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T-5374-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Cyrus J. Moulton Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier— Ottawa, les 13 et 31 mai 1976.
Impôt sur le revenu—Violation d'une lettre délivrée confor- mément à l'art. 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu intimant de verser au receveur général du Canada la somme de $7,324.54 Ce montant est réclamé par la demanderesse con- formément aux articles 222 et 224(1) et (4) Il incombe à la Couronne de prouver que la personne à qui le débiteur doit de l'argent est en fait et en droit une personne tenue de verser au receveur général les sommes alléguées—Les faits pertinents ne peuvent être déduits, il doit y avoir prépondérance de preuve— Le Ministre doit faire une démarche formelle pour qu'il y ait obligation «de faire un paiement» Le Ministre ne peut faire perpétuellement opposition sur des fonds—L'arrangement entre le Ministre et le contribuable n'est pas une fin de non recevoir dont peut se prévaloir un tiers—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, tel que modifié, art. 153(1), 222, 224(1) et (4), et 244(9)—Art. 108 des Règlements de l'impôt sur le revenu—Règle 341 de la Cour fédérale.
La demanderesse allègue que M doit $7,324.54 au fisc et qu'une «demande formelle» a été signifiée à la défenderesse lui intimant de verser au receveur général tous les fonds autrement payables par elle à M jusqu'à concurrence de $7,324.54. La demanderesse soutient que la défenderesse n'a rien versé au receveur général alors qu'elle a versé à M une somme égale au montant spécifié. La défenderesse prétend que M lui a dit s'être acquitté de sa dette envers le Ministère du revenu national; elle a cru de bonne foi à cette déclaration et lui a adjugé le contrat de sous-traitance en conformité duquel elle lui a versé $7,885.60. La défenderesse dit que la demanderesse n'a pas établi que M était à l'époque en cause, tenu de lui faire un paiement et qu'elle ne peut rien réclamer parce qu'elle a fait des arrangements avec M. La défenderesse prétend de plus que la lettre qui lui a été signifiée ne pouvait mettre opposition que sur les sommes dues au moment de sa rédaction, et elle ne pouvait englober des dettes futures possibles.
Arrêt: l'action est rejetée. Si la Couronne décide de fonder sur l'article 224(1) une réclamation contre un tiers, il lui incombe de prouver que la personne à qui le tiers doit de l'argent est en fait et en droit une personne tenue de verser au Ministre les sommes alléguées. La lettre délivrée à la défende- resse n'était qu'une preuve prima facie du fait que M était tenu de faire un paiement et pour obtenir gain de cause, la demande- resse doit montrer au moyen d'une prépondérance de preuves que la situation dans laquelle elle affirme M se trouver vis-à-vis d'elle existait réellement au moment la lettre a été livrée. L'esprit des dispositions de la Loi relatives à l'imposition et au recouvrement accrédite la proposition selon laquelle le Ministre doit faire une démarche formelle initiale contre un contribuable qui serait en défaut, avant de pouvoir procéder à une saisie- arrêt, qui représente un recours extraordinaire en matière de recouvrement.
Arrêts appliqués: Cyrus J. Moulton Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F. 437 et La Reine c. Creative Graphic Servi ces [1976] 2 C.F. 32.
ACTION. AVOCATS:
S. C. Kerr pour la demanderesse. K. J. Ross pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Wilson & Ross, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse réclame la somme de $7,324.54 en vertu de l'article 222 et du paragraphe (4) de l'article 224 de la Loi de l'impôt sur le revenu'.
La demanderesse allègue que le 15 janvier 1973, un certain Saverio Micucci était redevable en vertu de l'article 153 de la Loi de l'impôt sur le revenu du montant susmentionné; que la défende- resse a reçu signification d'une «demande formelle» lui intimant de verser au receveur général, jusqu'à concurrence de $7,324.54, tous les fonds autre- ment payables par lui à Micucci. La demanderesse soutient que la défenderesse n'a rien versé au receveur général alors qu'une , somme égale au montant spécifié a été versée à Micucci, en viola tion de la demande formelle. On s'est fondé sur le paragraphe 224(4) que voici:
(4) Toute personne qui s'est libérée d'une obligation envers une personne astreinte à faire un paiement en vertu de la présente loi, sans se soumettre à une prescription du présent article, est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal à l'obligation acquittée ou au montant qu'elle était tenue, en vertu du présent article, de payer au receveur général du Canada, le moins élevé des deux montants étant à retenir.
La demanderesse a allégué ce qui suit au procès:
a) Le 15 janvier 1973, Micucci était endetté envers le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Tant au cours de l'enquête que durant la plaidoirie, l'avocat de la demanderesse a affirmé que cette dernière n'avait pas à prouver l'existence de la dette de
' S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications jusqu'à et y compris 1973—appelée communément la «nouvelle Loi».
Micucci ni à en indiquer la nature, car cela n'était pas pertinent en l'espèce. Il a prétendu que, pour établir le droit de la demanderesse, il suffisait de prouver les faits pertinents à partir de la «demande formelle».
b) Le 15 janvier 1973, le ministre du Revenu national croyait ou soupçonnait que la défende- resse était endettée envers Micucci.
c) Une «demande formelle» a été délivrée et signifiée à la compagnie défenderesse.
d) Aucun montant n'a été versé conformément à la demande formelle. En fait, après le 15 janvier 1973 des fonds ont été versés à Micucci.
La défenderesse a soulevé plusieurs objections et fait valoir des moyens de défense que j'exposerai plus loin.
