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A-280-74
Massey Ferguson Limited (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain, le juge suppléant MacKay—Toronto, le 2 novembre et, le 13 décembre 1976.
Impôt sur le revenu—Appel d'une nouvelle cotisation—Le prêt par un résident à un non-résident entre-t-il dans le cadre de l'art. 19(1)?—Les droits et les obligations juridiques entre les parties ont-ils été altérés au point de constituer un «trompe-l'œil ?—S'agit-il d'une véritable opération commer- ciale visant à impliquer un tiers?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 19(1) et (3) et 139(1)aq).
L'appelante soutient qu'un prêt sans intérêt consenti par elle à sa filiale V aux fins de fournir un capital d'exploitation à sa filiale non résidente P constitue une véritable opération com- merciale créant des droits et des obligations exécutables entre elle-même et V, et qu'un intérêt à cet égard n'est donc pas censé être un revenu en vertu de l'article 19(1) de la Loi. L'appelante prétend aussi que P, en tous cas, est une corpora tion filiale contrôlée au sens de l'article 139(1)aq), en sorte que les dispositions de l'article 19(3) soustraient la transaction aux dispositions de l'article 19(1).
Arrêt: l'appel est accueilli. Il ressort de la preuve que l'appe- lante a eu l'intention de consentir un prêt sans intérêt à V, afin que V puisse prêter cet argent à P, et non pas de faire directement un prêt à P. Donc, les parties ont essayé et ont réussi à créer des relations créancier-débiteur juridiquement exécutables entre l'appelante et V et entre V et P. Il ressort de la preuve qu'il y avait un motif commercial valable d'impliquer V dans la transaction puisque l'une des raisons de l'existence de V est de prêter de l'argent à ses filiales et aux filiales de l'appelante, les fonds nécessaires à cette fin provenant d'em- prunts effectués auprès de l'appelante. Le choix d'un moyen qui permette d'exécuter une transaction en éliminant l'obligation de payer une taxe, est légitime si la transaction est une véritable transaction commerciale, comme c'est le cas en l'espèce. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres prétentions de l'appelante.
Arrêts appliqués: Inland Revenue Commission c. Brebner [1967] I All E.R. 779 et Snook c. London & West Riding Investments, Ltd. [1967] I All E.R. 518. Distinction faite avec l'arrêt: M.R.N. c. Leon [1977] 1 C.F. 249.
APPEL d'une nouvelle cotisation à l'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
S. E. Edwards, c.r., et D. H. Martin pour l'appelante.
N. A. Chalmers, c.r., et C. T. A. MacNab pour l'intimée.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit ici d'un appel d'un jugement rendu par la Division de première ins tance qui rejette avec dépens l'appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt, et le savant juge de première instance a débouté l'appe- lante de son appel contre une nouvelle cotisation de son impôt sur le revenu pour l'année d'imposi- tion 1967. L'avis de nouvelle cotisation daté du 30 mai 1969 révisait le revenu de l'appelante pour ladite année d'imposition afin d'y inclure notam- ment un intérêt de $31,956 qu'elle était réputée avoir reçu.
Les faits qui ont conduit à la révision sont relativement simples et peuvent se résumer comme suit:
L'appelante est une corporation résidant au Canada, et la compagnie mère d'un groupe multi national engagé principalement dans la fabrication et la vente de machines agricoles, de machines de construction et de moteurs diesel. Pendant l'année d'imposition 1967, elle a été la propriétaire réelle de toutes les actions émises par Verity Plow Limi ted (ci-après désignée sous le nom de «Verity»). A tous les moments pertinents, Verity était l'une de ses trois filiales canadiennes non exploitantes, dont la seule fonction a consisté selon la preuve à détenir des capitaux dans les autres compagnies du groupe Massey Ferguson et à les aider à obtenir des prêts.
Pendant la même année d'imposition, Verity a détenu toutes les actions en circulation de Perkins Engines Inc. (ci-après désignée sous le nom de «Perkins»), compagnie dûment constituée en vertu des lois de l'État du Maryland aux États-Unis d'Amérique et ayant son siège social à Farmington (Michigan). A tous les moments pertinents, Per- kins était engagée dans la vente et l'entretien de moteurs diesel fabriqués par une filiale de l'appe- lante. En 1960, Verity a acquis les actions de Perkins avec des fonds fournis par l'appelante. En 1967, les livres comptables de l'appelante indi-
quaient le prêt consenti à Verity pour l'achat desdites actions et les livres de Verity, l'emprunt effectué auprès de l'appelante pour la même opération.
