Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

76-A-305
Anna Maslej (Requérante) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 8 avril; Ottawa, le 30 avril 1976.
Immigration—Demande d'autorisation d'interjeter appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration refusant de permettre que l'appel d'une ordonnance d'expul- sion suive son cours—L'article 11(3) de la Loi sur la Commis sion d'appel de l'immigration prive-t-il la requérante de son droit à une audition impartiale de sa cause puisqu'elle n'a pas la possibilité d'être entendue et que le groupe de membres de la Commission formant quorum a examiné des questions autres que la déclaration établie conformément â l'article 11(2)?—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11(2),(3)—Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, art. 2(a),(e).
La requérante a sollicité l'autorisation d'interjeter appel d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration refusant de permettre que l'appel interjeté par la requérante d'une ordonnance d'expulsion suive son cours. La requérante a adopté la thèse avancée dans l'affaire Lugano ([1976] 2 C.F. 438), mais elle a prétendu en outre que l'article 11(3) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration la privait de l'audition impartiale de sa cause puisqu'elle n'avait pas la possibilité d'être entendue sur la question de savoir si son appel pouvait suivre son cours, et que le groupe de membres de la Commission formant quorum avait examiné des questions autres que la déclaration établie conformément aux exigences de l'article 11(2) pour prendre sa décision.
Arrêt: la requête est rejetée pour les motifs énoncés dans l'affaire Lugano. En ce qui concerne les autres prétentions, l'ordonnance d'expulsion démontre qu'en l'absence de privilèges particuliers, la requérante n'a pas le droit de demeurer au Canada. Elle ne cherche pas à faire valoir un droit, mais à obtenir un privilège discrétionnaire. L'article 11(3) décrit la marche à suivre pour déterminer si un appel peut suivre son cours. Il a été décidé, dans l'affaire Fuentes ([1974] 2 C.F. 331), que le groupe de membres de la Commission formant quorum ne peut examiner que la déclaration, et, dans l'affaire Lugano, qu'«il décide en fonction de cette preuve s'il y a des motifs raisonnables de croire que le requérant, selon la prépon- dérance des probabilités, sera probablement en mesure de prouver son statut de réfugié au cours de l'audience tenue devant la Commission». La décision Prata ([1976] 1 R.C.S. 376) exclut l'exigence supplémentaire de l'audition de la per- sonne concernée. A l'égard de l'emploi, par le groupe de membres de la Commission de l'expression «il est notoire», on peut remarquer qu'un tribunal ne peut aborder un problème sans avoir de connaissances générales. Le groupe de membres formant quorum n'a pas examiné des faits, des renseignements ou des preuves qui n'étaient pas mentionnés dans la déclaration.
Arrêt suivi: Lugano c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 2 C.F. 438. Arrêts appliqués: Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Fuen- tes [1974] 2 C.F. 331; Prata c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376, confir- mant [1972] C.F. 1405.
REQUÊTE. AVOCATS:
I. W Bardyn pour la requérante. G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bardyn & Zalucky, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La demanderesse sollicite une ordonnance l'autorisant à interjeter appel de la décision rendue le 16 janvier 1976, par la Commis sion d'appel de l'immigration dans laquelle elle refusait, conformément à l'article 11(3) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration (ci- après appelée la Loi), de permettre que l'appel interjeté par la requérante d'une ordonnance d'ex- pulsion décernée par l'enquêteur spécial suive son cours.
L'avocat de la requérante a adopté les thèses avancées dans l'affaire Lugano c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 2 C.F. 438 entendue le même jour, avant la présente demande. Pour les motifs indiqués à l'occasion de la première demande, nous ne pouvons admettre ces prétentions.
Mais l'avocat a contesté les décisions de la Commission sur deux autres points: il a fait valoir a) que l'article 11(3) privait la requérante de l'audition impartiale de sa cause à laquelle elle avait droit en vertu de la Déclaration canadienne des droits puisqu'elle n'avait pas la possibilité d'être entendue sur la question de savoir si son appel pouvait suivre son cours, et que b) pour rendre sa décision, le groupe de membres de la Commission formant quorum avait examiné dans ses motifs des questions autres que la déclaration établie conformément aux exigences de l'article 11(2) de la Loi.
En ce qui concerne la première prétention de l'avocat, je ne puis que renvoyer à certaines remar- ques du juge Martland, dans l'affaire Prata c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion', sur la conception générale et l'économie de la Loi sur l'immigration. Je pense que ses remar- ques à la page 380, bien que visant d'autres arti cles de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, s'appliquent également, par analo- gie, à l'examen de la compétence de la Commis sion aux termes de l'article 11(3).
En étudiant si la règle audi alteram partem peut être invo- quée en l'espèce, il faut examinér les circonstances suivantes. L'appelant cherche à demeurer au pays, mais l'ordre d'expul- sion, qui n'est pas contesté ici, établit que, s'il ne peut bénéficier d'aucun privilège particulier, il n'a aucun droit de demeurer au Canada. Par conséquent, il ne cherche pas à faire reconnaître un droit, mais il tente plutôt d'obtenir un privilège discrétion- naire. [C'est moi qui souligne.]