La compagnie défenderesse est un entrepreneur général exploitant une entreprise dans la région de Manotick (Ontario). En 1972, elle a conclu avec Micucci, qui fait affaire sous la raison sociale de Bytown Masonry Construction, cinq contrats dis- tincts de sous-traitance pour des travaux de maçonnerie. Ces contrats de sous-traitance com- prenaient principalement la fourniture de la main- d'oeuvre, c'est-à-dire le travail de Micucci aussi bien que celui de ses employés. La défenderesse a fourni la plupart des matériaux requis. Tous les travaux de sous-traitance avaient été exécutés à la fin de 1972. Comme c'est fréquent dans l'industrie de la construction, certains travaux exécutés con- formément à ces contrats s'étaient révélés insatis- faisants et la défenderesse y avait remédié en imputant le coût à Micucci dans ses livres. On avait effectué les retenues habituelles 2 de 15% sur chaque contrat de sous-traitance. Dans certains cas, ce qu'il en avait coûté à la défenderesse pour remédier aux vices de construction dépassait le montant de la retenue en question.
Le 15 janvier 1973, il n'existait aucun contrat de sous-entreprise en cours entre la défenderesse et, Micucci. Il restait à faire des travaux de répara- tion relativement au contrat de sous-entreprise
2 Conformément à The Mechanics' Lien Act, R.S.O. 1970, c. 267.
concernant l'école publique Torbolton. Ces travaux ne pouvaient pas être effectués en hiver. On admet toutefois qu'à la date en question (le 15 janvier
1973) la défenderesse devait $1,700 Micucci, dont $200 restent impayés aujourd'hui. La défen- deresse se demande si elle devrait verser cette somme à Micucci ou plutôt à une personne qui aurait fourni des matériaux pour son compte.
Le 15 janvier 1973, on a signifié à l'un des dirigeants de la compagnie défenderesse une «demande formelle» que l'on disait présentée con- formément au paragraphe 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, que voici:
224. (1) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per- sonne est endettée envers une personne tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi, ou est sur le point de le devenir, ou est astreinte à faire un paiement à la personne en question, il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée à personne, exiger de cette personne que les deniers autrement payables à l'autre personne soient en totalité ou en partie versés au receveur général du Canada à l'égard de l'obligation exis- tant en vertu de la présente loi.
On a présenté en preuve (pièce A à pièce 1) une copie du document qui aurait été signifié. Burke, qui était à l'époque agent de recouvrement au ministère du Revenu national, a témoigné avoir signifié l'original de cette lettre 3 à un certain Kent le 15 janvier 1973. Ce dernier, qui est un des dirigeants de la compagnie défenderesse, admet que ce jour-là on lui a remis une lettre très sembla- ble mais non identique à la pièce A. Le montant indiqué et sa teneur en général étaient les mêmes, a-t-il témoigné, mais la signature à l'encre de K. L. Reid et la frappe différaient. J'accepte la déposi- tion de Kent selon laquelle la pièce A à la pièce 1 n'est pas une copie identique de la prescription qui lui a été signifiée à personne par Burke. Toutefois, il ne fait aucun doute qu'à la date en question, la défenderesse a personnellement reçu signification d'une lettre lui enjoignant de verser au receveur général la somme de $7,324.54. J'en cite les extraits pertinents, en omettant les parties que Kent affirme être différentes de celles que conte- nait la lettre qu'il a reçue.
3 Le paragraphe 224(1) mentionne une «lettre» non une «demande formelle». Dorénavant, dans ces motifs, j'appellerai lettre ou prescription, le document que l'on a signifié. Cette dernière expression est celle qu'emploie l'article 224.
[TRADUCTION] REVENU CANADA, IMPÔT DEMANDE FORMELLE À DES TIERS
Cyrus J. Moulton Ltd.,
Manotick,
Ontario.
ATTENDU qu'on croit que vous êtes redevable ou êtes sur le point d'être redevable d'une somme ou tenu de verser un paiement au contribuable dont le nom figure ci-dessous et qui est appelé ci-après le débiteur,
ET ATTENDU que ledit débiteur est redevable à Sa Majesté la Reine, en conformité des dispositions d'une ou plusieurs des lois indiquées ci-après, d'une somme de $7,324.54
VOUS ÉTES PAR LES PRÉSENTES MIS EN DEMEURE de retenir sur les deniers payables audit débiteur et de verser au Receveur général du Canada
tous les montants que vous devez audit
débiteur
jusqu'à parfait paiement de la dette mentionnée ci-dessus. Établir les chèques ou mandats à l'ordre du Receveur général du Canada, les annexer à une formule T1118R (Formule de versement à l'usage de tiers), ou identifier le paiement d'une autre façon en y indiquant le nom et l'adresse du débiteur, et expédier le tout aussitôt la retenue opérée en utilisant l'enve- loppe adressée et fournie à cette fin.
Si, après avoir reçu la présente Demande formelle, vous vous libérez de toute obligation présente ou future envers le débiteur sans vous conformer aux exigences de la présente, vous devien- drez redevable du moins élevé des montants suivants: le mon- tant exigé par la présente ou le montant de l'obligation acquit- tée. La présente mise en demeure est formulée en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes:
Le Régime de pensions du Canada; la Loi de l'impôt sur le revenu; The Income Tax Act, 1961—Terre-Neuve; The Income Tax Act, 1961—Île-du-Prince-Édouard; the Income Tax Act— Nouvelle-Écosse; the Income Tax Act, 1961—Nouveau-Bruns- wick; The Income Tax Act, 1961-62—Ontario; The Income Tax Act (Manitoba), 1962; The Income Tax Act, 1961— Saskatchewan; The Alberta Income Tax Act; the Income Tax Act, 1962—Colombie-Britannique.