En 1967, Perkins a eu besoin d'un capital d'ex- ploitation et les dirigeants de l'appelante ont fina- lement décidé qu'elle recevrait le montant de $1,000,000 (E.-U.) dont elle avait besoin, sous forme de prêt sans intérêt, l'appelante fournissant à Verity les fonds afférents au prêt.
En l'espèce, le seul point litigieux est le suivant: l'appelante a-t-elle ou non prêté les $1,000,000 à Verity, qui les a ensuite prêtés à Perkins, ou les a-t-elle prêtés. directement à Perkins? Il importe d'établir la façon dont s'est opéré le prêt en raison des paragraphes 19(1) et 19(3) de la Loi de l'im- pôt sur le revenu qui, en 1967, étaient rédigés dans les termes suivants:
19. (1) Lorsqu'une corporation résidant au Canada a prêté de l'Argent à une personne non résidante et que le prêt est demeuré en cours pendant un an ou davantage sans qu'un intérêt à un taux raisonnable ait été inclus dans le calcul du revenu du prêteur, un intérêt à cet égard calculé à cinq pour cent l'an pour l'année d'imposition ou partie d'année pendant laquelle le prêt est demeuré en cours est censé, aux fins de calculer le revenu du prêteur, avoir été reçu par le prêteur le dernier jour de chaque année d'imposition pendant laquelle ou partie de laquelle le prêt est demeuré en cours.
(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas si le prêt a été consenti à une corporation filiale contrôlée et s'il est établi que l'argent prêté a été utilisé dans l'entreprise de la corporation filiale en vue de gagner ou de produire un revenu.
Selon l'appelante, tous les éléments de la preuve montrent qu'elle a eu l'intention de prêter de l'ar- gent à Verity pour que celle-ci le prête à son tour à Perkins, et que cette intention a bien été réalisée. L'appelante n'a pas consenti le prêt directement à Perkins, mais à sa filiale résidant au Canada, Verity, qu'elle possède entièrement. Donc, le para- graphe 19(1), qui vise exclusivement les prêts effectués par une corporation résidant au Canada à une personne non résidante, et aussi bien entendu à une corporation, ne s'applique pas à la présente transaction. Si tel est le cas, la nouvelle cotisation qui inclut l'intérêt réputé avoir été reçu est non fondée et doit être annulée. De son côté, l'intimée défend le jugement rendu par le juge de première instance, qui conclut que la transaction a réellement consisté en un prêt de l'appelante à
Perkins. Or, cette dernière, si elle est bien une corporation non résidante, n'est pas une filiale contrôlée par l'appelante, au sens l'entend l'ar- ticle 139(1)aq), en sorte qu'il est impossible d'in- voquer l'article 19(3) pour soustraire la transac tion aux dispositions de l'article 19(1). Aux yeux de l'intimée, la nouvelle cotisation est donc cor- recte et doit être maintenue.
Avant de procéder à l'examen des faits perti- nents, je dois souligner qu'il ressort clairement de la preuve que la succursale de la Banque Cana- dienne Impériale de Commerce à New York a versé à Perkins le montant du prêt, l'appelante lui ayant ordonné de virer ces fonds au débit de son compte dans la ville de New York. A la date du prêt, ou vers cette date, les livres comptables de l'appelante indiquent au 29 mars 1967, des entrées à titre de prêt à Verity, pour un montant de $1,000,000 (E. -U.). Quant aux comptes de Verity, approuvés par ses administrateurs et ses actionnai- res, ils indiquent à son crédit le montant du prêt, un élément de passif au même montant en faveur de l'appelante et, à la même date, le versement d'un prêt du même montant à Perkins. Les rap ports financiers que Perkins a présentés à l'appe- lante font aussi état de sa dette envers Verity pour le montant du prêt. Subséquemment, en 1969, lorsque l'appelante a acheté à Verity toutes les actions de Perkins, que celle-ci possédait, Verity lui a cédé sa créance contre Perkins. L'intimée a admis que cette dernière a bien utilisé le montant du prêt aux fins de gagner ou de produire un revenu.
