclamation en la façon prescrite par la Loi et les règlements.
La question soumise au juge-arbitre était celle de savoir si on pouvait considérer que ces circons- tances constituaient, au sens de l'article 20(4) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, un «motif justifiant» le retard de la requérante à présenter sa réclamation. Cet article 20(4) prévoit qu'en cer- tains cas le retard à formuler une réclamation peut être excusé:
20. (4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de prestations après le premier jour il remplissait les condi tions requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son retard, la demande peut, sous réserve des conditions pres- crites, être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
' S.C. 1970-71-72, c. 48.
L'article 150 des règlements contient également les dispositions suivantes sur le même sujet:
150. (1) Une demande initiale de prestations peut être con- sidérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve
a) qu'à cette date antérieure il remplissait, sous tous les rapports, les conditions requises pour recevoir des prestations et qu'il était en mesure d'en fournir la preuve, et
b) que, durant toute la période comprise entre cette date antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa demande, il avait un motif valable de tarder à formuler sa demande.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), aucune demande initiale de prestations ne doit être considérée comme ayant été formu- lée à une date antérieure de plus de treize semaines à celle elle l'a été effectivement.
(3) Une demande initiale de prestations peut être considérée comme ayant été formulée à une date antérieure de plus de treize semaines et d'au plus vingt-six semaines à celle à laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve qu'après cette date antérieure, il était incapable de travailler par suite de maladie, blessure ou mise en quarantaine.
Le juge-arbitre a décidé que l'erreur de droit, quelqu'en soit la cause, sauf le cas elle a été provoquée par des représentations faites au nom de la Commission, ne peut en droit constituer, au sens de l'article 20(4), un «motif justifiant» le retard d'un prestataire à présenter sa réclamation. Il a, en conséquence, rejeté l'appel de la requérante qui prétend aujourd'hui que cette décision du juge- arbitre est erronée en droit.
Le problème, tel que je le comprends, c'est de savoir s'il est raisonnable de penser, dans ce con- texte législatif bien particulier, (compte tenu de la nature et du rôle des dispositions législatives en cause, compte tenu aussi de l'intention clairement exprimée que le retard à présenter une réclamation soit excusé dans le cas il est justifié) que le Parlement a pu vouloir que l'ignorance de la loi soit, au moins en certaines circonstances, un motif justifiant le retard d'un réclamant.
Il ressort des articles 20(1), 53, 54 et 55 de la Loi que la présentation d'une réclamation en la façon prévue par la Loi et les règlements est une condition dont dépend le droit aux prestations et dont la réalisation détermine la date à compter de laquelle les prestations peuvent être payées. Il semble que la loi veuille encourager la présentation rapide des réclamations, probablement pour que la Commission puisse, aussitôt que possible après l'arrêt de rémunération, vérifier si le réclamant a
droit aux prestations. Une réclamation peut être antidatée si le réclamant fait valoir un motif justi- fiant son retard.
Ce que le Parlement a voulu dire, dans l'article 20(4), par «motif justifiant> le retard doit être déterminé à la lumière des principes généraux du droit. Il faut présumer que le Parlement n'a pas voulu s'écarter de ces principes à moins qu'il n'ait manifesté clairement son intention de le faire. (Maxwell, On Interpretation of Statutes, 12e éd., p. 116.) C'est un principe fondamental que l'igno- rance de la loi n'excuse pas le défaut de se confor- mer à une prescription législative. (Mihm c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
[1970] R.C.S. 348 la page 353.) Ce principe, parfois critiqué parce qu'il serait fondé sur la présomption peu réaliste que la loi est connue de tous, a depuis longtemps été reconnu comme essen- tiel à l'ordre juridique. C'est un principe si fonda- mental que je ne puis croire, en l'absence d'indica- tions claires au contraire, que le Parlement a voulu que l'expression «motif justifiant son retard» dans l'article 20(4) comprenne l'ignorance de la loi.
Le problème à résoudre ressemble à celui que soulèvent les dispositions législatives prévoyant que le défaut de donner à une corporation municipale l'avis de l'accident exigé par la loi n'est pas fatal s'il existe une excuse raisonnable justifiant le défaut. Les tribunaux ont décidé que la seule ignorance de la loi, en l'absence de faute imputable à l'autre partie, ne constitue pas une excuse raison- nable. (Varty c. Rimbey (1953) 7 W.W.R. (N.S.) 681, confirmé par (1954) 12 W.W.R. (N.S.) 256 (Alta. C.A.).) Je ne vois pas pourquoi on devrait donner une interprétation différente à l'expression «motif justifiant son retard» dans l'article 20(4).
Admettre que l'ignorance de la loi soit un motif justifiant le retard d'un prestataire ce serait, comme l'a dit le juge-arbitre, introduire beaucoup d'incertitude dans l'administration de la Loi à moins qu'on ne puisse formuler un critère clair et sûr permettant de dire dans quel cas il en doit être ainsi. Personne, à ce que je sache, ne prétend que l'ignorance de la loi doive toujours être considérée comme une excuse justifiant le retard. Alors, dans quel cas devra-t-elle être ainsi considérée? A mon avis, le seul critère qui permette de répondre à cette question est celui qui résulte du devoir de
prudence qui impose à tout réclamant l'obligation de s'informer auprès de la Commission elle-même des exigences de la loi et des règlements. Mais alors ce qui expliquerait le retard du réclamant ne serait pas tant son ignorance de la loi que les fausses représentations faites au nom de la Com mission. On pourrait alors considérer le retard comme étant justifié parce qu'il serait attribuable à la Commission plutôt qu'au réclamant. Il n'est pas nécessaire cependant d'exprimer une opinion sur ce point.
Je suis donc d'opinion que le juge-arbitre n'a pas commis d'erreur de droit et que, en conséquence, la demande faite en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
* * *
LE JUGE PRATTE: Je suis aussi d'avis que la demande en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.