Directeur de l'impôt
S. Micucci, faisant affaire sous la raison sociale de Bytown
Masonry Construction,
R.R. 1,
Manotick (Ontario). PD 10
Compte LTP 78967 1
(Name and Address of Taxpayer)
(Nom et adresse du contribuable)
Avant la rédaction de la demande, on avait avisé une unité des recouvrements du ministère du Revenu national que Micucci était endetté envers le Ministre. Cette unité a supposé que Micucci était un employeur tenu de déduire à la source l'impôt sur le revenu de ses employés - et d'envoyer ces retenues au Ministère. Elle a également pré- sumé que Micucci était tenu, pour le compte de ses
employés, de retenir à la source et de transmettre leurs cotisations au Régime de pensions du Canada; qu'il devait de plus déduire leurs primes d'assurance-chômage et les envoyer, ainsi que sa propre contribution, au Revenu national. En outre, l'unité a présumé qu'en 1972 il n'avait pas agi de la sorte, tout au moins dans une certaine mesure. Apparemment, elle a également supposé que l'on avait fait une vérification sur place pour en arriver au montant de $7,324.54 et que le vérificateur avait fait une demande formelle de paiement. Mik- laucic, chef d'une unité des recouvrements, a éga- lement présumé que, dans le cours normal des choses, on avait envoyé à Micucci, au nom du Ministre, un avis de cotisation pour le montant en question.
Burke, qui travaillait sous les ordres de Miklau- cic, a enquêté avant de préparer la lettre rédigée conformément au paragraphe 224(1). Il s'est assuré que la défenderesse avait employé Micucci en qualité de sous-traitant à plusieurs reprises en 1972. Il savait que le 15 janvier 1973, Micucci ne travaillait pas en vertu d'un contrat de sous-trai- tance. Burke, suivant ce qui semble être la façon habituelle de procéder, a discuté avec la défende- resse des perspectives d'emploi de Micucci. Kent, selon Burke, lui a laissé entendre qu'il n'y avait aucune raison pour que Micucci ne soit pas engagé comme sous-traitant en maçonnerie en 1973.
Il convient de souligner à cet égard que Burke et Kent savaient fort bien que durant l'hiver, l'indus- trie de la construction dans la région de Manotick restait au point mort.
Burke a conclu que la signification d'une demande formelle à la défenderesse ne nuierait pas aux chances de Micucci d'être employé à l'avenir par cette dernière comme sous-traitant. Burke avait de l'expérience en matière de perception d'impôt dans l'industrie de la construction. Lors- que l'on signifie une demande formelle à un entre preneur, il en résulte souvent que le contribuable en défaut ne se voit plus accorder de contrats de sous-traitance et n'est plus employé.
Je conclus, selon la prépondérance des probabili- tés, que le Ministre était fondé à soupçonner que le 15 janvier 1973, la défenderesse devait de l'ar- gent à Micucci. Je suis également disposé à con-
dure que le Ministre était fondé à croire que Micucci pourrait se voir accorder d'autres contrats de sous-entreprise en 1973, après signification d'une demande formelle.
La défenderesse admet que, toutes autres choses égales, à l'époque de la signification de la demande formelle à laquelle j'ai fait allusion, Micucci avait autant de chances que n'importe quel autre entre preneur en maçonnerie de se voir accorder un contrat de sous-entreprise au printemps de 1973, lors de la reprise de la construction. A condition évidemment que la défenderesse elle-même se voit adjuger des contrats et que Micucci soit le plus bas soumissionnaire.
Au cours de la période allant du 26 février au 6 mars 1973, la défenderesse avait fait une soumis- sion et obtenu un contrat pour la construction du Centre sportif d'Almonte. Les dirigeants de la défenderesse envisageaient de confier à Micucci les travaux de maçonnerie. Ils ont discuté avec lui de la lettre du 15 janvier 1973. Micucci leur a dit s'être arrangé avec le ministère du Revenu natio nal pour acquitter les sommes dues au moyen de chèques postdatés. Kent et ses associés ont cru de bonne foi à cette déclaration. Par conséquent, ils ont considéré que l'affaire était classée. Malheu- reusement, ils ne se sont pas renseignés auprès du ministère du Revenu national. La pièce justifica- tive (pièce 2) indique qu'en effet le Ministère a reçu des chèques postdatés. Malheureusement, la banque les a retournés pour insuffisance de provision.
Sur la foi de ce qu'il avait affirmé, Micucci s'est vu adjuger, le 6 mars 1973, les travaux de maçon- nerie du Centre sportif d'Almonte. On avait con- venu de le payer chaque semaine, au fur et à mesure de l'avancement des travaux, de sorte qu'il puisse payer ses ouvriers tous les vendredis. Du 23 mars au 4 mai 1973 inclusivement, la défenderesse a versé à Micucci, en conformité du contrat de sous-traitance, la somme de $7,855.60.