Toutefois, il ressort de la preuve que Verity n'était pas une compagnie activement engagée sur le plan commercial ou industriel, sa seule fonction consistant à détenir des actions des autres compa- gnies du groupe contrôlé par l'appelante et à leur consentir des prêts. Verity avait le même personnel que l'appelante. Ses administrateurs étaient des employés de l'appelante et tous les travaux exigés par ses fonctions étaient exécutés par des employés de l'appelante. Verity n'avait pas non plus de compte bancaire ouvert à son nom.
Le savant juge de première instance a examiné la preuve et en est arrivé aux conclusions suivantes concernant la première partie des prétentions de l'appelante:
...lorsqu'on veut déterminer si une transaction particulière fait entrer une partie dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu, il faut en étudier le fond plutôt que la forme. L'inten- tion qui préside à la transaction est aussi un facteur important aux termes de la Loi et il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances qui s'y rapportent.
En l'espèce, vu l'ensemble des circonstances pertinentes, je suis convaincu que la demanderesse avait nettement l'intention de prêter un million de dollars directement à Perkins. Verity a joué un rôle très peu important au cours de la transaction si ce n'est celui de prête-nom. Il n'existait aucune véritable raison commerciale pour l'impliquer. Il s'est agi uniquement, et Sher- man a fait preuve d'une grande franchise en le reconnaissant, d'une tentative visant à maintenir la transaction lors du cadre de l'article 19(1). Je conclus donc que le fond de la transaction en cause, malgré sa forme, est un prêt consenti par la demande- resse à Perkins, corporation non résidante, et que les disposi tions de l'article 19(1) de la Loi s'appliquent.
Il ne fait aucun doute que le savant juge de première instancç a correctement énoncé les prin- cipes généraux qui servent à déterminer la respon- sabilité en matière d'impôt sur le revenu en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Toutefois, à mon sens, lorsqu'il les a appliqués aux faits de la preuve, il en a tiré des conclusions erronées, à savoir: premièrement, que l'intention de l'appe- lante était de prêter $1,000,000, sans intérêt, directement à Perkins; deuxièmement, qu'il n'y avait aucune véritable raison commerciale pour impliquer Verity; et troisièmement, que malgré sa forme, le fond de la transaction était un prêt de l'appelante à Perkins.
Pour des raisons de commodité, j'examinerai ensemble la première et la troisième de ces conclu sions. Tout d'abord, à mon avis, il faut noter qu'en l'espèce le point litigieux porte sur l'interprétation d'une convention qui vise à prêter de l'argent et d'une convention qui vise à emprunter de l'argent pour le prêter ensuite. De façon générale, une convention qui s'appuie sur des documents ou sur une autre sorte de preuve n'est exécutable que si les parties prouvent leur intention de créer des relations juridiques.' Lorsqu'il y a un contrat formel, il paraît insolite de nier cette intention, mais lorsqu'il n'y en a pas, comme c'est le cas ici, il faut examiner tous les éléments de la preuve avant de décider si les parties ont eu ou non l'intention de créer ce genre de relations et si elles y sont bien parvenues.
Halsbury's Laws of England, 4' éd., vol. 9, p. 175.
En l'espèce, aucun contrat formel n'expose les modalités d'un prêt à Verity ou à Perkins. Toute- fois, l'appelante a produit la preuve de conversa tions, de lettres, de mémoires, de dossiers compta- bles, d'états financiers et de procès-verbaux de réunions, en vue d'établir la nature de la conven tion intervenue entre les parties. De toute évidence, il ressort de cette preuve que l'appelante a d'abord envisagé de consentir à Perkins un prêt de $1,000,- 000. Mais il est tout aussi évident que la transac tion d'abord envisagée a été modifiée lorsque le directeur général des affaires fiscales de l'appe- lante à l'époque, Sherman, a rencontré son tréso- rier, Blair, et l'adjoint de celui-ci, Wleugel, afin de conseiller ce dernier sur l'incidence fiscale du projet de prêt à Perkins. Au cours de cette réunion, Sherman a donné le conseil qui figure dans l'ex- trait suivant de sa déposition:
[TRADUCTION] Q. M. Sherman, le second paragraphe de la lettre contient la phrase suivante:
Comme convenu avec vous et M. Sherman, nous procé- derons comme suit.