La situation d'un étranger en common law a été brièvement résumée par lord Denning, maître des rôles, dans l'affaire récente R. v. Governor of Pentonville Prison, [1973] 2 All E.R. 741, la p. 747, de la façon suivante:
[TRADUCTION] En common law, un étranger n'a aucun droit d'entrer dans ce pays sauf avec la permission de la Couronne, permission qu'elle peut refuser sans fournir aucun motif: voir Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs,
[1969] 2 Ch. 149, la p. 168. Lorsque permission lui est accordée, la Couronne peut imposer les conditions qu'elle juge nécessaires, à l'égard de la durée de son séjour ou à tout autre égard. Il n'a aucun droit absolu de demeurer ici. Il est susceptible d'être renvoyé dans son propre pays si en aucun temps, la Couronne juge que sa présence ici ne contribue pas à l'intérêt public; et à cette fin, les autorités peuvent le mettre sous arrêt et le conduire à bord d'un navire ou d'un aéronef à destination de son pays: voir R. v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen, [1963] 2 Q.B. 243 aux pp. 300 et 301. La situation des étrangers en common law a depuis fait l'objet de divers règlements mais les principes demeurent inchangés.
Le droit des étrangers d'entrer et de demeurer au Canada, est régi par la Loi sur l'immigration. Celle-ci prévoit l'établis- sement d'ordonnances d'expulsion selon les conditions qu'elle prescrit. Une telle ordonnance a été rendue à l'égard de l'appe- lant et les parties reconnaissent sa validité.
Les mêmes principes généraux s'appliquent à cette affaire.
Puis, à la page 383, le juge Martland fait remar- quer que l'avocat de Prata se fonde sur l'article 2a) et e) de la Déclaration canadienne des droits et, à l'égard de cette prétention, adopte le raisonnement du juge en chef Jackett au sujet de l'appel interjeté
' [1976] 1 R.C.S. 376.
par Prata devant cette coure. L'extrait la page 1413] des motifs rendus par le juge en chef Jackett s'appliquent à l'examen des prétentions de l'avocat dans la présente affaire.
Dans l'étude des arguments de l'appelant fondés sur la Déclaration canadienne des droits, il est important de garder présent à l'esprit que tout ce que l'appelant attribue à une injustice, dans la présente affaire, est le résultat direct de l'ordonnance d'expulsion. Toutefois, il ne conteste pas la vali- dité de l'ordonnance d'expulsion et il ne prétend pas que l'ordonnance n'ait pas été rendue conformément à la procédure prévue par la Loi sur l'immigration et ses règlements d'applica- tion. Il ne prétend pas non plus que la procédure n'ait pas été une «application régulière de la loi», aux termes de l'article la) de la Déclaration canadienne des droits, ou qu'elle n'ait pas été conforme «aux principes de justice fondamentale», aux termes de l'article 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, dans la mesure l'on peut dire que l'ordonnance d'expulsion a porté atteinte à son droit «à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens» ou qu'elle a modifié ses «droits» et «obligations», il n'y a eu aucune violation de l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits, par rapport aux articles la) ou 2e) de celle-ci.
L'article 11(3) décrit la marche à suivre pour déterminer si un appel d'une ordonnance d'expul- sion peut suivre son cours lorsque le demandeur revendique le statut de réfugié. Aux termes du jugement Fuentes 3 , le groupe de membres de la Commission formant quorum ne peut examiner que la déclaration pour rendre sa décision confor- mément à cet article. Celui-ci a manifestement pour but de filtrer les demandes fondées sur la revendication du statut de réfugié. Dans l'affaire Lugano (precitée) nous avons jugé la page 443] que l'article 11(3) exige que le groupe formant quorum évalue la déclaration
... et décide en fonction de cette preuve s'il y a des motifs raisonnables de croire que le requérant, selon la prépondérance des probabilités, sera probablement en mesure de prouver son statut de réfugié au cours de l'audience tenue devant la Commission.
Le groupe de membres de la Commission for- mant quorum jouit donc d'un pouvoir discrétion- naire pour exercer cette compétence limitée.
Le raisonnement suivi dans la décision Prata (précitée) exclut nettement, à notre avis, l'exigence supplémentaire de l'audition de la personne concernée.
L'avocat de la demanderesse reproche en second lieu au groupe de membres de la Commission
2 [1972] C.F. 1405.
3 [1974] 2 C.F. 331.
formant quorum d'avoir inclus l'expression sui- vante dans les motifs de sa décision:
[TRADUCTION] Il est notoire qu'il existe en Pologne des milliers de polonais d'origine ukrainienne et tous ces ukrainiens ne courent certainement pas le risque d'être persécutés.
On peut statuer rapidement sur ces prétentions en faisant remarquer qu'un tribunal ne peut abor- der un problème avec un esprit collectif absolu- ment exempt de connaissances générales, commu nes à d'autres membres de la société et acquises par expérience individuelle, y compris, et c'est peut-être le plus important, les connaissances acquises par les membres du tribunal à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Nous pensons que la déclaration de la Commission, dont se plaint la demanderesse, entre dans cette catégorie.
En se rapportant au fait «notoire» mentionné dans ses motifs, le groupe de membres de la Com mission formant quorum n'a pas examiné des faits, des renseignements ou des preuves qui n'étaient pas mentionnés dans la déclaration établie en vertu de l'article 11 et n'a donc commis aucune erreur de droit, à mon avis, en statuant conformément au paragraphe (3) de cet article.
Les demandes d'autorisation d'appel sont donc rejetées.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.