Micucci a exécuté deux petits travaux (l'affaire de trois ou quatre jours de travail chacun), l'un en mars 1973 et l'autre en mai 1973. Suivent les dates des paiements:
23 mars $ 331.80
30 mars 935.00
4 mai 212.00
$1,478.80
Le 27 avril 1973, la défenderesse a établi à l'ordre de Micucci un chèque de $1,500. Comme je l'ai déjà dit, la défenderesse avait effectué des retenues relativement aux contrats de sous-entre- prise exécutés en 1972. En avril 1973, on avait fait les réparations nécessaires relatives aux travaux exécutés pour l'école publique Torbolton et on en avait établi le coût. J'accepte la déposition de Kent au procès, selon laquelle les $1,500 représentaient le montant net à Micucci relativement aux sous-traitances de 1972. Il ne s'agissait pas de la retenue sur les travaux de l'école Torbolton, déduction faite du coût des réparations. Il s'agis- sait du montant total sur les retenues, après déduction du coût des réparations nécessaires à la suite des autres travaux exécutés en 1972. On se souviendra que certains de ces coûts dépassaient le montant des retenues en question. Les $1,500 représentent un montant net. J'admets la déposi- tion de Kent selon laquelle ces $1,500, plus les $200 déjà mentionnés, représentaient le montant à Micucci le 15 avril 1973. Je rejette, pour les motifs donnés, la prétention de la demanderesse selon laquelle il était un montant additionnel d'environ $800.
J'en arrive maintenant aux moyens et aux objec tions soulevés par la défenderesse.
Premièrement, on a dit que la demanderesse n'a pas établi que Micucci était, à l'époque en cause,
... une personne tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi ... (paragraphe 224(1).)
Comme je l'ai dit plus tôt, la demanderesse pré- tend qu'elle n'a pas à établir ce fait 4 qui n'a aucun rapport avec la réclamation contre la défenderesse et que seul Micucci peut soulever ce point. Cet
4 Au paragraphe 2 de la déclaration modifiée, on allègue spécifiquement que Micucci [TRADUCTION] «... était tenu de faire un paiement en vertu des dispositions de l'article 153 de la Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement d'applica- tion ....0 Je présume que la déclaration modifiée a été ajoutée par suite de certaines remarques qu'a faites la Cour d'appel lorsque cette affaire a été soumise la première fois à la Cour fédérale (voir [1976] 1 C.F. 437à la p. 439).
argument a déjà été rejeté. La Division d'appel de cette cour a entendu l'appel interjeté contre une ordonnance de la Division de première instance qui accordait un jugement (conformément à la Règle 341) en faveur de la demanderesse. Je cite l'extrait suivant des motifs de la Cour d'appels:
Premièrement, le savant juge de première instance, après avoir conclu que tous les faits importants avaient été admis, décida que l'appelante n'avait pas le droit de contester le fait que Micucci était endetté envers le Ministre pour une somme de $7,324.54 parce que ce litige ne concerne que Micucci et le Ministre et que l'appelante n'y est pas partie. En toute défé- rence, l'existence réelle de la dette de Micucci envers la Cou- ronne pour les montants payables en vertu de la Loi au moment de la signification de l'avis en vertu du paragraphe 224(2) me semble, d'après les termes de l'article, un fait fondamental dont dépend l'application à l'appelante de l'article 224; je ne vois aucun argument ni aucun précédent à l'appui de la thèse selon laquelle la défenderesse n'aurait pas le droit de contester l'existence d'un tel fait.
Mais pour le reste, je suis d'avis que la Règle 341 ne vise pas la preuve des faits par affidavit et que l'appelante n'était aucunement tenue, en raison de l'introduction d'une requête en vertu de cette règle, de se soumettre à ce qui semble avoir été un procès sommaire de l'action sur les affidavits déposés par l'intimée. Il me semble évident que l'appelante n'a jamais admis l'élément fondamental, c'est-à-dire l'endettement de Micucci en vertu de la Loi au 15 janvier 1973, pour le montant mentionné dans l'avis de cette date; en outre, j'estime que rien dans la Règle 341 n'autorisait la preuve de ce fait par affidavit ni ne pouvait transformer la preuve soumise par affidavit et la réac- tion de l'appelante à son égard, en une admission par la défenderesse permettant de prononcer un jugement en vertu de la Règle 341.
J'en conclus que si la Couronne décide de fonder sur le paragraphe 224(1) une réclamation contre un tiers, il lui incombe de prouver que la personne à qui le tiers doit de l'argent est en fait et en droit une personne tenue de verser au Ministre les sommes alléguées, conformément à la Loi mentionnée 6 .
5 Cyrus J. Moulton Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F. 437, le juge Thurlow, aux pp. 441, 442 et 443.
6 La demande formelle présentée en l'espèce conformément au paragraphe 224(1) est un redoutable document, pour ne pas dire terrifiant, auquel fait face un tiers profane. Il indique que le «débiteur» est endetté envers Sa Majesté
... en conformité des dispositions d'une ou plusieurs des lois indiquées ci-après ....
Ces lois sont le Régime de pensions du Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu fédérale et la Loi de l'impôt sur le revenu de 9 des 10 provinces. Je suppose que l'on renvoie le profane à
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La demanderesse a fait valoir (subsidiairement) que si des preuves étaient effectivement requises, elle avait établi une preuve prima facie de l'obliga- tion dans laquelle se trouvait Micucci de faire un paiement. Un fonctionnaire du ministère du Revenu national a déposé un affidavit (pièce 1) qui aurait été fait conformément au paragraphe 244(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La partie principale de l'affidavit est le paragraphe 3:
[TRADUCTION] 3. Annexée aux présentes comme la pièce A, est une copie conforme de l'original de la formule T1118 du ministère du Revenu national intitulée «Demande formelle à des tiers« faite par K.L. Reid, directeur de l'impôt, au nom du ministre du Revenu national, exerçant les pouvoirs accordés au Ministre conformément à l'article 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 modifié par l'article 1, S.C. 1970-71-72, c. 63.