Avez-vous eu une réunion antérieure à l'envoi de ce mémoire?
R. Oui, j'ai eu une réunion avec Blair et Wleugel, ils m'ont demandé d'assumer mes responsabilités. J'ai fait alors valoir (ce que mes collègues savaient déjà) que Perkins Inc. n'était pas une filiale de Massey Ferguson Limited et que si elle consentait un prêt sans intérêt directement à Perkins Inc., comme elle envisageait de le faire, il était douteux que le prêt bénéficie de l'exemption prévue pour les filiales par l'article 19(3). En consé- quence, j'ai recommandé d'écarter tout risque à cet égard en confiant à Verity Plow le soin de faire le prêt, et mes collègues, qui étaient tous les deux dirigeants des deux compagnies, ont adopté ma recommandation. Nous avons alors décidé, et Wleugel l'a consigné dans un mémoire qu'il a signé, que Verity ferait le prêt à Perkins ou bien, comme le dit l'expression abrégée de Massey Ferguson dans ce mémoire, que le prêt serait effectué «via Verity».
A partir de ce moment-là, il est visible que la proposition initiale a été modifiée et que l'appe- lante a décidé de prêter sans intérêt $1,000,000 à Verity, l'une de ses filiales résidant au Canada, à charge pour celle-ci de prêter ensuite cette somme à Perkins. Tous les documents conduisent à cette conclusion, à commencer par le mémoire du 27 février 1967 auquel Sherman s'est référé dans sa déposition et dont voici la partie pertinente:
[TRADUCTION] Agrotrac, via la BCIC, s'apprête à consentir à Perkins Engines Inc. un prêt de $300,000 un intérêt annuel de 6%. II a été décidé d'accorder à Perkins États-Unis un prêt complémentaire de $700,000 et à Perkins Canada, un prêt de $250,000, tous deux à moyen terme.
Comme convenu avec vous et M. Sherman, nous procéderons comme suit:
1.) le 26 mars 1967, MF Limited prêtera à Perkins États- Unis, via Verity Plow et sans intérêt, la somme de $1,000,000 É.-U.
3.) au reçu du prêt, Perkins Inc. remboursera au complet le prêt de la BCIC d'un montant de $300,000 (plus les intérêts courus).
Au moins dans une certaine mesure, les difficul- tés que l'appelante traverse actuellement et qui ont abouti à la présente instance, sont dues au style imprécis de ce mémoire fondamental. En particu- lier, les termes «via Verity» semblent indiquer que le rôle' de Verity dans l'opération était en réalité mineur et le membre de phrase «MF Limited prêtera à Perkins ...» montre la vraie nature de l'opération. Mais, comme l'a déclaré Sherman, le mot «via» est une «expression abrégée de Massey Ferguson» qui sert à montrer l'acheminement des prêts. Le mémoire semble corroborer cette opinion puisque ce mot y est utilisé pour indiquer la façon dont le nouveau prêt à Perkins devait être consenti et aussi comment un prêt existant consenti à Per- kins par la Banque Canadienne Impériale de Com merce, provenait en fait d'Agrotrac, filiale pana- méenne de l'appelante. La preuve révèle que le prêt initial de $300,000 a été prélevé sur les fonds «prêtés» à la banque par Agrotrac et que celle-ci, en retour, a prêté le même montant à Perkins. C'est ce que signifie la formule «Agrotrac via la BCIC», qui figure dans le mémoire. Il me semble alors que ce mot est expliqué dans le document et vient étayer la prétention de l'appelante, à savoir que, tout en étant la source initiale du prêt de
$1,000,000 Perkins, elle n'avait pas l'intention d'être le prêteur.
D'autres lettres et mémoires inclus dans la preuve tendent aussi à confirmer cette intention. J'estime superflu de détailler cette preuve ou de m'appesantir sur les livres comptables et les autres dossiers de l'appelante, de Verity et de Perkins, qui montrent que cette intention a bien été exécutée. Il me suffit de dire que si on lit honnêtement tous les éléments de la preuve, on est immanquablement amené à conclure que les parties ont eu l'intention
de créer et ont en fait créé des relations de créan- cier à débiteur d'abord entre l'appelante et Verity et ensuite entre Verity et Perkins.
Donc, en l'espèce, la véritable question à tran- cher est celle de savoir si ces relations et les droits et obligations juridiques qui en découlent ont été altérés pour décider si l'article 19(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquait ou non, vu a) qu'il a été admis que le prêt a été confié à Verity afin d'éviter que l'article 19(1) s'applique à la transaction; b) que le montant du prêt a été payé directement au dernier emprunteur, Perkins, et non pas par l'entremise de Verity; et c) qu'en l'absence de tout document formel, la seule preuve du prêt réside dans les entrées susmentionnées effectuées dans les livres. En toute déférence pour l'opinion contraire du savant juge de première instance, j'estime que ni les relations ni les droits ni les responsabilités n'ont été altérés par l'un des défauts allégués.
Au cours des siècles, l'évolution du droit com mercial est remplie d'exemples les cours recon- naissent que les hommes d'affaires ne comptent pas toujours sur une documentation technique pour prouver le véritable caractère de leurs tran sactions. Ils cherchent plutôt à arriver à leurs fins, surtout lorsque leurs relations sont intimes, par des procédés rapides et non formalistes, que les hommes de loi abhorrent peut-être. Ce faisant, ils prennent les risques que de telles pratiques com- portent pour la détermination de leurs droits res- pectifs. Souvent, il n'y a aucune difficulté, mais lorsqu'il s'en produit, en l'absence de contrats ou autres documents, les cours doivent, à partir d'au- tres éléments de preuve dignes de foi, établir l'in- tention_ des parties et la nature des obligations qui leur incombent. C'est ce qu'il me faut faire ici et je conclus en me fondant sur les faits constatés par le juge de première instance que le prêt consenti par l'appelante a créé des droits et des obligations juridiques exécutables. En quoi consistent-ils? Je vais le déterminer à partir des éléments de la preuve. Il ressort clairement de leur examen que Perkins avait l'obligation de rembourser à Verity l'argent qu'elle avait reçu directement de l'appe- lante. De même, Verity, autre entité juridique séparée, est devenue à une date non spécifiée, redévable de l'argent que l'appelante lui a prêté,
bien que cet argent ne soit jamais réellement par venu en sa possession. Selon la preuve, l'appelante n'avait pas de relations de créancier à débiteur avec Perkins et n'avait donc pas le droit de lui demander le remboursement de $1,000,000, mais ce droit, elle l'avait contre Verity. Si cela est vrai, il me semble alors que le prêt de l'appelante à Verity correspond non seulement à la forme de la partie initiale de la transaction, mais aussi au fond. Je pense donc que le savant juge de première instance a fait erreur lorsqu'il a déduit des faits que, sur le fond, l'opération était un prêt de l'appe- lante à Perkins.
Je suis aussi respectueusement en désaccord avec le juge lorsqu'il conclut qu'il n'y avait pas de véritable raison commerciale pour impliquer Verity dans la transaction. Puisqu'il faut partir de faits constatés, je pense que cette Cour, comme toute cour d'appel en la circonstance, a le droit de substituer son point de vue à celui du juge de première instance. Pour les raisons qui suivent, je crois que nous sommes en mesure de procéder à cette substitution.
Verity a été constituée en 1957, apparemment pour prendre la succession d'une filiale très ancienne de l'appelante, aux fins de détenir des capitaux et de faire des prêts aux autres compa- gnies du groupe Massey Ferguson. Dans sa déposi- tion, Sherman a décrit ces activités de la manière suivante:
[TRADUCTION] M » MCDOUGALL: Q. Pouvez-vous décrire le genre d'affaires auxquelles Verity Plow et son prédé- cesseur se sont livrés depuis 1957?
R. Oui. Je dois peut-être mentionner que les premiers livres de la compagnie ont été difficiles à trouver, en sorte que j'ai avoir recours au registre des procès-verbaux et demander à l'un de mes collègues de préparer à mon intention un bref résumé des transactions qui y étaient mentionnées. Celles-ci consistaient essentiellement à acquérir et à céder des capitaux aux autres compagnies de Massey Ferguson, ainsi qu'à leur consentir et à leur rembourser des prêts.
Q. Voici un document intitulé «Contenu du registre des procès-verbaux». Est-ce le résumé auquel vous faites allusion?
R. Oui.
Q. M. Sherman, je vous ai interrompu pour vous présenter cette pièce. Peut-être pourriez-vous continuer à décrire le genre d'opérations effectuées par Verity Plow Limited au cours de la période que j'ai mentionnée, en vous référant A la pièce 3?