Voici le paragraphe 244(9):
(9) Un affidavit d'un fonctionnaire du ministère du Revenu national souscrit en présence d'un commissaire ou d'une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu'il a la charge des registres appropriés et qu'un document y annexé est un document, ou une copie conforme d'un document, fait par ou pour le Ministre ou quelque autre personne exerçant les pouvoirs du Ministre, ou par ou pour un contribuable, doit être reçu comme preuve prima facie de la nature et du contenu du
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chacune de ces lois afin qu'il essaie de déterminer si elle est applicable et à quelle sanction il s'expose s'il ne se conforme pas à la demande formelle. Pour ma part, je me suis contenté de vérifier trois des lois susmentionnées. Le Régime de pensions du Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario et la Loi de l'impôt sur le revenu de la Colombie-Britannique con- tiennent toutes des dispositions identiques ou presque identiques à l'article 224 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je n'ai pas consulté les lois des 8 autres provinces. La Loi de 1971 sur l'assurance-chômage contient les dispositions presque identi- ques à celles de l'article 224. La pièce 5 indique qu'une partie des sommes dues par Micucci le 15 janvier 1973 se composait des primes d'assurance-chômage, tant celles des employés que de l'employeur. Mais la demande formelle signifiée le 15 janvier 1973 ne fait pas mention de cette loi.
Il me semble que peuvent se poser certaines questions délicates, que les avocats n'ont pas soulevées en l'espèce. Je présume que la demande formelle renvoie aux diverses lois (provinciales) de l'impôt sur le revenu par suite des arrangements passés avec quelques-unes des provinces aux termes de la Loi de 1972 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces (S.C. 1972, c. 8). Si je ne me trompe, le ministre du Revenu national, en vertu d'un arrangement, perçoit des droits et des impôts pour le compte de certaines provinces. Cela accorde-t-il au Ministre le pouvoir de procéder à une saisie- arrêt relativement à la part d'une province? Les provinces ont-elles habilité le ministre fédéral à déléguer à ses subordon- nés ses pouvoirs en matière de recouvrement? Il est peut-être bien facile de résoudre ces problèmes et il peut en exister plusieurs autres auxquels je n'ai pas songé.
document et doit être admis comme preuve et avoir la même valeur probante qu'aurait eue le document original si sa véra- cité avait été prouvée de la manière ordinaire.
Je vais présumer que la prescription (une lettre, selon le paragraphe 224(1)) est un document au sens du paragraphe 244(9). Selon moi, ce paragra- phe n'aide pas la cause de la demanderesse. L'affi- davit auquel est joint la copie conforme de la demande formelle ne constitue qu'une «preuve prima facie de la nature et du contenu [de la demande formelle]». A mon avis, il ne prouve pas que Micucci était «une personne tenue de faire un paiement en vertu de la [Loi de l'impôt sur le revenu]», pas plus qu'il n'établit le montant de sa dette. J'ajoute que la «demande formelle» mention- née ne dit pas que Micucci est tenu de faire un paiement de $7,324.54; elle dit qu'il est «... rede- vable à Sa Majesté la Reine ... d'une somme de $7,324.54». Le document ne suit pas le libellé de la condition préalable exposée au paragraphe 224(1).
Finalement, sur ce premier point en litige, la demanderesse s'appuie sur certains éléments de preuve fournis par la défenderesse. Ces éléments de preuve consistaient en certaines réponses faites à un fonctionnaire de la demanderesse au cours de l'interrogatoire préalable. Elles ont été reprises dans la défense. Je trouve cet élément de preuve insatisfaisant et vague'. On demande d'en conclure que Micucci était un employeur; qu'en 1972, il avait des employés; que selon le Ministère tout au moins, il aurait déduire à la source et verser l'impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de pensions du Canada et les primes d'assurance-chô- mage de ces employés. A mon avis, la demande- resse ne peut obtenir gain de cause en se fondant sur des déductions. Elle doit montrer au moyen d'une prépondérance de preuves (ou de probabili- tés) que la situation dans laquelle elle affirme Micucci se trouver vis-à-vis d'elle existait réelle- ment le 15 janvier 1973. J'estime qu'elle ne l'a pas fait.
' La demanderesse, pour des raisons que j'ignore, n'a pas demandé à ses fonctionnaires ni aux membres de son personnel de fournir des preuves établissant la dette de Micucci, son montant et son origine. Je ne doute pas que les fonctionnaires compétents du ministère du Revenu national auraient pu four- nir sur ces points des preuves précises et probablement irréfutables.
Supposant qu'il y avait suffisamment de preu- ves, directes ou indirectes, pour établir l'obligation dans laquelle se trouvait Micucci de faire un paie- ment, on s'est alors appuyé sur le paragraphe 153(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et sur l'article 108 des Règlements de l'impôt sur le revenu'. Je présume, bien qu'on n'en ait pas parlé au procès, que l'on se fonde également sur l'article 22 du Régime de pensions du Canada 9 et sur l'article 68 de la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage'S .
La demanderesse avance en outre qu'il n'est pas nécessaire de prouver que le Ministre a réclamé paiement à Micucci en vertu de ces lois, ni que l'on a établi des cotisations; que les articles pertinents de ces lois prévoient le versement des montants à déduire; et que par conséquent, un employeur se trouve tenu de faire les versements en question. L'avocat de la demanderesse a concédé qu'il avance même ce qui suit: à condition que les autres dispositions soient respectées, il suffisait pour que le ministre du Revenu national applique le para- graphe 224(1), qu'il ait jugé avec sérieux en son for intérieur que Micucci était tenu de faire un paiement en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu; la demande formelle, pas plus que le certi- ficat ni la cotisation ne sont des conditions préalables.