R. Oui. Elles consistaient, comme je l'ai déjà dit, en transac tions effectuées dans l'intérêt des compagnies du groupe Massey Ferguson, c'est-à-dire: acquisition et cession d'ac- tions, consentement et remboursement de prêts. Peut-être devrais-je mentionner à ce propos, le prêt de 25 millions de pesos argentins consenti à une filiale argentine de Massey Ferguson entièrement possédée par elle ....
Q. voyez-vous cela?
R. Page 2, au second poste, en juin 1961. Je pense que ce résumé comprend vraiment toutes les transactions. En avril 1969, Perkins Engines Inc. y est aussi mentionnée.
Q. D'accord. Quel objectif poursuit Massey Ferguson en créant des compagnies non exploitantes comme vous les appelez?
R. A l'époque ces compagnies faisaient ces transactions, soit de 1957 environ 1969 ou 1970, Massey Ferguson Limited poursuivait un objectif très important. Elle avait emprunté une somme d'argent garantie par un contrat bilatéral prévoyant que lorsqu'elle aurait acquis les actions d'une autre compagnie, ces actions seraient blo- quées. Donc. elle en aurait la propriété, mais ne pourrait pas en disposer sans le consentement préalable des obliga- taires. Une telle situation rendait très difficile de se livrer à une quelconque exploitation et de procéder à des tran sactions commerciales sans que l'obligation de prendre contact avec les obligataires et d'obtenir leur approbation engendre un retard. Donc, ce contrat a incité Massey Ferguson Limited à adopter comme politique, la création de filiales, dont les principales sont Bain Wagon et Verity Plow, et d'acheter leurs actions. Le contrat de fiducie en question n'interdisait nullement cette opération, qui était parfaitement régulière et permettait, en cas de nécessité, de céder ces actions à une autre compagnie sans le retard occasionné par les contacts avec les obligataires.
Il y avait un second objectif, à savoir que très souvent il devait y avoir plus d'un seul actionnaire, et en acquérant le contrôle effectif des actions d'une filiale, Massey Fer- guson Limited achetait normalement toutes ses actions, sauf un petit nombre (1 à 5). Ses filiales achetaient alors chacune une action, afin de devenir actionnaires de la compagnie.
Ce témoignage n'a pas été contesté. Il prouve assurément qu'en 1967, il y avait des raisons com- merciales valables pour que Verity continue d'exis- ter, dont l'une des plus importantes pour le règle- ment du présent litige était de prêter de l'argent à ses filiales. D'ailleurs, les autres éléments de la preuve ne mentionnent nullement la nécessité de placer d'autres fonds au crédit de Perkins, afin de lui permettre de faire face à ses besoins en capital d'exploitation. L'intimée a admis que l'argent emprunté a bien été employé à cette fin.
Donc, il ne peut pas être question de mettre en cause la légitimité de l'existence de Verity. Le fait de détenir toutes les actions en circulation de Perkins faisait partie de sa raison d'être et le prêt qu'elle lui a consenti entrait dans ses activités normales de prêt aux autres filiales de Massey Ferguson. Toutefois, le savant juge de première instance, en dépit des faits, a conclu que le seul motif pour impliquer Verity dans la transaction était «une tentative visant à maintenir la transac tion lors du cadre de l'article 19(1).» Il considérait aussi l'intervention de Verity comme un «trompe-l'oeil».
En toute déférence, je ne peux pas accepter ce point de vue. Comme je l'ai déjà dit, il ressort de la preuve que les activités de Verity consistaient jus- tement à prêter de l'argent aux filiales de Massey Ferguson. Ses états financiers prouvent que c'est bien ce qu'elle a fait non seulement en l'espèce, mais aussi dans d'autres cas. L'argent consacré à cette fin, ici comme ailleurs, a été emprunté à la compagnie mère, c'est-à-dire à l'appelante. Ni l'existence de la personne morale ni ses activités n'ont été en aucune façon un «trompe-l'oeil».
Ceci dit, en l'espèce, y a-t-il quelque chose qui transforme le prêt en «trompe-l'oeil», comme l'es- time le juge de première instance? En règle géné- rale, on peut dire que lorsqu'il y a deux façons de mener une transaction, l'une qui entraîne l'obliga- tion de payer l'impôt et l'autre qui réduit ou élimine cette obligation, alors, si la transaction est par ailleurs une véritable transaction commerciale, il n'y a aucune raison pour ne pas adopter la méthode d'épargne fiscale. Lord Upjohn énonce succinctement ce principe dans Inland Revenue Commission c. Brebner [1967] 1 All E.R. 779, à la page 784 dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Milords, j'aimerais conclure mon jugement en déclarant seulement ceci: lorsqu'on étudie la question de mener une véritable transaction commerciale, comme c'était le cas en l'espèce, le fait qu'il y ait deux façons de la mener, l'une en payant le maximum d'impôt, l'autre en n'en payant pas ou bien moins, il serait tout à fait faux de conclure, comme consé- quence nécessaire, qu'en adoptant la seconde méthode, l'un des principaux objectifs était, aux fins de cet article, de frauder l'impôt. Tout homme d'affaires de bon sens ne concluera de transactions commerciales qu'en décidant au départ de payer le moins d'impôt possible.
En l'espèce, l'appelante a adopté une méthode de prêts pour un motif bien fondé: prévenir tout risque de voir inclure dans son revenu imposable un intérêt qu'elle serait présumée avoir reçu sur le prêt, qui l'augmenterait. A mon sens, cette déci- sion ne transforme pas la transaction en trompe- l'oeil. A l'appui de ce point de vue, je cite le passage bien connu de l'arrêt rendu par lord Diplock dans Snook c. London & West Riding Investments, Ltd. [1967] 1 All E.R. 518, la page 528:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'allégation, par le demandeur, que les transactions entre lui-même, Auto-Finance, Ltd. et les défendeurs étaient un «trompe-l'oeil», il me semble nécessaire d'examiner quelle notion juridique peut renfermer ce mot d'usage courant et de sens péjoratif. Je croirais que, s'il a quelque signification en droit, il désigne ces actes faits, ou passés par les parties à la transaction et qui visent à simuler, aux yeux des tiers ou du tribunal, la création de droits ou d'obligations juridiques différents des droits ou obligations juridiques que les parties ont véritablement entendu créer (dans la mesure elles ont voulu en créer). Cependant, il est, me semble-t-il, clair en droit, en morale et dans la jurisprudence (voir Yorkshire Railway Wagon Co. c. Maclure (1882), 21 Ch. D. 309; Stoneleigh Finance, Ltd. c. Phillips [1965] 1 All E.R. 513; [1965] 2 Q.B. 537 que, pour que des actes ou documents soient un «trompe-l'oeil», avec toutes les conséquences juridiques qui peuvent en découler, toutes les parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et obligations juridiques qu'elles paraissent y créer. [C'est moi qui souligne.] 2
En l'espèce, les droits et les obligations juridi- ques auxquels j'ai fait allusion précédemment ont été créés de la manière envisagée par les trois parties. Pour décider qu'une transaction est un «trompe-l'oeil», il faut absolument qu'elle n'ait pas créé les droits et les obligations juridiques qu'elle paraît avoir créés. Or, ici, cette condition indispen sable n'existe pas; d'où j'estime que le juge de première instance a fait erreur quand il a vu dans la transaction un «trompe-l'oeil». Les droits et les obligations juridiques ayant été créés et personne n'ayant contesté le bien-fondé des besoins d'em- prunt de Perkins, le prêt consenti par l'appelante à Verity l'a soustraite à l'application de l'article 19(1).
A mes yeux, cette conclusion n'est pas incompa tible avec l'arrêt M.R.N. c. Leon [1977] 1 C.F. 249. La Cour, dans cette affaire, a statué que l'intervention de la compagnie de gestion, dont le
2 Ce passage a été cité avec une approbation apparente dans M.R.N. c. Cameron [1974] R.C.S. 1062à la page 1068.
rôle constituait le point litigieux, ne s'expliquait pas par un véritable motif commercial, mais par un simple motif fiscal. Elle a déclaré en outre que pour décider s'il y a ou non un véritable motif commercial, la Cour doit examiner le contrat ou la transaction. Il ressort de ses commentaires dans l'arrêt Leon qu'une compagnie peut être constituée pour des fins commerciales légitimes et s'engager quelque temps après dans ûne transaction qui ne vise pas ses fins et par suite est un «trompe-l'oeil». C'est ce qui a été jugé dans l'affaire précitée.