Je ne puis concevoir que ce soit la loi. Compte tenu des autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives au recouvrement, à partir de l'article 222, j'estime que le Ministre doit d'abord faire une démarche formelle pour qu'il y ait une obligation «de faire un paiement» suffisante pour justifier une mise en demeure semblable à la lettre du 15 janvier 1973.
On peut prendre jugement devant la Cour fédé- rale contre un contribuable en défaut avant qu'il y ait cotisation, appel et audition. Le montant paya ble doit tout d'abord être certifié par le Ministre (article 223). Les biens meubles ne peuvent être saisis que si le Ministre a au préalable décerné un certificat de défaut après avoir donné un avis de
8 L'alinéa 153(1)a) prévoit la déduction ou la retenue et le versement de l'impôt. Le paragraphe 108(1) des Règlements prévoit un délai pour le versement des sommes retenues ou déduites.
9 S.R.C. 1970, c. C-5.
10 S.C. 1970-71-72, c. 48.
trente (30) jours (article 225). Un employeur qui veut contester son obligation de déduire l'impôt à la source et de faire ces paiements a certainement le droit de s'adresser aux tribunaux, mais avant cela, il faut que le Ministre le cotise (paragraphe 227(10)).
A mon avis, l'esprit des dispositions de la Loi relatives à l'imposition et au recouvrement accré- dite la proposition selon laquelle le Ministre doit faire une démarche formelle initiale (et susceptible d'appel) contre un contribuable qui serait en défaut, comme Micucci, avant de pouvoir procéder à une saisie-arrêt, qui représente un recours extraordinaire en matière de recouvrement.
Bref, je conclus que la demanderesse n'a pas établi que, le 15 janvier 1973, Micucci était tenu de faire un paiement.
Cela suffirait au rejet de cette action. Au cas je me tromperais au sujet de ce que la demande- resse, selon moi, doit prouver en ce qui concerne l'expression «une personne tenue de faire un paie- ment en vertu de la présente loi», je vais traiter des autres moyens de défense.
A supposer que ma première conclusion soit incorrecte, la défenderesse est alors, à mon avis, tenue de payer $1,700. Ce montant était à Micucci le 15 janvier 1973. La défenderesse pré- tend que la demanderesse ne pouvait rien réclamer parce que Micucci avait convaincu le Ministère de lui permettre d'acquitter sa dette au moyen de chèques postdatés. J'ai déclaré ce moyen de défense inacceptable au procès et rien depuis ne m'a fait changer d'idée. Ce qui s'est passé entre Micucci et le ministère du Revenu national ne pouvait en rien modifier ni éteindre la dette de $1,700 que la Loi impose à la défenderesse de payer au receveur général. Le prétendu arrange ment et toute fin de non recevoir existaient entre Micucci et le Ministère, et la défenderesse ne pouvait s'en prévaloir.
En ce qui concerne toute obligation dépassant $1,700, la défenderesse s'appuie sur l'arrêt La Reine c. Creative Graphic Services". Cette affaire
" Cour d'appel fédérale, [ 1976] 2 C.F. 32. La Division d'appel a confirmé la décision que j'ai rendue en première instance, publiée sous le même intitulé [1974] 2 C.F. 75.
a pris naissance en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise 12. Une ordonnance de saisie- arrêt avait été rendue conformément au paragra- phe 52(6) de la Loi sur la taxe d'accise. Le paragraphe prévoit que:
52. (6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per- sonne est endettée ou sur le point de le devenir envers un titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger de cette personne que les fonds autrement payables au titulaire de licence soient en totalité ou en partie versés au receveur général à compte de l'obligation du titulaire de licence en vertu des dispositions de la présente loi.
Dans cette affaire, la lettre avait été adressée à un titulaire de licence qui avait un employé nommé Kristensen. J'ai statué que la lettre ne pouvait mettre opposition que sur les salaires dus au moment de sa rédaction; elle ne pouvait englo- ber des dettes futures possibles. J'ai dit à la page 84:
Je suis d'accord avec le point de vue selon lequel les disposi tions de la Loi conférant ce droit spécial de recouvrement doivent être interprétées strictement. Le paragraphe 52(6) crée une forme large de saisie-arrêt. Avant d'émettre une demande, le Ministre n'est pas tenu de prouver ni d'établir devant quicon- que qu'une taxe est due par quelqu'un, il n'est pas tenu de délivrer, d'obtenir ni de déposer quelque part un certificat de dettes, ni d'obtenir un jugement contre le titulaire de licence. Si la demande du Ministre vise à mettre opposition sur le salaire, le paragraphe semble être assez large pour englober tout le salaire (tout au moins la partie due à la date de la demande) sans aucune allocation ou exonération légale qui permettraient, à toutes fins pratiques, au prétendu débiteur et à sa famille de survivre financièrement. Ayant à sa disposition un redressement si extraordinaire, le Ministre doit se conformer strictement aux dispositions de la Loi.
et aux pages 86-87:
Le point suivant soulevé par la défense est subsidiaire au premier: si Kristensen était titulaire de licence, alors la compa- gnie était endettée envers lui à compter du 17 août 1971 à l'égard de la rémunération due à cette date seulement; la demande exigeait le paiement de $50 sur ce montant; la demande ne peut englober les dettes à venir; l'obligation de la compagnie se trouve par conséquent limitée à $50. Cette pré- tention se fonde sur le fait que la demande ne pouvait pas, compte tenu des faits de l'espèce, exiger le versement du salaire de Kristensen au receveur général, ni de la partie spécifiée de ce salaire, à compter du 17 août 1971 et pour l'avenir jusqu'au remboursement total de la somme revendiquée.
12 S.R.C. 1970, c. E-13. Cette loi n'avait pas de disposition semblable au paragraphe 224(3) de la présente Loi de l'impôt sur le revenu. En vertu de ce paragraphe, comme je le com- prends, une ordonnance de «saisie-arrêt» rendue contre un employeur s'applique spécialement à tous les paiements qui seront faits dans l'avenir à l'employé à l'égard de la rémunéra- tion et non seulement aux montants dus au moment de la signification de l'ordonnance de saisie-arrêt.
Je souscris à ce point de vue. Il doit exister, selon moi, des mots précis dans la Loi habilitant le Ministre à affectuer une saisie-arrêt du genre de celle que veut faire la demanderesse. Je n'ai pas trouvé de mots aussi précis. En vertu du paragraphe (6), le Ministre est fondé à demander «... les fonds autrement payables ...» à une personne qui est endettée ou sur le point de le devenir envers un titulaire de licence. L'interprétation invo- quée au nom de la demanderesse me semble largement mécon- naître les mots «les fonds autrement payables». Selon moi, les mots «est endettée ou sur le point de le devenir» ne constituent pas la formule unique ou déterminante lorsqu'on s'efforce de préciser sur quels fonds le Ministre peut effectuer une saisie- arrêt. Les mots «est endettée ou sur le point de le devenir» ont une autre fonction. Avant que le Ministre puisse émettre une demande, il doit connaître ou soupçonner l'existence de la dette ou de ce que j'appellerais une dette imminente. Les mots cités fournissent ainsi, tout au moins dans un certain contexte, une indication sur le moment l'on peut émettre la demande et sur les motifs pour le faire. Les fonds que l'on cherche à saisir doivent provenir d'une dette déjà existante ou d'une dette imminente, mais, en même temps, selon moi, ils doivent être «payables» à la date de la demande. On m'a mentionné les arrêts La Banque de Montréal c. Union Gas Company of Canada Ltd. [1969] C.T.C. 686 et Re La Banque royale du Canada et le procureur général du Canada [1970] C.T.C. 440. Ces deux décisions ont examiné le paragraphe 120(1) de l'an- cienne Loi de l'impôt sur le revenu, qui est semblable au paragraphe 52(6) de la Loi sur la taxe d'accise, mais les faits en cause et les problèmes étaient tout à fait différents de la présente affaire. Toutefois, il semble ressortir des décisions qu'une demande en vertu du paragraphe 120(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu crée un privilège [TRADUCTION] «... non sur les deniers dus ou à ,échoir comme dans le cas d'une ordonnance de saisie-arrêt ou d'opposition, mais sur les «deniers autrement payables» au moment de la signification de la demande». 13
La Division d'appel a dit notamment [aux pages 34-37]:
L'appelante interjette appel du jugement parce que, d'après elle, le savant juge de première instance a commis une erreur
13 J'hésite à citer une de mes propres décisions et ne le fais que parce qu'elle a été confirmée sur ce point par la Cour d'appel.
Dans l'extrait tiré de la page 84 de l'arrêt Creative Graphic Services, j'ai dit qu'avant d'émettre une demande, le Ministre n'est pas tenu, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, de
... prouver ni d'établir devant quiconque qu'une taxe est due par quelqu'un ....
Comme je l'ai déjà dit dans ces motifs, lorsqu'on étudie l'écono- mie générale de la Loi de l'impôt sur le revenu, je crois qu'il existe suffisamment de différences pour me permettre de con- clure qu'en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Ministre, pour obtenir gain de cause dans une affaire de saisie-arrêt, doit prouver l'existence d'un impôt impayé ou, pour me servir du libellé du paragraphe en question, l'obligation de faire un paiement.
a) en ne décidant pas que les associés individuellement étaient titulaires de licence conjointement avec la firme et donc personnellement responsables du paiement de la dette de la Creative afférente à la taxe de vente,
b) en ne décidant pas que la sommation du Ministre consti- tuerait saisie-arrêt des sommes dont Craft serait débitrice à l'avenir envers Kristensen;
c) en ne décidant pas que la sommation respectait suffisam- ment les exigences de l'article 52(6) de la Loi, et
d) en ne décidant pas que l'appelante avait droit à un jugement déclaratoire portant que Carl Hans Kristensen était un associé de la Creative.
L'avocat de l'appelante a reconnu que si l'un des moyens a), b) ou c), était rejeté, il n'aurait pas gain de cause. Il m'est inutile d'exprimer une opinion sur la validité des moyens a) ou d) de l'appelante, puisque j'estime que les deux autres moyens d'appel doivent être rejetés.
L'appelante a soutenu que les paragraphes (6),(7) et (8) de l'article 52 constituent un système complet, en ce qui concerne les moyens dont dispose le ministre du Revenu national pour le recouvrement de la taxe de vente. Ces paragraphes sont ainsi libellés:
52. (6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une personne est endettée ou sur le point de le devenir envers un titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger de cette personne que les fonds autrement payables au titulaire de licence soient en totalité ou en partie versés au receveur général à compte de l'obligation du titulaire de licence en vertu des dispositions de la présente loi.
(7) Le récépissé du Ministre, à ce sujet, constitue une quittance valable et suffisante de l'obligation, de cette per- sonne envers le titulaire de licence jusqu'à concurrence du montant mentionné dans le récépissé.