Je ne suis pas du tout sûr que j'aurais souscrit aux principes généraux énoncés dans cet arrêt relativement à l'existence d'un «trompe-l'oeil». Je pense qu'il faut les limiter aux faits qui lui sont propres. En tout cas, pour les raisons que j'ai déjà données, je ne pense pas qu'en l'espèce il y ait la moindre preuve qui me justifie de conclure à l'exis- tence d'un «trompe-l'oeil».
En outre, dans d'autres secteurs importants, les faits de l'espèce diffèrent tellement de ceux de Leon qu'il faut, à mon sens, distinguer les deux affaires. Verity a été constituée et opérait pour des raisons sérieuses. Elle est devenue propriétaire de toutes les actions émises par Perkins pour des motifs qui semblent fort corrects. Les deux compa- gnies précitées appartenaient au groupe important Massey Ferguson. Longtemps après, Perkins a informé l'appelante qu'elle avait besoin d'un capi tal d'exploitation complémentaire et lorsque cel- le-ci a été convaincue que ce besoin était réel, elle a étudié la meilleure façon d'y répondre dans la légalité. Elle avait le choix entre au moins deux façons de procéder. L'une consistait à faire direc- tement à Perkins un prêt sans intérêt et comportait le risque de l'assujettir à l'impôt, car si on s'aper- cevait qu'elle n'était pas une «corporation filiale entièrement possédée» par l'appelante, au sens l'entend l'article 139(1)aq) de la Loi, ce risque pouvait se matérialiser en une obligation fiscale réelle en vertu de l'article 19(1). L'autre méthode confiait à Verity le soin de procéder au prêt et éliminait le risque, car Perkins étant bien une «corporation filiale entièrement possédée» par Verity, mais pas une corporation résidant au
Canada, l'article 19(3) s'appliquait au prêt. L'ap- pelante a finalement choisi cette méthode après avoir décidé sur le plan commercial de faire un prêt à Perkins et ensuite les obligations et les droits ont pris naissance.
Si l'impôt n'avait pas été en cause, les parties n'auraient pas fait l'objet de la plus légère critique. L'affaire se serait résumée à un emprunt d'une compagnie mère, Verity, aux fins de faire un prêt à une filiale entièrement possédée par elle.
Comparons cette situation de fait avec celle de l'affaire Lean. Si je comprends bien, les compa- gnies de gestion ne sont intervenues, comme l'indi- quent les conclusions concordantes du juge de première instance et de la Cour d'appel, que pour réduire l'obligation personnelle des frères Leon à l'égard de l'impôt sur le revenu, en détournant de l'argent, qui leur était pour des services de gestion, en faveur de compagnies contrôlées indivi- duellement par chacun d'eux. Cette décision visait consciemment et uniquement à éviter l'impôt. Elle diffère en cela matériellement de la présente affaire il a d'abord été décidé de consentir un prêt indispensable à un membre d'un groupe important de compagnies, et ensuite de désigner la compagnie qui en serait chargée. Le choix a eu pour effet accessoire d'éliminer tout risque d'aug- menter le revenu imposable de l'appelante. Il s'agit donc là, à mon sens, d'une décision commerciale judicieuse. Mais elle n'a pas été prise exclusive- ment pour un motif fiscal et c'est le point important. Ensuite, quand il s'est agi de l'exécuter, l'appelante a profité du fait que Perkins apparte- nait à Verity, que Verity prêtait de l'argent aux filiales et que la compagnie qui avait besoin d'ar- gent était sa propre filiale. Ce procédé permettait d'éviter l'application de l'article 19(1) et, naturel- lement, elle l'a adopté.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel. Je n'ai donc pas besoin d'examiner les autres prétentions de l'appelante.
J'infirme le jugement de la Division de première instance. Quant à la nouvelle cotisation, elle doit être retournée à l'intimée, afin d'exclure du revenu
de l'année d'imposition 1967 l'intérêt de $31,956 que l'appelante était réputée avoir reçu. L'appe- lante a droit à ses dépens en cette Cour et devant la Division de première instance.
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LE JUGE LE DAIN: Je souscris.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris.
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