(8) Tout individu qui acquitte une obligation envers un titulaire de licence après avoir reçu la lettre recommandée mentionnée est personnellement responsable envers le rece- veur général jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée entre lui et le titulaire de licence ou jusqu'à concurrence de l'obligation du titulaire de licence pour impôt et amendes, suivant le montant le moins élevé.
On verra que les conditions suivantes doivent être remplies avant que, le Ministre puisse faire la sommation prévue au paragraphe (6):
a) il doit savoir qu'une personne est endettée envers un titulaire de licence, ou
b) il doit soupçonner qu'une personne est endettée envers un titulaire de licence, ou
c) il doit savoir qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence, ou
d) il doit soupçonner qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence.
Si l'une de ces conditions est remplie, il peut exiger de la personne en question de verser au receveur général l'intégralité ou une partie des fonds autrement payables au titulaire de licence. Si la personne à qui la sommation est faite effectue le paiement, le paragraphe (7) le protège contre toute réclamation faite contre lui par le titulaire de la licence. Si la personne,
ayant reçu une sommation valable, néglige de faire le paiement exigé, elle devient personnellement responsable, comme prévu au paragraphe (8).
Il est admis que, pendant toute la période qui nous intéresse, Kristensen était employé par la Craft à un salaire supérieur à $50 par semaine. Tant que Kristensen était employé de la Craft, celle-ci serait redevable envers lui, à la fin de chaque période de paye, soit la fin de chaque semaine, du salaire de cette semaine. A chaque paiement, la Craft ne serait plus redevable.
Pour cette raison et en admettant, sans trancher ce point, que Kristensen était un titulaire de licence en tant qu'associé de la Creative Graphic Services, la sommation du 17 août 1971 avait pour effet d'obliger la Craft à verser des fonds au receveur général du Canada jusqu'à concurrence seulement de toute somme due à la fin de la période de paye immédiatement postérieure à la réception de la lettre par Craft. Elle ne pouvait avoir d'effet en ce qui concerne les dettes nées en faveur de Kristensen pour les services fournis à la Craft pour les périodes de paye subséquentes, parce que la Craft, après avoir une première fois obtempéré à la sommation, n'était pas «sur le point d'être endettée» envers Kristensen. A ce moment sa dette envers lui était éteinte.
De même, dans l'hypothèse Kristensen était un titulaire de licence, la sommation, à mon avis, ne respectait pas les exigences de la Loi. Le législateur a accordé au Ministre un droit assez exceptionnel, celui de prendre des mesures pour recouvrer une dette alléguée avant d'avoir obtenu un jugement d'un tribunal. Le Ministre est autorisé à agir de la sorte si certaines conditions préalables sont remplies. Il me semble que ce droit a pour corollaire l'obligation de remplir strictement les conditions préalables. Le tiers à qui la sommation demande de payer au receveur général du Canada les fonds qu'il doit à quelqu'un d'autre, a le droit de savoir exactement envers qui il est censé être débiteur ou sur le point de le devenir, et le montant exact dont il est censé être débiteur ou sur le point de le devenir. Donc, si dans la sommation on peut penser que le Ministre le requiert de payer des fonds au-delà de ce qui revient au Ministre, celui-ci a excédé le droit qui lui a été conféré par la Loi et la sommation demeure sans effet. En résumé, la sommation ne peut, ni en la forme ni au fond, prétendre aller au-delà de ce que permet le droit spécial conféré au Ministre.
En l'espèce, il est possible que la sommation ait été discuta- ble en la forme pour plusieurs raisons, dont l'une est, à mon avis, péremptoire, ce qui me dispense d'examiner les autres. Aux termes du paragraphe (6), une sommation peut être faite si le Ministre soupçonne qu'une personne est sur le point de devenir endettée envers un titulaire de licence. Il s'ensuit clairement que la dette est, suivant l'expression du savant juge de première instance «imminente». Cependant, la sommation contient le passage suivant: «Vous êtes tenue... de verser au Receveur général du Canada ... le montant dont vous êtes endettée ou pouvez le devenir ...». A mon avis, ce dernier membre de phrase pourrait donner au lecteur l'impression que la dette dont on veut garantir le paiement est beaucoup plus étendue qu'une obligation consistant uniquement en une dette dont l'existence est imminente, et pourrait bien s'étendre à une dette susceptible de prendre naissance à l'avenir à une date indéterminée.
J'estime qu'on ne peut établir aucune distinction valable entre le paragraphe 52(6) de la Loi sur la taxe d'accise et le paragraphe 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les montants dont la défen- deresse est en fin de compte devenue redevable envers Micucci (et qui lui ont été effectivement versés en mars, avril et mai 1973) ne sont pas visés par les expressions «sur le point de le devenir [endettée]» ou «sur le point de ... devenir, ... astreinte à faire un paiement». Les sommes qui ont finalement été versées n'étaient pas, le 15 janvier 1973, des montants payables immédiatement, ni une dette imminente. Le plus que l'on puisse dire, c'est qu'au 15 janvier 1973 (mise à part la somme de $1,700) il était raisonnablement possible qu'à une date future la défenderesse puisse être endet- tée envers Micucci ou puisse être tenue de lui faire un paiement. A mon avis, cela ne permet pas à la demanderesse de faire perpétuellement opposition sur des fonds.
La défenderesse a plaidé et fait valoir un dernier moyen de défense, en invoquant des dispositions de The Mechanics' Lien Act de l'Ontario relatives à l'existence d'une fiducie. Vu les conclusions que j'ai exposées plus haut, je ne crois pas nécessaire de prendre une décision ni d'exprimer une opinion sur cet aspect de cette affaire.
Par conséquent, l'action est rejetée et la défen- deresse a droit à ses dépens.
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